WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

La dynamique du discours nationaliste au Gabon.

( Télécharger le fichier original )
par ADIELA BOUSSOUGOU KASSA
Université Omar Bongo - Master de sociologie 2016
  

Disponible en mode multipage

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

UNIVERSITE OMAR BONGO

FACULTE DES LETTRES ET SCIENCES HUMAINES
DEPARTEMENT DE SOCIOLOGIE

LA DYNAMIQUE DU DISCOURS

NATIONALITAIRE AU GABON

MEMOIRE DE MASTER

Option : SOCIOLOGIE DE L'ETAT, DU POUVOIR ET DES INSTITUIONS.

Présenté et soutenu par

Adiela Amour Shiva BOUSSOUGOU KASSA

Sous la direction de

Fidèle Pierre NZE NGUEMA
Professeur titulaire des universités (CAMES)

Et de

Roger NGUEMA OBAME

Libreville, janvier 2016

1

Dédicace

2

A mes mères :
In memoriam Marie Thérèse Délicat,
En hommage à Pierrette Ngayoulou.
Ces femmes qui, chacune à leur manière m'ont donné vie, courage et inspiration.

3

Remerciements

Au terme de cette phase de notre formation, nous profitons de cette page pour affirmer notre gratitude à tous ceux ou celles qui, de près ou de loin, nous ont assuré disponibilité, collaboration et conseils pour la rédaction de ce mémoire et la réussite des enseignements de notre parcours.

Nous tenons à manifester nos sincères remerciements au Pr F.P. Nze-Nguema, non seulement pour l'intérêt porté à notre travail, mais aussi pour la place de choix qu'il nous a offerte à la Chaire UNESCO en sciences sociales, pour notre formation optimale. Sincères remerciements également, à M. R. Nguema Obame notre co-directeur, pour son soutien multiforme, son attachement à notre réussite, sa disponibilité et pour la rigueur qu'il nous a imposé dans l'élaboration de ce travail.

Notre reconnaissance va droit à toute l'équipe du Département de Sociologie de l'Université Omar Bongo. En particulier au Pr Mesmin Noël Soumaho, pour les heures incomptables passées, pendant les cours et pendant les soutenances, à nous rappeler la rigueur dans la présentation de nos travaux de recherche. A M. Fortuné Matsiegui-Mboula, notre maître-initiateur à la sociologie politique, pour ses conseils et ses orientations en matière de bibliographies se rapportant à notre sujet.

A notre grande famille. A notre père d'abord, M. Serge Maurice Boussougou, pour tous les sacrifices consentis pour notre réussite. « Honnis soit celui qui ne fait pas mieux que son père » nous ressasse-t-il. Qu'il trouve dans ce travail, un lustre pour sa fierté.

A nos nombreux, frères et soeurs que nous ne saurons citer ici, qu'ils trouvent ici notre reconnaissance pour leurs encouragements. Madeleine Mokono-Kongo, Laetitia Rouchard Délicat, Joe Shutsha, Chris Boussougou, Dave Délicat, Thérence Délicat, Alain Rouchard. Nous leur devons bien plus que ce modeste travail et nous les prions, tout de même de l'accepter comme première échéance.

Last but not least, nous ne manquerons pas d'évoquer ici, nos chers amis et compagnons d'université. Nous nous somme résolu de ne pas les citer nommément. Ainsi, nous n'oublions personnes. Merci à tous pour vos apports respectifs à ce travail. Une mention particulière pour Cyr Moussa Moussavou et Elodie Ntsame Obame.

4

Sigles

P.D.G : Parti Démocratique Gabonais

C.A.D.E.S : Coordination des Activités Des Etudiants de Sociologie

M.E.P.B : Mouvement des Etudiants Progressistes Barundi

U.A : Union Africaine

U.D.S.G : Union Démocratique et Sociale du Gabon

B.D.G : Bloc Démocratique Gabonais

F.N : Front national

P.U.N.GA : Parti de l'Union Nationale du Gabon

MORENA : Mouvement du Renouveau National

RNB : Le Rassemblement National des Bûcherons

RPG : Rassemblement Pour le Gabon

RNBD : Rassemblement National des Bûcherons Démocrates

PGP : Parti Gabonais du Progrès

UPG : Union du Peuple Gabonais

PSD : Parti Social-Démocrate

5

Table des illustrations

Document 1 : Capture d'image, La Géographie vivante pour le cours préparatoire et le cours moyens, d'Onésime Reclus.

Document 2 : Carte de Philippe Rekacewicz, Le partage de l'Afrique.

Document 3 : Tableau, Les Représentations de la gabonité.

Document 4 : Figure, La hiérarchie des origines de la gabonité.

SOMMAIRE

6

Introduction générale 1-5

Partie préliminaire : PREALABLES EPISTEMOLOGIQUES ET METHODOLOGIQUES 13

SECTION I : Objet et champ de l'étude

14-9

SECTION II : Problématisation

18-29

SECTION III : Approche méthodologique

37-35

Partie I : PROPRIETES SOCIOHISTORIQUES DU DISCOURS NATIONALITAIRE . 43-38

Chapitre I : La socio-archéologie de l'ethnicité

46

Section I : Des prolégomènes pour une théorie de l'homo ethnicus

47-50

Section II : De l'ethnocentrisme à l'ethnonymie

58-57

Chapitre II : De la « géno »-politique coloniale au partage de l'Afrique

65-60

Section I : La « géno »-politique coloniale

67-66

Section II : Des frontières naturelles précoloniales à la division coloniale de l'Afrique

74-73

Conclusion de la première partie

81-75

Partie II: LA METAMORPHOSE DE LA RACE

83-79

Chapitre III : Entre nationalisme et le multiculturalisme.

87-82

 

Section I : Une citoyenneté improbable

90-87

Section II : Le nationalitarisme et la lutte pour le pouvoir d'Etat

95-99

Chapitre IV : Le nouvel esprit de la nationalité

107

Section I : Qu'est-ce qu'un Gabonais ?

107-109

Section II : La gabonité au prisme de la mondialisation

117-117

Conclusion de la deuxième partie

125-119

Conclusion générale

127-123

Bibliographie

131-131

AVANT-PROPOS

« Lorsqu'on regarde notre monde, il semble, en dépit de l'émergence des moyens de communication qui les rapprochent, que les hommes demeurent encore plus séparés que jamais, que l'individualité semble s'imposer comme culture, que nous vivons de plus en plus dans un monde de la subjectivité absolue. Pis encore, l'intolérance, les différences individuelles et culturelles s'accentuent davantage, rendant difficile la cohabitation pacifique entre les hommes de religions et de cultures différentes. Cette situation nous conduit à réfléchir sur les possibilités d'un fondement philosophique d'une fraternité universelle, d'une communauté humaine où chaque homme se sentira authentiquement frère de tous, et où l'on pourra vivre, en reconnaissant à autrui son droit à la différence. De cette fraternité découlera, comme une conséquence existentielle, l'exigence de solidarité »1

7

1 Hans Oko Boussougou, Analogie et solidarité dans connaissance de l'être de J. De Finance, Paris, Editions universitaires européennes, 2016. Page 1.

8

Introduction générale

Le présent travail de recherche porte sur la dynamique du discours nationalitaire au Gabon. En effet, la prégnance de l'ethnicité dans les représentations sociales et la récurrence d'une rhétorique nationalitaire dans les médias, problématisent la construction de la nation et l'émergence du patriotisme en dépit de la fixation du symbolisme « Gabon d'abord ». Autrement dit, cette recherche vise à interroger les rapports historiques, entre les groupes sociaux nommés « ethnies » dans la construction de l'Etat au Gabon. Ainsi, les liens problématiques entre l'ethnicité et la citoyenneté peuvent traduire, une crise de l'identité nationale ou une crise nationale de l'identité.

Une dimension frappante de l'enquête sur laquelle s'appuie cette recherche réside dans les représentations sociales des acteurs de la nationalité, exprimées, d'une part, de manière latente dans la praxis, la monté d'un discours « politicien » médiatisé et ses conséquences sociales, dans l'effritement du lien social, d'autre part.

L'usage en sociologie essentialise la fondation de tout travail de recherche sur la constatation d'un problème social, d'une situation pathologique.

Ainsi, notre intérêt pour l'étude du discours nationalitaire, est suscité par la mise en crise, par ce discours, du lien social. En effet, la récurrence d'un discours ethnocentriste, voire ethniciste et même xénophobe, actualisé à souhait, par les médias et les hommes politiques, met au défi, l'Etat entant que dépositaire unique de la violence légitime, pour paraphraser Weber. Seul, l'Etat est habilité à identifier ses citoyens, c'est-à-dire à distinguer le Gabonais du non Gabonais. Si Benoit Mouity-Nzamba, un homme politique de la seconde heure gabonaise nous rappelle que le discours nationalitaire est daté, car « entre les années 1979 et 1981, il ne faisait pas beau d'être Punu » ; il n'en demeure pas moins qu'il arbore depuis 2009, un caractère tendancieux. Nous pouvons lire, chaque semaine, dans la presse nationale, des parutions de cette nature. Pour nous éloigner du procès d'un effet d'observation, illustrons par des faits empiriques, notre propos.

Observons, à travers les exemples qui suivent, les illustrations du discours nationalitaire. Analysons d'abord, le discours de ce notable de la Ngounié, dans un reportage de Gabon Télévision, retransmis, lors du journal télévisé de 20 heures, le 12/03/2015 : « Nous sommes très heureux qu'une fille de Mandilu, soit élue Président du Sénat(...), c'est Ntsamba-Magotsi qui gagne, c'est la Ngounié qui Gagne et enfin, [ajoute-t-il], c'est le Gabon qui gagne». Il

9

s'agit ici, d'un stade latent du discours nationalitaire. Il consiste à reléguer le Gabon en second plan, pour se référer d'abord à l'ethnie.

Evoluons. Souvenons-nous ces banderoles arborant le message « Tous sauf les Fang » lors de l'élection présidentielle de 2009 et rappelons-nous ce titre : « Pendant que Fang et Punu se déchirent » paru dans Le Nganga du jeudi 21 février 2013. Remarquons, la violence du « Tuez-les tous » paru dans L'Aube du lundi 27 janvier 2015. Constatons enfin, la parution du titre « En 2025 il n'y aura plus de Gabonais autochtones... » de La Loupe le 03 novembre 2015.

Les illustrations qui suivent, nous permettent d'asseoir définitivement par des données empiriques, notre problème de recherche, en mettant en exergue la violence du discours nationalitaire, pernicieuse pour le lien social. Il s'agit de deux discours rapportés.

Le premier est celui de Michel Ogandaga : « Je suis un homme en colère, écoeuré par ce qui se trame actuellement au sein du PDG dans le Woleu-Ntem. Même si la traîtrise de nombreux militants PDG du Woleu-Ntem ne surprend personne, cette province a toujours été le bastion du judaïsme, antichambre du salafisme...Pour mettre un terme à cette immense saloperie, le grand ménage doit-être fait maintenant dans le PDG. Je demande donc des sanctions fermes et immédiates contre ces ordures... exclusion illico presto du PDG, limogeage manu militari de toute fonction officielle, Suspension à vie de tout revenu...».

C'est à la suite de cette déclaration que l'hebdomadaire l'Aube, publiera sur sa une du lundi 27 janvier 2015, le titre « Tuez-les tous » que nous citions supra. L'on peut, dès lors, à raison, questionner les conséquences de ce discours aux relents ethnistes et de sa récupération médiatique, sur les représentations sociales des acteurs. Le dialogue qui suit nous en éclaire quelque peu.

M. KASSA et M. OBAME attendent un taxi depuis plusieurs minutes déjà, après leur journée de travail. Un véhicule stationne devant les deux hommes, l'automobiliste leur propose son service qu'ils acceptent volontiers.

L'automobiliste : « Où allez-vous? » M. OBAME : « Nous allons à Awendjé. » L'automobiliste : « êtes-vous Fang ? » M. OBAME : « Oui, pourquoi ? » L'automobiliste : « Montez ! »

10

Et les deux hommes montent et s'installent dans le véhicule, vraisemblablement gênés, mais impatients d'écouter l'automobiliste poursuivre son discours. A contrario de M. Obame, M. Kassa n'est pas de nationalité2 Fang. Notre curiosité va porter un intérêt particulier sur le discours visiblement ethniste de cet homme, puisque nous travaillions sur l'ethnicité.

L'automobiliste : « Les gens là ne nous aiment pas alors moi aussi je ne les aime pas. C'est parce que vous êtes Fangs que je vous ai pris dans mon bus, je ne suis pas un clando3, moi je ne prends pas les bilops4 dans ma voiture. »

Pris de panique, craignant de se faire expulser du véhicule, du fait de son imposture, M. Kassa devra se taire, pour entendre attentivement les développements de cet homme, tout en évitant de nous faire repérer. Avisé, M. Obame va aussitôt le couvrir pendant que M. Kassa se contentera de hocher, systématiquement la tête, pour dire son approbation à ce discours jusqu'à destination et ce, même quand ses compagnons s'exprimeront en langue vernaculaire.

M. OBAME (en évoquons M. Kassa) : « Il n'a pas grandi ici, il ne parle pas, il comprend seulement. »

L'automobiliste : « Eh ben il payera pour les autres. »

M. OBAME : « Mais pourquoi dites-vous qu'ils ne nous aiment pas, je ne comprends pas ? »

L'automobiliste : « Toi-même tu ne vois pas, quand on leur demande pourquoi vous n'aimez pas les Fang, ils ne donnent pas des raisons valables, ils disent qu'on aime se faire voir, Ogandanga a dit qu'il faut nous exterminer, tu n'as pas entendu ? en tout cas, moi aussi, j'ai dit que je ne les aime pas. C'est ma position, ne t'avise pas à changer ça, tu es libre, je ne t'oblige pas à adhérer à mon point de vue. D'ailleurs si tu cherches un travail on va écarter ton dossier à cause de ton Nom. Pourtant on a Anthony Obame, on a Aubameyang

M. OBAME : « Quel Ogandanga ? »

L'automobiliste : « Le vrai Ogandanga, pas le métis, le métis est Guinéen. Il a dit ça et personne n'est venu dire le contraire, personne ne s'est insurgé contre ça, alors qui ne dit mot consent. Donc tous, je les mélange. Je ne garde pas mes fusils à la maison pour

2 Chez Fidèle-Pierre Nze-nguema, la nationalité désigne l'ethnie. Lire L'Etat au Gabon de 1929 à 1990, Le partage institutionnel du pouvoir, Paris, L'Harmattan, 1998.

3 Argot gabonais, véhicule non réglementaire à usage de transport public.

4 Expression vermiculaire Fang désignant toute personne n'étant pas de ce groupe ethnique.

11

tuer les animaux, c'est pour les Bilops. Voilà pourquoi je porte toujours ça » (en montrant de la main, un pin's sur lequel il était écrit, `'Je suis AMO*», sur sa chemise.

Il appert, au regard des discours que ces scènes mettent en exergue, de la montée des nationalitarismes5 et consécutivement, la crise du lien social. Explicitons notre problème de recherche.

L'Aube, nous a révélé, les dessous d'un débat violent, entre deux intellectuels, en l'occurrence Mouguiama-Daouda et Daniel Franck Idiata, dans son numéro du 30/11/2015, non sans référence à la «légion étrangère » (Mouguiama-Daouda inclus) du Gabon. Ce débat commence après la parution dans Jeune Afrique, d'un éditorial publié le 1er Septembre 2015, par Georges Dougueli, intitulé, « Gabon : le poison xénophobe ». A la une de ce même numéro6, une interrogation questionnait l'existence du racisme au Gabon.

L'auteur de l'éditorial, Georges Dougueli, soulève plusieurs faits sur le malaise d'une catégorie de Gabonais « issus de l'immigration » dirait-on en France. « Ici les hommes politiques déguisés en procureurs et des journalistes revendiquant une xénophobie de bon aloi ont juré d'avoir la peau de ce `'néo-Gabonais''». La Loupe est citée en exemple dans la propagation d'un discours xénophobe au Gabon. « Le 27 aout 2015, dans son édition spéciale, l'hebdomadaire la Loupe vitupère contre `'le pillage du Gabon par des étrangers », proteste contre «''l'occupation'' et le fait que `'la race gabonaise ne soit trouvable nulle part », non sans postuler « `'un génocide des autochtones'' dont il rend responsable les enseignants étrangers ».

Disons d'entrée de jeu que nous ne partageant guère, les anachronismes, les préjugés et surtout le caractère emphatique, du récit de Georges Dougueli qui généralise ces « actes marginaux »7, pour postuler la xénophobie au Gabon, en dépit de ce que la marge est belle et bien une catégorie d'analyse sociologique8. Cependant, nous voulant, sans alimenter le débat sur la xénophobie, réitérer le problème induit par un discours « politicien » et médiatique qui

5 Il s'agit ici, d'un équivalent du communautarisme, c'est-à-dire d'un développement des communautés ethniques ou culturelles entre autres, au détriment de l'intégration nationale. Il se distingue pour cela au nationalisme, qui suppose l'existence fictive d'un Etat-nation, avec une valeur de patriotisme.

*André Mba Obame dit AMO, homme politique gabonais, issu du PDG et candidat à l'élection présidentielle de 2009.

6 55ème année, N°2851, du 30 aout au 5 septembre.

7 D.F.Idiata, « Si le Gabonais est xénophobe, alors tous les peuples sont xénophobes », mis en ligne le 21 septembre 2015 à 13h 32, in www.jeuneafrique.com , consulté le 22 septembre 2015.

8 Lire à ce sujet, F.-P. Nze-Nguema, Introduction à une sociologie des marges. Les stratégies populaires de résistance en Afrique Revue Kilombo, Libreville, 2004.

12

met inévitablement en crise le lien social qui fonde la cohésion dans la société gabonaise. Et si l'on peut reprocher à Mouguiama-Daouda, qui se montre inquiet par rapport à cette rhétorique et aux attitudes discriminantes dans son ouvrage Une silure dans la nasse, une analyse, peu ou prou distanciée ; il n'en demeure pas moins que ce discours journalistique devenu une vulgate, est contre toute apparence, une production idéologique, dont l'intelligibilité consiste, selon Armand et Michèle Mattelart, à faire d'un « citoyen [mal] informé, un homme d'action »9.

Cette réflexion se veut une proposition de réponse à deux questions fondamentales: Pourquoi les agents sociaux sont-ils agit par l'ethnicité? Et comment appréhender la dynamique du discours nationalitaire ?

Dans un premier temps, et à travers ce mémoire de Master, nous nous pencherons sur les préalables épistémologiques et méthodologiques. Nous examinerons les concepts ethnie, nation, nationalité, discours nationalitaire et les théories de l'ethnicité. Ces approches théoriques nous permettront de mieux situer le concept de nationalité au niveau de notre cadre empirique de recherche. La discussion de ces théories nous conduira également à dégager nos hypothèses de travail et les approches susceptibles d'être convoquées pour expliquer la dynamique du discours nationalitaire au Gabon.

Le second temps de notre travail consistera à plancher sur ce que nous avons appelé la socio-archéologie de l'ethnicité. Par le biais d'une causalité rétrospective, nous analyserons les propriétés socio-historiques du discours nationalitaire. Il s'agit, de dégager les substrats organisationnels et les rapports sociaux structurants les sociétés précoloniales. Nous tenterons d'établir, à la lumière de la littérature socio-historique des sociétés africaines en particulier, les fondements ethniques des organisations politiques pour conférer des assises à notre analyse dynamique du discours nationalitaire. Dans cette partie nous examinons également, la situation coloniale, afin d'en dégager les responsabilités dans la fixation des identités.

Dans un troisième et dernier temps de notre propos, il sera question, de faire une analyse empirique du discours nationalitaire. Cette recherche sera fondée sur notre expérience de terrain et sur l'analyse secondaire des données collectées dans les coupures de presse, l'analyse de l'opinion des acteurs et des textes de lois définissant la nationalité dans le droit gabonais et dans le droit international.

9 A. et M. Mattelart, De l'usage des médias en temps de crise, Paris, Alain Moreau, Col. « Textualité », 1979, p.308-310.

13

Partie préliminaire : PREALABLES EPISTEMOLOGIQUES ET METHODOLOGIQUES

14

SECTION I : Objet et champ de l'étude

1. Le discours nationalitaire comme objet d'étude

Evoquer le discours sur la nationalité nécessite, a priori, une réflexion liminaire sur le substrat qui fonde ce discours, comme d'ailleurs nous l'impose l'historicité de l'ethnicité que nous envisageons à travers la perspective dynamique de ce travail. En effet, le discours nationalitaire se fonde sur le concept de nation, et/ou la notion d'ethnicité.

De façon générale, l'ethnicité est une notion ambiguë. Il est donc essentiel de le définir clairement et précisément, pour montrer sa pertinence heuristique et éviter qu'elle serve de paravent à tous les amalgames. Lato sensu, on peut définir l'identité ethnique comme «...la conscience d'appartenance à un groupe qui se singularise par des pratiques culturelles spécifiques et qui, considérant que cette différence est niée, voit dans les luttes à tous les niveaux une possibilité de déboucher, à terme, sur une société autre où ces différences seraient reconnues »10.

Etymologiquement, la notion d'ethnie vient du Grec Ethnos et se traduit ad litteram par « peuple » ou « nation ». C'est pourquoi, tout en ayant une « préférence » pour le concept de nationalité proposé par Nze-Nguema, nous admettrons, sans illusion, les allusions à la notion d'ethnicité, car ils ont en partage, non seulement le rhizome étymologique, mais aussi des homologies structurales que nous développerons infra.

Que l'on évoque l'un ou l'autre concept, l'acception générique désigne un groupement humain unit par des traits de caractère commun et des éléments de différenciation avec l'altérité. Cette singularité consiste généralement entre autres, en la langue, la culture, l'origine, et l'histoire, etc. Selon les auteurs, quatre indicateurs, dans la structuration de l'identité ethnique permettent d'en rendre compte. Il s'agit en l'occurrence de l'attribution catégorielle, la notion de frontière (ou de limite), l'origine commune et la saillance11.

Le premier élément est l'attribution catégorielle parce que l'identité ethnique est une structure hétérogène qui se construit dans la relation entre la catégorisation par les autres et l'identification à un groupe particulier.

10 D. Fabre « Les minorités nationales en pays industrialisés », in L'anthropologie en France. Situation actuelle et avenir, (sous la dir. Condominas et Dreyfus-Gamelon), Paris, Ed. du CNRS, 1979, p. 293

11 Lire G. Ferréol, G. Jucquois (Dir), Dictionnaire de l'altérité et des relations interculturelles. Paris, Armand

Colin, coll. « Dictionnaire », 2005, P. 126.

Le deuxième élément, la notion de frontière, réalise la fonction de la différenciation : d'une part, l'identité ethnique ne peut exister sans séparation avec des non-membres, sans référence à une altérité et d'autre part, la pérennité des groupes tient à l'existence de ces frontières, indépendamment des changements au sein de la culture.

L'origine commune est la troisième composante. Il s'agit : de la langue, du territoire, de la religion, de la couleur, tous ces éléments sont naturalisés par l'idée d'une origine commune.

La notion de saillance enfin, rend compte des processus par lesquels l'ethnicité est mise en relief dans l'interaction. Elle sous-entend qu'il existe d'autres modes d'identification possible, d'autres « cercles d'appartenance ». Un individu peut mettre en avant l'un ou l'autre mode selon la situation dans laquelle il est placé. S'il choisit de valoriser son identité ethnique, il pourra utiliser ses caractéristiques distinctives, son aspect extérieur (vêtement particulier, port de barbe etc.). Par ces caractéristiques, l'individu exprimera solidarité ou distance sociale, ou encore il cherchera à recueillir des avantages.

Saillance qui doit d'ailleurs beaucoup à N. Poulantzas et à son concept de conjoncture en tant qu' « objet spécifique de la pratique politique (...) et lieu privilégié où se réfléchit l'individualité historique toujours singulière d'une formation sociale »12.

Le contour par cette digression nous permet de présenter proprement notre objet d'étude, avant de plancher sur les tentatives de réponses. Notre propos introductif proposait en lecture, plusieurs illustrations du discours nationalitaire. Une sociologie du discours nationalitaire est autant une sociologie des représentations que les acteurs se font de la nation, sur les structures et les enjeux aussi, qui promeuvent ce discours.

Nous voulons comprendre ici, et expliquer comment fonctionne le discours nationalitaire. Sur quel substrat le discours nationalitaire puise-t-il son contenu ?

L'identité désigne lato sensu, la conscience que les acteurs ont d'appartenir à un groupe humain différent des autres et de s'en revendiquer. Cependant, la non-réalité13 qui la sous-tend, et le fait qu'elle n'ait «pas de nature, mais seulement des usages»14 , induisent d'en appréhender

12 N. Poulantzas, Pouvoirs politique et classes sociales de l'état capitaliste, Paris, Maspero, 1968. P. 99.

13 S. Amin, La faillite du développement en Afrique et dans le tiers monde, Paris, L'Harmattan, 1989, p.144.

14 B. Lepetit, « Histoire des pratiques, pratique de l'histoire », dans Les Formes de l'expérience. Une autre histoire sociale, B. Lepetit (dir.) Paris, 1995. P.39.

15

essentiellement, les manifestations, à travers, le discours des acteurs, car ses effets seuls sont tangibles15.

Nous entendons donc par l'identité nationale, une forme d'identité collective, orientée vers le passé que se représente la mémoire collective, une histoire mythique ou du moins légendaire dans laquelle certains souvenirs deviennent des symboles de ces significations imaginaires sociales.

Quant au discours nationalitaire, tel qu'identifié au Gabon et eu égard à ce qui précède, c'est un discours sur l'identité, fondé sur un substrat socio-historique dont les références à des contenus mythiques et/ou idéologiques consistent, soit à majorer sa nationalité, soit à péjorer celle de l'altérité. Le discours nationalitaire est une production sociale qui résulte d'une distinction d'ordre symbolique dont la finalité est de permettre une valorisation, parce qu'elle a des intérêts économiques, politiques ou des bénéfices psychologiques, entre autres.

Le présent propos s'attache à rendre compte de l'évolution sur la longue durée historique du discours sur la nationalité. Il consiste essentiellement à analyser de façon descriptive, l'évolution du discours sur l'identité nationale au Gabon. Discours qui implique l'ethnie, entant que forme élémentaire d'organisation politique mais aussi l'Etat entant structure politique moderne.

2. Champ théorique : la sociologie politique

Notre démarche est celle de la sociologie politique. La sociologie politique se définit comme la science des sociétés humaines et des faits sociaux, non dans leur globalité, mais ceux liés au pouvoir, à son organisation, à son exercice, et à sa transmission au sein des groupements humains qui prennent aujourd'hui principalement la forme de l'Etat.

Questionner le discours nationalitaire dans le contexte africain, revient à analyser ses modalités de production, ses procédures d'énonciation, ses capacités d'invention ou de

15 S. Duschesne, V. Scherrer, identité(s), Actes du colloque de la MSHS de Poitiers, Poitiers, 2003.

16

réinvention et ses potentialités de mobilisation. Gazibo et Thiriot affirment que « le repérage du politique au-delà de ses aspects formels et institutionnels » sous-tend « la réhabilitation des individus comme acteurs politiques, la prise en compte des dimensions endogènes et de l'historicité des sociétés étudiées, une même sensibilité pour les dimensions symboliques et culturelles du politique »16.

L'étude de l'identité en sociologie politique s'intéressent particulièrement à la citoyenneté comme forme d'identité politique développée dans les régimes démocratiques modernes. La citoyenneté est alors conçue comme une construction identitaire permettant d'asseoir et de légitimer le pouvoir politique. De façon particulière, les problèmes d'intégration des particularismes dans une société relient l'ethnicité, la nationalité et la citoyenneté au sein des préoccupations qui caractérise la sociologie politique. D'ailleurs, la définition de la citoyenneté développée par Marshall en 1949 postule que « c'est essentiellement, pour tous les membres de société, avoir le sentiment d'être membre également et à part entière »17. A sa suite, Kymlicka proposera l'addition à ses trois catégories des droits culturels. Il affirme à ce propos que « si le but de la citoyenneté est de faire en sorte que la personne deviennent membres à part entière de la société et participe à la vie sociale, alors les gens qui sont exclus de la société sur le plan culturel, et qui sont incapables de s'identifier aux institutions et aux coutumes de cette même société peuvent se voir privés, dans la pratique de la citoyenneté »18.

La thèse de la reconnaissance de la diversité culturelle est aussi défendue par Taylor. Il affirme que « non recognition or misrecognition, can inflict harm, can be a form of oppression, imprisonning someone in false, distorted, and reduced mode of being. »19

C'est donc entre ethnie et Etat, entre ethnicité et citoyenneté, selon la suggestion en filigrane des travaux que nous évoquions supra, que notre propos s'intègre dans le champ de la sociologie politique.

16 Gazibo et Thiriot (Dir), Le politique en Afrique - Etat des débats et pistes de recherche, Paris, Karthala, p. 110.

17 Kymlicka, La citoyenneté multiculturelle : une théorie libérale du droit des minorités, Editions du Broéal(Canada), La découverte et Syros(France), 2001, p. 22.

18 Ibidem, P.26

19 C. Taylor, Multiculturalisme - Différence et démocratie, Paris, Aubier, 1994, P.25.

17

18

SECTION II : Problématisation

I. Revue de la littérature sur le fait nationalitaire

Toute entreprise de recherche nécessite un retour et un recours aux travaux des prédécesseurs. L'intérêt d'une recension des écrits, réside dans la mise en exergue des travaux développés sur un objet d'étude et leur confrontation, en vue d'en tirer parti pour notre analyse. Elle se fait en trois temps : le débat fondamental sur l'ethnie, l'africanisme et les littératures sociologiques gabonaises sont tour à tour évoqués ici.

1. Le débat fondamentale sur l'ethnie (la nationalité)

L'hétérogénéité des formations sociales et l'imaginaire d'une hiérarchie des sociétés consacrèrent, l'émergence des concepts voulant rendre compte des différences biologiques, politiques et culturelles pour s'auto-définir et définir l'altérité. Cela est d'abord du fait des ethnocentrismes communs à l'humanité entière. En effet, dans l'antiquité grecque, l'on observe déjà une opposition entre l'«ethnos» et la «polis», littéralement traduit par « cité ». L'ethnocentrisme grec nomma les sociétés voisines, pourtant culturellement indifférenciées, et dont l'organisation politique fut étrangère au modèle de cité-Etats, par le vocable « ethnè ». Ainsi, la primitivité de ces sociétés fut « préjugée » par les Hellènes comme par plusieurs théoriciens à l'instar de V. Ehrenberg, pour qui, il est « vraisemblable [que l'ethnos] est beaucoup plus proche de la société primitive »20. Cette primitivité postulée des ethnè soulève par ailleurs leur a-politicité.

L'Essai sur l'inégalité des races humaines (1854), de Gobineau proposait l'adjectif « ethnique » tout en se privant d'une référence à l'« ethnie ». Son emploi indistinct des termes de « race », de « nation » et de « civilisation », sous-tend l'hypothèse d'une dégénérescence consécutive au mélange des races. L'apparition de la notion d'« ethnie » dans la langue française est l'apanage de Georges Vacher de Lapouge. Il est aussi l'un des premiers théoriciens du

20 Cité par Amselle, « Ethnie » in Encyclopédie Universalis, 2013. (Version électronique).

19

métissage culturel. Dans Les Sélections sociales (1896), il postule que le contact entre plusieurs races et leur cohabitation prolongée aboutit in fine à un rapprochement culturel21.

De l'apparition de l'ethnie dans les sciences sociales a donc prévalu, l'identification d'un aspect précis, jusque-là non identifié ou vaguement décris par d'autres concepts. Ce terme, plus simple que les expressions telles que groupe ethnique ou unité ethnique, était alors en compétition, dans les milieux scientifiques, avec d'autres néologismes plus savants proposés çà et là : ethnos, ethne, ethnikon, ethnicum, ethnea, ethnisch, ethnic, glossethnie, laios, etc.

A ce propos, Roland Breton indique que le mot « ethnie » forgé par Vacher de Lapouge et repris par A. Fouillée dans Psychologie du peuple français en 1914, vit son sens précisé par F. Regnault : « Il convient de différencier l'ethnie linguistique de la race anatomique »22.Ce n'est qu'après le second conflit mondial que son emploi passe dans l'usage courant. Il s'imposa d'abord dans les régions francophones où le fait ethnolinguistique pouvait poser problème. Les Wallons, notamment Becquet dans L'ethnie française d'Europe publié en 1963, et les Québécois en eurent le plus recours dans l'expression de leurs préoccupations sociales, culturelles et politiques. En Outremer, les ethnologues et l'administration coloniale commencèrent à trouver « ethnie » plus commode à utiliser parce que plus neutre que tribu ou peuple23. Breton précise également que « la généralisation rapide de l'usage du mot ethnie démontre qu'il répondait à un besoin et qu'il devait avoir sa place dans l'outillage lexical et conceptuel (...). Le néologisme ethnie gênait particulièrement parce qu'il sous-tendait un effort de précision supplémentaire, de constatation et de respect des différences, alors que les vocables vagues et usés comme peuple, péjoratifs comme peuplade ou tribu, sanctifiant comme nation, satisfaisaient, en effet, dans un usage chargé de connotations affectives »24.

Avec Max Weber, nous retrouvons une distinction nette entre ethnie, nation et race. Il indique que « ce qui distingue l'appartenance raciale de l'appartenance ethnique, c'est que la première est réellement fondée sur la communauté d'origine, alors que ce qui fonde le groupe ethnique, c'est la croyance subjective à la communauté d'origine. Quant à la nation, elle est,

21 Idem

22 In Bulletin et Mémoires de la Société d'anthropologie de Paris, t. X, 1920.

23 R. Breton, Les ethnies, Paris, PUF, 1992, p. 81.

24 Ibid., p. 6.

20

comme le groupe ethnique, basée sur la croyance en la vie en commun, mais se distingue de ce dernier par la passion (pathos) liée à la revendication d'une puissance politique »25.

Nadel montrera ensuite, dans un travail sur les Nupe du Nigeria, les imbrications d'une réalité totalisant l'ensemble de l'Afrique de l'Ouest. Mercier qui a subi l'influence de Nadel, va tenter de déconstruire l'objet ethnique. À propos des Somba du Nord-Bénin, il a souligné la nécessité de resituer ce groupe dans la géographie et dans l'histoire et de l'inclure dans des cadres plus larges. Il a procédé aussi, ce qui est capital pour toute tentative de définition d'une unité sociale quelle qu'elle soit, à un inventaire du champ sémantique du terme.

En 1969, Fredrick Barth publie son ouvrage Ethnic Groups and Boundaries26, où il montre que les identités sont créées et maintenues par le jeu des interactions entre les groupes. Il s'inspire d'une théorie développée par la sociologie de l'interactionnisme symbolique et place la notion de « limite » au centre de sa démarche. Il montre que les séparations entre ethnies servent à établir des schèmes d'identification socialement signifiants et que, parallèlement, il se produit un flux continuel de populations à travers ces limites. Il ouvre ainsi la voie à une analyse des relations entre ethnies conçues comme des rapports de forces27. C'est pourtant Erving Goffman qui en a produit les développements les plus substantiels. L'attention portée à l'interaction dans la constitution de l'identité a notamment été soulevée par les membres de l'école pragmatiste de Chicago dont G.H. Mead pour qui, l'identité personnelle est le produit de la socialisation, laquelle permet la constitution du « Soi »28.

Cependant, dès ses premiers écrits, l'interactionnisme symbolique apparaît comme une théorie visant à expliquer comment se constituent les catégories de la vie sociale au cours des activités d'ensembles complexes de groupes ou d'individus en coopération ou en opposition29. Et c'est, tout particulièrement la parution de Stigmate, qui consacre l'ethnie social de l'analyse de l'identité30. Dans cet ouvrage, l'auteur montre que c'est par le stigmate, conçu non pas tant comme une marque ou un attribut spécifique mais bien plutôt en termes de relations, que les partenaires sont amenés à jouer un rôle31.

25 M. Weber cité par P. Poutignat et J. Streiff-Fenart, Théories de l'ethnicité, Paris, PUF, 1995, p 38.

26 F. Barth, « Les groupes ethniques et leurs frontières », in P. Poutignat et J. Streiff-Fenart, op.cit., pp. 202-254.

27 Idem.

28 G.H. Mead, L'Esprit, le soi, et la société, Paris, PUF, [1934], coll. « Le lien social », 2006.

29 E. Goffman, La Mise en scène de la vie quotidienne, 1. La présentation de soi, Paris, 1973 (1re éd. 1959).

30 E. Goffman, Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, 1975 (1re éd. 1963).

31 Ibid., p. 11-13 et p. 160. 20.

21

Dans l'interaction, plusieurs composantes de l'identité s'élaborent et entrent alors en jeu. L'identité sociale, d'abord, résulte de la conformité ou de la non-conformité entre l'impression première produite par autrui et les signes qu'il manifeste32. L'identité personnelle, ensuite, s'articule autour du contrôle de l'information dans une situation relationnelle donnée33.

2. La nationalité dans la littérature sociologique africaniste

Les travaux classiques sur l'objet ethnique sont l'oeuvre principalement des premiers missionnaires et coloniaux. Ces derniers abordent la question sous le prisme de l'analyse évolutionniste, consistant à expliquer les conflits comme étant des phénomènes ataviques et naturels, du fait des populations encore sauvages, poursuivant leur évolution vers les sociétés civilisées. Ce courant ethnographique développé, d'abord par Lévy-Bruhl34, envisage les phénomènes culturels à l'instar de la langue, les croyances religieuses entre autres comme des objets politiques porteuses des facteurs intégrants de la vie sociale, mais aussi d'absence d'intégrité ou d'unités et de conflits.

Les travaux des sociologues africanistes se sont surtout fait jour au gré des problématiques relatives aux questions ethniques. Le laboratoire de référence ou observatoire continentale du fait ethnique, est à non point douter la région des Grands Lacs, dont les expériences peuvent servir à plusieurs égards de grilles de lecture éprouvées. C'est pourquoi nous évoquons quelques références des auteurs des Grands Lacs, dont la position d'« insider », peut en indiquer sur la pertinence et sur les impertinences aussi.

