2. Revue de littérature
2.1. Premières théories de la gouvernance
des sociétés
Dans un contexte oùl'on s'interroge de plus en plus sur
les pratiques gouvernementales et plus spécifiquement sur l'utilisation
du pouvoir afin de servir au mieux le
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bien être des individus, de nouvelles formes de
théories apparaissent. En effet de nombreuses études et critiques
portant sur les incitations de types « classiques » comme le principe
de « pollueur-payeur » par exemple, nous prouvent ses limites.
Parallèlement, un contexte critique du problème de
l'environnement ne cesse de croitre au fil des années et rend ces
interrogations censées. Les « coups de pouce » ou «
nudges » sont un concept développéet popularisépar
les économistes Thaler et Sunstein en 2010 qui s'appuient sur les
travaux de Michel Foucault. Ce dernier a une première approche critique
sur la façon d'organiser la gouvernance, la conduite des individus. Les
nudges cherchent à modifier les comportements et pratiques et plus
globalement, les moeurs des individus, dans le but de maximiser leur
bien-être en terme d'éducation, de santéet plus
récemment en terme d'écologie. Finalement, les nudges viendraient
concilier la recherche psychologique et la théorie économique. La
caractéristique même du nudge est particulière. Thaler et
Sun-stein appellent ce concept la « méthode douce », car en
effet on cherche à modifier et orienter les individus en les incitant et
non en interdisant. Les nudges viennent ainsi se substituer aux contraintes et
aux interdictions gouvernementales.
Nous allons donc étudier la littérature des
nudges en nous appuyant sur les travaux de Marianne Chouteau, Michel Foucault,
Amartya Sen, Thaler et Sunstein et Ferrey and Al et Orobon.
Le premier à s'être penchésur les
différentes façons qu'un gouvernement pourrait user de son
pouvoir pour mieux gouverner les conduites est le philosophe français
Michel Foucault. Ses travaux ont une résonnance particulière
aujourd'hui. Selon The Times
Higher Education Guide, il est, en 2009,
considérécomme l'auteur en sciences humaines le plus
citéau monde.
Selon le rapport de Marianne Chouteau « Les nudges du
concept à la mise en oeuvre » (Juin 2015), les travaux de Foucault
mettraient en évidence plusieurs faits qui ont permis de mieux cerner le
fonctionnement du pouvoir. Foucault développe le concept de biopou-voir,
un pouvoir qui « s'intéresse à la question du vivant »,
il dit que les préoccupations des modes de vie humains rentrent au coeur
des préoccupation politiques et donc que « la vie de
l'espèce humaine devient l'enjeu des stratégies politiques
». On entrerait donc dans un nouveau paradigme oùles comportements
des individus seraient au coeur des raisonnements des politiciens et des
économistes. La vision des gouvernements aurait changéà
partir du XVIIIe siècle, « les gouvernements s'aperçoivent
qu'ils n'ont pas affaire simplement
à des sujets, ni même à un « peuple
», mais à une « population », avec ses
phénomènes spécifiques, et ses variables propres:
natalité, morbidité, durée de vie,
fécondité, état de santé, fréquence des
maladies, forme d'alimentation et d'habitat. » (Foucault, 1976)
En découlerait alors une caractéristique
intrinsèque fondamentale, une
hétérogénéitéau sein de la population.
Chouteau souligne que l'application du pouvoir de l'Etat « ne peut
être effectuéde façon uniforme sur la population »,
l'ensemble des individus d'une ville, d'un état et plus globalement de
la Terre étant tous différents.
Des théoriciens économiques s'étaient
déjàinterrogés sur cette
hétérogénéitédes individus. Amartya Sen,
économiste indien avait conclu que pour qu'une convergence des
égalités puisse se produire il faudrait que les individus soient
parfaitement identiques et que les cadres dans lesquels ils vivent soient aussi
identiques. Tous les individus sont différents, on a une
hétérogénéitédue à la psychologie des
ac-
teurs qui pourrait se traduire par une propension
àconsommer ou à épargner différentes
selon les indi-
vidus, des besoins physiques, certaines personnes ont par
exemple des maladies, une différence au niveau de l'environnement
institutionnel. L'Etat doit bien « cerner les freins qui feront que tel
dispositif de gouvernance pourra ou non atteindre son objectif »
(Chouteau). Foucault articule son raisonnement en s'appuyant sur la norme
sociale, sur le fait que le développement de ce bio pouvoir serait
dûà « l'importance croissante prise par le jeu de la norme
aux dépens du système juridique de la loi ». La norme
sociale serait au coeur des préoccupations gouvernementales car selon
Chouteau c'est souvent « en référence à elle que les
individus se positionnent ».
