UNIVERSITE OMAR BONGO
FACULTE DES LETTRES ET SCIENCES HUMAINES DEPARTEMENT
DE SOCIOLOGIE
LA DYNAMIQUE DU DISCOURS
NATIONALITAIRE AU GABON
|
MEMOIRE DE MASTER
Option : SOCIOLOGIE DE L'ETAT, DU POUVOIR ET DES
INSTITUIONS.
Présenté et soutenu par
Adiela Amour Shiva BOUSSOUGOU KASSA
Sous la direction de
Fidèle Pierre NZE NGUEMA Professeur titulaire
des universités (CAMES)
Et de
Roger NGUEMA OBAME
Libreville, janvier 2016
1
Dédicace
2
A mes mères : In memoriam Marie
Thérèse Délicat, En hommage à
Pierrette Ngayoulou. Ces femmes qui, chacune à leur
manière m'ont donné vie, courage et inspiration.
3
Remerciements
Au terme de cette phase de notre formation, nous profitons de
cette page pour affirmer notre gratitude à tous ceux ou celles qui, de
près ou de loin, nous ont assuré disponibilité,
collaboration et conseils pour la rédaction de ce mémoire et la
réussite des enseignements de notre parcours.
Nous tenons à manifester nos sincères
remerciements au Pr F.P. Nze-Nguema, non seulement pour l'intérêt
porté à notre travail, mais aussi pour la place de choix qu'il
nous a offerte à la Chaire UNESCO en sciences sociales, pour notre
formation optimale. Sincères remerciements également, à M.
R. Nguema Obame notre co-directeur, pour son soutien multiforme, son
attachement à notre réussite, sa disponibilité et pour la
rigueur qu'il nous a imposé dans l'élaboration de ce travail.
Notre reconnaissance va droit à toute l'équipe
du Département de Sociologie de l'Université Omar Bongo. En
particulier au Pr Mesmin Noël Soumaho, pour les heures incomptables
passées, pendant les cours et pendant les soutenances, à nous
rappeler la rigueur dans la présentation de nos travaux de recherche. A
M. Fortuné Matsiegui-Mboula, notre maître-initiateur à la
sociologie politique, pour ses conseils et ses orientations en matière
de bibliographies se rapportant à notre sujet.
A notre grande famille. A notre père d'abord, M. Serge
Maurice Boussougou, pour tous les sacrifices consentis pour notre
réussite. « Honnis soit celui qui ne fait pas mieux que son
père » nous ressasse-t-il. Qu'il trouve dans ce travail, un
lustre pour sa fierté.
A nos nombreux, frères et soeurs que nous ne saurons
citer ici, qu'ils trouvent ici notre reconnaissance pour leurs encouragements.
Madeleine Mokono-Kongo, Laetitia Rouchard Délicat, Joe Shutsha, Chris
Boussougou, Dave Délicat, Thérence Délicat, Alain
Rouchard. Nous leur devons bien plus que ce modeste travail et nous les prions,
tout de même de l'accepter comme première
échéance.
Last but not least, nous ne manquerons pas
d'évoquer ici, nos chers amis et compagnons d'université. Nous
nous somme résolu de ne pas les citer nommément. Ainsi, nous
n'oublions personnes. Merci à tous pour vos apports respectifs à
ce travail. Une mention particulière pour Cyr Moussa Moussavou et Elodie
Ntsame Obame.
4
Sigles
P.D.G : Parti Démocratique Gabonais
C.A.D.E.S : Coordination des Activités Des Etudiants
de Sociologie
M.E.P.B : Mouvement des Etudiants
Progressistes Barundi
U.A : Union Africaine
U.D.S.G : Union Démocratique et
Sociale du Gabon
B.D.G : Bloc Démocratique Gabonais
F.N : Front national
P.U.N.GA : Parti de l'Union Nationale du
Gabon
MORENA : Mouvement du Renouveau National
RNB : Le Rassemblement National des
Bûcherons
RPG : Rassemblement Pour le Gabon
RNBD : Rassemblement National des
Bûcherons Démocrates
PGP : Parti Gabonais du Progrès
UPG : Union du Peuple Gabonais
PSD : Parti Social-Démocrate
5
Table des illustrations
Document 1 : Capture d'image, La Géographie
vivante pour le cours préparatoire et le cours moyens,
d'Onésime Reclus.
Document 2 : Carte de Philippe Rekacewicz, Le partage
de l'Afrique.
Document 3 : Tableau, Les Représentations de
la gabonité.
Document 4 : Figure, La hiérarchie des
origines de la gabonité.
SOMMAIRE
6
Introduction générale 1-5
Partie préliminaire : PREALABLES EPISTEMOLOGIQUES
ET METHODOLOGIQUES 13
SECTION I : Objet et champ de l'étude
|
14-9
|
SECTION II : Problématisation
|
18-29
|
SECTION III : Approche méthodologique
|
37-35
|
Partie I : PROPRIETES SOCIOHISTORIQUES DU DISCOURS
NATIONALITAIRE . 43-38
Chapitre I : La socio-archéologie de
l'ethnicité
|
46
|
Section I : Des prolégomènes pour une
théorie de l'homo ethnicus
|
47-50
|
Section II : De l'ethnocentrisme à l'ethnonymie
|
58-57
|
Chapitre II : De la « géno »-politique
coloniale au partage de l'Afrique
|
65-60
|
Section I : La « géno »-politique
coloniale
|
67-66
|
Section II : Des frontières naturelles
précoloniales à la division coloniale de l'Afrique
|
74-73
|
Conclusion de la première partie
|
81-75
|
Partie II: LA METAMORPHOSE DE LA RACE
|
83-79
|
Chapitre III : Entre nationalisme et le
multiculturalisme.
87-82
|
|
Section I : Une citoyenneté improbable
|
90-87
|
Section II : Le nationalitarisme et la lutte pour le
pouvoir d'Etat
|
95-99
|
Chapitre IV : Le nouvel esprit de la nationalité
|
107
|
Section I : Qu'est-ce qu'un Gabonais ?
|
107-109
|
Section II : La gabonité au prisme de la
mondialisation
|
117-117
|
Conclusion de la deuxième partie
|
125-119
|
Conclusion générale
|
127-123
|
Bibliographie
|
131-131
|
AVANT-PROPOS
« Lorsqu'on regarde notre monde, il semble, en
dépit de l'émergence des moyens de communication qui les
rapprochent, que les hommes demeurent encore plus séparés que
jamais, que l'individualité semble s'imposer comme culture, que nous
vivons de plus en plus dans un monde de la subjectivité absolue.
Pis encore, l'intolérance, les différences individuelles
et culturelles s'accentuent davantage, rendant difficile la cohabitation
pacifique entre les hommes de religions et de cultures
différentes. Cette situation nous conduit à
réfléchir sur les possibilités d'un fondement
philosophique d'une fraternité universelle, d'une communauté
humaine où chaque homme se sentira authentiquement frère de tous,
et où l'on pourra vivre, en reconnaissant à autrui son
droit à la différence. De cette fraternité
découlera, comme une conséquence existentielle, l'exigence de
solidarité »1
7
1 Hans Oko Boussougou, Analogie et
solidarité dans connaissance de l'être de J. De
Finance, Paris, Editions universitaires européennes,
2016. Page 1.
8
Introduction générale
Le présent travail de recherche porte sur la dynamique
du discours nationalitaire au Gabon. En effet, la prégnance de
l'ethnicité dans les représentations sociales et la
récurrence d'une rhétorique nationalitaire dans les
médias, problématisent la construction de la nation et
l'émergence du patriotisme en dépit de la fixation du symbolisme
« Gabon d'abord ». Autrement dit, cette recherche vise à
interroger les rapports historiques, entre les groupes sociaux nommés
« ethnies » dans la construction de l'Etat au Gabon. Ainsi, les liens
problématiques entre l'ethnicité et la citoyenneté peuvent
traduire, une crise de l'identité nationale ou une crise nationale de
l'identité.
Une dimension frappante de l'enquête sur laquelle
s'appuie cette recherche réside dans les représentations sociales
des acteurs de la nationalité, exprimées, d'une part, de
manière latente dans la praxis, la monté d'un discours
« politicien » médiatisé et ses conséquences
sociales, dans l'effritement du lien social, d'autre part.
L'usage en sociologie essentialise la fondation de tout
travail de recherche sur la constatation d'un problème social, d'une
situation pathologique.
Ainsi, notre intérêt pour l'étude du
discours nationalitaire, est suscité par la mise en crise, par ce
discours, du lien social. En effet, la récurrence d'un discours
ethnocentriste, voire ethniciste et même xénophobe,
actualisé à souhait, par les médias et les hommes
politiques, met au défi, l'Etat entant que dépositaire unique de
la violence légitime, pour paraphraser Weber. Seul, l'Etat est
habilité à identifier ses citoyens, c'est-à-dire à
distinguer le Gabonais du non Gabonais. Si Benoit Mouity-Nzamba, un homme
politique de la seconde heure gabonaise nous rappelle que le discours
nationalitaire est daté, car « entre les années 1979 et
1981, il ne faisait pas beau d'être Punu » ; il n'en demeure
pas moins qu'il arbore depuis 2009, un caractère tendancieux. Nous
pouvons lire, chaque semaine, dans la presse nationale, des parutions de cette
nature. Pour nous éloigner du procès d'un effet d'observation,
illustrons par des faits empiriques, notre propos.
Observons, à travers les exemples qui suivent, les
illustrations du discours nationalitaire. Analysons d'abord, le discours de ce
notable de la Ngounié, dans un reportage de Gabon
Télévision, retransmis, lors du journal
télévisé de 20 heures, le 12/03/2015 : « Nous
sommes très heureux qu'une fille de Mandilu, soit élue
Président du Sénat(...), c'est Ntsamba-Magotsi qui gagne, c'est
la Ngounié qui Gagne et enfin, [ajoute-t-il], c'est le Gabon
qui gagne». Il
9
s'agit ici, d'un stade latent du discours nationalitaire. Il
consiste à reléguer le Gabon en second plan, pour se
référer d'abord à l'ethnie.
Evoluons. Souvenons-nous ces banderoles arborant le message
« Tous sauf les Fang » lors de l'élection
présidentielle de 2009 et rappelons-nous ce titre : « Pendant
que Fang et Punu se déchirent » paru dans Le Nganga
du jeudi 21 février 2013. Remarquons, la violence du «
Tuez-les tous » paru dans L'Aube du lundi 27 janvier
2015. Constatons enfin, la parution du titre « En 2025 il n'y aura
plus de Gabonais autochtones... » de La Loupe le 03 novembre
2015.
Les illustrations qui suivent, nous permettent d'asseoir
définitivement par des données empiriques, notre problème
de recherche, en mettant en exergue la violence du discours nationalitaire,
pernicieuse pour le lien social. Il s'agit de deux discours
rapportés.
Le premier est celui de Michel Ogandaga : « Je suis
un homme en colère, écoeuré par ce qui se trame
actuellement au sein du PDG dans le Woleu-Ntem. Même si la
traîtrise de nombreux militants PDG du Woleu-Ntem ne surprend personne,
cette province a toujours été le bastion du judaïsme,
antichambre du salafisme...Pour mettre un terme à cette immense
saloperie, le grand ménage doit-être fait maintenant dans le PDG.
Je demande donc des sanctions fermes et immédiates contre ces ordures...
exclusion illico presto du PDG, limogeage manu militari de toute fonction
officielle, Suspension à vie de tout revenu...».
C'est à la suite de cette déclaration que
l'hebdomadaire l'Aube, publiera sur sa une du lundi 27 janvier 2015, le titre
« Tuez-les tous » que nous citions supra. L'on
peut, dès lors, à raison, questionner les conséquences de
ce discours aux relents ethnistes et de sa récupération
médiatique, sur les représentations sociales des acteurs. Le
dialogue qui suit nous en éclaire quelque peu.
M. KASSA et M. OBAME attendent un taxi depuis plusieurs
minutes déjà, après leur journée de travail. Un
véhicule stationne devant les deux hommes, l'automobiliste leur propose
son service qu'ils acceptent volontiers.
L'automobiliste : « Où allez-vous? » M.
OBAME : « Nous allons à Awendjé. »
L'automobiliste : « êtes-vous Fang ? » M. OBAME :
« Oui, pourquoi ? » L'automobiliste : « Montez !
»
10
Et les deux hommes montent et s'installent dans le
véhicule, vraisemblablement gênés, mais impatients
d'écouter l'automobiliste poursuivre son discours. A contrario de M.
Obame, M. Kassa n'est pas de nationalité2 Fang. Notre
curiosité va porter un intérêt particulier sur le discours
visiblement ethniste de cet homme, puisque nous travaillions sur
l'ethnicité.
L'automobiliste : « Les gens là ne nous aiment
pas alors moi aussi je ne les aime pas. C'est parce que vous êtes Fangs
que je vous ai pris dans mon bus, je ne suis pas un clando3, moi je
ne prends pas les bilops4 dans ma voiture. »
Pris de panique, craignant de se faire expulser du
véhicule, du fait de son imposture, M. Kassa devra se taire, pour
entendre attentivement les développements de cet homme, tout en
évitant de nous faire repérer. Avisé, M. Obame va
aussitôt le couvrir pendant que M. Kassa se contentera de hocher,
systématiquement la tête, pour dire son approbation à ce
discours jusqu'à destination et ce, même quand ses compagnons
s'exprimeront en langue vernaculaire.
M. OBAME (en évoquons M. Kassa) : « Il n'a pas
grandi ici, il ne parle pas, il comprend seulement. »
L'automobiliste : « Eh ben il payera pour les autres.
»
M. OBAME : « Mais pourquoi dites-vous qu'ils ne nous
aiment pas, je ne comprends pas ? »
L'automobiliste : « Toi-même tu ne vois pas,
quand on leur demande pourquoi vous n'aimez pas les Fang, ils ne donnent pas
des raisons valables, ils disent qu'on aime se faire voir, Ogandanga a dit
qu'il faut nous exterminer, tu n'as pas entendu ? en tout cas, moi aussi, j'ai
dit que je ne les aime pas. C'est ma position, ne t'avise pas à changer
ça, tu es libre, je ne t'oblige pas à adhérer à mon
point de vue. D'ailleurs si tu cherches un travail on va écarter ton
dossier à cause de ton Nom. Pourtant on a Anthony Obame, on a
Aubameyang.»
M. OBAME : « Quel Ogandanga ? »
L'automobiliste : « Le vrai Ogandanga, pas le
métis, le métis est Guinéen. Il a dit ça et
personne n'est venu dire le contraire, personne ne s'est insurgé contre
ça, alors qui ne dit mot consent. Donc tous, je les mélange. Je
ne garde pas mes fusils à la maison pour
2 Chez Fidèle-Pierre Nze-nguema, la
nationalité désigne l'ethnie. Lire L'Etat au Gabon de 1929
à 1990, Le partage institutionnel du pouvoir, Paris, L'Harmattan,
1998.
3 Argot gabonais, véhicule non
réglementaire à usage de transport public.
4 Expression vermiculaire Fang désignant toute
personne n'étant pas de ce groupe ethnique.
11
tuer les animaux, c'est pour les Bilops. Voilà
pourquoi je porte toujours ça » (en montrant de la main, un
pin's sur lequel il était écrit, `'Je suis AMO*», sur sa
chemise.
Il appert, au regard des discours que ces scènes
mettent en exergue, de la montée des nationalitarismes5 et
consécutivement, la crise du lien social. Explicitons notre
problème de recherche.
L'Aube, nous a révélé, les
dessous d'un débat violent, entre deux intellectuels, en l'occurrence
Mouguiama-Daouda et Daniel Franck Idiata, dans son numéro du 30/11/2015,
non sans référence à la «légion
étrangère » (Mouguiama-Daouda inclus) du Gabon. Ce
débat commence après la parution dans Jeune Afrique,
d'un éditorial publié le 1er Septembre 2015, par
Georges Dougueli, intitulé, « Gabon : le poison xénophobe
». A la une de ce même numéro6, une interrogation
questionnait l'existence du racisme au Gabon.
L'auteur de l'éditorial, Georges Dougueli,
soulève plusieurs faits sur le malaise d'une catégorie de
Gabonais « issus de l'immigration » dirait-on en France. «
Ici les hommes politiques déguisés en procureurs et des
journalistes revendiquant une xénophobie de bon aloi ont juré
d'avoir la peau de ce `'néo-Gabonais''». La Loupe est
citée en exemple dans la propagation d'un discours xénophobe au
Gabon. « Le 27 aout 2015, dans son édition spéciale,
l'hebdomadaire la Loupe vitupère contre `'le pillage du Gabon par des
étrangers », proteste contre «''l'occupation'' et le fait que
`'la race gabonaise ne soit trouvable nulle part », non sans postuler
« `'un génocide des autochtones'' dont il rend responsable les
enseignants étrangers ».
Disons d'entrée de jeu que nous ne partageant
guère, les anachronismes, les préjugés et surtout le
caractère emphatique, du récit de Georges Dougueli qui
généralise ces « actes marginaux
»7, pour postuler la xénophobie au Gabon, en
dépit de ce que la marge est belle et bien une catégorie
d'analyse sociologique8. Cependant, nous voulant, sans alimenter le
débat sur la xénophobie, réitérer le
problème induit par un discours « politicien » et
médiatique qui
5 Il s'agit ici, d'un équivalent du
communautarisme, c'est-à-dire d'un développement des
communautés ethniques ou culturelles entre autres, au détriment
de l'intégration nationale. Il se distingue pour cela au nationalisme,
qui suppose l'existence fictive d'un Etat-nation, avec une valeur de
patriotisme.
*André Mba Obame dit AMO, homme politique gabonais,
issu du PDG et candidat à l'élection présidentielle de
2009.
6 55ème année, N°2851,
du 30 aout au 5 septembre.
7 D.F.Idiata, « Si le Gabonais est
xénophobe, alors tous les peuples sont xénophobes », mis en
ligne le 21 septembre 2015 à 13h 32, in
www.jeuneafrique.com
, consulté le 22 septembre 2015.
8 Lire à ce sujet, F.-P. Nze-Nguema,
Introduction à une sociologie des marges. Les stratégies
populaires de résistance en Afrique Revue Kilombo,
Libreville, 2004.
12
met inévitablement en crise le lien social qui fonde la
cohésion dans la société gabonaise. Et si l'on peut
reprocher à Mouguiama-Daouda, qui se montre inquiet par rapport à
cette rhétorique et aux attitudes discriminantes dans son ouvrage
Une silure dans la nasse, une analyse, peu ou prou distanciée ;
il n'en demeure pas moins que ce discours journalistique devenu une vulgate,
est contre toute apparence, une production idéologique, dont
l'intelligibilité consiste, selon Armand et Michèle Mattelart,
à faire d'un « citoyen [mal] informé, un homme d'action
»9.
Cette réflexion se veut une proposition de
réponse à deux questions fondamentales: Pourquoi les agents
sociaux sont-ils agit par l'ethnicité? Et comment appréhender la
dynamique du discours nationalitaire ?
Dans un premier temps, et à travers ce mémoire
de Master, nous nous pencherons sur les préalables
épistémologiques et méthodologiques. Nous examinerons les
concepts ethnie, nation, nationalité, discours nationalitaire et les
théories de l'ethnicité. Ces approches théoriques nous
permettront de mieux situer le concept de nationalité au niveau de notre
cadre empirique de recherche. La discussion de ces théories nous
conduira également à dégager nos hypothèses de
travail et les approches susceptibles d'être convoquées pour
expliquer la dynamique du discours nationalitaire au Gabon.
Le second temps de notre travail consistera à plancher
sur ce que nous avons appelé la socio-archéologie de
l'ethnicité. Par le biais d'une causalité rétrospective,
nous analyserons les propriétés socio-historiques du discours
nationalitaire. Il s'agit, de dégager les substrats organisationnels et
les rapports sociaux structurants les sociétés
précoloniales. Nous tenterons d'établir, à la
lumière de la littérature socio-historique des
sociétés africaines en particulier, les fondements ethniques des
organisations politiques pour conférer des assises à notre
analyse dynamique du discours nationalitaire. Dans cette partie nous examinons
également, la situation coloniale, afin d'en dégager les
responsabilités dans la fixation des identités.
Dans un troisième et dernier temps de notre propos, il
sera question, de faire une analyse empirique du discours nationalitaire. Cette
recherche sera fondée sur notre expérience de terrain et sur
l'analyse secondaire des données collectées dans les coupures de
presse, l'analyse de l'opinion des acteurs et des textes de lois
définissant la nationalité dans le droit gabonais et dans le
droit international.
9 A. et M. Mattelart, De l'usage des
médias en temps de crise, Paris, Alain Moreau, Col. «
Textualité », 1979, p.308-310.
13
Partie préliminaire : PREALABLES
EPISTEMOLOGIQUES ET METHODOLOGIQUES
14
SECTION I : Objet et champ de l'étude
1. Le discours nationalitaire comme objet
d'étude
Evoquer le discours sur la nationalité
nécessite, a priori, une réflexion liminaire sur le
substrat qui fonde ce discours, comme d'ailleurs nous l'impose
l'historicité de l'ethnicité que nous envisageons à
travers la perspective dynamique de ce travail. En effet, le discours
nationalitaire se fonde sur le concept de nation, et/ou la notion
d'ethnicité.
De façon générale, l'ethnicité est
une notion ambiguë. Il est donc essentiel de le définir clairement
et précisément, pour montrer sa pertinence heuristique et
éviter qu'elle serve de paravent à tous les amalgames. Lato
sensu, on peut définir l'identité ethnique comme «...la
conscience d'appartenance à un groupe qui se singularise par des
pratiques culturelles spécifiques et qui, considérant que cette
différence est niée, voit dans les luttes à tous les
niveaux une possibilité de déboucher, à terme, sur une
société autre où ces différences seraient reconnues
»10.
Etymologiquement, la notion d'ethnie vient du Grec Ethnos
et se traduit ad litteram par « peuple » ou «
nation ». C'est pourquoi, tout en ayant une «
préférence » pour le concept de nationalité
proposé par Nze-Nguema, nous admettrons, sans illusion, les allusions
à la notion d'ethnicité, car ils ont en partage, non seulement le
rhizome étymologique, mais aussi des homologies structurales que nous
développerons infra.
Que l'on évoque l'un ou l'autre concept, l'acception
générique désigne un groupement humain unit par des traits
de caractère commun et des éléments de
différenciation avec l'altérité. Cette singularité
consiste généralement entre autres, en la langue, la culture,
l'origine, et l'histoire, etc. Selon les auteurs, quatre indicateurs, dans la
structuration de l'identité ethnique permettent d'en rendre compte. Il
s'agit en l'occurrence de l'attribution catégorielle, la notion
de frontière (ou de limite), l'origine commune et la
saillance11.
Le premier élément est l'attribution
catégorielle parce que l'identité ethnique est une structure
hétérogène qui se construit dans la relation entre la
catégorisation par les autres et l'identification à un groupe
particulier.
10 D. Fabre « Les minorités nationales
en pays industrialisés », in L'anthropologie en
France. Situation actuelle et avenir, (sous la dir.
Condominas et Dreyfus-Gamelon), Paris, Ed. du CNRS, 1979, p. 293
11 Lire G. Ferréol, G. Jucquois (Dir),
Dictionnaire de l'altérité et des relations
interculturelles. Paris, Armand
Colin, coll. « Dictionnaire », 2005, P. 126.
Le deuxième élément, la notion de
frontière, réalise la fonction de la
différenciation : d'une part, l'identité ethnique ne peut exister
sans séparation avec des non-membres, sans référence
à une altérité et d'autre part, la pérennité
des groupes tient à l'existence de ces frontières,
indépendamment des changements au sein de la culture.
L'origine commune est la troisième composante.
Il s'agit : de la langue, du territoire, de la religion, de la couleur, tous
ces éléments sont naturalisés par l'idée d'une
origine commune.
La notion de saillance enfin, rend compte
des processus par lesquels l'ethnicité est mise en relief dans
l'interaction. Elle sous-entend qu'il existe d'autres modes d'identification
possible, d'autres « cercles d'appartenance ». Un individu peut
mettre en avant l'un ou l'autre mode selon la situation dans laquelle il est
placé. S'il choisit de valoriser son identité ethnique, il pourra
utiliser ses caractéristiques distinctives, son aspect extérieur
(vêtement particulier, port de barbe etc.). Par ces
caractéristiques, l'individu exprimera solidarité ou distance
sociale, ou encore il cherchera à recueillir des avantages.
Saillance qui doit d'ailleurs beaucoup à N. Poulantzas
et à son concept de conjoncture en tant qu' « objet
spécifique de la pratique politique (...) et lieu
privilégié où se réfléchit
l'individualité historique toujours singulière d'une formation
sociale »12.
Le contour par cette digression nous permet de
présenter proprement notre objet d'étude, avant de plancher sur
les tentatives de réponses. Notre propos introductif proposait en
lecture, plusieurs illustrations du discours nationalitaire. Une sociologie du
discours nationalitaire est autant une sociologie des représentations
que les acteurs se font de la nation, sur les structures et les enjeux aussi,
qui promeuvent ce discours.
Nous voulons comprendre ici, et expliquer comment fonctionne
le discours nationalitaire. Sur quel substrat le discours nationalitaire
puise-t-il son contenu ?
L'identité désigne lato sensu, la
conscience que les acteurs ont d'appartenir à un groupe humain
différent des autres et de s'en revendiquer. Cependant, la
non-réalité13 qui la sous-tend, et le fait qu'elle
n'ait «pas de nature, mais seulement des usages»14 ,
induisent d'en appréhender
12 N. Poulantzas, Pouvoirs politique et classes
sociales de l'état capitaliste, Paris, Maspero, 1968. P. 99.
13 S. Amin, La faillite du développement en
Afrique et dans le tiers monde, Paris, L'Harmattan, 1989, p.144.
14 B. Lepetit, « Histoire des
pratiques, pratique de l'histoire », dans Les Formes de
l'expérience. Une autre histoire sociale, B. Lepetit
(dir.) Paris, 1995. P.39.
15
essentiellement, les manifestations, à travers, le
discours des acteurs, car ses effets seuls sont tangibles15.
Nous entendons donc par l'identité nationale, une forme
d'identité collective, orientée vers le passé que se
représente la mémoire collective, une histoire mythique ou du
moins légendaire dans laquelle certains souvenirs deviennent des
symboles de ces significations imaginaires sociales.
Quant au discours nationalitaire, tel qu'identifié au
Gabon et eu égard à ce qui précède, c'est
un discours sur l'identité, fondé sur un substrat
socio-historique dont les références à des contenus
mythiques et/ou idéologiques consistent, soit à majorer sa
nationalité, soit à péjorer celle de
l'altérité. Le discours nationalitaire est une production sociale
qui résulte d'une distinction d'ordre symbolique dont la finalité
est de permettre une valorisation, parce qu'elle a des intérêts
économiques, politiques ou des bénéfices psychologiques,
entre autres.
Le présent propos s'attache à rendre compte de
l'évolution sur la longue durée historique du discours sur la
nationalité. Il consiste essentiellement à analyser de
façon descriptive, l'évolution du discours sur l'identité
nationale au Gabon. Discours qui implique l'ethnie, entant que forme
élémentaire d'organisation politique mais aussi l'Etat entant
structure politique moderne.
2. Champ théorique : la sociologie politique
Notre démarche est celle de la sociologie politique. La
sociologie politique se définit comme la science des
sociétés humaines et des faits sociaux, non dans leur
globalité, mais ceux liés au pouvoir, à son organisation,
à son exercice, et à sa transmission au sein des groupements
humains qui prennent aujourd'hui principalement la forme de l'Etat.
Questionner le discours nationalitaire dans le contexte
africain, revient à analyser ses modalités de production, ses
procédures d'énonciation, ses capacités d'invention ou
de
15 S. Duschesne, V. Scherrer, identité(s), Actes du
colloque de la MSHS de Poitiers, Poitiers, 2003.
16
réinvention et ses potentialités de
mobilisation. Gazibo et Thiriot affirment que « le repérage du
politique au-delà de ses aspects formels et institutionnels »
sous-tend « la réhabilitation des individus comme acteurs
politiques, la prise en compte des dimensions endogènes et de
l'historicité des sociétés étudiées, une
même sensibilité pour les dimensions symboliques et culturelles du
politique »16.
L'étude de l'identité en sociologie politique
s'intéressent particulièrement à la citoyenneté
comme forme d'identité politique développée dans les
régimes démocratiques modernes. La citoyenneté est alors
conçue comme une construction identitaire permettant d'asseoir et de
légitimer le pouvoir politique. De façon particulière, les
problèmes d'intégration des particularismes dans une
société relient l'ethnicité, la nationalité et la
citoyenneté au sein des préoccupations qui caractérise la
sociologie politique. D'ailleurs, la définition de la citoyenneté
développée par Marshall en 1949 postule que « c'est
essentiellement, pour tous les membres de société, avoir le
sentiment d'être membre également et à part entière
»17. A sa suite, Kymlicka proposera l'addition à ses
trois catégories des droits culturels. Il affirme à ce propos que
« si le but de la citoyenneté est de faire en sorte que la personne
deviennent membres à part entière de la société et
participe à la vie sociale, alors les gens qui sont exclus de la
société sur le plan culturel, et qui sont incapables de
s'identifier aux institutions et aux coutumes de cette même
société peuvent se voir privés, dans la pratique de la
citoyenneté »18.
La thèse de la reconnaissance de la diversité
culturelle est aussi défendue par Taylor. Il affirme que « non
recognition or misrecognition, can inflict harm, can be a form of oppression,
imprisonning someone in false, distorted, and reduced mode of being.
»19
C'est donc entre ethnie et Etat, entre ethnicité et
citoyenneté, selon la suggestion en filigrane des travaux que nous
évoquions supra, que notre propos s'intègre dans le
champ de la sociologie politique.
16 Gazibo et Thiriot (Dir), Le politique en
Afrique - Etat des débats et pistes de recherche, Paris, Karthala,
p. 110.
17 Kymlicka, La citoyenneté
multiculturelle : une théorie libérale du droit des
minorités, Editions du Broéal(Canada), La découverte
et Syros(France), 2001, p. 22.
18 Ibidem, P.26
19 C. Taylor, Multiculturalisme -
Différence et démocratie, Paris, Aubier, 1994,
P.25.
17
18
SECTION II : Problématisation
I. Revue de la littérature sur le fait
nationalitaire
Toute entreprise de recherche nécessite un retour et un
recours aux travaux des prédécesseurs. L'intérêt
d'une recension des écrits, réside dans la mise en exergue des
travaux développés sur un objet d'étude et leur
confrontation, en vue d'en tirer parti pour notre analyse. Elle se fait en
trois temps : le débat fondamental sur l'ethnie, l'africanisme et les
littératures sociologiques gabonaises sont tour à tour
évoqués ici.
1. Le débat fondamentale sur l'ethnie (la
nationalité)
L'hétérogénéité des
formations sociales et l'imaginaire d'une hiérarchie des
sociétés consacrèrent, l'émergence des concepts
voulant rendre compte des différences biologiques, politiques et
culturelles pour s'auto-définir et définir
l'altérité. Cela est d'abord du fait des ethnocentrismes communs
à l'humanité entière. En effet, dans l'antiquité
grecque, l'on observe déjà une opposition entre
l'«ethnos» et la «polis»,
littéralement traduit par « cité ». L'ethnocentrisme
grec nomma les sociétés voisines, pourtant culturellement
indifférenciées, et dont l'organisation politique fut
étrangère au modèle de cité-Etats, par le vocable
« ethnè ». Ainsi, la primitivité de ces
sociétés fut « préjugée » par les
Hellènes comme par plusieurs théoriciens à l'instar de V.
Ehrenberg, pour qui, il est « vraisemblable [que l'ethnos] est
beaucoup plus proche de la société primitive »20.
Cette primitivité postulée des ethnè
soulève par ailleurs leur a-politicité.
L'Essai sur l'inégalité des races humaines
(1854), de Gobineau proposait l'adjectif « ethnique » tout en se
privant d'une référence à l'« ethnie ». Son
emploi indistinct des termes de « race », de « nation » et
de « civilisation », sous-tend l'hypothèse d'une
dégénérescence consécutive au mélange des
races. L'apparition de la notion d'« ethnie » dans la langue
française est l'apanage de Georges Vacher de Lapouge. Il est aussi l'un
des premiers théoriciens du
20 Cité par Amselle, «
Ethnie » in Encyclopédie Universalis, 2013.
(Version électronique).
19
métissage culturel. Dans Les Sélections
sociales (1896), il postule que le contact entre plusieurs races et leur
cohabitation prolongée aboutit in fine à un
rapprochement culturel21.
De l'apparition de l'ethnie dans les sciences sociales a donc
prévalu, l'identification d'un aspect précis, jusque-là
non identifié ou vaguement décris par d'autres concepts. Ce
terme, plus simple que les expressions telles que groupe ethnique ou
unité ethnique, était alors en compétition, dans les
milieux scientifiques, avec d'autres néologismes plus savants
proposés çà et là : ethnos, ethne, ethnikon,
ethnicum, ethnea, ethnisch, ethnic, glossethnie, laios, etc.
A ce propos, Roland Breton indique que le mot « ethnie
» forgé par Vacher de Lapouge et repris par A. Fouillée dans
Psychologie du peuple français en 1914, vit son sens
précisé par F. Regnault : « Il convient de
différencier l'ethnie linguistique de la race anatomique
»22.Ce n'est qu'après le second conflit mondial que son
emploi passe dans l'usage courant. Il s'imposa d'abord dans les régions
francophones où le fait ethnolinguistique pouvait poser problème.
Les Wallons, notamment Becquet dans L'ethnie française d'Europe
publié en 1963, et les Québécois en eurent le plus
recours dans l'expression de leurs préoccupations sociales, culturelles
et politiques. En Outremer, les ethnologues et l'administration coloniale
commencèrent à trouver « ethnie » plus commode
à utiliser parce que plus neutre que tribu ou peuple23.
Breton précise également que « la
généralisation rapide de l'usage du mot ethnie démontre
qu'il répondait à un besoin et qu'il devait avoir sa place dans
l'outillage lexical et conceptuel (...). Le néologisme ethnie
gênait particulièrement parce qu'il sous-tendait un effort de
précision supplémentaire, de constatation et de respect des
différences, alors que les vocables vagues et usés comme peuple,
péjoratifs comme peuplade ou tribu, sanctifiant comme nation,
satisfaisaient, en effet, dans un usage chargé de connotations
affectives »24.
Avec Max Weber, nous retrouvons une distinction nette entre
ethnie, nation et race. Il indique que « ce qui distingue l'appartenance
raciale de l'appartenance ethnique, c'est que la première est
réellement fondée sur la communauté d'origine, alors que
ce qui fonde le groupe ethnique, c'est la croyance subjective à la
communauté d'origine. Quant à la nation, elle est,
21 Idem
22 In Bulletin et Mémoires de la
Société d'anthropologie de Paris, t. X, 1920.
23 R. Breton, Les ethnies, Paris, PUF, 1992,
p. 81.
24 Ibid., p. 6.
20
comme le groupe ethnique, basée sur la croyance en la
vie en commun, mais se distingue de ce dernier par la passion (pathos)
liée à la revendication d'une puissance politique
»25.
Nadel montrera ensuite, dans un travail sur les Nupe du
Nigeria, les imbrications d'une réalité totalisant l'ensemble de
l'Afrique de l'Ouest. Mercier qui a subi l'influence de Nadel, va tenter de
déconstruire l'objet ethnique. À propos des Somba du
Nord-Bénin, il a souligné la nécessité de resituer
ce groupe dans la géographie et dans l'histoire et de l'inclure dans des
cadres plus larges. Il a procédé aussi, ce qui est capital pour
toute tentative de définition d'une unité sociale quelle qu'elle
soit, à un inventaire du champ sémantique du terme.
En 1969, Fredrick Barth publie son ouvrage Ethnic Groups
and Boundaries26, où il montre que les identités
sont créées et maintenues par le jeu des interactions entre les
groupes. Il s'inspire d'une théorie développée par la
sociologie de l'interactionnisme symbolique et place la notion de «
limite » au centre de sa démarche. Il montre que les
séparations entre ethnies servent à établir des
schèmes d'identification socialement signifiants et que,
parallèlement, il se produit un flux continuel de populations à
travers ces limites. Il ouvre ainsi la voie à une analyse des relations
entre ethnies conçues comme des rapports de forces27. C'est
pourtant Erving Goffman qui en a produit les développements les plus
substantiels. L'attention portée à l'interaction dans la
constitution de l'identité a notamment été soulevée
par les membres de l'école pragmatiste de Chicago dont G.H. Mead pour
qui, l'identité personnelle est le produit de la socialisation, laquelle
permet la constitution du « Soi »28.
Cependant, dès ses premiers écrits,
l'interactionnisme symbolique apparaît comme une théorie visant
à expliquer comment se constituent les catégories de la vie
sociale au cours des activités d'ensembles complexes de groupes ou
d'individus en coopération ou en opposition29. Et c'est, tout
particulièrement la parution de Stigmate, qui consacre l'ethnie
social de l'analyse de l'identité30. Dans cet ouvrage,
l'auteur montre que c'est par le stigmate, conçu non pas tant comme une
marque ou un attribut spécifique mais bien plutôt en termes de
relations, que les partenaires sont amenés à jouer un
rôle31.
25 M. Weber cité par P. Poutignat et J.
Streiff-Fenart, Théories de l'ethnicité, Paris, PUF,
1995, p 38.
26 F. Barth, « Les groupes ethniques et leurs
frontières », in P. Poutignat et J. Streiff-Fenart,
op.cit., pp. 202-254.
27 Idem.
28 G.H. Mead, L'Esprit, le soi, et la
société, Paris, PUF, [1934], coll. « Le lien social
», 2006.
29 E. Goffman, La Mise en scène de la vie
quotidienne, 1. La présentation de soi, Paris, 1973 (1re
éd. 1959).
30 E. Goffman, Stigmate. Les usages sociaux des
handicaps, Paris, 1975 (1re éd. 1963).
31 Ibid., p. 11-13 et p. 160. 20.
21
Dans l'interaction, plusieurs composantes de l'identité
s'élaborent et entrent alors en jeu. L'identité sociale, d'abord,
résulte de la conformité ou de la non-conformité entre
l'impression première produite par autrui et les signes qu'il
manifeste32. L'identité personnelle, ensuite, s'articule
autour du contrôle de l'information dans une situation relationnelle
donnée33.
2. La nationalité dans la littérature
sociologique africaniste
Les travaux classiques sur l'objet ethnique sont l'oeuvre
principalement des premiers missionnaires et coloniaux. Ces derniers abordent
la question sous le prisme de l'analyse évolutionniste, consistant
à expliquer les conflits comme étant des phénomènes
ataviques et naturels, du fait des populations encore sauvages, poursuivant
leur évolution vers les sociétés civilisées. Ce
courant ethnographique développé, d'abord par
Lévy-Bruhl34, envisage les phénomènes culturels
à l'instar de la langue, les croyances religieuses entre autres comme
des objets politiques porteuses des facteurs intégrants de la vie
sociale, mais aussi d'absence d'intégrité ou d'unités et
de conflits.