Nous allons d'abord faire référence au Mouvement des Etudiants Progressistes Barundi (MEPB), qui qualifia les événements de 1972 de « complot impérialiste menant au génocide »35. Nous les complèterons bien, mieux que de les opposer, à la thèse qui postule que des conflits sociopolitiques fondés sur les représentations ethniques trouveraient leur explication dans la misère des populations. C'est donc la proposition d'une double causalité, qui tient compte à la

32 Ibid., p. 12 et p. 81-82.

33 Ibid. p. 57-126, plus particulièrement p. 57-58, 72-74 et 81-82.

34 L. Lévy-Bruhl, les fonctions mentales dans les sociétés inférieures, Paris, Alcan, 1910.

35 Meproba, « Burundi : un complot impérialiste mène au génocide », Mai 1972, inédit. Le MEPB imbue des idées progressistes et panafricanistes soutint la même position dans toutes ses publications notamment dans Notre politique, avril 1977, en particulier le chapitre IV « La politique néocoloniale de l'impérialisme » (PP.54-57). Lire aussi « L'impérialisme, la féodalité et la persécution du peuple au Burundi » in Remarques Africaines, N° 268, 15 juin 1966, p. 326.

22

fois, de l'externalité et de l'internalité causales. A titre d'exemple, l'idéologie du développement du « régime Bagaza » a entretenu le leurre de la construction d'une communauté nationale sous fond de la seule promotion économique, sociale et culturelle alors qu'elle a développé dans l'élan de ses pratique d'exclusion, de corruption et de clientélisme la production des identités ethniques, claniques et régionales.36

Depuis les travaux d'Althusser, notamment le dépassement qu'ils opèrent à propos des thèses marxistes sur la superstructure, on ne peut plus réduire, l'idéologie à l'ignorance, à l'erreur ou à la fausse conscience. Les théoriciens de l'usage politique de l'ethnicité n'ont pas toujours envisagés le revers du génocide ou du crime contre l'humanité. Darbon soutient ce point de vue, lorsqu'il écrit à propos que « la subjectivité de la mobilisation ethnique s'articule sur l'objectivité de la marginalité politique et économique »37.

D'autres auteurs établissent des corrélations entre valeurs traditionnelles, idéologies et mentalités des sociétés africaines et les conflits ethnopolitiques. Le modus operandi de ces analyses consiste à avancer que les valeurs et les idéologies qui fondaient les sociétés africaines précoloniales et les institutions qui les représentaient sont en crise et favorisent l'avancée des modèles conflictuels plutôt que ceux de communion sociale et politique38. Ces études montrent que si les mobilisations ethniques furent impossibles dans le passé, c'est qu'il y avait des mécanismes profonds et puissants de socialisation politique et productrice de représentations politiques plus ou moins consensualistes. La crise ethnique serait de ce point de vue éthicofonctionnaliste, une crise des valeurs et des modèles d'autorité traditionnelle39. Chrétien et Gahama éclairent quant à eux les évolutions dialectiques de cette construction historique de l'Etat, en s'intéressant aux conquêtes et aux phénomènes de révolte aussi bien avant que pendant la colonisation40.

Cependant, c'est dans les travaux, de Jean-Loup Amselle, Claude Meillassoux et de Jean-Pierre Dozon, notamment que les analyses sont plus approfondies. Ces auteurs postulent

36 Pour ces éléments, lire J.P. Chrétien, « le Burundi : des mythes à la réalité », in Revue française d'études politiques africaines, 7 août 1979, pp. 112-113, F. Reyntjens, « Burundi 1972-1988. Continuité et changement », in Cahiers du CEDAF, N° 5, 1989.

37 D. Darbon, « De l'ethnie à l'ethnisme : réflexions autour de quatre sociétés multiraciales, Burundi, Afrique du Sud, Zimbabwe et Nouvelle Calédonie », in Afrique contemporaine, N° 154, 1990, p.46.

38 E. Mworoha, Peuples et rois de l'Afrique des grands lacs. Le Burundi et les royaumes voisins au XIXème siècle Dakar-Abidjan, NEA, 1977, pp.105-111.

39 T. Laely, « les destins des du Bushingatahe. Transformation, d'une structure locale d'autorité au Burundi », in Genève-Afrique, N° 2, p.77.

40 J. Gahama, « la marginalisation des anciennes croyances » in Le Burundi, sous administration belge. La période de mandat 1919-1939, Paris Karthala-ACCT-CRA, 1983, pp. 355-370.

23

que l'ethnie est une création contemporaine liée à la colonisation, à l'exode rurale, et à l'insertion dans un État moderne entre autres.

Jean-Loup Amselle voit la notion d'ethnie telle qu'elle est utilisée aujourd'hui, comme une création des premiers anthropologues et ethnologues, avant d'être un instrument des colonisateurs pour identifier les peuples colonisés. Toutefois, cet auteur nuance ses propos en montrant que ce n'est pas une règle générale applicable à tous les cas. Il fonde son explication sur la théorie de la primauté des relations intersociétales. Cette théorie postule que « les sociétés locales, avec leur mode de production, de redistribution, loin d'être des monades repliées sur elles-mêmes, étaient intégrées dans des formes générales englobantes qui les déterminaient et leur donnaient un contenu spécifique »41.

J-L. Amselle examine tour à tour des espaces d'échanges, des espaces étatiques, politiques et guerriers, des espaces linguistiques ainsi que les espaces culturels et religieux. L'examen de ces espaces, avec des exemples précis sur chaque cas permet à J-L. Amselle de conclure qu'avant la colonisation, l'Afrique existait comme « une chaîne de sociétés à l'intérieur desquelles les acteurs sociaux se meuvent. Ces acteurs, en fonction de la place qu'ils occupent dans les différents systèmes sociaux, sont à même de circonscrire dans la langue une série d'éléments signifiants ou des sèmes qui, par une somme de transformations successives donneront naissance à un paradigme ethnique»42. Il se pose alors la question d'attribution ou d'identification ethnique. Barth répond qu' « un acteur social, en fonction du contexte où il se trouve, opérera à l'intérieur du corpus catégoriel mis à sa disposition par la langue, un choix d'identification »43, mais pas nécessairement ethnique comme le fait remarquer J-L. Amselle. Cela ne veut pas dire que dans les sociétés africaines précoloniales, la notion d'ethnie était absente. J-L. Amselle relève que dans les dialectes africains, il existait les notions idéologiques pour évoquer la tribu, la race ou l'ethnie. Il précise qu'en bambara-malinké par exemple, il existe la notion de shiya, qui correspond bien à celle de race, d'ethnie, voire de clan ou de lignage. Dans cette langue et dans cette société, on trouve des notions idéologiques qui permettent le regroupement d'un certain nombre d'agents sous la fiction d'une appartenance ou d'une descendance commune. C'est aussi la même conclusion que tire J. Berque. Il indique qu' « en Afrique précoloniale, seules les unités locales à caractère politique sont pertinentes, ce qui

41 J.-L.Amselle., E. M'Bokolo (dir.), Au coeur de l'ethnie. Ethnies, tribalisme et Etat en Afrique, Paris, La découverte, 1985, p. 23.

42 Ibid., p. 34

43 F. Barth cité par J-L. Amselle, op. cit., p. 34.

24

explique que les patronymes, les ethnonymes, les différents systèmes de classement soient des sortes de bannières ou de symboles servant de signes de reconnaissance ou bien encore des emblèmes onomastiques, c'est-à-dire en définitive des modes de domination »44. Lorsque J-L. Amselle indique que dans certains pays, les ethnies sont des créations coloniales, il fait allusion au fait que les Européens ont repris les regroupements et les nominations des groupes sociaux des autochtones et les ont traduits en langues européennes45.

Cependant Amselle conclut sa thèse d'une façon curieuse, déconnectée de son terrain. En effet, J-L. Amselle estime que le concept d'ethnie n'est pas applicable au contexte africain. Il note en substance qu'il « n'existait rien qui ressemblât à une ethnie pendant la période précoloniale. Les ethnies ne procèdent que de l'action du colonisateur qui, dans sa volonté de territorialiser le continent africain, a découpé des entités ethniques qui ont été elles-mêmes ensuite réappropriées par les populations. Dans cette perspective, l'ethnie, comme de nombreuses institutions prétendues primitives, ne serait qu'un faux archaïsme de plus»46. Remarquons ici, le paradoxe d'un raisonnement opposé à ses perspectives analytiques, après son inventaire des concepts en langues locales qui désignaient « ethnie », dont l'exemple de shiya en Bambara-malinke.

En outre, après son examen des différentes définitions, il conclut que l'ethnie ou la tribu correspond à "l'Etat-nation au rabais". Or, ces Etats étaient, d'après ses propres analyses, structurées en espaces sociaux, ce qui nous indique, que pour J-L. Amselle, Ethnie équivaut à Etat-nation(Europe).

Joseph Tonda est un des tenants de la colonialité de l'ethnicité. Ce dernier perçoit d'ailleurs l'ethnicisme (« forme idéologique et militante de l'ethnicité ») comme un produit des processus coloniaux et postcoloniaux. L'illustration qui suit est prégnante des germes, source de l'ethnicisme chez cet auteur : « je signale que pour moi qui suis né dans les années 1950, il est écrit sur mon acte de naissance que j'appartiens à une certaine `'race» qui se dit aujourd'hui `'ethnie». (...), car si la `'race» coloniale est une invention du système colonial, l'ethnicisme contemporain en est une réinvention mais il va bien au-delà »47.

44 J. Berque cité par J-L. Amselle, op. cit., p. 37.

45 Ibid., p.38.

46 Idem, p.23.

47 J. Tonda, entretien avec Catherine Gau, In www.Africultiure.com, Consulté le 04/01/2015 à 9h30.

25

Si l'auteur n'évoque pas distinctement l'ethnicité dans ses oeuvres majeures, il n'en demeure pas moins, que les références sur la thématique qu'il développe en filigrane, font de lui un théoricien de l'identité négro-africaine. Dans La Guérison divine en Afrique centrale, où l'on peut déjà lire la gestation du « Souverain moderne », il avance, que l'homme colonisé, d'hier et/ou d'aujourd'hui, demeure depuis le rhizome qui fonde son essence, mu par la puissance structurante et aliénante de la colonialité48. D'où, pour ce sociologue, la connivence fondamentale entre un régime de domination, celui des blancs, dont le négationnisme (pour emprunter ce mot forgé pour qualifier le révisionnisme face à la shoah), non seulement dénie l'humanité du colonisé, mais assimile toujours ce dernier, plusieurs année après Gobineau, au « bon sauvage »49. L'identité négro-africaine, les représentations ethniques des acteurs seraient donc inhérente à la colonialité, par les réinventions des logiques racistes exprimées par l'ethnicité.

E. M'bokolo, en parlant du « Séparatisme katangais », pointe quelque peu contre ces interprétations simplistes, qui servent à la situation coloniale l'argument de l'invention de l'ethnicité50, en proposant, le recours à la causalité rétrospective via l'histoire précoloniale et coloniale. L'organisation tribale, nous explicite Matsiegui Mboula « était une réalité qui existait bien avant l'expansion coloniale de l'Europe. A l'intérieur d'un grand pays comme l'Inde, il y'avait des régions entières où il n'y avait pas des castes mais des tribus. En Amérique du Nord et du Sud, il y'a eu des confédérations tribales comme celles des Iroquois décrites par Morgan. En Nouvelle-Guinée on a recensé 750 langues et dialectes différents et il n'y avait jamais eu d'Etat indigène avant l'Etat colonial »51.

Cependant, Tonda a peut-être anticipé les critiques contre sa position, en opposant « un pessimisme radical au béni-oui-oui académique occupé à dresser la carte des `'résistances», des `'appropriations» positives, du `'pouvoir» (agency) des colonisés, et des signes d'une modernité rédemptrice »52.

48 La guérison divine en Afrique centrale (Congo-Gabon), Paris, Karthala, 2002. p. 35.

49 Joseph Tonda, Le Souverain moderne. Le corps du pouvoir en Afrique centrale (Congo, Gabon), Paris, Karthala, 2005, pp. 127 et 158.

50 E. M'bokolo, « Le «séparatisme Katangais« », in Jean-Loup Amselle, Elikia M'Bokolo, (dir), Op.cit. pp.186-187.

51 F. Matsiegui Mboula, L'Etat et le tribalo-régionalisme au Gabon, de 1990 à nos jours, thèse de doctorat N.R. Amiens, 2005, p.213.

52 Tonda cité par F. Bernault, « Le point de vue de Florence Bernault » in Politique africaine n° 104 - décembre 2006, p.1.

26

Cette critique est principalement destinée à Mbembe et à son concept, d'homo ludens, dont le développement consiste essentiellement à décrire les jeux d'identités des Africains en situation de domination impériale. « Tonda soutient que le principe de duplicité, de jeu gratuit et de ruse superficielle inclus dans cette proposition a permis que les études africaines «expliquent tout par le simulacre, et nient la mutation d'être des sujets collectifs et individuels de l'Afrique«»53 L'homo ludens contribuerait donc objectivement à faire le jeu des ethnocentrismes, jeu qui consiste à douter, par tous les moyens, de la conversion de l'être africain.

Mbembe ne posait-t-il pas, dans sa réaction contre l'« hégélianisme sarkozien »54, la question de savoir, « quelle est-cette historicité supposée du continent qui passe totalement sous-silence la longue tradition des résistances y compris contre le colonialisme français (...) 55? L'on citera à ce titre, par exemple, les « dérobades » évoquées par Nze-Nguema dans L'Etat au Gabon56, car « la question sur l'appareil et le fonctionnement de l'Etat est une critique des théories sur l'assimilation en Afrique »57.

Il est connu que l'oeuvre coloniale s'est accompagnée de l'évangélisation des Damnés de la terre, comment dès lors, penser les survivances et les résurgences de ce que la colonie, a, selon eux, « totalement » balayées ?

Le dépassement des thèses des précurseurs des études postcoloniales est aujourd'hui avéré. Tant il est vrai que leurs travaux, (Fanon et de Césaire notamment) ont le mérite d'avoir, à travers un regard iconoclaste relativisé les essentialismes coloniaux, il ne s'agissait toutefois pas d'une déconstruction de la condition nègre. En effet, la (re)lecture du concept d'identité-rhizome d'Edouard Glissant que proposait Denis Constant Martin a montré que la conception de la culture qui en est le fondement, est une réaffirmation de l'interpénétration culturelle a contrario du réductionnisme que suppose leur dilution, les unes dans les autres58.

53 Ibid.

54 Des penseurs occidentaux ayant véhiculé les thèses excluant l'Afrique de l'histoire, Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831) est sans doute le représentant le plus connu. Nicolas Sarkozy reprend en filigrane ces idées lors de son discours le 26 juillet 2007 à Dakar.

55 Mbembe, « L'Afrique de Nicolas Sarkozy » in www.africultures.com, consulté le 05/05/2015.

56 Nze Nguema, Op.cit., pp. 44-47. Lire aussi Nazi Boni, Histoire synthétique de l'Afrique résistante, les réactions des peuples africains face aux influences extérieures, Paris, Présence Afrique, 1971.

57 Ibidem, p.47.

58 D.C. Martin, « Au-delà de la post-colonie, le Tout-Monde ? pour une lecture sociologique d'Edouard Glissant », in Smouts Marie-Claude(dir.), La situation postcoloniale : les `'postcolonial studies» dans le débat français, Paris, Presse de Sciences Po, 2007, p.134-169.

27

Nous pensons à juste titre, qu'il y a lieu d'évoquer un syncrétisme dans le sens des concepts d'hybridité et/ou d'ambivalence proposés par les théoriciens du courant postcolonial. Syncrétisme d'ailleurs que Tonda exploite, à travers, sa notion de « complicités perverses » dans La Guérison divine en Afrique centrale59. Tonda postule que « la violence de l'essentialisme religieux s'appréhende à partir de l'articulation de deux concepts : la croyance et l'identité. Elle implique que la croyance pose l'identité au-delà de l'histoire, la fasse sortir de ses lieux et sens communs, lieux et sens coutumiers, pour la replacer dans des lieux mythiques ou utopiques, qui sont en réalité des sortes de hors lieux (modernes et contemporains), se situant soit aux origines, soit dans l'avenir et dont la connaissance aurait été obscurcie par l'histoire »60.

Et Le Souverain moderne, que l'on nous passe, même a priori, ce nominalisme pure, n'est-ce pas là, un syncrétisme, qui juxtapose le « droit de glaive »61 et «... l'entrée de la vie dans l'histoire [...], l'entrée des phénomènes propres à la vie de l'espèce humaine dans l'ordre du savoir et du pouvoir »62. Les positions philosophiques foucaldiennes de ces thèses sacrifient à l'autel du théoricisme la réalité empirique des identités. Or la pratique en sociologie se fonde justement sur l'empirie. Chaka Zoulou manifestait une violence inouïe, longtemps avant le contact avec le chicotte coloniale considérée par Tonda et Mbembe (voire), comme des propriétés du colonialisme et l'explication de sa réappropriation par les (ex) colonisés.

L'aporie principale des thèses africanistes analogiques (Amselle, Dozon, Meillassoux, Tonda), au-delà de leurs perspectives théoriques respectives, qui rapportent toute prémisse d'ordre ethniciste, exclusivement aux seuls cadres coloniaux réside dans la confortation de l'anhistoricité, l'a-historicité même diront-nous, et de l'incivilité des peuples autochtones prétendues par ces mêmes cadres. Cette fuite en avant légitime par un paradoxe, l'oeuvre coloniale de la civilisation. Sinon comment comprendre l'entreprise civilisatrice sans l'animalité supposée des peuples africains?

Par ailleurs, la réfutation de la différence en Afrique précoloniale implique beaucoup de positions dangereuses. Elle peut, non seulement suggérer l'unicité, dont seul le clonage garantit les certitudes, ou tout au moins, le retrait des sources socioculturelles locales, mais également,

59 J. Tonda, op.cit.

60 J.Tonda, « La violence de l'imaginaire des enfants-sorciers », Cahiers d'études africaines [En ligne www.etudesafricaines.revues.org ], 189 -190, 2008, mis en ligne le 04 avril 2008, consulté le 27 février 2015.

61 M. Foucault, « Il faut défendre la société », Gallimard/Seuil, coll. « Hautes Études », Paris, 1997, p. 214.

62 M.Foucault, La Volonté de savoir, Gallimard, coll. « Bibliothèque des Histoires », Paris, 1976, p.186.

28

par un théoricisme présuppose d'abord le formatage63 et ensuite la robotisation des acteurs africains. D'abord la thèse du clonage humain s'autorefute à la lumière des prouesses actuelles de la technoscience. Ensuite, le courant de l'assimilation, dont les extensions peuvent conduire dangereusement au mimétisme avec lequel ils ont en partage le simplisme ; postulent que la culture de l'identité humaine dominante supplante celle du dominé.

Or, c'est s'opposer à Chrétien, qui envisage, en filigrane certes mais à raison, la possibilité de la non-effectivité de l'aliénation des consciences indigènes et de l'assimilation de l'idéologie racialiste, pour suggérer les stratégies de pouvoir64. Aussi, Mbembe, après avoir établi, la participation des Africains, comme ouvrier de la colonisation, bat-il en brèche les notions d'« indigénisation » et d' « appropriation », non sans postuler une « co-invention » du régime de l'indigénat. « Harris Memêl Fotê lui-même affirme que les Africains ne furent pas seulement les victimes de cette entreprise, qu'ils en furent aussi les soutiers, ou encore les marmitons. [...] Comment comprendre que l'on se réapproprie ce dont on est, soi-même, l'inventeur ou le co-inventeur ?65 »

Nous portons de vives réserves contre ces théories. Les définitions qu'on propose au concept d'acculturation confortent notre prudence. Les sciences sociales envisagent d'ailleurs la dynamique identitaire dans la perspective d'un « principe de coupure » comme le suggère Bastide. L'acculturation quant à ell ne consiste pas au formatage mais plutôt à l'addition sur une culture donnée d'une ou d'autres a priori étrangères. Le « a » (dans acculturation) n'y serait donc pas privatif mais plutôt additif. Le cas échéant consacrerait l'unicité des peuples africains alors que l'identité est d'abord dialectique et sa dynamique dément tout fixisme.

3. Les universitaires gabonais et le fait nationalitaire.

Référence d'abord à Fidèle-Pierre Nze Nguema, avec sa sociologie historique de l'Etat au Gabon. Sa prise de vue de la question ethnique porte essentiellement à analyser l'ordre social au prisme des équilibres régionaux, à travers le recrutement et la nomination du personnel des ressources humaines dans l'Etat et les partis politiques. Comme Bayart dans L'Illusion

63 Puisqu'Amselle entre autres affirme que « Les ethnies ne procèdent que de l'action du colonisateur qui, dans sa volonté de territorialiser le continent africain, a découpé des entités ethniques qui ont été elles-mêmes ensuite réappropriées par les populations ».

64 Amselle, op.cit. p. 140.

65 GEMDEV, Les Avatars de l'Etat en Afrique, Paris, Karthala, 1997, p. 328.

29

identitaire, il s'ensuit, la génération des identités « politisées ». Son analyse se forge en l'occurrence autour du concept de « régionalocratie », en marge de la rationalité bureaucratique au sens wébérien du terme.

Bien qu'il aborde succinctement la causalité rétrospective dans ses analyses, la délimitation dans le temps de l'oeuvre, en l'occurrence de 1929 à 1990, n'est cependant pas dans le cadre de notre analyse suffisamment pertinente du manifeste de l'ethnie dans l'Etat postcolonial au Gabon. Ce travail connexe certes, est une ressource importante dans les rapports plurielles avec notre thématique sont développés infra. « Il s'agit donc de communautés humaines qui échappent à toutes forme de structure formel... »66.

Formalité et/ou informalité dans les nominations politico-administratives ; telle est le modèle d'intelligibilité que propose Fortuné Matsiegui Mboula, dans la corrélation qu'il établit entre l'Etat et le tribalo-régionalisme au Gabon. Son intérêt porte également sur la gestion politique des ressources humaines dans l'administration publique et la gestion des ressources humaines politiques ; deux variables inextricablement liés dont le cordon ombilical pointe l'ethnicité au coeur67.

Aussi, la thèse de Jean Ferdinand Mbah postule que le tribalisme est l'idéologie de la bourgeoisie politique qui, en intervenant dans le champ politique, freine le processus d'émergence de la conscience de classe, en maintenant dans les consciences le fait d'appartenance ethnique. Le tribalisme est un alibi idéologique qui empêche la prise de conscience des classes dominées afin d'éviter la lutte des classes inévitable dans le mouvement historique des sociétés (modes de production) selon la tradition marxiste68. Point de vue partagé par Jean Ziégler, qui écrit que les « complots, insurrections, coups d'Etat et assassinats politiques (...) procèdent d'un phénomène commun : la lutte des classes antagonistes pour le contrôle de l'Etat et du pouvoir »69.

La transposition mécanique de certains chercheurs africains et africanistes des théories décontextualisées de leur cadre empirique de gestation et de leur application sur les terrains africains, à part entière, sont d'un simplisme qui pour Jean Copans procède autant des logiques

66 F.P. Nze-Nguema, Op.cit., p.55.

67 F. Matsiegui Mboula, Op.cit.

68 Jean Ferdinand Mbah, Le tribalisme, adaptation et/ou survivance de l'idéologie dominante au Gabon, Thèse de Doctorat 3ème Cycle, Paris V, 1979.

69 J. Ziegler, Sociologie de la nouvelle Afrique, paris, Gallimard, coll. « idées nrf »1964, p.12. « La lutte des classes en Afrique » fait d'ailleurs l'objet de tout une partie de cet ouvrage. Cf. pp.9-49.

30

de « manque de familiarité et/ou de l'incompétence linguistique des chercheurs étrangers »70. Nous nous contenterons à l'encontre de Mbah et de Ziegler, de questionner la pertinence et l'opérationnalité du concept de classe dans le contexte gabonais.

Aussi, Lukacs fit-il remarquer que « c'est un malheur pour la théorie, comme la praxis du prolétariat, que l'oeuvre principale de Marx s'arrête juste au moment où elle aborde la détermination des classes. »71 En effet, Le Livre III inachevé du Capital s'interrompt avec le chapitre 52 qui devait lui être consacré, laissant ainsi libre cours à l'exégèse, qui n'a jamais cessé de mobiliser « le jeune Marx » contre « le Marx de la maturité », les textes politiques contre les textes économiques, etc. L'on peut dès lors questionner la pertinence d'une analyse « classiste » alors que Ziegler, lui-même, titre un chapitre de son ouvrage « l'absence d'un prolétariat africain ».

Enfin, référence indirecte peut-être par rapport à notre travail, mais à évoquer. Adrien Ondo Essono, étudie le nom dans sa liaison avec la stratification et la mobilité sociale au Gabon72. L'analogie de ses travaux à notre objet est rendue possible par l'expression de la nationalité dans le nom, car l'identité a un nom et le nom a une identité. Et si le nom se rapporte aux origines, à une communauté, son identité consiste à promouvoir la subjectivation d'une nationalité.

L'ensemble de ces théories serviront tour à tour de référence à notre étude sur le discours nationalitaire, par des confrontations avec l'empirie. Nous y reviendrons donc dans l'optique d'une mise en perspective de leur lecture, dans la suite de notre travail.

II. Position

Le présent travail entend répondre à cette double interrogation : Pourquoi la référence à la nationalité est-elle prégnante dans le discours des acteurs ? Comment saisir la dynamique du discours nationalitaire?

C'est sur ces entrefaites que nous proposons une socio-archéologie de l'ethnicité, irréductible à une appréhension simpliste de l'histoire des sociétés humaines. La socio-

70 Copans cité par Fortuné, op.cit., p.172.

71 G. Lukacs, Histoire et conscience de classe, Paris, 1960, p.67.

72 A. Ondo Essono, Onomastique et classes sociales, Rapport de licence, UOB, 1992. Ce travail a fait l'objet d'une thèse de doctorat en 2013, que nous avons pu obtenir malgré nos sollicitations.

31

archéologie de l'ethnicité est une référence à Foucault pour qui, « il était un temps où l'archéologie, comme discipline des monuments muets, des traces inertes, des objets sans contexte, et des choses laissées par le passé, tendait à l'histoire et ne prenait sens que par la restitution d'un discours historique; on pourrait dire, en jouant un peu sur les mots, que l'histoire, de nos jours, tend à l'archéologie, la description intrinsèque du monument»73. Cet auteur peut-on supposer, soulignait là, l'intérêt de poser la scientificité de la discipline historique sur l'empirie, car l'histoire est selon la formule de Lévi-Strauss partiale et partielle. Le recours à la causalité rétrospective peut nous réduire à un récit « subjectif » de la réalité social du passé. Or la socio-archéologie de l'ethnicité implique le concours des méthodes éprouvées par les techniques de la science positive, associée aux méthodes historico-herméneutique, en l'occurrence la méthode compréhensive, selon les propositions d'Habermas. Cette socio-archéologie de l'ethnicité nous donne à dégager les prolégomènes pour notre théorie de l'homo ethnicus et d'établir l'universalité du fait ethnique, pour une intromission aisée des prolégomènes de la perspective dynamique de ce travail, dynamique rendu possible par l'habitus.

Ce qui fait, en effet l'originalité de la posture envisagée ici, par rapport à la problématique de l'ethnicité, c'est l'exhumation de ce qui est résolument un truisme, la chose la mieux partagée au monde : l'ethnie. Il s'agit (contra facta non argumenta), non pas d'une invention coloniale, mais d'une « découverte » arbitrairement alléguée à la sauvagerie ; non pas d'un atypisme africain mais de l'universalité d'une réalité. L'homo ethnicus est indéniablement un truisme, car l'ethnicité est une propriété formelle de toute formation sociale et l'ethnie, une forme élémentaire d'organisation politique. Il appartient à l'essence de la société d'être ethnocentriste, dans la mesure exacte où tout rapport social est un rapport de force et toute identité se considère comme l'identité par excellence. En d'autres termes, l'altérité n'est jamais appréhendée comme différence positive, mais toujours comme infériorité sur un axe hiérarchique. L'homo ethnicus, revisite donc les propriétés sociohistoriques de l'être social, à travers les formes élémentaires d'organisation politique, les contours et les pourtours sociologiques de sa modernité jusqu'aux irrédentismes nationalitaires de la contemporanéité.

73 Foucault Michel, l'Archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969, p.15.

32

L'historiographie et l'anthropologie de l'Afrique s'écrivaient volontiers comme celles des erreurs et des obscurantismes, jusqu'à l'Antériorité des civilisations nègres, qui a tordu le cou aux littératures idéologiques de la race, en « (re)civilisant » le Négro-africain. Pour nous, faire une « socio-archéologie » de l'ethnicité, consiste à considérer, selon l'animal politique aristotélicien et selon aussi, son étymologie (« ethnos=peuple »), l'ethnie comme formation primaire d'organisation sociale. Il s'agit de montrer comment, malgré les « mensonges » et les erreurs relatives à l'ethnicité, l'ethnie demeure ce qu'elle a toujours été, c'est-à-dire des groupes sociaux ou peuples constitués par le socle de la famille, du clan, de la tribu, peu en importe les dénominations contextualisées. L'exploration des archives de l'humanité (Lucie, le berceau de l'humanité, l'histoire des migrations) comme la socio-archéologie de l'ethnicité, (de Darwin à Brühl, Hegel, Sarkozy et leurs thèses fallacieuses officialisées), entend logiquement, plutôt que d' « ethniciser » la seule Afrique, entériner l'essence ethnique de l'être social, d'un point de vue organisationnelle, de l'ordre du contrat social, de la genèse des sociétés. L'ethnicité est au coeur de la socialisation. Durkheim avait saisi à travers la solidarité mécanique, la relation qui lie l'individu au groupe. Et ce n'est pas fortuit que les sociétés précapitalistes en constituent le cadre empirique d'application. Aussi l'animal politique évoqué par Aristote n'est pas seulement relatif à la socialité mais aussi à l'ethnicité entant que forme élémentaire d'organisation politique. L'ethnie se recoupe par la tribu qui désigne un sous-groupe ethnique formant un ensemble de clans. Un clan est un ensemble d'individus qui se réclament d'un même ancêtre qui a parfois réellement existé (consanguins) ou qui est tout simplement mythique et même zoomorphe (à visage animal ou totem).L'animal politique est l'expérience fondamentale de toute société primitive que l'Occident a volontairement balayée et que l'africanisme préfère réfuter à coup d'arguments, au lieu d'assumer la réalité de l'être social universel.

Expérience de la précolonie africaine : l'ethnicité est appréhendée comme le fondement des groupes humains constitués dans les formes primaires d'organisation politique. La cosmogonie, l'ethnonymie entre autres individualisent chaque peuple et leur confère l'originalité de cette individualité.

Expérience ensuite de la colonie : la race, l'un des plus grossiers mensonges de l'histoire de l'humanité est perçue comme un concept vide dont la rationalité servit à légitimer l'impérialisme de l'Occident. Négativité pure et (dé)raison donc, des prétentions de civilisation des « animaux », en dépit de la rationalité expansionniste de l'entreprise colonisatrice.

33

Expérience aussi de la postcolonie : l'ethnie est cette fois corrélée à la problématique du pouvoir, de la gouvernance et de la gestion des ressources humaines dans des sociétés constitués, au gré des desseins des colons. Expérience qui pose le problème des nations en construction, des idéaux patriotiques pour rassembler l'hétérogénéité des populations.

Expérience enfin de la contemporanéité : la question du multiculturalisme, dans un espace mondialisé problématise le cosmopolitisme idéalisée par les cadres internationaux de la nationalité, leur adaptation particulière et aussi leur difficultés à être adoptés dans les sociétés actuelles, du fait des irrédentismes et des exclusions, qui touchent toutes les sociétés du monde.

1. Cadre théorique

Toute recherche scientifique doit inéluctablement reposer sur une ou plusieurs théories construites et organisées de façon cohérente. En effet, la théorie, entant que modèle d'intelligibilité offre au chercheur des outils analytiques et méthodologiques qui permettent à ce dernier d'établir une lecture efficiente de son objet d'étude. Cependant, le choix d'un cadre théorique doit intégrer les objectifs de ladite recherche. Pour comprendre la dynamique du discours nationalitaire, nous associerons à notre théorie de l'homo ethnicus suggérée pour l'heure, par la socio-archéologie de l'ethnicité, le structuralisme génétique et notamment, l'habitus de Pierre Bourdieu.

L'éminence de l'oeuvre bourdieusienne n'est plus à rappeler. Cependant, il n'est pas question ici d'en esquisser l'économie. Il s'agit plutôt de nous centrer sur un des concepts centraux de cette oeuvre, celui de l'habitus, pour faire ressortir l'intérêt pour l'analyse de la dynamique du discours nationalitaire. Concept fondamental de son oeuvre, le motif de notre intéressement à ce concept nous vient de deux ouvrages : La reproduction et Les structures sociales de l'économie, dans lequel il produit, à notre sens, les développements les plus explicites de l'habitus.

Notons primo, son refus de poser le social, dans des rapports dialectiques entre deux dérives qui sacrifient à l'autel du réductionnisme, les sciences sociales. «De toutes les oppositions qui divisent artificiellement la science sociale, la plus fondamentale et la plus ruineuse, est celle qui s'établit entre le subjectivisme et l'objectivisme»74. Bourdieu propose le

74 P. Bourdieu, Le sens pratique, Paris, Minuit, 1980, p.43.

34

structuralisme génétique et l'habitus tranche donc de ces antagonismes. Un habitus est « un système de dispositions durables et transposables, structures structurées prédisposées à fonctionner comme structures structurantes, c'est-à-dire en tant que principes générateurs et organisateurs de pratiques et de représentations qui peuvent être objectivement adaptées à leur but sans supposer la visée consciente des fins et la maîtrise expresse des opérations nécessaires pour les atteindre »75.

L'habitus structure le corps selon l'axe diachronique du cycle de vie, ainsi que sur l'axe synchronique de l'occupation de l'espace. Il constitue une règle acquise dont les fondements conscients et inconscients sont partagés par un groupe. En effet, chaque adaptation d'un habitus implique la mise en application de codes connus et partagés, compris et acceptés, sous peine que l'adaptation ne passe pour une déviance.

L'habitus est une « loi immanente, déposée en chaque agent par la prime éducation, qui est la condition non seulement de la concertation des pratiques mais aussi des pratiques de concertation, puisque les redressements et les ajustements consciemment opérés par les agents eux-mêmes supposent la maîtrise d'un code commun et que les entreprises de mobilisation collective ne peuvent réussir sans un minimum de concordance entre l'habitus des agents mobilisateurs et les dispositions de ceux dont ils s'efforcent d'exprimer les aspirations. »76.

L'habitus forme les conduites ordinaires. Il les rend automatiques et impersonnelles, « signifiantes sans intention de signifier ». Il se voit imposé par l'« ordre social », de manière structurelle, et se voit reproduit par chacun des acteurs qui en permettent le maintien de manière conjoncturelle. Il permet l'expression de l'intention objective par la « réactivation » de l'intention « vécue » de celui qui les accomplit. L'hypothèse de cette réflexion apparaît clairement dans le texte de Bourdieu. L'habitus forme un patrimoine social et culturel qui s'exprime dans les pratiques quotidiennes. Il forge la posture individuelle et marque la condition personnelle, le statut social. Il inscrit la personne dans un groupe donné, creusant l'écart entre les catégories sociales et entre les statuts personnels par l'adoption d'habitus distincts.

Ramené à la dynamique de l'ethnicité, l'habitus est intelligible selon, la mise en évidence de sa transmission, selon Norbert Elias (1939), comme signe d'appartenance à une

75 Ibid., pp. 88-89.

76 Bourdieu, Les Structures sociales de l'économie, Paris, Seuil, 2000, p.272.

35

catégorie sociale dans sa remarquable étude concernant le « processus de civilisation». Elias souligne le prestige résultant dans les stratégies d'adoption des habitus caractéristiques de classe sociale supérieure. Si nous ne voulons évoquer ici, le concept de classe, il n'en demeure pas moins que la lutte de classement par le jeu des ethnocentrismes, participe des logiques de stratification.

Quant au discours nationalitaire, l'habitus est le produit de et participe à la production de « structures » sociales structurées et structurantes. Il n'est pas d'individu en dehors de ces structures. La première de ces structures est la langue. Faculté acquise, spécifique à un contexte social et culturel, la langue autorise la mise en application d'une capacité physiologique humaine : le langage. Sans la langue, pas de langage, mais sans aptitude au langage pas de langue... Entre la langue et le langage, la relation n'est pas d'opposition, mais de « disposition ».

De prime abord, « c'est grâce au langage que les concepts et les valeurs de la culture sont transmis d'une génération à l'autre »77. S'il est vrai pour Leplat, que les habitus «s'expriment bien dans l'action, mais moins bien ou pas du tout par le discours»78, nous nous inscrivons, dans la perspective de Freitag, qui définit le système symbolique comme une «structure objective de représentation significative ou conceptuelle du monde, d'autrui, de la société et de soi»79. En effet, pour Freitag, le système symbolique renvoie au concept de culture et constitue la structure de médiation des pratiques en leur donnant sens. Vandenberghe note à ce propos que le langage courant est «l'exemple paradigmatique de la culture en tant que structure de médiation des pratiques significatives»80, de l'agir communicationnelle comme dirait Habermas.

In fine, il convient de dire, de façon sommaire, que l'habitus est un ensemble de comportements corporels et intellectuels acquis par l'éducation dans la sphère familiale, scolaire et professionnel que l'individu véhicule inconsciemment et reproduit à son insu dans son activité sociale.

77 T. Ingold, The perception of the environment: Essays on livelihood, dwelling and skill. London, UK: Routledge, 2000. p.146.

78 J. Leplat, Regards sur l'activité en situation de travail. Contribution à la psychologie ergonomique, Paris : Presses universitaires de France, 1997.p.141.

79 M. Freitag, Pour un dépassement de l'opposition entre «holisme» et «individualisme» en sociologie. In J.-F. Côté (dir.), Individualismes et individualité, Sillery: Éditions du Septentrion, 1995, p. 302.

80 F. Vandenberghe, « L'école de Montréal: théorie critique ou critique théorique de l'«asociété». In Société, N° 26, 2006, p.127.

36

2. Hypothèse

L'analyse sociologique consiste en un compte rendu, en l'explicitation d'un fait social via une approche scientifique rigoureuse, qui intègre les principes heuristiques en vigueur dans les sciences sociales. Et la valeur scientifique d'un travail ne s'acquière, selon Quivy et Campenhoudt, que dans sa structuration « autour d'une ou plusieurs hypothèses »81. Ainsi, avançons nous par une hypothèse binaire que l'être social est un homo ethnicus et que la dynamique du discours nationalitaire est tributaire des habitus ethnocentristes.

