2.5 Les smart contracts
Une grande partie des innovations apportées par la
Blockchain pourrait venir de certaines de ses extensions et en particulier des
smart contracts.
2.5.1 Les principes
La puissance de la Blockchain ne se limite pas à des
transactions statiques : les contrats passés entre 2 agents peuvent
inclure des variables (performance ou valeur d'actif), d'où
l'utilisation des smart contracts.
En 1993, le concept du smart contract (ou contrat
`intelligent') est une invention pour automatiser les relations contractuelles,
en évitant toute intervention humaine. Tous les secteurs
économiques seront concernés (ex : obtention d'un prêt
bancaire, indemnisation d'un sinistre).
Selon Nick Szabo59 son promoteur, le smart
contract est un programme informatique mettant en application un contrat
traditionnel (non numérique) et exécutant automatiquement les
clauses de ce contrat dès que les conditions sont réunies. Il
doit améliorer l'efficacité et la
59 Szabo, N. (1997), Formalizing and securing relationships on
public networks, University of Illinois, First Monday, Vol. 2, n°
9, 1st September.
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rapidité d'exécution du contrat d'une part et
éliminer l'ambiguïté du texte écrit car il doit
être compris par une machine60, ce qui réduit le risque
de contentieux.
De plus, ces nouveaux processus appliqués à la
gouvernance des entreprises pourraient permettre une plus grande
réactivité61.
Le code est autonome, les parties prenantes (humaines) n'ont
plus à interagir et n'interférent pas dans son
déclenchement. Il est important de préciser que le smart contract
ne se substitue pas au contrat traditionnel, il n'est que sa reproduction en
langage informatique. Tout seul, il n'a pas de valeur juridique (Collomb,
2016), il faut donc au préalable qu'un contrat ait été
négocié et validé.
A ce jour, la technologie Blockchain renforce la tendance
à s'appuyer sur le code informatique plutôt que sur la
loi62.
Le juriste américain Lawrence Lessig l'a
synthétisé dans la formule « code is law »63
qui signifie que le code informatique et les contraintes inhérentes
à la programmation peuvent influencer la manière dont le droit
s'appliquerait, voire la manière dont la loi ou les contrats seraient
rédigés.
Nous nous trouvons face à un système où
la confiance est déléguée d'un tiers ou d'un
dépositaire à un protocole (le consensus) et à un code (le
smart contract). Ce code étant produit par des humains, il peut donc
être aussi faillible qu'eux et pourrait nécessiter des
procédures de résolution comme dans les domaines financiers ou
des assurances64.
2.5.2 La mise en oeuvre des smart contracts
La blockchain qui a connu le plus grand développement
après celle du bitcoin est Ethereum. Il s'agit d'une blockchain publique
ciblant le développement d'applications décentralisées.
Elle a pour particularité d'avoir généralisé la
mise en oeuvre des smart Contracts. Ethereum, créée fin 2013 par
Vitalik Buterin, bénéficie d'améliorations techniques par
rapport au Bitcoin. Elle a pu lever 21 millions d'euros en 2014 lors de sa
campagne de crowdfunding sans avoir à supporter les coûts d'une
plateforme centralisée externe.
60 De Filippi P., Hassan S. (2016), La Blockchain est une
technologie de réglementation : de `code is law' à `law is code',
University of Illinois, First Monday, Vol. 21, n° 12, 5
décembre.
61 Hazard J., Hardjono T. (2016), CommonAccord : Towards a
Foundation for Smart Contracts in Future Blockchains, W3C Position Paper, 9
June.
62 De Filippi P., Hassan S. (2016), idem.
63 Lessig, L. (2008), Le code et les autres lois du
cyberespace v2.0, Basic Books.
64 De Vauplane, H. (2017), Les impacts des réseaux
distribués et de la technologie de Blockchain dans les activités
de marché, Rapport Groupe Fintech, Paris Europlace, octobre.
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Les attentes suscitées par la Blockchain peuvent se
concrétiser dans l'évolution de l'activité de
l'économie collaborative : les projets de crowfunding. En effet un
mécanisme de consensus entre les membres qui disposent chacun de la
totalité des informations permet la prise de décision du choix du
projet retenu. Celui-ci définit aussi un objectif commun qui peut
être codifié à l'aide d'un smart contract et validé
par l'ensemble des membres du réseau. Une fois les conditions
nécessaires à son lancement réalisées,
l'opération est effectuée automatiquement. Cette pratique permet
de supprimer les coûts liés à l'utilisation d'une
plateforme centralisée et à l'intermédiation d'une
institution financière65.
Dans le secteur des assurances, Allianz a créé
une application pour traiter l'indemnisation de sinistres en cas de catastrophe
naturelle. Il suffit que 2 conditions soient remplies :
· La déclaration de l'état de catastrophe
naturelle au Journal Officiel
· La localisation du sinistre qui doit se trouver dans la
zone concernée
Ces conditions ont été codées et
certifiées dans un smart contract qui permettra une exécution
très rapide du contrat, sans recours à un expert, d'où des
gains de temps et de frais de contentieux. Lors de la tempête Xynthia en
2010, il avait fallu plus d'un an pour que les victimes soient
indemnisées66.
Dans le domaine de l'assurance voyage, AXA propose un contrat
(fizzy) qui indemnise automatiquement et rapidement ses adhérents en cas
d'annulation d'un vol ou de retard supérieur à 2 heures. Il
s'appuie sur un smart contract dans la Blockchain Ethereum qui est
connecté aux bases de données des compagnies aériennes.
2.5.3 La remise en cause des couts de transaction
grâce au smart contract
Williamson67 définit les coûts de
transaction, comme «les coûts engendrés (ou pouvant
l'être) par les échanges contractuels de biens ou services entre
firmes.»
Pour des smart contracts plus complexes, les études
actuelles tendraient à présenter un transfert des coûts de
transaction plutôt que leur suppression68.
65 Collomb A., Léger L., Sok K. (2016), Blockchain :
L'automate comme autorité ?, In : Blockchain : Eldorado ou mirage pour
les services financiers ?, Banque & Stratégies, n°
350, septembre.
66 Adam-Kalfon P., el Moutaouakil S. (2017), Blockchain,
catalyseur de nouvelles approches en assurance, PwC Société
d'Avocats.
67 Williamson, O.E. (1975), Markets and Hierarchies :
Analysis and Antitrust Implications, New York, The Free Press.
68 Collomb A., Léger L., Sok K. (2016), Blockchain :
L'automate comme autorité ?, In : Blockchain : Eldorado ou mirage pour
les services financiers ?, Banque & Stratégies, n°
350, septembre.
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La rédaction d'un smart contract fiable
nécessite que toutes les parties prenantes s'accordent très
rigoureusement et précisément sur les règles à
suivre69, ce qui se concrétisera par plusieurs
réunions et échanges qui pourront être facilités en
s'appuyant sur des contrats types s'inspirant du droit des contrats. Cette
étape est incontournable pour une analyse fine des enjeux et des
objectifs. Cela permettra ainsi de limiter les conflits voir de supprimer les
litiges70.
Le codage du contrat effectué, son fonctionnement
autonome (sans intervention humaine) amènera une réduction des
coûts : les vérifications des transactions et leur validation se
feront automatiquement. Tous les acteurs peuvent avoir accès à
l'évolution des opérations, cette transparence dans la diffusion
de l'information limitera les litiges.
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