1.5.
Quelques axes actuels de la discussion
Les religiosités populaires, à l'heure actuelle,
constituent un élément explicatif du revivalisme religieux, qui
met en cause certaines conceptions théoriques comme la
sécularisation et en suscite d'autres comme celle du marché de la
religion. A cet effet, la littérature en la matière est
pléthorique et éclaire davantage notre recherche.
La première partie du mémoire de Bastin (2003)
intitulée Sociologie et religion aborde la religion sous ses
différentes dimensions dans la société ultramoderne. Elle
y démontre que la religion est par nature un fait social. S'il est vrai
que traditionnellement le collectif imprègne le religieux,
souligne-t-elle, les facteurs individuels sont autant d'indices du religieux
dans la postmodernité. Par ailleurs, elle met en relief les besoins
structurels de l'être humain et les stratégies de satisfaction des
besoins. « Les stratégies de satisfaction sont
anthropologiquement sédimentées dans l'espèce et
utilisées au cas par cas, par les individus pour construire des
systèmes culturels complexes ou des constellations de valeurs
socialement diffusées ». En effet, dans la
société moderne, les individus tentent de rationaliser leur
croyance et cherchent à faire l'expérience religieuse qui, selon
Bastin, est « une expérience dé-structurante
créatrice d'un nouvel ordre de pensées et de valeurs qui survient
à un moment précis de la vie individuelle ».
Bastin montre que bien qu'il soit coercitif, le fait
religieux, dans la modernité, offre à chacun la liberté de
choisir ses croyances et ses pratiques à cause de sa conformité
aux normes de la mondialisation. Elle rejoint Roy O. (2008) qui démontre
que, dans le cadre d'un marché mondialisé, les nouvelles
pratiques de religiosité et les nouvelles religions sont de plus en plus
déterritorialisées, déculturées et formatées
pour offrir à tous le libre choix de ses convictions religieuses. Ainsi,
le religieux étant déconnecté de la culture, les nouveaux
convertis "font leur marché, goûtent et expérimentent..."
Ces produits religieux, prêts-à-consommer, selon Roy, sont
standardisés et bénéficient d'un marketing qui facilite
leur exportation et la concurrence.
En effet, les stratégies utilisées par tels ou
tels acteurs, dans le marché de la religion, visent la satisfaction des
intérêts personnels et la conquête de positions dominantes,
comme l'expliquent Amouzouvi D. (2005) et Gauthier V. (2011).
Avec Amouzouvi, la religion est perçue comme business.
En effet, après une analyse approfondie des réalités
religieuses, le fonctionnement des différentes religions qui existent
dans le champ béninois, il conclut l'existence d'un marché dans
la religion. Les biens marchands ainsi que les différents services
rendus aux fidèles correspondent à des prestations qui sont
payés à travers diverses souscriptions financières comme
les tarifs de consultation (chez un devin), les zindo, les quêtes, les
demandes de messe (dans les Eglises chrétiennes), etc. Ainsi, Amouzouvi
démontre le processus par lequel des représentants des
différentes religions utilisent la religion pour devenir riches.
L'autre volet du marché de la religion qui vise le
positionnement privilégié des acteurs religieux est décrit
par Gauthier. Elle étudie la relation complexe entre Eglise catholique
et groupes évangéliques, à Lima, de 1990 à 2010.
Elle note la croissance des Eglises évangéliques qui se fait aux
dépens de l'Eglise catholique ; ce qui amène la
hiérarchie catholique, soumise à ce qu'elle considère
comme un « défi pressant », à développer des
stratégies pour empêcher l'exode des fidèles catholiques.
Dans le domaine pastoral, elle privilégie les dévotions
traditionnelles qui s'expriment dans de grandes manifestations populaires
à caractère nationaliste, comme le culte au Seigneur des Miracles
qui rassemble des centaines de milliers de fidèles dans plusieurs
processions, et les services du Renouveau charismatique. Mais au niveau des
croyants, la logique est différente. Gauthier souligne que les
évangéliques doivent leur succès au fait qu'ils
reproduisent des modes de fonctionnement des cultes catholiques d'où la
facilité avec laquelle les catholiques transitent vers une
dénomination évangélique.
L'exemple de l'Amérique Latine s'observe en Afrique
où les institutions traditionnelles (catholicisme, protestantisme,
islamisme) connaissent une désaffection au profit des mouvements
évangéliques et pentecôtistes qui ventilent partout un
nouveau langage religieux. La réalité de l'effervescence
religieuse en Afrique amène Muanda Kienga J. (2015) à y voir
à la fois crise et vitalité de la foi. La crise, c'est que
l'Afrique contemporaine est traversée çà et là par
une effervescence religieuse sans précédent, qui s'exprime par la
recherche effrénée de biens matériels, du succès,
de la guérison, de la protection, des miracles, etc. Selon lui, une
telle religiosité est devenue l'exutoire salutaire d'une grande partie
des populations africaines, lesquelles n'espèrent que par elle.