3. Construction du concept de dynamique du discours nationalitaire

La conceptualisation est une opération garante de la clarté et de la lisibilité objective d'un travail de recherche. Le fait social, pour se mouvoir en objet sociologique d'étude doit nécessairement intégrer l'étape de la conceptualisation. Et construire des concepts vise à rendre compte du réel social. Les concepts sont des abstractions qui « ne peuvent être définis que par rapport à un certain domaine où s'appliquent les opérations qui servent à les définir »82. Ibn Khaldoun dans La Muqaddima, avançait, relativement au fait de prendre parti pour une opinion ou une doctrine que « lorsque l'âme observe la neutralité à l'égard d'une information, elle examine avec toute l'attention nécessaire afin d'y discerner le vrai du faux. Si, au contraire elle se nourrit d'un préjugé en faveur de telle opinion ou telle croyance, elle accepte d'emblée tout ce qui va dans son sens, et son inclination et sa partialité agissent comme un voile sur son oeil intérieur et l'empêchent de procéder à un examen critique. C'est ainsi qu'elle est amené à accepter les récits mensongers et à les transmettre »83. Autrement dit, le concept acquiert son caractère opératoire qu'inscrit dans le contexte qui le met en relation avec le phénomène qu'il explique, « les choses nature des choses seules »84 nous permettent d'établir notre concept.

Appréhender la dynamique de l'ethnicité revient à articuler son développement à travers la longue durée historique. En effet, nous inscrivons notre analyse dans une temporalité qui tient compte de quatre moments historiques : la précolonie, la colonie, la postcolonie et la

81 Quivy et Van Campenhoudt, Manuel de recherche en sciences sociales, Paris, Dunod, 1995, p. 117.

82 M. Grawitz, Méthodes en science sociales, Paris, Dalloz, 10ème éd., 1996, p. 333.

83 Muqaddima, Paris, La bibliothèque arabe Sindbad, 1986, I/328-331.

84 Montesquieu, De l'esprit des lois, Préface, GF Flammarion, 1979, P.116

37

contemporanéité. Les différentes formes d'expressions de la nationalité sont ici envisagées selon les époques. L'évolution dans le temps de l'ethnicité saisie, à travers ses usages dans la praxis sociale, met en exergue les habitus qui agissent les agents. Ces usages de l'ethnicité déterminent, non seulement les représentations que les agents ont de leur environnement, mais aussi leurs conduites dans ce même environnement.

Notons par ailleurs que les variables et les indicateurs que nous mettons en évidence ici ne sont pas exclusifs aux dimensions dans lesquelles ils sont identifiés. Il s'agit par contre d'une nomenclature qui relève les éléments les plus marquants inhérents à chaque période.

Concept

Dimensions

Variables

Indicateurs

Dynamique du
discours
nationalitaire

Précoloniale

« Nous et eux»
(Distinction)

s « Polis », « civilisation », « humanité »

s « ethnè », « barbarie », « animalité »

Coloniale

« Nous devant, Eux derrière » (Classement)

s Darwinisme social

s Indigénat

s Les évolués, etc.

Postcoloniale

« Nous d'abord, eux ensuite » (Reclassement)

s Collectif Fang, collectif Myenè, PUNGA)

s Gabon d'abord

s « Vas-y demander au ministre de chez toi »

Contemporaine

«Nous contre
eux
»

(Division)

s « République du Haut-Ogooué-Lolo »,

« Tous sauf les fang »

s « La légion étrangère », « Tuez-les tous »

SECTION III : Approche méthodologique

L' « étroitesse » de la relation qui lie le chercheur à son univers d'enquête, univers qui par ailleurs demeure son univers ambiant constitue parallèlement à l'assertion de Bourdieu, « l'obstacle épistémologique par excellence »85. L'approche sociologique du social comporte, par son caractère ardu, des risques de biais ou d'erreurs, dans la manoeuvre des instruments dont

85 P. Bourdieu et al. Le métier de sociologue, Paris, Mouton, 1968, p.27.

38

dispose le chercheur. Etant effectivement sujet et objet de la recherche, on peut envisager les interférences de sa personnalité sur son interprétation.

Sur ces entrefaites, la méthodologie devient le seul moyen d'objectivation de la subjectivation du social en sa disposition. La méthodologie est l'ensemble conjugué des méthodes, démarches, mécanismes, opérations, procédés et techniques logiques qui orientent l'élaboration de la recherche. C'est aussi l'agencement de diverses étapes constitutives de la démarche scientifiques entre lesquelles s'opère un processus d'intervérification de la cohérence des unes avec l'ensemble de la recherche et de la validité des autres dans la démarche. Aussi, la méthodologie comprend-elle des techniques dont mobilisation est nécessaire pour matérialiser le réel social.

I. Techniques de collecte des données.

Dans une visée méthodique et empirique, nous avons eu recours dans ce travail de recherche, à des méthodes et des démarches qui nous ont aidés à construire notre réflexion et à vérifier nos suppositions. Aussi avons-nous choisi de nous appuyer essentiellement sur la méthode pragmatique et la méthode expérimentale. Le pragmatisme étant intimement lié à une remise en cause de l'idée d'une vérité absolue, est une méthode de pensée et d'appréhension des idées qui s'opposent aux conceptions toutes faites et aux idées non expérimentées. Il s'est agi pour nous de vérifier, nos idées reçues, nos présupposés théoriques, nos lectures et toutes notions en situation, de les mettre à l'épreuve et d'identifier leurs implications pratiques, en ayant recours aux expérimentations et aux enquêtes prenant forme dans l'observation indirecte, l'analyse d'expériences vécues, les entretiens et l'usage des fils de discussions sur les réseaux sociaux en ligne.

1. L'observation indirecte

L'observation permet de repérer des discours peu verbalisables dans une situation d'entretien, pour différentes raisons, soit parce que les personnes concernées n'ont pas conscience de ces comportements, ne trouvent pas toujours « les mots pour le dire», soit parce qu'elles récusent les comportements observés. Un individu se dira difficilement « raciste »,

»86

39

« ethniste » ou « xénophobe » au cours d'un entretien, alors qu'il peut manifester un comportement de cet ordre dans les actions de la vie courante. Raymond I.Gold à propos de l'observation affirme que : « (...) L'enquêteur joue des rôles de sa panoplie de chercheur de terrain et il tente de comprendre et de prendre le rôle de l'informateur en se mettant à sa place. Il essaie souvent de maîtriser des univers de discours, relatifs à de nombreux registres d'attitude et de conduite, qui lui étaient jusqu'à présent étrangers ou qu'il comprenait ,seulement de façon vague(...)

Nous nous en somme remis à des témoignages oraux et écrits à travers des journaux, des chaines de télévision, des émissions radio d'une part et aux représentations des acteurs dans leur façon de se définir. Parfois, nous nous somme retrouvés au bon endroit, au bon moment, tels que dans le cas idéal-typique évoqué dans notre introduction.

2. Les fils de discussions87

Technique de collecte de données inédite, nous avons opté pour l'innovation, en portant un intérêt sur les fils de discussions dans les réseaux et les médias sociaux. Les fils de discussions sont des plateformes réservées aux internautes pour émettre des avis sur l'actualité publiée et à la commenter. L'internaute produit alors un contenu sur l'actualité publiée, en l'émaillant de perceptions, commentaires, de réactions et/ou d'expériences personnelles. Avec les mécanismes prévues sur ces plateformes pour suivre l'actualité des internautes, nous avons collectés des données importantes disponibles, sans parfois questionner les enquêtés. Nous nous somme donc servis, des positions et les points de vue des Gabonais, à travers les réseaux sociaux en ligne sur les questions d'actualité relative à la gabonité, l'ethnicité ou la nationalité.

L'on peut envisager, en dépit de leur usage encore moindre en sciences sociales, l'émergence massive que les fils de discussions et des réseaux sociaux en général, dans les enquêtes de terrain. Ces nouvelles techniques de collectes des données présentent des avantages indéniables pour la recherche sociologique. Dans Les nouveaux bien-pensants, Maffessoli écrit, « la pensée authentiquement en phase avec son époque(...) est enracinée dans la vie

86 Raymond I. Gold, « Jeux de rôle sur le terrain. Observation et participation dans l'enquête sociologique », in L'Enquête de terrain. Textes réunis, présentés et commentés par Daniel Cefai, Editions LA Découverte, Paris, 2003, pp.340-341.

87 Voir exemple en annexe

40

courante.»88. Si les réseaux sociaux intègrent, de manière frappante, la vie courante, dans ce XXIème siècle, la sociologie entant que science du présent doit nécessaire faire une place à cette réalité virtuelle.

3. La recherche bibliographique

La recherche bibliographique représente une étape nécessaire et indispensable à toutes recherches scientifiques sérieuses. Cette étape consiste à réunir et à explorer les écrits et les travaux de recherches ayant trait à la thématique de notre objet d'étude. Elle permet de mieux cerner notre secteur de la recherche, d'alimenter notre travail de références et de discussions avec d'autres auteurs et chercheurs, de profiter des points faibles des travaux effectués pour lancer de nouvelles pistes de recherche et d'évaluer la pertinence de notre apport par rapport à l'évolution des questions traitées dans notre domaine de recherche.

Pour ce faire, nous nous somme mobilisés dans différentes bibliothèques, notamment la bibliothèque du Département de sociologie de l'Université Omar Bongo (UOB) gérée par la Coordination des Activités Des Etudiants de Sociologie (CADES), disposant de plusieurs mémoires de recherches, la bibliothèque centrale de l'Université Omar Bongo et la bibliothèque de l'Institut français de Libreville. Nous avons aussi fait appel à des sites internet scientifiques tels que : www.uqac.ca, www.persee.fr, http://www.academia.edu, www.bnf.fr, www.cairn.info, www.revues.org.

Enfin, Comme nous avons eu recours à différents moteurs de recherche comme «Google Scholar» et «Google livre». Par ailleurs, l'activation de la veille scientifique à travers le moteur de recherche « Google Alertes » nous a permis d'enrichir, notre base de données bibliographiques, tout au long de cette recherche et d'être alerté des différents travaux, ayant été réalisés récemment en rapport avec notre projet d'étude.

88 Michel Maffesoli, cité par Jean Laurent Cassely, « Le troll de la sociologie française » sur www.slate.fr , publié le 09/05/2015, consulté le 23/19/15 à 13h.

41

4. Le focus group

Enfin, comme technique de collecte de données, nous avons organisé un focus group autour, essentiellement de la question de savoir qu'est-ce qu'être Gabonais. C'est une technique qualitative qui favorise l'émergence d'opinions diverses. Elle permet le recueil des représentations, les attitudes et les croyances du groupe-cible. La sélection des participants s'est faites par un appel à des volontaires, au cours des séances de tutorats organisé par la CADES pour les premières années. C'est ainsi que trente individus, réunis en groupe de dix ont été sélectionnés. Nous avons consacré une journée et les discussions sont allées parfois au-delà d'une heure pour chaque groupe-cible. Le focus group nous a permis d'appréhender les représentations des participants sur la gabonité, à travers leurs argumentaires et le lexique utilisé par ces derniers.

II. Technique de traitement des données : l'analyse de contenu

La méthodologie en sciences sociales admet un large éventail de technique de traitements des données. Dans ce travail, l'analyse de contenu, dans une perspective homologique des techniques qualitatives inhérentes à la sociologie compréhensive, s'est imposé à nous comme technique pour le traitement des données. Outil par excellence qualitatif, l'analyse de contenu permet de traiter des données issues des entretiens et de l'observation. Il s'est agi de relever dans le discours, le lexique notamment utilisé pour exprimer la nationalité. En bref, une analyse synthèse des mots clés des enquêtés a été possible, pour notre focus group en l'occurrence.

III. Champ empirique et délimitation temporelle de l'étude

Notre travaille tente de saisir l'intelligibilité la dynamique du discours nationalitaire au Gabon. La faisabilité, critère important dans la recherche scientifique suggère la modestie dans nos ambitions totalisantes. C'est pourquoi il convient ici de nuancé la notion de terrain qui dans notre cadre est aussi bien rempli par des lectures et des observations qui intègre en son sein des pratiques communes à la généralité des acteurs. Il s'est agi pour nous d'observer des

42

acteurs sociaux urbi et orbi, dans les champs divers de la pratique sociale. Les méthodes de collecte de données que nous avons utilisées montrant parfaitement quelle a été notre démarche.

Le présent propos porte sur le discours nationalitaire au Gabon. Notre postulat d'une archéologie de l'ethnicité et d'un homo ethnicus, étudié sous le prisme de la théorie du structuralisme génétique et, plus précisément au concept d'habitus chez Pierre Bourdieu, induit une prise en compte de la causalité rétrospective, nécessaire pour saisir l'essence du discours nationalitaire.

Ainsi, notre travail est inscrit, pour des besoins d'une explicitation méthodique et optimale du fait nationalitaire au Gabon, dans une diachronie. Il s'agit en l'occurrence, de la précolonie, en passant par la situation coloniale et de l'avènement des indépendances jusqu'à nos jours. Autrement dit, cette lecture sociologique et dynamique du discours nationalitaire se déploie de la précolonie colonie à nos jours.

IV. Difficultés et limites de l'étude

L'esprit scientifique encore et toujours en gestation, ce premier travail scientifique est à saisir tels les balbutiements d'un « apprenti sociologue ». Ainsi, nos difficultés épistémologiques, méthodologiques, de conceptualisation, de théorisation, de réappropriation des théories participent de notre socialisation certaine à la sociologie.

La limite majeure, à notre sens, demeure cependant la difficulté de travailler sur un objet souvent « redouté » et même parfois « rebouté » en dehors de toute consistance conceptuelle et de toute valeur heuristique. Le domaine est tellement sujet à controverse que certains chercheurs éprouvés se méfient d'une association avec le concept d'ethnicité.

Enfin Balandier consacre peut-être et heureusement, une justification de l'ensemble de ces limites par son assertion: « toute entreprise scientifique réalisée dans le domaine des sciences sociales porte la marque de celui qui la conduit. Il est présent en elle, quoi qu'il fasse et quels que soient les modes d'objectivité (et les masques parfois) auxquels il recourt »89.

89 G. Balandier, Sens et puissance, 3ème éd. Paris, PUF, « Quadrige », 1986, p.334.

43

Partie I : PROPRIETES SOCIOHISTORIQUES DU DISCOURS NATIONALITAIRE

44

Est-ce la (dé)colonisation qui a révélée, l'immanence historique inhérente aux sociétés africaines, ou est-ce plutôt le fait des ethnologues élaborant des concepts spécifiques90 ? C'est par cette parodie de la citation de Jean Copans que nous voulons interroger la réalité de l'ethnicité. La différence est-elle inexistante en Afrique avant la colonie? L'on nous objectera assurément, la banalité de cette question et le truisme de la réponse y relative. Cependant, il restera à savoir le(s) moyen(s) de son expression par les agents précoloniaux.

Le lien souvent établit, entre la question de l'ethnie et les circonstances conflictuelles et parfois tragiques qui la caractérise problématise et complexifie toute appréhension de l'historicité du fait nationalitaire. Or la causalité régressive nous offre une lecture pertinente de l'ethnicité, au-delà des formes modernes de son expression. C'est un préalable à la compréhension des processus d'incorporation des schèmes de représentation des acteurs. Les résultats de cette perspective démontrent d'une « définition des identités collectives comme constituant un phénomène sociologique d'autodéfinition (d'autoréférence) qui n'est réductible, ni à des critères objectifs, ni à la représentation que se fait des individus concernes le monde extérieur, mais qui en revanche dépend de la représentation se traduisant par un mode spécifique et privilégié d'intercommunication. »91

Toutefois, l'historiographie sociale de l'Afrique précoloniale est d'abord un antagonisme entre l'histoire made by l'anthropologie classique, souvent dite raciste, oeuvre coloniale d'une part et de l'autre part, il en va, selon cette paraphrase de l'expression de M'bokolo, de l'histoire des zaïrois par des zaïrois.

Donner des réponses pertinentes à notre questionnement « consisterait sans aucun doute à dépouiller les archives, recueillir les témoignages... »92. Cependant l'absence des moyens d'une telle perspective nous oblige à nous « contenter des textes et du contexte de l'ensemble des textes ethnographiques et anthropologiques »93. Ainsi, l'acception d'une perspective critique à l'égard de la vulgate de l'anthropologie structurale classique et du « sens commun savant » des « panafricanistes », implique d'analyser les faits, à la fois, selon l'expression de Balandier d'« agencement approximatif » ou la notion de « double causalité » de Bastide, d'optique explicative on ne peut plus syncrétiques. Dans « mythes politiques de colonisation et

90 J. Copans, « la communauté des ethnologues : le cas des africanistes français et de `'leur objets» face à la décolonisation », in Nadir Marouf (Dir.), Identité-Communauté, Paris, L'Harmattan, 1995, p.101.

91 Ibid. p. 81

92 J. Copans, op.cit.p.101.

93 Ibid.

de décolonisation, Balandier décrit le chemin qui mène du mythe traditionnel à l'idéologie politique moderne ainsi que les mélanges réciproques de ces deux formes dominantes »94.

La multiplicité des cadres de référence dans l'analyse nationalitaire, rapportée au Gabon, notamment le monde traditionnel et le cadre de la société coloniale, est telle que l'affirmait Mercier en 1954, la clé d'une avancée considérable dans la lecture du fait identitaire en Afrique.

45

94 Cité par Copans, op.cit.

46

Chapitre I : La socio-archéologie de l'ethnicité

La socio-archéologie de l'ethnicité postule que l'être social est un homo ethnicus. Dans ce chapitre, nous allons proposer des prolégomènes en vue de la validation de cette hypothèse.

Dans « Le groupe territorial et son identité, le lien social au-delà de la crise politique », Bernard Poche propose une prise de vue qui met en exergue le lien social. En effet, pour lui, « le langage commun utilise des termes dont la démarche `'scientifique» a renoncée à rendre analytiquement compte »95. L'objection clairement exprimée est celle qui postule l'existence du groupe « qu'en fonction de la dialectique `'nous/les autres» »96, déniant à ce dernier toute logique. Une « analyse menée avec sang-froid et sans `'peur ancestrale»(...) montre au contraire que le groupe s'auto-constitue, non pour dominer ni pour résister à une domination, ni même pour marquer ses frontières, mais par suite d'un processus d'agrégation qui auto-construit le caractère et s'oppose à la `'réduction» (...), à la définition d'un individu sans identité, sans origine »97.

Aussi, « l'internationalisme qui fut longtemps au principe, reconnu ou non, de la réflexion sociologique européenne,(...) fondé, en réalité, sur la dénonciation de tout relent culturaliste, lieu où l'identité comme on sait puise l'essentiel des contenus concrets de sa revendication »98 fit-il que « l'historicité coloniale déteint en quelque sorte sur l'historicité locale.»99

L'analyse des stratégies identitaires nous révèlent des logiques de pouvoirs dans les rapports sociaux entre groupes ethniques et ce, depuis la précolonie. Célestine Koumba Boupo nous apprend d'ailleurs que « les sociétés `'modernes» ne sont, de ce point de vue pas les seules dans lesquelles les membres de la société s'entretuent autour des `'richesses» »100. Il convient d'appréhender dans cette assertion le terme « richesses » au sens bourdieusien de capitaux.

Il s'agit pour nous, à travers ce chapitre sur la socio-archéologie, d'exhumer les vestiges de l'animal politique aristotélicien et donc, de laisser découvrir l'ethnie, sous de nouveaux

95 B. Poche, « le groupe territorial et son identité, le lien social au-delà de la crise du politique », in Nadir Marouf (Dir.), Identité-Communauté, Paris, L'harmattan, 1995, p.74.

96 Ibid., p.79

97 Ibid.

98 Sylvia Ostrowetsky, « les quatre voies de l'identité » in Nadir Marouf, op.cit., p. 23.

99 J. Copans, Op. Cit, p. 106.

100 C. Koumba Boupo, « Dynamique de la socialisation chez les mitsogho » in Stéphanie Nkoghe (Dir.), Anthropologie de la socialisation, Paris, L'Harmattan, 2013, p. 190.

47

auspices, entant que forme élémentaire d'organisation politique, qui eut pour sens, de répondre au besoin de la socialité de l'individu. Les développements qui suivront ne sauront se résumer à la seule Afrique.

L'hypothèse centrale qui conforte l'argument de la colonialité de l'ethnicité n'est d'aucune validité empirique ; car, au fait de figer cette réalité complexe à l'intérieur d'espaces stables à présider une facilitation du dénombrement, des levée d'impôts et du recrutement des travailleurs, nous rappelle Catherine Coquery-Vidrovitch101.

C'est dans cet ordre que Matsiegui Mboula constate à juste titre que « les premiers occidentaux à mettre les pieds en Afrique ont bien trouvé des peuples avec lesquels ils ont bâti leurs comptoirs commerciaux et pour qui ils ont prêché la « bonne parole ». Servons-nous de son questionnement pour appréhender l'ethnicité dans la précolonie : « Qui étaient ces peuples ? Comment se nommaient-ils ? »102

Section I : Des prolégomènes pour une théorie de l'homo ethnicus

Disons-le d'entrée de jeu, nous nous inscrivons en faux contre les thèses de la colonialité de l'ethnicité. Outre dans le cas d'un nominalisme pur, la colonialité de l'ethnicité est réfutée par l'inexistence de l'unicité. Cependant, nous admettons que son expression est rendu manifeste de plusieurs manières : race, ethnie, nationalité etc. Le lien commun demeure alors la notion d'identité dans sa relation au politique.

Les débats « passionnés » autour de la responsabilité de l'Europe concernant la traite des esclaves et la colonisation brouillent la sérénité de l'analyse historique. Les hésitations sémantiques, révélatrices des difficultés présentes d'assumer le passé, ne peuvent toutefois occulter des réalités structurales qui transcendent les remous de l'actualité.

L'identité nationale est un discours, mais un discours qui fait sens. Donc, « ce n'est pas sacrifier à une vision raciale de l'histoire de l'humanité que de dresser le constat des différences entre des groupes humains, ces différences ne se réduisant évidemment pas à l'aspect physique, mais incluant les dimensions culturelles, linguistiques, technologiques constitutives de la

101 Catherine Coquery-Vidrovitch, cite par Matsiegui Mboula, Op.cit, p 187.

102 F. Matsiegui Mboula, Op.cit., p. 187.

48

définition des ethnies - concept tout aussi controversé, au demeurant, que celui de race »103. Et l'Histoire de l'humanité ne saurait faire l'impasse d'une analyse de ce qui constitue son substratum : les hommes dotés de spécificités fondatrices d'identités collectives, de modalités diverses de socialisation, d'appropriation de la nature, de rapports sociaux, d'organisation politique des espaces de vie.

Postuler un homo ethnicus c'est donc non seulement, oser tordre le coup à un sens commun savant très répandu dans la littérature scientifique africaine et africaniste, mais peut sembler aussi fallacieux. Pourtant en dehors des considérations éthiques posées par la catégorie d'analyse « ethnie », l'hypothèse de l'homo ethnicus est recevable à plusieurs titres. La problématique relative à l'usage du concept d'ethnie est tributaire de son passif. Si de nombreux scientifiques le récusent au nom de l'unité de l'espèce, ce sont surtout des raisons historiques et politiques qui remettent en cause son usage, par suite des crimes, commis par des idéologies racistes, qui ont traduit différence par infériorité et trouvé dans la race une légitimation à la colonisation.

1. L'étymologie et la généalogie de l'ethnie

Une socio-archéologie de l'ethnicité doit nécessairement tenir compte de l'étymologie et de la généalogie de ce concept. L'étymologie est l'étude de l'origine et de l'évolution des unités du lexique (mots, locutions...), depuis leur état le plus anciennement accessible. Son étymologie (du lat. etymologia, grec etumologia, de etumos « vrai »), établit la vérité, (aussi concrète que l'affirmait Bertholt Brecht) sur l'origine des mots. L'importance de cette vérité est un impératif du débat scientifique, car comme le constatait Montaigne, la plupart des malentendus du monde sont grammairiens.

La généalogie quant à elle, nous dit Le Grand Robert, désigne l'étude scientifique de la filiation. La généalogie d'ailleurs, dans le cadre de notre objet d'étude, lève toutes les amphibologies, en ce qu'elle s'y intègre « heureusement », par son étymologie (de genea « espèce, race, famille; génération) et ses liens avec les concepts de race, souche, famille, origine, entre autre104.

103 R. Pourtier, « AFRIQUE. Structure et milieu - Géographie générale » in Encyclopédie Universalis, 2014, version électronique.

104 Alain Rey (Dir.), Le Grand Robert de la langue française, version électronique, 2ème éd.

49

Brunot et Bruneau ont d'ailleurs établit, à travers une comparaison que, « ce que le généalogiste fait pour les familles, l'étymologiste le fait pour les familles de mots »105. l'étymologie doit d'ailleurs beaucoup à la sociologie et à l'histoire car, « L'étymologiste doit tenir compte des lois phonétiques, des lois sémantiques, de la date d'apparition du mot, de son extension géographique, et enfin du milieu social où il a vécu (...) L'on doit donc, pour établir l'origine d'un mot (...) prouver que ce mot correspond bien, son pour son, à l'étymon proposé, il est nécessaire que le rapport des sens soit clair, et que les circonstances historiques, géographiques et sociales ne s'opposent pas à l'hypothèse présentée »106.

Il s'agit donc d'éclairer sur le concept d'ethnie, afin de valider notre hypothèse de l'homo ethnicus. L'étymologie de l'ethnie, nous dit Le Grand Robert est une référence à Vacher de la Pouge et au vocable grec « ethnos » qui a pour sens, « peuple, nation », et qui désigne l'ensemble d'individus que rapprochent un certain nombre de caractères de civilisation, notamment la communauté de langue et de culture. Le Grand Robert distingue par ailleurs, l'ethnie de la race, qu'il définit fallacieusement par une relation les caractères anatomiques107.

Henri Vallois, malgré une amorce définitionnelle similaire, et d'autres « hérésies » sur ses définitions de l'Etat et de la nation se rattrape dans l'établissement des homologies entre le champ lexical, de la nationalité. Pour lui, « on réserve le nom de races à ceux (les groupements humains) établis d'après un ensemble de caractères physiques (...) On sait, d'autre part, qu'on appelle nation ou état ceux qui correspondent à une communauté politique. Viennent enfin ceux basés sur des caractères de civilisation, en particulier une langue ou un groupe de langues identiques; on a créé pour eux un terme qui tend de plus en plus à s'imposer, ce sont les ethnies (...) Dès qu'on aborde les grandes masses qui peuplent la majeure partie des continents, les races, les ethnies et les frontières politiques s'enchevêtrent à qui mieux mieux108

Maintes auteurs conviennent des homologies entres le lignage ou le clan en vogue avec les notions plus modernes, diront-nous d'ethnie ou de race. Pour G. Nicolas, « il existe une profonde parenté entre ethnie, lignage ou clan, parenté qui se trouve le plus souvent étayée par un vocabulaire familial, voire un mythe d'origine établissant la commune descendance des membres du groupe à partir d'un couple initial ou d'un héros mythique »109.

105 F. Bruno et Ch. Bruneau, Précis de grammaire historique, Paris, Masson et Cie., 1899, pp. 160-162.

106 Ibidem

107 « Ethnie » in Le Grand Robert, op.cit.

108 Henri Vallois, Les Races humaines, Paris: PUF. 7e édition, 1944.p. 8.

109 G. Nicolas, « Fait ethnique et usages du concept d'ethnie », in Cahier internationales de sociologie, vol. LIV, 1973, p. 103.

50

Nadir Marouf établit cet analogie dans la supposition suivante : « Si les critères qui se rattachent à la catégorie de la nation sont ceux de la souveraineté, elle est tout à fait applicable, alors à la tribu, qui connaît son système de pouvoir, ses hiérarchies internes et les limites de son territoire... ».110 Ainsi, une homologie structurale entre la tribu (ou l'ethnie) et la nation et même la race, au-delà des dérives relatives à cette notion, est donc valide, telle que Amselle le soutient111.

L'histoire de la catégorie nation éclaire avec pertinence cette similarité entre les logiques sous-jacentes à cet ensemble conceptuel. Les difficultés relatives à la saisie de l'intelligibilité de l'ethnie ne sont pas sans analogie à celles qui concernent la nation.

L'étude de l'étymologie du mot « nation », renvoie, outre les différentes déclinaisons, selon les sources explorées au verbe latin «nascor» qui traduit ad litteram signifie « naître », à « peuple » et « nation ». Entre « natios » qui signifie la déesse de la naissance et de la provenance chez les Romains, Habermas, dont l'usage classique appréhende, telle la communauté au sens de Tönnies, (avec le langage, la filiation(sous-entendue) et la territorialité, entre autres) comme substrat, toutefois sans politique organisationnelle moderne112 et « natio», c'est-à-dire l'espèce, la race, le peuple chez Gil Delannoi, dont la primitivité renverrait à « genus » qui donne à son tour « indigène », les homologies demeurent, du fait de leur relation avec « nascor ».

Par ailleurs l'importance des apports de Cicéron qui « emploie « genus romanum » pour désigner la nation romaine ou encore le genre humain nommé, selon le procédé, « genus humain », sont toujours équivalentes à la naissance.

Elle est donc là, la borne, qui à la remarque de Matsiegui Mboula établit, « depuis la Grèce jusqu'à nos jours, cette équivoque entre le fait et l'idée, entre l'appartenance héritée, fermée, et l'appartenance acquise, ouverte, demeure dans la nation »113.

La lecture de Matsiegui Mboula du vocable « nation » permet l'aisance de cette homologie. En effet, « le Grec signale d'ailleurs que la nation en tant que peuple, ethnos, diffère

110 Nadir Marouf, « Identité culturelle et Identité nationale en Algérie et au Maghreb », Colloque National : La place des formes d'expressions populaires dans la définition d'une culture nationale. Université de Tizi-Ouzou, novembre 1999, p.26.

111 Jean-Loup Amselle, op.cit. pp. 18-19.

112 Jürgen Habermas, L'Intégration républicaine. Essai de théorie politique, Paris, Fayard, 1998, p.70.

113 Matsiegui Mboula, op.cit.p.197.

51

du peuple en tant que puissance politique, nommé « dêmos » et attaché à l'idée politique de démocratie »114. « Soi-même, né, héritier d'un sang, d'un sol, d'une langue, voire d'une morale : telles sont les composantes étymologiques de la nation. S'il existe, un seul mot capable de les réunir sans trahir, c'est le mot famille. »115

La nation in finum, s'appréhende, à l'égard de l'étymologie ainsi convoquée, à la notion de famille, dans la perspective de Tönnies tel que nous l'évoquions supra. La symbolique de la nation, au sens de la filiation, la territorialité ou encore du langage est omniprésente dans les bases de la vie sociale. Les armoiries, les hymnes, les devises dans plusieurs nations modernes renvoient la plupart du temps à la « mère patrie » dont alliance paternité/maternité, confère sa sacralité et son autorité, tout en consacrant, l'allégeance et l'affectivité des membres liés par un destin commun. Le totémisme des nations primitives procède également de cette logique avec le caractère suprasensible et symbolique du commun protecteur qui régit la vie de tous les descendants d'une communauté.

« Il n'est donc pas étonnant que cette sorte de chaîne de génération, ce lieu ancestral d'une culture, prenne de l'importance quand progresse la conscience de la profondeur et la durée historique »116. Et, c'est avec les processus historiques que « la nation ou l'ethnie, au sens de famille et que l'on peut saisir à travers les critères de territoire, de langue, de culture, de filiation, a pu évoluer vers la nation au sens de superstructure politique connu à l'époque précoloniale sous forme d'empire et de nos jours sous la forme de l'Etat-Nation »117.

La thèse de l'ethnie comme pure « invention » coloniale est donc réfutée. Non seulement, elle témoigne d'un manque de profondeur historique, en faisant abstraction des mouvements endogènes de recomposition identitaire, mais aussi parce qu'elle postule que le colonisateur aurait été capable de créer ex nihilo, des ethnies qui n'existaient pas avant son arrivée et qui n'existeraient pas sans son intervention.

Or, même en admettant qu'il l'ait fait, les tenants de cette thèse oublient que pour « inventer » une ethnie, il faut qu'il y ait le minimum de substrat historique nécessaire à la cristallisation, d'un sentiment d'être différent. Et la seconde aporie est relative au réductionnisme de ces auteurs, qui pensent l'ethnie, comme une propriété singulière des

114 Ibid.

115 Ibid.

116 Ibid., p.198.

117 Ibid.

52

colonies, alors même qu'Amselle parle d'une transposition de la réalité occidentale à l'Afrique en l'occurrence. La nation (ethnos) est un principe universelle et Aristote et son animal politique l'avait déjà esquissé. Notre réserve, consistant à évoquer plutôt la distinction, pour s'inscrire en dehors de ce débat, d'une scientificité improbable et d'un militantisme justifiée.

Enfin, nous concédons qu'il est acquis que le colonisateur a bien « bricolé » les identités, sans toutefois les inventées. Il les a, le plus souvent, manipulées, reformulées, classifiées, hiérarchisées, secondé en cela par les Églises chrétiennes qui contribuèrent, à leur manière (codification des langues indigènes, spatialisation de l'action missionnaire, fixation de certaines coutumes, etc.), à ce travail de bornage ethnique, comme le montre Coquery-Vidrovitch.

Les propos empruntés à Von Götzen que Chrétien reprend pour postuler l'assimilation entre « maîtres » et « sujets » ne sont confortés par aucune argumentation empirique rigoureuse, outre l'armement et les parures qu'il prend en exemple118.

La colonisation quant à elle, moins sans doute par souci de « diviser pour régner » que portée par un besoin d'inventaire, de nomenclature, d'encadrement administratif et de cartographie, a procédé à une ethnographie classificatoire qui a eu pour effet de figer des situations mouvantes, dans certains cas d'« inventer » des ethnies.

Mais si cette entreprise de bornage ethnique a pu être menée à bien, c'est parce qu'il existait sans doute, de manière plus ou moins diffuse, un minimum de substrat historique grâce auquel a pu se cristalliser un sentiment d'être différent. Comme le résume le titre d'un ouvrage coordonné par J.-P. Chrétien et G. Prunier, qui défend cette thèse, Les ethnies ont une histoire119, histoire qui ne se réduit pas à celle de la rencontre avec la modernité occidentale.

En outre, en se fondant sur les stratégies dans les rapports de pouvoir, la référence à Ndaywel-E-Nziem, cité supra, confirme que l'ethnie, à travers la structure clanique, a connu une organisation sociale, politique et économique en Afrique centrale précoloniale. « C'est dire en d'autres termes que l'ethnie a connu son système de souveraineté tout comme la nation occidentale »120.

C'est une piste à mobiliser dans l'optique de la mise en crise des thèses de Jean Loup Amselle, car c'est au crible des confusions et des méprises que son oeuvre suscite qu'il faut

118 J.P. Chrétien, in Au coeur de l'ethnie, op.cit. pp.135-136.

119 G. Prunier & J.-P. Chrétien, Les ethnies ont une histoire, Karthala, Paris, 2e éd. 2003.

120 F. Matsiegui Mboula, op.cit. p.195.

53

rechercher les germes de sa critique. Outre la distance qu'il observe vis-à-vis de l'hypothèse de la colonialité de l'ethnie, il ne s'éloigne guère en réalité du réductionnisme des théories de la fausse conscience. Entre les concessions par ici et les réfutations par là, dans son oeuvre sa position difficile à cerner revient à denier, la pertinence heuristique de l'ethnie quand il ne s'agit pas, pour lui de l'assigner à la colonisation. Mercier et Nicolas ont bien vu, en l'ethnie ou en la race, une continuité directe du clan et du lignage121. Si Amselle, par un flou prétend « qu'il n'existait rien qui ressemblât à une ethnie pendant la période précoloniale » 122, la subtilité de son raisonnement obscurcit sa position. Certes, « A chacun son bambara » de Jean Bazin ou « Les Bété, une création coloniale » de Jean-Pierre Dozon, démontrent que certaines ethnies ont bien été créées par le colonisateur123, il n'en demeure pas moins que l'ethnicité faisait sens dans la précolonie. Dans Au coeur de l'ethnie, Amselle affirme pourtant en reprenant Mercier et Nicolas, à travers l'exemple du dialecte Bambara-Malinké, l'existence de l'ethnie et de la race dans la précolonie : «(...) il existe une notion, celle de «shiya« qui correspond bien à celle de «race« ou d'«ethnie«, voire de clan ou de lignage ». une grande envie de questionner alors cette révélation nous vient à l'esprit : Comment expliquer l'existence d'un vocable qui désigne l'ethnie alors que celle-ci n'existe guère, surtout que les colons n'y sont pas encore ?

2. Les ethnè comme formes élémentaires d'organisation politique.

De l'héritage des travaux de Ferdinand Tönnies, l'on retient principalement la systématisation de l'opposition entre communauté(Gemeinschaft) et société (Geselschaft) comme « catégorie de la sociologie pure ». Le concept de « communauté » offrait alors une référence organique d'appartenance, chargée d'affectivité (pathos au sens de Max Weber) alors que la société se présentait, sous la forme du contrat social. Le manifeste de la communauté « fonctionne comme définition de l'endogroupe qui marque le partage d'appartenances et d'identification entre `'eux» et `'nous», place donc les `'autres» hors de la communauté et peut même servir à l'exclusion »124. Gallissot affirme dans cette perspective que « les conflits inter-ethniques `'pré-nationaux» reposent sur cette mobilisation communautaire »125.

121 Cité par Amselle, op.cit.

122 Ibid., P. 35.

123 Pour deux études de cas, cf. Jean Bazin, « À chacun son Bambara » et Jean-Pierre Dozon, « Les Bêté, une création coloniale », in Jean-Loup Amselle et Elikia M'Bokolo (dir.), op. cit., p. 87-128 et 59-85.

124 René Gallissot, « Communauté ; communautés » in Nadir Marouf (Dir), op.cit., p.35.

125 Ibid. p. 37.

54

Et, la réalité sociale de l'Afrique précoloniale est celle d'une multiplicité des communautés. L'appartenance organique inhérente au lien social entre les membres de la communauté procède des éléments mystiques, généalogiques et sacrés. À chaque communauté correspond une culture particulière faite d'objets matériels, de comportements institutionnalisés, d'organisations sociales, de connaissances techniques, de conceptions philosophiques et religieuses, de créations esthétiques. Cet ensemble, propre à chaque groupe, constitue un héritage collectif que chaque génération reçoit de la précédente, modifie quelque peu, et transmet à la suivante.

Jacques Maquet affirme que « les sociétés globales - ainsi appelées parce qu'en chacune d'elles l'individu trouve l'ensemble des réseaux de relations sociales dont il a besoin au cours de sa vie - furent nombreuses dans l'Afrique traditionnelle, celle qui prit fin avec la période coloniale en ses débuts, vers le dernier quart du XIXe siècle »126 en se prévalent des travaux de l'ethnologue George P. Murdock, qui en énumère plus de huit cent cinquante, sans en prétendre l'épuisement.

L'identité d'une communauté est une réalité dont les dépositaires sont conscients ; ils savent qu'ils sont Bayengé, Badoumbi ou Fang et que leur mode de vie est différent de celui de leurs voisins. C'est pourquoi les ethnologues ont pris comme unité d'étude, le plus souvent, une société globale et sa culture.