Les travaux des sociologues africanistes se sont surtout fait
jour au gré des problématiques relatives aux questions ethniques.
Le laboratoire de référence ou observatoire continentale du fait
ethnique, est à non point douter la région des Grands Lacs, dont
les expériences peuvent servir à plusieurs égards de
grilles de lecture éprouvées. C'est pourquoi nous évoquons
quelques références des auteurs des Grands Lacs, dont la position
d'« insider », peut en indiquer sur la pertinence et sur les
impertinences aussi.
Nous allons d'abord faire référence au Mouvement
des Etudiants Progressistes Barundi (MEPB), qui qualifia les
événements de 1972 de « complot impérialiste menant
au génocide »35. Nous les complèterons bien,
mieux que de les opposer, à la thèse qui postule que des conflits
sociopolitiques fondés sur les représentations ethniques
trouveraient leur explication dans la misère des populations. C'est donc
la proposition d'une double causalité, qui tient compte à la
32 Ibid., p. 12 et p. 81-82.
33 Ibid. p. 57-126, plus
particulièrement p. 57-58, 72-74 et 81-82.
34 L. Lévy-Bruhl, les fonctions mentales
dans les sociétés inférieures, Paris, Alcan, 1910.
35 Meproba, « Burundi : un complot
impérialiste mène au génocide », Mai 1972,
inédit. Le MEPB imbue des idées progressistes et panafricanistes
soutint la même position dans toutes ses publications notamment dans
Notre politique, avril 1977, en particulier le chapitre IV « La
politique néocoloniale de l'impérialisme » (PP.54-57). Lire
aussi « L'impérialisme, la féodalité et la
persécution du peuple au Burundi » in Remarques
Africaines, N° 268, 15 juin 1966, p. 326.
22
fois, de l'externalité et de l'internalité
causales. A titre d'exemple, l'idéologie du développement du
« régime Bagaza » a entretenu le leurre de la construction
d'une communauté nationale sous fond de la seule promotion
économique, sociale et culturelle alors qu'elle a
développé dans l'élan de ses pratique d'exclusion, de
corruption et de clientélisme la production des identités
ethniques, claniques et régionales.36
Depuis les travaux d'Althusser, notamment le
dépassement qu'ils opèrent à propos des thèses
marxistes sur la superstructure, on ne peut plus réduire,
l'idéologie à l'ignorance, à l'erreur ou à la
fausse conscience. Les théoriciens de l'usage politique de
l'ethnicité n'ont pas toujours envisagés le revers du
génocide ou du crime contre l'humanité. Darbon soutient ce point
de vue, lorsqu'il écrit à propos que « la
subjectivité de la mobilisation ethnique s'articule sur
l'objectivité de la marginalité politique et économique
»37.
D'autres auteurs établissent des corrélations
entre valeurs traditionnelles, idéologies et mentalités des
sociétés africaines et les conflits ethnopolitiques. Le modus
operandi de ces analyses consiste à avancer que les valeurs et les
idéologies qui fondaient les sociétés africaines
précoloniales et les institutions qui les représentaient sont en
crise et favorisent l'avancée des modèles conflictuels
plutôt que ceux de communion sociale et politique38. Ces
études montrent que si les mobilisations ethniques furent impossibles
dans le passé, c'est qu'il y avait des mécanismes profonds et
puissants de socialisation politique et productrice de représentations
politiques plus ou moins consensualistes. La crise ethnique serait de ce point
de vue éthicofonctionnaliste, une crise des valeurs et des
modèles d'autorité traditionnelle39. Chrétien
et Gahama éclairent quant à eux les évolutions
dialectiques de cette construction historique de l'Etat, en
s'intéressant aux conquêtes et aux phénomènes de
révolte aussi bien avant que pendant la colonisation40.
Cependant, c'est dans les travaux, de Jean-Loup Amselle,
Claude Meillassoux et de Jean-Pierre Dozon, notamment que les analyses sont
plus approfondies. Ces auteurs postulent
36 Pour ces éléments, lire J.P.
Chrétien, « le Burundi : des mythes à la
réalité », in Revue française d'études
politiques africaines, 7 août 1979, pp. 112-113, F. Reyntjens,
« Burundi 1972-1988. Continuité et changement », in
Cahiers du CEDAF, N° 5, 1989.
37 D. Darbon, « De l'ethnie à
l'ethnisme : réflexions autour de quatre sociétés
multiraciales, Burundi, Afrique du Sud, Zimbabwe et Nouvelle Calédonie
», in Afrique contemporaine, N° 154, 1990, p.46.
38 E. Mworoha, Peuples et rois de l'Afrique des
grands lacs. Le Burundi et les royaumes voisins au XIXème siècle
Dakar-Abidjan, NEA, 1977, pp.105-111.
39 T. Laely, « les destins des du
Bushingatahe. Transformation, d'une structure locale d'autorité au
Burundi », in Genève-Afrique, N° 2, p.77.
40 J. Gahama, « la marginalisation des
anciennes croyances » in Le Burundi, sous administration belge. La
période de mandat 1919-1939, Paris Karthala-ACCT-CRA, 1983, pp.
355-370.
23
que l'ethnie est une création contemporaine liée
à la colonisation, à l'exode rurale, et à l'insertion dans
un État moderne entre autres.
Jean-Loup Amselle voit la notion d'ethnie telle qu'elle est
utilisée aujourd'hui, comme une création des premiers
anthropologues et ethnologues, avant d'être un instrument des
colonisateurs pour identifier les peuples colonisés. Toutefois, cet
auteur nuance ses propos en montrant que ce n'est pas une règle
générale applicable à tous les cas. Il fonde son
explication sur la théorie de la primauté des relations
intersociétales. Cette théorie postule que « les
sociétés locales, avec leur mode de production, de
redistribution, loin d'être des monades repliées sur
elles-mêmes, étaient intégrées dans des formes
générales englobantes qui les déterminaient et leur
donnaient un contenu spécifique »41.
J-L. Amselle examine tour à tour des espaces
d'échanges, des espaces étatiques, politiques et guerriers, des
espaces linguistiques ainsi que les espaces culturels et religieux. L'examen de
ces espaces, avec des exemples précis sur chaque cas permet à
J-L. Amselle de conclure qu'avant la colonisation, l'Afrique existait comme
« une chaîne de sociétés à l'intérieur
desquelles les acteurs sociaux se meuvent. Ces acteurs, en fonction de la place
qu'ils occupent dans les différents systèmes sociaux, sont
à même de circonscrire dans la langue une série
d'éléments signifiants ou des sèmes qui, par une somme de
transformations successives donneront naissance à un paradigme
ethnique»42. Il se pose alors la question d'attribution ou
d'identification ethnique. Barth répond qu' « un acteur social, en
fonction du contexte où il se trouve, opérera à
l'intérieur du corpus catégoriel mis à sa disposition par
la langue, un choix d'identification »43, mais pas
nécessairement ethnique comme le fait remarquer J-L. Amselle. Cela ne
veut pas dire que dans les sociétés africaines
précoloniales, la notion d'ethnie était absente. J-L. Amselle
relève que dans les dialectes africains, il existait les notions
idéologiques pour évoquer la tribu, la race ou l'ethnie. Il
précise qu'en bambara-malinké par exemple, il existe la
notion de shiya, qui correspond bien à celle de race, d'ethnie,
voire de clan ou de lignage. Dans cette langue et dans cette
société, on trouve des notions idéologiques qui permettent
le regroupement d'un certain nombre d'agents sous la fiction d'une appartenance
ou d'une descendance commune. C'est aussi la même conclusion que tire J.
Berque. Il indique qu' « en Afrique précoloniale, seules les
unités locales à caractère politique sont pertinentes, ce
qui
41 J.-L.Amselle., E. M'Bokolo (dir.), Au coeur de
l'ethnie. Ethnies, tribalisme et Etat en Afrique, Paris, La
découverte, 1985, p. 23.
42 Ibid., p. 34
43 F. Barth cité par J-L. Amselle, op.
cit., p. 34.
24
explique que les patronymes, les ethnonymes, les
différents systèmes de classement soient des sortes de
bannières ou de symboles servant de signes de reconnaissance ou bien
encore des emblèmes onomastiques, c'est-à-dire en
définitive des modes de domination »44. Lorsque J-L.
Amselle indique que dans certains pays, les ethnies sont des créations
coloniales, il fait allusion au fait que les Européens ont repris les
regroupements et les nominations des groupes sociaux des autochtones et les ont
traduits en langues européennes45.
Cependant Amselle conclut sa thèse d'une façon
curieuse, déconnectée de son terrain. En effet, J-L. Amselle
estime que le concept d'ethnie n'est pas applicable au contexte africain. Il
note en substance qu'il « n'existait rien qui ressemblât à
une ethnie pendant la période précoloniale. Les ethnies ne
procèdent que de l'action du colonisateur qui, dans sa volonté de
territorialiser le continent africain, a découpé des
entités ethniques qui ont été elles-mêmes ensuite
réappropriées par les populations. Dans cette perspective,
l'ethnie, comme de nombreuses institutions prétendues primitives, ne
serait qu'un faux archaïsme de plus»46. Remarquons ici, le
paradoxe d'un raisonnement opposé à ses perspectives analytiques,
après son inventaire des concepts en langues locales qui
désignaient « ethnie », dont l'exemple de shiya en
Bambara-malinke.
En outre, après son examen des différentes
définitions, il conclut que l'ethnie ou la tribu correspond à
"l'Etat-nation au rabais". Or, ces Etats étaient, d'après ses
propres analyses, structurées en espaces sociaux, ce qui nous indique,
que pour J-L. Amselle, Ethnie équivaut à Etat-nation(Europe).
Joseph Tonda est un des tenants de la colonialité de
l'ethnicité. Ce dernier perçoit d'ailleurs l'ethnicisme («
forme idéologique et militante de l'ethnicité ») comme un
produit des processus coloniaux et postcoloniaux. L'illustration qui suit est
prégnante des germes, source de l'ethnicisme chez cet auteur :
« je signale que pour moi qui suis né dans les années
1950, il est écrit sur mon acte de naissance que j'appartiens à
une certaine `'race» qui se dit aujourd'hui `'ethnie».
(...), car si la `'race» coloniale est une invention du système
colonial, l'ethnicisme contemporain en est une réinvention mais il va
bien au-delà »47.
44 J. Berque cité par J-L. Amselle, op.
cit., p. 37.
45 Ibid., p.38.
46 Idem, p.23.
47 J. Tonda, entretien avec Catherine Gau, In
www.Africultiure.com,
Consulté le 04/01/2015 à 9h30.
25
Si l'auteur n'évoque pas distinctement
l'ethnicité dans ses oeuvres majeures, il n'en demeure pas moins, que
les références sur la thématique qu'il développe en
filigrane, font de lui un théoricien de l'identité
négro-africaine. Dans La Guérison divine en Afrique
centrale, où l'on peut déjà lire la gestation du
« Souverain moderne », il avance, que l'homme
colonisé, d'hier et/ou d'aujourd'hui, demeure depuis le rhizome qui
fonde son essence, mu par la puissance structurante et aliénante de la
colonialité48. D'où, pour ce sociologue, la connivence
fondamentale entre un régime de domination, celui des blancs, dont le
négationnisme (pour emprunter ce mot forgé pour qualifier le
révisionnisme face à la shoah), non seulement dénie
l'humanité du colonisé, mais assimile toujours ce dernier,
plusieurs année après Gobineau, au « bon sauvage
»49. L'identité négro-africaine, les
représentations ethniques des acteurs seraient donc inhérente
à la colonialité, par les réinventions des logiques
racistes exprimées par l'ethnicité.
E. M'bokolo, en parlant du « Séparatisme katangais
», pointe quelque peu contre ces interprétations simplistes, qui
servent à la situation coloniale l'argument de l'invention de
l'ethnicité50, en proposant, le recours à la
causalité rétrospective via l'histoire précoloniale et
coloniale. L'organisation tribale, nous explicite Matsiegui Mboula «
était une réalité qui existait bien avant l'expansion
coloniale de l'Europe. A l'intérieur d'un grand pays comme l'Inde, il
y'avait des régions entières où il n'y avait pas des
castes mais des tribus. En Amérique du Nord et du Sud, il y'a eu des
confédérations tribales comme celles des Iroquois décrites
par Morgan. En Nouvelle-Guinée on a recensé 750 langues et
dialectes différents et il n'y avait jamais eu d'Etat indigène
avant l'Etat colonial »51.
Cependant, Tonda a peut-être anticipé les
critiques contre sa position, en opposant « un pessimisme radical au
béni-oui-oui académique occupé à dresser la carte
des `'résistances», des `'appropriations» positives, du
`'pouvoir» (agency) des colonisés, et des signes d'une
modernité rédemptrice »52.
48 La guérison divine en Afrique centrale
(Congo-Gabon), Paris, Karthala, 2002. p. 35.
49 Joseph Tonda, Le Souverain moderne. Le corps
du pouvoir en Afrique centrale (Congo, Gabon), Paris, Karthala, 2005, pp.
127 et 158.
50 E. M'bokolo, « Le «séparatisme
Katangais« », in Jean-Loup Amselle, Elikia M'Bokolo, (dir),
Op.cit. pp.186-187.
51 F. Matsiegui Mboula, L'Etat et le
tribalo-régionalisme au Gabon, de 1990 à nos jours,
thèse de doctorat N.R. Amiens, 2005, p.213.
52 Tonda cité par F. Bernault, « Le
point de vue de Florence Bernault » in Politique africaine
n° 104 - décembre 2006, p.1.
26
Cette critique est principalement destinée à
Mbembe et à son concept, d'homo ludens, dont le
développement consiste essentiellement à décrire les jeux
d'identités des Africains en situation de domination impériale.
« Tonda soutient que le principe de duplicité, de jeu gratuit et de
ruse superficielle inclus dans cette proposition a permis que les études
africaines «expliquent tout par le simulacre, et nient la mutation
d'être des sujets collectifs et individuels de
l'Afrique«»53 L'homo ludens contribuerait donc
objectivement à faire le jeu des ethnocentrismes, jeu qui consiste
à douter, par tous les moyens, de la conversion de l'être
africain.
Mbembe ne posait-t-il pas, dans sa réaction contre
l'« hégélianisme sarkozien »54, la question
de savoir, « quelle est-cette historicité supposée du
continent qui passe totalement sous-silence la longue tradition des
résistances y compris contre le colonialisme français (...)
55? L'on citera à ce titre, par exemple, les «
dérobades » évoquées par Nze-Nguema dans L'Etat
au Gabon56, car « la question sur l'appareil et le
fonctionnement de l'Etat est une critique des théories sur
l'assimilation en Afrique »57.
Il est connu que l'oeuvre coloniale s'est accompagnée
de l'évangélisation des Damnés de la terre,
comment dès lors, penser les survivances et les résurgences
de ce que la colonie, a, selon eux, « totalement » balayées
?
Le dépassement des thèses des précurseurs
des études postcoloniales est aujourd'hui avéré. Tant il
est vrai que leurs travaux, (Fanon et de Césaire notamment) ont le
mérite d'avoir, à travers un regard iconoclaste relativisé
les essentialismes coloniaux, il ne s'agissait toutefois pas d'une
déconstruction de la condition nègre. En effet, la (re)lecture du
concept d'identité-rhizome d'Edouard Glissant que proposait
Denis Constant Martin a montré que la conception de la culture qui en
est le fondement, est une réaffirmation de
l'interpénétration culturelle a contrario du
réductionnisme que suppose leur dilution, les unes dans les
autres58.
53 Ibid.
54 Des penseurs occidentaux ayant
véhiculé les thèses excluant l'Afrique de l'histoire,
Georg Wilhelm Friedrich Hegel (1770-1831) est sans doute le représentant
le plus connu. Nicolas Sarkozy reprend en filigrane ces idées lors de
son discours le 26 juillet 2007 à Dakar.
55 Mbembe, « L'Afrique de Nicolas Sarkozy »
in
www.africultures.com,
consulté le 05/05/2015.
56 Nze Nguema, Op.cit., pp. 44-47. Lire
aussi Nazi Boni, Histoire synthétique de l'Afrique
résistante, les réactions des peuples africains face aux
influences extérieures, Paris, Présence Afrique, 1971.
57 Ibidem, p.47.
58 D.C. Martin, « Au-delà de la
post-colonie, le Tout-Monde ? pour une lecture sociologique d'Edouard Glissant
», in Smouts Marie-Claude(dir.), La situation postcoloniale : les
`'postcolonial studies» dans le débat français, Paris,
Presse de Sciences Po, 2007, p.134-169.
27
Nous pensons à juste titre, qu'il y a lieu
d'évoquer un syncrétisme dans le sens des concepts
d'hybridité et/ou d'ambivalence proposés par les
théoriciens du courant postcolonial. Syncrétisme d'ailleurs que
Tonda exploite, à travers, sa notion de « complicités
perverses » dans La Guérison divine en Afrique
centrale59. Tonda postule que « la violence de
l'essentialisme religieux s'appréhende à partir de l'articulation
de deux concepts : la croyance et l'identité. Elle
implique que la croyance pose l'identité au-delà de
l'histoire, la fasse sortir de ses lieux et sens communs,
lieux et sens coutumiers, pour la replacer dans des lieux
mythiques ou utopiques, qui sont en réalité des sortes de
hors lieux (modernes et contemporains), se situant soit aux origines,
soit dans l'avenir et dont la connaissance aurait été
obscurcie par l'histoire »60.
Et Le Souverain moderne, que l'on nous passe,
même a priori, ce nominalisme pure, n'est-ce pas là, un
syncrétisme, qui juxtapose le « droit de glaive »61
et «... l'entrée de la vie dans l'histoire [...], l'entrée
des phénomènes propres à la vie de l'espèce humaine
dans l'ordre du savoir et du pouvoir »62. Les positions
philosophiques foucaldiennes de ces thèses sacrifient à l'autel
du théoricisme la réalité empirique des identités.
Or la pratique en sociologie se fonde justement sur l'empirie. Chaka Zoulou
manifestait une violence inouïe, longtemps avant le contact avec le
chicotte coloniale considérée par Tonda et Mbembe (voire), comme
des propriétés du colonialisme et l'explication de sa
réappropriation par les (ex) colonisés.
L'aporie principale des thèses africanistes analogiques
(Amselle, Dozon, Meillassoux, Tonda), au-delà de leurs perspectives
théoriques respectives, qui rapportent toute prémisse d'ordre
ethniciste, exclusivement aux seuls cadres coloniaux réside dans la
confortation de l'anhistoricité, l'a-historicité
même diront-nous, et de l'incivilité des peuples autochtones
prétendues par ces mêmes cadres. Cette fuite en avant
légitime par un paradoxe, l'oeuvre coloniale de la civilisation. Sinon
comment comprendre l'entreprise civilisatrice sans l'animalité
supposée des peuples africains?
Par ailleurs, la réfutation de la différence en
Afrique précoloniale implique beaucoup de positions dangereuses. Elle
peut, non seulement suggérer l'unicité, dont seul le clonage
garantit les certitudes, ou tout au moins, le retrait des sources
socioculturelles locales, mais également,
59 J. Tonda, op.cit.
60 J.Tonda, « La violence de l'imaginaire des
enfants-sorciers », Cahiers d'études africaines [En ligne
www.etudesafricaines.revues.org
], 189 -190, 2008, mis en ligne le 04 avril 2008, consulté le 27
février 2015.
61 M. Foucault, « Il faut défendre la
société », Gallimard/Seuil, coll. « Hautes
Études », Paris, 1997, p. 214.
62 M.Foucault, La Volonté de savoir,
Gallimard, coll. « Bibliothèque des Histoires », Paris, 1976,
p.186.
28
par un théoricisme présuppose d'abord le
formatage63 et ensuite la robotisation des acteurs africains.
D'abord la thèse du clonage humain s'autorefute à la
lumière des prouesses actuelles de la technoscience. Ensuite, le courant
de l'assimilation, dont les extensions peuvent conduire dangereusement au
mimétisme avec lequel ils ont en partage le simplisme ; postulent que la
culture de l'identité humaine dominante supplante celle du
dominé.
Or, c'est s'opposer à Chrétien, qui envisage, en
filigrane certes mais à raison, la possibilité de la
non-effectivité de l'aliénation des consciences indigènes
et de l'assimilation de l'idéologie racialiste, pour suggérer les
stratégies de pouvoir64. Aussi, Mbembe, après avoir
établi, la participation des Africains, comme ouvrier de la
colonisation, bat-il en brèche les notions d'«
indigénisation » et d' « appropriation
», non sans postuler une « co-invention » du régime
de l'indigénat. « Harris Memêl Fotê lui-même
affirme que les Africains ne furent pas seulement les victimes de cette
entreprise, qu'ils en furent aussi les soutiers, ou encore les marmitons. [...]
Comment comprendre que l'on se réapproprie ce dont on est,
soi-même, l'inventeur ou le co-inventeur ?65 »
Nous portons de vives réserves contre ces
théories. Les définitions qu'on propose au concept
d'acculturation confortent notre prudence. Les sciences sociales envisagent
d'ailleurs la dynamique identitaire dans la perspective d'un « principe de
coupure » comme le suggère Bastide. L'acculturation quant à
ell ne consiste pas au formatage mais plutôt à l'addition sur une
culture donnée d'une ou d'autres a priori
étrangères. Le « a » (dans acculturation)
n'y serait donc pas privatif mais plutôt additif. Le cas
échéant consacrerait l'unicité des peuples africains alors
que l'identité est d'abord dialectique et sa dynamique dément
tout fixisme.
3. Les universitaires gabonais et le fait
nationalitaire.
Référence d'abord à Fidèle-Pierre
Nze Nguema, avec sa sociologie historique de l'Etat au Gabon. Sa prise de vue
de la question ethnique porte essentiellement à analyser l'ordre social
au prisme des équilibres régionaux, à travers le
recrutement et la nomination du personnel des ressources humaines dans l'Etat
et les partis politiques. Comme Bayart dans L'Illusion
63 Puisqu'Amselle entre autres affirme que «
Les ethnies ne procèdent que de l'action du colonisateur qui, dans sa
volonté de territorialiser le continent africain, a
découpé des entités ethniques qui ont été
elles-mêmes ensuite réappropriées par les populations
».
64 Amselle, op.cit. p. 140.
65 GEMDEV, Les Avatars de l'Etat en Afrique,
Paris, Karthala, 1997, p. 328.
29
identitaire, il s'ensuit, la génération
des identités « politisées ». Son analyse se forge en
l'occurrence autour du concept de « régionalocratie », en
marge de la rationalité bureaucratique au sens wébérien du
terme.
Bien qu'il aborde succinctement la causalité
rétrospective dans ses analyses, la délimitation dans le temps de
l'oeuvre, en l'occurrence de 1929 à 1990, n'est cependant pas dans le
cadre de notre analyse suffisamment pertinente du manifeste de l'ethnie dans
l'Etat postcolonial au Gabon. Ce travail connexe certes, est une ressource
importante dans les rapports plurielles avec notre thématique sont
développés infra. « Il s'agit donc de
communautés humaines qui échappent à toutes forme de
structure formel... »66.
Formalité et/ou informalité
dans les nominations politico-administratives ; telle est le modèle
d'intelligibilité que propose Fortuné Matsiegui Mboula, dans la
corrélation qu'il établit entre l'Etat et le
tribalo-régionalisme au Gabon. Son intérêt porte
également sur la gestion politique des ressources humaines dans
l'administration publique et la gestion des ressources humaines politiques ;
deux variables inextricablement liés dont le cordon ombilical pointe
l'ethnicité au coeur67.
Aussi, la thèse de Jean Ferdinand Mbah postule que le
tribalisme est l'idéologie de la bourgeoisie politique qui, en
intervenant dans le champ politique, freine le processus d'émergence de
la conscience de classe, en maintenant dans les consciences le fait
d'appartenance ethnique. Le tribalisme est un alibi idéologique qui
empêche la prise de conscience des classes dominées afin
d'éviter la lutte des classes inévitable dans le mouvement
historique des sociétés (modes de production) selon la tradition
marxiste68. Point de vue partagé par Jean Ziégler, qui
écrit que les « complots, insurrections, coups d'Etat et
assassinats politiques (...) procèdent d'un phénomène
commun : la lutte des classes antagonistes pour le contrôle de l'Etat et
du pouvoir »69.
La transposition mécanique de certains chercheurs
africains et africanistes des théories décontextualisées
de leur cadre empirique de gestation et de leur application sur les terrains
africains, à part entière, sont d'un simplisme qui pour Jean
Copans procède autant des logiques
66 F.P. Nze-Nguema, Op.cit., p.55.
67 F. Matsiegui Mboula, Op.cit.
68 Jean Ferdinand Mbah, Le tribalisme,
adaptation et/ou survivance de l'idéologie dominante au Gabon,
Thèse de Doctorat 3ème Cycle, Paris V, 1979.
69 J. Ziegler, Sociologie de la nouvelle
Afrique, paris, Gallimard, coll. « idées nrf
»1964, p.12. « La lutte des classes en Afrique » fait
d'ailleurs l'objet de tout une partie de cet ouvrage. Cf. pp.9-49.
30
de « manque de familiarité et/ou de
l'incompétence linguistique des chercheurs étrangers
»70. Nous nous contenterons à l'encontre de Mbah et de
Ziegler, de questionner la pertinence et l'opérationnalité du
concept de classe dans le contexte gabonais.
Aussi, Lukacs fit-il remarquer que « c'est un malheur
pour la théorie, comme la praxis du prolétariat, que l'oeuvre
principale de Marx s'arrête juste au moment où elle aborde la
détermination des classes. »71 En effet, Le Livre III
inachevé du Capital s'interrompt avec le chapitre 52 qui devait
lui être consacré, laissant ainsi libre cours à
l'exégèse, qui n'a jamais cessé de mobiliser « le
jeune Marx » contre « le Marx de la maturité », les
textes politiques contre les textes économiques, etc. L'on peut
dès lors questionner la pertinence d'une analyse « classiste »
alors que Ziegler, lui-même, titre un chapitre de son ouvrage «
l'absence d'un prolétariat africain ».
Enfin, référence indirecte peut-être par
rapport à notre travail, mais à évoquer. Adrien Ondo
Essono, étudie le nom dans sa liaison avec la stratification et la
mobilité sociale au Gabon72. L'analogie de ses travaux
à notre objet est rendue possible par l'expression de la
nationalité dans le nom, car l'identité a un nom et le nom a une
identité. Et si le nom se rapporte aux origines, à une
communauté, son identité consiste à promouvoir la
subjectivation d'une nationalité.
L'ensemble de ces théories serviront tour à tour
de référence à notre étude sur le discours
nationalitaire, par des confrontations avec l'empirie. Nous y reviendrons donc
dans l'optique d'une mise en perspective de leur lecture, dans la suite de
notre travail.
II. Position
Le présent travail entend répondre à
cette double interrogation : Pourquoi la référence
à la nationalité est-elle prégnante dans le discours des
acteurs ? Comment saisir la dynamique du discours nationalitaire?
C'est sur ces entrefaites que nous proposons une
socio-archéologie de l'ethnicité, irréductible à
une appréhension simpliste de l'histoire des sociétés
humaines. La socio-
70 Copans cité par Fortuné, op.cit.,
p.172.
71 G. Lukacs, Histoire et conscience de
classe, Paris, 1960, p.67.
72 A. Ondo Essono, Onomastique et classes
sociales, Rapport de licence, UOB, 1992. Ce travail a fait l'objet d'une
thèse de doctorat en 2013, que nous avons pu obtenir malgré nos
sollicitations.
31
archéologie de l'ethnicité est une
référence à Foucault pour qui, « il était un
temps où l'archéologie, comme discipline des monuments muets, des
traces inertes, des objets sans contexte, et des choses laissées par le
passé, tendait à l'histoire et ne prenait sens que par la
restitution d'un discours historique; on pourrait dire, en jouant un peu sur
les mots, que l'histoire, de nos jours, tend à l'archéologie, la
description intrinsèque du monument»73. Cet auteur
peut-on supposer, soulignait là, l'intérêt de poser la
scientificité de la discipline historique sur l'empirie, car l'histoire
est selon la formule de Lévi-Strauss partiale et partielle. Le
recours à la causalité rétrospective peut nous
réduire à un récit « subjectif » de la
réalité social du passé. Or la socio-archéologie de
l'ethnicité implique le concours des méthodes
éprouvées par les techniques de la science positive,
associée aux méthodes historico-herméneutique, en
l'occurrence la méthode compréhensive, selon les propositions
d'Habermas. Cette socio-archéologie de l'ethnicité nous donne
à dégager les prolégomènes pour notre
théorie de l'homo ethnicus et d'établir
l'universalité du fait ethnique, pour une intromission aisée des
prolégomènes de la perspective dynamique de ce travail, dynamique
rendu possible par l'habitus.
Ce qui fait, en effet l'originalité de la posture
envisagée ici, par rapport à la problématique de
l'ethnicité, c'est l'exhumation de ce qui est résolument un
truisme, la chose la mieux partagée au monde : l'ethnie. Il s'agit
(contra facta non argumenta), non pas d'une invention coloniale, mais
d'une « découverte » arbitrairement alléguée
à la sauvagerie ; non pas d'un atypisme africain mais de
l'universalité d'une réalité. L'homo ethnicus est
indéniablement un truisme, car l'ethnicité est une
propriété formelle de toute formation sociale et l'ethnie, une
forme élémentaire d'organisation politique. Il appartient
à l'essence de la société d'être ethnocentriste,
dans la mesure exacte où tout rapport social est un rapport de force et
toute identité se considère comme l'identité par
excellence. En d'autres termes, l'altérité n'est jamais
appréhendée comme différence positive, mais toujours comme
infériorité sur un axe hiérarchique. L'homo ethnicus,
revisite donc les propriétés sociohistoriques de
l'être social, à travers les formes élémentaires
d'organisation politique, les contours et les pourtours sociologiques de sa
modernité jusqu'aux irrédentismes nationalitaires de la
contemporanéité.
73 Foucault Michel, l'Archéologie du
savoir, Paris, Gallimard, 1969, p.15.
32
L'historiographie et l'anthropologie de l'Afrique
s'écrivaient volontiers comme celles des erreurs et des obscurantismes,
jusqu'à l'Antériorité des civilisations
nègres, qui a tordu le cou aux littératures
idéologiques de la race, en « (re)civilisant » le
Négro-africain. Pour nous, faire une « socio-archéologie
» de l'ethnicité, consiste à considérer, selon
l'animal politique aristotélicien et selon aussi, son
étymologie (« ethnos=peuple »), l'ethnie comme
formation primaire d'organisation sociale. Il s'agit de montrer comment,
malgré les « mensonges » et les erreurs relatives à
l'ethnicité, l'ethnie demeure ce qu'elle a toujours été,
c'est-à-dire des groupes sociaux ou peuples constitués par le
socle de la famille, du clan, de la tribu, peu en importe les
dénominations contextualisées. L'exploration des archives de
l'humanité (Lucie, le berceau de l'humanité, l'histoire des
migrations) comme la socio-archéologie de l'ethnicité, (de Darwin
à Brühl, Hegel, Sarkozy et leurs thèses fallacieuses
officialisées), entend logiquement, plutôt que d' «
ethniciser » la seule Afrique, entériner l'essence ethnique de
l'être social, d'un point de vue organisationnelle, de l'ordre du contrat
social, de la genèse des sociétés. L'ethnicité est
au coeur de la socialisation. Durkheim avait saisi à travers la
solidarité mécanique, la relation qui lie l'individu au groupe.
Et ce n'est pas fortuit que les sociétés précapitalistes
en constituent le cadre empirique d'application. Aussi l'animal politique
évoqué par Aristote n'est pas seulement relatif à la
socialité mais aussi à l'ethnicité entant que forme
élémentaire d'organisation politique. L'ethnie se recoupe par la
tribu qui désigne un sous-groupe ethnique formant un ensemble de clans.
Un clan est un ensemble d'individus qui se réclament d'un même
ancêtre qui a parfois réellement existé (consanguins) ou
qui est tout simplement mythique et même zoomorphe (à visage
animal ou totem).L'animal politique est l'expérience fondamentale de
toute société primitive que l'Occident a volontairement
balayée et que l'africanisme préfère réfuter
à coup d'arguments, au lieu d'assumer la réalité de
l'être social universel.
Expérience de la précolonie africaine :
l'ethnicité est appréhendée comme le fondement des groupes
humains constitués dans les formes primaires d'organisation politique.
La cosmogonie, l'ethnonymie entre autres individualisent chaque peuple et leur
confère l'originalité de cette individualité.
Expérience ensuite de la colonie : la race, l'un des
plus grossiers mensonges de l'histoire de l'humanité est perçue
comme un concept vide dont la rationalité servit à
légitimer l'impérialisme de l'Occident. Négativité
pure et (dé)raison donc, des prétentions de civilisation des
« animaux », en dépit de la rationalité expansionniste
de l'entreprise colonisatrice.
33
Expérience aussi de la postcolonie : l'ethnie est cette
fois corrélée à la problématique du pouvoir, de la
gouvernance et de la gestion des ressources humaines dans des
sociétés constitués, au gré des desseins des
colons. Expérience qui pose le problème des nations en
construction, des idéaux patriotiques pour rassembler
l'hétérogénéité des populations.
Expérience enfin de la contemporanéité :
la question du multiculturalisme, dans un espace mondialisé
problématise le cosmopolitisme idéalisée par les cadres
internationaux de la nationalité, leur adaptation particulière et
aussi leur difficultés à être adoptés dans les
sociétés actuelles, du fait des irrédentismes et des
exclusions, qui touchent toutes les sociétés du monde.
1. Cadre théorique
Toute recherche scientifique doit inéluctablement
reposer sur une ou plusieurs théories construites et organisées
de façon cohérente. En effet, la théorie, entant que
modèle d'intelligibilité offre au chercheur des outils
analytiques et méthodologiques qui permettent à ce dernier
d'établir une lecture efficiente de son objet d'étude. Cependant,
le choix d'un cadre théorique doit intégrer les objectifs de
ladite recherche. Pour comprendre la dynamique du discours nationalitaire, nous
associerons à notre théorie de l'homo ethnicus
suggérée pour l'heure, par la socio-archéologie de
l'ethnicité, le structuralisme génétique et notamment,
l'habitus de Pierre Bourdieu.
L'éminence de l'oeuvre bourdieusienne n'est plus
à rappeler. Cependant, il n'est pas question ici d'en esquisser
l'économie. Il s'agit plutôt de nous centrer sur un des concepts
centraux de cette oeuvre, celui de l'habitus, pour faire ressortir
l'intérêt pour l'analyse de la dynamique du discours
nationalitaire. Concept fondamental de son oeuvre, le motif de notre
intéressement à ce concept nous vient de deux ouvrages : La
reproduction et Les structures sociales de l'économie,
dans lequel il produit, à notre sens, les développements les plus
explicites de l'habitus.
Notons primo, son refus de poser le social, dans des
rapports dialectiques entre deux dérives qui sacrifient à l'autel
du réductionnisme, les sciences sociales. «De toutes les
oppositions qui divisent artificiellement la science sociale, la plus
fondamentale et la plus ruineuse, est celle qui s'établit entre le
subjectivisme et l'objectivisme»74. Bourdieu propose le
74 P. Bourdieu, Le sens pratique, Paris,
Minuit, 1980, p.43.
34
structuralisme génétique et l'habitus tranche
donc de ces antagonismes. Un habitus est « un système de
dispositions durables et transposables, structures structurées
prédisposées à fonctionner comme structures structurantes,
c'est-à-dire en tant que principes générateurs et
organisateurs de pratiques et de représentations qui peuvent être
objectivement adaptées à leur but sans supposer la visée
consciente des fins et la maîtrise expresse des opérations
nécessaires pour les atteindre »75.
L'habitus structure le corps selon l'axe diachronique du cycle
de vie, ainsi que sur l'axe synchronique de l'occupation de l'espace. Il
constitue une règle acquise dont les fondements conscients et
inconscients sont partagés par un groupe. En effet, chaque adaptation
d'un habitus implique la mise en application de codes connus et
partagés, compris et acceptés, sous peine que l'adaptation ne
passe pour une déviance.
L'habitus est une « loi immanente, déposée
en chaque agent par la prime éducation, qui est la condition non
seulement de la concertation des pratiques mais aussi des pratiques de
concertation, puisque les redressements et les ajustements consciemment
opérés par les agents eux-mêmes supposent la maîtrise
d'un code commun et que les entreprises de mobilisation collective ne peuvent
réussir sans un minimum de concordance entre l'habitus des agents
mobilisateurs et les dispositions de ceux dont ils s'efforcent d'exprimer les
aspirations. »76.
L'habitus forme les conduites ordinaires. Il les rend
automatiques et impersonnelles, « signifiantes sans intention de signifier
». Il se voit imposé par l'« ordre social », de
manière structurelle, et se voit reproduit par chacun des acteurs qui en
permettent le maintien de manière conjoncturelle. Il permet l'expression
de l'intention objective par la « réactivation » de
l'intention « vécue » de celui qui les accomplit.
L'hypothèse de cette réflexion apparaît clairement dans le
texte de Bourdieu. L'habitus forme un patrimoine social et culturel qui
s'exprime dans les pratiques quotidiennes. Il forge la posture individuelle et
marque la condition personnelle, le statut social. Il inscrit la personne dans
un groupe donné, creusant l'écart entre les catégories
sociales et entre les statuts personnels par l'adoption d'habitus distincts.
Ramené à la dynamique de l'ethnicité,
l'habitus est intelligible selon, la mise en évidence de sa
transmission, selon Norbert Elias (1939), comme signe d'appartenance à
une
75 Ibid., pp. 88-89.
76 Bourdieu, Les Structures sociales de
l'économie, Paris, Seuil, 2000, p.272.
35
catégorie sociale dans sa remarquable étude
concernant le « processus de civilisation». Elias souligne le
prestige résultant dans les stratégies d'adoption des habitus
caractéristiques de classe sociale supérieure. Si nous ne voulons
évoquer ici, le concept de classe, il n'en demeure pas moins que la
lutte de classement par le jeu des ethnocentrismes, participe des logiques de
stratification.
Quant au discours nationalitaire, l'habitus est le produit de
et participe à la production de « structures » sociales
structurées et structurantes. Il n'est pas d'individu en dehors de ces
structures. La première de ces structures est la langue. Faculté
acquise, spécifique à un contexte social et culturel, la langue
autorise la mise en application d'une capacité physiologique humaine :
le langage. Sans la langue, pas de langage, mais sans aptitude au langage pas
de langue... Entre la langue et le langage, la relation n'est pas d'opposition,
mais de « disposition ».