L'effervescence religieuse pourrait être signe d'une vitalité de
la foi, mais encore faudra-t-il qu'elle soit assainie, réorientée
et encadrée.
C'est le même souci d'encadrement qui, en vue de
préserver les fidèles de l'Eglise catholique et l'homme en
général, a inspiré Peloux et Pian (2010). Selon eux, bien
que « les repères habituels de la pratique religieuse (messes
dominicales, nombre de mariages ou d'enfants en catéchèse)
indiquent une baisse importante de l'influence de l'Eglise dans la vie
quotidienne », les manifestations de la religiosité
requièrent une attention particulière et informent sur
l'engouement pour le religieux. C'est ainsi que la confiance aux grandes
institutions religieuses s'érode et naît alors chez les acteurs un
attachement aux petites communautés où les relations sont plus
chaleureuses. Dans ces communautés, les fidèles retrouvent et
vivent les pratiques religieuses qui semblent dépassées, mais qui
sont revitalisées. Sur la plupart des paroisses, les responsables de la
pastorale sont confrontés à des demandes de
bénédiction, de guérison, de dévotion ou de
pèlerinage, etc. Les auteurs soulignent que ces démarches se
situent dans un contexte de mondialisation qui « recomposent les
attentes religieuses, de sociétés qui fragilisent les individus
et ne favorisent pas leur propre épanouissement ». Devant une
telle soif de satisfaction des besoins légitimes des populations, Peloux
et Pian cherchent d'abord à les comprendre, ensuite proposent qu'on les
accompagne et, enfin, qu'elles soient orientées de sorte qu'elles
conduisent à Christ « déjà présent dans
leur vie... en vue d'un plein épanouissement de la vie humaine et afin
que les hommes réussissent leur vie ».
La plupart des NMR clament haut et fort que leur
préoccupation majeure, c'est la réussite tant humaine que
spirituelle des hommes, comme l'ont démontré Peloux et Pian en
proposant l'encadrement des pratiques religieuses populaires. Mais la
tâche s'avère très ardue pour les institutions
traditionnelles. Comme Gauthier (2008) l'a démontré, l'exode des
fidèles catholiques ne cesse de s'observer. Alors, Perretant-Aubourg
(2011) dira que L'Eglise est à l'épreuve du
pentecôtisme. Car dans sa thèse, elle aborde le
développement des mouvements pentecôtistes-charismatiques à
l'île de La Réunion et démontre que leur attraction est due
à l'importance particulière qu'ils accordent à
l'émotion religieuse. Ces groupes religieux donnent des preuves
tangibles que l'agir de Dieu ne dépend pas des dogmes. Ainsi selon
l'auteur, « ils concourent à l'imprécision des
croyances et à la fluidification des itinéraires religieux, ils
contribuent à la poussée des individualismes religieux, ils
encouragent la scissiparité ecclésiale ». L'Eglise
catholique est, sans ambages, mise à l'épreuve. Alors,
Perretant-Aubourg ouvre l'étude au Renouveau charismatique catholique
qui, à la différence du pentecôtisme, est vu comme
l'expression d'une contestation interne à l'Église d'autant plus
que les groupes se réclamant de cette mouvance demeurent
rattachés à Rome et « ses pratiques et
références empruntées au pentecôtisme ont
été ré-acculturées dans le cadre de la tradition
catholique ». Néanmoins, cette protestation, en se voulant
davantage culturelle et existentielle que socio-économique,
dénonce le rationalisme privilégié par l'Église au
détriment des besoins émotionnels de ses fidèles.
Parlant des pratiques qui aident et soulagent, Kennedy D.
(2004) montre que l'évangélisme est bel et bien une solution. Car
selon lui, il trouve un écho favorable auprès des individus et
des populations en perdition, dont l'itinéraire est marqué par
l'alcool, les crises familiales, la drogue, la solitude. A ceux-là, le
discours des prédicateurs apporte plus qu'un réconfort : la
conversion des « born-again » correspond bien
à une expérience existentielle de renouveau. L'individu est
reconnu et accepté par une communauté, Dieu lui propose une voie
individuelle de salut par une sorte de ressourcement moral. De ce point de vue,
la religion oeuvre pour un développement personnel. Les
born-again évangéliques décrits par Kennedy ne
demandent pas forcément la vie éternelle. Ils cherchent à
redonner du sens à leur existence, ils veulent de l'aide pour combattre
tel ou tel démon intérieur : l'alcool ou la sexualité
extraconjugale. L'encouragement à changer d'existence, à
reprendre sa vie en main, ne relève pas que de la sollicitation verbale.
Les communautés apportent une aide concrète par les petits
groupes de soutien, par le recours à des actes
« miraculeux » de guérisons, des aides
matérielles directes, etc.