Les recherches de Michel Foucault nous démontrent alors
que dans la mise en place des politiques, l''Etat doit prendre un compte un
contexte non seulement économique mais aussi social. Ainsi on
pourrait-on donc trouver intéressant, du point du vue de
l'efficacité, d'envisager de nouvelles façons, de nouvelles
techniques, pour influencer et inciter aux changements comportementaux des
individus. Celles-ci pourraient porter sur la responsabilitéde
l'individu à « s'adapter afin d'atteindre un objectif collectif
global » (Chouteau). Grâce aux critiques de Foucault on se rend
compte de l'importance des individus dans la mise en place de telles
politiques. Les sciences comportementales ont mis en avant de nouvelles
façons de faire, notamment sous la forme des « nudges » ou
« coup de pouce ».
2.2. Un nouveau paradigme
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Selon Ferrey and Al (2013), ces dispositifs d'incitation
visent à « modifier les comportements des citoyens tout en
supportant les politiques publiques en matière d'environnement, de
santéet d'énergie ». Cela induit des interventions de la
puissance publique qui « pour être légitimes », (...) ne
doivent pas être intrusives: « elles entendent par conséquent
préserver la libertéin-dividuelle. ». Les économistes
Richard Thaler et Cass Sunstein ont mis en avant l'efficacitédes nudges
dans leur ouvrage « Nudge: la méthode douce pour inspirer la bonne
décision (Ed Vuilvert, 2010) » et ont, par la suite,
développéun terme : le paternalisme libéral.
Selon le rapport de Chouteau, ce paternalisme libéral
se base sur « l'économie comportementale et propose une
méthode douce d'incitation aux bons comportements plutôt que
d'interdiction ou de contrôle ». Les « coups de pouce » ou
« nudges » permettent donc d'inciter à un comportement, faire
« le bon choix », tout en ayant une certaine liberté, une
certaine autonomie d'action.
Le paternalisme libéral aurait considérablement
mod-ifiénotre conception des politiques publiques, selon Ferrey and Al
(2013), « Ce changement de perspective s'est fortement structuréces
dix dernières années sous l'impulsion de l'émergence du
courant dit du paternalisme libéral. Théorisépar Sunstein
et Thaler au début des années 2000 puis populariséet
vulgarisépar ces mêmes auteurs dans leur ouvrage Nudge (2008), le
paternalisme libéral pousse à la prise en compte de ces biais de
comportements jusqu'àune remise en cause des principes fondateurs de
l'élaboration des politiques publiques, formulées jusqu'alors en
conformitéavec des principes soit libéraux, soit paternalistes
» (Ferrey and al, 2013, 155).
Selon Thaler et Sunstein et en particulier Danier Kahnemann,
prix Nobel d'économie en 2002, l'homoeconomicus n'est pas tout à
fait rationnel. En effet, les hommes ne font pas des choix purement produits
par la logique mais sont bien gouvernés et incités par leurs
émotions, leur caractère ou encore leur éducation. Ces
comportements seraient donc en parties régis par des caractères
propres à chaque
humain. De ce fait, la complexitéet
l'hétérogénéitédes humains complique de
manière évidente la mise
en place de comportements généralisés
(normes). Finalement la théorie des nudges propose des «
modalités d'action ou d'adaptation de leurs gestes et pratiques dans
lesquels l'incitation au changement est suggérée plutôt
qu'imposée » (Chouteau). Selon Sunstein et Thaler (2008) ce serait
une « approche philosophique de la gouvernance publique ou
privée,
qui vise à aider les hommes à prendre des
décisions qui améliorent leur vie sans attenter à la
libertédes autres ». Le but recherchéest de cibler,
d'intégrer les pratiques et comportements des individus dans la mise en
place des politiques publiques. « Le paternalisme libéral » de
Cass Sunstein et de de Richard Thaler est fondésur cette théorie,
que la plupart du temps, nous ne sommes pas des agents cohérents en
mesure de maximiser nos profits. « Nous ne nous comportons donc pas
toujours en bon homo-economicus. Nous sommes de simples mortels affectés
de nombreux biais cognitifs et comportementaux qui inhibent notre analyse
rationnelle » (Orobon, 2013,22)
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