De prime abord, « c'est grâce au langage que les
concepts et les valeurs de la culture sont transmis d'une
génération à l'autre »77. S'il est vrai
pour Leplat, que les habitus «s'expriment bien dans l'action, mais moins
bien ou pas du tout par le discours»78, nous nous inscrivons,
dans la perspective de Freitag, qui définit le système symbolique
comme une «structure objective de représentation significative ou
conceptuelle du monde, d'autrui, de la société et de
soi»79. En effet, pour Freitag, le système symbolique
renvoie au concept de culture et constitue la structure de médiation des
pratiques en leur donnant sens. Vandenberghe note à ce propos que le
langage courant est «l'exemple paradigmatique de la culture en tant que
structure de médiation des pratiques significatives»80,
de l'agir communicationnelle comme dirait Habermas.
In fine, il convient de dire, de façon
sommaire, que l'habitus est un ensemble de comportements corporels et
intellectuels acquis par l'éducation dans la sphère familiale,
scolaire et professionnel que l'individu véhicule inconsciemment et
reproduit à son insu dans son activité sociale.
77 T. Ingold, The perception of the
environment: Essays on livelihood, dwelling and skill. London, UK:
Routledge, 2000. p.146.
78 J. Leplat, Regards sur l'activité en situation
de travail. Contribution à la psychologie ergonomique, Paris :
Presses universitaires de France, 1997.p.141.
79 M. Freitag, Pour un dépassement de
l'opposition entre «holisme» et «individualisme» en
sociologie. In J.-F. Côté (dir.), Individualismes et
individualité, Sillery: Éditions du Septentrion, 1995, p.
302.
80 F. Vandenberghe, « L'école de
Montréal: théorie critique ou critique théorique de
l'«asociété». In Société,
N° 26, 2006, p.127.
36
2. Hypothèse
L'analyse sociologique consiste en un compte rendu, en
l'explicitation d'un fait social via une approche scientifique rigoureuse, qui
intègre les principes heuristiques en vigueur dans les sciences
sociales. Et la valeur scientifique d'un travail ne s'acquière, selon
Quivy et Campenhoudt, que dans sa structuration « autour d'une ou
plusieurs hypothèses »81. Ainsi, avançons nous
par une hypothèse binaire que l'être social est un
homo ethnicus et que la dynamique du discours nationalitaire est
tributaire des habitus ethnocentristes.
3. Construction du concept de dynamique du discours
nationalitaire
La conceptualisation est une opération garante de la
clarté et de la lisibilité objective d'un travail de recherche.
Le fait social, pour se mouvoir en objet sociologique d'étude doit
nécessairement intégrer l'étape de la conceptualisation.
Et construire des concepts vise à rendre compte du réel social.
Les concepts sont des abstractions qui « ne peuvent être
définis que par rapport à un certain domaine où
s'appliquent les opérations qui servent à les définir
»82. Ibn Khaldoun dans La Muqaddima, avançait,
relativement au fait de prendre parti pour une opinion ou une doctrine que
« lorsque l'âme observe la neutralité à l'égard
d'une information, elle examine avec toute l'attention nécessaire afin
d'y discerner le vrai du faux. Si, au contraire elle se nourrit d'un
préjugé en faveur de telle opinion ou telle croyance, elle
accepte d'emblée tout ce qui va dans son sens, et son inclination et sa
partialité agissent comme un voile sur son oeil intérieur et
l'empêchent de procéder à un examen critique. C'est ainsi
qu'elle est amené à accepter les récits mensongers et
à les transmettre »83. Autrement dit, le concept
acquiert son caractère opératoire qu'inscrit dans le contexte qui
le met en relation avec le phénomène qu'il explique, « les
choses nature des choses seules »84 nous permettent
d'établir notre concept.
Appréhender la dynamique de l'ethnicité revient
à articuler son développement à travers la longue
durée historique. En effet, nous inscrivons notre analyse dans une
temporalité qui tient compte de quatre moments historiques : la
précolonie, la colonie, la postcolonie et la
81 Quivy et Van Campenhoudt, Manuel de recherche
en sciences sociales, Paris, Dunod, 1995, p. 117.
82 M. Grawitz, Méthodes en science
sociales, Paris, Dalloz, 10ème éd., 1996, p.
333.
83 Muqaddima, Paris, La
bibliothèque arabe Sindbad, 1986, I/328-331.
84 Montesquieu, De l'esprit des lois,
Préface, GF Flammarion, 1979, P.116
37
contemporanéité. Les différentes formes
d'expressions de la nationalité sont ici envisagées selon les
époques. L'évolution dans le temps de l'ethnicité saisie,
à travers ses usages dans la praxis sociale, met en exergue les
habitus qui agissent les agents. Ces usages de l'ethnicité
déterminent, non seulement les représentations que les agents ont
de leur environnement, mais aussi leurs conduites dans ce même
environnement.
Notons par ailleurs que les variables et les indicateurs que
nous mettons en évidence ici ne sont pas exclusifs aux dimensions dans
lesquelles ils sont identifiés. Il s'agit par contre d'une nomenclature
qui relève les éléments les plus marquants
inhérents à chaque période.
Concept
|
Dimensions
|
Variables
|
Indicateurs
|
Dynamique du discours nationalitaire
|
Précoloniale
|
« Nous et
eux» (Distinction)
|
s « Polis », « civilisation
», « humanité »
s « ethnè », «
barbarie », « animalité »
|
Coloniale
|
« Nous devant, Eux derrière »
(Classement)
|
s Darwinisme social
s Indigénat
s Les évolués, etc.
|
Postcoloniale
|
« Nous d'abord, eux ensuite »
(Reclassement)
|
s Collectif Fang, collectif Myenè,
PUNGA)
s Gabon d'abord
s « Vas-y demander au ministre de chez toi
»
|
Contemporaine
|
«Nous contre eux »
(Division)
|
s « République du Haut-Ogooué-Lolo
»,
« Tous sauf les fang »
s « La légion étrangère
», « Tuez-les tous »
|
SECTION III : Approche méthodologique
L' « étroitesse » de la relation qui lie le
chercheur à son univers d'enquête, univers qui par ailleurs
demeure son univers ambiant constitue parallèlement à l'assertion
de Bourdieu, « l'obstacle épistémologique par excellence
»85. L'approche sociologique du social comporte, par son
caractère ardu, des risques de biais ou d'erreurs, dans la manoeuvre des
instruments dont
85 P. Bourdieu et al. Le métier de
sociologue, Paris, Mouton, 1968, p.27.
38
dispose le chercheur. Etant effectivement sujet et objet de la
recherche, on peut envisager les interférences de sa personnalité
sur son interprétation.
Sur ces entrefaites, la méthodologie devient le seul
moyen d'objectivation de la subjectivation du social en sa disposition. La
méthodologie est l'ensemble conjugué des méthodes,
démarches, mécanismes, opérations, procédés
et techniques logiques qui orientent l'élaboration de la recherche.
C'est aussi l'agencement de diverses étapes constitutives de la
démarche scientifiques entre lesquelles s'opère un processus
d'intervérification de la cohérence des unes avec l'ensemble de
la recherche et de la validité des autres dans la démarche.
Aussi, la méthodologie comprend-elle des techniques dont mobilisation
est nécessaire pour matérialiser le réel social.
I. Techniques de collecte des données.
Dans une visée méthodique et empirique, nous
avons eu recours dans ce travail de recherche, à des méthodes et
des démarches qui nous ont aidés à construire notre
réflexion et à vérifier nos suppositions. Aussi avons-nous
choisi de nous appuyer essentiellement sur la méthode pragmatique et la
méthode expérimentale. Le pragmatisme étant intimement
lié à une remise en cause de l'idée d'une
vérité absolue, est une méthode de pensée et
d'appréhension des idées qui s'opposent aux conceptions toutes
faites et aux idées non expérimentées. Il s'est agi pour
nous de vérifier, nos idées reçues, nos
présupposés théoriques, nos lectures et toutes notions en
situation, de les mettre à l'épreuve et d'identifier leurs
implications pratiques, en ayant recours aux expérimentations et aux
enquêtes prenant forme dans l'observation indirecte, l'analyse
d'expériences vécues, les entretiens et l'usage des fils de
discussions sur les réseaux sociaux en ligne.
1. L'observation indirecte
L'observation permet de repérer des discours peu
verbalisables dans une situation d'entretien, pour différentes raisons,
soit parce que les personnes concernées n'ont pas conscience de ces
comportements, ne trouvent pas toujours « les mots pour le dire»,
soit parce qu'elles récusent les comportements observés. Un
individu se dira difficilement « raciste »,
»86
39
« ethniste » ou « xénophobe » au
cours d'un entretien, alors qu'il peut manifester un comportement de cet ordre
dans les actions de la vie courante. Raymond I.Gold à propos de
l'observation affirme que : « (...) L'enquêteur joue des
rôles de sa panoplie de chercheur de terrain et il tente de comprendre et
de prendre le rôle de l'informateur en se mettant à sa place. Il
essaie souvent de maîtriser des univers de discours, relatifs à de
nombreux registres d'attitude et de conduite, qui lui étaient
jusqu'à présent étrangers ou qu'il comprenait
,seulement de façon vague(...)
Nous nous en somme remis à des témoignages oraux
et écrits à travers des journaux, des chaines de
télévision, des émissions radio d'une part et aux
représentations des acteurs dans leur façon de se définir.
Parfois, nous nous somme retrouvés au bon endroit, au bon moment, tels
que dans le cas idéal-typique évoqué dans notre
introduction.
2. Les fils de discussions87
Technique de collecte de données inédite, nous
avons opté pour l'innovation, en portant un intérêt sur les
fils de discussions dans les réseaux et les médias sociaux. Les
fils de discussions sont des plateformes réservées aux
internautes pour émettre des avis sur l'actualité publiée
et à la commenter. L'internaute produit alors un contenu sur
l'actualité publiée, en l'émaillant de perceptions,
commentaires, de réactions et/ou d'expériences personnelles. Avec
les mécanismes prévues sur ces plateformes pour suivre
l'actualité des internautes, nous avons collectés des
données importantes disponibles, sans parfois questionner les
enquêtés. Nous nous somme donc servis, des positions et les points
de vue des Gabonais, à travers les réseaux sociaux en ligne sur
les questions d'actualité relative à la gabonité,
l'ethnicité ou la nationalité.
L'on peut envisager, en dépit de leur usage encore
moindre en sciences sociales, l'émergence massive que les fils de
discussions et des réseaux sociaux en général, dans les
enquêtes de terrain. Ces nouvelles techniques de collectes des
données présentent des avantages indéniables pour la
recherche sociologique. Dans Les nouveaux bien-pensants, Maffessoli
écrit, « la pensée authentiquement en phase avec son
époque(...) est enracinée dans la vie
86 Raymond I. Gold, « Jeux de rôle
sur le terrain. Observation et participation dans l'enquête sociologique
», in L'Enquête de terrain. Textes réunis,
présentés et commentés par Daniel Cefai, Editions LA
Découverte, Paris, 2003, pp.340-341.
87 Voir exemple en annexe
40
courante.»88. Si les réseaux sociaux
intègrent, de manière frappante, la vie courante, dans ce
XXIème siècle, la sociologie entant que science du présent
doit nécessaire faire une place à cette réalité
virtuelle.
3. La recherche bibliographique
La recherche bibliographique représente une
étape nécessaire et indispensable à toutes recherches
scientifiques sérieuses. Cette étape consiste à
réunir et à explorer les écrits et les travaux de
recherches ayant trait à la thématique de notre objet
d'étude. Elle permet de mieux cerner notre secteur de la recherche,
d'alimenter notre travail de références et de discussions avec
d'autres auteurs et chercheurs, de profiter des points faibles des travaux
effectués pour lancer de nouvelles pistes de recherche et
d'évaluer la pertinence de notre apport par rapport à
l'évolution des questions traitées dans notre domaine de
recherche.
Pour ce faire, nous nous somme mobilisés dans
différentes bibliothèques, notamment la bibliothèque du
Département de sociologie de l'Université Omar Bongo (UOB)
gérée par la Coordination des Activités Des Etudiants de
Sociologie (CADES), disposant de plusieurs mémoires de recherches, la
bibliothèque centrale de l'Université Omar Bongo et la
bibliothèque de l'Institut français de Libreville. Nous avons
aussi fait appel à des sites internet scientifiques tels que :
www.uqac.ca,
www.persee.fr,
http://www.academia.edu,
www.bnf.fr, www.cairn.info,
www.revues.org.
Enfin, Comme nous avons eu recours à différents
moteurs de recherche comme «Google Scholar» et «Google
livre». Par ailleurs, l'activation de la veille scientifique à
travers le moteur de recherche « Google Alertes » nous a permis
d'enrichir, notre base de données bibliographiques, tout au long de
cette recherche et d'être alerté des différents travaux,
ayant été réalisés récemment en rapport avec
notre projet d'étude.
88 Michel Maffesoli, cité par Jean Laurent
Cassely, « Le troll de la sociologie française » sur
www.slate.fr , publié le
09/05/2015, consulté le 23/19/15 à 13h.
41
4. Le focus group
Enfin, comme technique de collecte de données, nous
avons organisé un focus group autour, essentiellement de la question de
savoir qu'est-ce qu'être Gabonais. C'est une technique qualitative qui
favorise l'émergence d'opinions diverses. Elle permet le recueil des
représentations, les attitudes et les croyances du groupe-cible. La
sélection des participants s'est faites par un appel à des
volontaires, au cours des séances de tutorats organisé par la
CADES pour les premières années. C'est ainsi que trente
individus, réunis en groupe de dix ont été
sélectionnés. Nous avons consacré une journée et
les discussions sont allées parfois au-delà d'une heure pour
chaque groupe-cible. Le focus group nous a permis d'appréhender les
représentations des participants sur la gabonité, à
travers leurs argumentaires et le lexique utilisé par ces derniers.
II. Technique de traitement des données : l'analyse
de contenu
La méthodologie en sciences sociales admet un large
éventail de technique de traitements des données. Dans ce
travail, l'analyse de contenu, dans une perspective homologique des techniques
qualitatives inhérentes à la sociologie compréhensive,
s'est imposé à nous comme technique pour le traitement des
données. Outil par excellence qualitatif, l'analyse de contenu permet de
traiter des données issues des entretiens et de l'observation. Il s'est
agi de relever dans le discours, le lexique notamment utilisé pour
exprimer la nationalité. En bref, une analyse synthèse des mots
clés des enquêtés a été possible, pour notre
focus group en l'occurrence.
III. Champ empirique et délimitation temporelle de
l'étude
Notre travaille tente de saisir l'intelligibilité la
dynamique du discours nationalitaire au Gabon. La faisabilité,
critère important dans la recherche scientifique suggère la
modestie dans nos ambitions totalisantes. C'est pourquoi il convient ici de
nuancé la notion de terrain qui dans notre cadre est aussi bien rempli
par des lectures et des observations qui intègre en son sein des
pratiques communes à la généralité des acteurs. Il
s'est agi pour nous d'observer des
42
acteurs sociaux urbi et orbi, dans les champs divers
de la pratique sociale. Les méthodes de collecte de données que
nous avons utilisées montrant parfaitement quelle a été
notre démarche.
Le présent propos porte sur le discours nationalitaire
au Gabon. Notre postulat d'une archéologie de l'ethnicité et d'un
homo ethnicus, étudié sous le prisme de la
théorie du structuralisme génétique et, plus
précisément au concept d'habitus chez Pierre Bourdieu, induit une
prise en compte de la causalité rétrospective, nécessaire
pour saisir l'essence du discours nationalitaire.
Ainsi, notre travail est inscrit, pour des besoins d'une
explicitation méthodique et optimale du fait nationalitaire au Gabon,
dans une diachronie. Il s'agit en l'occurrence, de la précolonie, en
passant par la situation coloniale et de l'avènement des
indépendances jusqu'à nos jours. Autrement dit, cette lecture
sociologique et dynamique du discours nationalitaire se déploie de la
précolonie colonie à nos jours.
IV. Difficultés et limites de l'étude
L'esprit scientifique encore et toujours en gestation, ce
premier travail scientifique est à saisir tels les balbutiements d'un
« apprenti sociologue ». Ainsi, nos difficultés
épistémologiques, méthodologiques, de conceptualisation,
de théorisation, de réappropriation des théories
participent de notre socialisation certaine à la sociologie.
La limite majeure, à notre sens, demeure cependant la
difficulté de travailler sur un objet souvent « redouté
» et même parfois « rebouté » en dehors de toute
consistance conceptuelle et de toute valeur heuristique. Le domaine est
tellement sujet à controverse que certains chercheurs
éprouvés se méfient d'une association avec le concept
d'ethnicité.
Enfin Balandier consacre peut-être et heureusement, une
justification de l'ensemble de ces limites par son assertion: « toute
entreprise scientifique réalisée dans le domaine des sciences
sociales porte la marque de celui qui la conduit. Il est présent en
elle, quoi qu'il fasse et quels que soient les modes d'objectivité (et
les masques parfois) auxquels il recourt »89.
89 G. Balandier, Sens et puissance,
3ème éd. Paris, PUF, « Quadrige », 1986,
p.334.
43
Partie I : PROPRIETES SOCIOHISTORIQUES DU DISCOURS
NATIONALITAIRE
44
Est-ce la (dé)colonisation qui a
révélée, l'immanence historique inhérente aux
sociétés africaines, ou est-ce plutôt le fait des
ethnologues élaborant des concepts spécifiques90 ?
C'est par cette parodie de la citation de Jean Copans que nous voulons
interroger la réalité de l'ethnicité. La différence
est-elle inexistante en Afrique avant la colonie? L'on nous objectera
assurément, la banalité de cette question et le truisme de la
réponse y relative. Cependant, il restera à savoir le(s) moyen(s)
de son expression par les agents précoloniaux.
Le lien souvent établit, entre la question de l'ethnie
et les circonstances conflictuelles et parfois tragiques qui la
caractérise problématise et complexifie toute appréhension
de l'historicité du fait nationalitaire. Or la causalité
régressive nous offre une lecture pertinente de l'ethnicité,
au-delà des formes modernes de son expression. C'est un préalable
à la compréhension des processus d'incorporation des
schèmes de représentation des acteurs. Les résultats de
cette perspective démontrent d'une « définition des
identités collectives comme constituant un phénomène
sociologique d'autodéfinition (d'autoréférence) qui n'est
réductible, ni à des critères objectifs, ni à la
représentation que se fait des individus concernes le monde
extérieur, mais qui en revanche dépend de la
représentation se traduisant par un mode spécifique et
privilégié d'intercommunication. »91
Toutefois, l'historiographie sociale de l'Afrique
précoloniale est d'abord un antagonisme entre l'histoire made
by l'anthropologie classique, souvent dite raciste, oeuvre coloniale d'une
part et de l'autre part, il en va, selon cette paraphrase de l'expression de
M'bokolo, de l'histoire des zaïrois par des zaïrois.
Donner des réponses pertinentes à notre
questionnement « consisterait sans aucun doute à dépouiller
les archives, recueillir les témoignages... »92.
Cependant l'absence des moyens d'une telle perspective nous oblige à
nous « contenter des textes et du contexte de l'ensemble des textes
ethnographiques et anthropologiques »93. Ainsi, l'acception
d'une perspective critique à l'égard de la vulgate de
l'anthropologie structurale classique et du « sens commun savant »
des « panafricanistes », implique d'analyser les faits, à la
fois, selon l'expression de Balandier d'« agencement approximatif »
ou la notion de « double causalité » de Bastide, d'optique
explicative on ne peut plus syncrétiques. Dans « mythes politiques
de colonisation et
90 J. Copans, « la communauté des
ethnologues : le cas des africanistes français et de `'leur objets»
face à la décolonisation », in Nadir Marouf (Dir.),
Identité-Communauté, Paris, L'Harmattan, 1995, p.101.
91 Ibid. p. 81
92 J. Copans, op.cit.p.101.
93 Ibid.
de décolonisation, Balandier décrit le chemin
qui mène du mythe traditionnel à l'idéologie politique
moderne ainsi que les mélanges réciproques de ces deux formes
dominantes »94.
La multiplicité des cadres de référence
dans l'analyse nationalitaire, rapportée au Gabon, notamment le monde
traditionnel et le cadre de la société coloniale, est telle que
l'affirmait Mercier en 1954, la clé d'une avancée
considérable dans la lecture du fait identitaire en Afrique.
45
94 Cité par Copans, op.cit.
46
Chapitre I : La socio-archéologie de
l'ethnicité
La socio-archéologie de l'ethnicité postule que
l'être social est un homo ethnicus. Dans ce chapitre, nous
allons proposer des prolégomènes en vue de la validation de cette
hypothèse.
Dans « Le groupe territorial et son identité, le
lien social au-delà de la crise politique », Bernard Poche propose
une prise de vue qui met en exergue le lien social. En effet, pour lui, «
le langage commun utilise des termes dont la démarche
`'scientifique» a renoncée à rendre analytiquement compte
»95. L'objection clairement exprimée est celle qui
postule l'existence du groupe « qu'en fonction de la dialectique
`'nous/les autres» »96, déniant à ce dernier
toute logique. Une « analyse menée avec sang-froid et sans `'peur
ancestrale»(...) montre au contraire que le groupe s'auto-constitue, non
pour dominer ni pour résister à une domination, ni même
pour marquer ses frontières, mais par suite d'un processus
d'agrégation qui auto-construit le caractère et s'oppose à
la `'réduction» (...), à la définition d'un individu
sans identité, sans origine »97.
Aussi, « l'internationalisme qui fut longtemps au
principe, reconnu ou non, de la réflexion sociologique
européenne,(...) fondé, en réalité, sur la
dénonciation de tout relent culturaliste, lieu où
l'identité comme on sait puise l'essentiel des contenus concrets de sa
revendication »98 fit-il que « l'historicité
coloniale déteint en quelque sorte sur l'historicité
locale.»99
L'analyse des stratégies identitaires nous
révèlent des logiques de pouvoirs dans les rapports sociaux entre
groupes ethniques et ce, depuis la précolonie. Célestine Koumba
Boupo nous apprend d'ailleurs que « les sociétés
`'modernes» ne sont, de ce point de vue pas les seules dans lesquelles les
membres de la société s'entretuent autour des `'richesses»
»100. Il convient d'appréhender dans cette assertion le
terme « richesses » au sens bourdieusien de capitaux.
Il s'agit pour nous, à travers ce chapitre sur la
socio-archéologie, d'exhumer les vestiges de l'animal politique
aristotélicien et donc, de laisser découvrir l'ethnie, sous
de nouveaux
95 B. Poche, « le groupe territorial et son
identité, le lien social au-delà de la crise du politique »,
in Nadir Marouf (Dir.), Identité-Communauté, Paris,
L'harmattan, 1995, p.74.
96 Ibid., p.79
97 Ibid.
98 Sylvia Ostrowetsky, « les quatre voies de
l'identité » in Nadir Marouf, op.cit., p. 23.
99 J. Copans, Op. Cit, p. 106.
100 C. Koumba Boupo, « Dynamique de la socialisation chez
les mitsogho » in Stéphanie Nkoghe (Dir.), Anthropologie de la
socialisation, Paris, L'Harmattan, 2013, p. 190.
47
auspices, entant que forme élémentaire
d'organisation politique, qui eut pour sens, de répondre au besoin de la
socialité de l'individu. Les développements qui suivront ne
sauront se résumer à la seule Afrique.
L'hypothèse centrale qui conforte l'argument de la
colonialité de l'ethnicité n'est d'aucune validité
empirique ; car, au fait de figer cette réalité complexe à
l'intérieur d'espaces stables à présider une facilitation
du dénombrement, des levée d'impôts et du recrutement des
travailleurs, nous rappelle Catherine Coquery-Vidrovitch101.
C'est dans cet ordre que Matsiegui Mboula constate à
juste titre que « les premiers occidentaux à mettre les pieds en
Afrique ont bien trouvé des peuples avec lesquels ils ont bâti
leurs comptoirs commerciaux et pour qui ils ont prêché la «
bonne parole ». Servons-nous de son questionnement pour appréhender
l'ethnicité dans la précolonie : « Qui étaient ces
peuples ? Comment se nommaient-ils ? »102
Section I : Des prolégomènes pour une
théorie de l'homo ethnicus
Disons-le d'entrée de jeu, nous nous inscrivons en faux
contre les thèses de la colonialité de l'ethnicité. Outre
dans le cas d'un nominalisme pur, la colonialité de l'ethnicité
est réfutée par l'inexistence de l'unicité. Cependant,
nous admettons que son expression est rendu manifeste de plusieurs
manières : race, ethnie, nationalité etc. Le lien commun demeure
alors la notion d'identité dans sa relation au politique.
Les débats « passionnés » autour de la
responsabilité de l'Europe concernant la traite des esclaves et la
colonisation brouillent la sérénité de l'analyse
historique. Les hésitations sémantiques,
révélatrices des difficultés présentes d'assumer le
passé, ne peuvent toutefois occulter des réalités
structurales qui transcendent les remous de l'actualité.
L'identité nationale est un discours, mais un discours
qui fait sens. Donc, « ce n'est pas sacrifier à une vision raciale
de l'histoire de l'humanité que de dresser le constat des
différences entre des groupes humains, ces différences ne se
réduisant évidemment pas à l'aspect physique, mais
incluant les dimensions culturelles, linguistiques, technologiques
constitutives de la
101 Catherine Coquery-Vidrovitch, cite par Matsiegui Mboula,
Op.cit, p 187.
102 F. Matsiegui Mboula, Op.cit., p. 187.
48
définition des ethnies - concept tout aussi
controversé, au demeurant, que celui de race »103. Et
l'Histoire de l'humanité ne saurait faire l'impasse d'une analyse de ce
qui constitue son substratum : les hommes dotés de
spécificités fondatrices d'identités collectives, de
modalités diverses de socialisation, d'appropriation de la nature, de
rapports sociaux, d'organisation politique des espaces de vie.
Postuler un homo ethnicus c'est donc non seulement,
oser tordre le coup à un sens commun savant très répandu
dans la littérature scientifique africaine et africaniste, mais peut
sembler aussi fallacieux. Pourtant en dehors des considérations
éthiques posées par la catégorie d'analyse « ethnie
», l'hypothèse de l'homo ethnicus est recevable à
plusieurs titres. La problématique relative à l'usage du concept
d'ethnie est tributaire de son passif. Si de nombreux scientifiques le
récusent au nom de l'unité de l'espèce, ce sont surtout
des raisons historiques et politiques qui remettent en cause son usage, par
suite des crimes, commis par des idéologies racistes, qui ont traduit
différence par infériorité et trouvé dans la race
une légitimation à la colonisation.
1. L'étymologie et la généalogie de
l'ethnie
Une socio-archéologie de l'ethnicité doit
nécessairement tenir compte de l'étymologie et de la
généalogie de ce concept. L'étymologie est l'étude
de l'origine et de l'évolution des unités du lexique (mots,
locutions...), depuis leur état le plus anciennement accessible. Son
étymologie (du lat. etymologia, grec etumologia, de
etumos « vrai »), établit la vérité,
(aussi concrète que l'affirmait Bertholt Brecht) sur l'origine des mots.
L'importance de cette vérité est un impératif du
débat scientifique, car comme le constatait Montaigne, la plupart des
malentendus du monde sont grammairiens.
La généalogie quant à elle, nous dit
Le Grand Robert, désigne l'étude scientifique de la
filiation. La généalogie d'ailleurs, dans le cadre de notre objet
d'étude, lève toutes les amphibologies, en ce qu'elle s'y
intègre « heureusement », par son étymologie (de
genea « espèce, race, famille; génération)
et ses liens avec les concepts de race, souche, famille, origine, entre
autre104.
103 R. Pourtier, « AFRIQUE. Structure et milieu -
Géographie générale » in Encyclopédie
Universalis, 2014, version électronique.
104 Alain Rey (Dir.), Le Grand Robert de la langue
française, version électronique, 2ème
éd.
49
Brunot et Bruneau ont d'ailleurs établit, à
travers une comparaison que, « ce que le généalogiste fait
pour les familles, l'étymologiste le fait pour les familles de mots
»105. l'étymologie doit d'ailleurs beaucoup à la
sociologie et à l'histoire car, « L'étymologiste doit tenir
compte des lois phonétiques, des lois sémantiques,
de la date d'apparition du mot, de son extension
géographique, et enfin du milieu social où il a
vécu (...) L'on doit donc, pour établir l'origine d'un mot (...)
prouver que ce mot correspond bien, son pour son, à
l'étymon proposé, il est nécessaire que le rapport des
sens soit clair, et que les circonstances historiques,
géographiques et sociales ne s'opposent pas à
l'hypothèse présentée »106.
Il s'agit donc d'éclairer sur le concept d'ethnie, afin
de valider notre hypothèse de l'homo ethnicus.
L'étymologie de l'ethnie, nous dit Le Grand Robert est une
référence à Vacher de la Pouge et au vocable grec «
ethnos » qui a pour sens, « peuple, nation »,
et qui désigne l'ensemble d'individus que rapprochent un certain nombre
de caractères de civilisation, notamment la communauté de langue
et de culture. Le Grand Robert distingue par ailleurs, l'ethnie de la
race, qu'il définit fallacieusement par une relation les
caractères anatomiques107.
Henri Vallois, malgré une amorce définitionnelle
similaire, et d'autres « hérésies » sur ses
définitions de l'Etat et de la nation se rattrape dans
l'établissement des homologies entre le champ lexical, de la
nationalité. Pour lui, « on réserve le nom de races
à ceux (les groupements humains) établis
d'après un ensemble de caractères physiques (...) On sait,
d'autre part, qu'on appelle nation ou état ceux qui
correspondent à une communauté politique. Viennent enfin ceux
basés sur des caractères de civilisation, en particulier une
langue ou un groupe de langues identiques; on a créé pour eux un
terme qui tend de plus en plus à s'imposer, ce sont les ethnies
(...) Dès qu'on aborde les grandes masses qui peuplent la majeure
partie des continents, les races, les ethnies et les frontières
politiques s'enchevêtrent à qui mieux mieux108
Maintes auteurs conviennent des homologies entres le lignage
ou le clan en vogue avec les notions plus modernes, diront-nous d'ethnie ou de
race. Pour G. Nicolas, « il existe une profonde parenté entre
ethnie, lignage ou clan, parenté qui se trouve le plus souvent
étayée par un vocabulaire familial, voire un mythe d'origine
établissant la commune descendance des membres du groupe à partir
d'un couple initial ou d'un héros mythique »109.
105 F. Bruno et Ch. Bruneau, Précis de grammaire
historique, Paris, Masson et Cie., 1899, pp. 160-162.
106 Ibidem
107 « Ethnie » in Le Grand Robert, op.cit.
108 Henri Vallois, Les Races humaines, Paris: PUF. 7e
édition, 1944.p. 8.
109 G. Nicolas, « Fait ethnique et usages du concept
d'ethnie », in Cahier internationales de sociologie, vol. LIV,
1973, p. 103.
50
Nadir Marouf établit cet analogie dans la supposition
suivante : « Si les critères qui se rattachent à la
catégorie de la nation sont ceux de la souveraineté, elle est
tout à fait applicable, alors à la tribu, qui connaît son
système de pouvoir, ses hiérarchies internes et les limites de
son territoire... ».110 Ainsi, une homologie structurale entre
la tribu (ou l'ethnie) et la nation et même la race, au-delà des
dérives relatives à cette notion, est donc valide, telle que
Amselle le soutient111.
L'histoire de la catégorie nation éclaire avec
pertinence cette similarité entre les logiques sous-jacentes à
cet ensemble conceptuel. Les difficultés relatives à la saisie de
l'intelligibilité de l'ethnie ne sont pas sans analogie à celles
qui concernent la nation.
L'étude de l'étymologie du mot « nation
», renvoie, outre les différentes déclinaisons, selon les
sources explorées au verbe latin «nascor» qui traduit ad
litteram signifie « naître », à « peuple
» et « nation ». Entre « natios » qui
signifie la déesse de la naissance et de la provenance chez les Romains,
Habermas, dont l'usage classique appréhende, telle la communauté
au sens de Tönnies, (avec le langage, la filiation(sous-entendue) et la
territorialité, entre autres) comme substrat, toutefois sans politique
organisationnelle moderne112 et « natio»,
c'est-à-dire l'espèce, la race, le peuple chez Gil Delannoi, dont
la primitivité renverrait à « genus » qui
donne à son tour « indigène », les homologies
demeurent, du fait de leur relation avec « nascor ».
Par ailleurs l'importance des apports de Cicéron qui
« emploie « genus romanum » pour désigner la
nation romaine ou encore le genre humain nommé, selon le
procédé, « genus humain », sont toujours
équivalentes à la naissance.
Elle est donc là, la borne, qui à la remarque de
Matsiegui Mboula établit, « depuis la Grèce jusqu'à
nos jours, cette équivoque entre le fait et l'idée, entre
l'appartenance héritée, fermée, et l'appartenance acquise,
ouverte, demeure dans la nation »113.
La lecture de Matsiegui Mboula du vocable « nation »
permet l'aisance de cette homologie. En effet, « le Grec signale
d'ailleurs que la nation en tant que peuple, ethnos, diffère
110 Nadir Marouf, « Identité culturelle et
Identité nationale en Algérie et au Maghreb »,
Colloque National : La place des formes d'expressions populaires dans la
définition d'une culture nationale. Université de
Tizi-Ouzou, novembre 1999, p.26.
111 Jean-Loup Amselle, op.cit. pp. 18-19.
112 Jürgen Habermas, L'Intégration
républicaine. Essai de théorie politique, Paris,
Fayard, 1998, p.70.
113 Matsiegui Mboula, op.cit.p.197.
51
du peuple en tant que puissance politique, nommé «
dêmos » et attaché à l'idée politique
de démocratie »114. « Soi-même, né,
héritier d'un sang, d'un sol, d'une langue, voire d'une morale : telles
sont les composantes étymologiques de la nation. S'il existe, un seul
mot capable de les réunir sans trahir, c'est le mot famille.
»115
La nation in finum, s'appréhende, à
l'égard de l'étymologie ainsi convoquée, à la
notion de famille, dans la perspective de Tönnies tel que nous
l'évoquions supra. La symbolique de la nation, au sens de la
filiation, la territorialité ou encore du langage est
omniprésente dans les bases de la vie sociale. Les armoiries, les
hymnes, les devises dans plusieurs nations modernes renvoient la plupart du
temps à la « mère patrie » dont alliance
paternité/maternité, confère sa sacralité et son
autorité, tout en consacrant, l'allégeance et
l'affectivité des membres liés par un destin commun. Le
totémisme des nations primitives procède également de
cette logique avec le caractère suprasensible et symbolique du commun
protecteur qui régit la vie de tous les descendants d'une
communauté.
« Il n'est donc pas étonnant que cette sorte de
chaîne de génération, ce lieu ancestral d'une culture,
prenne de l'importance quand progresse la conscience de la profondeur et la
durée historique »116. Et, c'est avec les processus
historiques que « la nation ou l'ethnie, au sens de famille et que l'on
peut saisir à travers les critères de territoire, de langue, de
culture, de filiation, a pu évoluer vers la nation au sens de
superstructure politique connu à l'époque précoloniale
sous forme d'empire et de nos jours sous la forme de l'Etat-Nation
»117.
La thèse de l'ethnie comme pure « invention »
coloniale est donc réfutée. Non seulement, elle témoigne
d'un manque de profondeur historique, en faisant abstraction des mouvements
endogènes de recomposition identitaire, mais aussi parce qu'elle postule
que le colonisateur aurait été capable de créer ex
nihilo, des ethnies qui n'existaient pas avant son arrivée et qui
n'existeraient pas sans son intervention.
Or, même en admettant qu'il l'ait fait, les tenants de
cette thèse oublient que pour « inventer » une ethnie, il faut
qu'il y ait le minimum de substrat historique nécessaire à la
cristallisation, d'un sentiment d'être différent. Et la seconde
aporie est relative au réductionnisme de ces auteurs, qui pensent
l'ethnie, comme une propriété singulière des
114 Ibid.
115 Ibid.
116 Ibid., p.198.
117 Ibid.
52
colonies, alors même qu'Amselle parle d'une
transposition de la réalité occidentale à l'Afrique en
l'occurrence. La nation (ethnos) est un principe universelle et Aristote et son
animal politique l'avait déjà esquissé. Notre
réserve, consistant à évoquer plutôt la distinction,
pour s'inscrire en dehors de ce débat, d'une scientificité
improbable et d'un militantisme justifiée.
Enfin, nous concédons qu'il est acquis que le
colonisateur a bien « bricolé » les identités, sans
toutefois les inventées. Il les a, le plus souvent, manipulées,
reformulées, classifiées, hiérarchisées,
secondé en cela par les Églises chrétiennes qui
contribuèrent, à leur manière (codification des langues
indigènes, spatialisation de l'action missionnaire, fixation de
certaines coutumes, etc.), à ce travail de bornage ethnique, comme le
montre Coquery-Vidrovitch.
Les propos empruntés à Von Götzen que
Chrétien reprend pour postuler l'assimilation entre « maîtres
» et « sujets » ne sont confortés par aucune
argumentation empirique rigoureuse, outre l'armement et les parures qu'il prend
en exemple118.
La colonisation quant à elle, moins sans doute par
souci de « diviser pour régner » que portée par un
besoin d'inventaire, de nomenclature, d'encadrement administratif et de
cartographie, a procédé à une ethnographie classificatoire
qui a eu pour effet de figer des situations mouvantes, dans certains cas
d'« inventer » des ethnies.
Mais si cette entreprise de bornage ethnique a pu être
menée à bien, c'est parce qu'il existait sans doute, de
manière plus ou moins diffuse, un minimum de substrat historique
grâce auquel a pu se cristalliser un sentiment d'être
différent. Comme le résume le titre d'un ouvrage coordonné
par J.-P. Chrétien et G. Prunier, qui défend cette thèse,
Les ethnies ont une histoire119, histoire qui ne se
réduit pas à celle de la rencontre avec la modernité
occidentale.
En outre, en se fondant sur les stratégies dans les
rapports de pouvoir, la référence à Ndaywel-E-Nziem,
cité supra, confirme que l'ethnie, à travers la
structure clanique, a connu une organisation sociale, politique et
économique en Afrique centrale précoloniale. « C'est dire en
d'autres termes que l'ethnie a connu son système de souveraineté
tout comme la nation occidentale »120.
C'est une piste à mobiliser dans l'optique de la mise
en crise des thèses de Jean Loup Amselle, car c'est au crible des
confusions et des méprises que son oeuvre suscite qu'il faut
118 J.P. Chrétien, in Au coeur de l'ethnie,
op.cit. pp.135-136.
119 G. Prunier & J.-P. Chrétien, Les ethnies ont
une histoire, Karthala, Paris, 2e éd. 2003.