Pour Tönnies la communauté est à l'image de la famille. En effet, « le prototype de toutes les unions en communauté est la famille. Les trois piliers de la communauté : le sang, le lieu et l'esprit, ou encore la parenté, le voisinage et l'amitié, sont présents dans la famille, mais le premier d'entre eux est son élément constitutif »127. La territorialité est en dehors des éléments tels que la langue, un critère d'individuation chez Tönnies.

Dans une étude sur la précolonie de l'Afrique centrale Ndaywel -E- Nziem affirme que les Africains se sont toujours organisés en sociétés ethniques qui abritent les unités familiales que sont les clans ou les sous-clans128. Le clan est la base de toute société indigène dont les

126 Jacques Maquet, « AFRIQUE NOIRE. Culture et société - Civilisations traditionnelles», in Encyclopédie Universalis, op.cit.

127 F. Tönnies cité par R. Gallissot, in Nadir Marouf (dir.), op.cit.

128 Ndaywel -E- Nziem, « L'Afrique centrale ancienne: Les hommes et les structures », in Théophile OBENGA (dir.), Les peuples Bantu. Migrations, expansion et identité culturelle, Tome I, L'Harmattan, 1989, pp.256-261.

55

implications sous-tendent une cohésion d'ordre plus général et supposent chez les membres, le sentiment d'un intérêt supérieur à l'intérêt individuel129.

Au coeur du clan ou de la tribu se trouve un élément fondamental, transcendantale : le totem. En effet, chaque tribu a un totem. La légende Bayengé tel que nous le rapporte Le Testu explicite la sacralité du totem qui lie à travers l'imaginaire, les membres de ce clan à un destin commun et de ce fait le distingue des autres. Le perroquet gris à queue rouge, nous conte Le Testu, est par exemple, le totem des Bayengé qui y tire leur nom. « Un homme des Bayengé avait un ennemi mortel ; il le rencontra un jour dans la forêt. Cet ennemi voulut profiter de la solitude du lieu pour satisfaire sa haine et tuer le Bayengé. Mais prudent, il lui demanda d'abord : « Es-tu seul » ? - « Non, dit le Bayengé, il y a des gens avec moi » - « appelle-les donc ! ». Le Bayengé était seul, mais, payant d'audace, il appela ses soi-disant compagnons. Ce furent les perroquets qui répondirent et lui sauvèrent la vie, car celui qui voulait le tuer eut peur de n'être plus fort et s'enfuit. Les Bayengé prirent alors le perroquet « koussou »comme protecteur et depuis ce jour, ils s'abstiennent de le manger. »130

C'est à cette communauté linguistique, pluriclanique que Matsiegui Mboula va consacrer la genèse de l'ethnie : « Au point de départ basée sur la communauté de langue, elle allait peu à peu consolider son unité interne par l'usage des mêmes institutions. Le clan, réalité homogène sur le plan de la parenté, allait désormais coexister avec l'ethnie, élément inter-clanique. La structure ethnique se trouvait être une excroissance de la structure clanique. Elle allait acquérir une plus grande importance au point d'évincer pratiquement l'autre en tant que mode d'organisation de la société »131

C'est à partir de cette nucléarité que certaines ethnies se doteront, soit d'une hiérarchie interne, au point de se constituer en unités politiques, soit d'une évolution dans le sens d'un émiettement plus grand, créant une multiplicité d'autres structures semblables, soit encore, par l'absorption ici et là, des groupes d'autochtones ou de nouveaux immigrants et se transformer ainsi en des entités culturelles composites.

L'idée fantaisiste de la hiérarchie entre des sociétés même parfois séparées par quelques centaines de mètres fit commune à toutes les sociétés humaines. Par exemple, les

129 Georges Le Testu, « Notes sur les coutumes Bapunu dans la circonscription de la Nyanga », in Annie Merlet, Autour de Loango (XIVe -XIXe siècle), histoire des peuples du sud-ouest du Gabon au temps du Royaume de Loango et du « Congo français », Libreville/Paris, CCF, « Découverte du Gabon », 1991, p. 516.

130 Le Testu, op.cit. p. 517

131 Matsiegui Mboula, op.cit. p.188.

56

Grecs opposaient ainsi les ethnè (sing. ethnos) et la polis (cité). « Les sociétés qui relevaient de leur culture mais auxquelles « manquait » l'organisation en cités-États étaient des ethnè. Le terme est souvent traduit par « tribu » (en allemand, Stamm), ou par « État tribal »132. Plusieurs auteurs soutiennent cette thèse. Pour V. Ehrenberg notamment, il est « vraisemblable [que l'ethnos] est beaucoup plus proche de la société primitive »133. La déclinaison fâcheuse des thèses similaires, induit de facto, une défintion ad litteram de l'ethnologie comme une science des sociétés « a-politiques ». Or les ethnies sont vraisemblablement des formes élémentaires d'organisation politique qu'une ethnologie ethnocentriste a biaisé l'analyse, pour supposer la hiérarchie entre les peuples.

Il faut admettre comme Matsiegui Mboula, la généralisation de ce modèle organisationnel sous-tendu par l'existence de tant d'ethnies qu'on connaît de nos jours, « car suivant son principe de création, une nouvelle unité du genre peut toujours se créer même encore de nos jours »134.

Le clan, postule cet auteur constitue « donc l'instance qui assure la transition entre l'organisation purement familiale et l'organisation politique puisque, au sein de l'ethnie, ils connaissent une certaine hiérarchie. On distinguait en effet, le « clan aîné » du « clan cadet », le « clan époux » du « clan épouse », au point même où l'on en vint à parler du « clan royal », démarqué des « clans roturiers » et « esclaves », etc. Toute la vie politique utilisa donc en premier le vocabulaire familial avant de l'enrichir des termes spécifiques politiques. Ainsi, les notables du village étaient des « Aînés » des lignages en présence ; le chef du village était « l'Aîné » des lignages du village (...). »135

Empruntons, en relativisant, une esquisse de réponse, pas tout à fait à notre aise, mais suffisamment illustrative à Nadel, qui postule que la« tribu existe, non pas en vertu d'une quelconque, unité ou identité, mais en vertu d'une unité idéologique et d'une identité acceptée comme un dogme »136.

Ainsi, les rapports de pouvoir intercommunautaires, participe de la subjectivation des communautés dans les interactions quotidiennes. Plusieurs types de rapports sont en exergue dans l'Afrique précoloniale. Il en va, entre autres des alliances, du commerce, de la servitude

132 Amselle, « Ethnie » in Encyclopédie Universalis, 2013.

133 Cité par Amselle, Op.cit. 134Matsiegui Mboula, op.cit.

135 Ibid.

136 Nadel cité par Matsiegui Mboula, op.cit. p. 203.

57

ou encore des conflits. Les communautés villageoises sont souvent opposé entre-elles pour des palabres portant sur la répartition des terres. Voilà pourquoi il se créa des associations de villages, c'est-à-dire des chefferies. Ceci était surtout le fait des populations des savanes.

Dans quelles conditions seraient nés les royaumes qui ont fleuri au cours de la période ancienne de notre histoire Bantu ? Pourquoi se sont-ils effrités dans la nuit des temps ? Pourquoi toutes les sociétés ethniques ne se sont-elles pas transformées en royaume ? L'étude minutieuse des royaumes d'Afrique centrale permet de mieux comprendre le phénomène d'émergence de ces structures.

Il importe de constater à la suggestion de Matsiegui Mboula que la formation politique est indépendante du phénomène ethnique. En effet, de la pluralité et même de l'hétérogénéité des royaumes qui ont existé au Zaïre ancien, pas un seul ne s'est constitué sur une base mono-ethnique. « Les traditions d'origine le mentionnent explicitement ; le « Kongo » regroupait les Mbundu et les conquérants Besi Kongo ; le « Kuba » abritait en son sein un ramassis de peuples d'origine diversifiée : Luba, Kete, Mongo, etc. L'empire Luba et surtout l'empire Lunda, aussi étendu dans l'espace, ne pouvaient être davantage homogènes sur le plan ethnique. »137

Or, c'est du fait de ce brassage interethnique sous-jacent à des impératifs politiques que certains groupes ethniques ont vu le jour. « Tel est précisément le cas des Kongo, Kuba, Lunda, Luba actuels. La structure étatique n'est donc pas le prolongement de l'organisation ethnique. Elle n'était même pas vécue, à l'époque, comme un idéal d'organisation auquel il fallait à tout prix parvenir. C'est ainsi que cela n'a pas pu se prévaloir partout. Même là où elle a existé, cette structure n'apparaît pas comme étant le résultat d'un dynamisme local »138.

Au Gabon par exemple, Du Chaillu rapporte que les « Ishogos, chassés de leur territoire par la guerre, s'étaient établis dans une enclave inoccupée, au milieu des possessions de leurs voisins »139. Outre le caractère légion des cohabitations pacifiques inter-ethniques, d'autres rapports, cette fois conflictuelles n'y sont pas absents.

Les relations de servitude se complète également pour rendre compte des rapports inter-ethniques lorsque le même auteur affirme qu'en dépit du dialecte, des parures, des coutumes et habitations communs aux « Ishogo » et aux « Apingis », ces derniers les « regardent

137 Ibid.

138 Ibid.

139 Paul Du Chaillu, « Voyages et aventures dans l'Afrique équatoriale», in Annie Merlet, op.cit. , p. 306.

58

comme un peuple inférieur à eux »140. Les peuples de la côte « affichent un souverain mépris pour ceux de l'intérieur (...) quelques jours auparavant, j'avais vu Makondai, abordé par un Ishogo, lui tourné le dos avec une expression de dégout et cracher par terre. Ce jour-là, comme un des neveux du roi venait s'asseoir près de lui, il se leva en disant qu'il ne pouvait rester à côté de ces esclaves, tant ils sentaient mauvais »141. Enfin, ajoute Du Chaillu, « je leur ai souvent entendu dire :- « «Comment Chaillie peut-il croire que nous soyons du même sang que ces esclaves« ? »142 En guise de réaction à ses injonctions relatives au comportement méprisant de son compagnon.

Un fait moderne est souvent, telle une légende évoquée dans la province du Haut Ogooué au Gabon. Il s'agit du non soumission d'un édile de la ville de Franceville qui se serait refusé toute allégeance et soumission au Chef de l'Etat, sous prétexte que ce dernier était issu d'une tribu esclave. Un enquêté nous explique à ce sujet que « les Téké étaient les esclaves des Ndoumou ».

Section II : De l'ethnocentrisme à l'ethnonymie

L'ethnocentrisme désigne lato sensu, la mesure des différences au prisme d'une culture autocentré. Cette attitude collective à caractère anthropocentrique, est pour Lévi-Strauss, un « Phénomène naturel, résultant des rapports directs ou indirects entre les sociétés »143 qui se manifeste de façon trilogique, c'est-à-dire, par la répudiation pure et simple des autres cultures ; négation par assimilation à soi ; réduction de tout autre donné culturel par une explication qui soumet celui-ci aux formes d'intellection produites dans la culture du locuteur.

L'Occident, depuis belle lurette, se pense et se veut la civilisation. Toutefois, cette (im) posture n'est pas inédite et encore moins inhérente à l'Occident, en dépit du fait, qu'il en a développé les théories les plus extrémistes. En effet, l'ethnologie a mis en lumière les façons dont les sociétés primitives se nomment et désigne inversement, ses voisins par des noms péjoratifs, méprisants, injurieux. « Le barbare nous disait Lévi-Strauss, c'est d'abord l'homme qui croit à la barbarie »144.

140 Ibid., p.231.

141 Ibid., 361.

142 Ibid.

143 Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale II, Plon, Paris, 1973. 144Claude Lévi-Strauss, Race et histoire, Paris, Denoël, 1968, pp. 19-22.

59

Ainsi, les sociétés primitives, sont non seulement fondées sur une organisation ethnique, mais aussi, « opère ainsi un partage de l'humanité en deux parts : elle-même, qui s'affirme comme représentation par excellence de l'humain, et les autres, qui ne participent qu'à un moindre titre à l'humanité (...) Affirmation de la supériorité de son soi culturel, refus de reconnaître les autres comme des égaux. L'ethnocentrisme apparaît alors la chose du monde la mieux partagée... »145

1. L'universalité de l'ethnocentrisme ou la négation d'une altérité

humaine

L'anthropologie a mis en lumière, depuis maintenant longtemps, le fait que les groupes humains ont tendance à élaborer des définitions positives de soi tout en produisant des définitions négatives de l'autre. La plupart des peuples étudiés par les anthropologues, au temps où l'anthropologie était encore définie comme la « science des sociétés primitives » (c'est-à-dire des sociétés dotées de moyens techniques plutôt simples, comme -- pour ne citer que quelques exemples -- celles des chasseurs-cueilleurs des forêts tropicales africaines, des habitants de la région arctique, de quelques groupes indiens d'Amérique du Nord, des barbares d'Europe centrale ou des pêcheurs des atolls polynésiens), se définissent eux-mêmes avec des noms qui peuvent être traduits par « êtres humains » ou « gens ». En même temps, les « autres », même si l'on peut les atteindre en quelques heures de marche, sont classifiés dans les catégories des « non-hommes », des « monstres » ou, plus fréquemment, des « cannibales », puisque très souvent le cannibalisme est synonyme de « non-humanité ».

Dans la civilisation occidentale et dès l'Antiquité gréco-latine, l'application du terme générique de Barbaroi aux peuples non helléniques exprime bien le « frisson », sinon une certaine répulsion des Grecs face aux manières de vivre, de croire ou de penser qui leur étaient étrangères. Il y a là, traduit dans le langage, un rejet direct, ayant valeur de négation franche, des cultures autres que grecques. Par l'application générale du terme « barbare », les Grecs refusent de reconnaître la diversité des autres cultures, l'appartenance des étrangers à des sociétés autres et en même temps l'identité propre de ces cultures, de ces sociétés et des individus qui les composent. De plus, l'épithète même de barbaros renvoyant

145 Ibid.

60

étymologiquement à la forme inchoative et inférieure du langage des oiseaux, son application indistincte à tout donné étranger, équivaut à refuser, à celui-ci, ce caractère hautement humain que le Grec accorde à son langage. L'usage d'une telle épithète exprime donc, à l'extrême, une réduction de l'humanité à la seule hellénité. De même, plus tard, la qualification de « sauvage » (l'adjectif latin silvester désigne tout ce qui est « de la forêt ») rejette dans une catégorie de l'infrahumain des individus et des sociétés auxquelles on attribue un genre de vie qui les rapproche plus de la vie animale que de la culture humaine.

Roland Barthes constatera bien plus tard, en référence au colonialisme que « face à l'étranger, l'Ordre ne connaît que deux conduites qui sont toujours deux mutilations : ou le reconnaitre comme guignol ou le désamorcer comme pur reflet de l'Occident »146.

Déjà au début du 20ème siècle, le sociologue américain William G. Sumner avait identifié cette attitude dichotomique en parlant de in-group et de out- group147 (« notre groupe » et le « groupe des autres »), en l'attribuant uniquement à ce que l'on appelait alors les « sociétés primitives ».

Toutefois, le fait de se désigner soi-même comme « êtres humains » ou « gens » n'est pas un attribut particulier ou exclusif de ces groupes ayant de rares contacts avec l'extérieur. Le nazisme se réclame d'ailleurs de ce genre de catégorisation et l'entreprise coloniale à elle-même puisé dans cette jachère. En effet, le principe de la survivance du plus apte, de la victoire du fort sur le faible, a conduit à l'émergence des enjeux de classement et de races. Le principe de cette lutte farouche et bestiale a longtemps servi à justifier la colonisation et l'esclavage, ou encore à légitimer les campagnes successives de stérilisation massive des pauvres et des inaptes, les génocides et les ethnocides des peuples, et ce, uniquement au nom de leur pseudo« infériorité raciale ». Francisé en « aryen », le terme sanskrit ârya (avestique, airya) signifie ad litteram « excellent, honorable, noble ». Cette imposture de près de deux siècles allait accréditer chez des peuples européens, sensibles à l'impérialisme économique qui présidait à la conquête de colonies, l'idée qu'ils étaient de la race de ces lointaines tribus guerrières et se devaient d'imposer leur joug à des races qualifiées d'inférieures.

Aussi, depuis sans doute au moins deux mille ans, des rapports assez intenses avec les populations des régions des grandes civilisations historiques du Proche- Orient, se définissent eux-mêmes comme « arab » ce qui signifie justement « les gens », par opposition aux habitants

146 R. Barthes, Mythologies, Paris, Seuil, 1957, (rééd. Points, 1970), p.184.

61

des oasis et des villes, qu'ils appellent souvent, avec un brin de mépris, « hadhar » (sédentaires). Il a donc été dit que l'identité ethnique est une définition de soi et/ou de l'autre, pris collectivement, qui prend racine dans des rapports de force donnés. Nous aurons l'occasion de voir comment cela peut arriver en examinant quelques cas concrets dans la précolonie africaine en général et gabonaise en particulier.

Examinons dans un premier temps les sociétés tsogo du Gabon. Ce peuple désigne ceux qui sont différents d'eux par le terme de « morenda » qui veut dire « étranger » en dehors des catégorisations spécifiques attribuées à chaque groupe de leur voisinage. Les Fang exempli grati sont désignés par le vocable « ngode » en référence au toucan, c'est-à-dire des oiseaux et les Akélé « a nè adieyi a é rongo arombéï » littéralement « mangeurs de cassadan148 ».

D'autres exemples, très nombreux, parfaitement identiques en substance, pourraient être cités : celui des Omyènè au Gabon qui désigne l'altérité par « anongoma ».

Pour rester sur un terrain qui nous est plus familier, nous évoquerons le terme « bilop » attribution catégorielle des peuples fang par différenciation à ceux qui ne sont pas Fang.

Tels sont uniquement quelques exemples parmi tant d'autres, qui illustrent comment les noms des ethnies, ou les appellations qui se réfèrent à des groupes déterminés vivant dans un environnement précis, sont souvent le résultat imposé de l'extérieur. De plus, les noms imposés par un groupe dominant à un groupe dominé sont quelquefois adoptés par ce dernier, indépendamment du fait qu'il soit conscient ou non du processus de sa formation. En conclusion, les noms des groupes, des peuples et des ethnies sont souvent le résultat d'une représentation « externe » élaborée culturellement par un groupe en opposition, représentation qui est tributaire en réalité des stratégies de pouvoir.

2. La fonction classificatoire des ethnonymes

Traditionnellement, l'étude des noms est une discipline philologique, linguistique : l'onomastique. Elle étudie le choix des noms de famille et des prénoms, en mesurant leur fréquence et en les classant selon leur origine.

148 Gastronomie gabonaise : mets constitué de petits morceaux de manioc cuit et conservés dans un récipient d'eau.

62

La gestation des « names studies » dans les sciences sociales francophones peut-être associée aux années 80 et 90, au cours desquelles, l'étude des dénominations des individus est devenue une branche de l'histoire sociale. Il s'est agi dans cette genèse d'appréhender l'essence du nom, de chercher comment et si possible, pourquoi les hommes choisissent-ils des noms spécifiques, et d'autre part de se demander, si les désignations, leurs différences, pouvaient être utilisées comme document d'archéologie sociale. Sur ces entrefaites, nous devons une première référence à J. Berque qui en fut certainement le précurseur, en 1974, à penser les ethnonymes, ces « emblèmes onomastiques », comme des différents systèmes de classement ou des stratégies de domination149.

L'intérêt pour nous d'étudier l'usage du nom consiste à entrevoir par ce biais l'essence de l'ethnie. Nous distinguons à travers le nom, deux fonctions dans l'appréhension de l'ethnie: une fonction d'individuation inter ethnique et une fonction de catégorisation de l'altérité (l'ethnocentrisme).

Toutefois, si la façon de nommer les gens peut en effet donner des indications sur les représentations de la société, plus qu'une ethnonymie, nous traiterons plutôt d'onomastique, pour évoquer le choix des noms personnels notamment par transmission héréditaire, c'est-à-dire dans ses fonctions de distinction et de classement.

Il est acquis que la fonction du nom est d'abord d'essence distinctive. Le nom est toujours en relation avec un capital qui révèle l'origine des agents sociaux. Une journée passée en compagnie des camarades de nationalité malienne a conforté l'analyse que nous menons aujourd'hui. En effet, deux de nos compagnons revendiquaient ardemment le nom « Diop », en réfutant simultanément cette filiation à l'autre. Ce n'est que bien plus tard, que nous comprîmes, le capital « pouvoir » en enjeux dans ce débat d'apparence prosaïque.

Les travaux de Le Testu rapportent les logiques distinctives à travers l'essence des noms dans la précolonie au Gabon. En effet, en dehors des noms des tribus que nous avons classés dont la section précédente, d'autres formes concernant les esclaves entre autres, procèdent du classement via la distinction qui demeure vide en dehors de cet enjeu. Pour parler des Punu par exemple, Le Testu établit la subordination d'une tribu d'esclave par rapport à celle « à laquelle appartenait le père, auteur de la descendance, selon le sang »150. Parfois on y retrouve, « les

149 J. Berque, « qu'est-ce-que la «tribu« », in Maghreb, Histoire et sociétés, Gembloux et Duclos (dir.), Alger, SNED, 1974, p.26.

150 Le Testu, op.cit, p. 516.

63

sentiments de celui qui appartenait l'esclave, soit encore la cause de la mise en servitude, s'il s'agit d'un esclave judiciaire »151.

Voyons à travers la structure des noms chez les « Bayaka », selon la lecture de Le Testu : « ces noms commencent généralement(...), par le mot « dibourou », où nous retrouvons le radical « boura », enfanter (bouta en Vili). Ainsi : Dibouroupakho (Liaba), Dibouroumiviévié (Mizoumba), Dibouroubidigha (Dibamba), etc., etc., la liste serait aussi longue, sinon plus longue que celle des familles d'origine libre.»152

Aussi, le nom des individus procède de la forme, un tel, fils de tel, le vocable « fils » étant la plupart de temps sous-entendu. Dans les noms Bantu, le régime est relié au substantif par la répétition du préfixe de ce nom. Encore une fois, observons les récits de Le Testu à ce propos. « Exemple : soit un individu nommé Bou-Soukou, fils d'un père appelé Mikala, son nom sera normalement : Bou-Soukou Bou Mikala. »153

Cependant, Le Testu fait bien de souligner à cette époque déjà la tendance à la suppression de la répétition en vogue chez les interprètes. Ainsi, pour nous qui nous nommons Boussougou Kassa, la logique originelle aurait voulu que nous nous appelassions Boussougou Bou Kassa. Toutefois, les enjeux de classement à travers le nom, qui sont en réalité l'objet de cette section, ne sont pas exclus ici. Le nom que nous portons, c'est-à-dire Boussougou, retrace la « lignée d'illustres pêcheurs que furent nos aïeuls »154. Le choix de nous nommer n'est pas nihiliste, il s'est agi de façon stratégique de la référence à ce passé glorieux, donc à l'autorité et autres caractères qui distingue notre lignée des autres et qui, in finum confère notre position dans la stratification sociale.

Une forme moderne de l'usage stratégique est aisément observable dans le Gabon. L'optique en jeu consiste à préserver les capitaux acquis depuis les indépendances par les « évolués », une oligarchie qui pour la majeure partie de l'Afrique a su conserver le pouvoir. Depuis, pour ce qui concerne le Gabon, l'observation de la sphère politique et économique conforte cette hypothèse de l'hérédité du pouvoir par la filiation non sans analogie au modèle successorale en exergue dans la précolonie. Le renouvellement du personnel politique au Gabon est consubstantiel à la reproduction de l'élite nègre coloniale, déjà majoritairement issue des

151 Ibid.

152 Ibid.

153 Ibidem, p. 519

154 Discussions avec notre grand-mère.

64

chefferies précoloniales. « Depuis toujours, ceux qui dirige le Gabon, sont les mêmes. Le Président est fils de son père, le premier ministre aussi, on dit qu'il est le petit-fils du père de l'indépendance ». D'ailleurs les informations que cet enquêté nous donnent ne peuvent pas être totalement exploitées ici, sans en cité les noms des protagonistes, puisque c'est le nom qui en effet, est à l'honneur autant dans notre travail que dans la gestion de l'Etat au Gabon. Adrien Ondo Essono, dans un travail récent à analyser, avec beaucoup de rigueur cette pratique155.

Toutefois, cette concession sur les fondements précoloniaux du discours nationalitaire, sa dynamique intègre, également, avec des nuances tantôt substantielles, tantôt contrastées, d'autres éléments dans la construction dudit discours, notamment, l'évolutionnisme social et son idéologie de la race.

155 Adrien Ondo Essono, Onomastique et lutte de classement, thèse de doctorat N.R., Libreville, UOB, 2014.

65

Chapitre II : De la « géno »-politique coloniale au partage de l'Afrique

« Je parle au nom de ces millions d'êtres qui sont dans les ghettos parce qu'ils ont la peau

noire ou qu'ils sont de culture différente et bénéficient d'un statut à peine supérieur à celui d'un animal.» Thomas SANKARA156

L'intégration de la situation coloniale est selon la suggestion de Balandier, indéniablement nécessaire à toute tentative de sociologie sur l'Afrique. Assertion concessible, mais toutefois, nous nous réservons simplement, pour l'heure, qu'à un accord de principe.

La colonie est marquée par une expression de l'ethnicité d'ordre raciste. Le colonialisme est d'ailleurs un racisme. L'idéologie qui le sous-tend est tributaire du darwinisme social. C'est en effet, cette doctrine politique apparue au XIXe siècle dont le postulat de base préconise le conflit, en tant que source fondamentale du progrès et de l'amélioration de l'humain. Seul, plus apte doit survivre (« survival of the fittest »).

Son théoricien Charles Darwin y défend la théorie de la supériorité que cette assertion exprime explicitement: « Ainsi, les membres faibles des sociétés civilisées propagent leur nature et en conséquence, nous devons subir sans nous plaindre les effets incontestablement mauvais générés par les faibles qui survivent et propagent leur espèce; mais il existe au moins un frein c'est que les membres faibles et inférieurs de la société ne se marient pas aussi librement que les sains; et ce frein pourrait être augmenté indéfiniment, bien que ceci relève plus de l'espoir que de l'attente, par le fait que les faibles de corps ou d'esprit se retiennent de se marier. (...) et c'est principalement grâce à leur pouvoir que les races civilisées se répandent et sont en train de se répandre partout, jusqu'à prendre la place des races inférieures. »157

Herbert Spencer, un des idéologues, pense ainsi que « toute protection artificielle des faibles est un handicap pour le groupe social auquel ils appartiennent, dans la mesure où cette protection a pour effet (...) de le mettre en position d'infériorité face aux groupes sociaux rivaux158. » Son versant racialiste fait, à l'échelle de la compétition entre les groupes humains, de la « lutte entre les races » le moteur de l'évolution humaine.

156 Discours à la 39e Session de l'Assemblée Générale des Nation-Unies, 4 octobre 1984.

157 Charles Darwin, The Descent of Man, and Selection in Relation to Sex, Paris, 1872, p. 223. 158Denis Touret, « Le darwinisme social par Herbert Spencer », in http://classiques.uqac.ca.

66

Sur le plan politique, le darwinisme social a servi à justifier scientifiquement plusieurs concepts politiques liés à la domination par une élite, d'une masse jugée moins apte. Parmi ceux-ci, on trouve le colonialisme, l'eugénisme, le racisme, le fascisme et surtout le nazisme et ajouteront-nous aujourd'hui l'ethnisme. En effet, cette idéologie légitime l'élimination des « races » humaines et des êtres les plus faibles, pour que ceux-ci laissent la place aux « races » et aux êtres les mieux armés pour survivre. La critique du darwinisme social du sociologue Jacques Novicow entrevoit le darwinisme comme « la doctrine qui considère l'homicide collectif comme la cause des progrès du genre humain. » 159, homicide qui deviendra dans la « mise en modernité » du Gabon, un ethnocide avec l'imposition de l'Etat.

Ainsi, des éléments liés à la théorie de la sélection naturelle ont été incorporés par Shigetake Sugiura, un tuteur de Hirohito, dans ses écrits visant à justifier la supériorité de la race nipponne et son droit à dominer l'Extrême-Orient. Avec les éléments mythologiques propres au shinto, le darwinisme social servit donc de toile de fond à l'invasion de la Chine et des pays d'Asie du Sud-Est pendant l'ère Showa.

En Afrique, le colonialisme est directement inspiré de cette idéologie de la hiérarchie des races. Ainsi, analyser l'expression de la dissemblance, dans la colonie revient à montrer les fondements darwiniens de l'oeuvre civilisatrice et à déterminer, les implications dans le manifeste de la colonie. Le colonialisme est par ailleurs lié à la « frontiérisation » de l'Afrique, que nous évoquerons dans ce chapitre.

Pour des besoins analytiques qui prennent toutefois en compte, et au mieux l'empirie, nous souhaitons ici lire cette relation causale en deux mouvements, qui peuvent autant s'appréhender comme deux disciplines distinctes des sciences sociales sans pour autant s'exclure mutuellement.

L'histoire s'invite dans la géographie et vice versa. L'histoire est celle du portrait du colonisateur et aussi celui de l'évolué ; alors que la géographie est d'abord celle de la configuration bipolaire Nord/Sud de la Ville cruelle160 coloniale, avant d'aboutir au « partage » du continent africain par Bismarck sur des bases juridiques.

159 J. Novicow, La critique du darwinisme social, Paris, Alcan, 1910. Version électronique disponible sur www.gallica.fr

160 Référence à Eza Boto dans sa Ville Cruelle, où il dépeint les configurations géo-racistes et géno-politiques de la cité coloniale en « Tanga Nord et Tanga Sud ». J. Poinsot, A. Sinou et J. Sternadel parlent également de «...partition de l'espace urbain en deux zones, la ville «européenne« et la « ville indigène« » in Les villes d'Afrique noire entre 1950 et 1960, Paris, la documentation française, 346 p.

67

Section I : La « géno »-politique coloniale

Le manifeste de la colonie est celui d'un portrait caricaturé du colonisé qui assimile à tous les niveaux, le nègre à une bête « sauvage ». L'intitulé, exempli grati, de l'ouvrage de Joseph Conrad : Au coeur des ténèbres, illustre cette péjoration que Balandier, avec « Les noirs sont des hommes » va tant bien que mal essayer de réhumaniser ; alors que Frantz Fanon, usera de la satire, dans Peau noire, masque blanc, pour peindre à l'instar d'Albert Memmi, le portrait du colonisé. La géno-politique de la race est cette politique fondée sur une base idéologico-génétique, établissant la supériorité de la « race » blanche sur le Nègre. Théorie à l'origine darwinienne, sa version dite sociale servit à légitimer la colonisation et sa pseudo-civilisation, sa « domestication »161. Comment peut-on prétendre humaniser l'altérité, si l'on ne la considère pas telle une non-humanité?

1. Le darwinisme social et la légitimation de la conquête coloniale

L'empreinte de l'idéologie coloniale a été longtemps au fondement des disciplines telles que l'ethnologie. La recension des acceptions différentes du concept d'ethnie, en vogue jusqu'en 1970, qu'Amselle entreprend dans son ouvrage Au coeur de l'ethnie, montre les influences encore fortement présentes dans les sciences sociales aussi bien que dans les analyses médiatiques de la réalité politique en Afrique. En effet, cet auteur affirme qu'« Outre la proximité de la notion d'ethnie avec celle de « race », on voit combien la définition de ce terme est entachée d'ethnocentrisme (..). Sans beaucoup forcer les choses, on pourrait dire que le dénominateur commun de toutes ces définitions de l'ethnie correspond en définitive à un État-nation à caractère territorial au rabais. Distinguer en abaissant était bien la préoccupation de la pensée coloniale »162.

La pensée coloniale se fonda aussi sur l'idéologie raciale, qu'appuyaient certaines disciplines « scientifiques ». À la charnière entre le 19e et le 20e siècle, se développa la recherche en anthropologie physique. Cette discipline était censée fonder « scientifiquement », par la mesure et la comparaison des volumes crâniens, la supériorité des Européens par rapport

161 Aporie d'une logique fallacieuse, l'épreuve du temps nous a montré combien d'autres animaux l'on a civilisé, après le Nègre, outre les domestications de quelques bêtes qui au fond n'ont jamais été sauvages.

162 Jean-Loup Amselle, Elikia M'Bokolo, dir. Au coeur de l'ethnie : ethnies, tribalisme et État en Afrique, Paris, La Découverte/Poche, 1999, pp. 18-19.

68

aux peuples colonisés. Ainsi, dans les musées de sciences naturelles se trouvaient, jusqu'à une époque relativement récente, des vitrines exposant et comparant des crânes européens et africains. Un volume crânien supérieur, constaté chez les Européens, était présenté comme la preuve d'une intelligence supérieure censée expliquer les différences de développement entre sociétés occidentales et « indigènes », et légitimer le droit des Européens à la conquête coloniale.

Pis encore, les « zoos humains de la République coloniale »163, selon les termes de Nicolas Bancel, Pascal Blanchard et Sandrine Lemaire, paru dans Le Monde Diplomatique d'août 2000, où, ces des individus « exotiques » mêlés à des bêtes sauvages étaient montrés en spectacle derrière des grilles ou des enclos à un public avide de distraction, constituent la preuve la plus évidente du décalage existant, entre discours et pratique, au temps de l'édification des empires coloniaux. Le darwinisme social, vulgarisé et réinterprété par un Gustave Le Bon ou Vacher de Lapouge au tournant du siècle, trouve sa traduction visuelle de distinction entre « races primitives » et « races civilisées », dans ces exhibitions à caractère ethnologique. Ces penseurs de l'inégalitarisme découvrent, à travers les « zoos humains », un fabuleux réservoir de spécimens jusqu'alors impensable en métropole164.

Une majorité d'acteurs évoluant dans différents champs - politique, économique, scientifique ou religieux par exemple - imposèrent donc finalement une certaine image de l'Afrique et des populations qui y vivent. Ces représentations accréditaient le plus souvent l'idée d'un continent arriéré, aux moeurs barbares, marqué par l'absence de civilisation, de société élaborée ou de pouvoir centralisé, et où l'absence d'écriture, pour ce qui est de l'Afrique noire, devait prouver l'absence d'histoire. L'histoire de l'Afrique n'aurait dès lors réellement commencé qu'avec la colonisation, seule dispensatrice de développement. Le discours de Jules Ferry, le 28 juillet 1885, lors du débat sur la politique coloniale de la France, à la Chambre des Députés traduit clairement cette position : « Je répète qu'il y a pour les races supérieures un droit, parce qu'il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures... »165. Clémenceau ne sera pas en reste lorsqu'il avance le 30 juillet de cette même

163 Nicolas Bancel, Pascal Blanchard & Sandrine Lemaire, « Les zoos humains de la République coloniale », in Le Monde Diplomatique, Août 2000, pp.16-17.

164 L'ouvrage de référence, Zoos humains, de la vénus hottentote aux reality shows, de Nicolas Bancel, Pascal Blanchard, Gilles Boetsch, Eric Deroo, Sandrine Lemaire (dir.), est disponible dans la collection Poche des éditions La Découverte.

165 http://ldh-toulon.net/Jules-Ferry-et-Clemenceau.html article de la rubrique histoire et colonies > colonies, date de publication : dimanche 1er décembre 2013 consulté le 08/04/2015 à 19h 08.

69

année, que « Les races supérieures ont sur les races inférieures un droit qu'elles exercent et ce droit, par une transformation particulière, est en même temps un devoir de civilisation. »

L'anthropologie physique, comme l'anthropométrie naissante, qui constitue alors une grammaire des « caractères somatiques » des groupes raciaux (systématisé dès 1867 par la Société d'anthropologie avec la création d'un laboratoire de craniométrie), puis le développement de la phrénologie166, légitiment le développement de ces exhibitions. Elles incitent les scientifiques à soutenir activement ces programmations, pour trois raisons pragmatiques : une mise à disposition pratique d'un « matériel » humain exceptionnel (variété, nombre et renouvellement des spécimens...) ; un intérêt du grand public pour leurs recherches, et donc une possibilité de promouvoir leurs travaux dans la grande presse ; enfin, la démonstration la plus probante du bien-fondé des énoncés racistes par la présence physique de ces « sauvages ».

Les civilisations extra-européennes, dans cette perception linéaire de l'évolution socioculturelle et cette mise en scène de proximité avec le monde animalier, sont considérées comme attardées, mais civilisables, donc colonisables. La cohérence de tels spectacles devient une évidence scientifique, en même temps qu'une parfaite démonstration des théories naissantes sur la hiérarchie des races et une parfaite illustration in situ de la mission civilisatrice alors en marche outre atlantique. Scientifiques, membres du lobby colonial ou organisateurs de spectacles y trouvent leur compte.

Il va sans dire que darwinisme social et hiérarchie raciale se répondent dialectiquement. Sans doute participent-ils d'une même angoisse devant l'altérité, angoisse qui trouve alors son exutoire dans une rationalisation inégalitaire des « races », dans une stigmatisation commune du « taré » et de l'« indigène ». Les « zoos humains » se trouvent ainsi au confluent d'un racisme populaire et de l'objectivation scientifique de la hiérarchie raciale, tous deux portés par l'expansion coloniale. Dégrader, humilier, animaliser l'altérité est sous-tendu par l'idéologie qui se consacre à « dresser entre « eux » et « nous », une barrière infranchissable ».

166 Théorie de Gall, « d'après laquelle l'inspection et la palpation du crâne et la recherche de ses protubérances (ou bosses) permettraient de connaître les facultés et instincts dominants chez un sujet, d'après un système hypothétique de localisations cérébrales », Garnier in Le Grand Larousse, op.cit.

70

2. Le double portrait colonisateur/colonisé

« Tout comme la bourgeoisie propose une image du prolétaire, l'existence du colonisateur appelle et impose une image du colonisé. Alibis sans lesquels la conduite du colonisateur et celle du bourgeois, leurs existences mêmes, sembleraient scandaleuses. »167 La constatation de Fanon, à son arrivée à Blida, en juin 1953, comme médecin-chef à l'hôpital psychiatrique, procède de cette «imagisation» caricaturale du nègre, dans son rapport au colon. L'hôpital est, en effet à l'image de la psychiatrie coloniale avec une séparation radicale des malades mentaux indigènes et des malades mentaux métropolitains. « La conception dominante qui prévalait alors en Algérie était que le malade mental métropolitain était accessible à la guérison, mais que l'indigène était incurable, voué à la maladie, sous le prétexte que ses structures diencéphaliques écrasaient toute possibilité d'une activité corticale développée. »168

Albert Memmi perçoit parfaitement la dialectique et les implications qui caractérisent les relations entre colonisé/colonisateur. Pour lui, le «...délire destructeur du colonisé, étant né des exigences du colonisateur, il n'est pas étonnant qu'il y réponde si bien, qu'il semble confirmer et justifier la conduite du colonisateur. Plus remarquable, plus nocif peut-être, est l'écho qu'il suscite chez le colonisé lui-même »169. « Dans la relation coloniale, la domination s'exerce de peuple à peuple, mais le schéma reste le même. La caractérisation et le rôle du colonisé occupent une place de choix dans l'idéologie colonisatrice. Caractérisation infidèle au réel, incohérente en elle-même, mais nécessaire et cohérente à l'intérieur de cette idéologie. Et à laquelle le colonisé donne son assentiment, troublé, partiel, mais indéniable. »170

Primo, cette relation consiste à légitimer la supériorité de la « race » blanche et l'infériorité, animalité, l'inhumanité du nègre. Cette pratique consiste stratégiquement à donner des assises à la domination coloniale. Concomitamment, elle s'accompagne de l'élévation parmi les indigènes d'une ethnie qui serait devenu, par l'ordre de contact avec la civilisation, supérieure aux autres. La notion d'évolué nait dans ce contexte, où l'assimilation devient outil de production des complexes et une stratégie pour, cette « bande perdue (...), les noirs instruits »171.

