1.1. Le casino : propension à la dépendance
et stigmatisation du lieu
Si les casinos présents dans les hôtels de la
place sont réputés être des lieux réservés
à une certaine élite, c'est d'abord parce que leur localisation
est significative à plusieurs niveaux. Dans un sens, elle conforte le
citoyen ordinaire à l'idée que ce lieu est destiné aux
touristes, aux couches les plus nanties en quête de sensation et de
gains. D'autre part, en tant que structure incorporée dans un
Hôtel, le casino encouragerait la consommation dans un
établissement à vocation commerciale ; et donc forcément,
un tel lieu ne saurait être attractif pour les couches moyennes de la
population dans le contexte des villes africaines.
Ainsi, pour avoir travaillé comme croupier et donneur
de cartes au « Black Jack » dans les casinos du Nevada aux Etats
Unis, pour développer sa connaissance du monde du jeu, E. GOFFMAN
(1984), définit le casino comme un lieu de 1'action où chacun
peut tenter sa chance. Pour cet auteur, le terme « action »
sous-entend la prise d'un risque. Le jeu est donc une action, puisque le joueur
mise un enjeu et peut soit gagner soit tout perdre ; la perte correspond au
risque. En effet, le casino est un cadre construit pour faire rêver
l'individu et le transporter vers un monde coupé de la
réalité à partir du principe « d'isolement » et
de « conditionnement » qui le contraignent à une action que le
monde extérieur de la routine quotidienne lui interdit. Les portes sont
verrouillées, l'absence d'horloge et d'éclairage par la
42
lumière du jour. Bref, tout est mis en place pour
supprimer le moindre repère qui ramènerait le joueur vers la
réalité extérieure. Ce conditionnement lui fait perdre
conscience de toute réalité en dehors du jeu, pour l'enfoncer
dans une sorte de brouillard où le seul repère qu'il conserve est
le jeu.
Plus encore, du fait que l'argent soit remplacé par les
jetons au casino, le joueur accorde moins de valeur vénale
à cette monnaie ludique qu'il a propension à dilapider plus
rapidement, car il a moins tendance à voir qu'il perd. Dans une ambiance
rythmée par le caractère lumineux des machines sur lesquelles
s'affichent les jackpots, les mélodies triomphantes, assorties
du bruit des pièces qui tombent, le casino concrétise pour le
joueur perdant, la sensation d'être un gagnant. Si ce lieu offre au
joueur la possibilité de vivre et d'exprimer des réactions vives
telles que : joie et exultation face à un gain, tristesse après
une perte, impatience, anticipation, croyance que tout est possible et
ambivalence des joueurs qui passent toujours tout près de gagner, il est
évident qu'à tort, certains individus à Yaoundé,
pensent que les jeux au casino sont chers.
Les classes populaires stigmatisent en fait, les
dépenses dans un casino. Ceux-ci sont étiquetés de «
jeux VIP », donc réservés aux plus nantis, comme l'affirme
l'enquêté T. KEMTA, un agent d'entretien qui préfère
plutôt fréquenter les Visio club :
Je ne suis jamais entré dans les casinos luxueux
qui se trouvent dans les grands hôtels là, encore moins dans ceux
qui sont au carrefour intendance et à l'avenue Kennedy ! La raison est
que d'une part, il faut y aller avec beaucoup d'argent (vingt-cinq mille
francs) au minimum. Mais je n'aime pas surtout ces lieux parce que ce sont des
cercles de Feymens et d'escrocs. Il semble que tu peux jouer là-bas et
perdre même cinq cent mille, la seule motivation qu'on te donne c'est une
pauvre bouteille de whisky, qui coûte à peine dix mille francs
(...)
Il y a donc de la part des joueurs, un véritable
processus de labellisation et de stigmatisation qui singularise un certain type
de jeux de par les lieux où ils se pratiquent. Pourtant au casino, la
mise à la roulette commence à partir de cinq cents francs. Les
machines
43
à sous ont des mises de cent francs, nous confiait un
croupier rencontré au casino « Golden City ».
Par ailleurs, on peut aussi lire dans les propos de cet
enquêté, à l'image de bon nombre de joueurs, une certaine
naïveté dans le choix des milieux de fréquentations et de
pratiques de jeux d'argent. En effet, nul ne peut douter du fait
qu'aujourd'hui, les « bandits manchots »6 prolifèrent
même dans les quartiers les plus populaires. On retrouve parfois aux
commandes de ces « structures du pauvre », les mêmes promoteurs
qui opèrent dans les casinos pour les touristes fortunés.
À titre d'exemple, Michel Tomi, cet homme d'affaires Français qui
exploite les grands casinos et Fortune's club à Douala, est aussi
présent dans les PMU, qui sont vus comme des jeux pour les couches
modestes de la population. Dans le même ordre d'idées, le groupe
« Feutheu » fait le chemin inverse. Il s'est enrichi à travers
les salles de jeux populaires, et se lance maintenant dans l'hôtellerie
et les casinos de luxe, dans les villes de Yaoundé et Douala.
Excepté les casinos, les jeux d'argent se pratiquent aussi
dans les bars.
|