120 F. Matsiegui Mboula, op.cit. p.195.
53
rechercher les germes de sa critique. Outre la distance qu'il
observe vis-à-vis de l'hypothèse de la colonialité de
l'ethnie, il ne s'éloigne guère en réalité du
réductionnisme des théories de la fausse conscience. Entre les
concessions par ici et les réfutations par là, dans son oeuvre sa
position difficile à cerner revient à denier, la pertinence
heuristique de l'ethnie quand il ne s'agit pas, pour lui de l'assigner à
la colonisation. Mercier et Nicolas ont bien vu, en l'ethnie ou en la race, une
continuité directe du clan et du lignage121. Si Amselle, par
un flou prétend « qu'il n'existait rien qui ressemblât
à une ethnie pendant la période précoloniale »
122, la subtilité de son raisonnement obscurcit sa position.
Certes, « A chacun son bambara » de Jean Bazin ou « Les
Bété, une création coloniale » de Jean-Pierre Dozon,
démontrent que certaines ethnies ont bien été
créées par le colonisateur123, il n'en demeure pas
moins que l'ethnicité faisait sens dans la précolonie. Dans
Au coeur de l'ethnie, Amselle affirme pourtant en reprenant Mercier et
Nicolas, à travers l'exemple du dialecte Bambara-Malinké,
l'existence de l'ethnie et de la race dans la précolonie : «(...)
il existe une notion, celle de «shiya« qui correspond bien
à celle de «race« ou d'«ethnie«, voire de clan ou de
lignage ». une grande envie de questionner alors cette
révélation nous vient à l'esprit : Comment expliquer
l'existence d'un vocable qui désigne l'ethnie alors que celle-ci
n'existe guère, surtout que les colons n'y sont pas encore ?
2. Les ethnè comme formes élémentaires
d'organisation politique.
De l'héritage des travaux de Ferdinand Tönnies,
l'on retient principalement la systématisation de l'opposition entre
communauté(Gemeinschaft) et société
(Geselschaft) comme « catégorie de la sociologie pure
». Le concept de « communauté » offrait alors une
référence organique d'appartenance, chargée
d'affectivité (pathos au sens de Max Weber) alors que la
société se présentait, sous la forme du contrat social. Le
manifeste de la communauté « fonctionne comme définition de
l'endogroupe qui marque le partage d'appartenances et d'identification entre
`'eux» et `'nous», place donc les `'autres» hors de la
communauté et peut même servir à l'exclusion
»124. Gallissot affirme dans cette perspective que « les
conflits inter-ethniques `'pré-nationaux» reposent sur cette
mobilisation communautaire »125.
121 Cité par Amselle, op.cit.
122 Ibid., P. 35.
123 Pour deux études de cas, cf. Jean Bazin, «
À chacun son Bambara » et Jean-Pierre Dozon, « Les
Bêté, une création coloniale », in Jean-Loup Amselle
et Elikia M'Bokolo (dir.), op. cit., p. 87-128 et 59-85.
124 René Gallissot, « Communauté ;
communautés » in Nadir Marouf (Dir), op.cit., p.35.
125 Ibid. p. 37.
54
Et, la réalité sociale de l'Afrique
précoloniale est celle d'une multiplicité des communautés.
L'appartenance organique inhérente au lien social entre les membres de
la communauté procède des éléments mystiques,
généalogiques et sacrés. À chaque communauté
correspond une culture particulière faite d'objets matériels, de
comportements institutionnalisés, d'organisations sociales, de
connaissances techniques, de conceptions philosophiques et religieuses, de
créations esthétiques. Cet ensemble, propre à chaque
groupe, constitue un héritage collectif que chaque
génération reçoit de la précédente, modifie
quelque peu, et transmet à la suivante.
Jacques Maquet affirme que « les sociétés
globales - ainsi appelées parce qu'en chacune d'elles l'individu trouve
l'ensemble des réseaux de relations sociales dont il a besoin au cours
de sa vie - furent nombreuses dans l'Afrique traditionnelle, celle qui prit fin
avec la période coloniale en ses débuts, vers le dernier quart du
XIXe siècle »126 en se prévalent des travaux de
l'ethnologue George P. Murdock, qui en énumère plus de huit cent
cinquante, sans en prétendre l'épuisement.
L'identité d'une communauté est une
réalité dont les dépositaires sont conscients ; ils savent
qu'ils sont Bayengé, Badoumbi ou Fang et que
leur mode de vie est différent de celui de leurs voisins. C'est pourquoi
les ethnologues ont pris comme unité d'étude, le plus souvent,
une société globale et sa culture.
Pour Tönnies la communauté est à l'image de
la famille. En effet, « le prototype de toutes les unions en
communauté est la famille. Les trois piliers de la communauté :
le sang, le lieu et l'esprit, ou encore la parenté, le voisinage et
l'amitié, sont présents dans la famille, mais le premier d'entre
eux est son élément constitutif »127. La
territorialité est en dehors des éléments tels que la
langue, un critère d'individuation chez Tönnies.
Dans une étude sur la précolonie de l'Afrique
centrale Ndaywel -E- Nziem affirme que les Africains se sont toujours
organisés en sociétés ethniques qui abritent les
unités familiales que sont les clans ou les sous-clans128. Le
clan est la base de toute société indigène dont les
126 Jacques Maquet, « AFRIQUE NOIRE. Culture et
société - Civilisations traditionnelles», in
Encyclopédie Universalis, op.cit.
127 F. Tönnies cité par R. Gallissot, in Nadir Marouf
(dir.), op.cit.
128 Ndaywel -E- Nziem, « L'Afrique centrale ancienne:
Les hommes et les structures », in Théophile OBENGA (dir.),
Les peuples Bantu. Migrations, expansion et identité
culturelle, Tome I, L'Harmattan, 1989, pp.256-261.
55
implications sous-tendent une cohésion d'ordre plus
général et supposent chez les membres, le sentiment d'un
intérêt supérieur à l'intérêt
individuel129.
Au coeur du clan ou de la tribu se trouve un
élément fondamental, transcendantale : le totem. En effet, chaque
tribu a un totem. La légende Bayengé tel que nous le
rapporte Le Testu explicite la sacralité du totem qui lie à
travers l'imaginaire, les membres de ce clan à un destin commun et de ce
fait le distingue des autres. Le perroquet gris à queue rouge, nous
conte Le Testu, est par exemple, le totem des Bayengé qui y
tire leur nom. « Un homme des Bayengé avait un ennemi mortel ;
il le rencontra un jour dans la forêt. Cet ennemi voulut profiter de la
solitude du lieu pour satisfaire sa haine et tuer le Bayengé. Mais
prudent, il lui demanda d'abord : « Es-tu seul » ? - « Non, dit
le Bayengé, il y a des gens avec moi » - « appelle-les donc !
». Le Bayengé était seul, mais, payant d'audace, il appela
ses soi-disant compagnons. Ce furent les perroquets qui répondirent et
lui sauvèrent la vie, car celui qui voulait le tuer eut peur de
n'être plus fort et s'enfuit. Les Bayengé prirent alors le
perroquet « koussou »comme protecteur et depuis ce jour, ils
s'abstiennent de le manger. »130
C'est à cette communauté linguistique,
pluriclanique que Matsiegui Mboula va consacrer la genèse de l'ethnie :
« Au point de départ basée sur la communauté de
langue, elle allait peu à peu consolider son unité interne par
l'usage des mêmes institutions. Le clan, réalité
homogène sur le plan de la parenté, allait désormais
coexister avec l'ethnie, élément inter-clanique. La structure
ethnique se trouvait être une excroissance de la structure clanique. Elle
allait acquérir une plus grande importance au point d'évincer
pratiquement l'autre en tant que mode d'organisation de la
société »131
C'est à partir de cette nucléarité que
certaines ethnies se doteront, soit d'une hiérarchie interne, au point
de se constituer en unités politiques, soit d'une évolution dans
le sens d'un émiettement plus grand, créant une
multiplicité d'autres structures semblables, soit encore, par
l'absorption ici et là, des groupes d'autochtones ou de nouveaux
immigrants et se transformer ainsi en des entités culturelles
composites.
L'idée fantaisiste de la hiérarchie entre des
sociétés même parfois séparées par quelques
centaines de mètres fit commune à toutes les
sociétés humaines. Par exemple, les
129 Georges Le Testu, « Notes sur les coutumes Bapunu
dans la circonscription de la Nyanga », in Annie Merlet, Autour de
Loango (XIVe -XIXe siècle), histoire des peuples du sud-ouest du Gabon
au temps du Royaume de Loango et du « Congo français »,
Libreville/Paris, CCF, « Découverte du Gabon », 1991, p.
516.
130 Le Testu, op.cit. p. 517
131 Matsiegui Mboula, op.cit. p.188.
56
Grecs opposaient ainsi les ethnè (sing.
ethnos) et la polis (cité). « Les
sociétés qui relevaient de leur culture mais auxquelles «
manquait » l'organisation en cités-États étaient des
ethnè. Le terme est souvent traduit par « tribu » (en
allemand, Stamm), ou par « État tribal
»132. Plusieurs auteurs soutiennent cette thèse. Pour V.
Ehrenberg notamment, il est « vraisemblable [que l'ethnos] est
beaucoup plus proche de la société primitive
»133. La déclinaison fâcheuse des thèses
similaires, induit de facto, une défintion ad litteram
de l'ethnologie comme une science des sociétés «
a-politiques ». Or les ethnies sont vraisemblablement des formes
élémentaires d'organisation politique qu'une ethnologie
ethnocentriste a biaisé l'analyse, pour supposer la hiérarchie
entre les peuples.
Il faut admettre comme Matsiegui Mboula, la
généralisation de ce modèle organisationnel sous-tendu par
l'existence de tant d'ethnies qu'on connaît de nos jours, « car
suivant son principe de création, une nouvelle unité du genre
peut toujours se créer même encore de nos jours
»134.
Le clan, postule cet auteur constitue « donc l'instance
qui assure la transition entre l'organisation purement familiale et
l'organisation politique puisque, au sein de l'ethnie, ils connaissent une
certaine hiérarchie. On distinguait en effet, le « clan
aîné » du « clan cadet », le « clan
époux » du « clan épouse », au point même
où l'on en vint à parler du « clan royal »,
démarqué des « clans roturiers » et « esclaves
», etc. Toute la vie politique utilisa donc en premier le vocabulaire
familial avant de l'enrichir des termes spécifiques politiques. Ainsi,
les notables du village étaient des « Aînés » des
lignages en présence ; le chef du village était «
l'Aîné » des lignages du village (...). »135
Empruntons, en relativisant, une esquisse de réponse,
pas tout à fait à notre aise, mais suffisamment illustrative
à Nadel, qui postule que la« tribu existe, non pas en vertu d'une
quelconque, unité ou identité, mais en vertu d'une unité
idéologique et d'une identité acceptée comme un dogme
»136.
Ainsi, les rapports de pouvoir intercommunautaires, participe
de la subjectivation des communautés dans les interactions quotidiennes.
Plusieurs types de rapports sont en exergue dans l'Afrique précoloniale.
Il en va, entre autres des alliances, du commerce, de la servitude
132 Amselle, « Ethnie » in Encyclopédie
Universalis, 2013.
133 Cité par Amselle, Op.cit.
134Matsiegui Mboula, op.cit.
135 Ibid.
136 Nadel cité par Matsiegui Mboula, op.cit. p. 203.
57
ou encore des conflits. Les communautés villageoises
sont souvent opposé entre-elles pour des palabres portant sur la
répartition des terres. Voilà pourquoi il se créa des
associations de villages, c'est-à-dire des chefferies. Ceci était
surtout le fait des populations des savanes.
Dans quelles conditions seraient nés les royaumes qui
ont fleuri au cours de la période ancienne de notre histoire Bantu ?
Pourquoi se sont-ils effrités dans la nuit des temps ? Pourquoi toutes
les sociétés ethniques ne se sont-elles pas transformées
en royaume ? L'étude minutieuse des royaumes d'Afrique centrale permet
de mieux comprendre le phénomène d'émergence de ces
structures.
Il importe de constater à la suggestion de Matsiegui
Mboula que la formation politique est indépendante du
phénomène ethnique. En effet, de la pluralité et
même de l'hétérogénéité des royaumes
qui ont existé au Zaïre ancien, pas un seul ne s'est
constitué sur une base mono-ethnique. « Les traditions d'origine le
mentionnent explicitement ; le « Kongo » regroupait les Mbundu et les
conquérants Besi Kongo ; le « Kuba » abritait en son sein un
ramassis de peuples d'origine diversifiée : Luba, Kete, Mongo, etc.
L'empire Luba et surtout l'empire Lunda, aussi étendu dans l'espace, ne
pouvaient être davantage homogènes sur le plan ethnique.
»137
Or, c'est du fait de ce brassage interethnique sous-jacent
à des impératifs politiques que certains groupes ethniques ont vu
le jour. « Tel est précisément le cas des Kongo, Kuba,
Lunda, Luba actuels. La structure étatique n'est donc pas le
prolongement de l'organisation ethnique. Elle n'était même pas
vécue, à l'époque, comme un idéal d'organisation
auquel il fallait à tout prix parvenir. C'est ainsi que cela n'a pas pu
se prévaloir partout. Même là où elle a
existé, cette structure n'apparaît pas comme étant le
résultat d'un dynamisme local »138.
Au Gabon par exemple, Du Chaillu rapporte que les «
Ishogos, chassés de leur territoire par la guerre, s'étaient
établis dans une enclave inoccupée, au milieu des possessions de
leurs voisins »139. Outre le caractère légion des
cohabitations pacifiques inter-ethniques, d'autres rapports, cette fois
conflictuelles n'y sont pas absents.
Les relations de servitude se complète également
pour rendre compte des rapports inter-ethniques lorsque le même auteur
affirme qu'en dépit du dialecte, des parures, des coutumes et
habitations communs aux « Ishogo » et aux « Apingis », ces
derniers les « regardent
137 Ibid.
138 Ibid.
139 Paul Du Chaillu, « Voyages et aventures dans l'Afrique
équatoriale», in Annie Merlet, op.cit. , p. 306.
58
comme un peuple inférieur à eux
»140. Les peuples de la côte « affichent un
souverain mépris pour ceux de l'intérieur (...) quelques jours
auparavant, j'avais vu Makondai, abordé par un Ishogo, lui tourné
le dos avec une expression de dégout et cracher par terre. Ce
jour-là, comme un des neveux du roi venait s'asseoir près de lui,
il se leva en disant qu'il ne pouvait rester à côté de ces
esclaves, tant ils sentaient mauvais »141. Enfin, ajoute Du
Chaillu, « je leur ai souvent entendu dire :- « «Comment
Chaillie peut-il croire que nous soyons du même sang que ces
esclaves« ? »142 En guise de réaction à
ses injonctions relatives au comportement méprisant de son compagnon.
Un fait moderne est souvent, telle une légende
évoquée dans la province du Haut Ogooué au Gabon. Il
s'agit du non soumission d'un édile de la ville de Franceville qui se
serait refusé toute allégeance et soumission au Chef de l'Etat,
sous prétexte que ce dernier était issu d'une tribu esclave. Un
enquêté nous explique à ce sujet que « les
Téké étaient les esclaves des Ndoumou ».
Section II : De l'ethnocentrisme à
l'ethnonymie
L'ethnocentrisme désigne lato sensu, la mesure
des différences au prisme d'une culture autocentré. Cette
attitude collective à caractère anthropocentrique, est pour
Lévi-Strauss, un « Phénomène naturel,
résultant des rapports directs ou indirects entre les
sociétés »143 qui se manifeste de façon
trilogique, c'est-à-dire, par la répudiation pure et simple des
autres cultures ; négation par assimilation à soi ;
réduction de tout autre donné culturel par une explication qui
soumet celui-ci aux formes d'intellection produites dans la culture du
locuteur.
L'Occident, depuis belle lurette, se pense et se veut la
civilisation. Toutefois, cette (im) posture n'est pas inédite
et encore moins inhérente à l'Occident, en dépit du fait,
qu'il en a développé les théories les plus
extrémistes. En effet, l'ethnologie a mis en lumière les
façons dont les sociétés primitives se nomment et
désigne inversement, ses voisins par des noms péjoratifs,
méprisants, injurieux. « Le barbare nous disait
Lévi-Strauss, c'est d'abord l'homme qui croit à la barbarie
»144.
140 Ibid., p.231.
141 Ibid., 361.
142 Ibid.
143 Claude Lévi-Strauss, Anthropologie structurale
II, Plon, Paris, 1973. 144Claude Lévi-Strauss, Race
et histoire, Paris, Denoël, 1968, pp. 19-22.
59
Ainsi, les sociétés primitives, sont non
seulement fondées sur une organisation ethnique, mais aussi, «
opère ainsi un partage de l'humanité en deux parts :
elle-même, qui s'affirme comme représentation par excellence de
l'humain, et les autres, qui ne participent qu'à un moindre titre
à l'humanité (...) Affirmation de la supériorité de
son soi culturel, refus de reconnaître les autres comme des égaux.
L'ethnocentrisme apparaît alors la chose du monde la mieux
partagée... »145
1. L'universalité de l'ethnocentrisme ou la
négation d'une altérité
humaine
L'anthropologie a mis en lumière, depuis maintenant
longtemps, le fait que les groupes humains ont tendance à
élaborer des définitions positives de soi tout en produisant des
définitions négatives de l'autre. La plupart des peuples
étudiés par les anthropologues, au temps où
l'anthropologie était encore définie comme la « science des
sociétés primitives » (c'est-à-dire des
sociétés dotées de moyens techniques plutôt simples,
comme -- pour ne citer que quelques exemples -- celles des chasseurs-cueilleurs
des forêts tropicales africaines, des habitants de la région
arctique, de quelques groupes indiens d'Amérique du Nord, des barbares
d'Europe centrale ou des pêcheurs des atolls polynésiens), se
définissent eux-mêmes avec des noms qui peuvent être
traduits par « êtres humains » ou « gens ». En
même temps, les « autres », même si l'on peut les
atteindre en quelques heures de marche, sont classifiés dans les
catégories des « non-hommes », des « monstres » ou,
plus fréquemment, des « cannibales », puisque très
souvent le cannibalisme est synonyme de « non-humanité ».
Dans la civilisation occidentale et dès
l'Antiquité gréco-latine, l'application du terme
générique de Barbaroi aux peuples non helléniques
exprime bien le « frisson », sinon une certaine répulsion des
Grecs face aux manières de vivre, de croire ou de penser qui leur
étaient étrangères. Il y a là, traduit dans le
langage, un rejet direct, ayant valeur de négation franche, des cultures
autres que grecques. Par l'application générale du terme «
barbare », les Grecs refusent de reconnaître la diversité des
autres cultures, l'appartenance des étrangers à des
sociétés autres et en même temps l'identité propre
de ces cultures, de ces sociétés et des individus qui les
composent. De plus, l'épithète même de barbaros
renvoyant
145 Ibid.
60
étymologiquement à la forme inchoative et
inférieure du langage des oiseaux, son application indistincte à
tout donné étranger, équivaut à refuser, à
celui-ci, ce caractère hautement humain que le Grec accorde à son
langage. L'usage d'une telle épithète exprime donc, à
l'extrême, une réduction de l'humanité à la seule
hellénité. De même, plus tard, la qualification de «
sauvage » (l'adjectif latin silvester désigne tout ce qui
est « de la forêt ») rejette dans une catégorie de
l'infrahumain des individus et des sociétés auxquelles on
attribue un genre de vie qui les rapproche plus de la vie animale que de la
culture humaine.
Roland Barthes constatera bien plus tard, en
référence au colonialisme que « face à
l'étranger, l'Ordre ne connaît que deux conduites qui sont
toujours deux mutilations : ou le reconnaitre comme guignol ou le
désamorcer comme pur reflet de l'Occident »146.
Déjà au début du 20ème
siècle, le sociologue américain William G. Sumner avait
identifié cette attitude dichotomique en parlant de in-group et de out-
group147 (« notre groupe » et le « groupe des autres
»), en l'attribuant uniquement à ce que l'on appelait alors les
« sociétés primitives ».
Toutefois, le fait de se désigner soi-même comme
« êtres humains » ou « gens » n'est pas un attribut
particulier ou exclusif de ces groupes ayant de rares contacts avec
l'extérieur. Le nazisme se réclame d'ailleurs de ce genre de
catégorisation et l'entreprise coloniale à elle-même
puisé dans cette jachère. En effet, le principe de la survivance
du plus apte, de la victoire du fort sur le faible, a conduit à
l'émergence des enjeux de classement et de races. Le principe de cette
lutte farouche et bestiale a longtemps servi à justifier la colonisation
et l'esclavage, ou encore à légitimer les campagnes successives
de stérilisation massive des pauvres et des inaptes, les
génocides et les ethnocides des peuples, et ce, uniquement au nom de
leur pseudo« infériorité raciale ». Francisé en
« aryen », le terme sanskrit ârya (avestique,
airya) signifie ad litteram « excellent, honorable,
noble ». Cette imposture de près de deux siècles allait
accréditer chez des peuples européens, sensibles à
l'impérialisme économique qui présidait à la
conquête de colonies, l'idée qu'ils étaient de la race de
ces lointaines tribus guerrières et se devaient d'imposer leur joug
à des races qualifiées d'inférieures.
Aussi, depuis sans doute au moins deux mille ans, des rapports
assez intenses avec les populations des régions des grandes
civilisations historiques du Proche- Orient, se définissent
eux-mêmes comme « arab » ce qui signifie justement « les
gens », par opposition aux habitants
146 R. Barthes, Mythologies, Paris, Seuil, 1957,
(rééd. Points, 1970), p.184.
61
des oasis et des villes, qu'ils appellent souvent, avec un
brin de mépris, « hadhar » (sédentaires). Il a donc
été dit que l'identité ethnique est une définition
de soi et/ou de l'autre, pris collectivement, qui prend racine dans des
rapports de force donnés. Nous aurons l'occasion de voir comment cela
peut arriver en examinant quelques cas concrets dans la précolonie
africaine en général et gabonaise en particulier.
Examinons dans un premier temps les sociétés
tsogo du Gabon. Ce peuple désigne ceux qui sont différents d'eux
par le terme de « morenda » qui veut dire «
étranger » en dehors des catégorisations spécifiques
attribuées à chaque groupe de leur voisinage. Les Fang
exempli grati sont désignés par le vocable «
ngode » en référence au toucan, c'est-à-dire
des oiseaux et les Akélé « a nè adieyi a é
rongo arombéï » littéralement « mangeurs de
cassadan148 ».
D'autres exemples, très nombreux, parfaitement
identiques en substance, pourraient être cités : celui des
Omyènè au Gabon qui désigne l'altérité par
« anongoma ».
Pour rester sur un terrain qui nous est plus familier, nous
évoquerons le terme « bilop » attribution
catégorielle des peuples fang par différenciation à ceux
qui ne sont pas Fang.
Tels sont uniquement quelques exemples parmi tant d'autres,
qui illustrent comment les noms des ethnies, ou les appellations qui se
réfèrent à des groupes déterminés vivant
dans un environnement précis, sont souvent le résultat
imposé de l'extérieur. De plus, les noms imposés par un
groupe dominant à un groupe dominé sont quelquefois
adoptés par ce dernier, indépendamment du fait qu'il soit
conscient ou non du processus de sa formation. En conclusion, les noms des
groupes, des peuples et des ethnies sont souvent le résultat d'une
représentation « externe » élaborée
culturellement par un groupe en opposition, représentation qui est
tributaire en réalité des stratégies de pouvoir.
2. La fonction classificatoire des ethnonymes
Traditionnellement, l'étude des noms est une discipline
philologique, linguistique : l'onomastique. Elle étudie le choix des
noms de famille et des prénoms, en mesurant leur fréquence et en
les classant selon leur origine.
148 Gastronomie gabonaise : mets constitué de petits
morceaux de manioc cuit et conservés dans un récipient d'eau.
62
La gestation des « names studies » dans les
sciences sociales francophones peut-être associée aux
années 80 et 90, au cours desquelles, l'étude des
dénominations des individus est devenue une branche de l'histoire
sociale. Il s'est agi dans cette genèse d'appréhender l'essence
du nom, de chercher comment et si possible, pourquoi les hommes choisissent-ils
des noms spécifiques, et d'autre part de se demander, si les
désignations, leurs différences, pouvaient être
utilisées comme document d'archéologie sociale. Sur ces
entrefaites, nous devons une première référence à
J. Berque qui en fut certainement le précurseur, en 1974, à
penser les ethnonymes, ces « emblèmes onomastiques », comme
des différents systèmes de classement ou des stratégies de
domination149.
L'intérêt pour nous d'étudier l'usage du
nom consiste à entrevoir par ce biais l'essence de l'ethnie. Nous
distinguons à travers le nom, deux fonctions dans l'appréhension
de l'ethnie: une fonction d'individuation inter ethnique et une
fonction de catégorisation de l'altérité
(l'ethnocentrisme).
Toutefois, si la façon de nommer les gens peut en effet
donner des indications sur les représentations de la
société, plus qu'une ethnonymie, nous traiterons plutôt
d'onomastique, pour évoquer le choix des noms personnels notamment par
transmission héréditaire, c'est-à-dire dans ses fonctions
de distinction et de classement.
Il est acquis que la fonction du nom est d'abord d'essence
distinctive. Le nom est toujours en relation avec un capital qui
révèle l'origine des agents sociaux. Une journée
passée en compagnie des camarades de nationalité malienne a
conforté l'analyse que nous menons aujourd'hui. En effet, deux de nos
compagnons revendiquaient ardemment le nom « Diop », en
réfutant simultanément cette filiation à l'autre. Ce n'est
que bien plus tard, que nous comprîmes, le capital « pouvoir »
en enjeux dans ce débat d'apparence prosaïque.
Les travaux de Le Testu rapportent les logiques distinctives
à travers l'essence des noms dans la précolonie au Gabon. En
effet, en dehors des noms des tribus que nous avons classés dont la
section précédente, d'autres formes concernant les esclaves entre
autres, procèdent du classement via la distinction qui demeure vide en
dehors de cet enjeu. Pour parler des Punu par exemple, Le Testu
établit la subordination d'une tribu d'esclave par rapport à
celle « à laquelle appartenait le père, auteur de la
descendance, selon le sang »150. Parfois on y retrouve, «
les
149 J. Berque, « qu'est-ce-que la «tribu« »,
in Maghreb, Histoire et sociétés, Gembloux et Duclos
(dir.), Alger, SNED, 1974, p.26.
150 Le Testu, op.cit, p. 516.
63
sentiments de celui qui appartenait l'esclave, soit encore la
cause de la mise en servitude, s'il s'agit d'un esclave judiciaire
»151.
Voyons à travers la structure des noms chez les «
Bayaka », selon la lecture de Le Testu : « ces noms
commencent généralement(...), par le mot « dibourou
», où nous retrouvons le radical « boura »,
enfanter (bouta en Vili). Ainsi : Dibouroupakho (Liaba),
Dibouroumiviévié (Mizoumba), Dibouroubidigha
(Dibamba), etc., etc., la liste serait aussi longue, sinon plus longue que
celle des familles d'origine libre.»152
Aussi, le nom des individus procède de la forme, un
tel, fils de tel, le vocable « fils » étant la plupart de
temps sous-entendu. Dans les noms Bantu, le régime est relié au
substantif par la répétition du préfixe de ce nom. Encore
une fois, observons les récits de Le Testu à ce propos. «
Exemple : soit un individu nommé Bou-Soukou, fils d'un
père appelé Mikala, son nom sera normalement :
Bou-Soukou Bou Mikala. »153
Cependant, Le Testu fait bien de souligner à cette
époque déjà la tendance à la suppression de la
répétition en vogue chez les interprètes. Ainsi, pour nous
qui nous nommons Boussougou Kassa, la logique originelle aurait voulu
que nous nous appelassions Boussougou Bou Kassa. Toutefois, les enjeux
de classement à travers le nom, qui sont en réalité
l'objet de cette section, ne sont pas exclus ici. Le nom que nous portons,
c'est-à-dire Boussougou, retrace la « lignée d'illustres
pêcheurs que furent nos aïeuls »154. Le choix
de nous nommer n'est pas nihiliste, il s'est agi de façon
stratégique de la référence à ce passé
glorieux, donc à l'autorité et autres caractères qui
distingue notre lignée des autres et qui, in finum
confère notre position dans la stratification sociale.
Une forme moderne de l'usage stratégique est
aisément observable dans le Gabon. L'optique en jeu consiste à
préserver les capitaux acquis depuis les indépendances par les
« évolués », une oligarchie qui pour la majeure partie
de l'Afrique a su conserver le pouvoir. Depuis, pour ce qui concerne le Gabon,
l'observation de la sphère politique et économique conforte cette
hypothèse de l'hérédité du pouvoir par la filiation
non sans analogie au modèle successorale en exergue dans la
précolonie. Le renouvellement du personnel politique au Gabon est
consubstantiel à la reproduction de l'élite nègre
coloniale, déjà majoritairement issue des
151 Ibid.
152 Ibid.
153 Ibidem, p. 519
154 Discussions avec notre grand-mère.
64
chefferies précoloniales. « Depuis toujours,
ceux qui dirige le Gabon, sont les mêmes. Le Président est fils de
son père, le premier ministre aussi, on dit qu'il est le petit-fils du
père de l'indépendance ». D'ailleurs les informations
que cet enquêté nous donnent ne peuvent pas être totalement
exploitées ici, sans en cité les noms des protagonistes, puisque
c'est le nom qui en effet, est à l'honneur autant dans notre travail que
dans la gestion de l'Etat au Gabon. Adrien Ondo Essono, dans un travail
récent à analyser, avec beaucoup de rigueur cette
pratique155.
Toutefois, cette concession sur les fondements
précoloniaux du discours nationalitaire, sa dynamique intègre,
également, avec des nuances tantôt substantielles, tantôt
contrastées, d'autres éléments dans la construction dudit
discours, notamment, l'évolutionnisme social et son idéologie de
la race.
155 Adrien Ondo Essono, Onomastique et lutte de
classement, thèse de doctorat N.R., Libreville, UOB, 2014.
65
Chapitre II : De la « géno »-politique
coloniale au partage de l'Afrique
« Je parle au nom de ces millions d'êtres qui
sont dans les ghettos parce qu'ils ont la peau
noire ou qu'ils sont de culture différente et
bénéficient d'un statut à peine supérieur à
celui d'un animal.» Thomas SANKARA156
L'intégration de la situation coloniale est
selon la suggestion de Balandier, indéniablement nécessaire
à toute tentative de sociologie sur l'Afrique. Assertion concessible,
mais toutefois, nous nous réservons simplement, pour l'heure,
qu'à un accord de principe.
La colonie est marquée par une expression de
l'ethnicité d'ordre raciste. Le colonialisme est d'ailleurs un racisme.
L'idéologie qui le sous-tend est tributaire du darwinisme social. C'est
en effet, cette doctrine politique apparue au XIXe siècle
dont le postulat de base préconise le conflit, en tant que source
fondamentale du progrès et de l'amélioration de l'humain. Seul,
plus apte doit survivre (« survival of the fittest »).
Son théoricien Charles Darwin y défend la
théorie de la supériorité que cette assertion exprime
explicitement: « Ainsi, les membres faibles des sociétés
civilisées propagent leur nature et en conséquence, nous devons
subir sans nous plaindre les effets incontestablement mauvais
générés par les faibles qui survivent et propagent leur
espèce; mais il existe au moins un frein c'est que les membres faibles
et inférieurs de la société ne se marient pas aussi
librement que les sains; et ce frein pourrait être augmenté
indéfiniment, bien que ceci relève plus de l'espoir que de
l'attente, par le fait que les faibles de corps ou d'esprit se retiennent de se
marier. (...) et c'est principalement grâce à leur pouvoir que les
races civilisées se répandent et sont en train de se
répandre partout, jusqu'à prendre la place des races
inférieures. »157
Herbert Spencer, un des idéologues, pense ainsi que
« toute protection artificielle des faibles est un handicap pour le groupe
social auquel ils appartiennent, dans la mesure où cette protection a
pour effet (...) de le mettre en position d'infériorité face aux
groupes sociaux rivaux158. » Son versant racialiste fait,
à l'échelle de la compétition entre les groupes humains,
de la « lutte entre les races » le moteur de l'évolution
humaine.
156 Discours à la 39e Session de l'Assemblée
Générale des Nation-Unies, 4 octobre 1984.
157 Charles Darwin, The Descent of Man, and
Selection in Relation to Sex, Paris, 1872, p. 223. 158Denis
Touret, « Le darwinisme social par Herbert Spencer », in
http://classiques.uqac.ca.
66
Sur le plan politique, le darwinisme social a servi à
justifier scientifiquement plusieurs concepts politiques liés à
la domination par une élite, d'une masse jugée moins apte. Parmi
ceux-ci, on trouve le colonialisme, l'eugénisme, le racisme, le fascisme
et surtout le nazisme et ajouteront-nous aujourd'hui l'ethnisme. En effet,
cette idéologie légitime l'élimination des « races
» humaines et des êtres les plus faibles, pour que ceux-ci laissent
la place aux « races » et aux êtres les mieux armés pour
survivre. La critique du darwinisme social du sociologue Jacques
Novicow entrevoit le darwinisme comme « la doctrine qui
considère l'homicide collectif comme la cause des progrès du
genre humain. » 159, homicide qui deviendra dans la «
mise en modernité » du Gabon, un ethnocide avec l'imposition de
l'Etat.
Ainsi, des éléments liés à la
théorie de la sélection naturelle ont été
incorporés par Shigetake Sugiura, un tuteur de Hirohito, dans ses
écrits visant à justifier la supériorité de la race
nipponne et son droit à dominer l'Extrême-Orient. Avec les
éléments mythologiques propres au shinto, le darwinisme
social servit donc de toile de fond à l'invasion de la Chine et des pays
d'Asie du Sud-Est pendant l'ère Showa.
En Afrique, le colonialisme est directement inspiré de
cette idéologie de la hiérarchie des races. Ainsi, analyser
l'expression de la dissemblance, dans la colonie revient à montrer les
fondements darwiniens de l'oeuvre civilisatrice et à déterminer,
les implications dans le manifeste de la colonie. Le colonialisme est par
ailleurs lié à la « frontiérisation » de
l'Afrique, que nous évoquerons dans ce chapitre.
Pour des besoins analytiques qui prennent toutefois en compte,
et au mieux l'empirie, nous souhaitons ici lire cette relation causale en deux
mouvements, qui peuvent autant s'appréhender comme deux disciplines
distinctes des sciences sociales sans pour autant s'exclure mutuellement.
L'histoire s'invite dans la géographie et vice
versa. L'histoire est celle du portrait du colonisateur et aussi
celui de l'évolué ; alors que la géographie est d'abord
celle de la configuration bipolaire Nord/Sud de la Ville
cruelle160 coloniale, avant d'aboutir au « partage »
du continent africain par Bismarck sur des bases juridiques.
159 J. Novicow, La critique du darwinisme social,
Paris, Alcan, 1910. Version électronique disponible sur
www.gallica.fr
160 Référence à Eza Boto dans sa
Ville Cruelle, où il dépeint les configurations
géo-racistes et géno-politiques de la cité coloniale en
« Tanga Nord et Tanga Sud ». J. Poinsot, A. Sinou et J. Sternadel
parlent également de «...partition de l'espace urbain en deux
zones, la ville «européenne« et la « ville
indigène« » in Les villes d'Afrique noire entre 1950 et
1960, Paris, la documentation française, 346 p.
67
Section I : La « géno »-politique
coloniale
Le manifeste de la colonie est celui d'un portrait
caricaturé du colonisé qui assimile à tous les niveaux, le
nègre à une bête « sauvage ». L'intitulé,
exempli grati, de l'ouvrage de Joseph Conrad : Au coeur des
ténèbres, illustre cette péjoration que Balandier,
avec « Les noirs sont des hommes » va tant bien que mal
essayer de réhumaniser ; alors que Frantz Fanon, usera de la satire,
dans Peau noire, masque blanc, pour peindre à l'instar d'Albert
Memmi, le portrait du colonisé. La géno-politique de la
race est cette politique fondée sur une base
idéologico-génétique, établissant la
supériorité de la « race » blanche sur le Nègre.
Théorie à l'origine darwinienne, sa version dite sociale servit
à légitimer la colonisation et sa pseudo-civilisation, sa «
domestication »161. Comment peut-on prétendre humaniser
l'altérité, si l'on ne la considère pas telle une
non-humanité?
1. Le darwinisme social et la légitimation de la
conquête coloniale
L'empreinte de l'idéologie coloniale a
été longtemps au fondement des disciplines telles que
l'ethnologie. La recension des acceptions différentes du concept
d'ethnie, en vogue jusqu'en 1970, qu'Amselle entreprend dans son ouvrage Au
coeur de l'ethnie, montre les influences encore fortement présentes
dans les sciences sociales aussi bien que dans les analyses médiatiques
de la réalité politique en Afrique. En effet, cet auteur affirme
qu'« Outre la proximité de la notion d'ethnie avec celle de
« race », on voit combien la définition de ce terme est
entachée d'ethnocentrisme (..). Sans beaucoup forcer les choses, on
pourrait dire que le dénominateur commun de toutes ces
définitions de l'ethnie correspond en définitive à un
État-nation à caractère territorial au rabais. Distinguer
en abaissant était bien la préoccupation de la pensée
coloniale »162.
La pensée coloniale se fonda aussi sur
l'idéologie raciale, qu'appuyaient certaines disciplines «
scientifiques ». À la charnière entre le 19e et le 20e
siècle, se développa la recherche en anthropologie physique.
Cette discipline était censée fonder « scientifiquement
», par la mesure et la comparaison des volumes crâniens, la
supériorité des Européens par rapport
161 Aporie d'une logique fallacieuse, l'épreuve du
temps nous a montré combien d'autres animaux l'on a civilisé,
après le Nègre, outre les domestications de quelques bêtes
qui au fond n'ont jamais été sauvages.
162 Jean-Loup Amselle, Elikia M'Bokolo, dir. Au coeur de
l'ethnie : ethnies, tribalisme et État en Afrique, Paris, La
Découverte/Poche, 1999, pp. 18-19.
68
aux peuples colonisés. Ainsi, dans les musées de
sciences naturelles se trouvaient, jusqu'à une époque
relativement récente, des vitrines exposant et comparant des
crânes européens et africains. Un volume crânien
supérieur, constaté chez les Européens, était
présenté comme la preuve d'une intelligence supérieure
censée expliquer les différences de développement entre
sociétés occidentales et « indigènes », et
légitimer le droit des Européens à la conquête
coloniale.
Pis encore, les « zoos humains de la République
coloniale »163, selon les termes de Nicolas Bancel,
Pascal Blanchard et Sandrine Lemaire, paru dans Le Monde Diplomatique
d'août 2000, où, ces des individus « exotiques
» mêlés à des bêtes sauvages étaient
montrés en spectacle derrière des grilles ou des enclos à
un public avide de distraction, constituent la preuve la plus évidente
du décalage existant, entre discours et pratique, au temps de
l'édification des empires coloniaux. Le darwinisme social,
vulgarisé et réinterprété par un Gustave Le Bon ou
Vacher de Lapouge au tournant du siècle, trouve sa traduction visuelle
de distinction entre « races primitives » et «
races civilisées », dans ces exhibitions à
caractère ethnologique. Ces penseurs de l'inégalitarisme
découvrent, à travers les « zoos humains », un
fabuleux réservoir de spécimens jusqu'alors impensable en
métropole164.