167 Albert Memmi, « Le portrait du colonisé », in www.esprit.presse.fr , consulté le 12/04/2015.

168 Patrick Clervoy et Maurice Corcos, "Petits moments de la psychiatrie en France", Paris, EDK, 2005, p.141.

169 Ibid.

170 Ibid.

171 Référence à René Maran, Batouala, véritable roman nègre, Paris, Albin Michel, 1921, dont l'excellence du style lui valut le prix Goncourt.

71

La structuration de la ville exempli grati, permet des lectures de ces complexes suscités chez les nègres à travers les privilèges accordées aux évolués qui pouvaient, au-delà de vingt heures, accédés à la « ville européenne ».

Le racisme en vogue dans la ville coloniale, est réinventé par l'ethnisme sur une prétendue supériorité d'un groupe autochtone sur les autres, selon que la domination du colon est renforcée par l'assimilation du colonisé, ainsi érigé, dans la hiérarchie des races, en sous-race supérieure, ethnie supérieure.

René Otayek affirme que « l'extrême diversité ethnique que découvrent à leur arrivée les administrateurs coloniaux constitue, pour eux, la confirmation du bien-fondé de la « mission civilisatrice » dont se prévaut la conquête coloniale. (...) C'est donc tout naturellement qu'ils se donneront pour objectif premier d'y « mettre de l'ordre », en nommant, classant et hiérarchisant. Ce processus aura pour effet de rationaliser la complexité sociale par la création de catégories ethniques mais au prix d'un durcissement des identités et des clivages entre groupes ethniques »172.

La typologie de Lord Lugard participe de la vulgate évolutionniste lorsqu'il préconise de classer les populations africaines tropicales en trois types selon les structures sociales. Pour lui, il s'agit en l'occurrence, des « tribus primitives, des communautés évoluées et des Africains européanisés »173.

Le cas des Yoruba au Nigeria en est un exemple patent sur les conséquences qu'on eut ces classifications. Relevons tout d'abord que groupe ethnique est constitué de plusieurs groupes (les Ekiti, les Ijebu et les Egba) autonomes, parlant des dialectes proches. Cependant, les mesures introduites par l'administration coloniale britannique qui privilégient ces groupes-ci, au détriment du reste du Nigeria, continuent d'alimenter les cristallisations ethniques, dans un contexte où les laissés-pour-compte, c'est-à-dire les Haoussa-Fulani et les Ibo rêvent de revanche alors que les premiers (Yoruba) entendent conserver leur avantage, en l'occurrence sur les infrastructures et le capital humain.

Selon Bedoum, « le pouvoir colonial avait institué un système de classification ethnique avec des cartes d'identité obligatoire spécifiant l'ethnie d'appartenance (...). Les préjugés et

172 R. Otayek, « Afrique (conflits contemporain) » in Encyclopédie Universalis,op.cit.

173 L. Lugard, cité par Amselle, op.cit. p.8.

72

différents qui s'y rattachent avaient créé une division et un climat qui ont contribué à l'instabilité (...) »174

La Géographie vivante pour le cours préparatoire et le cours moyens, d'Onésime Reclus traduit contre toute apparence l'idéologie recontextualisée, de la hiérarchie des races par l'érection de la supériorité de certaines ethnies par rapports à d'autres. Nous vous proposons en lecture, la trente-cinquième leçon, en l'occurrence le point trois, intitulé « Les Noirs »175.

Document 2 : Capture d'image

Enfin, l'exemple de la région des Grands Lacs est encore plus illustratif. Dans ce territoire que nous connaissons maintenant comme le Rwanda et le Burundi, deux groupes sociaux, Hutu et Tutsi constituaient une seule culture à l'époque où des colons allemands avaient pris le contrôle de la région, au 19ème siècle.

174 Bedoum cité par Salif Kàc, La problématique des conflits en Afrique: le cas de la Somalie, de la Côte d'Ivoire et de la RDC, Mémoire de Maitrise en sciences politiques, Université Gaston Berger de Saint-Louis, 2012.

175 Onésime Reclus, La Géographie vivante" pour le cours préparatoire et le CM1, 1926, p. 70.

73

La Belgique a introduit ensuite une politique de catégorisation raciale pour prendre le contrôle de la région: la catégorisation et la philosophie fondées sur la race faisait partie intégrante de la culture européenne de l'époque.

Le terme Hutu désignait à l'origine des peuples de langue bantoue qui pratiquaient l'agriculture qui s'étaient déplacés dans le Rwanda d'aujourd'hui et à l'Ouest du Burundi ; et le terme Tutsi désignait les peuples du nord-est qui pratiquaient l'élevage et qui ont migré dans la région plus tard.

Les termes décrivaient donc les classes économiques des personnes : les personnes qui possédaient un certain nombre de bétail étaient considérés comme des Tutsis, et celles qui en avaient moins comme des Hutus, et ce, indépendamment de leur histoire ancestrale. Bien plus grave, les Belges ont introduit un système de classification raciste: teint de peau plus foncé ou plus clair, une taille grande ou courte, un nez plus étroit ou plus épaté, etc. Les cartes d'identité ont été délivrées sur la base de cette classification, séparant ainsi les Tutsis des Hutus.

Chrétien affirme à ce sujet que « les ethnies furent très vite classées(...) selon leur degré de «beauté«, d' «intelligence«, de «fierté« ou d'organisation politique, les traits culturels, moraux, et physiques devant concourir de façon cohérente à la hiérarchisation des populations »176.

C'est là que le projet colonial dévoile ses contradictions : car, tout en catégorisant les groupes ethniques et donc en différenciant les êtres humains, l'administration coloniale proclame l'universalisme de sa mission. Cet universalisme, dont l'un des principes centraux est l'égalité, est d'autant plus mis à mal que le régime colonial institue juridiquement la ségrégation entre deux catégories de ressortissants de l'empire : les « citoyens » d'une part, qualité reconnue exclusivement aux habitants de la métropole, aux colons, aux juifs d'Afrique du Nord et à ceux des « quatre communes » du Sénégal (Dakar, Gorée, Rufisque et Saint-Louis) pour « services rendus à la France », et les « indigènes » d'autre part, vocable réservé à toutes les autres populations assujetties et privées des droits politiques élémentaires jusqu'à l'abolition du code de l'indigénat en 1946 et la promulgation de la loi-cadre de 1956.

L'on ne terminera pas ce propos, sans évoquer le Gabon, sans une référence, à l'arrêté 305 du 20 mars 1947, dont l'article premier, alinéa I, dispose que « toute demande de concession

176 J.P.Chrétien in Jean-Loup Amselle, Elikia M'Bokolo, op.cit., p. 131.

rurale ou forestière, de permis de coupe, d'exploitation de carrière, déposée par un indigène étranger à la race Pongwè devra obligatoirement être soumise à l'approbation du conseil de la chefferie, avant d'être instruite par l'autorité administrative »177.

Enfin, le fait que l'accès à l'internat scolaire, fit sous la colonisation, exclusivement « réservé aux seuls enfants d'Eurafricains et de Pongwè »178 contribuait à la politique racialiste de la mission coloniale. Il importe tout de même de nuancer la responsabilité de la colonisation dans la mise en exergue du code de l'indigénat, car « si l'initiative coloniale vint du dehors, la mise en oeuvre du projet fut, en très grande partie, une oeuvre commune. »179

Section II : Des frontières naturelles précoloniales à la division coloniale de l'Afrique

On estime que 70 % des frontières africaines, telles qu'on les connaît aujourd'hui furent définies sans concertation avec les populations concernées, entre la conférence de Berlin et la fin de la première décennie du XXe siècle. Si l'on ne peut établir par le biais d'une lecture mécanique les liaisons dangereuses entre ce découpage colonial et les problématiques actuelles, relatives à l'ethnicité en l'Afrique, il n'en reste pas moins vrai que les États africains ont hérité de frontières marquées du sceau des rivalités et des intérêts des anciennes puissances coloniales, outre la division qu'il opère, arbitrairement entre des nations précoloniales.

74

177 In Nze-Nguema, op.cit, p. 58.

178 Ibid.

179 Harris Memel Fotê, cité par A. Mbembe, Les Avatars de l'Etat en Afrique, op.cit. p. 328.

Document 2 : Le partage de l'Afrique180

75

1. La répartition territoriale des populations dans la précolonie

La notion de frontière se lit dans la précolonie à travers notamment le concept de territorialité. En effet, nous avons vu supra que l'organisation sociale était fondée sur les infrastructures familiales, claniques et tribales.

La notion de frontière peut donc se résumer à la propriété foncière en Afrique précoloniale. En effet, « la terre est considérée comme un bien collectif, détenu par une communauté souvent confondue avec un lignage et gérée par son chef, détenteur des droits fonciers et des pouvoirs sacrés qui leur sont associés »181. Ce chef veille à la répartition des parcelles entre les membres du lignage qui en ont l'usufruit ; dans la pratique, la mise en valeur garantit et pérennise les droits d'usage individuels.

L'élément numériquement le plus faible, nous rapporte Le Testu, de la répartition territoriale de la population est le village. Cet auteur définit pour des besoins de précisions, le village comme un « Groupe d'habitations contigües »182.

180 Carte de Philippe Rekacewicz in www.towards.be

181 Roland Pourtier, op.cit.

182 Le Testu, op.cit. p.522.

76

La composition de cette entité organisationnelle précoloniale est hétéroclite. Le village est, en effet, habité par « une famille, ses alliés, leurs enfants, les enfants des soeurs des uns et des autres, leurs clients ou leurs esclaves, et une proportion infime, des étrangers ». Le nombre est une donnée peu pertinente dans la constitution en village.

Le Testu cite en exemple le recensement de la subdivision de Tchibanga, en l'occurrence celui d'un village de six cases avec onze habitants alors que le village Mbegue, dans la subdivision de Ndendé en comptabilisait en 1994, cent cinq183.

La notion de territorialité est d'autant plus pertinente qu'elle réunit l'ensemble des villages habités par des individus de même tribu. La différence entre le village et la terre tient, au-delà de la superficie, à la temporarité du premier et à la stabilité du second184. La tribu, en effet, n'occupe pas tout entière un territoire continu : les groupes qu'elle englobe sont plus ou moins éloignés les uns des autres, en dehors de la filiation du sang, à la manière indigène, les alliances ont pu créer des relations assez étroites, pour réunir, côte à côte, deux rameaux de tribus différentes.

L'usage nominaliste en vogue dans la précolonie renvoie d'ailleurs, pour expliciter la notion de frontière à l'attachement de la propriété à la tribu. Ainsi, dit-on, « la terre des Bouyala, celle des Bayengé »185.

Les alliances permettent une compréhension plus élargit du territoire. En effet, à ce noyau tribal, les alliances amènent des femmes des tribus différentes. « Les enfants qui naitront de ces unions pourront, ou bien retourner chez leurs parents, ou bien rester au pays de leur père et y créer, sur la terre de celui-ci, des groupes à part »186.

Le Testu nous en donne des exemples : « dans la terre des Bouyala, on trouve un groupe de Bassoumba, un groupe, de Mitchimba, un groupe de Dibamba, les uns et les autres fils de Bouyala ; la terre de Mpokou se partage entre Bamouellé, tribu dominante, et les Baghoyo, tribu agrégée, fille de la précédente »187.

183 Ibid.

184 Ibid. p.526.

185 Ibid.

186 Ibid.

187 Ibid.

77

Enfin, pour cerner on ne peut plus mieux la territorialité, il importe in fine d'examiner la notion connexe d'autorité. Dans quelle condition, l'autorité s'exerce à l'intérieur du territoire et comment cette autorité sur un territoire détermine-t-elle la notion de frontière dans la relation aux autres groupes tribaux ?

Le colonialisme a déstabilisé un certain nombre de groupes ethniques en Afrique et cela se fait encore ressentir dans la politique africaine. Avant l'influence européenne, les frontières nationales ne sont pas vraiment un problème, car le territoire d'un groupe ethnique est déjà naturellement défini. L'insistance européenne de tracer des frontières autour des territoires pour les isoler a souvent pour effet de séparer les groupes politiques ou alors de forcer les ennemis traditionnels de vivre côte à côte, sans tampon entre eux. Par exemple, bien que le fleuve Congo semble être une limite géographique naturelle, il y avait des groupes qui vivaient des deux côtés du fleuve mais partageaient une même langue, une même culture ou une autre similitude. Or, la division de la terre s'est faite entre la Belgique et la France, isolant ces groupes les uns des autres.

Avec la colonisation, la notion de propriété privée a introduit une profonde modification du droit. La fiction juridique des « biens vacants et sans maître » a conféré aux États la propriété éminente du sol.

2. La Conférence de Berlin de 1884 à 1885

La Conférence de Berlin de 1884-1885 réglementait la colonisation européenne et le commerce en Afrique au cours de la période du Nouvel Impérialisme, et a coïncidé avec l'émergence soudaine de l'Allemagne en tant que puissance impériale. Pensée par le Portugal et organisée par Otto Von Bismarck, le premier Chancelier de l'Allemagne, la conférence donna lieu à l'Acte générale de la Conférence de Berlin, l'origine d'une vraie bousculade pour l'Afrique. La conférence a marqué le début d'une période d'activité coloniale accrue de la part des puissances européennes, tout en éliminant la plupart des formes actuelles de l'autonomie de l'Afrique et surtout de l'auto-gouvernance.

À la fin du 19ème siècle, les puissances impériales européennes s'étaient entraînées dans une bousculade territoriale importante et occupaient la majeure partie du continent africain, créant ainsi de nombreux Etats-nations coloniaux et ne laissant que deux nations indépendantes

78

: le Libéria, un Etat indépendant en partie contrôlé par les Afro-Américains, et la nation chrétienne orthodoxe d'Ethiopie, connu des Européens comme l'Abyssinie).

Dans les pays qui comptent d'importantes populations européennes comme la Rhodésie (aujourd'hui connue comme le Zimbabwe), l'Angola, la Mozambique, le Kenya et l'Afrique du Sud, les systèmes de citoyenneté de seconde classe ont souvent été mis en place afin de donner aux Européens, le pouvoir politique bien au-delà de leur nombre. Dans l'Etat libre du Congo, propriété personnelle du roi Léopold II de Belgique, la population autochtone a été soumise à des traitements inhumains, avec un statut proche de l'esclavage et un assortiment de travail forcé. Au Libéria, les citoyens qui étaient des descendants d'esclaves américains avaient un système politique qui durant plus de 100 ans a donné aux anciens esclaves et aux indigènes de la région un pouvoir législatif à peu près égale, malgré le fait que les anciens esclaves soient plus nombreux que la population générale.

Les Européens ont souvent modifié l'équilibre du pouvoir local, créé des divisions ethniques où ils n'existaient pas auparavant, et introduit une aliénation culturelle au détriment des indigènes dans les zones qu'ils contrôlaient.

Le continent africain qui compte actuellement une cinquantaine de pays. Or, 87% des frontières de ces Etats ont été décidées à l'époque coloniale, et la plupart ont été dessinées, « à la règle », lors de la conférence de Berlin, en 1885. Seulement un sixième de ces frontières ont pris en compte la configuration ethnique des peuples africains, alors que le continent comprend plus de 200 groupes ethnolinguistiques distincts.

Depuis les indépendances, les frontières ont été sources de conflits. Elles ont séparé des peuples habitués à vivre ensemble, mais ont surtout regroupé des ethnies différentes, dont la cohabitation a engendré des violences comme au Nigeria, au Tchad ou encore au Soudan. Au Gabon, elles ont suscités des tentatives de division ethnique tel que l'extrait qui suit le présente : « La vérité, aujourd'hui, est pourtant limpide. Ce sont les Bongo qui, étant nés Batékés congolais, se sont installés parmi les Batékés du Gabon par imposture. Dès lors, quand les Gabonais disaient à Bongo qu'il n'était pas Gabonais, mais Congolais, Bongo utilisait cela comme une arme ethnique pour faire croire aux Batékés du Gabon que les autres Gabonais les accusaient d'être Congolais. Or, cette stratégie de Bongo était indécente car le Gabon a d'autres ethnies comme les Fangs qui ont des attaches ethniques en Guinée Equatoriale et au Cameroun. Ce n'est pas pour autant qu'on va dire des Fangs du Gabon qu'ils sont

79

Camerounais ou Equato-guinéens. On ne peut pas donc dire que les Batékés du Gabon soient Congolais car les frontières coloniales ont décidé que certains Batékés seraient du Gabon et d'autres du Congo, tout comme certains Fangs sont du Cameroun et d'autres du Gabon.»

Cependant, signalons qu'entre le Gabon et le Congo, qui partagent plus de 1918 Km de frontière (entre le nord-est, l'est, le sud et le sud-est), plusieurs zones, entre autres la zone du Haut-Ogooué (Gabon) et la zone de la Cuvette-Ouest(Congo), restent querellées188. Ainsi, la délimitation définitive de ces frontières aboutira probablement à un redéploiement des populations de ces zones, qui changeraient de facto, de nationalité.

Par ailleurs, le mercredi 28 novembre, à Addis Abeba, la France remettait officiellement à l'Union africaine des copies papiers et numérisées d'archives françaises relatives aux frontières africaines. Les documents remis correspondent à 45 traités, concernant une vingtaine de pays d'Afrique de l'Ouest, du Nord et de l'Est, pour une période allant de 1845 à 1956.

Signalons en passant que cette organisation panafricaine a adopté comme principe depuis sa création que les frontières héritées de la colonisation sont intangibles pour les territoires devenus Etats indépendants. Pour le Programme frontière de l'Union africaine, créé en 2007, les frontières coloniales doivent demeurer intangibles, et qu'il s'agit plutôt de faire du continent africain, un espace d'échanges commerciaux et culturels, où les frontières ne représenteront plus une séparation, mais une zone de partage.

Pour Aguibou Diarrah189 « L'intangibilité des frontières africaine repose sur les archives. Ce sont les frontières héritées de la colonisation. Donc ces archives sont des documents qui permettront de façon certaine à démarquer ces frontières sans créer de problèmes. »190

Jose Elias Mucombo, Directeur de l'Institut National de la Mer et des Frontières de Maputo, au Mozambique ajoute que «Ces frontières font partie de notre identité. Elles ont souvent plus de 60 ans. Pour beaucoup d'Africains ce sont les seules frontières qu'ils ont

188 D.-C. Dzonteu, « Litiges frontaliers Gabon/Congo : vers des solutions définitives », in Politique, sur www.gabonreview.com , publié le samedi 24 octobre 2015 à 1h 16 min. consulté 11/11/2015.

189 Aguibou Diarrah est Responsable du programme frontière de l'Union Africaine.

190 www.rfi.fr/afrique/20131129-archives-frontières-africaines-AddisAbeba , le 29 novembre 2013, consulté le 19/04/2015 à 19h 08.

80

connues. Je ne pense pas qu'il soit possible de les modifier. Cela créerait encore plus de confusion et de problèmes»191.

La récente partition du Soudan représente donc une exception dans la ligne de conduite africaine. Par la même occasion, ce pays devient le laboratoire des partisans des modifications des frontières africaines. Contre la position de l'U.A., certains penseurs africains pensent à un retour aux sources qui intègre les configurations précoloniales. En effet, le paradoxe, c'est que pour intégrer, il faut d'abord séparer clairement les Etats. Il faut définir, dessiner et concrétiser les frontières. «Il n'y a aucun intérêt à insister pour garder les frontières dessinées par les pouvoirs européens. Si un Etat comme le Soudan se met d'accord pacifiquement pour mettre terme à une très longue guerre, je suis d'avis qu'il se sépare. La séparation n'est pas le divorce. Les deux pays peuvent gérer conjointement leur frontière pour assurer leur sécurité et leur développement économique »192, suggère Anthony Asiwaju, Président de l'Institut Régional Africain Imeko de Lagos, au Nigeria.

La lecture de ces positions divergentes illustre les problématiques qui sont souvent liées aux conflits ethniques en Afrique. Un des défis majeurs de l'Afrique subsaharienne consiste à faire cohabiter pacifiquement des ethnies arbitrairement réunies à l'intérieur des frontières des États, créés par les puissances coloniales sans la moindre attention pour le substrat humain.

Le partage de l'Afrique, dans les années qui suivirent la Conférence de Berlin (18841885), a complètement dépossédé les Africains de leur propre destin. Il en est résulté une situation très particulière, dans laquelle le tracé des frontières des États a été réalisé avant la mise en place des institutions administratives destinées à contrôler des populations dont les puissances coloniales ignoraient parfois jusqu'à l'existence.

En outre, il est indéniable que les entités territoriales créées par la colonisation - qui, ne serait-ce que de ce point de vue, a représenté une bifurcation décisive de l'histoire de l'Afrique noire - ont servi de support à l'émergence d'authentiques identités nationales transcendant les appartenances ethniques, auxquelles les compétitions sportives donnent l'occasion de s'exprimer bruyamment dans les stades.

191 Ibid.

192 Ibid.

81

Conclusion de la première partie

Notre quête des propriétés sociohistoriques du discours nationalitaire, objet de la première partie de notre travail de recherche nous a permis, par le biais de la causalité rétrospective, de visiter de façon, on ne peut plus neutre, la réalité empirique du fait ethnique. Dans une double temporalité, nous avons exploré la colonie et la précolonie, en analysant la dynamique du discours nationalitaire.

Primo, dans le chapitre premier, voué à entreprendre une archéologie de l'ethnicité, qui est bien plus qu'une historicité désincarnée, qui longtemps a inhumée la réalité originelle de l'animal politique ; nous avons exhumé donc les archives de l'humanité sociale, pour établir les prolégomènes pour une théorie de l'homo ethnicus, à l'aide des éléments empiriques tels que l'étymologie et la généalogie de la catégorie nation, en établissant ses homologies notamment, avec le concept d'ethnie.

Ensuite, il nous a été donné de rappeler l'universalité des ethnocentrismes, et les usages classificatoires des ethnonymes pour libérer le fait nationalitaire des seules prisons africaines dans lesquelles, certains ethnologues l'ont enfermé jadis, pendant que la pensée africaine peine à s'en émancipé, pour le déférer dans la conscience de l'humanité entière. Freud enseignait que « le premier être humain à avoir décroché à son ennemi une insulte plutôt qu'une flèche est le fondateur de la civilisation »193

Dans le second chapitre, il s'est agi, non pas de dédouaner la colonie de la responsabilité de ses crimes narcissiques et ethnocidaires, mais rétablir les conditions de l'érection des disparités préexistante en réalité substantielle. Si la genèse de l'ethnicité est l'apanage de la précolonie, le manifeste de la colonie en porte des « gènes ». Gène de l'ethnicité en effet, la différence va y revêtir fallacieusement, une essence génétique du fait du darwinisme social. Le darwinisme social qui postule une hiérarchie des races, va servir à légitimer le colonialisme. Non seulement, l'idéologie de la race va bouleverser les fondements précoloniaux de la stratification sociale et des rapports intercommunautaires pour introduire, de manière arbitraire une hiérarchie entre les peuples autochtones. La notion d'« évolué » est d'ailleurs tributaire de ces logiques de dominations. La domination est effectivement l'idée sous-tendue par le

193 S. Freud, « Sur les mécanismes psychiques des phénomènes hystériques » In Gesammelte (OEuvres complètes), S. fisher, tome 19, P.192.

82

colonialisme, donc, l'idéologie de la hiérarchie des races devient une stratégie permettant d'asseoir l'oeuvre colonisatrice.

Gêne ensuite du fait des implications relatives à l'application sur le terrain de cette idéologie, qui va diviser l'Afrique, par le passage des frontières naturelles aux frontières arbitraires de la colonisation lors de la conférence de Berlin, entre 1884 et 1885. La Gêne est aussi celle de la configuration bipolaire des villes coloniales et enfin la création arbitraire des frontières qui vont tantôt séparer des nations, dont les peuples avaient un destin commun, tantôt rapproché d'autres qui s'opposaient farouchement dans la précolonie. La nation moderne tient, de la définition de la société entant que contrat social entre les individus, par opposition à la nation précoloniale qui elle se rapporte plutôt à la famille.

L'assimilation des autochtones garantit leur soumission et le légitime par le biais de l'idéologie la supériorité du colon. Le colonisé, l'évolué croit lui-même à sa supériorité sur les autres et conforte donc celle du colon.

83

Partie II: LA METAMORPHOSE DE LA RACE

84

Le soleil des indépendances ayant émancipé, entre 1946 et 1963 deux tiers du continent africain, voit naître environ vingt et huit nouveaux Etats. Cependant, l'euphorie des lipanda n'a duré que quelques brèves années, et bien vite, l'on dut déchanter. Si quelques pays ont su garder leur équilibre et améliorer leur niveau de vie ou conserver la paix intérieure, tant d'autres se sont heurtés à des obstacles de toutes espèces, sur les plans social, économique et politique. Entre les coups d'Etat militaires, les guerres de sécession, guerres frontalières, ou encore les dictatures et les partis uniques, l'Afrique postcoloniale se trouve déchirée. D'autre part, la misère afflige les populations africaines. L'ensemble de ces faits fragilise la stabilité et la cohésion dans les jeunes Etats africains.

L'Etat menacé donc, son autorité ne s'étend parfois qu'à une fraction du territoire national. L'Etat-nation quant à lui, n'est, dans les consciences des populations, qu'une fiction juridique décontextualisée des réalités intrinsèques du continent. Le peuple ne se reconnait que rarement dans ses gouvernants, car « la plupart des régimes africains évoluent par une sorte de fatalité vers la tyrannie du clan »194. La cohésion interne prônée par N'krumah, par exemple, dans son Afrique doit s'unir, mettait, au-delà des frontières nationales, l'unité Africaine comme substrat de l'émancipation des anciennes colonies vis-à-vis des puissances étrangères195.

Face à ces échecs multiples répétés, plusieurs théoriciens vont tenter d'apporter leur contribution. L'école de La politique par le bas196 s'inscrit dans cette perspective dont l'objet consiste, à comprendre les logiques du pouvoir en Afrique postcoloniale. Les deux premiers textes de la postcolonie de Mbembe, sur « Le commandement », et sur le « Gouvernement privé indirect » dépeignent de façon nette le théâtre postcolonial dont les rôles caricaturent les nouvelles figures de la dialectique colonisateur/colonisée. En effet, pour Mbembe, les violences des gouvernants africains reproduisent les violences coloniales : violence fondatrice par la conquête, violence de légitimation à travers un discours et un vocabulaire à volonté universalisante, violence de permanence par la sédimentation d'innombrables actes et rites dont les plus symptomatiques furent les régimes dits de l'« indigénat »197.

194 J. Ziegler, op.cit. p. 11.

195 N'krumah, L'Afrique doit s'unir, Paris, Payot, 1964, p.231.

196 Cf. J.-F. Bayart, A. Mbembe, C. Toulabor, La politique par le bas en Afrique noire. Contribution à une problématique de la démocratie, Paris, Karthala, 1992.

197Achille Mbembe, De la postcolonie. Essai sur l'imagination politique dans l'Afrique contemporaine. Paris, Karthala, 2000, pp. 42-43.

85

La postcolonie, c'est-à-dire, les « sociétés récemment sorties de l'expérience que fut la colonisation, celle-ci devant être considérée comme une relation de violence par excellence »198, de servitude et de domination n'est pas sans analogie avec la « politique de la chicotte »199 de Bayart avec lequel, ils ont en partage « la politique par le bas ». Le projet de cet ouvrage consiste à en esquisser une définition : cinquante ans après les Indépendances africaines, que reste-t-il de la promesse d'autodétermination des nationalistes? Plus spécifiquement, que reste-t-il des idéaux d'émancipation en regard de l'épreuve généralisée du fratricide, du refus de faire communauté ?

La problématique de l'ethnicité et de ses usages, telle qu'il appert dans ces postulats est un renvoi pur et simple à la colonialité.

Nous situerons notre analyse conformément au concept d'habitus énoncé supra. Dans de très nombreux textes, Bourdieu entend souligner le caractère « générateur » de l'habitus. L'habitus, cette structure structurée prédisposée à fonctionner comme structure structurante, a, en effet, comme propriété d'être à l'origine d'une infinité de pratiques possibles.

Le Gabon indépendant, s'il ne connait pas proprement la montée des particularismes et s'il n'est touché que partiellement par la vague des turbulences des Conférences Nationales ; ils n'en demeurent pas moins, que sa stabilité est tributaire des équilibres ethniques, que les pères fondateurs et leurs successeurs sauront, à bon escient manipulé, stratégiquement, aussi bien pendant le parti unique, que plus tard dans le multipartisme200. Ce n'est pas le cas du Zaïre, telle que le montrait il y a 20 ans déjà, Benoit Verhaegen, dans une analyse décapante du pouvoir despotique de Mobutu201, où il distinguait une succession de cercles concentriques imbriqués, depuis la « clique présidentielle » des proches parents du despote jusqu'à la « confrérie régnante » des membres privilégiés de l'« ethnie » présidentielle et, au-delà, la « grande bourgeoisie potentielle » constituée de « toutes les personnes que leur compétence,

198 Ibidem, pp. 139-140

199 J. F. Bayart, « Hégémonie et coercition en Afrique subsaharienne, La «politique de la chicotte« », in Politique africaine, N°110, juin 2008, pp.123-152.

200 Lire sur les balbutiements de la jeune démocratie gabonaise, F.P. Nze Nguema, L'Etat au Gabon, Le partage institutionnel du pouvoir, op.cit.

201 Benoît Verhaegen, « Impérialisme technologique et bourgeoisie nationale au Zaïre », in C. Coquery-Vidrovitch (dir.), Connaissance du tiers-monde. Approche pluridisciplinaire, Paris, Union générale d'édition/Université Paris 7, 1977, pp. 347-380.

86

leur popularité ou leur fonction désignent comme candidat possible à l'entrée dans la confrérie dont elle constitue la réserve de recrutement »202

Toutefois, la géopolitique dans le contexte du Gabon, que certains perçoivent, à raison, plutôt comme favorable à la prise de conscience ethnique, ne réduira pas effectivement, l'évolution du discours nationalitaire. Les difficultés relatives à la construction d'un ethos national, d'un destin commun à toutes les sensibilités ethniques, depuis les prémices indépendantistes jusqu'à nos jours, ne parviennent que rarement à faire sens dans les consciences des populations, qui se définissent primordialement par l'appartenance ethnique.

Rappelons d'emblée que bien avant l'expansion, « les tribus et les ethnies ne disparaissent pas quand apparaît l'Etat et la plupart des Etats anciens reposaient sur une base polytechnique et polytribale »203. C'est donc la continuité logique, la même dynamique qui fait sens dans l'Etat moderne. C'est pourquoi nous évoquons une métamorphose au sens de Kafka, sans verser dans la littérature pure. Cette référence à Kafka est utilisée ici, par analogie à l'habitus de Bourdieu, dont l'hystérésis et la transposabilité sont des propriétés intrinsèques. La nationalité (ethnicité), à traverser le temps est évidement parvenue à la postcolonie et même à la contemporanéité. Cependant, son expression a quelque peu changé.

En effet, La Métamorphose (Die Verwandlung), nouvelle écrite par Franz Kafka en 1912 et publiée en 1915, décrit la métamorphose de Gregor Samsa, un vendeur qui se réveille un matin transformé en « monstrueux insecte » 204. Il s'agit là, d'une mêmeté, car Gregor demeure Gregor, en dépit de l'apparence nouvelle qu'il arbore.

Le propos qui suit, tentera d'en donner les explications théoriques, au regard des manifestations empiriques du discours nationalitaire dans la période précoloniale. Nous montrerons comment les habitus ethniques, qui font sens depuis la précolonie, résiste au modèle jacobin de l'Etat et sa centralité. Le détour que nous avons opéré sur la socio-archéologie du fait ethnique, nous servira de comprendre le discours postcolonial et contemporain.

202 A. Mbembe, op.cit. pp. 374-375

203 Matsiegui-Mboula, op.cit.

204 Franz Kafka (trad. de l'allemand par Claude David, préf. Claude David), La Métamorphose, Paris, Gallimard, coll. « Folio Classique » (no 5882), 2015, p. 30.

87

Chapitre III : Entre nationalisme et le multiculturalisme.

Le colonialisme entant qu'entreprise ethnocentriste s'accompagne de l'imposition de l'État moderne. Cet Etat doit à son tour, nécessairement procéder à la fabrication d'une identité nationale et donc par l'homogénéisation, fût-ce par la contrainte symbolique ou physique, de l'hétérogénéité et des configurations complexes des sociétés africaines.

Or, la différence étant une donnée indubitable et l'ethnicité préexistant la colonialité, il devient donc logique que les populations africaines n'entendent subir passivement ce processus. Elles y résisteront et opposeront pour cela différentes attitudes face à l'État. « Certaines, notamment dans les sociétés islamiques d'Afrique de l'Ouest, mettront en oeuvre des stratégies dites « exit options », consistant à se soustraire à sa domination, en se ménageant des espaces d'autonomie, voire en se constituant en contre-sociétés. D'autres, comme les Kikuyu au Kenya, joueront au contraire la carte de l'ethnicité comme mode d'accès à l'État et à ses richesses »205.

C'est donc ce contexte de forte détermination du fait ethnique que l'Etat moderne doit se construire, en fédérant donc la pluralité ethnique et tout en reproduisant, la hiérarchie entre les peuples, jadis établit par le racialisme.

Au-delà donc de la morphologie ou des modalités de leur expression, l'intelligibilité des mobilisations ethniques se saisit par le concept d'opposition, opposition à l'État, centre politique s'identifiant à la nation homogénéisante. Réfraction, en effet, les acteurs se définissent toujours en référence à cet héritage qu'imbrique, l'essence même de la distinction dans la précolonie et l'expérience coloniale de la hiérarchie des races.

Pour penser cette durabilité des dispositions, Bourdieu introduit le concept d'hystérésis de l'habitus. Ce concept cherche à désigner le phénomène par lequel un agent, qui a été socialisé dans un certain monde social, en conserve, dans une large mesure, les dispositions, même si elles sont devenues inadaptées suite par exemple à une évolution historique (révolutions, crises, etc.) ayant fait disparaître ce monde.

Un exemple, souvent repris, bien que se référant à un personnage de roman, permet d'illustrer ce phénomène : celui de Don Quichotte. Chevalier dans un monde où il n'y a plus de

205 René Otayek, op.cit.p.3.

88

chevalerie, et inapte à faire face à l'effondrement de son univers, il en vient à chasser les moulins à vent qu'il prend pour d'immenses tyrans.

Ainsi, le passage de l'État colonial à l'État postcolonial ne marque aucune rupture en la matière. Certes, l'heure est à la construction de la nation, objectif proclamé des élites qui héritent des rênes du pouvoir. La stigmatisation du tribalisme associée à la délégitimation des appartenances ethniques est au coeur de la rhétorique politique officielle totalement vouée à l'exaltation de l'unité nationale et du développement. Les Pères de la « nation », conscient « peut-être », de l'illusion identitaire vont tenter, diront-nous, de placer la confrontation politique « exclusivement au niveau des idées »206, et « tourner le dos, à la violence physique aux luttes tribales et claniques »207.

Relativisant ce propos que nous tenons d'une oraison funèbre, pour montrer les luttes, non sans ethnicité qui vont aboutir à la construction d'une communauté de destin par les Pères de la Nation, car ne dit-on pas en pays Bantu, « le mort n'est jamais mauvais »208.

La compétition pour le pouvoir s'en trouve donc exacerbée et la mobilisation ethnique s'avère être l'instrument privilégié des acteurs engagés dans cette lutte, parce qu'elle fait sens, qu'elle est opérationnelle et facilement manipulable.

Si nous avons remarquées les homologies structurales entre les concepts ethnie et nation entre autres, nous devons être en mesure de distinguer dès lors, malgré l'aspect tautologique, l'« ethnonation », avec le sens de micronations ou des nationalités mises en exergue par Nze-Nguema ; de la « nation moderne » ou de l'Etat-nation, même si nous voulons nous éloigner de la conception d'un Etat-nation, selon les théories de Renan, car le recoupement de l'État et de la nation est loin de correspondre à la réalité. Les États regroupent souvent plusieurs nations et une nation peut relever de plusieurs États.

Allons-en, à la définition de la nation proposée par Renan : « Une nation est une âme, un principe spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n'en font qu'une, constituent cette âme, ce principe spirituel. L'une est dans le passé, l'autre dans le présent. L'une est la possession en

206 V.P. Nyonda, « Oraison funèbre à Jean Hilaire Aubame » in F.P. Nze Nguema, op.cit, p. 222.

207 Ibid.

208 Sagesse Punu, mais commune à plusieurs peuples Bantu. D'ordre éthique, il s'agit à travers ce dicton de se garder de rappeler les vices d'un défunt, et vice-versa, d'en évoquer exclusivement les valeurs. La démarche sociologique implique de relativiser cet énoncé de l'oraison funèbre dédié à J.H.Aubame pour analyser proprement les faits, quitte à le valider dans nos conclusions.

89

commun d'un riche legs de souvenirs ; l'autre est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis. » 209

De l'analyse de l'assertion de Renan, on peut déduire, dans le contexte africain et gabonais, les deux types de nation que nous évoquions supra. Et la nation ethnique ou ethnonation dont la référence principale peut être rattaché à la notion de communauté chez Tönnies ; et la nation moderne qui elle, est une référence à la philosophie du contrat social.

Poursuivons : « ...La nation comme l'individu, est l'aboutissement d'un long passé d'efforts, de sacrifices et de dénouements (...). Une nation est donc une grande solidarité, constituée par le sentiment des sacrifices qu'on a faits et de ceux qu'on est disposé à faire encore. »210.