Kennedy soulève un problème capital de la
pastorale, celui de l'accompagnement, de l'écoute et du soutien qui font
défaut dans les villes où de plus en plus les individus ont
besoin de la disponibilité de quelqu'un à qui ils peuvent se
confier. Et il rejoint Mbodo O. (2011) qui affirme que les formes actuelles de
la religiosité en Afrique invitent à découvrir des
pratiques religieuses inspirées par une éthique du
présent, de l'ici et maintenant. Leur succès, selon lui,
s'explique par leur capacité réelle ou supposée à
fournir des réponses aux problèmes vécus au quotidien.
Ainsi, pour les populations africaines, dont la maladie et la misère
sont le lot, une offre religieuse est d'autant plus intéressante qu'elle
aide à trouver des solutions aux problèmes de la vie
présente. Partout donc, devant les vicissitudes de la vie et les
épreuves de l'existence, on attend de l'Évangile des
remèdes efficaces aux maux du destin et des solutions infaillibles aux
problèmes du milieu (Semporé, 1994, p. 21).
Voilà pourquoi les NMR acquièrent de plus en
plus de succès et envahissent tous les univers. Depuis plus d'une
vingtaine d'années, Mayrargue C. (2014) fait constater que le champ
religieux béninois est occupé par plusieurs courants
chrétiens évangéliques et pentecôtistes. Bien qu'ils
soient minoritaires, écrit Mayrargue, ils sont parvenus à
acquérir une forte visibilité depuis les années 1990
où la liberté religieuse est devenue une réalité
dans un contexte de libéralisation politique et de
démocratisation. Ces dynamiques contemporaines sont l'expression de la
pluralisation religieuse. Pour n'en point douter, ces mouvements
chrétiens sont à l'origine du processus de fragmentation des
paysages religieux et d'éclatement de l'offre et de la pratique. Mais
ils nouent de nouvelles interactions avec les autres acteurs religieux avec qui
ils se trouvent en situation de compétition. Ces relations se traduisent
par un partage nouveau des territoires et des formes inédites de
porosité religieuse. Qu'ils soient d'origine nord-américaine ou
européenne, ou africaine, voire béninoise, ces groupes de
prière, associations, ou mouvements religieux, grands ou petits en
termes d'effectifs, utilisent largement les technologies de l'information
(émissions radio, programmes télévisés,
consultations par téléphone), des théologies produites au
sein de l'évangélisme mondial (comme les théologies de la
prospérité), des espaces publics et privés, marqués
de signes, d'images, de symboles (affiches annonçant des manifestations
religieuses, pancartes indiquant la présence d'églises,
autocollants apposés sur des véhicules avec des versets
bibliques). Ils sont tous mus par l'esprit du prosélytisme et
envahissent tous les espaces de la ville : établissements
scolaires, centres de santé, marchés, prisons, bâtiments
collectifs (Salle de cinéma, Hall des Arts, Palais de Sports),
concessions, domiciles privés, etc. En fin de compte
l'évangélisme valorise et promet la réussite individuelle,
encourage le succès personnel, garantit la délivrance, la
prospérité, l'abondance, et le succès.
Un tel contexte d'occupation des espaces urbains et
périurbains, voire villageois, par les NMR est l'un des graves
problèmes que relève Alladaye C. J. (2003) dans son ouvrage et
qui menacent l'Eglise catholique dans sa pureté et sa
prédominance. Le second problème se trouve être le
syncrétisme religieux. Que ce soit l'un ou l'autre, Alladaye, affirme
que « ces phénomènes imposèrent à
l'Eglise catholique des efforts d'adaptation qui se traduisirent par des
mutations... ». En effet, la manière dont les chrétiens
béninois pratiquent la religion catholique ne respecte pas les
prescriptions de l'Eglise. Bien qu'ils soient dévoués pour les
oeuvres de l'Eglise, plusieurs d'entre eux n'hésitent pas à
adopter le syncrétisme, en restant attachés aux rites
traditionnels et en recourant au « bo » dans des
situations particulières de la vie. En outre, l'auteur présente
le panorama des différentes catégories de mouvements religieux
qui partagent le pays avec les institutions établies :
Christianisme céleste, Chérubins et Séraphins,
Témoins de Jéhovah, Baptistes, Pentecôtistes,
Assemblées de Dieu, Eglise du Fa, etc.
A la lumière de tout ce qui précède, nous
retenons que les nouvelles pratiques de religiosité ne cessent pas
d'interpeller nombre de spécialistes tant des sciences sociales et
humaines que ceux des sciences théologiques et religieuses. Leurs
contributions éclairent davantage le sujet de cette recherche :
elles situent bien le contexte de la prolifération des NMR, la
nécessité du religieux pour le bien-être des hommes, le
développement des stratégies par les acteurs des
différentes religions pour se maintenir en bonne place sur le
marché de la religion, afin de tirer plus de profits, le déclin
des institutions religieuses établies, etc.
Dès lors, le présent travail portera sur les
nouvelles pratiques religieuses qui ont cours actuellement dans l'Eglise
Catholique Romaine et les enjeux qui justifient leur existence. La
manière dont les fidèles vivent le phénomène et
l'appréciation qu'ils en font eux-mêmes sera cernée.
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