Une majorité d'acteurs évoluant dans
différents champs - politique, économique, scientifique ou
religieux par exemple - imposèrent donc finalement une certaine image de
l'Afrique et des populations qui y vivent. Ces représentations
accréditaient le plus souvent l'idée d'un continent
arriéré, aux moeurs barbares, marqué par l'absence de
civilisation, de société élaborée ou de pouvoir
centralisé, et où l'absence d'écriture, pour ce qui est de
l'Afrique noire, devait prouver l'absence d'histoire. L'histoire de l'Afrique
n'aurait dès lors réellement commencé qu'avec la
colonisation, seule dispensatrice de développement. Le discours de Jules
Ferry, le 28 juillet 1885, lors du débat sur la politique coloniale de
la France, à la Chambre des Députés traduit clairement
cette position : « Je répète qu'il y a pour les races
supérieures un droit, parce qu'il y a un devoir pour elles. Elles ont le
devoir de civiliser les races inférieures... »165.
Clémenceau ne sera pas en reste lorsqu'il avance le 30 juillet de cette
même
163 Nicolas Bancel, Pascal Blanchard & Sandrine Lemaire,
« Les zoos humains de la République coloniale », in Le
Monde Diplomatique, Août 2000, pp.16-17.
164 L'ouvrage de référence, Zoos humains, de
la vénus hottentote aux reality shows, de Nicolas Bancel, Pascal
Blanchard, Gilles Boetsch, Eric Deroo, Sandrine Lemaire (dir.), est disponible
dans la collection Poche des éditions La Découverte.
165
http://ldh-toulon.net/Jules-Ferry-et-Clemenceau.html
article de la rubrique histoire et colonies > colonies, date
de publication : dimanche 1er décembre 2013 consulté le
08/04/2015 à 19h 08.
69
année, que « Les races supérieures ont
sur les races inférieures un droit qu'elles exercent et ce droit, par
une transformation particulière, est en même temps un devoir de
civilisation. »
L'anthropologie physique, comme l'anthropométrie
naissante, qui constitue alors une grammaire des « caractères
somatiques » des groupes raciaux (systématisé dès
1867 par la Société d'anthropologie avec la création d'un
laboratoire de craniométrie), puis le développement de la
phrénologie166, légitiment le développement de
ces exhibitions. Elles incitent les scientifiques à soutenir activement
ces programmations, pour trois raisons pragmatiques : une mise à
disposition pratique d'un « matériel » humain exceptionnel
(variété, nombre et renouvellement des spécimens...) ; un
intérêt du grand public pour leurs recherches, et donc une
possibilité de promouvoir leurs travaux dans la grande presse ; enfin,
la démonstration la plus probante du bien-fondé des
énoncés racistes par la présence physique de ces «
sauvages ».
Les civilisations extra-européennes, dans cette
perception linéaire de l'évolution socioculturelle et cette mise
en scène de proximité avec le monde animalier, sont
considérées comme attardées, mais civilisables, donc
colonisables. La cohérence de tels spectacles devient une
évidence scientifique, en même temps qu'une parfaite
démonstration des théories naissantes sur la hiérarchie
des races et une parfaite illustration in situ de la mission
civilisatrice alors en marche outre atlantique. Scientifiques, membres du lobby
colonial ou organisateurs de spectacles y trouvent leur compte.
Il va sans dire que darwinisme social et hiérarchie
raciale se répondent dialectiquement. Sans doute participent-ils d'une
même angoisse devant l'altérité, angoisse qui trouve alors
son exutoire dans une rationalisation inégalitaire des « races
», dans une stigmatisation commune du « taré » et de
l'« indigène ». Les « zoos humains » se trouvent
ainsi au confluent d'un racisme populaire et de l'objectivation scientifique de
la hiérarchie raciale, tous deux portés par l'expansion
coloniale. Dégrader, humilier, animaliser l'altérité est
sous-tendu par l'idéologie qui se consacre à « dresser entre
« eux » et « nous », une barrière infranchissable
».
166 Théorie de Gall, « d'après laquelle
l'inspection et la palpation du crâne et la recherche de ses
protubérances (ou bosses) permettraient de connaître les
facultés et instincts dominants chez un sujet, d'après un
système hypothétique de localisations cérébrales
», Garnier in Le Grand Larousse, op.cit.
70
2. Le double portrait colonisateur/colonisé
« Tout comme la bourgeoisie propose une image du
prolétaire, l'existence du colonisateur appelle et impose une image du
colonisé. Alibis sans lesquels la conduite du colonisateur et celle du
bourgeois, leurs existences mêmes, sembleraient scandaleuses.
»167 La constatation de Fanon, à son arrivée
à Blida, en juin 1953, comme médecin-chef à
l'hôpital psychiatrique, procède de cette «imagisation»
caricaturale du nègre, dans son rapport au colon. L'hôpital est,
en effet à l'image de la psychiatrie coloniale avec une
séparation radicale des malades mentaux indigènes et des malades
mentaux métropolitains. « La conception dominante qui
prévalait alors en Algérie était que le malade mental
métropolitain était accessible à la guérison, mais
que l'indigène était incurable, voué à la maladie,
sous le prétexte que ses structures diencéphaliques
écrasaient toute possibilité d'une activité corticale
développée. »168
Albert Memmi perçoit parfaitement la dialectique et les
implications qui caractérisent les relations entre
colonisé/colonisateur. Pour lui, le «...délire destructeur
du colonisé, étant né des exigences du colonisateur, il
n'est pas étonnant qu'il y réponde si bien, qu'il semble
confirmer et justifier la conduite du colonisateur. Plus remarquable, plus
nocif peut-être, est l'écho qu'il suscite chez le colonisé
lui-même »169. « Dans la relation coloniale, la
domination s'exerce de peuple à peuple, mais le schéma reste le
même. La caractérisation et le rôle du colonisé
occupent une place de choix dans l'idéologie colonisatrice.
Caractérisation infidèle au réel, incohérente en
elle-même, mais nécessaire et cohérente à
l'intérieur de cette idéologie. Et à laquelle le
colonisé donne son assentiment, troublé, partiel, mais
indéniable. »170
Primo, cette relation consiste à légitimer la
supériorité de la « race » blanche et
l'infériorité, animalité, l'inhumanité du
nègre. Cette pratique consiste stratégiquement à donner
des assises à la domination coloniale. Concomitamment, elle s'accompagne
de l'élévation parmi les indigènes d'une ethnie qui serait
devenu, par l'ordre de contact avec la civilisation, supérieure aux
autres. La notion d'évolué nait dans ce contexte, où
l'assimilation devient outil de production des complexes et une
stratégie pour, cette « bande perdue (...), les noirs instruits
»171.
167 Albert Memmi, « Le portrait du colonisé »,
in
www.esprit.presse.fr ,
consulté le 12/04/2015.
168 Patrick Clervoy et Maurice Corcos, "Petits moments de la
psychiatrie en France", Paris, EDK, 2005, p.141.
169 Ibid.
170 Ibid.
171 Référence à René Maran,
Batouala, véritable roman nègre, Paris, Albin Michel,
1921, dont l'excellence du style lui valut le prix Goncourt.
71
La structuration de la ville exempli grati, permet
des lectures de ces complexes suscités chez les nègres à
travers les privilèges accordées aux évolués qui
pouvaient, au-delà de vingt heures, accédés à la
« ville européenne ».
Le racisme en vogue dans la ville coloniale, est
réinventé par l'ethnisme sur une prétendue
supériorité d'un groupe autochtone sur les autres, selon que la
domination du colon est renforcée par l'assimilation du colonisé,
ainsi érigé, dans la hiérarchie des races, en sous-race
supérieure, ethnie supérieure.
René Otayek affirme que « l'extrême
diversité ethnique que découvrent à leur arrivée
les administrateurs coloniaux constitue, pour eux, la confirmation du
bien-fondé de la « mission civilisatrice » dont se
prévaut la conquête coloniale. (...) C'est donc tout naturellement
qu'ils se donneront pour objectif premier d'y « mettre de l'ordre »,
en nommant, classant et hiérarchisant. Ce processus aura pour effet de
rationaliser la complexité sociale par la création de
catégories ethniques mais au prix d'un durcissement des identités
et des clivages entre groupes ethniques »172.
La typologie de Lord Lugard participe de la vulgate
évolutionniste lorsqu'il préconise de classer les populations
africaines tropicales en trois types selon les structures sociales. Pour lui,
il s'agit en l'occurrence, des « tribus primitives, des communautés
évoluées et des Africains européanisés
»173.
Le cas des Yoruba au Nigeria en est un exemple patent sur les
conséquences qu'on eut ces classifications. Relevons tout d'abord que
groupe ethnique est constitué de plusieurs groupes (les Ekiti, les Ijebu
et les Egba) autonomes, parlant des dialectes proches. Cependant, les mesures
introduites par l'administration coloniale britannique qui privilégient
ces groupes-ci, au détriment du reste du Nigeria, continuent d'alimenter
les cristallisations ethniques, dans un contexte où les
laissés-pour-compte, c'est-à-dire les Haoussa-Fulani et les Ibo
rêvent de revanche alors que les premiers (Yoruba) entendent conserver
leur avantage, en l'occurrence sur les infrastructures et le capital humain.
Selon Bedoum, « le pouvoir colonial avait
institué un système de classification ethnique avec des cartes
d'identité obligatoire spécifiant l'ethnie d'appartenance (...).
Les préjugés et
172 R. Otayek, « Afrique (conflits contemporain) » in
Encyclopédie Universalis,op.cit.
173 L. Lugard, cité par Amselle, op.cit. p.8.
72
différents qui s'y rattachent avaient
créé une division et un climat qui ont contribué à
l'instabilité (...) »174
La Géographie vivante pour le cours
préparatoire et le cours moyens, d'Onésime Reclus traduit
contre toute apparence l'idéologie recontextualisée, de la
hiérarchie des races par l'érection de la
supériorité de certaines ethnies par rapports à d'autres.
Nous vous proposons en lecture, la trente-cinquième leçon, en
l'occurrence le point trois, intitulé « Les Noirs
»175.
Document 2 : Capture d'image
Enfin, l'exemple de la région des Grands Lacs est
encore plus illustratif. Dans ce territoire que nous connaissons maintenant
comme le Rwanda et le Burundi, deux groupes sociaux, Hutu et Tutsi
constituaient une seule culture à l'époque où des
colons allemands avaient pris le contrôle de la région, au
19ème siècle.
174 Bedoum cité par Salif Kàc, La
problématique des conflits en Afrique: le cas de la Somalie, de la
Côte d'Ivoire et de la RDC, Mémoire de Maitrise en sciences
politiques, Université Gaston Berger de Saint-Louis, 2012.
175 Onésime Reclus, La Géographie vivante" pour
le cours préparatoire et le CM1, 1926, p. 70.
73
La Belgique a introduit ensuite une politique de
catégorisation raciale pour prendre le contrôle de la
région: la catégorisation et la philosophie fondées sur la
race faisait partie intégrante de la culture européenne de
l'époque.
Le terme Hutu désignait à l'origine des peuples
de langue bantoue qui pratiquaient l'agriculture qui s'étaient
déplacés dans le Rwanda d'aujourd'hui et à l'Ouest du
Burundi ; et le terme Tutsi désignait les peuples du nord-est qui
pratiquaient l'élevage et qui ont migré dans la région
plus tard.
Les termes décrivaient donc les classes
économiques des personnes : les personnes qui possédaient un
certain nombre de bétail étaient considérés comme
des Tutsis, et celles qui en avaient moins comme des Hutus, et ce,
indépendamment de leur histoire ancestrale. Bien plus grave, les Belges
ont introduit un système de classification raciste: teint de peau plus
foncé ou plus clair, une taille grande ou courte, un nez plus
étroit ou plus épaté, etc. Les cartes d'identité
ont été délivrées sur la base de cette
classification, séparant ainsi les Tutsis des Hutus.
Chrétien affirme à ce sujet que « les
ethnies furent très vite classées(...) selon leur degré de
«beauté«, d' «intelligence«, de
«fierté« ou d'organisation politique, les traits culturels,
moraux, et physiques devant concourir de façon cohérente à
la hiérarchisation des populations »176.
C'est là que le projet colonial dévoile ses
contradictions : car, tout en catégorisant les groupes ethniques et donc
en différenciant les êtres humains, l'administration coloniale
proclame l'universalisme de sa mission. Cet universalisme, dont l'un des
principes centraux est l'égalité, est d'autant plus mis à
mal que le régime colonial institue juridiquement la
ségrégation entre deux catégories de ressortissants de
l'empire : les « citoyens » d'une part, qualité reconnue
exclusivement aux habitants de la métropole, aux colons, aux juifs
d'Afrique du Nord et à ceux des « quatre communes » du
Sénégal (Dakar, Gorée, Rufisque et Saint-Louis) pour
« services rendus à la France », et les «
indigènes » d'autre part, vocable réservé à
toutes les autres populations assujetties et privées des droits
politiques élémentaires jusqu'à l'abolition du code de
l'indigénat en 1946 et la promulgation de la loi-cadre de 1956.
L'on ne terminera pas ce propos, sans évoquer le Gabon,
sans une référence, à l'arrêté 305 du 20 mars
1947, dont l'article premier, alinéa I, dispose que « toute demande
de concession
176 J.P.Chrétien in Jean-Loup Amselle, Elikia
M'Bokolo, op.cit., p. 131.
rurale ou forestière, de permis de coupe,
d'exploitation de carrière, déposée par un indigène
étranger à la race Pongwè devra obligatoirement être
soumise à l'approbation du conseil de la chefferie, avant d'être
instruite par l'autorité administrative »177.
Enfin, le fait que l'accès à l'internat
scolaire, fit sous la colonisation, exclusivement « réservé
aux seuls enfants d'Eurafricains et de Pongwè »178
contribuait à la politique racialiste de la mission coloniale. Il
importe tout de même de nuancer la responsabilité de la
colonisation dans la mise en exergue du code de l'indigénat, car «
si l'initiative coloniale vint du dehors, la mise en oeuvre du projet fut, en
très grande partie, une oeuvre commune. »179
Section II : Des frontières naturelles
précoloniales à la division coloniale de l'Afrique
On estime que 70 % des frontières africaines, telles
qu'on les connaît aujourd'hui furent définies sans concertation
avec les populations concernées, entre la conférence de Berlin et
la fin de la première décennie du XXe siècle. Si l'on ne
peut établir par le biais d'une lecture mécanique les liaisons
dangereuses entre ce découpage colonial et les problématiques
actuelles, relatives à l'ethnicité en l'Afrique, il n'en reste
pas moins vrai que les États africains ont hérité de
frontières marquées du sceau des rivalités et des
intérêts des anciennes puissances coloniales, outre la division
qu'il opère, arbitrairement entre des nations précoloniales.
74
177 In Nze-Nguema, op.cit, p. 58.
178 Ibid.
179 Harris Memel Fotê, cité par A. Mbembe, Les
Avatars de l'Etat en Afrique, op.cit. p. 328.
Document 2 : Le partage de
l'Afrique180
75
1. La répartition territoriale des populations dans
la précolonie
La notion de frontière se lit dans la précolonie
à travers notamment le concept de territorialité. En effet, nous
avons vu supra que l'organisation sociale était fondée
sur les infrastructures familiales, claniques et tribales.
La notion de frontière peut donc se résumer
à la propriété foncière en Afrique
précoloniale. En effet, « la terre est considérée
comme un bien collectif, détenu par une communauté souvent
confondue avec un lignage et gérée par son chef, détenteur
des droits fonciers et des pouvoirs sacrés qui leur sont associés
»181. Ce chef veille à la répartition des
parcelles entre les membres du lignage qui en ont l'usufruit ; dans la
pratique, la mise en valeur garantit et pérennise les droits d'usage
individuels.
L'élément numériquement le plus faible,
nous rapporte Le Testu, de la répartition territoriale de la population
est le village. Cet auteur définit pour des besoins de
précisions, le village comme un « Groupe d'habitations
contigües »182.
180 Carte de Philippe Rekacewicz in
www.towards.be
181 Roland Pourtier, op.cit.
182 Le Testu, op.cit. p.522.
76
La composition de cette entité organisationnelle
précoloniale est hétéroclite. Le village est, en effet,
habité par « une famille, ses alliés, leurs enfants, les
enfants des soeurs des uns et des autres, leurs clients ou leurs esclaves, et
une proportion infime, des étrangers ». Le nombre est une
donnée peu pertinente dans la constitution en village.
Le Testu cite en exemple le recensement de la subdivision de
Tchibanga, en l'occurrence celui d'un village de six cases avec onze habitants
alors que le village Mbegue, dans la subdivision de Ndendé en
comptabilisait en 1994, cent cinq183.
La notion de territorialité est d'autant plus
pertinente qu'elle réunit l'ensemble des villages habités par des
individus de même tribu. La différence entre le village et la
terre tient, au-delà de la superficie, à la
temporarité du premier et à la stabilité du
second184. La tribu, en effet, n'occupe pas tout entière un
territoire continu : les groupes qu'elle englobe sont plus ou moins
éloignés les uns des autres, en dehors de la filiation du sang,
à la manière indigène, les alliances ont pu créer
des relations assez étroites, pour réunir, côte à
côte, deux rameaux de tribus différentes.
L'usage nominaliste en vogue dans la précolonie renvoie
d'ailleurs, pour expliciter la notion de frontière à
l'attachement de la propriété à la tribu. Ainsi, dit-on,
« la terre des Bouyala, celle des Bayengé
»185.
Les alliances permettent une compréhension plus
élargit du territoire. En effet, à ce noyau tribal, les alliances
amènent des femmes des tribus différentes. « Les enfants qui
naitront de ces unions pourront, ou bien retourner chez leurs parents, ou bien
rester au pays de leur père et y créer, sur la terre de celui-ci,
des groupes à part »186.
Le Testu nous en donne des exemples : « dans la terre des
Bouyala, on trouve un groupe de Bassoumba, un groupe, de
Mitchimba, un groupe de Dibamba, les uns et les autres fils
de Bouyala ; la terre de Mpokou se partage entre
Bamouellé, tribu dominante, et les Baghoyo, tribu
agrégée, fille de la précédente
»187.
183 Ibid.
184 Ibid. p.526.
185 Ibid.
186 Ibid.
187 Ibid.
77
Enfin, pour cerner on ne peut plus mieux la
territorialité, il importe in fine d'examiner la notion connexe
d'autorité. Dans quelle condition, l'autorité s'exerce à
l'intérieur du territoire et comment cette autorité sur un
territoire détermine-t-elle la notion de frontière dans la
relation aux autres groupes tribaux ?
Le colonialisme a déstabilisé un certain nombre
de groupes ethniques en Afrique et cela se fait encore ressentir dans la
politique africaine. Avant l'influence européenne, les frontières
nationales ne sont pas vraiment un problème, car le territoire d'un
groupe ethnique est déjà naturellement défini.
L'insistance européenne de tracer des frontières autour des
territoires pour les isoler a souvent pour effet de séparer les groupes
politiques ou alors de forcer les ennemis traditionnels de vivre côte
à côte, sans tampon entre eux. Par exemple, bien que le fleuve
Congo semble être une limite géographique naturelle, il y avait
des groupes qui vivaient des deux côtés du fleuve mais
partageaient une même langue, une même culture ou une autre
similitude. Or, la division de la terre s'est faite entre la Belgique et la
France, isolant ces groupes les uns des autres.
Avec la colonisation, la notion de propriété
privée a introduit une profonde modification du droit. La fiction
juridique des « biens vacants et sans maître » a
conféré aux États la propriété
éminente du sol.
2. La Conférence de Berlin de 1884 à 1885
La Conférence de Berlin de 1884-1885
réglementait la colonisation européenne et le commerce en Afrique
au cours de la période du Nouvel Impérialisme, et a
coïncidé avec l'émergence soudaine de l'Allemagne en tant
que puissance impériale. Pensée par le Portugal et
organisée par Otto Von Bismarck, le premier Chancelier de l'Allemagne,
la conférence donna lieu à l'Acte
générale de la Conférence de Berlin,
l'origine d'une vraie bousculade pour l'Afrique. La conférence a
marqué le début d'une période d'activité coloniale
accrue de la part des puissances européennes, tout en éliminant
la plupart des formes actuelles de l'autonomie de l'Afrique et surtout de
l'auto-gouvernance.
À la fin du 19ème siècle, les puissances
impériales européennes s'étaient entraînées
dans une bousculade territoriale importante et occupaient la majeure partie du
continent africain, créant ainsi de nombreux Etats-nations coloniaux et
ne laissant que deux nations indépendantes
78
: le Libéria, un Etat indépendant en partie
contrôlé par les Afro-Américains, et la nation
chrétienne orthodoxe d'Ethiopie, connu des Européens comme
l'Abyssinie).
Dans les pays qui comptent d'importantes populations
européennes comme la Rhodésie (aujourd'hui connue comme le
Zimbabwe), l'Angola, la Mozambique, le Kenya et l'Afrique du Sud, les
systèmes de citoyenneté de seconde classe ont souvent
été mis en place afin de donner aux Européens, le pouvoir
politique bien au-delà de leur nombre. Dans l'Etat libre du Congo,
propriété personnelle du roi Léopold II de Belgique, la
population autochtone a été soumise à des traitements
inhumains, avec un statut proche de l'esclavage et un assortiment de travail
forcé. Au Libéria, les citoyens qui étaient des
descendants d'esclaves américains avaient un système politique
qui durant plus de 100 ans a donné aux anciens esclaves et aux
indigènes de la région un pouvoir législatif à peu
près égale, malgré le fait que les anciens esclaves soient
plus nombreux que la population générale.
Les Européens ont souvent modifié
l'équilibre du pouvoir local, créé des divisions ethniques
où ils n'existaient pas auparavant, et introduit une aliénation
culturelle au détriment des indigènes dans les zones qu'ils
contrôlaient.
Le continent africain qui compte actuellement une cinquantaine
de pays. Or, 87% des frontières de ces Etats ont été
décidées à l'époque coloniale, et la plupart ont
été dessinées, « à la règle »,
lors de la conférence de Berlin, en 1885. Seulement un sixième de
ces frontières ont pris en compte la configuration ethnique des peuples
africains, alors que le continent comprend plus de 200 groupes
ethnolinguistiques distincts.
Depuis les indépendances, les frontières ont
été sources de conflits. Elles ont séparé des
peuples habitués à vivre ensemble, mais ont surtout
regroupé des ethnies différentes, dont la cohabitation a
engendré des violences comme au Nigeria, au Tchad ou encore au Soudan.
Au Gabon, elles ont suscités des tentatives de division ethnique tel que
l'extrait qui suit le présente : « La vérité,
aujourd'hui, est pourtant limpide. Ce sont les Bongo qui, étant
nés Batékés congolais, se sont installés parmi les
Batékés du Gabon par imposture. Dès lors, quand les
Gabonais disaient à Bongo qu'il n'était pas Gabonais, mais
Congolais, Bongo utilisait cela comme une arme ethnique pour faire croire aux
Batékés du Gabon que les autres Gabonais les accusaient
d'être Congolais. Or, cette stratégie de Bongo était
indécente car le Gabon a d'autres ethnies comme les Fangs qui ont des
attaches ethniques en Guinée Equatoriale et au Cameroun. Ce n'est pas
pour autant qu'on va dire des Fangs du Gabon qu'ils sont
79
Camerounais ou Equato-guinéens. On ne peut pas donc
dire que les Batékés du Gabon soient Congolais car les
frontières coloniales ont décidé que certains
Batékés seraient du Gabon et d'autres du Congo, tout comme
certains Fangs sont du Cameroun et d'autres du Gabon.»
Cependant, signalons qu'entre le Gabon et le Congo, qui
partagent plus de 1918 Km de frontière (entre le nord-est, l'est, le sud
et le sud-est), plusieurs zones, entre autres la zone du Haut-Ogooué
(Gabon) et la zone de la Cuvette-Ouest(Congo), restent
querellées188. Ainsi, la délimitation
définitive de ces frontières aboutira probablement à un
redéploiement des populations de ces zones, qui changeraient de
facto, de nationalité.
Par ailleurs, le mercredi 28 novembre, à Addis Abeba,
la France remettait officiellement à l'Union africaine des copies
papiers et numérisées d'archives françaises relatives aux
frontières africaines. Les documents remis correspondent à 45
traités, concernant une vingtaine de pays d'Afrique de l'Ouest, du Nord
et de l'Est, pour une période allant de 1845 à 1956.
Signalons en passant que cette organisation panafricaine a
adopté comme principe depuis sa création que les
frontières héritées de la colonisation sont intangibles
pour les territoires devenus Etats indépendants. Pour le Programme
frontière de l'Union africaine, créé en 2007, les
frontières coloniales doivent demeurer intangibles, et qu'il s'agit
plutôt de faire du continent africain, un espace d'échanges
commerciaux et culturels, où les frontières ne
représenteront plus une séparation, mais une zone de partage.
Pour Aguibou Diarrah189 «
L'intangibilité des frontières africaine repose sur les
archives. Ce sont les frontières héritées de la
colonisation. Donc ces archives sont des documents qui permettront de
façon certaine à démarquer ces frontières sans
créer de problèmes. »190
Jose Elias Mucombo, Directeur de l'Institut National de la Mer
et des Frontières de Maputo, au Mozambique ajoute que «Ces
frontières font partie de notre identité. Elles ont souvent plus
de 60 ans. Pour beaucoup d'Africains ce sont les seules frontières
qu'ils ont
188 D.-C. Dzonteu, « Litiges frontaliers Gabon/Congo :
vers des solutions définitives », in Politique, sur
www.gabonreview.com ,
publié le samedi 24 octobre 2015 à 1h 16 min. consulté
11/11/2015.
189 Aguibou Diarrah est Responsable du programme frontière
de l'Union Africaine.
190
www.rfi.fr/afrique/20131129-archives-frontières-africaines-AddisAbeba
, le 29 novembre 2013, consulté le 19/04/2015 à 19h 08.
80
connues. Je ne pense pas qu'il soit possible de les
modifier. Cela créerait encore plus de confusion et de
problèmes»191.
La récente partition du Soudan représente donc
une exception dans la ligne de conduite africaine. Par la même occasion,
ce pays devient le laboratoire des partisans des modifications des
frontières africaines. Contre la position de l'U.A., certains penseurs
africains pensent à un retour aux sources qui intègre les
configurations précoloniales. En effet, le paradoxe, c'est que pour
intégrer, il faut d'abord séparer clairement les Etats. Il faut
définir, dessiner et concrétiser les frontières.
«Il n'y a aucun intérêt à insister pour garder les
frontières dessinées par les pouvoirs européens. Si un
Etat comme le Soudan se met d'accord pacifiquement pour mettre terme à
une très longue guerre, je suis d'avis qu'il se sépare. La
séparation n'est pas le divorce. Les deux pays peuvent gérer
conjointement leur frontière pour assurer leur sécurité et
leur développement économique »192,
suggère Anthony Asiwaju, Président de l'Institut Régional
Africain Imeko de Lagos, au Nigeria.
La lecture de ces positions divergentes illustre les
problématiques qui sont souvent liées aux conflits ethniques en
Afrique. Un des défis majeurs de l'Afrique subsaharienne consiste
à faire cohabiter pacifiquement des ethnies arbitrairement
réunies à l'intérieur des frontières des
États, créés par les puissances coloniales sans la moindre
attention pour le substrat humain.
Le partage de l'Afrique, dans les années qui suivirent
la Conférence de Berlin (18841885), a complètement
dépossédé les Africains de leur propre destin. Il en est
résulté une situation très particulière, dans
laquelle le tracé des frontières des États a
été réalisé avant la mise en place des institutions
administratives destinées à contrôler des populations dont
les puissances coloniales ignoraient parfois jusqu'à l'existence.
En outre, il est indéniable que les entités
territoriales créées par la colonisation - qui, ne serait-ce que
de ce point de vue, a représenté une bifurcation décisive
de l'histoire de l'Afrique noire - ont servi de support à
l'émergence d'authentiques identités nationales transcendant les
appartenances ethniques, auxquelles les compétitions sportives donnent
l'occasion de s'exprimer bruyamment dans les stades.
191 Ibid.
192 Ibid.
81
Conclusion de la première partie
Notre quête des propriétés
sociohistoriques du discours nationalitaire, objet de la première partie
de notre travail de recherche nous a permis, par le biais de la
causalité rétrospective, de visiter de façon, on ne peut
plus neutre, la réalité empirique du fait ethnique. Dans une
double temporalité, nous avons exploré la colonie et la
précolonie, en analysant la dynamique du discours nationalitaire.
Primo, dans le chapitre premier, voué à
entreprendre une archéologie de l'ethnicité, qui est bien plus
qu'une historicité désincarnée, qui longtemps a
inhumée la réalité originelle de l'animal politique ; nous
avons exhumé donc les archives de l'humanité sociale, pour
établir les prolégomènes pour une théorie de
l'homo ethnicus, à l'aide des éléments empiriques
tels que l'étymologie et la généalogie de la
catégorie nation, en établissant ses homologies notamment, avec
le concept d'ethnie.
Ensuite, il nous a été donné de rappeler
l'universalité des ethnocentrismes, et les usages classificatoires des
ethnonymes pour libérer le fait nationalitaire des seules prisons
africaines dans lesquelles, certains ethnologues l'ont enfermé jadis,
pendant que la pensée africaine peine à s'en
émancipé, pour le déférer dans la conscience de
l'humanité entière. Freud enseignait que « le premier
être humain à avoir décroché à son ennemi une
insulte plutôt qu'une flèche est le fondateur de la civilisation
»193
Dans le second chapitre, il s'est agi, non pas de
dédouaner la colonie de la responsabilité de ses crimes
narcissiques et ethnocidaires, mais rétablir les conditions de
l'érection des disparités préexistante en
réalité substantielle. Si la genèse de l'ethnicité
est l'apanage de la précolonie, le manifeste de la colonie en porte des
« gènes ». Gène de l'ethnicité en effet, la
différence va y revêtir fallacieusement, une essence
génétique du fait du darwinisme social. Le darwinisme social qui
postule une hiérarchie des races, va servir à légitimer le
colonialisme. Non seulement, l'idéologie de la race va bouleverser les
fondements précoloniaux de la stratification sociale et des rapports
intercommunautaires pour introduire, de manière arbitraire une
hiérarchie entre les peuples autochtones. La notion d'«
évolué » est d'ailleurs tributaire de ces logiques de
dominations. La domination est effectivement l'idée sous-tendue par
le
193 S. Freud, « Sur les mécanismes psychiques des
phénomènes hystériques » In Gesammelte
(OEuvres complètes), S. fisher, tome 19, P.192.
82
colonialisme, donc, l'idéologie de la hiérarchie
des races devient une stratégie permettant d'asseoir l'oeuvre
colonisatrice.
Gêne ensuite du fait des implications relatives à
l'application sur le terrain de cette idéologie, qui va diviser
l'Afrique, par le passage des frontières naturelles aux
frontières arbitraires de la colonisation lors de la conférence
de Berlin, entre 1884 et 1885. La Gêne est aussi celle de la
configuration bipolaire des villes coloniales et enfin la création
arbitraire des frontières qui vont tantôt séparer des
nations, dont les peuples avaient un destin commun, tantôt
rapproché d'autres qui s'opposaient farouchement dans la
précolonie. La nation moderne tient, de la définition de la
société entant que contrat social entre les individus, par
opposition à la nation précoloniale qui elle se rapporte
plutôt à la famille.
L'assimilation des autochtones garantit leur soumission et le
légitime par le biais de l'idéologie la supériorité
du colon. Le colonisé, l'évolué croit lui-même
à sa supériorité sur les autres et conforte donc celle du
colon.
83
Partie II: LA METAMORPHOSE DE LA RACE
84
Le soleil des indépendances ayant
émancipé, entre 1946 et 1963 deux tiers du continent africain,
voit naître environ vingt et huit nouveaux Etats. Cependant, l'euphorie
des lipanda n'a duré que quelques brèves années,
et bien vite, l'on dut déchanter. Si quelques pays ont su garder leur
équilibre et améliorer leur niveau de vie ou conserver la paix
intérieure, tant d'autres se sont heurtés à des obstacles
de toutes espèces, sur les plans social, économique et politique.
Entre les coups d'Etat militaires, les guerres de sécession, guerres
frontalières, ou encore les dictatures et les partis uniques, l'Afrique
postcoloniale se trouve déchirée. D'autre part, la misère
afflige les populations africaines. L'ensemble de ces faits fragilise la
stabilité et la cohésion dans les jeunes Etats africains.
L'Etat menacé donc, son autorité ne
s'étend parfois qu'à une fraction du territoire national.
L'Etat-nation quant à lui, n'est, dans les consciences des populations,
qu'une fiction juridique décontextualisée des
réalités intrinsèques du continent. Le peuple ne se
reconnait que rarement dans ses gouvernants, car « la plupart des
régimes africains évoluent par une sorte de fatalité vers
la tyrannie du clan »194. La cohésion interne
prônée par N'krumah, par exemple, dans son Afrique doit
s'unir, mettait, au-delà des frontières nationales,
l'unité Africaine comme substrat de l'émancipation des anciennes
colonies vis-à-vis des puissances
étrangères195.
Face à ces échecs multiples
répétés, plusieurs théoriciens vont tenter
d'apporter leur contribution. L'école de La politique par le
bas196 s'inscrit dans cette perspective dont l'objet consiste,
à comprendre les logiques du pouvoir en Afrique postcoloniale. Les deux
premiers textes de la postcolonie de Mbembe, sur « Le
commandement », et sur le « Gouvernement privé indirect »
dépeignent de façon nette le théâtre postcolonial
dont les rôles caricaturent les nouvelles figures de la dialectique
colonisateur/colonisée. En effet, pour Mbembe, les violences des
gouvernants africains reproduisent les violences coloniales : violence
fondatrice par la conquête, violence de légitimation à
travers un discours et un vocabulaire à volonté universalisante,
violence de permanence par la sédimentation d'innombrables actes et
rites dont les plus symptomatiques furent les régimes dits de l'«
indigénat »197.
194 J. Ziegler, op.cit. p. 11.
195 N'krumah, L'Afrique doit s'unir, Paris, Payot, 1964,
p.231.
196 Cf. J.-F. Bayart, A. Mbembe, C. Toulabor, La politique
par le bas en Afrique noire. Contribution à une problématique de
la démocratie, Paris, Karthala, 1992.
197Achille Mbembe, De la postcolonie. Essai sur
l'imagination politique dans l'Afrique contemporaine. Paris, Karthala,
2000, pp. 42-43.
85
La postcolonie, c'est-à-dire, les «
sociétés récemment sorties de l'expérience que fut
la colonisation, celle-ci devant être considérée comme une
relation de violence par excellence »198, de servitude et de
domination n'est pas sans analogie avec la « politique de la chicotte
»199 de Bayart avec lequel, ils ont en partage « la
politique par le bas ». Le projet de cet ouvrage consiste à en
esquisser une définition : cinquante ans après les
Indépendances africaines, que reste-t-il de la promesse
d'autodétermination des nationalistes? Plus spécifiquement, que
reste-t-il des idéaux d'émancipation en regard de
l'épreuve généralisée du fratricide, du refus de
faire communauté ?
La problématique de l'ethnicité et de ses
usages, telle qu'il appert dans ces postulats est un renvoi pur et simple
à la colonialité.
Nous situerons notre analyse conformément au concept
d'habitus énoncé supra. Dans de très nombreux
textes, Bourdieu entend souligner le caractère «
générateur » de l'habitus. L'habitus, cette structure
structurée prédisposée à fonctionner comme
structure structurante, a, en effet, comme propriété d'être
à l'origine d'une infinité de pratiques possibles.
Le Gabon indépendant, s'il ne connait pas proprement la
montée des particularismes et s'il n'est touché que partiellement
par la vague des turbulences des Conférences Nationales ; ils n'en
demeurent pas moins, que sa stabilité est tributaire des
équilibres ethniques, que les pères fondateurs et leurs
successeurs sauront, à bon escient manipulé,
stratégiquement, aussi bien pendant le parti unique, que plus tard dans
le multipartisme200. Ce n'est pas le cas du Zaïre, telle que le
montrait il y a 20 ans déjà, Benoit Verhaegen, dans une analyse
décapante du pouvoir despotique de Mobutu201, où il
distinguait une succession de cercles concentriques imbriqués, depuis la
« clique présidentielle » des proches parents du despote
jusqu'à la « confrérie régnante » des membres
privilégiés de l'« ethnie » présidentielle et,
au-delà, la « grande bourgeoisie potentielle »
constituée de « toutes les personnes que leur compétence,
198 Ibidem, pp. 139-140
199 J. F. Bayart, « Hégémonie et coercition
en Afrique subsaharienne, La «politique de la chicotte« », in
Politique africaine, N°110, juin 2008, pp.123-152.
200 Lire sur les balbutiements de la jeune démocratie
gabonaise, F.P. Nze Nguema, L'Etat au Gabon, Le partage institutionnel du
pouvoir, op.cit.
201 Benoît Verhaegen, « Impérialisme
technologique et bourgeoisie nationale au Zaïre », in C.
Coquery-Vidrovitch (dir.), Connaissance du tiers-monde. Approche
pluridisciplinaire, Paris, Union générale
d'édition/Université Paris 7, 1977, pp. 347-380.
86
leur popularité ou leur fonction désignent comme
candidat possible à l'entrée dans la confrérie dont elle
constitue la réserve de recrutement »202
Toutefois, la géopolitique dans le contexte du Gabon,
que certains perçoivent, à raison, plutôt comme favorable
à la prise de conscience ethnique, ne réduira pas effectivement,
l'évolution du discours nationalitaire. Les difficultés relatives
à la construction d'un ethos national, d'un destin commun
à toutes les sensibilités ethniques, depuis les prémices
indépendantistes jusqu'à nos jours, ne parviennent que rarement
à faire sens dans les consciences des populations, qui se
définissent primordialement par l'appartenance ethnique.
Rappelons d'emblée que bien avant l'expansion, «
les tribus et les ethnies ne disparaissent pas quand apparaît l'Etat et
la plupart des Etats anciens reposaient sur une base polytechnique et
polytribale »203. C'est donc la continuité logique, la
même dynamique qui fait sens dans l'Etat moderne. C'est pourquoi nous
évoquons une métamorphose au sens de Kafka, sans verser dans la
littérature pure. Cette référence à Kafka est
utilisée ici, par analogie à l'habitus de Bourdieu, dont
l'hystérésis et la transposabilité sont des
propriétés intrinsèques. La nationalité
(ethnicité), à traverser le temps est évidement parvenue
à la postcolonie et même à la
contemporanéité. Cependant, son expression a quelque peu
changé.