Or, « la manipulation du sentiment ethnique, nous dit Otayek, est possible du fait de l'existence d'un récit identitaire qui fonde l'unité du groupe ethnique, en façonne la mémoire collective en reliant le passé au présent et confère à l'identité revendiquée, la légitimité de la longue durée historique. Ce récit raconte le mythe des origines, la geste des héros fondateurs et décline les symboles, rituels et pratiques collectives qui distinguent le groupe des autres. Sa fabrication ou plutôt, sa réinvention passe par le recours à la tradition. Peu importe que cette tradition réinventée, bricolée, manipulée corresponde ou non à la vérité historique ; l'essentiel est qu'elle en présente toutes les apparences et s'impose comme l'unique régime de vérité »211.

Comment saisir, dès lors, les corrélations entre les nations ethniques, multiples sans cette historicité commune évoquée supra et la Nation moderne du contrat social, à pourvoir d'un destin commun ?

L'argumentaire qui suit, tente de cerner les corrélations entre les nationalités au sein de l'Etat postcolonial, leurs ambigüités dans la nouvelle configuration de l'organisation politique, ensemble, qui démontre des balbutiements, « errements » avons-nous dit, d'un jeune Etat qui doit contre son gré, compter avec sa pluralité nationalitaire, pour construire une communauté de destin.

209 Ernest Renan, Qu'est-ce qu'une nation ? Editions Mille et une nuits, novembre 1997, n°178, pp.31-33.

210 Idem.

211 R. Otayek, op.cit.

Section I : Une citoyenneté improbable

Des nationalités, c'est-à-dire des micronations ou encore de l'ethnonationalisme, le Gabon doit passer à la gabonité, à la Nation moderne ou à l'Etat, qui confère aux acteurs le statut de citoyen. Evoquer la citoyenneté dans le Gabon postcolonial consiste à décrire le processus de la construction de l'Etat au Gabon. Cet Etat est en effet une construction, dont le présent, doit composer avec le passé pour son futur.

Entre l'hétérogénéité inhérente à la précolonie et la raciologie du colonialisme, mettant tour à tour, les différences au coeur souvent des relations de pouvoir, les micronations doivent se moderniser pour former, à la manière du modèle jacobin, une Nation. Cependant, nous avons énoncé supra, que la mutation des organisations sociales précoloniales, si l'on nous permet ce distinguo, en organisation politique à travers notamment les royautés et les empires, n'ont pas freiné la conscience d'appartenance tribale. A contrario, ces superstructures seront une raison de se remémorer les infrastructures communautaires, en développant quelques formes, diront-nous primaires, de tribalisme, dont l'intelligibilité mettra parfois, au centre des querelles, les privilèges (terre, pouvoir, etc.)

Des questions subsistent alors : « Gabon d'abord », tiers, symbolisant cette modernité nationalitaire fait-il sens, à l'aube de l'Etat postcolonial ? Les nationalités multiples présentes sur le territoire dit Gabon se reconnaissent-ils en l'autorité de l'Etat ? Sur quel substrat construire une communauté de destin ? Enfin, qui doit gouverner ce jeune Etat ?

Cette nouvelle donne met à contribution, comme le remarque Nze-Nguema trois protagonistes : l'administration coloniale, les populations gabonaises et les ressortissants africains212. La section suivante tente de mettre en lumière, les complicités perverses entre la racialité coloniale, le retour aux formations sociales précoloniales et leur reproduction dans l'Etat postcolonial.

90

212 Nze-Nguema, op.cit. p.64.

91

1. L'intégration des nationalités et la construction de l'Etat

La construction de l'Etat au Gabon eut d'abord à faire face à l'intégration des nationalités. Or, cette construction aboutit à la dissolution du multiple dans l'Un. Qu'en est-il la formation de l'esprit étatique ? Il est, par essence, la mise en jeu d'une force centripète, laquelle tend, lorsque les circonstances l'exigent, à écraser les forces centrifuges inverses. L'État se veut et se proclame le centre de la société, le tout du corps social, le maître absolu des divers organes de ce corps. On découvre ainsi, au coeur même de la substance de l'État, la puissance agissante de l'un, la vocation de refus du multiple, la crainte et l'horreur de la différence. À ce niveau formel où nous nous situons actuellement, on constate que la pratique ethnocidaire et la machine étatique fonctionnent de la même manière et produisent les mêmes effets : sous les espèces hérités de la civilisation occidentale et son État se décèlent toujours la volonté de réduction de la différence et l'altérité, le sens et le goût de l'identique et de l'un.

Comment, dès lors faire entorse aux canons précoloniaux d'organisation politique, pour embrasser la modernité démocratique ; alors que « nombre de nationalités au Gabon ne reconnaissent de prééminence véritable qu'au géniteur, au père, au sens large »213 et ce, du fait de sa double médiation, en tant qu'il est « représentant de la communauté lignagère et l'intermédiaire entre celle-ci et les ancêtres »214 ?

Nze-Nguema remarque en effet, qu' « avant le XIXème siècle, on ne fait mention nulle part au Gabon d'une quelconque organisation politique ou administrative susceptible de préparer l'édification de l'Etat »215. L'aspect proprement centralisateur de cette machine étatique apparaît dans sa tendance à « nationaliser » les populations hétérogènes conquises et soumises au Léviathan, en les contraignant à célébrer en priorité le culte du « Gabon d'abord ».

Aussi, cette construction ne se heurte-t-elle pas enfin, du fait de la nécessité, de la « transmutation de la contestation contre l'ordre colonial »216, dont l'aboutissement devrait, normalement, intégrer le « Gabon d'abord » à un « nationalisme de substitution217 ».

213 Ibid. p.47.

214 Ibid.

215 Ibid. p. 55.

216 Ibidem, p.56

217 Ibidem, p. 61.

92

L'assimilation qui traduit cette transmutation institutionnalise les partis politiques. Ces derniers ne vont pas se dérober de la tyrannie du clan. Les « dérobades » nous enseignaient déjà, les difficultés des coalitions entre les races, dans leur réaction à l'ordre colonial. En effet, celle-ci se caractérisaient par l'affirmation d'une conscience d'appartenance groupale voire clanique. « La volonté de protéger sa nationalité l'emporte, affirme Nze-Nguema, sur la nécessité de fusionner les énergies de lutte au niveau de tout le territoire »218.

Ainsi, « La mise en forme idéologique des projets », va arborer la centralité de l'Etat, notamment avec les rivalités inter-nationalitaires Pongwè-Fang, caractéristiques, en réalité d'un « nationalisme de substitution »219.

Les élites, traditionnelles ou modernes et, par ailleurs « évolués » ont les compétences nécessaires à la fabrication du récit ethnique ; ce sont donc elles, ayant entretenues des liaisons avec l'administration coloniale, qui s'imposeront comme entrepreneurs identitaires autorisés et mettront le fait ethnique au service de leurs stratégies d'accès au pouvoir et aux richesses. Il va s'agir, dans cet élan, du rejet des structures homogénéisantes de la colonialité. En réaction au « comité provisoire de gérance » de la race, Pongwè, la « société de secours mutuel pour la race Fang » va naître, car ces derniers, « n'acceptent, n'accepterons jamais d'être commandé par les premiers »220.

En marge de l'idéologie des Pères fondateurs dont les prétentions se donne pour mission de construire la nation, leurs actions, sont paradoxalement investi par les logiques ethniques. Et si, le parti unique trouve une justification entre autres, par sa présentation comme l'instrument nécessaire à l'accomplissement de la cohésion nationale, sa réalité, du fait de l'autorité que l'Etat revêt devient, lui-même, le répertoire d'action privilégié de l'ethnicité.

La lutte supposée contre l'ethnisme et le tribalisme est alors, dans un contexte de lutte pour le pouvoir, « le prétexte à la marginalisation ou, pire, à l'élimination de concurrents qui présentent une menace pour l'hégémonie du ou des groupes dominants » 221.

L'illustration patente est le cas de la République centrafricaine où la succession de chefs d'État (Jean Bedel Bokassa [1966-1979], David Dacko [1960-1966 puis 1979-1981], André Kolingba [1981-1993], Ange-Félix Patassé [1993-2003], le général Bozizé jusqu'en

218 Ibidem. P. 44.

219 Ibidem. p.56.

220 Ibidem. P.57

221 R. Otayek, op.cit. p.4.

93

2012 et les récentes mutations ; s'est régulièrement traduite par la mainmise sur l'État du groupe ethnique ou du clan de celui qui était au pouvoir. « La frontière...la région stratifiée et surdéterminé de l'adhérence » va être, l'idéologie via lequel, « le sujet collectif considère à tort ou à raison comme zone stratégique où se joue son destin »222.

2. « Gabon d'abord » ou le manifeste politique des Pères de la Nation

« Pour nous c'était Gabon d'abord ; et parce que pour nous c'était d'abord le Gabon ». V.P. Nyonda.

Au-delà des réalités « logiquement » ethniques de la configuration des comportements politiques des acteurs postcoloniaux, engagés dans la construction de l'Etat, il est important de signaler toutefois, qu'ils avaient, en partage la volonté d'un idéal commun. En effet, « Léon Mba était Gabon d'abord. Pour lui, le Gabon était Un, en dépit de sa pluralité ethnique, au-delà des ethnies qui sont une création divine. C'est l'univers dans sa diversité », nous dit Mouity-Nzamba. Cette reprise recontextualisée de la « doctrine de Monroe » de 1823, devait établir la fibre patriotique chez les Gabonais.

Guy Hermet, relativement aux sociétés occidentales, se réfère à l'histoire, pour rappeler que « l'émergence d'une conscience citoyenne quelque peu cohérente leur a demandé beaucoup de temps »223. Jürgen Habermas affirme que la nation prend une connotation contractuelle ou politique avec la Révolution Française224. Le Gabon ne fera pas exception à la règle. Faire sens, d'une nation gabonaise, dans les consciences des peuples différenciés est donc le défi majeur de l'Etat postcolonial.

Ainsi, « progressivement, le danger commun encouru apportera la nécessité d'un élargissement des alliances au-delà du seul clan, de la cellule ethnique »225. Si toutefois cette assertion vaut plus pour la période coloniale que pour le Gabon postcolonial, il n'en demeure pas moins qu'elle aboutira au « Gabon d'abord », leitmotiv du nouveau nationalisme des Fondateurs. Sur quel substrat « Gabon d'abord » se bâtit-il ?

C'est l'occasion de signaler, comment les dérives interprétatives de « Gabon d'abord », vont occasionnées, son usage à des fins xénophobes, exempli grati, et reproduire donc les

222 Idem.

223 Guy Hermet, Culture et démocratie, Paris, UNESCO, Albin Michel, 1993, p.193.

224 Habermas, cité par F. Matsiegui Mboula, op.cit. p.200.

225 Nze-Nguema, op.cit.p.46.

94

schèmes racialistes de la pensée coloniales226, puisque « la fixation de ce symbolisme, supposera l'éradication, entre autres « fléaux », de la présence au Gabon des Africains de la sous-région, voire au-delà »227.

La construction d'un idéal commun reproduit, les discriminations, la pureté et l'hégémonie de la nouvelle race gabonaise, nationalisme qui se fonde dans la différenciation avec l'altérité et la distinction du « nous » : « Nous devons résister aux intrigues de Brazzaville, surtout en ce qui concerne le problème de l'éducation. Nous sommes les descendants de ceux qui ont permis à la France d'obtenir le Moyen- Congo. Notre développement ne saurait être retardé ; nous devons progresser comme tout le monde »228.

L'addition, celle de la devise « Union-Travail-Justice », qui adviendra plus tard va sceller, non seulement le pacte d'association de la diversité culturelles et nationalitaires gabonaises à un imaginaire qui essentialise le destin commun à cette unité nouvelle, mais aussi le pacte de soumission à une tyrannie de la nouvelle race ainsi créée.

Si plusieurs avancés, dont l'éducation, du fait de cette gabonisation, avec le nombre d'école par rapport à Brazzaville déjà significatif en 1893229, sont à relever; les évènements sanglants opposant, à Port-Gentil, Gabonais et Togolais en 1953, sont la conséquence de ce nationalisme de substitution des schèmes claniques précoloniales, des idées reçues de la race coloniale, par une réinvention de celles-ci, une invention de la «xénophobie ».

Une substitution de l'idéologie raciste du colonialisme sur les Nègres (les Gabonais remplacent dans un jeu de rôle les colons et les « étrangers » deviennent les Nègres de la postcolonie), fait sens dans les consciences, pour la construction d'un destin commun. L'inconsistance, la vanité du « Gabon d'abord » se trouve ainsi renforcée par le substrat idéologico-racialiste, a contrario de ce que lui confèrent, les Pères fondateurs.

Cette idéologie pourvoit, par ailleurs, la construction de l'Etat au Gabon, d'une illusion communautaire permettant aux acteurs de surseoir, autant que faire se peut, les querelles intestines qui vont revoir le jour, une fois, les consciences seront imprégnées de ce substrat.

226 Nous disions plus haut que le racisme est un extrémisme de la nationalité.

227 Nze-Nguema, op.cit. p.62.

228 Idem.

229 Idem.

95

L'ambiguïté d'une définition et les interprétations populaires et stratégiques, car parfois, relevant de manipulation, vont asseoir l'illusion identitaire, créant l'imbroglio ethnique.

Section II : Le nationalitarisme et la lutte pour le pouvoir d'Etat

Le nationalitarisme est au coeur de la structuration idéologique des clivages dès la mise en modernité du Gabon. L'étape préliminaire d'une construction nationale sur les bases racistes va aussi pourvoir les fondements idéologiques des partis politiques dans la lutte pour le pouvoir d'Etat.

L'identité non plus gabonaise, est promue, en guise d'idéologie sous le prisme des joutes électorales. La promotion de la différence du « nous », en référence à l'altérité supposée en opposition avec ce « nous » constitue le substrat des clivages entre les partis politiques. Custodio Gonçalves affirmait en 1986, que la solidarité ethnique continue de jouer en Afrique dans tous les milieux « modernes » et « semi modernisés », au niveau de la composition des partis politiques, des nominations au sein du secteur administratif, du secteur des services, du commerce, etc.230. Nous nommerons, ce recours à la fibre ethnique pour les enjeux de pouvoir, l'ethnostratégie.

L'ethnostratégie peut être, à notre sens définit, comme une stratégie identitaire recroquevillée sur le groupe ethnique entant qu'entité d'abord différente des autres qui constitue, avec lui, son univers social et ensuite, dans son rapport au pouvoir, une ressource pour la mobilisation politique. L'ethnostratégie se situe dans une spirale d'affinités avec les théories multiculturalistes, mettant sans cesse en crise, les démocraties.

Fille des théories multiculturalistes qui postulent que l'Etat, le droit et les politiques publiques, s'ils se veulent véritablement démocratiques et équitables, doivent aller au-delà de la neutralité, de la tolérance et de l'impartialité libérale usuelle, afin de promouvoir activement la reconnaissance et la célébration des différences. Ces théories sont souvent sous-tendues par deux types d'arguments :

Le premier argument est philosophique et Charles Taylor en est le principal tenant. Il soutient que contrairement à ce qu'assume un libéralisme « désincarné », prétendant s'appuyer

230 A.C. Gonçalves, « Différences culturelles et identités ethniques », Revista da Faculdade de letras-geografia, I Série, Vol. I, Porto, 1986, p. 46.

96

sur la seule raison pour rejoindre l'universel, notre identité personnelle ne se construit qu'au sein de communautés et de relations communautaires. D'où, la nécessité de les prendre en compte, de les reconnaitre et de les protéger.

Le second, d'ordre éthique, soutient que l'acceptation des différences singulière est d'autant plus souhaitable qu'il serait logiquement impossible de faire autrement. Chaque groupe épouserait des valeurs et des pratiques valables de son point de vue et il n'existerait pas de point de vue permettant de juger de la supériorité et/ou de l'infériorité de telles ou telles valeurs ou pratiques culturelles.

Si l'on peut reconnaitre la morale de ces théories érigées en réaction contre l'évolutionnisme social en l'occurrence, il faut signaler aussi que la mise en pratique de telles analyses, on conduit non seulement à la reconnaissance des droits culturels, mais aussi et encore à l'idée de citoyenneté différenciée et à la reconnaissance des droits à des groupes et pas seulement aux individus. Par exemple, son application relative à l'aménagement des politiques publiques sur les minorités tendent à corroborer implicitement, en réactualisant la dialectique supériorité/infériorité de certains groupes par rapport à d'autres. Aussi, les conflits identitaires observés urbi et orbi, présentent sans doute le revers de ces politiques.

Quelques critiques méritent encore d'être soulignées. Contre la thèse philosophique, on rappellera, tout en admettant la part de vérité qu'elle contient, l'individu ne se réduit pas à une seule appartenance. Les identités sont « caractérisées par l'hétérogénéité et la fluidité : chaque individu apparait doté de plusieurs qui agiront de manière différenciée en fonction des contextes »231.

Aussi, la seconde thèse déboucherait sur des terribles relativismes, tout à fait dans l'esprit du temps, mais fort contestables : relativisme de la vérité, des valeurs. La définition sous-jacente qu'on peut alors donner à l'Etat multiculturel se résume, comme une collectivité supérieure à celles qui le compose. Par ailleurs, elle s'interdirait, elle-même d'imposer le droit, qui d'après tout n'est qu'une forme de culture. Raymond Boudon érigera alors à l'endroit du relativisme des valeurs une critique des plus élémentaires : si la tolérance est une valeur, elle ne peut pas être remise en cause par sa propre conséquence, c'est-à-dire, tolérer l'intolérance.

231 M. Gazibo et C. Thiriot, La politique en Afrique : états des débats et pistes de recherche, Paris, Karthala, p.110.

97

En Afrique, plusieurs crises politiques ont mis au jour des conflits du fait souvent de l'ethnostratégie. La difficulté d'élaborer une identité fondée sur un bagage commun est une problématique qui menace les jeunes démocraties africaines postcoloniales. L'adhésion des citoyens issus d'espaces culturels différents à un patriotisme semble se présenter comme une épineuse question.

Le Gabon, n'est pas exempt des manifestations subséquentes aux comportements politiques ethnostratégiques. Un enquêté observe, à ce propos « un certain repli identitaire du côté des leaders politiques au sein de leurs formations politiques respectives ».

Les partis politiques et la géopolitique du pluralisme culturel, entant qu'usages de ethnostratégiques font l'objet de cette section.

1. Les partis politiques et la tyrannie du clan

La sociologie des partis politiques en Afrique est un cadre pertinent pour saisir l'intelligibilité du discours nationalitaire. En effet, les partis politiques au Gabon se fondent sur l'ethnostratégie, faisant de la nationalité, le substrat idéologique sur laquelle repose l'adhésion des membres et ce ; depuis la mise en modernité du continent par son contact avec la « civilisation ».

La clientèle électorale est, par une relation de causalité directe, rattachée à la gestation des partis politique au Gabon. Le marché de l'économie politique moderne consacre les échanges entre confiance d'une part et promesse d'autre part.

La confiance, dans cette économie politique, peut-elle être faite en dehors du clan? Considérons que « la principale catégorie historique, n'est pas le souvenir, c'est l'espoir, c'est l'attente, la promesse »232, que peut contenir une promesse, sinon la gloire, voire le retour à l'histoire glorieux ou la défense des intérêts de la communauté.

Les lieux lignagers vont sans ambages, servir de réservoir, de matière première pour la ressource humaine des partis, la mobilisation partisane, la structuration des représentations et des comportements politiques. Le leader politique au Gabon est une reproduction, de l'évolué jadis chef coutumier ou commis de l'administration coloniale. « Parmi les « indigènes », on fait

232 Hegel, cité par Nze-Nguema, op.cit. p.45.

98

des « sujets » et parmi les « sujets », on fait, d'une fraction, des « citoyens », une élite-ce qu'on a appelé les « évolués » par opposition aux « immobiles ». Ce sont ces citoyens qui, à leur tour, vont prendre un héritage : l'Etat colonial. »233

La mise en modernité politique du Gabon se fait autour de trois partis. En effet, par ordre de création, l'on citera primo, l'Union Démocratique et Sociale du Gabon(UDSG) créé en 1947 par J.H. Aubame. Le rassemblement, la promotion des principes démocratiques et l'idéal socialiste se veulent au fondement de cette formation politique. Or, il n'est en réalité pas exempt de la tyrannie du clan, du fait qu'il est assimilé à un parti de la race Fang. D'ailleurs, son leader ne s'émancipera jamais du Congrès Pahouin de 1947 à Mitzic.

Ensuite, le Bloc Démocratique Gabonais fondé en 1953 Ngoudjout est de loin, le seul parti qui regroupe plusieurs sensibilités ethniques. En effet, son urbanité étend sa « clientèle », de Libreville jusqu'à Port-Gentil, en passant par le Moyen-Ogooué. Il regroupe, les non seulement les Fang du Sud (Estuaire et Moyen Ogooué), mais aussi, les Myènè qui se reconnaissent plus ou moins en Léon Mba. Son brassage et son « melting-pot » inter-ethniques, lui confère a priori, une tendance au multipartisme, à l'esprit critique, etc. à un ensemble de facteurs en marge de l'ethnie234.

Enfin, le Parti de l'Union Nationale (PUNGA) de R.P. Sousatte est fondé en 1958. En dépit de ce que conclurait une analyse purement nominaliste, il s'agit plutôt pour le PUNGA de la défense des intérêts de la race Punu et par extension, aux peuples du Sud. S'il s'illustre en l'occurrence, par son opposition lors du référendum organisé par De Gaule en 1958, il n'en demeure pas moins que le PUNGA est relégué au statut d'un « parti d'appoint »235.

En réalité le poids de l'identité ethnique sur les partis et sur l'échiquier politique nationale renvoi particulièrement à l'interface Pongwè-Fang. Bipolarisation d'antan, réactualisée à travers l'opposition BDG-UDSG. Si c'est plus « le racisme que la conscience »236 qui détermine le scrutin du 31 mars 1957, c'est Léon Mba, qui est confirmé comme leader du BDG et de la scène politique locale. C'est à son profit, que les faiblesses de l'ethnostratégie dont la consistance, trouve l'appui au sein principalement de la tribu des candidats (Aubame et Issembe) que les suffrages seront capitalisés.

233GEMDEV, op.cit. p. 326. 234Nze-Nguema, op.cit. , p. 67.

235 Idem.

236 Nze-Nguema, op.cit. p.69.

99

Cette élection est une révolte à l'ordre coloniale, principal théoricien de la supériorité des Pongwè, mais aussi, révolution contre une science qui établit la parenté de l'Egypte pharaonique avec la race Fang, la dotant ainsi, d'une supériorité idéologique sur les autres peuples237. Memêl Fotê évoque, à propos de ce suffrage universel, « un moment de rupture » qui engage « la Loi-Cadre dans le système colonial français »238. Le melting-pot du BDG garantit donc son succès. C'est l'ancêtre du Parti Démocratique Gabonais (PDG) contemporain.

L'émergence du PDG s'opère en 1967, à l'aube du décès de Léon Mba. Une transition pacifique voit arriver, à la tête du Gabon, Albert Bernard Bongo. Cette période est aussi marqué par la législation du monopartisme qui va cesser d'être le monopartisme de fait, tel qu'observé après le coup d'Etat ourdi contre Léon Mba quelques années plus tôt. Pour Emmanuelle Nguema-Minko, « en dehors du PDG qui a toujours affirmé son envergure sur le plan national, les militants de tous les autres partis sont généralement de la même famille, du même clan, de la même ethnie que leur leader politique »239.

La contemporanéité des partis politiques au Gabon reproduit l'ethnisme dans son action. Harris Memêl Fotê questionnait déjà le lien entre les « évolués » et la reproduction de l'assujettissement après les indépendances. « Ceux qui dans le système colonial, étaient déjà « citoyens » s'opposent désormais aux « évolués citoyens » ; les deux catégories s'opposent aux autres « sujets », aux « indigènes ». Le spécimen ici, c'est Senghor, c'est Houphouët-Boigny. Ils s'approprient tout l'héritage de cette période, à travers les partis dominants ou les partis uniques. Alors en même temps se met en place un autre processus : en même temps que le parti unique confisque les avantages de la période protodémocratique, se met en place une hiérarchie interne fondée sur la suprématie d'une ethnie »240.

L'énumération de Nguema Minko nous semble illustrative de la « tribalisation des partis politiques au Gabon. Le MORENA, le premier parti de l'opposition gabonaise, comptent comme principaux leaders, des acteurs de nationalité Fang. A la suite d'un malentendu « idéologico-financier » selon Nguema-Minko, une scission sera opérée dans le parti, pour donner naissance à plusieurs autres partis. M. Mebalé crée le RDR pour son voisinage ; A. Nguema Ondo crée le MORENA Unioniste, pour sa famille, Nzoghe-Nguema crée le

237 Nze-Nguema, op.cit.

238 GEMDEV, op.cit.

239 E. Nguema Minko, « La géopolitique du pluralisme culturel au Gabon : stratégies de longévité au pouvoir et techniques gouvernantes clientélistes », in Enjeux, N° 37, 4ème trimestre 2008, p. 249.

240 Idem.

100

MORENA calebasse « pour son quartier Lalala » et Nze Memine hérite de son Bitam et du MORENA originel à la mort d'Oyono Aba'a241.

Le Rassemblement National des Bûcherons(RNB), de Mba Abessole et d'André kombila, va se diviser au prorata des leaders et de leurs ethnies. Respectivement Rassemblement Pour le Gabon(RPG) pour l'électorat fang et Rassemblement National des Bûcherons Démocrates (RNBD) pour l'électorat punu et bilop. D'autres partis, le PGP et L'UPG et le PSD en l'occurrence, ne sont pas exempt de la tyrannie du clan242.

Les élections au Gabon donnent généralement lieu à des invocations et convocations de l'identité ethnique dans les discours des candidats. Rappelons-nous qu'en 1994, au pire moment de la crise sociopolitique au Gabon, Jean-Boniface Asselé, Ministre de la République gabonaise appellera à la création d'une « république du Haut-Ogooué-Lolo ». Trouvons par ailleurs, chez Matsiegui Mboula un exemple idéal-typique du discours nationalitaire.

Il s'agit d'un Ministre de la République, Louis Gaston Mayila qui présente son parti en 1996 aux élections législatives et locales. « (...) Vous les Gisir êtes ingrats ! Les Punu, les Fang, les Myénè, les Kota... ont leur(s) parti(s) politiques et moi j'ai créé un parti politique qui a pour ambition de rassembler tous les Gisir afin de restaurer le crédit et la dignité de notre groupe tribal dans la vie politique gabonaise. Je suis le seul Gisir qui porte la voie de notre tribu sur le plan politique national. Sans moi le peuple Gisir sombrerait dans l'anonymat et les autres groupes tribaux ou ethniques à qui nous n'avons rien à envier nous domineraient. Je vais rendre au peuple Gisir les honneurs qui lui reviennent de droit. Lorsqu'en 1995 vos enfants furent interpellés c'est moi qui les sortis de prison. Et au lieu d'être des prisonniers à cause des émeutes dont ils furent acteurs, je fis d'eux des fonctionnaires de police. Soyez reconnaissants et à ce titre je vous demande d'installer à la tête de vos institutions politiques des représentants de mon, de votre parti. Si vous laissez d'autres partis politiques, entités d'autres ethnies, diriger l'Assemblée départementale en territoire Gisir vous aurez vendu Mandji aux étrangers ! Votez pour le candidat de notre parti et Mandji restera aux mains des Gisir (...) »243

Entre 2009 et nos jours, plusieurs évènements, plus récents que l'on peut lire sous le prisme du discours nationalitaire vont se produire. Et si l'on s'en tient à la configuration des

241 Nguema Minko, op.cit.

242 Ibid.

243 Louis Gaston Mayila, cité par Matsiegui Mboula, op.cit. p.233.

101

résultats de l'élection présidentielle d'août 2009, on peut conclure d'un vote ethno-orienté. D'après le commentaire de cet enquêté, publié sur la plateforme participative du média en ligne Gabon review, « Pour la plupart, les Fangs étaient derrière Mba Obame parce qu'il est Fang, il ne faut pas le nier, les Mériés étaient derrière Mamboundou parce qu'il est Mérié, au Haut-Ogooué et Ogooué-Lolo, c'est Ali Ben qui garantissait la conservation des privilèges de vote ».

Désiré Ename, un journaliste du quotidien Echos du Nord rapporte que la campagne présidentielle qui s'ouvrit le 15 août 2009 fut émaillée d'actes tribalistes dans les provinces du Haut-Ogooué et de l'Ogooué-Lolo. « Un cadre altogovéen passera sur les antennes de la télévision publique pour déclarer ouvertement qu'aucun candidat fang ne devait mettre les pieds dans le Haut-Ogooué. En Ogooué-Lolo, précisément dans les communes de Koula-Moutou et de Lastourville(...), des banderoles portant le message «Tout sauf Fang (TSF) « » étaient clairement visibles dans les principales artères (des deux villes)»244.

Signalons en passant que le journal Echos du Nord porte comme par enchantement et par hasard, l'empreinte d'une région, province et par extension d'une nationalité. L'on peut s'interroger, à partir de cet exemple, à travers une enquête, les choix des quotidiens d'information et les clivages ethnopolitiques. Si nous avons abandonné une enquête qui devait nous permettre l'élaboration des corrélations ethnie/lecture, du fait des problèmes éthiques suscités par les statistiques ethniques245 ; nous pouvons toutefois émettre l'hypothèse d'une orientation ethnopolitique des lectures par les acteurs. La lecture des quotidiens d'information est donc ethnocentrée. Cependant, cette variable ne suffit pas pour comprendre ce phénomène sans intégrer le facteur politique. Ce clivage n'est-il pas à l'origine de la parution récente, en guise de réaction, supposons-nous, à tort ou à raison, de l'hebdomadaire La tribune du grand Sud.

La « déclaration aux relents tribalistes de Michel Ogandaga », Conseiller du président de la République et membre du Bureau politique du PDG qui pointe les Fang comme Les Fleurs du mal du PDG ; qui depuis cette même période enregistre des démissions des hauts cadres : « ...même si la traîtrise de nombreux militants PDG du Woleu-Ntem ne surprend personne, cette province a toujours été le bastion du judaïsme, antichambre du salafisme. Aussi, pour mettre fin à cette saloperie, le grand ménage doit être fait maintenant dans le PDG. Je demande

244 L'article en ligne peut être consulté sur cette URL : http://i241.ga/921

245 A cet égard, lire Dominique Schnapper, in Actes du Colloque Statistiques «ethniques», organisé le 19 octobre 2006 par le Centre d'analyse stratégique (CAS).

102

donc des sanctions ferme (sic) et immédiates contre ces ordures : exclusion illico presto du PDG, limogeage manu militari de toute fonction officielle, suspension à vie de tout revenu, salaire, pension, retraite etc.»246 L'hebdomadaire d'informations générales L'Aube, publiera en Une, le « titre provocateur »247 « Tuez-les tous », dans son numéro 11, du lundi 27 janvier 2015, avec photos à l'appui, présentant une liste d'hommes et de femmes, tous issus de la nationalité Fang, « en attente d'exécution » diront nous, en reprenant l'hebdomadaire. (Voir annexes).

Cette « boutade » et la récupération politique qu'elle a suscitée ont renforcé, à n'en point douter, les représentations ethniques du groupe fang et les cristallisations entre ce groupe et les autres nationalités.

Les obsèques d'André Mba Obame, un opposant au régime dont il était lui-même issu ont donné lieu à une des plus importantes mobilisations ethniques. La veillée mortuaire de ce « Fang à abattre » selon l'hebdomadaire L'Aube, au siège de l'Union Nationale va donner lieu à une récupération tribale de la mort d'un des « leurs ». La « langue de passe » était le dialecte du groupe ethnique de l'opposant. Cependant, la motivation qui mobilise et fait sens, à travers ces faits, imbrique la nationalité aux enjeux de pouvoir. Il n'est pas rare d'entendre la conscience populaire penser que « les Tékés devaient, doivent et devraient restituer le pouvoir au Fang, selon la volonté de Léon Mba »248. Aussi, faut-il rappeler que pour les populations du Nord du Gabon, Mba Obame était le « Président de la République élu »249.

Matsiegui Mboula nous démontre d'ailleurs que l'ethnie est un pouvoir mobilisable. Pour ce dernier, « la mobilisation des foules au nom de l'ethnie est une démonstration de force. Elle permet d'évaluer la capacité d'une telle interprétation à deux niveaux. Pour ceux chargés de réaliser le projet ethnique, il s'agit de rendre compte de la force mobilisatrice des signifiants ethniques qu'ils mobilisent, de l'emprise qu'ils leur procurent sur l'ensemble culturellement « idéologisé »250. A l'égard d'autres ethnies, enfin chacune a le souci de paraître organisée, structurée et forte. La psychologie des groupes ethniques est alors celle des individus qui la dirigent et agissent en son nom »251.

246 Jean Marie Ogandaga, propos publié sur son compte Facebook, le 31/01/2014 à 07h : 44 :46 consulté le 08 Mars 2015, sur www.gaboneco.com

247 Selon ASMP, auteur de cet article sur www.gaboneco.com

248 Propos d'un enquêté recueillis sur www.gaboneco.com

249 Sur une banderole, lors de ses obsèques à Oyem, capitale du Woleu-Ntem, nous lisions une inscription alléguant le titre de Président de la République à « AMO ».

250 Matsiegui Mboula, op.cit. 243,248,

251 Ibid. p. 254.

103

Une objectivation ou une revalorisation du sens commun ne nous permet-il pas d'affirmer que Mba Obame était dans l'imaginaire collectif des peuples Fang, « le Président » par lequel, le projet ethnique consistant à « récupérer le pouvoir que Léon Mba à donner à Bongo et que les Téké devraient restituer au Fang » devait se réaliser ?

L'ethnie est donc cette communion entre les membres d'un groupe ethnique. La sauvegarde de l'ethnicité au sein de l'ethnie, comme du reste dans toute institution, nécessite une cohésion interne, une harmonie qui puisse faire converger les coeurs et les actes dans une direction unique, celle de l'horizon de l'idée oeuvre.

La réalisation de cet idée oeuvre, idée force, ajouterons-nous, doit puiser nécessairement dans la synergie qui rend efficiente, l'agir ethnique. A « la communication doit s'ajouter la communion des âmes et des corps, car c'est dans la communion que le contact direct s'installe et que chacun vit en lui-même l'objet de la quête. La communion serait de ce faut le principe spirituel de l'ethnicité »252.

« Au niveau empirique, l'existence de l'ethnie tient à une double communion : celle des hommes entre eux d'une part, et celle de ces derniers avec l'idée oeuvre d'autre part. Ainsi mobilisés à leur industrie, les membres de la communauté ethnique forment une chaîne d'ouvriers se confondant avec sa production. En effet, le produit de l'activité ethnique n'est pas extérieur à l'ethnie elle-même. L'Ethnie produit l'homme ethnique et la communauté qui lui correspond. L'Ethnie est par conséquent sa production. Le produit est le devenir ethnique de chacun et du groupe ; autant dire que l'ethnie se produit elle-même. La communion serait alors le mode de production ethnique. »253

L'histoire de l'opposition gabonaise est faite d'ailleurs de tentatives de dépassement du cadre ethnique, et de retour à la communauté ethnique, lors des grandes échéances électorales, où se dessinent, à n'en point douter, le dessein des idées oeuvre divergentes et « inconciliables ». Le repli identitaire participe de ce jeux de va et vient des leaders politiques, non émancipés encore de la tyrannie du clan, dans un contexte démocratique.

Enfin, on peut affirmer que ce jeu contribue à surseoir, à chaque fois, la « transition » électorale, enjeu proclamé des discours des leaders politique de l'opposition. Il va sans dire que gagner une élection dans ce contexte, présuppose de transcender ces frontières pour embrasser

252 Dominique Etoughe Mba, cité par Matsiegui Mboula, op.cit. p. 257.

253 ibidem

104

la totalité des sensibilités ethniques. Cette question capitale est au centre des débats dans l'opposition, tel que nous rapportent les médias. Il porte en l'occurrence sur la problématique d'une candidature fang pour l'opposition, lors de l'élection présidentielle de 2016254.

C'est « peut-être » là, la clé des succès répétés, qui confèrent au PDG son hégémonie. Car, si le compte rendu des usages de l'identité ethnique nécessite de les appréhender, sous le prisme des stratégies de pouvoirs, une stratégie opposée à l'ethnostratégie, peut sembler opératoire et faire sens dans les luttes électorales. C'est ce que Matsiegui Mboula nomme la géopolitique, c'est-à-dire, au sens de Thual, où elle désigne, « le partage de l'espace politico-administrative en fonction de l'appartenance tribalo-régionale »255. Il s'agit autrement dit, de la distribution des portefeuilles ministériels entre autres, dans le quasi respect des équilibres régionales et ethniques.

2. La géopolitique du pluralisme culturel

« L'un des problèmes majeurs qui s'est posé à l'Etat colonial gabonais, comme certainement aux autres jeunes Etats africains a été celui de l'unité ou de l'intégration nationale dans des espaces tracés au gré des intérêts de la colonisation et non des peuples concernés, lors de la conférence de Berlin de novembre 1884 à février 1885, à l'initiative de Bismarck. Le problème de l'intégration du Gabon, après la colonisation, se trouve posé d'emblée, par l'existence ou par la nature même de la nouvelle société politique qui allait très vite se généraliser : l'Etat-nation. Or, l'Etat-nation, importé d'Occident, apporte avec lui son soubassement idéologique qui lui (re)commande de souder les différents peuples ethnies) qu'il contrôle autour d'un projet politique commun. La puissance colonisatrice française véhiculera dans tous ses territoires colonisés son modèle de type jacobin »256.

La géopolitique est donc une réponse à cette problématique. Or, théoriser l'ethnicité disions-nous supra, ne revient pas à fonder le pluralisme culturel, comme modèle d'organisation sociopolitique, mais plutôt à examiner les modalités selon lesquelles une vision

254 Plusieurs journaux donne à de ce débat le caractère d'un problème à prendre en compte. Lire entre autres, Le Temps, N° 481 du Mercredi 24 juin 2015, p.1.

255 F. Matsiegui Mboula, « La «géopolitique« au Gabon : Institution d'exercice de la violence de l'imaginaire », Gabonica, N°5, Novembre 2011, p.59.

256 Ibidem, p. 61.

105

ethnique du monde est rendue pertinente pour les acteurs257. Nze-Nguema propose alors de l'appréhender sous une double finalité : « l'équilibre régionale viserait à une meilleure répartition des ressources physiques et humaines à toutes les régions du territoire. Le clientélisme exprimerait l'emprise des oligarchies nationales sur l'ensemble de la vie politique. Les deux phénomènes s'opposent dans leurs principes d'engendrement ; ils sont convergents dans leurs incidences empiriques. Le clientélisme, du fait de sa généralisation, constituerait comme le tribalisme et le régionalisme un obstacle quasi insurmontable à l'éclosion de la conscience nationale »258.