En effet, La Métamorphose (Die
Verwandlung), nouvelle écrite par Franz Kafka en 1912 et
publiée en 1915, décrit la métamorphose de Gregor Samsa,
un vendeur qui se réveille un matin transformé en «
monstrueux insecte » 204. Il s'agit là, d'une
mêmeté, car Gregor demeure Gregor, en dépit de l'apparence
nouvelle qu'il arbore.
Le propos qui suit, tentera d'en donner les explications
théoriques, au regard des manifestations empiriques du discours
nationalitaire dans la période précoloniale. Nous montrerons
comment les habitus ethniques, qui font sens depuis la précolonie,
résiste au modèle jacobin de l'Etat et sa centralité. Le
détour que nous avons opéré sur la
socio-archéologie du fait ethnique, nous servira de comprendre le
discours postcolonial et contemporain.
202 A. Mbembe, op.cit. pp. 374-375
203 Matsiegui-Mboula, op.cit.
204 Franz Kafka (trad. de l'allemand par Claude David,
préf. Claude David), La Métamorphose, Paris, Gallimard,
coll. « Folio Classique » (no 5882), 2015, p. 30.
87
Chapitre III : Entre nationalisme et le
multiculturalisme.
Le colonialisme entant qu'entreprise ethnocentriste
s'accompagne de l'imposition de l'État moderne. Cet Etat doit à
son tour, nécessairement procéder à la fabrication d'une
identité nationale et donc par l'homogénéisation,
fût-ce par la contrainte symbolique ou physique, de
l'hétérogénéité et des configurations
complexes des sociétés africaines.
Or, la différence étant une donnée
indubitable et l'ethnicité préexistant la colonialité, il
devient donc logique que les populations africaines n'entendent subir
passivement ce processus. Elles y résisteront et opposeront pour cela
différentes attitudes face à l'État. « Certaines,
notamment dans les sociétés islamiques d'Afrique de l'Ouest,
mettront en oeuvre des stratégies dites « exit options
», consistant à se soustraire à sa domination, en se
ménageant des espaces d'autonomie, voire en se constituant en
contre-sociétés. D'autres, comme les Kikuyu au Kenya, joueront au
contraire la carte de l'ethnicité comme mode d'accès à
l'État et à ses richesses »205.
C'est donc ce contexte de forte détermination du fait
ethnique que l'Etat moderne doit se construire, en fédérant donc
la pluralité ethnique et tout en reproduisant, la hiérarchie
entre les peuples, jadis établit par le racialisme.
Au-delà donc de la morphologie ou des modalités
de leur expression, l'intelligibilité des mobilisations ethniques se
saisit par le concept d'opposition, opposition à l'État, centre
politique s'identifiant à la nation homogénéisante.
Réfraction, en effet, les acteurs se définissent toujours en
référence à cet héritage qu'imbrique, l'essence
même de la distinction dans la précolonie et l'expérience
coloniale de la hiérarchie des races.
Pour penser cette durabilité des dispositions, Bourdieu
introduit le concept d'hystérésis de l'habitus. Ce concept
cherche à désigner le phénomène par lequel un
agent, qui a été socialisé dans un certain monde social,
en conserve, dans une large mesure, les dispositions, même si elles sont
devenues inadaptées suite par exemple à une évolution
historique (révolutions, crises, etc.) ayant fait disparaître ce
monde.
Un exemple, souvent repris, bien que se référant
à un personnage de roman, permet d'illustrer ce phénomène
: celui de Don Quichotte. Chevalier dans un monde où il n'y a plus de
205 René Otayek, op.cit.p.3.
88
chevalerie, et inapte à faire face à
l'effondrement de son univers, il en vient à chasser les moulins
à vent qu'il prend pour d'immenses tyrans.
Ainsi, le passage de l'État colonial à
l'État postcolonial ne marque aucune rupture en la matière.
Certes, l'heure est à la construction de la nation, objectif
proclamé des élites qui héritent des rênes du
pouvoir. La stigmatisation du tribalisme associée à la
délégitimation des appartenances ethniques est au coeur de la
rhétorique politique officielle totalement vouée à
l'exaltation de l'unité nationale et du développement. Les
Pères de la « nation », conscient « peut-être
», de l'illusion identitaire vont tenter, diront-nous, de placer
la confrontation politique « exclusivement au niveau des idées
»206, et « tourner le dos, à la violence physique
aux luttes tribales et claniques »207.
Relativisant ce propos que nous tenons d'une oraison
funèbre, pour montrer les luttes, non sans ethnicité qui vont
aboutir à la construction d'une communauté de destin par les
Pères de la Nation, car ne dit-on pas en pays Bantu, « le mort
n'est jamais mauvais »208.
La compétition pour le pouvoir s'en trouve donc
exacerbée et la mobilisation ethnique s'avère être
l'instrument privilégié des acteurs engagés dans cette
lutte, parce qu'elle fait sens, qu'elle est opérationnelle et facilement
manipulable.
Si nous avons remarquées les homologies structurales
entre les concepts ethnie et nation entre autres, nous devons être en
mesure de distinguer dès lors, malgré l'aspect tautologique,
l'« ethnonation », avec le sens de micronations ou des
nationalités mises en exergue par Nze-Nguema ; de la « nation
moderne » ou de l'Etat-nation, même si nous voulons nous
éloigner de la conception d'un Etat-nation, selon les théories de
Renan, car le recoupement de l'État et de la nation est loin de
correspondre à la réalité. Les États regroupent
souvent plusieurs nations et une nation peut relever de plusieurs
États.
Allons-en, à la définition de la nation
proposée par Renan : « Une nation est une âme, un principe
spirituel. Deux choses qui, à vrai dire, n'en font qu'une, constituent
cette âme, ce principe spirituel. L'une est dans le passé, l'autre
dans le présent. L'une est la possession en
206 V.P. Nyonda, « Oraison funèbre à Jean
Hilaire Aubame » in F.P. Nze Nguema, op.cit, p. 222.
207 Ibid.
208 Sagesse Punu, mais commune à plusieurs peuples
Bantu. D'ordre éthique, il s'agit à travers ce dicton de se
garder de rappeler les vices d'un défunt, et vice-versa, d'en
évoquer exclusivement les valeurs. La démarche sociologique
implique de relativiser cet énoncé de l'oraison funèbre
dédié à J.H.Aubame pour analyser proprement les faits,
quitte à le valider dans nos conclusions.
89
commun d'un riche legs de souvenirs ; l'autre est le
consentement actuel, le désir de vivre ensemble, la volonté de
continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis.
» 209
De l'analyse de l'assertion de Renan, on peut déduire,
dans le contexte africain et gabonais, les deux types de nation que nous
évoquions supra. Et la nation ethnique ou ethnonation
dont la référence principale peut être rattaché
à la notion de communauté chez Tönnies ; et la nation
moderne qui elle, est une référence à la philosophie du
contrat social.
Poursuivons : « ...La nation comme l'individu, est
l'aboutissement d'un long passé d'efforts, de sacrifices et de
dénouements (...). Une nation est donc une grande solidarité,
constituée par le sentiment des sacrifices qu'on a faits et de ceux
qu'on est disposé à faire encore. »210.
Or, « la manipulation du sentiment ethnique, nous dit
Otayek, est possible du fait de l'existence d'un récit identitaire
qui fonde l'unité du groupe ethnique, en façonne la
mémoire collective en reliant le passé au présent et
confère à l'identité revendiquée, la
légitimité de la longue durée historique. Ce récit
raconte le mythe des origines, la geste des héros fondateurs et
décline les symboles, rituels et pratiques collectives qui distinguent
le groupe des autres. Sa fabrication ou plutôt, sa réinvention
passe par le recours à la tradition. Peu importe que cette tradition
réinventée, bricolée, manipulée corresponde ou non
à la vérité historique ; l'essentiel est qu'elle en
présente toutes les apparences et s'impose comme l'unique régime
de vérité »211.
Comment saisir, dès lors, les corrélations entre
les nations ethniques, multiples sans cette historicité commune
évoquée supra et la Nation moderne du contrat social,
à pourvoir d'un destin commun ?
L'argumentaire qui suit, tente de cerner les
corrélations entre les nationalités au sein de l'Etat
postcolonial, leurs ambigüités dans la nouvelle configuration de
l'organisation politique, ensemble, qui démontre des balbutiements,
« errements » avons-nous dit, d'un jeune Etat qui doit contre son
gré, compter avec sa pluralité nationalitaire, pour construire
une communauté de destin.
209 Ernest Renan, Qu'est-ce qu'une nation ? Editions
Mille et une nuits, novembre 1997, n°178, pp.31-33.
210 Idem.
211 R. Otayek, op.cit.
Section I : Une citoyenneté improbable
Des nationalités, c'est-à-dire des micronations
ou encore de l'ethnonationalisme, le Gabon doit passer à la
gabonité, à la Nation moderne ou à l'Etat, qui
confère aux acteurs le statut de citoyen. Evoquer la citoyenneté
dans le Gabon postcolonial consiste à décrire le processus de la
construction de l'Etat au Gabon. Cet Etat est en effet une construction, dont
le présent, doit composer avec le passé pour son futur.
Entre l'hétérogénéité
inhérente à la précolonie et la raciologie du
colonialisme, mettant tour à tour, les différences au coeur
souvent des relations de pouvoir, les micronations doivent se moderniser pour
former, à la manière du modèle jacobin, une Nation.
Cependant, nous avons énoncé supra, que la mutation des
organisations sociales précoloniales, si l'on nous permet ce distinguo,
en organisation politique à travers notamment les royautés et les
empires, n'ont pas freiné la conscience d'appartenance tribale. A
contrario, ces superstructures seront une raison de se remémorer les
infrastructures communautaires, en développant quelques formes,
diront-nous primaires, de tribalisme, dont l'intelligibilité mettra
parfois, au centre des querelles, les privilèges (terre, pouvoir,
etc.)
Des questions subsistent alors : « Gabon d'abord »,
tiers, symbolisant cette modernité nationalitaire fait-il sens, à
l'aube de l'Etat postcolonial ? Les nationalités multiples
présentes sur le territoire dit Gabon se reconnaissent-ils en
l'autorité de l'Etat ? Sur quel substrat construire une
communauté de destin ? Enfin, qui doit gouverner ce jeune Etat ?
Cette nouvelle donne met à contribution, comme le
remarque Nze-Nguema trois protagonistes : l'administration coloniale, les
populations gabonaises et les ressortissants africains212. La
section suivante tente de mettre en lumière, les complicités
perverses entre la racialité coloniale, le retour aux formations
sociales précoloniales et leur reproduction dans l'Etat postcolonial.
90
212 Nze-Nguema, op.cit. p.64.
91
1. L'intégration des nationalités et la
construction de l'Etat
La construction de l'Etat au Gabon eut d'abord à faire
face à l'intégration des nationalités. Or, cette
construction aboutit à la dissolution du multiple dans l'Un. Qu'en
est-il la formation de l'esprit étatique ? Il est, par essence, la mise
en jeu d'une force centripète, laquelle tend, lorsque les circonstances
l'exigent, à écraser les forces centrifuges inverses.
L'État se veut et se proclame le centre de la société, le
tout du corps social, le maître absolu des divers organes de ce corps. On
découvre ainsi, au coeur même de la substance de l'État, la
puissance agissante de l'un, la vocation de refus du multiple, la crainte et
l'horreur de la différence. À ce niveau formel où nous
nous situons actuellement, on constate que la pratique ethnocidaire et la
machine étatique fonctionnent de la même manière et
produisent les mêmes effets : sous les espèces
hérités de la civilisation occidentale et son État se
décèlent toujours la volonté de réduction de la
différence et l'altérité, le sens et le goût de
l'identique et de l'un.
Comment, dès lors faire entorse aux canons
précoloniaux d'organisation politique, pour embrasser la
modernité démocratique ; alors que « nombre de
nationalités au Gabon ne reconnaissent de prééminence
véritable qu'au géniteur, au père, au sens large
»213 et ce, du fait de sa double médiation, en tant
qu'il est « représentant de la communauté lignagère
et l'intermédiaire entre celle-ci et les ancêtres
»214 ?
Nze-Nguema remarque en effet, qu' « avant le
XIXème siècle, on ne fait mention nulle part au Gabon d'une
quelconque organisation politique ou administrative susceptible de
préparer l'édification de l'Etat »215. L'aspect
proprement centralisateur de cette machine étatique apparaît dans
sa tendance à « nationaliser » les populations
hétérogènes conquises et soumises au Léviathan, en
les contraignant à célébrer en priorité le culte du
« Gabon d'abord ».
Aussi, cette construction ne se heurte-t-elle pas enfin, du
fait de la nécessité, de la « transmutation de la
contestation contre l'ordre colonial »216, dont l'aboutissement
devrait, normalement, intégrer le « Gabon d'abord »
à un « nationalisme de substitution217 ».
213 Ibid. p.47.
214 Ibid.
215 Ibid. p. 55.
216 Ibidem, p.56
217 Ibidem, p. 61.
92
L'assimilation qui traduit cette transmutation
institutionnalise les partis politiques. Ces derniers ne vont pas se
dérober de la tyrannie du clan. Les « dérobades » nous
enseignaient déjà, les difficultés des coalitions entre
les races, dans leur réaction à l'ordre colonial. En effet,
celle-ci se caractérisaient par l'affirmation d'une conscience
d'appartenance groupale voire clanique. « La volonté de
protéger sa nationalité l'emporte, affirme Nze-Nguema,
sur la nécessité de fusionner les énergies de lutte
au niveau de tout le territoire »218.
Ainsi, « La mise en forme idéologique des projets
», va arborer la centralité de l'Etat, notamment avec les
rivalités inter-nationalitaires Pongwè-Fang,
caractéristiques, en réalité d'un « nationalisme de
substitution »219.
Les élites, traditionnelles ou modernes et, par
ailleurs « évolués » ont les compétences
nécessaires à la fabrication du récit ethnique ; ce sont
donc elles, ayant entretenues des liaisons avec l'administration coloniale, qui
s'imposeront comme entrepreneurs identitaires autorisés et mettront le
fait ethnique au service de leurs stratégies d'accès au pouvoir
et aux richesses. Il va s'agir, dans cet élan, du rejet des structures
homogénéisantes de la colonialité. En réaction au
« comité provisoire de gérance » de la race,
Pongwè, la « société de secours mutuel pour la race
Fang » va naître, car ces derniers, « n'acceptent,
n'accepterons jamais d'être commandé par les premiers
»220.
En marge de l'idéologie des Pères fondateurs
dont les prétentions se donne pour mission de construire la nation,
leurs actions, sont paradoxalement investi par les logiques ethniques. Et si,
le parti unique trouve une justification entre autres, par sa
présentation comme l'instrument nécessaire à
l'accomplissement de la cohésion nationale, sa réalité, du
fait de l'autorité que l'Etat revêt devient, lui-même, le
répertoire d'action privilégié de l'ethnicité.
La lutte supposée contre l'ethnisme et le tribalisme
est alors, dans un contexte de lutte pour le pouvoir, « le prétexte
à la marginalisation ou, pire, à l'élimination de
concurrents qui présentent une menace pour l'hégémonie du
ou des groupes dominants » 221.
L'illustration patente est le cas de la République
centrafricaine où la succession de chefs d'État (Jean Bedel
Bokassa [1966-1979], David Dacko [1960-1966 puis 1979-1981], André
Kolingba [1981-1993], Ange-Félix Patassé [1993-2003], le
général Bozizé jusqu'en
218 Ibidem. P. 44.
219 Ibidem. p.56.
220 Ibidem. P.57
221 R. Otayek, op.cit. p.4.
93
2012 et les récentes mutations ; s'est
régulièrement traduite par la mainmise sur l'État du
groupe ethnique ou du clan de celui qui était au pouvoir. « La
frontière...la région stratifiée et
surdéterminé de l'adhérence » va être,
l'idéologie via lequel, « le sujet collectif
considère à tort ou à raison comme zone stratégique
où se joue son destin »222.
2. « Gabon d'abord » ou le manifeste politique
des Pères de la Nation
« Pour nous c'était Gabon d'abord ; et parce que
pour nous c'était d'abord le Gabon ». V.P.
Nyonda.
Au-delà des réalités « logiquement
» ethniques de la configuration des comportements politiques des acteurs
postcoloniaux, engagés dans la construction de l'Etat, il est important
de signaler toutefois, qu'ils avaient, en partage la volonté d'un
idéal commun. En effet, « Léon Mba était Gabon
d'abord. Pour lui, le Gabon était Un, en dépit de sa
pluralité ethnique, au-delà des ethnies qui sont une
création divine. C'est l'univers dans sa diversité »,
nous dit Mouity-Nzamba. Cette reprise recontextualisée de la «
doctrine de Monroe » de 1823, devait établir la fibre patriotique
chez les Gabonais.
Guy Hermet, relativement aux sociétés
occidentales, se réfère à l'histoire, pour rappeler que
« l'émergence d'une conscience citoyenne quelque peu
cohérente leur a demandé beaucoup de temps »223.
Jürgen Habermas affirme que la nation prend une connotation contractuelle
ou politique avec la Révolution Française224. Le Gabon
ne fera pas exception à la règle. Faire sens, d'une nation
gabonaise, dans les consciences des peuples différenciés est donc
le défi majeur de l'Etat postcolonial.
Ainsi, « progressivement, le danger commun encouru
apportera la nécessité d'un élargissement des alliances
au-delà du seul clan, de la cellule ethnique »225. Si
toutefois cette assertion vaut plus pour la période coloniale que pour
le Gabon postcolonial, il n'en demeure pas moins qu'elle aboutira au «
Gabon d'abord », leitmotiv du nouveau nationalisme des Fondateurs. Sur
quel substrat « Gabon d'abord » se bâtit-il ?
C'est l'occasion de signaler, comment les dérives
interprétatives de « Gabon d'abord », vont
occasionnées, son usage à des fins xénophobes, exempli
grati, et reproduire donc les
222 Idem.
223 Guy Hermet, Culture et démocratie, Paris,
UNESCO, Albin Michel, 1993, p.193.
224 Habermas, cité par F. Matsiegui Mboula, op.cit.
p.200.
225 Nze-Nguema, op.cit.p.46.
94
schèmes racialistes de la pensée
coloniales226, puisque « la fixation de ce symbolisme,
supposera l'éradication, entre autres « fléaux », de la
présence au Gabon des Africains de la sous-région, voire
au-delà »227.
La construction d'un idéal commun reproduit, les
discriminations, la pureté et l'hégémonie de la nouvelle
race gabonaise, nationalisme qui se fonde dans la différenciation avec
l'altérité et la distinction du « nous » : «
Nous devons résister aux intrigues de Brazzaville, surtout en ce qui
concerne le problème de l'éducation. Nous sommes les descendants
de ceux qui ont permis à la France d'obtenir le Moyen- Congo. Notre
développement ne saurait être retardé ; nous devons
progresser comme tout le monde »228.
L'addition, celle de la devise « Union-Travail-Justice
», qui adviendra plus tard va sceller, non seulement le pacte
d'association de la diversité culturelles et nationalitaires gabonaises
à un imaginaire qui essentialise le destin commun à cette
unité nouvelle, mais aussi le pacte de soumission à une tyrannie
de la nouvelle race ainsi créée.
Si plusieurs avancés, dont l'éducation, du fait
de cette gabonisation, avec le nombre d'école par rapport à
Brazzaville déjà significatif en 1893229, sont
à relever; les évènements sanglants opposant, à
Port-Gentil, Gabonais et Togolais en 1953, sont la conséquence de ce
nationalisme de substitution des schèmes claniques précoloniales,
des idées reçues de la race coloniale, par une réinvention
de celles-ci, une invention de la «xénophobie ».
Une substitution de l'idéologie raciste du colonialisme
sur les Nègres (les Gabonais remplacent dans un jeu de rôle les
colons et les « étrangers » deviennent les Nègres de la
postcolonie), fait sens dans les consciences, pour la construction d'un destin
commun. L'inconsistance, la vanité du « Gabon d'abord » se
trouve ainsi renforcée par le substrat idéologico-racialiste,
a contrario de ce que lui confèrent, les Pères
fondateurs.
Cette idéologie pourvoit, par ailleurs, la construction
de l'Etat au Gabon, d'une illusion communautaire permettant aux acteurs de
surseoir, autant que faire se peut, les querelles intestines qui vont revoir le
jour, une fois, les consciences seront imprégnées de ce
substrat.
226 Nous disions plus haut que le racisme est un
extrémisme de la nationalité.
227 Nze-Nguema, op.cit. p.62.
228 Idem.
229 Idem.
95
L'ambiguïté d'une définition et les
interprétations populaires et stratégiques, car parfois, relevant
de manipulation, vont asseoir l'illusion identitaire, créant
l'imbroglio ethnique.
Section II : Le nationalitarisme et la lutte pour le
pouvoir d'Etat
Le nationalitarisme est au coeur de la structuration
idéologique des clivages dès la mise en modernité
du Gabon. L'étape préliminaire d'une construction nationale
sur les bases racistes va aussi pourvoir les fondements idéologiques des
partis politiques dans la lutte pour le pouvoir d'Etat.
L'identité non plus gabonaise, est promue, en guise
d'idéologie sous le prisme des joutes électorales. La promotion
de la différence du « nous », en référence
à l'altérité supposée en opposition avec ce «
nous » constitue le substrat des clivages entre les partis politiques.
Custodio Gonçalves affirmait en 1986, que la solidarité ethnique
continue de jouer en Afrique dans tous les milieux « modernes » et
« semi modernisés », au niveau de la composition des partis
politiques, des nominations au sein du secteur administratif, du secteur des
services, du commerce, etc.230. Nous nommerons, ce recours à
la fibre ethnique pour les enjeux de pouvoir, l'ethnostratégie.
L'ethnostratégie peut être, à
notre sens définit, comme une stratégie identitaire
recroquevillée sur le groupe ethnique entant qu'entité d'abord
différente des autres qui constitue, avec lui, son univers social et
ensuite, dans son rapport au pouvoir, une ressource pour la mobilisation
politique. L'ethnostratégie se situe dans une spirale d'affinités
avec les théories multiculturalistes, mettant sans cesse en crise, les
démocraties.
Fille des théories multiculturalistes qui postulent que
l'Etat, le droit et les politiques publiques, s'ils se veulent
véritablement démocratiques et équitables, doivent aller
au-delà de la neutralité, de la tolérance et de
l'impartialité libérale usuelle, afin de promouvoir activement la
reconnaissance et la célébration des différences. Ces
théories sont souvent sous-tendues par deux types d'arguments :
Le premier argument est philosophique et Charles Taylor en est
le principal tenant. Il soutient que contrairement à ce qu'assume un
libéralisme « désincarné », prétendant
s'appuyer
230 A.C. Gonçalves, « Différences
culturelles et identités ethniques », Revista da Faculdade de
letras-geografia, I Série, Vol. I, Porto, 1986, p. 46.
96
sur la seule raison pour rejoindre l'universel, notre
identité personnelle ne se construit qu'au sein de communautés et
de relations communautaires. D'où, la nécessité de les
prendre en compte, de les reconnaitre et de les protéger.
Le second, d'ordre éthique, soutient que l'acceptation
des différences singulière est d'autant plus souhaitable qu'il
serait logiquement impossible de faire autrement. Chaque groupe
épouserait des valeurs et des pratiques valables de son point de vue et
il n'existerait pas de point de vue permettant de juger de la
supériorité et/ou de l'infériorité de telles ou
telles valeurs ou pratiques culturelles.
Si l'on peut reconnaitre la morale de ces théories
érigées en réaction contre l'évolutionnisme social
en l'occurrence, il faut signaler aussi que la mise en pratique de telles
analyses, on conduit non seulement à la reconnaissance des droits
culturels, mais aussi et encore à l'idée de citoyenneté
différenciée et à la reconnaissance des droits à
des groupes et pas seulement aux individus. Par exemple, son application
relative à l'aménagement des politiques publiques sur les
minorités tendent à corroborer implicitement, en
réactualisant la dialectique
supériorité/infériorité de certains groupes par
rapport à d'autres. Aussi, les conflits identitaires observés
urbi et orbi, présentent sans doute le revers de ces
politiques.
Quelques critiques méritent encore d'être
soulignées. Contre la thèse philosophique, on rappellera, tout en
admettant la part de vérité qu'elle contient, l'individu ne se
réduit pas à une seule appartenance. Les identités sont
« caractérisées par
l'hétérogénéité et la fluidité :
chaque individu apparait doté de plusieurs qui agiront de manière
différenciée en fonction des contextes »231.
Aussi, la seconde thèse déboucherait sur des
terribles relativismes, tout à fait dans l'esprit du temps, mais fort
contestables : relativisme de la vérité, des valeurs. La
définition sous-jacente qu'on peut alors donner à l'Etat
multiculturel se résume, comme une collectivité supérieure
à celles qui le compose. Par ailleurs, elle s'interdirait,
elle-même d'imposer le droit, qui d'après tout n'est qu'une forme
de culture. Raymond Boudon érigera alors à l'endroit du
relativisme des valeurs une critique des plus élémentaires : si
la tolérance est une valeur, elle ne peut pas être remise en cause
par sa propre conséquence, c'est-à-dire, tolérer
l'intolérance.
231 M. Gazibo et C. Thiriot, La politique en Afrique :
états des débats et pistes de recherche, Paris, Karthala,
p.110.
97
En Afrique, plusieurs crises politiques ont mis au jour des
conflits du fait souvent de l'ethnostratégie. La difficulté
d'élaborer une identité fondée sur un bagage commun est
une problématique qui menace les jeunes démocraties africaines
postcoloniales. L'adhésion des citoyens issus d'espaces culturels
différents à un patriotisme semble se présenter comme une
épineuse question.
Le Gabon, n'est pas exempt des manifestations
subséquentes aux comportements politiques ethnostratégiques. Un
enquêté observe, à ce propos « un certain repli
identitaire du côté des leaders politiques au sein de leurs
formations politiques respectives ».
Les partis politiques et la géopolitique du pluralisme
culturel, entant qu'usages de ethnostratégiques font l'objet de cette
section.
1. Les partis politiques et la tyrannie du clan
La sociologie des partis politiques en Afrique est un cadre
pertinent pour saisir l'intelligibilité du discours nationalitaire. En
effet, les partis politiques au Gabon se fondent sur
l'ethnostratégie, faisant de la nationalité, le substrat
idéologique sur laquelle repose l'adhésion des membres et ce ;
depuis la mise en modernité du continent par son contact avec
la « civilisation ».
La clientèle électorale est, par une relation de
causalité directe, rattachée à la gestation des partis
politique au Gabon. Le marché de l'économie politique moderne
consacre les échanges entre confiance d'une part et promesse d'autre
part.
La confiance, dans cette économie politique, peut-elle
être faite en dehors du clan? Considérons que « la principale
catégorie historique, n'est pas le souvenir, c'est l'espoir, c'est
l'attente, la promesse »232, que peut contenir une promesse,
sinon la gloire, voire le retour à l'histoire glorieux ou la
défense des intérêts de la communauté.
Les lieux lignagers vont sans ambages, servir de
réservoir, de matière première pour la ressource humaine
des partis, la mobilisation partisane, la structuration des
représentations et des comportements politiques. Le leader politique au
Gabon est une reproduction, de l'évolué jadis chef coutumier ou
commis de l'administration coloniale. « Parmi les « indigènes
», on fait
232 Hegel, cité par Nze-Nguema, op.cit. p.45.
98
des « sujets » et parmi les « sujets », on
fait, d'une fraction, des « citoyens », une élite-ce qu'on a
appelé les « évolués » par opposition aux «
immobiles ». Ce sont ces citoyens qui, à leur tour, vont prendre un
héritage : l'Etat colonial. »233
La mise en modernité politique du Gabon se
fait autour de trois partis. En effet, par ordre de création, l'on
citera primo, l'Union Démocratique et Sociale du Gabon(UDSG)
créé en 1947 par J.H. Aubame. Le rassemblement, la promotion des
principes démocratiques et l'idéal socialiste se veulent au
fondement de cette formation politique. Or, il n'est en réalité
pas exempt de la tyrannie du clan, du fait qu'il est assimilé à
un parti de la race Fang. D'ailleurs, son leader ne s'émancipera jamais
du Congrès Pahouin de 1947 à Mitzic.
Ensuite, le Bloc Démocratique Gabonais fondé en
1953 Ngoudjout est de loin, le seul parti qui regroupe plusieurs
sensibilités ethniques. En effet, son urbanité étend sa
« clientèle », de Libreville jusqu'à Port-Gentil, en
passant par le Moyen-Ogooué. Il regroupe, les non seulement les Fang du
Sud (Estuaire et Moyen Ogooué), mais aussi, les Myènè qui
se reconnaissent plus ou moins en Léon Mba. Son brassage et son «
melting-pot » inter-ethniques, lui confère a priori, une
tendance au multipartisme, à l'esprit critique, etc. à un
ensemble de facteurs en marge de l'ethnie234.
Enfin, le Parti de l'Union Nationale (PUNGA) de R.P. Sousatte
est fondé en 1958. En dépit de ce que conclurait une analyse
purement nominaliste, il s'agit plutôt pour le PUNGA de la défense
des intérêts de la race Punu et par extension, aux peuples du Sud.
S'il s'illustre en l'occurrence, par son opposition lors du
référendum organisé par De Gaule en 1958, il n'en demeure
pas moins que le PUNGA est relégué au statut d'un « parti
d'appoint »235.
En réalité le poids de l'identité
ethnique sur les partis et sur l'échiquier politique nationale renvoi
particulièrement à l'interface Pongwè-Fang. Bipolarisation
d'antan, réactualisée à travers l'opposition BDG-UDSG. Si
c'est plus « le racisme que la conscience »236 qui détermine
le scrutin du 31 mars 1957, c'est Léon Mba, qui est confirmé
comme leader du BDG et de la scène politique locale. C'est à son
profit, que les faiblesses de l'ethnostratégie dont la consistance,
trouve l'appui au sein principalement de la tribu des candidats (Aubame et
Issembe) que les suffrages seront capitalisés.
233GEMDEV, op.cit. p. 326.
234Nze-Nguema, op.cit. , p. 67.
235 Idem.
236 Nze-Nguema, op.cit. p.69.
99
Cette élection est une révolte à l'ordre
coloniale, principal théoricien de la supériorité des
Pongwè, mais aussi, révolution contre une science qui
établit la parenté de l'Egypte pharaonique avec la race Fang, la
dotant ainsi, d'une supériorité idéologique sur les autres
peuples237. Memêl Fotê évoque, à propos de
ce suffrage universel, « un moment de rupture » qui engage « la
Loi-Cadre dans le système colonial français »238.
Le melting-pot du BDG garantit donc son succès. C'est
l'ancêtre du Parti Démocratique Gabonais (PDG) contemporain.
L'émergence du PDG s'opère en 1967, à
l'aube du décès de Léon Mba. Une transition pacifique voit
arriver, à la tête du Gabon, Albert Bernard Bongo. Cette
période est aussi marqué par la législation du
monopartisme qui va cesser d'être le monopartisme de fait, tel
qu'observé après le coup d'Etat ourdi contre Léon Mba
quelques années plus tôt. Pour Emmanuelle Nguema-Minko, « en
dehors du PDG qui a toujours affirmé son envergure sur le plan national,
les militants de tous les autres partis sont généralement de la
même famille, du même clan, de la même ethnie que leur leader
politique »239.
La contemporanéité des partis politiques au
Gabon reproduit l'ethnisme dans son action. Harris Memêl Fotê
questionnait déjà le lien entre les « évolués
» et la reproduction de l'assujettissement après les
indépendances. « Ceux qui dans le système colonial,
étaient déjà « citoyens » s'opposent
désormais aux « évolués citoyens » ; les deux
catégories s'opposent aux autres « sujets », aux «
indigènes ». Le spécimen ici, c'est Senghor, c'est
Houphouët-Boigny. Ils s'approprient tout l'héritage de cette
période, à travers les partis dominants ou les partis uniques.
Alors en même temps se met en place un autre processus : en même
temps que le parti unique confisque les avantages de la période
protodémocratique, se met en place une hiérarchie interne
fondée sur la suprématie d'une ethnie »240.
L'énumération de Nguema Minko nous semble
illustrative de la « tribalisation des partis politiques au Gabon. Le
MORENA, le premier parti de l'opposition gabonaise, comptent comme principaux
leaders, des acteurs de nationalité Fang. A la suite d'un malentendu
« idéologico-financier » selon Nguema-Minko, une scission sera
opérée dans le parti, pour donner naissance à plusieurs
autres partis. M. Mebalé crée le RDR pour son voisinage ; A.
Nguema Ondo crée le MORENA Unioniste, pour sa famille, Nzoghe-Nguema
crée le
237 Nze-Nguema, op.cit.
238 GEMDEV, op.cit.
239 E. Nguema Minko, « La géopolitique du
pluralisme culturel au Gabon : stratégies de longévité au
pouvoir et techniques gouvernantes clientélistes », in
Enjeux, N° 37, 4ème trimestre 2008, p. 249.
240 Idem.
100
MORENA calebasse « pour son quartier Lalala » et Nze
Memine hérite de son Bitam et du MORENA originel à la mort
d'Oyono Aba'a241.
Le Rassemblement National des Bûcherons(RNB), de Mba
Abessole et d'André kombila, va se diviser au prorata des
leaders et de leurs ethnies. Respectivement Rassemblement Pour le Gabon(RPG)
pour l'électorat fang et Rassemblement National des
Bûcherons Démocrates (RNBD) pour l'électorat punu
et bilop. D'autres partis, le PGP et L'UPG et le PSD en
l'occurrence, ne sont pas exempt de la tyrannie du clan242.
Les élections au Gabon donnent
généralement lieu à des invocations et convocations de
l'identité ethnique dans les discours des candidats. Rappelons-nous
qu'en 1994, au pire moment de la crise sociopolitique au Gabon, Jean-Boniface
Asselé, Ministre de la République gabonaise appellera à la
création d'une « république du Haut-Ogooué-Lolo
». Trouvons par ailleurs, chez Matsiegui Mboula un exemple
idéal-typique du discours nationalitaire.
Il s'agit d'un Ministre de la République, Louis Gaston
Mayila qui présente son parti en 1996 aux élections
législatives et locales. « (...) Vous les Gisir êtes
ingrats ! Les Punu, les Fang, les Myénè, les Kota... ont leur(s)
parti(s) politiques et moi j'ai créé un parti politique qui a
pour ambition de rassembler tous les Gisir afin de restaurer le crédit
et la dignité de notre groupe tribal dans la vie politique gabonaise. Je
suis le seul Gisir qui porte la voie de notre tribu sur le plan politique
national. Sans moi le peuple Gisir sombrerait dans l'anonymat et les autres
groupes tribaux ou ethniques à qui nous n'avons rien à envier
nous domineraient. Je vais rendre au peuple Gisir les honneurs qui lui
reviennent de droit. Lorsqu'en 1995 vos enfants furent interpellés c'est
moi qui les sortis de prison. Et au lieu d'être des prisonniers à
cause des émeutes dont ils furent acteurs, je fis d'eux des
fonctionnaires de police. Soyez reconnaissants et à ce titre je vous
demande d'installer à la tête de vos institutions politiques des
représentants de mon, de votre parti. Si vous laissez d'autres partis
politiques, entités d'autres ethnies, diriger l'Assemblée
départementale en territoire Gisir vous aurez vendu Mandji aux
étrangers ! Votez pour le candidat de notre parti et Mandji restera aux
mains des Gisir (...) »243
Entre 2009 et nos jours, plusieurs évènements,
plus récents que l'on peut lire sous le prisme du discours
nationalitaire vont se produire. Et si l'on s'en tient à la
configuration des
241 Nguema Minko, op.cit.
242 Ibid.
243 Louis Gaston Mayila, cité par Matsiegui Mboula,
op.cit. p.233.
101
résultats de l'élection présidentielle
d'août 2009, on peut conclure d'un vote ethno-orienté.
D'après le commentaire de cet enquêté, publié sur la
plateforme participative du média en ligne Gabon review, «
Pour la plupart, les Fangs étaient derrière Mba Obame parce
qu'il est Fang, il ne faut pas le nier, les Mériés étaient
derrière Mamboundou parce qu'il est Mérié, au
Haut-Ogooué et Ogooué-Lolo, c'est Ali Ben qui garantissait la
conservation des privilèges de vote ».
Désiré Ename, un journaliste du quotidien
Echos du Nord rapporte que la campagne présidentielle qui
s'ouvrit le 15 août 2009 fut émaillée d'actes tribalistes
dans les provinces du Haut-Ogooué et de l'Ogooué-Lolo. «
Un cadre altogovéen passera sur les antennes de la
télévision publique pour déclarer ouvertement qu'aucun
candidat fang ne devait mettre les pieds dans le Haut-Ogooué. En
Ogooué-Lolo, précisément dans les communes de Koula-Moutou
et de Lastourville(...), des banderoles portant le message «Tout sauf Fang
(TSF) « » étaient clairement visibles dans les principales
artères (des deux villes)»244.
Signalons en passant que le journal Echos du Nord
porte comme par enchantement et par hasard, l'empreinte d'une
région, province et par extension d'une nationalité. L'on peut
s'interroger, à partir de cet exemple, à travers une
enquête, les choix des quotidiens d'information et les clivages
ethnopolitiques. Si nous avons abandonné une enquête qui devait
nous permettre l'élaboration des corrélations ethnie/lecture, du
fait des problèmes éthiques suscités par les statistiques
ethniques245 ; nous pouvons toutefois émettre
l'hypothèse d'une orientation ethnopolitique des lectures par les
acteurs. La lecture des quotidiens d'information est donc ethnocentrée.
Cependant, cette variable ne suffit pas pour comprendre ce
phénomène sans intégrer le facteur politique. Ce clivage
n'est-il pas à l'origine de la parution récente, en guise de
réaction, supposons-nous, à tort ou à raison, de
l'hebdomadaire La tribune du grand Sud.
La « déclaration aux relents tribalistes de Michel
Ogandaga », Conseiller du président de la République et
membre du Bureau politique du PDG qui pointe les Fang comme Les Fleurs du
mal du PDG ; qui depuis cette même période enregistre des
démissions des hauts cadres : « ...même si la
traîtrise de nombreux militants PDG du Woleu-Ntem ne surprend personne,
cette province a toujours été le bastion du judaïsme,
antichambre du salafisme. Aussi, pour mettre fin à cette saloperie, le
grand ménage doit être fait maintenant dans le PDG. Je
demande
244 L'article en ligne peut être consulté sur cette
URL :
http://i241.ga/921
245 A cet égard, lire Dominique Schnapper, in Actes du
Colloque Statistiques «ethniques», organisé le 19 octobre
2006 par le Centre d'analyse stratégique (CAS).
102
donc des sanctions ferme (sic) et immédiates contre
ces ordures : exclusion illico presto du PDG, limogeage manu militari de toute
fonction officielle, suspension à vie de tout revenu, salaire, pension,
retraite etc.»246 L'hebdomadaire d'informations
générales L'Aube, publiera en Une, le « titre
provocateur »247 « Tuez-les tous », dans son
numéro 11, du lundi 27 janvier 2015, avec photos à l'appui,
présentant une liste d'hommes et de femmes, tous issus de la
nationalité Fang, « en attente d'exécution » diront
nous, en reprenant l'hebdomadaire. (Voir annexes).
Cette « boutade » et la récupération
politique qu'elle a suscitée ont renforcé, à n'en point
douter, les représentations ethniques du groupe fang et les
cristallisations entre ce groupe et les autres nationalités.
Les obsèques d'André Mba Obame, un opposant au
régime dont il était lui-même issu ont donné lieu
à une des plus importantes mobilisations ethniques. La veillée
mortuaire de ce « Fang à abattre » selon
l'hebdomadaire L'Aube, au siège de l'Union Nationale va donner
lieu à une récupération tribale de la mort d'un des «
leurs ». La « langue de passe » était le
dialecte du groupe ethnique de l'opposant. Cependant, la motivation qui
mobilise et fait sens, à travers ces faits, imbrique la
nationalité aux enjeux de pouvoir. Il n'est pas rare d'entendre la
conscience populaire penser que « les Tékés devaient,
doivent et devraient restituer le pouvoir au Fang, selon la volonté de
Léon Mba »248. Aussi, faut-il rappeler que pour les
populations du Nord du Gabon, Mba Obame était le «
Président de la République élu
»249.
Matsiegui Mboula nous démontre d'ailleurs que l'ethnie
est un pouvoir mobilisable. Pour ce dernier, « la mobilisation des foules
au nom de l'ethnie est une démonstration de force. Elle permet
d'évaluer la capacité d'une telle interprétation à
deux niveaux. Pour ceux chargés de réaliser le projet ethnique,
il s'agit de rendre compte de la force mobilisatrice des signifiants ethniques
qu'ils mobilisent, de l'emprise qu'ils leur procurent sur l'ensemble
culturellement « idéologisé »250. A
l'égard d'autres ethnies, enfin chacune a le souci de paraître
organisée, structurée et forte. La psychologie des groupes
ethniques est alors celle des individus qui la dirigent et agissent en son nom
»251.
246 Jean Marie Ogandaga, propos publié sur son compte
Facebook, le 31/01/2014 à 07h : 44 :46 consulté le 08 Mars 2015,
sur
www.gaboneco.com
247 Selon ASMP, auteur de cet article sur
www.gaboneco.com
248 Propos d'un enquêté recueillis sur
www.gaboneco.com
249 Sur une banderole, lors de ses obsèques à
Oyem, capitale du Woleu-Ntem, nous lisions une inscription alléguant le
titre de Président de la République à « AMO
».
250 Matsiegui Mboula, op.cit. 243,248,
251 Ibid. p. 254.
103
Une objectivation ou une revalorisation du sens commun ne nous
permet-il pas d'affirmer que Mba Obame était dans l'imaginaire collectif
des peuples Fang, « le Président » par lequel, le projet
ethnique consistant à « récupérer le pouvoir que
Léon Mba à donner à Bongo et que les Téké
devraient restituer au Fang » devait se réaliser ?
L'ethnie est donc cette communion entre les membres d'un
groupe ethnique. La sauvegarde de l'ethnicité au sein de l'ethnie, comme
du reste dans toute institution, nécessite une cohésion interne,
une harmonie qui puisse faire converger les coeurs et les actes dans une
direction unique, celle de l'horizon de l'idée oeuvre.
La réalisation de cet idée oeuvre, idée
force, ajouterons-nous, doit puiser nécessairement dans la synergie qui
rend efficiente, l'agir ethnique. A « la communication doit s'ajouter la
communion des âmes et des corps, car c'est dans la communion que le
contact direct s'installe et que chacun vit en lui-même l'objet de la
quête. La communion serait de ce faut le principe spirituel de
l'ethnicité »252.
« Au niveau empirique, l'existence de l'ethnie tient
à une double communion : celle des hommes entre eux d'une part, et celle
de ces derniers avec l'idée oeuvre d'autre part. Ainsi mobilisés
à leur industrie, les membres de la communauté ethnique forment
une chaîne d'ouvriers se confondant avec sa production. En effet, le
produit de l'activité ethnique n'est pas extérieur à
l'ethnie elle-même. L'Ethnie produit l'homme ethnique et la
communauté qui lui correspond. L'Ethnie est par conséquent sa
production. Le produit est le devenir ethnique de chacun et du groupe ; autant
dire que l'ethnie se produit elle-même. La communion serait alors le mode
de production ethnique. »253
L'histoire de l'opposition gabonaise est faite d'ailleurs de
tentatives de dépassement du cadre ethnique, et de retour à la
communauté ethnique, lors des grandes échéances
électorales, où se dessinent, à n'en point douter, le
dessein des idées oeuvre divergentes et « inconciliables ». Le
repli identitaire participe de ce jeux de va et vient des leaders politiques,
non émancipés encore de la tyrannie du clan, dans un contexte
démocratique.
Enfin, on peut affirmer que ce jeu contribue à
surseoir, à chaque fois, la « transition » électorale,
enjeu proclamé des discours des leaders politique de l'opposition. Il va
sans dire que gagner une élection dans ce contexte, présuppose de
transcender ces frontières pour embrasser
252 Dominique Etoughe Mba, cité par Matsiegui Mboula,
op.cit. p. 257.
253 ibidem
104
la totalité des sensibilités ethniques. Cette
question capitale est au centre des débats dans l'opposition, tel que
nous rapportent les médias. Il porte en l'occurrence sur la
problématique d'une candidature fang pour l'opposition, lors de
l'élection présidentielle de 2016254.
C'est « peut-être » là, la clé
des succès répétés, qui confèrent au PDG son
hégémonie. Car, si le compte rendu des usages de
l'identité ethnique nécessite de les appréhender, sous le
prisme des stratégies de pouvoirs, une stratégie opposée
à l'ethnostratégie, peut sembler opératoire et faire sens
dans les luttes électorales. C'est ce que Matsiegui Mboula nomme la
géopolitique, c'est-à-dire, au sens de Thual, où elle
désigne, « le partage de l'espace politico-administrative en
fonction de l'appartenance tribalo-régionale »255. Il
s'agit autrement dit, de la distribution des portefeuilles ministériels
entre autres, dans le quasi respect des équilibres régionales et
ethniques.
2. La géopolitique du pluralisme culturel
« L'un des problèmes majeurs qui s'est posé
à l'Etat colonial gabonais, comme certainement aux autres jeunes Etats
africains a été celui de l'unité ou de
l'intégration nationale dans des espaces tracés au gré des
intérêts de la colonisation et non des peuples concernés,
lors de la conférence de Berlin de novembre 1884 à février
1885, à l'initiative de Bismarck. Le problème de
l'intégration du Gabon, après la colonisation, se trouve
posé d'emblée, par l'existence ou par la nature même de la
nouvelle société politique qui allait très vite se
généraliser : l'Etat-nation. Or, l'Etat-nation, importé
d'Occident, apporte avec lui son soubassement idéologique qui lui
(re)commande de souder les différents peuples ethnies) qu'il
contrôle autour d'un projet politique commun. La puissance colonisatrice
française véhiculera dans tous ses territoires colonisés
son modèle de type jacobin »256.
La géopolitique est donc une réponse à
cette problématique. Or, théoriser l'ethnicité
disions-nous supra, ne revient pas à fonder le pluralisme
culturel, comme modèle d'organisation sociopolitique, mais plutôt
à examiner les modalités selon lesquelles une vision
254 Plusieurs journaux donne à de ce débat le
caractère d'un problème à prendre en compte. Lire entre
autres, Le Temps, N° 481 du Mercredi 24 juin 2015, p.1.
255 F. Matsiegui Mboula, « La
«géopolitique« au Gabon : Institution d'exercice de la
violence de l'imaginaire », Gabonica, N°5, Novembre 2011,
p.59.
256 Ibidem, p. 61.
105
ethnique du monde est rendue pertinente pour les
acteurs257. Nze-Nguema propose alors de l'appréhender sous
une double finalité : « l'équilibre régionale
viserait à une meilleure répartition des ressources physiques et
humaines à toutes les régions du territoire. Le
clientélisme exprimerait l'emprise des oligarchies nationales sur
l'ensemble de la vie politique. Les deux phénomènes s'opposent
dans leurs principes d'engendrement ; ils sont convergents dans leurs
incidences empiriques. Le clientélisme, du fait de sa
généralisation, constituerait comme le tribalisme et le
régionalisme un obstacle quasi insurmontable à l'éclosion
de la conscience nationale »258.
Si les critiques sur cette organisation politique la
décrivent en général, comme une stratégie de
longévité au pouvoir, c'est son effet contre intuitif,
selon l'expression de Boudon, qui pour notre part, offre le plus
d'opportunités de lecture des usages sociaux de l'identité
ethnique. On peut dès lors porter le grief à Emmanuelle Nguema
Minko, avec sa « géopolitique du pluralisme culturel ». Mais
ce serait à tort, car elle, titre un chapitre de son ouvrage, « La
géopolitique au rabais »259.
En s'appuyant sur la « célèbre et fameuse
» réplique du « Vas-y demander au ministre de chez toi
», elle ressort les limites de cette « géopolitique
». Les conséquences qui ont suivront seront de désigner, les
ministères exempli grati, « non pas en fonction de leur
compétence, mais en fonction de la commune ou la province dont est
originaire le ministre »260.
La conscience populaire ne reprend-elle pas souvent et
toujours et aujourd'hui encore, ces conceptions : « le
ministère des gens du Haut-Ogooué » ou le «
ministère des Fang », pour parler respectivement de la
Défense nationale et l'Education nationale. Les récents
remaniements ministériels ont vu le mécontentement des Fang de
l'Estuaire, lorsque la fonction de Premier ministre a été
confiée à un Fang du Nord. Mais remplacer à ce poste un
« Fang par un Fang » à plus ou moins atténuer
les rancoeurs qui auraient pu être encore plus violentes, à en
croire les diatribes que nous rapportent les journaux261, «
si une autre ethnie » y avait été affectée.
D'ailleurs, « les Fang savent que c'est leur ministère et c'est
ainsi» nous dit un internaute. Revenons cependant, un peu plus loin
dans l'histoire du Gabon.
257 Poutignat P. et Streiff- Fenard J., Théories de
l'ethnicité, Paris, PUF, 1995. , p.17.
258 F.P. Nze-Nguema, op.cit. p.127.
259 E. Nguema Minko, op.cit. p. 248.
260 Ibid.
261 Plusieurs journaux ont en effet commenté cette
actualité qui apparemment enseignait la rationalité
technobureaucratique.
Nze Nguema, affirme que les « régions où la
scolarisation s'avère la moins élevée seraient les plus
importantes pépinières des cadres administratifs
»262. L'auteur renvoie ces faits, entre autres, au degré
du militantisme. Cela nous permet de signaler que le ministère de
l'éducation nationale est longtemps considéré, dans la
conscience commune au ministère du groupe fang.
106
262 Nze-Nguema, op.cit.p.125.
107
Chapitre IV : Le nouvel esprit de la
nationalité
Dans Le Nouvel esprit du capitalisme, Luc Boltanski
et Eve Chiapello constatait la formation depuis quelques années d'un
nouvel esprit du capitalisme, définit comme « l'idéologie
qui justifie l'engagement dans le capitalisme ». L'esprit du capitalisme
fournit aux acteurs sociaux des raisons individuelles et des justifications
collectives pour adhérer à sa logique. Ce constat est issu de
l'analyse des textes de management, révélateurs de la politique
menée par le capitalisme au sein de l'entreprise, de deux
périodes : 1959 à 1969 et 1989 à 1994. Les textes des
années soixante critiquent le capitalisme familial tandis que les textes
des années quatre-vingt-dix dénoncent les grandes organisations
hiérarchisées et planifiées. Cette mutation, sinon, sa
fonctionnalité est l'idée que nous voulons emprunter, dans ce
chapitre pour expliquer la transposabilité de l'ethnicité, dont
les expressions ne relèvent plus toujours, des modes primaires, à
travers lesquels on l'a connu jadis et qu'on « croit » le
reconnaitre.
Bourdieu écrit que les dispositions constitutives de
l'habitus sont, non seulement durables, mais aussi transposables. Autrement
dit, les dispositions acquises dans une certaine activité sociale sont
transposées dans une autre activité. Dans notre cadre, il s'agit
d'entrevoir l'actualité de l'ethnie par rapport à son
historicité. C'est-à-dire, les dispositions acquises pendant la
socialisation et ayant engendrées des habitus ethniques, peuvent
être transférées dans une activité sociale
différente de celle du champ de leur engendrement. L'habitus qui flirte
dans des subtilités quasiment insaisissables est transposé. Cela,
laisse supposer une métamorphose encore plus complexe à
saisir.
Ce propos porte sur le questionnement de la gabonité,
dans ses retranchements et dans ses recompositions et recoupements. La
territorialité, la consanguinité ou l'utérinité, la
patronymie, le droit et les logiques métisses sont ici mis en
discussion.
Section I : Qu'est-ce qu'un Gabonais ?
L'image de la radiation de Jean Marie Le Pen du Front national
(FN), parti dont il est le fondateur et par ailleurs, Président
honoraire, reste, à la lecture des motifs, sujet à de vives
polémiques. D'ailleurs, l'intérêt des quotidiens et
magazines d'information pour ce sujet témoigne de l'importance du
débat qu'il a engendré. En effet, ce dernier impliquait dans ces
propos, Manuel Valls, Premier ministre de la République
française, selon lui, français
108
seulement depuis « trente années »
comparativement à un « lui-même », dont les racines de
la « francité » repose sur un millier d'années.
Dans quel intérêt Le Pen évoque-t-il
l'identité nationale du Premier ministre en termes de durée ? Et
pourquoi, ce propos suscite-t-il l'intérêt de toute la classe
politique française qui va alors fustiger l'attitude du fondateur du
F.N. ?
Au Gabon, le jeu politique intègre, manifestement,
depuis 2009, la question de l'identité nationale, dont des
personnalités, non les moindres, sont mises en cause. Mais la
référence à l'identité nationale a toujours
demeuré les représentations des acteurs sociaux. Ainsi
entend-t-on urbi et orbi, dans le discours commun, « Qui est
plus Gabonais que qui ? », « Gabonais 100% », « Gabonais de
naissance », « Gabonais d'origine étrangère »,
« Gabonais d'adoption », « il est café au lait »,
« on n'est tous Gabonais ». Par ces nominations
particulières, le sens commun opère une hiérarchie des
origines.
1. Du droit à la gabonité
L'acquisition de la nationalité gabonaise est
régit par la loi n° 37/98 du 20 juillet 1999, portant Code de la
nationalité gabonaise, et le décret n° 767/PR/MJGS du 16
octobre 2002 portant application de certaines dispositions du Code de la
nationalité.
L'acquisition de la nationalité gabonaise se fait
d'abord en raison de la naissance au Gabon. Selon l'article 11 du Code de la
nationalité gabonaise, possède la nationalité gabonaise
à titre de nationalité d'origine : l'enfant qui a, au jour de la
naissance et quel que soit le lieu de celle-ci, un parent au moins de
nationalité gabonaise ; l'enfant né au Gabon de parents inconnus
ou apatrides. Toutefois, cet enfant sera réputé n'avoir jamais
été gabonais si, au cours de sa minorité, sa filiation est
établie à l'égard de parents étrangers.
Par ailleurs, possède également la
nationalité gabonaise à titre de nationalité d'origine,
sauf à la répudier dans les douze mois suivant sa majorité
: l'enfant légitime né au Gabon de parents étrangers, si
l'un d'eux y est lui-même né ; l'enfant naturel né au
Gabon, lorsque celui des parents étrangers à l'égard
duquel la filiation a d'abord été établie y est
lui-même né.
L'article 12 ajoute que l'enfant nouveau-né,
trouvé au Gabon, est présumé jusqu'à preuve du
contraire être né au Gabon.
109
La nationalité gabonaise peut-être acquise par
une attribution en raison de la filiation. Ainsi, l'enfant légitime dont
l'un des parents au moins est gabonais à la nationalité
gabonaise. De plus, l'enfant naturel, lorsque l'un des parents au moins
à l'égard duquel sa filiation est établie est gabonais, a
lui-même la nationalité gabonaise (article 13 du Code de la
nationalité gabonaise).
L'acquisition de la gabonité se fait aussi par
l'attribution par voie de reconnaissance. En effet, d'après l'article
14, peut se faire reconnaître la nationalité gabonaise à
titre de nationalité d'origine : toute personne née au Gabon de
parents étrangers, ayant souscrit sa déclaration dans les douze
mois précédant l'accomplissement de sa majorité, à
condition d'avoir à cette date son domicile ou sa résidence
habituelle au Gabon depuis au moins cinq années consécutives ;
toute personne née dans une localité d'un État frontalier
du Gabon, située dans un rayon de vingt-cinq kilomètres du
territoire gabonais et ayant souscrit sa déclaration dans les douze mois
précédant l'accomplissement de sa majorité à
condition d'avoir son domicile ou sa résidence habituelle au Gabon
depuis au moins dix années consécutives ;toute personne qui,
ayant été recueillie au Gabon avant l'âge de quinze ans, y
a été élevée soit par l'Assistance publique, soit
par une personne de nationalité gabonaise ; toute personne qui a perdu
la nationalité gabonaise par l'effet d'une renonciation faite en son nom
durant sa minorité.
Il peut s'agir d'une attribution par l'effet du mariage, selon
l'article 22. Une personne de nationalité étrangère qui a
épousé une personne de nationalité gabonaise acquiert la
nationalité gabonaise. Cependant ce même article pose des
conditions pour que cette disposition prenne effet : il faut une demande
expresse de la part de la personne de nationalité
étrangère ; cette demande ne peut avoir lieu qu'après
l'expiration d'un délai de 3 ans à compter de la date de
célébration du mariage ; et par voie de conséquence, le
mariage ne doit pas avoir été dissous ; le tout, sous
réserve de l'article 23.
D'autres dispositions légales permettent une
acquisition de la gabonité. Il s'agit entre autres, l'acquisition par
l'effet de l'adoption de l'enfant et de la réintégration ou de la
naturalisation des parents. L'article 25 dispose que l'enfant mineur,
adopté par une personne de nationalité gabonaise, acquiert cette
nationalité lors de l'adoption. Mais ce dernier peut la répudier.
Toutefois, l'article 26 ajoute que les enfants mineurs, même
adoptés, des personnes réintégrées ou
naturalisées dans la nationalité gabonaise, en application des
dispositions des articles 28, 31 et 33 ci-après, acquièrent ou
retrouvent, s'il y a lieu, la nationalité gabonaise à la date
d'effet de cette réintégration ou de cette naturalisation.
110
Pour ce qui concerne l'acquisition par l'effet de la
réintégration, l'article 27 énonce que « la
réintégration dans la nationalité gabonaise est
prononcée par décret, pris après enquête sans
condition d'âge ou de délai, sous réserve que
l'intéressé apporte la preuve qu'il a eu la nationalité
gabonaise et justifie de sa résidence au Gabon au moment de la demande
».
L'acquisition par voie de naturalisation quant à elle,
n'est jamais de droit, elle doit être demandée par
l'intéressé (art. 30). Mais l'article 31 pose des conditions
à cette naturalisation. Exception faite de l'acquisition de la
nationalité par naturalisation de l'article 30 et par
réintégration de l'article 27 qui sont obtenus par les effets
d'un décret du président de la République, les autres cas
de figure relèvent de la compétence des tribunaux de
première instance des lieux de résidence des
requérants.
Les critique suscitées par la thèse
élaboré jadis par Patrick Weil en 2002, dans Qu'est-ce qu'un
Français ? Histoire de la nationalité française depuis la
Révolution, peuvent éclairer sur l'impertinence d'une
perspective analytique qui essentialise le droit pour définir
l'identité nationale. En effet, si en lui reconnait d'avoir tenté
de mettre fin à un éternel débat qui problématise
sans cesse, l'identité nationale en France, en rappelant par un truisme,
que c'est l'Etat seul, via le droit, qui confère la qualité de
Français aux individus. Et cette qualité permet à son
détenteur de s'en prévaloir sans restriction aucune.
Conclure ainsi, c'est essentialiser le droit, ce qui d'un
point de vue juridique est légal pour la détermination de
l'identité nationale. Pourtant c'est aussi marginaliser les substrats
sociologiques, qui structurent les représentations mentales des
individus. Le droit suffit-il à faire un Gabonais ?
Notre (re)questionnement de l' « essence » de la
gabonité est justifié par les récentes propositions de loi
présentée par le Président de l'Assemblé Nationale
et initiée par le Président de la république lors de son
allocution prononcée, le 12 septembre 2012, devant le Parlement
réuni en congrès. Celle-ci s'inscrit dans la lutte contre le
« tribalisme et la xénophobie », eu égard au
discours nationalitaire qui, à la manière du Front national en
France, repose sur une démarche qui se dédouane du Droit dont
l'optique d'inculper, par l'arbitraire, pour fausse identité, ses
adversaires politiques.
« Le Président de la République avait
fortement regretté et condamné, à juste titre, les
manifestations de tribalisme et de xénophobie qui ont cours dans le
pays. (...) la persistance de
111
ces pratiques constitue un risque majeur de
déstabilisation de notre pays, en particulier, lorsqu'elles sont le fait
de leaders politiques ou de personnes dépositaires de l'autorité
»263. D'où le « questionnement de notre
dispositif juridique »264 qui, « laisse
apparaître un vide qui peut être considéré comme le
terreau de toutes les dérives constatées
»265.
Voici, l'extrait de des articles 6 et 9 de cette proposition
de loi : « Quiconque soit par paroles, gestes, écrits, images
ou emblèmes, soit par tout autre moyen, aura manifesté de
l'aversion ou de la haine raciale, ethnique, tribale, régionale ou
l'intolérance religieuse à l'égard d'une personne ou d'un
groupe de personnes ou aura commis un acte de nature à provoquer cette
aversion ou cette haine sera puni d'une peine d'emprisonnement de six mois
à deux ans et d'une amende de cinq cent mille francs à cinq
million de francs, ou l'une de ces peines seulement. Si l'infraction est
commise par un dépositaire de l'autorité dans l'exercice de ses
fonctions, la peine est portée au double ».
« Si l'infraction a causé une
désorganisation des pouvoirs publics, des troubles graves, un mouvement
sécessionniste ou une rébellion, le coupable est puni de la peine
d'emprisonnement à perpétuité. » Et dans l'article 9,
« la diffamation, l'injure ou la menace faite envers une personne ou d'un
groupe de personnes qui appartient par son origine à une race, à
une ethnie, à une religion ou à une nationalité
déterminée, est punie d'une peine d'emprisonnement de cinq
à dix ans et d'une amende de 5.000.000 francs à 50.000.000 de
francs, ou de l'une de ces peines seulement. Ces peines sont portées au
double si l'infraction a été commise par la voie de la presse, de
la radio ou de la télévision ».
Le point suivant porte sur la discussion du droit à
l'épreuve des représentations des Gabonais de leur
nationalité.
263 Extrait du discours du Président de
l'Assemblé nationale présentant le projet de loi contre le
tribalisme et la xénophobie.
264 Ibid.
265 Ibid.
112
2. La hiérarchie des origines de la
gabonité.
Porter un regard critique sur la gabonité c'est aussi
interroger le sens commun, pour établir notamment, les critères
qui peuvent sous-tendre une hiérarchie des origines de la
gabonité.
Présentons tout d'abord ce tableau des
représentations de la gabonité. Les occurrences relevées
ici, sont les résultats de l'analyse de contenu de trois focus group
portés sur dix individus chacun. Le débat a été
organisé autour de la question « qu'est-ce qu'être Gabonais
?». Nous présentons ici une lexicographie de nos
enquêtés.
Références
|
Nombre d'occurrences
|
Lexique
|
Souche et autochtonie
|
23
|
Histoire-autochtones- Gabon d'abord
|
Héritage et hérédité
|
15
|
Naissance-Sang-Territoire
|
Métissage
|
8
|
Café au lait-50 %- demi-sang,
moitié-moitié
|
Droit et loi
|
5
|
Naturalisation-adoption-mariage
|
Total
|
51
|
|
|
Tableau 1 : Représentations de la
gabonité.
Le droit confère une légalité à la
gabonité acquises en dehors des cadres classiques, reconnus comme
légitimes par le sens commun. La naturalisation exempli grati
est une opération d'ordre juridique par laquelle est reconnue
à un étranger la qualité de Gabonais, qui s'accompagne de
l'attribution de tous les droits ouverts au national, en premier lieu
politiques. Pourtant, malgré leur nouvelle condition, depuis quelques
années, les naturalisés se déclarent de moins en moins,
indiscutablement Gabonais. Le sens commun les définit par des
références distinctives: « Gabonais d'origine
étrangère », « Gabonais d'adoption », parfois
péjoratives comme « Gabonais d'occasion » par
opposition aux « Gabonais de souche » dont ils savent
consciemment ne pas faire partie.
Aussi, les discours du gotha politique au Gabon, dont les
discours à la nation du Président de la république, ne
procèdent-ils pas une distinction entre les Gabonais «
d'origine » et les Gabonais « d'adoption ».
Une parution récente de l'hebdomadaire La Loupe, qui
écrivait en une, qu'« En 2015, il n'y aura quasiment plus de
Gabonais autochtones dans les quartiers Petits (sic) Paris, Mont Bouet,
(quartiers en majorité peuplés des ressortissants de l'Afrique
de
113
l'Ouest) »266. Le journal ajoute que
ce « grand projet de l'actuel chef de l'Etat, Ali Bongo Ondimba, de
son directeur de cabinet, Maixent Accrombessi, de son chef de cabinet liban
soleman et de Sylla Habib et autres gabonais (sic) d'occasion
», se règlera par des « calibres 12 ».
Lors d'une émission de la chaine gabonaise TV Plus
dénommée « Les choses du pays », l'animateur
Harley Boris Ekogha présente son invité du jour en ces termes :
« Monsieur Nkoulou est un Gabonais, un vrai Gabonais, un
Gabonais d'origine, parce qu'il faut le signaler, il n'est pas Gabonais
d'adoption».
Faut-il conclure que la gabonité obéit à
une hiérarchie des origines, voire d'une « originalité
» qui peut rappeler, la pureté chère à
Hitler? Y'aurait-il des Gabonais originels? Si oui, quels critères
permettraient de définir l'originalité du Gabonais pure ? Sinon,
quelles logiques sous-tendent une typologie des gabonais ?
Nadel nous démontrait jadis, avec pertinence que
l'existence de la tribu n'était tributaire d'une quelconque,
unité ou identité, mais en vertu d'une unité
idéologique et d'une identité acceptée comme un dogme.
Nous pensons que cette réalité n'est pas sans analogie avec la
gabonité, puisque l'impertinence des critères
évoqués supra est avérée a
postériori de leur confrontation à l'empirie.
Notre intérêt pour ces faits consiste non pas
à confirmer ou à infirmer la gabonité de quiconque, mais
d'y lire les stratégies de pouvoir, qui détourne le débat
politique de son champ idéologique habituelle, pour le transposer vers
une idéologie de l'identité nationale, tributaire des habitus
ethnocentristes, discriminantes et exclusifs.
On peut dans un premier temps porter un intérêt
sur le stigmate, qui touche à différents degrés tous les
naturalisés, et qui selon Goffman « relève d'abord et avant
tout d'un problème de visibilité »267. Pour notre
part, cette posture est réductionniste. Il ne s'agit pas juste d'une
question de visibilité, c'est-à-dire du corps comme « lieu
géométrique de tous les stigmates »268 ou de « ce qui
parle quand on ne dit rien »269. Primo, le corps ne saurait
être une carte d'identité nationale et c'est d'ailleurs ce que
Masure affirme : « tous les naturalisés ne sont
266 La Loupe du 03/11/2015.
267Goffman cité par François Masure,
« État et identité nationale, un rapport ambigu », in
Journal des anthropologues, Hors-série | 2007, 39-50.
268 Ibid.
269 Ibid.
114
pas des stigmatisés permanents, ni même
concernés au même titre par la stigmatisation
»270. Le stigmate intègre aussi, le refus de
considérer d'assimiler l'altérité, au regard d'un rapport
éloigné aux symboles qui fondent la nation et qui sont
supposés « étrangers » à ce dernier. Enfin, l'on
peut évoquer la durée, à l'instar du discours
polémique et raciste de Jean-Marie Le Pen sur la « francité
» de Manuel Valls ou la territorialité comme dans cet extrait :
« Cependant, ce que notre bonhomme « Ben béni » ne
comprend pas, c'est que ce n'est pas, en fait, le fait d'être «
Biafrais » ou « Congolais » qui soit le problème des
Gabonais. Ce qui fait tiquer les Gabonais, c'est le simple fait d'avoir un
« étranger » imposteur à sa tête (l'Omar) et un
autre « étranger » imposteur (le Ben) pour contrôler
l'armée d'un pays où il n'est pas né, pays dont il n'a pas
non plus la nationalité puisque né, de son propre aveu,
Congolo-Français, mais pas Gabonais du tout...
»271.
Phénomène non nouveau pourtant.
Rossatanga-Rignault fait référence au discours de Makoko, un
élu de l'Assemblée territoriale du Gabon, qui lançait
à l'endroit de l'UDSG et du BDG, « vous n'êtes pas des
parlementaires gabonais, vous êtes des Congolais venus exploité le
Gabon»272. Tonda également souligne ce fait dans
Le Souverain moderne, à travers une énumération
des chefs d'Etats ou leaders politiques, qui ont fait l'objet d'une
rhétorique nationalitaire, les « excommuniant » de leur
identité. Omar Bongo, Léon Mebiame, Mba Abessole, Pierre
Mamboundou, Pierre Maganga Moussavou au Gabon et Fulbert Youlou, Alphonse
Massamba-Débat, Marien Ngouabi, Yhombi-Opango, Sassou-Nguesso, Pascal
Lissouba, Pierre Nze au Congo273.
Joseph Tonda affirme qu'en Afrique centrale, « le
discours de l'ethnie pose en permanence la question des origines »
inscrite entre les représentations sociales orientées vers
l'imaginaire et l'idéologie politique274. Les liens entre
l'imaginaire égyptien des Fang qu'il cite entre autres exemples et les
représentations intranationalitaires et extranatiolitaires, peuvent
permettre de lire les idéologies qui consacrent les luttes de
classements sur l'échiquier national. On peut y intégrer
notamment, les démissions successives des cadres du PDG originaire de
270 Ibid.
271
http://www.bdpmodwoam.org/articles/2009/04/29/le-gabon-dirige-par-des-congolais-maman-dabany-et-bebe-ali-avouent-nous-les-bongo-ondimba-nous-ne-sommes-pas-biafrais-nous-sommes-congolais/
272
273 Tonda J, Le Souverain moderne. Le corps du pouvoir en
Afrique centrale (Congo, Gabon) Paris, Karthala, 2005, p. 248-250.
274 Ibid. P. 247.
115
cette nationalité, le « Faut-il avoir peur des
Fangs ? »275 de Rossatanga-Rignault ou l'intitulé qui
fit la une d'un numéro de Jeune Afrique « Bienvenue chez
les Fangs ! »276
Nous pouvons observer à travers ce schéma qui
porte sur la hiérarchie des origines de la gabonité,
l'effectivité de l'origine comme valeur capitale de la
nationalité.
Autochtones (Histoire et Terre)
|
Gabonais 100%
|
|
Les héritiers
Sang
|
|
|
|
|
|
Terre
|
|
|
|
|
Café au Lait
|
|
Nés au Gabon
|
|
|
Naturalisés
Mariage
Adoption
Pygmées*
*L'absence d'une référence aux Pygmées,
dans le lexique des enquêtés nous laisse supposer une existence de
ces populations autochtones, en bas de l'échelle. Lorsque l'autochtonie
est évoquée, c'est en référence aux «
humains », aux « vrais Gabonais », non pas
à ces « sous-hommes ».
Schéma 1 : La hiérarchie des origines de la
gabonité277
275 G. Rossantanga-Rignault, « Faut-il avoir peur des
Fang ? De la démocratisation à l'ethnisme au Gabon »,
Droit et culture, Revue semestrielle d'anthropologie et d'histoire,
N°26, 1993, pp.235-255.
276 In Le Temps N°481 du mercredi 24 juin 2015.
La lecture de cet article de l'hebdomadaire, faisant référence
à la une de Jeune Afrique est proposé dans les annexes
de ce travail.
277 Conception personnelle. Ce schéma est
réalisé sur la base de l'analyse de contenu de nos focus
group.
116
Cependant, la manipulation du sentiment ethnique n'est
possible que par l'existence d'un récit identitaire qui fonde
l'unité du groupe ethnique, façonne la mémoire collective
en reliant, le passé au présent. Ce récit raconte le mythe
des origines, la geste des héros fondateurs et décline les
symboles, rituels et pratiques collectives qui distinguent le groupe des
autres. Sa fabrication ou sa convocation passe par le recours à la
tradition. Peu importe que cette tradition réinventée,
bricolée, manipulée corresponde ou non à la
vérité historique ; l'essentiel est qu'elle en présente
toutes les apparences et s'impose comme l'unique régime de
vérité.
C'est dans cette perspective que les travaux d'Angelina
Peralva proposent un acteur social contextualisé, dans son approche
transversale comparative où l'accent est mis sur la contextualisation
sociohistorique de ce qu'il conviendrait de nommer les stratégies
identitaires. Ses enquêtes menées sur les terrains
d'émergence de certains type d'identités politiques en France, en
Allemagne, au Brésil278 lui ont permis de comparer les
enracinements du phénomène « Skinhead », d'analyser les
conditions sociales et culturelles de son émergence, de son extension,
ses liens avec les différents acteurs sociaux : Etat, médias,
groupuscules ou partis d'extrême droite. La référence
théorique à son propos est, semble-t-il une
référence à Touraine, qui dans sa sociologie de
l'action279 accorde un rôle central aux mouvements
sociaux, différenciés des conduites collectives liées
à la désorganisation sociale ou institutionnelle. Ces mouvements
y sont caractérisés par trois principes. Le premier est celui
d'identité : tout mouvement social doit être capable de construire
ou de reconstruire une identité collective pour sa base. Le
deuxième principe est celui d'opposition : tout mouvement social se
construit à partir d'un conflit qui lui permet de valoriser son
identité et de définir un groupe opposé et uni. Enfin, le
dernier, est le principe de totalité : le mouvement a un projet de
changement social global, de redéfinition du système d'action
historique de la société.
Rapportées à ces principes, le discours
nationalitaire dans le contexte gabonais trouve une clé d'analyse. Il ne
s'agit pas simplement d'un discours xénophobes de Gabonais «
naturels » contre les « naturalisés ». Les situations
diverses qui ont engendrés ce discours trouvent leur unité dans
un appel à une identité collective fondée sur les liens de
sang et sur une communauté traditionnelle imaginaire ; dont la
finalité consiste à déstabiliser le pouvoir de «
imposteur et illégal »280 de la «
légion étrangère ». Les propos suivant
sous-tendent cette
278 Dans le cadre d'une vaste recherche sur le racisme
mené par M. Wieviorka et ses collaborateurs du CADIS, EHESS, Paris.
279 A. Touraine, Sociologie de l'action, Paris, Seuil,
1965.
280 Il s'agit à travers ces notions, d'évoquer
en filigrane, la « biafrité » du Président de la
République et la naturalisation de son entourage. D'après une
certaine presse, il aurait été adopté par Omar Bongo,
pendant la
117
hypothèse : « Le sentiment antibéninois
a commencé à se développer dans nos villes et villages. Ce
sentiment est perceptible à tous les niveaux...M. Accrombessi n'a plus
sa place ici. Pour les Gabonais, son départ est devenu une question de
fierté nationale.»281, car le poste de directeur de
cabinet qu'il occupe est « éminemment politique,
réservé aux seuls nationaux »282. Un exemple
actualisé du phénomène décrit par Peralva, peut
nous venir de Jean Marie Le Pen, qui à rappeler à la conscience
française sa « francité de mille ans», a contrario
de celle, trentenaire de Manuel Valls.
Enfin, Chez Matsiegui Mboula, « L'homme ethnique n'est
pas seulement celui qui déclare : « Je suis Baoulé ! »,
« je suis Douala ! », «je suis Teke ! », stade de
l'ethnicité nominale, encore faut-il qu'il vive conformément aux
principes, valeurs, lois qui régissent l'être au monde de cette
ethnie. Il en va des communautés claniques, tribales comme de la nation
(politique) de prescrire un devoir être à leurs membres. Car, de
même que le citoyen idéal est celui qui respecte les lois de la
cité et les défend, de même être Fang ou Punu ne se
réduit pas à en porter le nom mais à être un type
bien défini. Ainsi, la problématique ethnique ne se trouve
véritablement mise en question comme phénomène, que si
nous saisissons ses univers symbolique et langagier comme autant d'expression
ontologiques, c'est-à-dire un discours sur l'homme ou pour être
plus précis, un discours sur le type d'homme et de communauté
auxquels chaque forme ethnique aspire »283.
Section II : La gabonité au prisme de la
mondialisation
L'essor de la réflexion sur la nation et le
nationalisme est sans cesse actualisé depuis les années 1980.
Alors qu'à partir du XXe siècle, l'Occident semblait franchir le
seuil du «postcolonial«, outre les conflits identitaires dans les
Balkans, après la chute du mur de Berlin ; l'Afrique s'interroge
continuellement sur le retour des nationalités. Ces débats
s'opèrent autour du multiculturalisme, du cosmopolitisme et de la
mondialisation qui d'emblée, se pose comme cadre de questionnement par
excellence du postnationalisme.
Guerre du Biafra. De ce fait l'illégalité vient
de ce que la Constitution interdit au gabonais d'adoption de candidater
à la magistrature suprême.
281 Mouvement de la société civile «
ça suffit comme ça » cité par Georges Dougueli,
« Gabon : le poison xénophobe », in
www.JeuneAfrique.com ,
publié le 01 septembre 2015, Consulté le 08 novembre 2015.
282 Jonas Moulenda cité par G. Dougueli, op.cit.
283 Matsiegui-Mboula, L'Etat et le
tribalo-régionalisme au Gabon, op.cit. p. 253.
118
Le multiculturalisme est déjà mis à mal
par la construction difficile des Etats africains. Les politiques de
l'identité et les stratégies identitaires des leaders politiques
flirtent parfois avec la xénophobie.