Si les critiques sur cette organisation politique la décrivent en général, comme une stratégie de longévité au pouvoir, c'est son effet contre intuitif, selon l'expression de Boudon, qui pour notre part, offre le plus d'opportunités de lecture des usages sociaux de l'identité ethnique. On peut dès lors porter le grief à Emmanuelle Nguema Minko, avec sa « géopolitique du pluralisme culturel ». Mais ce serait à tort, car elle, titre un chapitre de son ouvrage, « La géopolitique au rabais »259.

En s'appuyant sur la « célèbre et fameuse » réplique du « Vas-y demander au ministre de chez toi », elle ressort les limites de cette « géopolitique ». Les conséquences qui ont suivront seront de désigner, les ministères exempli grati, « non pas en fonction de leur compétence, mais en fonction de la commune ou la province dont est originaire le ministre »260.

La conscience populaire ne reprend-elle pas souvent et toujours et aujourd'hui encore, ces conceptions : « le ministère des gens du Haut-Ogooué » ou le « ministère des Fang », pour parler respectivement de la Défense nationale et l'Education nationale. Les récents remaniements ministériels ont vu le mécontentement des Fang de l'Estuaire, lorsque la fonction de Premier ministre a été confiée à un Fang du Nord. Mais remplacer à ce poste un « Fang par un Fang » à plus ou moins atténuer les rancoeurs qui auraient pu être encore plus violentes, à en croire les diatribes que nous rapportent les journaux261, « si une autre ethnie » y avait été affectée. D'ailleurs, « les Fang savent que c'est leur ministère et c'est ainsi» nous dit un internaute. Revenons cependant, un peu plus loin dans l'histoire du Gabon.

257 Poutignat P. et Streiff- Fenard J., Théories de l'ethnicité, Paris, PUF, 1995. , p.17.

258 F.P. Nze-Nguema, op.cit. p.127.

259 E. Nguema Minko, op.cit. p. 248.

260 Ibid.

261 Plusieurs journaux ont en effet commenté cette actualité qui apparemment enseignait la rationalité technobureaucratique.

Nze Nguema, affirme que les « régions où la scolarisation s'avère la moins élevée seraient les plus importantes pépinières des cadres administratifs »262. L'auteur renvoie ces faits, entre autres, au degré du militantisme. Cela nous permet de signaler que le ministère de l'éducation nationale est longtemps considéré, dans la conscience commune au ministère du groupe fang.

106

262 Nze-Nguema, op.cit.p.125.

107

Chapitre IV : Le nouvel esprit de la nationalité

Dans Le Nouvel esprit du capitalisme, Luc Boltanski et Eve Chiapello constatait la formation depuis quelques années d'un nouvel esprit du capitalisme, définit comme « l'idéologie qui justifie l'engagement dans le capitalisme ». L'esprit du capitalisme fournit aux acteurs sociaux des raisons individuelles et des justifications collectives pour adhérer à sa logique. Ce constat est issu de l'analyse des textes de management, révélateurs de la politique menée par le capitalisme au sein de l'entreprise, de deux périodes : 1959 à 1969 et 1989 à 1994. Les textes des années soixante critiquent le capitalisme familial tandis que les textes des années quatre-vingt-dix dénoncent les grandes organisations hiérarchisées et planifiées. Cette mutation, sinon, sa fonctionnalité est l'idée que nous voulons emprunter, dans ce chapitre pour expliquer la transposabilité de l'ethnicité, dont les expressions ne relèvent plus toujours, des modes primaires, à travers lesquels on l'a connu jadis et qu'on « croit » le reconnaitre.

Bourdieu écrit que les dispositions constitutives de l'habitus sont, non seulement durables, mais aussi transposables. Autrement dit, les dispositions acquises dans une certaine activité sociale sont transposées dans une autre activité. Dans notre cadre, il s'agit d'entrevoir l'actualité de l'ethnie par rapport à son historicité. C'est-à-dire, les dispositions acquises pendant la socialisation et ayant engendrées des habitus ethniques, peuvent être transférées dans une activité sociale différente de celle du champ de leur engendrement. L'habitus qui flirte dans des subtilités quasiment insaisissables est transposé. Cela, laisse supposer une métamorphose encore plus complexe à saisir.

Ce propos porte sur le questionnement de la gabonité, dans ses retranchements et dans ses recompositions et recoupements. La territorialité, la consanguinité ou l'utérinité, la patronymie, le droit et les logiques métisses sont ici mis en discussion.

Section I : Qu'est-ce qu'un Gabonais ?

L'image de la radiation de Jean Marie Le Pen du Front national (FN), parti dont il est le fondateur et par ailleurs, Président honoraire, reste, à la lecture des motifs, sujet à de vives polémiques. D'ailleurs, l'intérêt des quotidiens et magazines d'information pour ce sujet témoigne de l'importance du débat qu'il a engendré. En effet, ce dernier impliquait dans ces propos, Manuel Valls, Premier ministre de la République française, selon lui, français

108

seulement depuis « trente années » comparativement à un « lui-même », dont les racines de la « francité » repose sur un millier d'années.

Dans quel intérêt Le Pen évoque-t-il l'identité nationale du Premier ministre en termes de durée ? Et pourquoi, ce propos suscite-t-il l'intérêt de toute la classe politique française qui va alors fustiger l'attitude du fondateur du F.N. ?

Au Gabon, le jeu politique intègre, manifestement, depuis 2009, la question de l'identité nationale, dont des personnalités, non les moindres, sont mises en cause. Mais la référence à l'identité nationale a toujours demeuré les représentations des acteurs sociaux. Ainsi entend-t-on urbi et orbi, dans le discours commun, « Qui est plus Gabonais que qui ? », « Gabonais 100% », « Gabonais de naissance », « Gabonais d'origine étrangère », « Gabonais d'adoption », « il est café au lait », « on n'est tous Gabonais ». Par ces nominations particulières, le sens commun opère une hiérarchie des origines.

1. Du droit à la gabonité

L'acquisition de la nationalité gabonaise est régit par la loi n° 37/98 du 20 juillet 1999, portant Code de la nationalité gabonaise, et le décret n° 767/PR/MJGS du 16 octobre 2002 portant application de certaines dispositions du Code de la nationalité.

L'acquisition de la nationalité gabonaise se fait d'abord en raison de la naissance au Gabon. Selon l'article 11 du Code de la nationalité gabonaise, possède la nationalité gabonaise à titre de nationalité d'origine : l'enfant qui a, au jour de la naissance et quel que soit le lieu de celle-ci, un parent au moins de nationalité gabonaise ; l'enfant né au Gabon de parents inconnus ou apatrides. Toutefois, cet enfant sera réputé n'avoir jamais été gabonais si, au cours de sa minorité, sa filiation est établie à l'égard de parents étrangers.

Par ailleurs, possède également la nationalité gabonaise à titre de nationalité d'origine, sauf à la répudier dans les douze mois suivant sa majorité : l'enfant légitime né au Gabon de parents étrangers, si l'un d'eux y est lui-même né ; l'enfant naturel né au Gabon, lorsque celui des parents étrangers à l'égard duquel la filiation a d'abord été établie y est lui-même né.

L'article 12 ajoute que l'enfant nouveau-né, trouvé au Gabon, est présumé jusqu'à preuve du contraire être né au Gabon.

109

La nationalité gabonaise peut-être acquise par une attribution en raison de la filiation. Ainsi, l'enfant légitime dont l'un des parents au moins est gabonais à la nationalité gabonaise. De plus, l'enfant naturel, lorsque l'un des parents au moins à l'égard duquel sa filiation est établie est gabonais, a lui-même la nationalité gabonaise (article 13 du Code de la nationalité gabonaise).

L'acquisition de la gabonité se fait aussi par l'attribution par voie de reconnaissance. En effet, d'après l'article 14, peut se faire reconnaître la nationalité gabonaise à titre de nationalité d'origine : toute personne née au Gabon de parents étrangers, ayant souscrit sa déclaration dans les douze mois précédant l'accomplissement de sa majorité, à condition d'avoir à cette date son domicile ou sa résidence habituelle au Gabon depuis au moins cinq années consécutives ; toute personne née dans une localité d'un État frontalier du Gabon, située dans un rayon de vingt-cinq kilomètres du territoire gabonais et ayant souscrit sa déclaration dans les douze mois précédant l'accomplissement de sa majorité à condition d'avoir son domicile ou sa résidence habituelle au Gabon depuis au moins dix années consécutives ;toute personne qui, ayant été recueillie au Gabon avant l'âge de quinze ans, y a été élevée soit par l'Assistance publique, soit par une personne de nationalité gabonaise ; toute personne qui a perdu la nationalité gabonaise par l'effet d'une renonciation faite en son nom durant sa minorité.

Il peut s'agir d'une attribution par l'effet du mariage, selon l'article 22. Une personne de nationalité étrangère qui a épousé une personne de nationalité gabonaise acquiert la nationalité gabonaise. Cependant ce même article pose des conditions pour que cette disposition prenne effet : il faut une demande expresse de la part de la personne de nationalité étrangère ; cette demande ne peut avoir lieu qu'après l'expiration d'un délai de 3 ans à compter de la date de célébration du mariage ; et par voie de conséquence, le mariage ne doit pas avoir été dissous ; le tout, sous réserve de l'article 23.

D'autres dispositions légales permettent une acquisition de la gabonité. Il s'agit entre autres, l'acquisition par l'effet de l'adoption de l'enfant et de la réintégration ou de la naturalisation des parents. L'article 25 dispose que l'enfant mineur, adopté par une personne de nationalité gabonaise, acquiert cette nationalité lors de l'adoption. Mais ce dernier peut la répudier. Toutefois, l'article 26 ajoute que les enfants mineurs, même adoptés, des personnes réintégrées ou naturalisées dans la nationalité gabonaise, en application des dispositions des articles 28, 31 et 33 ci-après, acquièrent ou retrouvent, s'il y a lieu, la nationalité gabonaise à la date d'effet de cette réintégration ou de cette naturalisation.

110

Pour ce qui concerne l'acquisition par l'effet de la réintégration, l'article 27 énonce que « la réintégration dans la nationalité gabonaise est prononcée par décret, pris après enquête sans condition d'âge ou de délai, sous réserve que l'intéressé apporte la preuve qu'il a eu la nationalité gabonaise et justifie de sa résidence au Gabon au moment de la demande ».

L'acquisition par voie de naturalisation quant à elle, n'est jamais de droit, elle doit être demandée par l'intéressé (art. 30). Mais l'article 31 pose des conditions à cette naturalisation. Exception faite de l'acquisition de la nationalité par naturalisation de l'article 30 et par réintégration de l'article 27 qui sont obtenus par les effets d'un décret du président de la République, les autres cas de figure relèvent de la compétence des tribunaux de première instance des lieux de résidence des requérants.

Les critique suscitées par la thèse élaboré jadis par Patrick Weil en 2002, dans Qu'est-ce qu'un Français ? Histoire de la nationalité française depuis la Révolution, peuvent éclairer sur l'impertinence d'une perspective analytique qui essentialise le droit pour définir l'identité nationale. En effet, si en lui reconnait d'avoir tenté de mettre fin à un éternel débat qui problématise sans cesse, l'identité nationale en France, en rappelant par un truisme, que c'est l'Etat seul, via le droit, qui confère la qualité de Français aux individus. Et cette qualité permet à son détenteur de s'en prévaloir sans restriction aucune.

Conclure ainsi, c'est essentialiser le droit, ce qui d'un point de vue juridique est légal pour la détermination de l'identité nationale. Pourtant c'est aussi marginaliser les substrats sociologiques, qui structurent les représentations mentales des individus. Le droit suffit-il à faire un Gabonais ?

Notre (re)questionnement de l' « essence » de la gabonité est justifié par les récentes propositions de loi présentée par le Président de l'Assemblé Nationale et initiée par le Président de la république lors de son allocution prononcée, le 12 septembre 2012, devant le Parlement réuni en congrès. Celle-ci s'inscrit dans la lutte contre le « tribalisme et la xénophobie », eu égard au discours nationalitaire qui, à la manière du Front national en France, repose sur une démarche qui se dédouane du Droit dont l'optique d'inculper, par l'arbitraire, pour fausse identité, ses adversaires politiques.

« Le Président de la République avait fortement regretté et condamné, à juste titre, les manifestations de tribalisme et de xénophobie qui ont cours dans le pays. (...) la persistance de

111

ces pratiques constitue un risque majeur de déstabilisation de notre pays, en particulier, lorsqu'elles sont le fait de leaders politiques ou de personnes dépositaires de l'autorité »263. D'où le « questionnement de notre dispositif juridique »264 qui, « laisse apparaître un vide qui peut être considéré comme le terreau de toutes les dérives constatées »265.

Voici, l'extrait de des articles 6 et 9 de cette proposition de loi : « Quiconque soit par paroles, gestes, écrits, images ou emblèmes, soit par tout autre moyen, aura manifesté de l'aversion ou de la haine raciale, ethnique, tribale, régionale ou l'intolérance religieuse à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes ou aura commis un acte de nature à provoquer cette aversion ou cette haine sera puni d'une peine d'emprisonnement de six mois à deux ans et d'une amende de cinq cent mille francs à cinq million de francs, ou l'une de ces peines seulement. Si l'infraction est commise par un dépositaire de l'autorité dans l'exercice de ses fonctions, la peine est portée au double ».

« Si l'infraction a causé une désorganisation des pouvoirs publics, des troubles graves, un mouvement sécessionniste ou une rébellion, le coupable est puni de la peine d'emprisonnement à perpétuité. » Et dans l'article 9, « la diffamation, l'injure ou la menace faite envers une personne ou d'un groupe de personnes qui appartient par son origine à une race, à une ethnie, à une religion ou à une nationalité déterminée, est punie d'une peine d'emprisonnement de cinq à dix ans et d'une amende de 5.000.000 francs à 50.000.000 de francs, ou de l'une de ces peines seulement. Ces peines sont portées au double si l'infraction a été commise par la voie de la presse, de la radio ou de la télévision ».

Le point suivant porte sur la discussion du droit à l'épreuve des représentations des Gabonais de leur nationalité.

263 Extrait du discours du Président de l'Assemblé nationale présentant le projet de loi contre le tribalisme et la xénophobie.

264 Ibid.

265 Ibid.

112

2. La hiérarchie des origines de la gabonité.

Porter un regard critique sur la gabonité c'est aussi interroger le sens commun, pour établir notamment, les critères qui peuvent sous-tendre une hiérarchie des origines de la gabonité.

Présentons tout d'abord ce tableau des représentations de la gabonité. Les occurrences relevées ici, sont les résultats de l'analyse de contenu de trois focus group portés sur dix individus chacun. Le débat a été organisé autour de la question « qu'est-ce qu'être Gabonais ?». Nous présentons ici une lexicographie de nos enquêtés.

Références

Nombre d'occurrences

Lexique

Souche et autochtonie

23

Histoire-autochtones- Gabon d'abord

Héritage et hérédité

15

Naissance-Sang-Territoire

Métissage

8

Café au lait-50 %- demi-sang, moitié-moitié

Droit et loi

5

Naturalisation-adoption-mariage

Total

51

 
 

Tableau 1 : Représentations de la gabonité.

Le droit confère une légalité à la gabonité acquises en dehors des cadres classiques, reconnus comme légitimes par le sens commun. La naturalisation exempli grati est une opération d'ordre juridique par laquelle est reconnue à un étranger la qualité de Gabonais, qui s'accompagne de l'attribution de tous les droits ouverts au national, en premier lieu politiques. Pourtant, malgré leur nouvelle condition, depuis quelques années, les naturalisés se déclarent de moins en moins, indiscutablement Gabonais. Le sens commun les définit par des références distinctives: « Gabonais d'origine étrangère », « Gabonais d'adoption », parfois péjoratives comme « Gabonais d'occasion » par opposition aux « Gabonais de souche » dont ils savent consciemment ne pas faire partie.

Aussi, les discours du gotha politique au Gabon, dont les discours à la nation du Président de la république, ne procèdent-ils pas une distinction entre les Gabonais « d'origine » et les Gabonais « d'adoption ». Une parution récente de l'hebdomadaire La Loupe, qui écrivait en une, qu'« En 2015, il n'y aura quasiment plus de Gabonais autochtones dans les quartiers Petits (sic) Paris, Mont Bouet, (quartiers en majorité peuplés des ressortissants de l'Afrique de

113

l'Ouest) »266. Le journal ajoute que ce « grand projet de l'actuel chef de l'Etat, Ali Bongo Ondimba, de son directeur de cabinet, Maixent Accrombessi, de son chef de cabinet liban soleman et de Sylla Habib et autres gabonais (sic) d'occasion », se règlera par des « calibres 12 ».

Lors d'une émission de la chaine gabonaise TV Plus dénommée « Les choses du pays », l'animateur Harley Boris Ekogha présente son invité du jour en ces termes : « Monsieur Nkoulou est un Gabonais, un vrai Gabonais, un Gabonais d'origine, parce qu'il faut le signaler, il n'est pas Gabonais d'adoption».

Faut-il conclure que la gabonité obéit à une hiérarchie des origines, voire d'une « originalité » qui peut rappeler, la pureté chère à Hitler? Y'aurait-il des Gabonais originels? Si oui, quels critères permettraient de définir l'originalité du Gabonais pure ? Sinon, quelles logiques sous-tendent une typologie des gabonais ?

Nadel nous démontrait jadis, avec pertinence que l'existence de la tribu n'était tributaire d'une quelconque, unité ou identité, mais en vertu d'une unité idéologique et d'une identité acceptée comme un dogme. Nous pensons que cette réalité n'est pas sans analogie avec la gabonité, puisque l'impertinence des critères évoqués supra est avérée a postériori de leur confrontation à l'empirie.

Notre intérêt pour ces faits consiste non pas à confirmer ou à infirmer la gabonité de quiconque, mais d'y lire les stratégies de pouvoir, qui détourne le débat politique de son champ idéologique habituelle, pour le transposer vers une idéologie de l'identité nationale, tributaire des habitus ethnocentristes, discriminantes et exclusifs.

On peut dans un premier temps porter un intérêt sur le stigmate, qui touche à différents degrés tous les naturalisés, et qui selon Goffman « relève d'abord et avant tout d'un problème de visibilité »267. Pour notre part, cette posture est réductionniste. Il ne s'agit pas juste d'une question de visibilité, c'est-à-dire du corps comme « lieu géométrique de tous les stigmates »268 ou de « ce qui parle quand on ne dit rien »269. Primo, le corps ne saurait être une carte d'identité nationale et c'est d'ailleurs ce que Masure affirme : « tous les naturalisés ne sont

266 La Loupe du 03/11/2015.

267Goffman cité par François Masure, « État et identité nationale, un rapport ambigu », in Journal des anthropologues, Hors-série | 2007, 39-50.

268 Ibid.

269 Ibid.

114

pas des stigmatisés permanents, ni même concernés au même titre par la stigmatisation »270. Le stigmate intègre aussi, le refus de considérer d'assimiler l'altérité, au regard d'un rapport éloigné aux symboles qui fondent la nation et qui sont supposés « étrangers » à ce dernier. Enfin, l'on peut évoquer la durée, à l'instar du discours polémique et raciste de Jean-Marie Le Pen sur la « francité » de Manuel Valls ou la territorialité comme dans cet extrait : « Cependant, ce que notre bonhomme « Ben béni » ne comprend pas, c'est que ce n'est pas, en fait, le fait d'être « Biafrais » ou « Congolais » qui soit le problème des Gabonais. Ce qui fait tiquer les Gabonais, c'est le simple fait d'avoir un « étranger » imposteur à sa tête (l'Omar) et un autre « étranger » imposteur (le Ben) pour contrôler l'armée d'un pays où il n'est pas né, pays dont il n'a pas non plus la nationalité puisque né, de son propre aveu, Congolo-Français, mais pas Gabonais du tout... »271.

Phénomène non nouveau pourtant. Rossatanga-Rignault fait référence au discours de Makoko, un élu de l'Assemblée territoriale du Gabon, qui lançait à l'endroit de l'UDSG et du BDG, « vous n'êtes pas des parlementaires gabonais, vous êtes des Congolais venus exploité le Gabon»272. Tonda également souligne ce fait dans Le Souverain moderne, à travers une énumération des chefs d'Etats ou leaders politiques, qui ont fait l'objet d'une rhétorique nationalitaire, les « excommuniant » de leur identité. Omar Bongo, Léon Mebiame, Mba Abessole, Pierre Mamboundou, Pierre Maganga Moussavou au Gabon et Fulbert Youlou, Alphonse Massamba-Débat, Marien Ngouabi, Yhombi-Opango, Sassou-Nguesso, Pascal Lissouba, Pierre Nze au Congo273.

Joseph Tonda affirme qu'en Afrique centrale, « le discours de l'ethnie pose en permanence la question des origines » inscrite entre les représentations sociales orientées vers l'imaginaire et l'idéologie politique274. Les liens entre l'imaginaire égyptien des Fang qu'il cite entre autres exemples et les représentations intranationalitaires et extranatiolitaires, peuvent permettre de lire les idéologies qui consacrent les luttes de classements sur l'échiquier national. On peut y intégrer notamment, les démissions successives des cadres du PDG originaire de

270 Ibid.

271 http://www.bdpmodwoam.org/articles/2009/04/29/le-gabon-dirige-par-des-congolais-maman-dabany-et-bebe-ali-avouent-nous-les-bongo-ondimba-nous-ne-sommes-pas-biafrais-nous-sommes-congolais/

272

273 Tonda J, Le Souverain moderne. Le corps du pouvoir en Afrique centrale (Congo, Gabon) Paris, Karthala, 2005, p. 248-250.

274 Ibid. P. 247.

115

cette nationalité, le « Faut-il avoir peur des Fangs ? »275 de Rossatanga-Rignault ou l'intitulé qui fit la une d'un numéro de Jeune Afrique « Bienvenue chez les Fangs ! »276

Nous pouvons observer à travers ce schéma qui porte sur la hiérarchie des origines de la gabonité, l'effectivité de l'origine comme valeur capitale de la nationalité.

Autochtones (Histoire et Terre)

Gabonais 100%

 

Les héritiers

Sang

 
 
 
 
 

Terre

 
 
 
 

Café au Lait

 

Nés au Gabon

 
 

Naturalisés

Mariage

Adoption

Pygmées*

*L'absence d'une référence aux Pygmées, dans le lexique des enquêtés nous laisse supposer une existence de ces populations autochtones, en bas de l'échelle. Lorsque l'autochtonie est évoquée, c'est en référence aux « humains », aux « vrais Gabonais », non pas à ces « sous-hommes ».

Schéma 1 : La hiérarchie des origines de la gabonité277

275 G. Rossantanga-Rignault, « Faut-il avoir peur des Fang ? De la démocratisation à l'ethnisme au Gabon », Droit et culture, Revue semestrielle d'anthropologie et d'histoire, N°26, 1993, pp.235-255.

276 In Le Temps N°481 du mercredi 24 juin 2015. La lecture de cet article de l'hebdomadaire, faisant référence à la une de Jeune Afrique est proposé dans les annexes de ce travail.

277 Conception personnelle. Ce schéma est réalisé sur la base de l'analyse de contenu de nos focus group.

116

Cependant, la manipulation du sentiment ethnique n'est possible que par l'existence d'un récit identitaire qui fonde l'unité du groupe ethnique, façonne la mémoire collective en reliant, le passé au présent. Ce récit raconte le mythe des origines, la geste des héros fondateurs et décline les symboles, rituels et pratiques collectives qui distinguent le groupe des autres. Sa fabrication ou sa convocation passe par le recours à la tradition. Peu importe que cette tradition réinventée, bricolée, manipulée corresponde ou non à la vérité historique ; l'essentiel est qu'elle en présente toutes les apparences et s'impose comme l'unique régime de vérité.

C'est dans cette perspective que les travaux d'Angelina Peralva proposent un acteur social contextualisé, dans son approche transversale comparative où l'accent est mis sur la contextualisation sociohistorique de ce qu'il conviendrait de nommer les stratégies identitaires. Ses enquêtes menées sur les terrains d'émergence de certains type d'identités politiques en France, en Allemagne, au Brésil278 lui ont permis de comparer les enracinements du phénomène « Skinhead », d'analyser les conditions sociales et culturelles de son émergence, de son extension, ses liens avec les différents acteurs sociaux : Etat, médias, groupuscules ou partis d'extrême droite. La référence théorique à son propos est, semble-t-il une référence à Touraine, qui dans sa sociologie de l'action279 accorde un rôle central aux mouvements sociaux, différenciés des conduites collectives liées à la désorganisation sociale ou institutionnelle. Ces mouvements y sont caractérisés par trois principes. Le premier est celui d'identité : tout mouvement social doit être capable de construire ou de reconstruire une identité collective pour sa base. Le deuxième principe est celui d'opposition : tout mouvement social se construit à partir d'un conflit qui lui permet de valoriser son identité et de définir un groupe opposé et uni. Enfin, le dernier, est le principe de totalité : le mouvement a un projet de changement social global, de redéfinition du système d'action historique de la société.

Rapportées à ces principes, le discours nationalitaire dans le contexte gabonais trouve une clé d'analyse. Il ne s'agit pas simplement d'un discours xénophobes de Gabonais « naturels » contre les « naturalisés ». Les situations diverses qui ont engendrés ce discours trouvent leur unité dans un appel à une identité collective fondée sur les liens de sang et sur une communauté traditionnelle imaginaire ; dont la finalité consiste à déstabiliser le pouvoir de « imposteur et illégal »280 de la « légion étrangère ». Les propos suivant sous-tendent cette

278 Dans le cadre d'une vaste recherche sur le racisme mené par M. Wieviorka et ses collaborateurs du CADIS, EHESS, Paris.

279 A. Touraine, Sociologie de l'action, Paris, Seuil, 1965.

280 Il s'agit à travers ces notions, d'évoquer en filigrane, la « biafrité » du Président de la République et la naturalisation de son entourage. D'après une certaine presse, il aurait été adopté par Omar Bongo, pendant la

117

hypothèse : « Le sentiment antibéninois a commencé à se développer dans nos villes et villages. Ce sentiment est perceptible à tous les niveaux...M. Accrombessi n'a plus sa place ici. Pour les Gabonais, son départ est devenu une question de fierté nationale.»281, car le poste de directeur de cabinet qu'il occupe est « éminemment politique, réservé aux seuls nationaux »282. Un exemple actualisé du phénomène décrit par Peralva, peut nous venir de Jean Marie Le Pen, qui à rappeler à la conscience française sa « francité de mille ans», a contrario de celle, trentenaire de Manuel Valls.

Enfin, Chez Matsiegui Mboula, « L'homme ethnique n'est pas seulement celui qui déclare : « Je suis Baoulé ! », « je suis Douala ! », «je suis Teke ! », stade de l'ethnicité nominale, encore faut-il qu'il vive conformément aux principes, valeurs, lois qui régissent l'être au monde de cette ethnie. Il en va des communautés claniques, tribales comme de la nation (politique) de prescrire un devoir être à leurs membres. Car, de même que le citoyen idéal est celui qui respecte les lois de la cité et les défend, de même être Fang ou Punu ne se réduit pas à en porter le nom mais à être un type bien défini. Ainsi, la problématique ethnique ne se trouve véritablement mise en question comme phénomène, que si nous saisissons ses univers symbolique et langagier comme autant d'expression ontologiques, c'est-à-dire un discours sur l'homme ou pour être plus précis, un discours sur le type d'homme et de communauté auxquels chaque forme ethnique aspire »283.

Section II : La gabonité au prisme de la mondialisation

L'essor de la réflexion sur la nation et le nationalisme est sans cesse actualisé depuis les années 1980. Alors qu'à partir du XXe siècle, l'Occident semblait franchir le seuil du «postcolonial«, outre les conflits identitaires dans les Balkans, après la chute du mur de Berlin ; l'Afrique s'interroge continuellement sur le retour des nationalités. Ces débats s'opèrent autour du multiculturalisme, du cosmopolitisme et de la mondialisation qui d'emblée, se pose comme cadre de questionnement par excellence du postnationalisme.

Guerre du Biafra. De ce fait l'illégalité vient de ce que la Constitution interdit au gabonais d'adoption de candidater à la magistrature suprême.

281 Mouvement de la société civile « ça suffit comme ça » cité par Georges Dougueli, « Gabon : le poison xénophobe », in www.JeuneAfrique.com , publié le 01 septembre 2015, Consulté le 08 novembre 2015.

282 Jonas Moulenda cité par G. Dougueli, op.cit.

283 Matsiegui-Mboula, L'Etat et le tribalo-régionalisme au Gabon, op.cit. p. 253.

118

Le multiculturalisme est déjà mis à mal par la construction difficile des Etats africains. Les politiques de l'identité et les stratégies identitaires des leaders politiques flirtent parfois avec la xénophobie.

Un double processus apparemment contradictoire caractérise notre époque : la persistance des nationalismes et la croissance du multiculturalisme, du transnationalisme et du cosmopolitisme. Ce propos s'attachera à décortiquer cette dialectique. Il s'agira d'examiner la validité de la logique métisse en corrélation avec les stratégies nationalitaristes, d'exclusion des binationaux, en dépit des redéfinitions des concepts de nation et de territoire entre autres, opérées par le droit international et la mondialisation.

1. Pour une critique de la raison métisse

Dans Logiques métisses, composé d'essais qui portent notamment sur ses terrains d'Afrique de l'Ouest, Amselle, réfute la « raison ethnologique » qui extrait, classifie, « purifie », et qui sépare les cultures ou les ethnies, de la même façon qu'elle avait jadis séparé les « races ». En effet, pour cet auteur, les cultures sont d'abord des constructions ethnologiques et historiques, bien souvent instrumentalisées à des fins politiques et le multiculturalisme, paré de bonnes intentions, procéderait, selon lui de ce « fondamentalisme culturel », visant en réalité à séparer hermétiquement les minorités culturelles afin de les protéger. Ainsi, Amselle propose donc d'adopter désormais une « raison métisse », c'est-à-dire une approche continuiste mettant l'accent sur l'indistinction et le syncrétisme originaire, mélange dont les parties sont indissociables284.

La réalité empirique nous amène à réfuter l'idéalisme de cet auteur, car, la logique métisse ne consiste guère en l'indistinction. Syncrétisme certes, elle consiste plutôt à la création d'une nouvelle « race », d'une nouvelle catégorie sociale. L'analyse sur la pertinence de la binationalité, sous le prisme de la logique métisse révèle, et dénis d'appartenance et exclusions, qui ébranle la raison métisse.

Le holisme pur évoqué en filigrane à travers les positions d'Amselle, est en réalité une confortation de la racialité nouvelle de la logique métisse. L'indissociabilité des parties

284 Jean-Loup Amselle, Logiques métisses. Anthropologie de l'identité en Afrique et ailleurs, Paris, Payot, 1990, rééd. Payot & Rivages, 1999.

119

constituantes de la « raison métisse » est en effet, non pas une marginalisation de la distinction, mais plutôt, un déni d'appartenance.

Au Gabon comme ailleurs, la binationalité est perçue comme une anationalité. La binationalité désigne une double ou une multi-appartenance nationalitaire. Elle s'acquière par la filiation, par le mariage, la naturalisation ou l'adoption. Cependant, la fonctionnalité de ce principe est problématisée du fait de son déni, au nom parfois, du purisme idéologique.

Les cas de déni d'appartenance sont légion au Gabon. Il en va du Président de la république à sa « légion étrangère ». La lecture de cet extrait d'article de presse peut nous servir de terrain d'expression du déni d'appartenance. « «Maixent contrôle tout et bouffe tout...il a installé ses hommes à tous les postes clés. Il se fait épauler sur ces questions par le général Alioune Ibaba, un Congolo-Sénégalais. Le « Shebab », c'est-à-dire le Gabono-Somalien Liban Souleymane, Parmi eux, Seydou Kane, un Malien patron de deux sociétés au Gabon, Vincent Miclet, affairiste français qui a commencé à bâtir sa fortune en Angola, et, jusqu'à une époque récente, Michel Tomi, tout-puissant patron des casinos et des jeux... »285

Cet extrait présente comme « étranger » des individus pourtant juridiquement Gabonais. Il convient de poser comme le fit jadis Nathan, la question de savoir, « A qui appartient le métis?»286

»287.

Rappelant tout d'abord que si dans les sociétés précoloniales, l'exogamie fondait la conjugalité, pour externaliser le choix des partenaires outre le cercle parental, la filiation elle a toujours été plus complexe. En effet, le matriarcat en exergue chez les « Commi » dispose que les successions proviennent du chef de la mère. Du Chaillu rapporte que « le fils d'un Commi et d'une femme étrangère n'est pas réputé Commi. D'après ce principe appliqué aux familles, pour être un véritable Abouya (citoyen de Goumbi), il faut être né d'une femme Abouya. Si le père seul est Abouya, les enfants sont regardés comme de «demi-sang«

L'enfant issu d'un couple mixte se construit dans un contexte où les parents appartiennent à deux ensembles culturels. Ceux-ci peuvent se différencier sur les plans religieux, linguistique, phénotypique, etc. Aussi l'une des questions qui fait actuellement débat

285Marc Ona Essangui, « Maixent, chef de la «Légion étrangère« » in www.facebook.com, publié le 21 décembre 2014, consulté le 22 avril 2015.

286 Tobie Nathan, « À qui appartiennent les métis ? » in Nouvelle Revue d'Ethnopsychiatrie, Paris, La pensée Sauvage, 1993, p. 13-21.

287 Ibid. p.200.

120

dans la communauté scientifique est de comprendre comment ce sujet va réussir à combiner au sein d'un agencement fonctionnel, ses éléments parentaux divergents. Selon les partisans de la non « métissabilité » des cultures tels que Tobie Nathan288, le métis est contraint de réaliser le choix, souvent imposé du dehors par les pressions familiales, d'appartenir à l'un des deux systèmes culturels. En revanche, pour ceux qui envisagent la possibilité de mélanges entre les cultures tel que Kroeber ou François Laplantine289, le sujet métissé se construirait à partir de combinatoires d'éléments appartenant aux deux systèmes culturels. Malgré leurs divergences de fond quant au mode de « fabrication » du métis, ces deux hypothèses se basent sur le même postulat : le métis se développe dans un environnement familial culturellement duel. La variété des origines parentales y produit des visions du monde divergentes, complémentaires ou incompatibles. Et celles-ci se trouvent habituellement séparées par des frontières géopolitiques.

Pour notre part, nous pensons comme Jankélévitch qu'« en principe, et dans le cas du mélange le plus simple, qui est le mélange à deux, la séparation devrait faire d'une pierre deux coups, c'est-à-dire du même coup, purifier les deux substances... »290.

Ainsi, Barack Obama n'est ni un Blanc et ni un Noir. Il est plutôt métis. Le métis n'opère pas le choix de son appartenance. Il subit par attribution catégorielle et par déni, une identification à une catégorie, qui n'est ni l'une, ni l'autre, l'appartenance des géniteurs.

La corrélation éclairante que Gilles Bui-Xuân, Roy Compte et Jacques Mikulovic établissent entre la notion de métissage et celle de culture du handicap explique de façon pertinente la réalité qui sous-tend la logique métisse. « C'est d'abord la stigmatisation et l'exclusion qui sont à l'origine du regroupement des personnes handicapées, et par là de leur identité, de leur culture. Si la revendication du groupe constitué est de faire valoir son droit à l'indifférence, elle est paradoxalement aussi celle du droit à la différence. C'est d'ailleurs cette différence qui sera d'abord reconnue par le droit même, avant de fonder l'illégitime et les mesures pour y faire face »291.

288 Ibid. L'auteur affirme que « Les métis n'ont que le choix d'être d'un côté ou de l'autre, d'appartenir au groupe du père ou de la mère. »

289 François Laplantine, Alexis Nouss, Le métissage, Paris, Flammarion, « Non pas l'un ou l'autre (l'Arabité ou l'appartenance à la France seulement) mais l'un et l'autre », 1997 p. 79.

290 Vladimir Jankelevitch, 1960, Le pur et l'impur, Flammarion, Paris, p. 103.

291 Gilles Bui-Xuân, Roy Compte et Jacques Mikulovic, « La culture du handicap peut-elle être une culture du métissage ? », Corps et culture [En ligne], Numéro 6/7 | 2004, mis en ligne le 12 octobre 2007, Consulté le 23 décembre 2015. URL : http://corpsetculture.revues.org/839

121

Les thèses que nous évoquions à l'instant sont une invalidation de la raison métisse. Le métis est étranger à ses composantes germinales. Ramener à la problématique de l'identité nationale, la binationalité peut être assimilé à une apatridie de fait.

La Convention de 1930 concernant certaines questions relatives aux conflits de lois sur la nationalité, dispose que le droit souverain des Etats de déterminer qui sont leurs ressortissants est limité par le droit international, ainsi que par le droit des autres Etats. En outre, en vertu de la législation sur les droits de l'homme, il faudrait tenir compte à la fois des intérêts légitimes des Etats et de ceux des individus. Il note que le fonctionnement d'une loi sur la citoyenneté dépend de la loi sur la citoyenneté d'un autre Etat.

2. La nationalité dans le droit international

«La citoyenneté est pour l'homme un droit fondamental car elle n'est rien moins que le droit d'avoir des droits»

Chief Justice Earl Warren (Etats-Unis, 1958)

Dans la tradition wébérienne, l'Etat se définit par l'autorité et le pouvoir qu'il exerce sur un territoire donné. Il dispose du monopole de la violence légitime. Mais, l'Etat moderne et sa notion sous-jacente de territorialité n'ont pas de valeur universelle, car sa « juridiction » est limitée par la notion de frontière qui lui est associé. L'Etat est donc une communauté doté d'un territoire d'exclusion défini par des frontières physiques et pourvu de compétence spécifiques qui lui confère sa souveraineté, affirmé par le monopole de la violence légitime. Toutefois, l'existence de l'Etat est tributaire d'un consensus entre l'ensemble des Etats. Ce consensus, le détermine, le définit et le reconnait entant que tel. Les traités de Westphalie(1648), dont l'objet fit de sortir de la guerre de Trente ans, affirment la souveraineté des Etats et le principe de non-ingérence à l'intérieur des frontières précises et reconnus par le concert des nations. La nation moderne est donc un concept juridique de l'apanage du droit international westphalien.

Par ailleurs, L'article 15 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 dispose que « tout individu a droit à une nationalité. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité, ni du droit de changer de nationalité ». Ces dispositions confèrent à chaque individu, partout dans le monde, le droit à un lien juridique avec un Etat., c'est-à-dire, la citoyenneté ou la nationalité non seulement donne à chaque individu le sens de son identité

122

mais, en outre, lui donne droit à la protection de l'Etat et lui confère de nombreux droits civils et politiques. De fait, la citoyenneté a été décrite comme «le droit d'avoir des droits».

Malgré l'imposant corpus d'instruments internationaux relatifs à l'acquisition, la perte, ou le déni de citoyenneté, des millions de personnes dans le monde n'ont pas de nationalité. Selon des estimations récentes, quelques onze millions de personnes sont apatrides à travers le monde292. Elles sont apatrides. L'apatridie peut découler de diverses causes dont des lois contradictoires, des cessions de territoires, les lois sur le mariage, les pratiques administratives, la discrimination, le défaut de déclaration de naissance, la déchéance (lorsqu'un Etat retire sa nationalité à une personne), et la renonciation (lorsqu'une personne refuse la protection d'un Etat). Les homologies entre les lois nationales et le droit international et la déterritorialisation supposé des Etats à travers le processus de mondialisation devraient a priori contribuer à homogénéiser les lois, afin de réduire ce phénomène. Mais la réalité est au prorata de la subjectivation d'un Etat, vis-à-vis du système international de la mondialisation. La mondialisation n'a donc pas rendu désuet l'Etat comme certains auteurs veulent bien le montrer293. C'est donc à juste titre que Samy Cohen indique effectivement que face à la mondialisation, les démocraties résistent et sont mêmes les « maitres du jeu »294. La critique politique de la globalisation de Bayart le conduit à postuler une subjectivation politique295.

Alors que les Etats collaborent pour traiter les problèmes que pose l'apatridie, il se trouve aujourd'hui encore dans le monde des millions d'individus sans véritable nationalité, car, à ce jour, seulement cinquante-sept Etats ont ratifié la Convention de 1954 relative au statut d'apatride296.

Dans son opinion consultative sur les décrets de nationalité de la Tunisie et du Maroc de 1923, la Cour internationale de Justice dispose que: «La question de savoir si une affaire relève exclusivement ou non de la souveraineté intérieure d'un Etat est une question essentiellement relative; elle dépend du développement des relations internationales»297.

292 UNHCR et Union interparlementaire, Nationalité et apatridie, un guide pour les parlementaires. Guide pratique à l'usage des parlementaires n°11 - 2005, p.3.

293 Lire à ce sujet, Bernard Cassen, Tout a commencé à Porto-Alegre : mille forums sociaux !, Paris, Mille et une nuit, 2003.

294 S. Cohen, La résistance des Etats : les démocraties face aux défis de la mondialisation, Paris, Seuil, 2003.

295 Sylvain Allemand et al. Comprendre la mondialisation II. Nouvelle édition [en ligne]. Paris : Éditions de la Bibliothèque publique d'information, 2008 (généré le 20 janvier 2014). Disponible sur www.books.openedition.org/bibpompidou . pp.10-14.

296 UNHCR et Union interparlementaire, op.cit. , p.7.

297 Ibid. p.8.

123

En fait, la Cour permanente a estimé que si les questions de nationalité relèvent, en principe, de la juridiction interne, les Etats doivent néanmoins honorer leurs obligations vis-à-vis des autres Etats telles qu'elles sont prescrites par les dispositions du droit international. Cependant, plusieurs décalages sont tributaires de la non-ratification par des Etats de la Convention de 1954. Le Gabon n'en est d'ailleurs pas signataire.

Cette approche a été réitérée sept ans plus tard dans la Convention de La Haye sur certaines questions relatives aux conflits entre les lois sur la nationalité. Beaucoup d'Etats ont commenté cette opinion consultative de la Cour permanente de 1923, car elle touchait à la préparation de la Convention de La Haye sur la nationalité de 1930. Pour la plupart, cette opinion consultative apparaissait comme une limitation de l'applicabilité des décisions d'un Etat en matière de nationalité, en dehors dudit Etat, surtout, lorsque ces décisions vont à l'encontre de décisions d'autres Etats relativement à la nationalité.

La Convention de La Haye de 1930, tenue sous les auspices de l'Assemblée de la Société des Nations, était la première tentative internationale visant à assurer à chacun une nationalité. L'article 1 de cette convention dispose: «Il appartient à chaque Etat de déterminer, conformément à sa propre législation, qui sont ses citoyens. Cette législation doit être reconnue par les autres Etats dans la mesure où elle est conforme aux conventions internationales, aux usages internationaux et aux principes de droit généralement reconnus en matière de nationalité».

L'apatridie, reconnue pour la première fois comme un problème mondial durant la première moitié du 20e siècle, peut être le résultat de différends entre Etats sur l'identité juridique d'individus, de la succession d'Etat, de la marginalisation durable de certains groupes sociaux, ou de la déchéance de nationalité frappant individus ou groupes. L'apatridie est généralement liée aux périodes de mutation profonde des relations internationales. Le redécoupage des frontières, la manipulation des systèmes politiques par des dirigeants nationaux poursuivant des objectifs politiques douteux, et/ou le refus ou la déchéance de la nationalité visant à exclure et marginaliser des minorités raciales, religieuses ou ethniques mal aimées, ont fait des apatrides partout dans le monde. Ces 20 dernières années, un nombre croissant de personnes ont été privées de leur nationalité ou n'ont pas pu acquérir une citoyenneté298

298 Ibid. p. 6.

124

Les propos de Lara témoignent des problèmes suscités par le déni d'appartenance dont l'une des finalités peut conduire à l'apatridie : « S'entendre dire «Non» par le pays où je vis; s'entendre dire «Non» par le pays où je suis née; s'entendre dire «Non» par le pays d'où mes parents sont originaires; s'entendre dire encore et encore «vous n'êtes pas des nôtres»! On a l'impression de ne plus exister, de ne plus savoir même pourquoi on vit. Etre apatride, c'est avoir en permanence le sentiment d'être sans valeur »299

L'article 15 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 qui dispose le droit de tout individu à une nationalité peut-être sujet à de vives critiques. Ce droit, en se fondant sur l'existence d'un lien authentique et réel entre la personne et l'Etat, ne laisse qu'une marge de manoeuvre minimale au principe de jurisprudence. Ce lien a été pour la première fois reconnu comme le fondement de la citoyenneté dans une affaire soumise à la Cour internationale de Justice en 1955, l'Affaire Nottebohm. La Cour avait alors estimé que:

«Conformément aux usages des Etats, aux décisions arbitrales et judiciaires et à l'opinion des commentateurs, la nationalité est un lien juridique fondé sur un fait social d'attachement, un rapport authentique d'existence, des intérêts et des sentiments, ainsi que sur l'existence de droits et d'obligations réciproques»300. Cette authenticité du lien n'est pas sans analogie à « la France, tu l'aimes ou tu la quitte » de Nicolas Sarkozy.

Les principes qui sous-tendent cette loi, la naissance, la résidence ou l'ascendance entre autres, sont malgré leur prise en compte, dans la plupart des lois des Etats sur la nationalité ainsi que dans les textes internationaux récents en la matière, ne permettent pas de mesurer l'authenticité du lien et encore moins les intérêts et les sentiments des individus vis-à-vis de l'Etat. L'arbitraire dans ce « flou juridique » devient la seule mesure pertinente pour juger de l'authenticité du lien.

La définition de la Cour interaméricaine des droits de l'homme est certainement sur ce point nettement avancée, elle s'éloigne du concept d'authenticité qu'on peut assimiler à un purisme cher à Hitler. La nationalité y est définit comme «le lien politique et juridique entre une personne et un Etat donné, qui unit l'une à l'autre par des sentiments de loyauté et de fidélité, donnant à la personne concernée droit à la protection diplomatique dudit Etat».301

299 Ibid.

300 Ibid. p. 8.

301 Castillo-Petruzzi et al. Pérou, Jugement de mai 1999, IACHR [ser.C] No 52, 1999.

125

Conclusion de la deuxième partie

Le deuxième mouvement de notre travail porte sur ce que nous avons nommé la métamorphose de la race. Le recours à la notion bourdieusienne de l'habitus nous a permis d'observer l'évolution du discours nationalitaire à travers de nouvelles formes. L'hystérésis de l'habitus consacre le caractère durable de l'ethnicité et sa transposition aussi dans les activités sociales. L'histoire fait corps avec les représentations sociales des acteurs.

Cette partie consiste aussi, en une double temporalité ; deux chapitres en effet, permettent de poursuivre notre analyse sur la dynamique du discours nationalitaire.

Le chapitre troisième de notre travail, traite des nationalismes, sous le prisme du multiculturalisme, c'est-à-dire, de la construction du Gabon à l'aube des indépendances, dont l'enjeu majeure consiste à intégrer les nationalités pour ériger une Nation. « Gabon d'abord », le tiers symbolique et manifeste patriotique des Pères de la nation, dont les discours tantôt mal maitrisés, tantôt mal repris va reproduire, en dépit de la volonté de construire un idéal commun, les représentations ethniques, avec parfois des faits xénophobes comme les évènements sanglants opposant, à Port-Gentil, Gabonais et Togolais en 1953. Nationalisme de substitution donc, les schèmes claniques précoloniaux, les idées reçues de la race coloniale, sont convoqués pour donner lieu, à la fixation d'un symbolisme, qui suppose l'éradication, de la présence au Gabon des Africains de la sous-région.

L'histoire des nations humaines nous rappelle que l'émergence d'une conscience citoyenne quelque peu cohérente ne s'est faite, nulle part, sans beaucoup temps. La lutte pour le pouvoir d'Etat va exhumer les logiques ethniques et la géopolitique du pluralisme culturelle adoptée par le régime Bongo, va consacrer les cristallisations et substantialiser les représentations nationalitaires, que le gabonisme « Vas-y voir le ministre de chez toi », par exemple ou encore, la mobilisation ethnique, le vote régional ou le repli identitaire démontre.

Le quatrième et dernier chapitre de notre travail, est consacré à ce que nous avons choisi, du fait d'une référence à Boltanski et Chiapello, Le nouvel esprit de la nationalité, pour évoquer telles les recompositions du capitalisme, les survivances du discours ethnique dans le quotidien des acteurs.

126

Il s'est agi de questionner les représentations sociales de la gabonité, par les acteurs gabonais dont les discours établi une typologie qui distingue les Gabonais « légaux et naturalisés » des gabonais « naturels et légitimes ». La légalité consiste surtout à conférer la nationalité gabonaise, dans une optique plutôt citoyenne. C'est dans cette optique que nous avons jugé opportun et important de questionner la réalité de la logique métisse chère à Amselle. La binationalité est au sens des représentations sociales, une « anationalité ». C'est pourquoi nous parlons d'apatridie de fait. L'intérêt porté sur la gabonité dans son rapport à une mondialisation supposée intégrative, permet de révéler les heurts, les tumultes et tourments des individus logiquement ethno-situés, en mal avec le multiculturalisme.

L'homo ethnicus demeure et l'ethnie, du fait des habitus ethniste, continue de produire une vision ethnocentrée du monde social. La différence est sujette à cristallisation dans la lutte pour le pouvoir et autres capitaux.

127

Conclusion générale

Au terme de cette analyse, il convient de réitérer la problématique au centre de notre objet d'étude intitulé « Dynamique du discours nationalitaire ». Il se pose, dans ce travail, le problème de cohésion sociale dont l'expression populaire est consacrée par le tiers symbolique du nationalisme au Gabon : « Gabon d'abord ». Notre intérêt a donc porté sur l'évolution du discours à travers la longue durée historique. Il nous a ainsi été donné de lire les velléités pouvoiristes qui définissent le discours identitaires comme stratégie. Comment saisir la dynamique du discours nationalitaire au Gabon ?

Dans l'optique de saisir l'intelligibilité des représentations nationalitaires des individus, sous le prisme du discours, nous avons formulé, une double hypothèse en une. En effet, l'empirisme d'une archéologie de l'ethnicité met à giorno, l'homo ethnicus, comme réalité universelle alors la notion bourdieusienne d'habitus consacre la dynamique du discours nationalitaire. Notre argumentaire, organisé autour de cette double hypothèse a consisté en une planification binaire. En effet, deux parties principales organisent notre travail.

En quête des propriétés sociohistoriques du discours nationalitaire, il s'est agi dans un premier temps, d'une causalité rétrospective dont l'intérêt majeur se saisit au gré des prémisses structuro-nationalitaires qui ont dessinés les frontières cosmogoniques, idéologiques des peuples africains et outre atlantique. Les formes élémentaires d'organisation politique, dont la nation (ethnos) ou plus précisément l'ethnie constitue la base, consacre une théorie de l'homo ethnicus. L'ethnie se structure d'abord autour d'une communauté de destin. Ensuite, le caractère universel des ethnocentrismes et la fonction classificatoire des ethnonymes consacrent la singularité inhérente à chaque peuple.

Cependant, la dynamique du discours nationalitaire porte aussi sur la période hautement marquante de la colonie et son extrémisme de la différence. Les développements idéologiques introduits par les anthropologues dont les récits évoquent fallacieusement, l'existence d'une race supérieure et d'une autre inférieure, auront des conséquences très prononcées sur les représentations des acteurs sociaux au Gabon.

L'oeuvre de la colonie s'accompagne en effet, de l'idéologie de la race. La légitimation de la conquête coloniale se fonde sur le darwinisme social. La période coloniale va juxtaposer selon la formule d'Albert Memmi, le double portrait colonisé/colonisateur.

128

Par ailleurs, une approche géographique met en exergue le passage des frontières naturelles précoloniales à la division coloniale de l'Afrique. Les estimations relatives aux frontières africaines indiquent environ 70 % d'entre elles, telles qu'on les connaît aujourd'hui furent définies sans concertation avec les populations concernées, entre la conférence de Berlin et la fin de la première décennie du XXe siècle. Les liaisons dangereuses entre ce découpage colonial et les problématiques actuelles, relatives à l'ethnicité en l'Afrique, sont tributaires, non seulement du sceau des rivalités et des intérêts des anciennes puissances coloniales, mais aussi de l'arbitraire dans le procès de séparation et de rapprochements, respectivement des peuples amis et des peuples opposés.

Le second grand point de notre travail consiste à ce que nous avons nommé, la métamorphose de l'ethnicité. Il s'organise par une double temporalité qui intègre la postcolonie et la contemporanéité. S'agissant de la postcolonie, une mise en perspective de l'héritage du colonialisme, entant qu'entreprise civilisatrice, envisagée corrélativement avec l'imposition de l'État moderne, nous a donné à juxtaposer le nationalisme au multiculturalisme. La fabrication d'une identité nationale par l'homogénéisation des différences va se poser comme défi majeur des jeunes démocraties africaines. La préexistence et la prééminence de l'ethnicité sur le colonialisme, rendra improbable la construction d'une identité nationale. Les populations y résisteront et opposeront pour cela différentes attitudes face à l'État. Cette réfraction des acteurs est une autodéfinition de ces derniers, en référence à cet héritage qui imbrique, l'essence même de la distinction dans la précolonie et l'expérience coloniale de la hiérarchie des races. L'intelligibilité de cette posture répond à une convocation bourdieusienne de la théorie de l'habitus, dont l'hystérésis explique que la conservation, dans une large mesure, des dispositions, même si elles sont devenues inadaptées suite par exemple à une évolution historique (révolutions, crises, etc.) ayant fait disparaître le monde ambiant originel. Ainsi, la postcolonie africaine et la compétition pour le pouvoir exacerbée, la mobilisation ethnique s'avère être l'instrument privilégié des acteurs engagés dans cette lutte, parce qu'elle fait sens, qu'elle est opérationnelle et facilement manipulable.

La chute de notre travail de recherche problématise, dans un ultime chapitre, la dynamique de la gabonité sous le prisme des identités mondialisées. Bourdieu écrit que les dispositions constitutives de l'habitus sont, non seulement durables, mais aussi transposables. Autrement dit, les dispositions acquises dans une certaine activité sociale sont transposées dans une autre activité. Dans notre cadre, il s'agit d'entrevoir l'actualité de la nationalité par rapport

129

à l'historicité de cette catégorie. C'est-à-dire, les dispositions acquises pendant la socialisation et ayant engendrées des habitus ethniques, peuvent être transférées dans une activité sociale différente de celle du champ de leur engendrement.

Ainsi, nous est-il donné, d'observer selon les cas, les déclinaisons d'une gabonité légale et d'une autre légitime. La mise en crise de la gabonité, tel que l'expérience nous démontre, consiste à analyser, à l'épreuve du droit, les logiques sous-jacentes à ce qu'on peut nommer, le doute sur l'identité d'un Président de la république et la pertinence des considérations classiques de l'ethnicité, c'est-à-dire, la territorialité, la consanguinité et l'utérinité, la langue et le patronyme.

L'acquisition de la nationalité gabonaise est régie par la loi n° 37/98 du 20 juillet 1999, portant Code de la nationalité gabonaise, et le décret n° 767/PR/MJGS du 16 octobre 2002 portant application de certaines dispositions du Code de la nationalité. Les dispositions relatives à cette loi sous-tendent le caractère légal de la nationalité gabonaise. Cependant, une revalorisation du discours commun, à travers les questionnements à l'instar de « Qui est Gabonais ? », « Qui est plus Gabonais que qui ? », « Gabonais de naissance », « Gabonais d'origine étrangère », « Gabonais d'adoption », « Gabonais 100% », « il est café au lait », « on n'est tous Gabonais », «...de naissance ou d'adoption » laisse augurer d'un essentialisme, d'une purisme défiant parfois, le cadre juridique.

Notre intérêt pour le sens commun consiste non pas à confirmer ou à infirmer la gabonité de quiconque, mais d'analyser le discours nationalitaire afin d'y lire, les stratégies de pouvoir, qui détourne le débat politique de son champ idéologique habituelle, pour le transposer vers une idéologie de l'identité nationale, reproductrice de l'ethnisme originelle et tributaire aussi, de la raciologie coloniale discriminante. A la manière du Front National en France, le substrat idéologique repose sur un discours nationalitaire, émancipé du Droit et dont l'optique d'inculper, par l'arbitraire, pour fausse identité, fausse gabonité ou nationalité douteuse, ses adversaires politiques.

Enfin, L'essor de la réflexion sur la nation et le nationalisme est sans cesse actualisé depuis les années 1980. Ces débats s'opèrent autour du multiculturalisme, du cosmopolitisme et de la mondialisation qui d'emblée, se pose comme cadre de questionnement par excellence du postnationalisme. Le multiculturalisme est déjà mis à mal par la construction difficile des Etats africains. Les politiques de l'identité et les stratégies identitaires des leaders

130

politiques flirtent parfois avec la xénophobie. Un double processus apparemment contradictoire caractérise notre époque : la persistance des nationalismes (y compris les ethnonationalismes) et la croissance du multiculturalisme, du transnationalisme et du cosmopolitisme.

Ainsi, la dernière section de cette recherche consiste en une critique de la « logique métisse » sous le prisme du discours sur la nationalité et les stratégies d'exclusion des binationaux. Aussi, s'est-il s'agit, d'examiner les survivances des nationalismes malgré les redéfinitions des concepts de nation et de territoire opérées par le droit international et la mondialisation.

L'hypothèse binaire, de ce travail de recherche est donc empiriquement vérifiée. A posteriori d'une analyse pertinente du fait ethnique au Gabon, il nous est donné d'observer la dynamique identitaire qui imbrique stratégie de pouvoir et discours nationalitaire dont l'intelligibilité met au centre, la réalité de l'homo ethnicus et la reproduction des habitus ethnicistes durables et transposables, selon les propositions bourdieusiennes.

131

Bibliographie

Ouvrages méthodologiques

Bourdieu P. et al. Le métier de sociologue, Paris, Mouton, 1968.

Bourdieu P., Le sens pratique, Paris, Minuit, 1980.

Grawitz M., Méthodes en science sociales, Paris, Dalloz, 10ème éd., 1996.

Kaldhoum Ibn, Muqaddima, I/328-331, Traduction d'Abdelssalem Cheddadi, La bibliothèque arabe Sindbad, Paris, 1986.

Montesquieu, De l'esprit des lois, Paris, GF Flammarion, 1979.

Quivy R. et Van Campenhoudt L., Manuel de recherche en sciences sociales, Paris, Dunod, 1995.

Cefai Daniel, L'Enquête de terrain. Textes réunis, Editions La Découverte, Paris, 2003.

Ouvrages généraux

Bourdieu P. Les Structures sociales de l'économie, Paris, Seuil 2000.

Foucault M., « Il faut défendre la société », Gallimard/Seuil, coll. « Hautes Études », Paris, 1997.

Foucault M., La Volonté de savoir, Gallimard, coll. « Bibliothèque des Histoires », Paris, 1976. Foucault Michel, l'Archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969.

Habermas Jürgen, L'Intégration républicaine. Essai de théorie politique, Fayard, 1998.

Habermas J. Théorie de l'agir communicationnel. T.1: Rationalité de l'agir et rationalisation de la société (trad. J.-M. Ferry). Paris: Fayard (1re éd. 1981). 1987.

Ingold, T. The perception of the environment: Essays on livelihood, dwelling and skill. London, UK: Routledge, 2000.

Kafka Franz, La Métamorphose, (trad. de l'allemand par Claude David, préf. Claude David), Paris, Gallimard, coll. « Folio Classique » (no 5882), 2015.

Leplat J., Regards sur l'activité en situation de travail. Contribution à la psychologie ergonomique, Paris : Presses universitaires de France, 1997.

132

Lukacs G. Histoire et conscience de classe, Paris, 1960.

Mattelart, Armand et Michèle, De l'usage des médias en temps de crise, Paris, Alain Moreau, Col. « Textualité », 1979.

Poulantzas N., Pouvoirs politique et classes sociales de l'état capitaliste, Paris, Maspero, 1968.

Ouvrages spécialisés

Amin S., La faillite du développement en Afrique et dans le tiers monde, Paris, L'Harmattan, 1989.

Amselle Jean-Loup, Logiques métisses. Anthropologie de l'identité en Afrique et ailleurs, Payot, 1990, rééd. Payot & Rivages, 1999.

Amselle Jean-Loup, M'Bokolo Elikia, dir. Au coeur de l'ethnie : ethnies, tribalisme et État en Afrique, Paris, La Découverte/Poche, 1999.

Balandier G., Sens et puissance, 3ème éd. Paris, PUF, « Quadrige », 1986.

Barth Fredrick, Ethnic Groups and Boundaries. The Social Organisation of Cultural difference, Barth F. éd., Boston, 1969.

Barthes R., Mythologies, Paris, Seuil, 1957, (rééd. Points, 1970).

Bayart Jean-François, L'illusion identitaire, Paris, Fayard, coll. « L'espace du politique », 1996.

Bayart J.-F., Mbembe A., Toulabor C., Le politique par le bas en Afrique noire. Contribution à une problématique de la démocratie, Paris, Karthala, 1992.

Bonte P. et Izard M. (dir.) Dictionnaire de l'ethnologie et de l'anthropologie, Paris, 2002. Bruno F. et Bruneau Ch., Précis de grammaire historique, Paris, Masson et Cie., 1899.

Clervoy Patrick et Corcos Maurice, "Petits moments de la psychiatrie en France", Paris, EDK, 2005.

Cohen S., La résistance des Etats : les démocraties face aux défis de la mondialisation, Paris, Seuil, 2003.

Condominas G. et Dreyfus-Gamelon (sous la dir.), L'anthropologie en France. Situation actuelle et avenir, Paris, Ed. Du CNRS, 1979.

133

Coquery-Vidrovitch C. (dir.), Connaissance du tiers-monde. Approche pluridisciplinaire, Paris, Union générale d'édition/Université Paris 7, 1977.

Darwin Charles, The Descent of man, 1st edition, 1871.

Duschesne S., Scherrer V., identité(s), Actes du colloque de la MSHS de Poitiers, Poitiers : France(2003).

Gazibo M. et Thiriot C., La politique en Afrique : états des débats et pistes de recherche, Paris, Karthala, 2009.

Gembloux et Duclos (dir.), Maghreb, Histoire et sociétés, Alger, SNED, 1974. GEMDEV, Les avatars de l'Etat en Afrique, Paris, Karthala, 1997.

Goffman E., Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, 1975 (1re éd. 1963). Goffman, E. La Mise en scène de la vie quotidienne, Paris, 1973 (1re éd. 1959).

Hermet Guy, Culture et démocratie, Paris, UNESCO, Albin Michel, 1993.

Jankélévitch Vladimir, 1960, Le pur et l'impur, Paris, Flammarion, p. 103. Kymlicka, 1992.

Ferréol G., Jucquois G., Dictionnaire de l'altérité et des relations interculturelles. Paris, Armand Colin, coll. « Dictionnaire », 2005.

Kymlicka, La citoyenneté multiculturelle : une théorie libérale du droit des minorités, Editions du Boréal(Canada), La découverte et Syros(France), 2001.

Lepetit B. (Dir.), Les Formes de l'expérience. Une autre histoire sociale, Paris, Albin Michel, 1995.

Laplantine François, Nouss Alexis, Le métissage, Paris, Flammarion, 1997. Lévy-Bruhl L., Les fonctions mentales dans les sociétés inférieures, Paris, Alcan, 1910. Lévi-Strauss Claude, Anthropologie structurale II, Plon, Paris, 1973. Maran René, Batouala, Véritable roman nègre, Paris, Albin Michel, 1921. Marouf Nadir (Dir.), Identité-Communauté, Paris, L'harmattan, 1995.

Mbembe A., De la postcolonie. Essai sur l'imagination politique dans l'Afrique contemporaine. Paris, Karthala, 2000.

Mead G.H., L'Esprit, le soi, et la société, Paris, PUF, [1934], coll. « Le lien social », 2006.

134

Merlet Annie, Autour de Loango (XIVe -XIXe siècle), histoire des peuples du sud-ouest du

Gabon au temps du Royaume de Loango et du « Congo français », Libreville/Paris, CCF, Coll. « Découverte du Gabon », 1991.

Mworoha E., Peuples et rois de l'Afrique des grands lacs. Le Burundi et les royaumes voisins au XIXème siècle Dakar-Abidjan, NEA, 1977.

Nkoghe Stéphanie (Dir.), Anthropologie de la socialisation, Paris, L'Harmattan, 2013. N'krumah, L'Afrique doit s'unir, Paris, Payot, 1964.

Nazi Boni, Histoire synthétique de l'Afrique résistante, les réactions des peuples africains face aux influences extérieures, Paris, Présence Afrique, 1971.

Novicow J., La critique du darwinisme social, paris, Alcan, 1910.

Nze-Nguema F.P., L'Etat au Gabon de 1929 à 1990, Le partage institutionnel du pouvoir, Paris, L'Harmattan, 1998.

Poutignat P. et Streiff- Fenard J., Théories de l'ethnicité, Paris, PUF, 1995.

Prunier G. & Chrétien J.-P., Les ethnies ont une histoire, Karthala, Paris, 2e éd. 2003. Reclus Onésime, La Géographie vivante" pour le cours préparatoire et le CM1, 1926.

Renan Ernest, Qu'est-ce qu'une nation ? Editions Mille et une nuits, novembre 1997, n°178.

Sinou A. et Sternadel J., Villes d'Afrique noire entre 1950 et 1960, Paris, La documentation française, 1989.

Tonda J, Le Souverain moderne. Le corps du pouvoir en Afrique centrale (Congo, Gabon) Paris, Karthala, 2005.

Tonda J., La guérison divine en Afrique centrale (Congo-Gabon), Paris, Karthala, 2002.

Rossatanga-Rignault G., L'Etat au Gabon, Histoire et Institutions, Libreville, Editions Raponda-Walker, 2009, (1ère éd.2000).

UNHCR et Union interparlementaire, Nationalité et apatridie, un guide pour les parlementaires, Guide pratique à l'usage des parlementaires n°11 - 2005.

Vallois Henri, Les Races humaines, Paris: PUF. 7e édition, 1944.

Ziégler J., Sociologie de la nouvelle Afrique, paris, Gallimard, coll. « idées nrf », 1964.

135

Articles

Bayart J. F., « Hégémonie et coercition en Afrique subsaharienne, La «politique de la chicotte« », in Politique africaine, N°110, juin 2008, pp.123-152.

Brubaker R., F. Cooper « Au-delà de l'«identité» », Actes de la recherche en sciences sociales, 139 (2001), pp. 66-85.

Bui-Xuân Gilles, Compte Roy et Mikulovic Jacques, « La culture du handicap peut-elle être une culture du métissage ? », Corps et culture [En ligne], Numéro 6/7 | 2004, mis en ligne le 12 octobre 2007, Consulté le 23 décembre 2015. URL : http://corpsetculture.revues.org/839.

Chrétien J.P., « le Burundi : des mythes à la réalité », in Revue française d'études politiques africaines, 7 août 1979, pp. 112-113.

Darbon D., « De l'ethnie à l'ethnisme : réflexions autour de quatre sociétés multiraciales, Burundi, Afrique du Sud, Zimbabwe et Nouvelle Calédonie », in Afrique contemporaine, N° 154, 1990, pp. 35-48.

Freitag, M. Pour un dépassement de l'opposition entre «holisme» et «individualisme» en sociologie. In J.-F. Côté (dir.), Individualismes et individualité, Sillery: Éditions du Septentrion, 1995, pp. 264-326.

Gahama J., « la marginalisation des anciennes croyances » in Le Burundi, sous administration belge. La période de mandat 1919-1939, Paris Karthala-ACCT-CRA, 1983, pp. 355-370.

Gonçalves A.C., « Différences culturelles et identités ethniques », Revista da Faculdade de letras-geografia, I Série, Vol. I, Porto, 1986, pp.41-50.

Laely T., « les destins des du Bushingatahe. Transformation, d'une structure locale d'autorité au Burundi », in Genève-Afrique, N° 2, 1992, pp.75-98.

Lemaire Sandrine (dir.) et al. « Les zoos humains de la République coloniale », in Le Monde Diplomatique, Août 2000, pp. 16-17.

Lévi-Strauss C., Benoist J.-M., « Conclusions », in L'Identité, séminaire interdisciplinaire dirigé par Claude Lévi-Strauss, professeur au Collège de France, 1974- 1975, C. Lévi-Strauss dir. Paris, 1977, p. 317-332.

Martin D. C., « Au-delà de la post-colonie, le Tout-Monde ? Pour une lecture sociologique d'Edouard Glissant », in Smouts Marie-Claude (dir.), La situation postcoloniale : les `'postcolonial studies» dans le débat français, Paris, Presse de Sciences Po, 2007, p.134-169.

Masure François , « État et identité nationale, un rapport ambigu », Journal des Anthropologues, Hors-série | 2007, 39-50.

136

Maquet Jacques, « AFRIQUE NOIRE Culture et société - Civilisations traditionnelles», in Encyclopédie Universalis, 2014. (Version électronique).

Marouf Nadir, « Identité culturelle et Identité nationale en Algérie et au Maghreb », Colloque National : La place des formes d'expressions populaires dans la définition d'une culture nationale. Université de Tizi-Ouzou, novembre 1999, pp.13-44.

Matsiegui Mboula F., « La `'géopolitique» au Gabon : Institution d'exercice de la violence de l'imaginaire », Gabonica N° 5, Novembre 2011. pp.59-74.

Mauss M., « L'âme, le nom et la personne » [1929], in OEuvres, 2, Paris, 1969, p. 131-135.

Mauss M., « Une catégorie de l'esprit humain : la notion de personne, celle de «moi» » [1938], dans Sociologie et anthropologie, Paris, 1950, p. 331-362.

Mbembe A., « L'Afrique de Nicolas Sarkozy » in www.africultures.com, consulté le 05/05/2015

Memmi Albert, « Le portrait du colonisé », in http://www.esprit.presse.fr/review, consulté le 12/04/2015.

Meproba, « Burundi : un complot impérialiste mène au génocide », Mai 1972, inédit in Notre politique, avril 1977, pp.54-57.

Nathan Tobie, « À qui appartiennent les métis ? » in Nouvelle Revue d'Ethnopsychiatrie, Paris, La pensée Sauvage Éditions, 21, 1993, p. 13-21.

Nguema Minko E., « la géopolitique du pluralisme culturel au Gabon : stratégies de longévité au pouvoir et techniques gouvernantes clientélistes », in Enjeux, N° 37, 4ème trimestre 2008, p. 248.

Nicolas G., « Fait ethnique et usages du concept d'ethnie », in Cahier internationales de sociologie, vol. LIV, 1973, pp.95-126.

Obenga, Théophile, (dir.), Les peuples Bantu : migrations, expansion et identité culturelle. Actes du Colloque International - Libreville 1 au 6 avril 1985 - Tome 2. Paris : L'Harmattan , Libreville : CICIBA, 1989, pp. 293-599

Otayek R., « Afrique (conflits contemporains) » in Encyclopédie Universalis, 2012(version électronique).

Pourtier Roland, « AFRIQUE Structure et milieu - Géographie générale » in Encyclopédie Universalis, 2014, (Version électronique).

137

Rossantanga-Rignault, « Faut-il avoir peur des Fang ? De la démocratisation à l'ethnisme au Gabon », in Droit et culture, Revue semestrielle d'anthropologie et d'histoire, N°26, 1993, pp.235-255.

Tonda J., « La violence de l'imaginaire des enfants-sorciers », Cahiers d'études africaines [En ligne], 189 190 | 2008, mis en ligne le 04 avril 2008, consulté le 27 février 2015. www.etudesafricaines.revues.org/10872

Touret Denis, Le darwinisme social par Herbert Spencer, in Les classiques en sciences sociales, www.uqac.ca , consulté le 13/04/2015 à 19h 30.

Vandenberghe, F. « L'école de Montréal: théorie critique ou critique théorique de l' `'asociété» » in Société, 26, 2006, pp.115-151.

Zavalloni M., « L'identité psychosociale, un concept à la recherche d'une science » in Moscovici, Traité de psychologie sociale, 1978, Larousse, Paris, pp. 245-265.

Mémoires et thèses

Di Giacomo J.P., Représentations sociales et comportement collectif, Thèse de doctorat, UCL, Louvain-la-Neuve, 1982.

Kàc Salif, La problématique des conflits en Afrique: le cas de la Somalie, de la Côte d'Ivoire et de la RDC, Mémoire de Maitrise en sciences politiques, Université Gaston Berger de Saint-Louis, 2012.

Matsiegui Mboula F., L'Etat et le tribalo-régionalisme au Gabon, de 1990 à nos jours, thèse de doctorat N.R. Amiens, 2005.

Mbah Jean Ferdinand, Le tribalisme, adaptation et/ou survivance de l'idéologie dominante au Gabon, Thèse de Doctorat 3ème Cycle, Paris V, 1979.

Ondo Essono A., Onomastique et classes sociales, Rapport de licence, UOB, 1992.

Webographie

Cassely Jean Laurent, « Maffesoli Michel le troll de la sociologie française » sur www.slate.fr, publié le 09/05/2015, consulté le 23/19/15 à 13h.

138

Diarra A., www.rfi.fr/afrique/20131129-archives-frontières-africaines-AddisAbeba , le 29 novembre 2013, consulté le 19/04/2015 à 19h 08.

Ferry et Clemenceau, http://ldh-toulon.net/Jules-Ferry-et-Clemenceau.html, article de la rubrique histoire et colonies > colonies, date de publication : dimanche 1er décembre 2013 consulté le 08/04/2015 à 19h 08.

Nzouba-Dama G., Discours à l'occasion de la proposition du projet de loi contre le tribalisme et la xénophobie, http://i241.ga/921

Ona Essangui Marc, « Maixent, chef de la «Légion étrangère« » in www.facebook.com, publié le 21 décembre 2014.

Rekacewicz Philippe, Carte des frontières de l'Afrique, in www.towards.be .

Tonda J., entretien avec Catherine Gau, In www.Africultiure.com, Consulté le 04/01/2015 à 9h30.

Table des matières

139

Dédicace

Remerciements

Sigles

Table des illustrations

Avant-propos

Introduction générale 1

Partie préliminaire : PREALABLES EPISTEMOLOGIQUES ET METHODOLOGIQUES 13

SECTION I : Objet et champ de l'étude 14

1. Le discours nationalitaire comme objet d'étude 14

2. Champ théorique : la sociologie politique 16

SECTION II : Problématisation 18

I. Revue de la littérature sur le fait nationalitaire 18

1. Le débat fondamentale sur l'ethnie (la nationalité) 18

2. La nationalité dans la littérature sociologique africaniste 21

3. Les universitaires gabonais et le fait nationalitaire. 28

II. Position 30

1. Cadre théorique 33

2. Hypothèse 36

3. Construction du concept de dynamique du discours nationalitaire 36

SECTION III : Approche méthodologique 37

I. Techniques de collecte des données. 38

1. L'observation indirecte 38

2. Les fils de discussions 39

3. La recherche bibliographique 40

4. Le focus group 41

II. Technique de traitement des données : l'analyse de contenu 41

III. Champ empirique et délimitation temporelle de l'étude 41

IV. Difficultés et limites de l'étude 42

Partie I : PROPRIETES SOCIOHISTORIQUES DU DISCOURS NATIONALITAIRE 43

Chapitre I : La socio-archéologie de l'ethnicité 46

Section I : Des prolégomènes pour une théorie de l'homo ethnicus 47

1. L'étymologie et la généalogie de l'ethnie 48

140

2. Les ethnè comme formes élémentaires d'organisation politique. 53

Section II : De l'ethnocentrisme à l'ethnonymie 58

1. L'universalité de l'ethnocentrisme ou la négation d'une altérité humaine 59

2. La fonction classificatoire des ethnonymes 61

Chapitre II : De la « géno »-politique coloniale au partage de l'Afrique 65

Section I : La « géno »-politique coloniale 67

1. Le darwinisme social et la légitimation de la conquête coloniale 67

2. Le double portrait colonisateur/colonisé 70

Section II : Des frontières naturelles précoloniales à la division coloniale de l'Afrique 74

1. La répartition territoriale des populations dans la précolonie 75

2. La Conférence de Berlin de 1884 à 1885 77

Conclusion de la première partie 81

Partie II: LA METAMORPHOSE DE LA RACE 83

Chapitre III : Entre nationalisme et le multiculturalisme. 87

Section I : Une citoyenneté improbable 90

1. L'intégration des nationalités et la construction de l'Etat 91

2. « Gabon d'abord » ou le manifeste politique des Pères de la Nation 93

Section II : Le nationalitarisme et la lutte pour le pouvoir d'Etat 95

1. Les partis politiques et la tyrannie du clan 97

2. La géopolitique du pluralisme culturel 104

Chapitre IV : Le nouvel esprit de la nationalité 107

Section I : Qu'est-ce qu'un Gabonais ? 107

1. Du droit à la gabonité 108

2. La hiérarchie des origines de la gabonité. 112

Section II : La gabonité au prisme de la mondialisation 117

1. Pour une critique de la raison métisse 118

2. La nationalité dans le droit international 121

Conclusion de la deuxième partie 125

Conclusion générale 127

Bibliographie 131






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Le don sans la technique n'est qu'une maladie"