Un double processus apparemment contradictoire
caractérise notre époque : la persistance des nationalismes et la
croissance du multiculturalisme, du transnationalisme et du cosmopolitisme. Ce
propos s'attachera à décortiquer cette dialectique. Il s'agira
d'examiner la validité de la logique métisse en
corrélation avec les stratégies nationalitaristes, d'exclusion
des binationaux, en dépit des redéfinitions des concepts de
nation et de territoire entre autres, opérées par le droit
international et la mondialisation.
1. Pour une critique de la raison métisse
Dans Logiques métisses, composé
d'essais qui portent notamment sur ses terrains d'Afrique de l'Ouest, Amselle,
réfute la « raison ethnologique » qui extrait,
classifie, « purifie », et qui sépare les cultures ou les
ethnies, de la même façon qu'elle avait jadis séparé
les « races ». En effet, pour cet auteur, les cultures sont d'abord
des constructions ethnologiques et historiques, bien souvent
instrumentalisées à des fins politiques et le multiculturalisme,
paré de bonnes intentions, procéderait, selon lui de ce
« fondamentalisme culturel », visant en
réalité à séparer hermétiquement les
minorités culturelles afin de les protéger. Ainsi, Amselle
propose donc d'adopter désormais une « raison métisse
», c'est-à-dire une approche continuiste mettant l'accent sur
l'indistinction et le syncrétisme originaire, mélange dont les
parties sont indissociables284.
La réalité empirique nous amène à
réfuter l'idéalisme de cet auteur, car, la logique métisse
ne consiste guère en l'indistinction. Syncrétisme certes, elle
consiste plutôt à la création d'une nouvelle « race
», d'une nouvelle catégorie sociale. L'analyse sur la pertinence de
la binationalité, sous le prisme de la logique métisse
révèle, et dénis d'appartenance et exclusions, qui
ébranle la raison métisse.
Le holisme pur évoqué en filigrane à
travers les positions d'Amselle, est en réalité une confortation
de la racialité nouvelle de la logique métisse.
L'indissociabilité des parties
284 Jean-Loup Amselle, Logiques métisses.
Anthropologie de l'identité en Afrique et ailleurs, Paris, Payot,
1990, rééd. Payot & Rivages, 1999.
119
constituantes de la « raison métisse » est en
effet, non pas une marginalisation de la distinction, mais plutôt, un
déni d'appartenance.
Au Gabon comme ailleurs, la binationalité est
perçue comme une anationalité. La binationalité
désigne une double ou une multi-appartenance nationalitaire. Elle
s'acquière par la filiation, par le mariage, la naturalisation ou
l'adoption. Cependant, la fonctionnalité de ce principe est
problématisée du fait de son déni, au nom parfois, du
purisme idéologique.
Les cas de déni d'appartenance sont légion au
Gabon. Il en va du Président de la république à sa «
légion étrangère ». La lecture de cet extrait
d'article de presse peut nous servir de terrain d'expression du déni
d'appartenance. « «Maixent contrôle tout et bouffe
tout...il a installé ses hommes à tous les postes clés. Il
se fait épauler sur ces questions par le général Alioune
Ibaba, un Congolo-Sénégalais. Le « Shebab »,
c'est-à-dire le Gabono-Somalien Liban Souleymane, Parmi eux, Seydou
Kane, un Malien patron de deux sociétés au Gabon, Vincent Miclet,
affairiste français qui a commencé à bâtir sa
fortune en Angola, et, jusqu'à une époque récente, Michel
Tomi, tout-puissant patron des casinos et des jeux... »285
Cet extrait présente comme « étranger
» des individus pourtant juridiquement Gabonais. Il convient de poser
comme le fit jadis Nathan, la question de savoir, « A qui appartient le
métis?»286
»287.
Rappelant tout d'abord que si dans les sociétés
précoloniales, l'exogamie fondait la conjugalité, pour
externaliser le choix des partenaires outre le cercle parental, la filiation
elle a toujours été plus complexe. En effet, le matriarcat en
exergue chez les « Commi » dispose que les successions proviennent du
chef de la mère. Du Chaillu rapporte que « le fils d'un Commi et
d'une femme étrangère n'est pas réputé Commi.
D'après ce principe appliqué aux familles, pour être un
véritable Abouya (citoyen de Goumbi), il faut être né d'une
femme Abouya. Si le père seul est Abouya, les enfants sont
regardés comme de «demi-sang«
L'enfant issu d'un couple mixte se construit dans un contexte
où les parents appartiennent à deux ensembles culturels. Ceux-ci
peuvent se différencier sur les plans religieux, linguistique,
phénotypique, etc. Aussi l'une des questions qui fait actuellement
débat
285Marc Ona Essangui, « Maixent, chef de la
«Légion étrangère« » in
www.facebook.com,
publié le 21 décembre 2014, consulté le 22 avril 2015.
286 Tobie Nathan, « À qui appartiennent les
métis ? » in Nouvelle Revue d'Ethnopsychiatrie, Paris, La
pensée Sauvage, 1993, p. 13-21.
287 Ibid. p.200.
120
dans la communauté scientifique est de comprendre
comment ce sujet va réussir à combiner au sein d'un agencement
fonctionnel, ses éléments parentaux divergents. Selon les
partisans de la non « métissabilité » des cultures tels
que Tobie Nathan288, le métis est contraint de
réaliser le choix, souvent imposé du dehors par les pressions
familiales, d'appartenir à l'un des deux systèmes culturels. En
revanche, pour ceux qui envisagent la possibilité de mélanges
entre les cultures tel que Kroeber ou François Laplantine289,
le sujet métissé se construirait à partir de combinatoires
d'éléments appartenant aux deux systèmes culturels.
Malgré leurs divergences de fond quant au mode de « fabrication
» du métis, ces deux hypothèses se basent sur le même
postulat : le métis se développe dans un environnement familial
culturellement duel. La variété des origines parentales y produit
des visions du monde divergentes, complémentaires ou incompatibles. Et
celles-ci se trouvent habituellement séparées par des
frontières géopolitiques.
Pour notre part, nous pensons comme Jankélévitch
qu'« en principe, et dans le cas du mélange le plus simple, qui est
le mélange à deux, la séparation devrait faire d'une
pierre deux coups, c'est-à-dire du même coup, purifier les deux
substances... »290.
Ainsi, Barack Obama n'est ni un Blanc et ni un Noir. Il est
plutôt métis. Le métis n'opère pas le choix de son
appartenance. Il subit par attribution catégorielle et par déni,
une identification à une catégorie, qui n'est ni l'une, ni
l'autre, l'appartenance des géniteurs.
La corrélation éclairante que Gilles
Bui-Xuân, Roy Compte et Jacques Mikulovic établissent entre la
notion de métissage et celle de culture du handicap explique de
façon pertinente la réalité qui sous-tend la logique
métisse. « C'est d'abord la stigmatisation et l'exclusion qui sont
à l'origine du regroupement des personnes handicapées, et par
là de leur identité, de leur culture. Si la revendication du
groupe constitué est de faire valoir son droit à
l'indifférence, elle est paradoxalement aussi celle du droit à la
différence. C'est d'ailleurs cette différence qui sera d'abord
reconnue par le droit même, avant de fonder l'illégitime et les
mesures pour y faire face »291.
288 Ibid. L'auteur affirme que « Les métis n'ont
que le choix d'être d'un côté ou de l'autre, d'appartenir au
groupe du père ou de la mère. »
289 François Laplantine, Alexis Nouss, Le
métissage, Paris, Flammarion, « Non pas l'un ou l'autre
(l'Arabité ou l'appartenance à la France seulement) mais l'un et
l'autre », 1997 p. 79.
290 Vladimir Jankelevitch, 1960, Le pur et l'impur,
Flammarion, Paris, p. 103.
291 Gilles Bui-Xuân, Roy Compte et Jacques Mikulovic,
« La culture du handicap peut-elle être une culture du
métissage ? », Corps et culture [En ligne], Numéro
6/7 | 2004, mis en ligne le 12 octobre 2007, Consulté le 23
décembre 2015. URL :
http://corpsetculture.revues.org/839
121
Les thèses que nous évoquions à l'instant
sont une invalidation de la raison métisse. Le métis est
étranger à ses composantes germinales. Ramener à la
problématique de l'identité nationale, la binationalité
peut être assimilé à une apatridie de fait.
La Convention de 1930 concernant certaines questions relatives
aux conflits de lois sur la nationalité, dispose que le droit souverain
des Etats de déterminer qui sont leurs ressortissants est limité
par le droit international, ainsi que par le droit des autres Etats. En outre,
en vertu de la législation sur les droits de l'homme, il faudrait tenir
compte à la fois des intérêts légitimes des Etats et
de ceux des individus. Il note que le fonctionnement d'une loi sur la
citoyenneté dépend de la loi sur la citoyenneté d'un autre
Etat.
2. La nationalité dans le droit international
«La citoyenneté est pour l'homme un droit
fondamental car elle n'est rien moins que le droit d'avoir des
droits»
Chief Justice Earl Warren (Etats-Unis, 1958)
Dans la tradition wébérienne, l'Etat se
définit par l'autorité et le pouvoir qu'il exerce sur un
territoire donné. Il dispose du monopole de la violence légitime.
Mais, l'Etat moderne et sa notion sous-jacente de territorialité n'ont
pas de valeur universelle, car sa « juridiction » est limitée
par la notion de frontière qui lui est associé. L'Etat est donc
une communauté doté d'un territoire d'exclusion défini par
des frontières physiques et pourvu de compétence
spécifiques qui lui confère sa souveraineté,
affirmé par le monopole de la violence légitime. Toutefois,
l'existence de l'Etat est tributaire d'un consensus entre l'ensemble des Etats.
Ce consensus, le détermine, le définit et le reconnait entant que
tel. Les traités de Westphalie(1648), dont l'objet fit de sortir de la
guerre de Trente ans, affirment la souveraineté des Etats et le principe
de non-ingérence à l'intérieur des frontières
précises et reconnus par le concert des nations. La nation moderne est
donc un concept juridique de l'apanage du droit international westphalien.
Par ailleurs, L'article 15 de la Déclaration
universelle des droits de l'homme de 1948 dispose que « tout individu
a droit à une nationalité. Nul ne peut être arbitrairement
privé de sa nationalité, ni du droit de changer de
nationalité ». Ces dispositions confèrent à
chaque individu, partout dans le monde, le droit à un lien juridique
avec un Etat., c'est-à-dire, la citoyenneté ou la
nationalité non seulement donne à chaque individu le sens de son
identité
122
mais, en outre, lui donne droit à la protection de
l'Etat et lui confère de nombreux droits civils et politiques. De fait,
la citoyenneté a été décrite comme «le droit
d'avoir des droits».
Malgré l'imposant corpus d'instruments internationaux
relatifs à l'acquisition, la perte, ou le déni de
citoyenneté, des millions de personnes dans le monde n'ont pas de
nationalité. Selon des estimations récentes, quelques onze
millions de personnes sont apatrides à travers le monde292.
Elles sont apatrides. L'apatridie peut découler de diverses causes dont
des lois contradictoires, des cessions de territoires, les lois sur le mariage,
les pratiques administratives, la discrimination, le défaut de
déclaration de naissance, la déchéance (lorsqu'un Etat
retire sa nationalité à une personne), et la renonciation
(lorsqu'une personne refuse la protection d'un Etat). Les homologies entre les
lois nationales et le droit international et la déterritorialisation
supposé des Etats à travers le processus de mondialisation
devraient a priori contribuer à homogénéiser les
lois, afin de réduire ce phénomène. Mais la
réalité est au prorata de la subjectivation d'un Etat,
vis-à-vis du système international de la mondialisation. La
mondialisation n'a donc pas rendu désuet l'Etat comme certains auteurs
veulent bien le montrer293. C'est donc à juste titre que Samy
Cohen indique effectivement que face à la mondialisation, les
démocraties résistent et sont mêmes les « maitres du
jeu »294. La critique politique de la globalisation de Bayart
le conduit à postuler une subjectivation politique295.
Alors que les Etats collaborent pour traiter les
problèmes que pose l'apatridie, il se trouve aujourd'hui encore dans le
monde des millions d'individus sans véritable nationalité, car,
à ce jour, seulement cinquante-sept Etats ont ratifié la
Convention de 1954 relative au statut d'apatride296.
Dans son opinion consultative sur les décrets de
nationalité de la Tunisie et du Maroc de 1923, la Cour internationale de
Justice dispose que: «La question de savoir si une affaire
relève exclusivement ou non de la souveraineté intérieure
d'un Etat est une question essentiellement relative; elle dépend du
développement des relations internationales»297.
292 UNHCR et Union interparlementaire, Nationalité
et apatridie, un guide pour les parlementaires. Guide pratique à l'usage
des parlementaires n°11 - 2005, p.3.
293 Lire à ce sujet, Bernard Cassen, Tout a
commencé à Porto-Alegre : mille forums sociaux !, Paris,
Mille et une nuit, 2003.
294 S. Cohen, La résistance des Etats : les
démocraties face aux défis de la mondialisation, Paris,
Seuil, 2003.
295 Sylvain Allemand et al. Comprendre la mondialisation II.
Nouvelle édition [en ligne]. Paris : Éditions de la
Bibliothèque publique d'information, 2008 (généré
le 20 janvier 2014). Disponible sur
www.books.openedition.org/bibpompidou
. pp.10-14.
296 UNHCR et Union interparlementaire, op.cit. , p.7.
297 Ibid. p.8.
123
En fait, la Cour permanente a estimé que si les
questions de nationalité relèvent, en principe, de la juridiction
interne, les Etats doivent néanmoins honorer leurs obligations
vis-à-vis des autres Etats telles qu'elles sont prescrites par les
dispositions du droit international. Cependant, plusieurs décalages sont
tributaires de la non-ratification par des Etats de la Convention de 1954. Le
Gabon n'en est d'ailleurs pas signataire.
Cette approche a été
réitérée sept ans plus tard dans la Convention de La Haye
sur certaines questions relatives aux conflits entre les lois sur la
nationalité. Beaucoup d'Etats ont commenté cette opinion
consultative de la Cour permanente de 1923, car elle touchait à la
préparation de la Convention de La Haye sur la nationalité de
1930. Pour la plupart, cette opinion consultative apparaissait comme une
limitation de l'applicabilité des décisions d'un Etat en
matière de nationalité, en dehors dudit Etat, surtout, lorsque
ces décisions vont à l'encontre de décisions d'autres
Etats relativement à la nationalité.
La Convention de La Haye de 1930, tenue sous les auspices de
l'Assemblée de la Société des Nations, était la
première tentative internationale visant à assurer à
chacun une nationalité. L'article 1 de cette convention dispose:
«Il appartient à chaque Etat de déterminer,
conformément à sa propre législation, qui sont ses
citoyens. Cette législation doit être reconnue par les autres
Etats dans la mesure où elle est conforme aux conventions
internationales, aux usages internationaux et aux principes de droit
généralement reconnus en matière de
nationalité».
L'apatridie, reconnue pour la première fois comme un
problème mondial durant la première moitié du 20e
siècle, peut être le résultat de différends entre
Etats sur l'identité juridique d'individus, de la succession d'Etat, de
la marginalisation durable de certains groupes sociaux, ou de la
déchéance de nationalité frappant individus ou groupes.
L'apatridie est généralement liée aux périodes de
mutation profonde des relations internationales. Le redécoupage des
frontières, la manipulation des systèmes politiques par des
dirigeants nationaux poursuivant des objectifs politiques douteux, et/ou le
refus ou la déchéance de la nationalité visant à
exclure et marginaliser des minorités raciales, religieuses ou ethniques
mal aimées, ont fait des apatrides partout dans le monde. Ces 20
dernières années, un nombre croissant de personnes ont
été privées de leur nationalité ou n'ont pas pu
acquérir une citoyenneté298
298 Ibid. p. 6.
124
Les propos de Lara témoignent des problèmes
suscités par le déni d'appartenance dont l'une des
finalités peut conduire à l'apatridie : « S'entendre
dire «Non» par le pays où je vis; s'entendre dire
«Non» par le pays où je suis née; s'entendre dire
«Non» par le pays d'où mes parents sont originaires;
s'entendre dire encore et encore «vous n'êtes pas des
nôtres»! On a l'impression de ne plus exister, de ne plus savoir
même pourquoi on vit. Etre apatride, c'est avoir en permanence le
sentiment d'être sans valeur »299
L'article 15 de la Déclaration universelle des droits
de l'homme de 1948 qui dispose le droit de tout individu à une
nationalité peut-être sujet à de vives critiques. Ce droit,
en se fondant sur l'existence d'un lien authentique et réel entre la
personne et l'Etat, ne laisse qu'une marge de manoeuvre minimale au principe de
jurisprudence. Ce lien a été pour la première fois reconnu
comme le fondement de la citoyenneté dans une affaire soumise à
la Cour internationale de Justice en 1955, l'Affaire Nottebohm. La Cour avait
alors estimé que:
«Conformément aux usages des Etats, aux
décisions arbitrales et judiciaires et à l'opinion des
commentateurs, la nationalité est un lien juridique fondé sur un
fait social d'attachement, un rapport authentique d'existence, des
intérêts et des sentiments, ainsi que sur l'existence de droits et
d'obligations réciproques»300. Cette authenticité
du lien n'est pas sans analogie à « la France, tu l'aimes ou tu
la quitte » de Nicolas Sarkozy.
Les principes qui sous-tendent cette loi, la naissance, la
résidence ou l'ascendance entre autres, sont malgré leur prise en
compte, dans la plupart des lois des Etats sur la nationalité ainsi que
dans les textes internationaux récents en la matière, ne
permettent pas de mesurer l'authenticité du lien et encore moins les
intérêts et les sentiments des individus vis-à-vis de
l'Etat. L'arbitraire dans ce « flou juridique » devient la seule
mesure pertinente pour juger de l'authenticité du lien.
La définition de la Cour interaméricaine des
droits de l'homme est certainement sur ce point nettement avancée, elle
s'éloigne du concept d'authenticité qu'on peut assimiler à
un purisme cher à Hitler. La nationalité y est définit
comme «le lien politique et juridique entre une personne et un Etat
donné, qui unit l'une à l'autre par des sentiments de
loyauté et de fidélité, donnant à la personne
concernée droit à la protection diplomatique dudit
Etat».301
299 Ibid.
300 Ibid. p. 8.
301 Castillo-Petruzzi et al. Pérou, Jugement de mai
1999, IACHR [ser.C] No 52, 1999.
125
Conclusion de la deuxième partie
Le deuxième mouvement de notre travail porte sur ce que
nous avons nommé la métamorphose de la race. Le recours à
la notion bourdieusienne de l'habitus nous a permis d'observer
l'évolution du discours nationalitaire à travers de nouvelles
formes. L'hystérésis de l'habitus consacre le caractère
durable de l'ethnicité et sa transposition aussi dans les
activités sociales. L'histoire fait corps avec les
représentations sociales des acteurs.
Cette partie consiste aussi, en une double temporalité
; deux chapitres en effet, permettent de poursuivre notre analyse sur la
dynamique du discours nationalitaire.
Le chapitre troisième de notre travail, traite des
nationalismes, sous le prisme du multiculturalisme, c'est-à-dire, de la
construction du Gabon à l'aube des indépendances, dont l'enjeu
majeure consiste à intégrer les nationalités pour
ériger une Nation. « Gabon d'abord », le tiers symbolique et
manifeste patriotique des Pères de la nation, dont les discours
tantôt mal maitrisés, tantôt mal repris va reproduire, en
dépit de la volonté de construire un idéal commun, les
représentations ethniques, avec parfois des faits xénophobes
comme les évènements sanglants opposant, à Port-Gentil,
Gabonais et Togolais en 1953. Nationalisme de substitution donc, les
schèmes claniques précoloniaux, les idées reçues de
la race coloniale, sont convoqués pour donner lieu, à la fixation
d'un symbolisme, qui suppose l'éradication, de la présence au
Gabon des Africains de la sous-région.
L'histoire des nations humaines nous rappelle que
l'émergence d'une conscience citoyenne quelque peu cohérente ne
s'est faite, nulle part, sans beaucoup temps. La lutte pour le pouvoir d'Etat
va exhumer les logiques ethniques et la géopolitique du pluralisme
culturelle adoptée par le régime Bongo, va consacrer les
cristallisations et substantialiser les représentations nationalitaires,
que le gabonisme « Vas-y voir le ministre de chez toi », par
exemple ou encore, la mobilisation ethnique, le vote régional ou le
repli identitaire démontre.
Le quatrième et dernier chapitre de notre travail, est
consacré à ce que nous avons choisi, du fait d'une
référence à Boltanski et Chiapello, Le nouvel esprit de la
nationalité, pour évoquer telles les recompositions du
capitalisme, les survivances du discours ethnique dans le quotidien des
acteurs.
126
Il s'est agi de questionner les représentations
sociales de la gabonité, par les acteurs gabonais dont les discours
établi une typologie qui distingue les Gabonais « légaux et
naturalisés » des gabonais « naturels et légitimes
». La légalité consiste surtout à conférer la
nationalité gabonaise, dans une optique plutôt citoyenne. C'est
dans cette optique que nous avons jugé opportun et important de
questionner la réalité de la logique métisse chère
à Amselle. La binationalité est au sens des
représentations sociales, une « anationalité ». C'est
pourquoi nous parlons d'apatridie de fait. L'intérêt porté
sur la gabonité dans son rapport à une mondialisation
supposée intégrative, permet de révéler les heurts,
les tumultes et tourments des individus logiquement ethno-situés, en mal
avec le multiculturalisme.
L'homo ethnicus demeure et l'ethnie, du fait des habitus
ethniste, continue de produire une vision ethnocentrée du monde social.
La différence est sujette à cristallisation dans la lutte pour le
pouvoir et autres capitaux.
127
Conclusion générale
Au terme de cette analyse, il convient de
réitérer la problématique au centre de notre objet
d'étude intitulé « Dynamique du discours
nationalitaire ». Il se pose, dans ce travail, le problème
de cohésion sociale dont l'expression populaire est consacrée par
le tiers symbolique du nationalisme au Gabon : « Gabon d'abord ».
Notre intérêt a donc porté sur l'évolution du
discours à travers la longue durée historique. Il nous a ainsi
été donné de lire les velléités pouvoiristes
qui définissent le discours identitaires comme stratégie. Comment
saisir la dynamique du discours nationalitaire au Gabon ?
Dans l'optique de saisir l'intelligibilité des
représentations nationalitaires des individus, sous le prisme du
discours, nous avons formulé, une double hypothèse en une. En
effet, l'empirisme d'une archéologie de l'ethnicité met à
giorno, l'homo ethnicus, comme réalité
universelle alors la notion bourdieusienne d'habitus consacre la
dynamique du discours nationalitaire. Notre argumentaire, organisé
autour de cette double hypothèse a consisté en une planification
binaire. En effet, deux parties principales organisent notre travail.
En quête des propriétés sociohistoriques
du discours nationalitaire, il s'est agi dans un premier temps, d'une
causalité rétrospective dont l'intérêt majeur se
saisit au gré des prémisses structuro-nationalitaires qui ont
dessinés les frontières cosmogoniques, idéologiques des
peuples africains et outre atlantique. Les formes élémentaires
d'organisation politique, dont la nation (ethnos) ou plus
précisément l'ethnie constitue la base, consacre une
théorie de l'homo ethnicus. L'ethnie se structure d'abord
autour d'une communauté de destin. Ensuite, le caractère
universel des ethnocentrismes et la fonction classificatoire des ethnonymes
consacrent la singularité inhérente à chaque peuple.
Cependant, la dynamique du discours nationalitaire porte aussi
sur la période hautement marquante de la colonie et son
extrémisme de la différence. Les développements
idéologiques introduits par les anthropologues dont les récits
évoquent fallacieusement, l'existence d'une race supérieure et
d'une autre inférieure, auront des conséquences très
prononcées sur les représentations des acteurs sociaux au
Gabon.
L'oeuvre de la colonie s'accompagne en effet, de
l'idéologie de la race. La légitimation de la conquête
coloniale se fonde sur le darwinisme social. La période coloniale va
juxtaposer selon la formule d'Albert Memmi, le double portrait
colonisé/colonisateur.
128
Par ailleurs, une approche géographique met en exergue
le passage des frontières naturelles précoloniales à la
division coloniale de l'Afrique. Les estimations relatives aux
frontières africaines indiquent environ 70 % d'entre elles, telles qu'on
les connaît aujourd'hui furent définies sans concertation avec les
populations concernées, entre la conférence de Berlin et la fin
de la première décennie du XXe siècle. Les liaisons
dangereuses entre ce découpage colonial et les problématiques
actuelles, relatives à l'ethnicité en l'Afrique, sont
tributaires, non seulement du sceau des rivalités et des
intérêts des anciennes puissances coloniales, mais aussi de
l'arbitraire dans le procès de séparation et de rapprochements,
respectivement des peuples amis et des peuples opposés.
Le second grand point de notre travail consiste à ce
que nous avons nommé, la métamorphose de l'ethnicité. Il
s'organise par une double temporalité qui intègre la postcolonie
et la contemporanéité. S'agissant de la postcolonie, une mise en
perspective de l'héritage du colonialisme, entant qu'entreprise
civilisatrice, envisagée corrélativement avec l'imposition de
l'État moderne, nous a donné à juxtaposer le nationalisme
au multiculturalisme. La fabrication d'une identité nationale par
l'homogénéisation des différences va se poser comme
défi majeur des jeunes démocraties africaines. La
préexistence et la prééminence de l'ethnicité sur
le colonialisme, rendra improbable la construction d'une identité
nationale. Les populations y résisteront et opposeront pour cela
différentes attitudes face à l'État. Cette
réfraction des acteurs est une autodéfinition de ces derniers, en
référence à cet héritage qui imbrique, l'essence
même de la distinction dans la précolonie et l'expérience
coloniale de la hiérarchie des races. L'intelligibilité de cette
posture répond à une convocation bourdieusienne de la
théorie de l'habitus, dont l'hystérésis explique que la
conservation, dans une large mesure, des dispositions, même si elles sont
devenues inadaptées suite par exemple à une évolution
historique (révolutions, crises, etc.) ayant fait disparaître le
monde ambiant originel. Ainsi, la postcolonie africaine et la
compétition pour le pouvoir exacerbée, la mobilisation ethnique
s'avère être l'instrument privilégié des acteurs
engagés dans cette lutte, parce qu'elle fait sens, qu'elle est
opérationnelle et facilement manipulable.
La chute de notre travail de recherche problématise,
dans un ultime chapitre, la dynamique de la gabonité sous le prisme des
identités mondialisées. Bourdieu écrit que les
dispositions constitutives de l'habitus sont, non seulement durables, mais
aussi transposables. Autrement dit, les dispositions acquises dans une certaine
activité sociale sont transposées dans une autre activité.
Dans notre cadre, il s'agit d'entrevoir l'actualité de la
nationalité par rapport
129
à l'historicité de cette catégorie.
C'est-à-dire, les dispositions acquises pendant la socialisation et
ayant engendrées des habitus ethniques, peuvent être
transférées dans une activité sociale différente de
celle du champ de leur engendrement.
Ainsi, nous est-il donné, d'observer selon les cas, les
déclinaisons d'une gabonité légale et d'une autre
légitime. La mise en crise de la gabonité, tel que
l'expérience nous démontre, consiste à analyser, à
l'épreuve du droit, les logiques sous-jacentes à ce qu'on peut
nommer, le doute sur l'identité d'un Président de la
république et la pertinence des considérations classiques de
l'ethnicité, c'est-à-dire, la territorialité, la
consanguinité et l'utérinité, la langue et le
patronyme.
L'acquisition de la nationalité gabonaise est
régie par la loi n° 37/98 du 20 juillet 1999, portant Code de la
nationalité gabonaise, et le décret n° 767/PR/MJGS du 16
octobre 2002 portant application de certaines dispositions du Code de la
nationalité. Les dispositions relatives à cette loi sous-tendent
le caractère légal de la nationalité gabonaise. Cependant,
une revalorisation du discours commun, à travers les questionnements
à l'instar de « Qui est Gabonais ? », « Qui est plus
Gabonais que qui ? », « Gabonais de naissance », « Gabonais
d'origine étrangère », « Gabonais d'adoption »,
« Gabonais 100% », « il est café au lait », «
on n'est tous Gabonais », «...de naissance ou d'adoption »
laisse augurer d'un essentialisme, d'une purisme défiant parfois,
le cadre juridique.
Notre intérêt pour le sens commun consiste non
pas à confirmer ou à infirmer la gabonité de quiconque,
mais d'analyser le discours nationalitaire afin d'y lire, les stratégies
de pouvoir, qui détourne le débat politique de son champ
idéologique habituelle, pour le transposer vers une idéologie de
l'identité nationale, reproductrice de l'ethnisme originelle et
tributaire aussi, de la raciologie coloniale discriminante. A la manière
du Front National en France, le substrat idéologique repose sur un
discours nationalitaire, émancipé du Droit et dont l'optique
d'inculper, par l'arbitraire, pour fausse identité, fausse
gabonité ou nationalité douteuse, ses adversaires politiques.
Enfin, L'essor de la réflexion sur la nation et le
nationalisme est sans cesse actualisé depuis les années 1980. Ces
débats s'opèrent autour du multiculturalisme, du cosmopolitisme
et de la mondialisation qui d'emblée, se pose comme cadre de
questionnement par excellence du postnationalisme. Le multiculturalisme est
déjà mis à mal par la construction difficile des Etats
africains. Les politiques de l'identité et les stratégies
identitaires des leaders
130
politiques flirtent parfois avec la xénophobie. Un
double processus apparemment contradictoire caractérise notre
époque : la persistance des nationalismes (y compris les
ethnonationalismes) et la croissance du multiculturalisme, du
transnationalisme et du cosmopolitisme.
Ainsi, la dernière section de cette recherche consiste
en une critique de la « logique métisse » sous le prisme du
discours sur la nationalité et les stratégies d'exclusion des
binationaux. Aussi, s'est-il s'agit, d'examiner les survivances des
nationalismes malgré les redéfinitions des concepts de nation et
de territoire opérées par le droit international et la
mondialisation.
L'hypothèse binaire, de ce travail de recherche est
donc empiriquement vérifiée. A posteriori d'une analyse
pertinente du fait ethnique au Gabon, il nous est donné d'observer la
dynamique identitaire qui imbrique stratégie de pouvoir et discours
nationalitaire dont l'intelligibilité met au centre, la
réalité de l'homo ethnicus et la reproduction des
habitus ethnicistes durables et transposables, selon les propositions
bourdieusiennes.
131
Bibliographie
Ouvrages méthodologiques
Bourdieu P. et al. Le métier de sociologue,
Paris, Mouton, 1968.
Bourdieu P., Le sens pratique, Paris, Minuit, 1980.
Grawitz M., Méthodes en science sociales, Paris,
Dalloz, 10ème éd., 1996.
Kaldhoum Ibn, Muqaddima, I/328-331, Traduction
d'Abdelssalem Cheddadi, La bibliothèque arabe Sindbad, Paris, 1986.
Montesquieu, De l'esprit des lois, Paris, GF Flammarion,
1979.
Quivy R. et Van Campenhoudt L., Manuel de recherche en
sciences sociales, Paris, Dunod, 1995.
Cefai Daniel, L'Enquête de terrain. Textes
réunis, Editions La Découverte, Paris, 2003.
Ouvrages généraux
Bourdieu P. Les Structures sociales de
l'économie, Paris, Seuil 2000.
Foucault M., « Il faut défendre la
société », Gallimard/Seuil, coll. « Hautes
Études », Paris, 1997.
Foucault M., La Volonté de savoir, Gallimard,
coll. « Bibliothèque des Histoires », Paris, 1976. Foucault
Michel, l'Archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969.
Habermas Jürgen, L'Intégration
républicaine. Essai de théorie politique, Fayard, 1998.
Habermas J. Théorie de l'agir communicationnel. T.1:
Rationalité de l'agir et rationalisation de la société
(trad. J.-M. Ferry). Paris: Fayard (1re éd. 1981). 1987.
Ingold, T. The perception of the environment: Essays on
livelihood, dwelling and skill. London, UK: Routledge, 2000.
Kafka Franz, La Métamorphose, (trad. de
l'allemand par Claude David, préf. Claude David), Paris, Gallimard,
coll. « Folio Classique » (no 5882), 2015.
Leplat J., Regards sur l'activité en situation de
travail. Contribution à la psychologie ergonomique, Paris : Presses
universitaires de France, 1997.
132
Lukacs G. Histoire et conscience de classe, Paris,
1960.
Mattelart, Armand et Michèle, De l'usage des
médias en temps de crise, Paris, Alain Moreau, Col. «
Textualité », 1979.
Poulantzas N., Pouvoirs politique et classes sociales de
l'état capitaliste, Paris, Maspero, 1968.
Ouvrages spécialisés
Amin S., La faillite du développement en Afrique et
dans le tiers monde, Paris, L'Harmattan, 1989.
Amselle Jean-Loup, Logiques métisses. Anthropologie de
l'identité en Afrique et ailleurs, Payot, 1990, rééd.
Payot & Rivages, 1999.
Amselle Jean-Loup, M'Bokolo Elikia, dir. Au coeur de l'ethnie
: ethnies, tribalisme et État en Afrique, Paris, La
Découverte/Poche, 1999.
Balandier G., Sens et puissance, 3ème éd.
Paris, PUF, « Quadrige », 1986.
Barth Fredrick, Ethnic Groups and Boundaries. The Social
Organisation of Cultural difference, Barth F. éd., Boston, 1969.
Barthes R., Mythologies, Paris, Seuil, 1957,
(rééd. Points, 1970).
Bayart Jean-François, L'illusion identitaire,
Paris, Fayard, coll. « L'espace du politique », 1996.
Bayart J.-F., Mbembe A., Toulabor C., Le politique par le
bas en Afrique noire. Contribution à une problématique
de la démocratie, Paris, Karthala, 1992.
Bonte P. et Izard M. (dir.) Dictionnaire de l'ethnologie et
de l'anthropologie, Paris, 2002. Bruno F. et Bruneau Ch.,
Précis de grammaire historique, Paris, Masson et Cie., 1899.
Clervoy Patrick et Corcos Maurice, "Petits moments de la
psychiatrie en France", Paris, EDK, 2005.
Cohen S., La résistance des Etats : les
démocraties face aux défis de la mondialisation, Paris,
Seuil, 2003.
Condominas G. et Dreyfus-Gamelon (sous la dir.),
L'anthropologie en France. Situation actuelle et avenir, Paris, Ed. Du
CNRS, 1979.
133
Coquery-Vidrovitch C. (dir.), Connaissance du tiers-monde.
Approche pluridisciplinaire, Paris, Union générale
d'édition/Université Paris 7, 1977.
Darwin Charles, The Descent of man, 1st edition,
1871.
Duschesne S., Scherrer V., identité(s), Actes du
colloque de la MSHS de Poitiers, Poitiers : France(2003).
Gazibo M. et Thiriot C., La politique en Afrique :
états des débats et pistes de recherche, Paris, Karthala,
2009.
Gembloux et Duclos (dir.), Maghreb, Histoire et
sociétés, Alger, SNED, 1974. GEMDEV, Les avatars de l'Etat
en Afrique, Paris, Karthala, 1997.
Goffman E., Stigmate. Les usages sociaux des handicaps,
Paris, 1975 (1re éd. 1963). Goffman, E. La Mise en scène de
la vie quotidienne, Paris, 1973 (1re éd. 1959).
Hermet Guy, Culture et démocratie, Paris, UNESCO,
Albin Michel, 1993.
Jankélévitch Vladimir, 1960, Le pur et
l'impur, Paris, Flammarion, p. 103. Kymlicka, 1992.
Ferréol G., Jucquois G., Dictionnaire de
l'altérité et des relations interculturelles. Paris, Armand
Colin, coll. « Dictionnaire », 2005.
Kymlicka, La citoyenneté multiculturelle : une
théorie libérale du droit des minorités, Editions du
Boréal(Canada), La découverte et Syros(France), 2001.
Lepetit B. (Dir.), Les Formes de l'expérience. Une
autre histoire sociale, Paris, Albin Michel, 1995.
Laplantine François, Nouss Alexis, Le
métissage, Paris, Flammarion, 1997. Lévy-Bruhl L., Les
fonctions mentales dans les sociétés inférieures,
Paris, Alcan, 1910. Lévi-Strauss Claude, Anthropologie structurale
II, Plon, Paris, 1973. Maran René, Batouala, Véritable
roman nègre, Paris, Albin Michel, 1921. Marouf Nadir (Dir.),
Identité-Communauté, Paris, L'harmattan, 1995.
Mbembe A., De la postcolonie. Essai sur l'imagination
politique dans l'Afrique contemporaine. Paris, Karthala, 2000.
Mead G.H., L'Esprit, le soi, et la
société, Paris, PUF, [1934], coll. « Le lien social
», 2006.
134
Merlet Annie, Autour de Loango (XIVe -XIXe siècle),
histoire des peuples du sud-ouest du
Gabon au temps du Royaume de Loango et du « Congo
français », Libreville/Paris, CCF, Coll. «
Découverte du Gabon », 1991.
Mworoha E., Peuples et rois de l'Afrique des grands lacs. Le
Burundi et les royaumes voisins au XIXème siècle
Dakar-Abidjan, NEA, 1977.
Nkoghe Stéphanie (Dir.), Anthropologie de la
socialisation, Paris, L'Harmattan, 2013. N'krumah, L'Afrique doit
s'unir, Paris, Payot, 1964.
Nazi Boni, Histoire synthétique de l'Afrique
résistante, les réactions des peuples africains face aux
influences extérieures, Paris, Présence Afrique, 1971.
Novicow J., La critique du darwinisme social, paris,
Alcan, 1910.
Nze-Nguema F.P., L'Etat au Gabon de 1929 à 1990, Le
partage institutionnel du pouvoir, Paris, L'Harmattan, 1998.
Poutignat P. et Streiff- Fenard J., Théories de
l'ethnicité, Paris, PUF, 1995.
Prunier G. & Chrétien J.-P., Les ethnies ont une
histoire, Karthala, Paris, 2e éd. 2003. Reclus Onésime,
La Géographie vivante" pour le cours préparatoire et le
CM1, 1926.
Renan Ernest, Qu'est-ce qu'une nation ? Editions Mille
et une nuits, novembre 1997, n°178.
Sinou A. et Sternadel J., Villes d'Afrique noire entre 1950
et 1960, Paris, La documentation française, 1989.
Tonda J, Le Souverain moderne. Le corps du pouvoir en Afrique
centrale (Congo, Gabon) Paris, Karthala, 2005.
Tonda J., La guérison divine en Afrique centrale
(Congo-Gabon), Paris, Karthala, 2002.
Rossatanga-Rignault G., L'Etat au Gabon, Histoire et
Institutions, Libreville, Editions Raponda-Walker, 2009,
(1ère éd.2000).
UNHCR et Union interparlementaire, Nationalité et
apatridie, un guide pour les parlementaires, Guide pratique à l'usage
des parlementaires n°11 - 2005.
Vallois Henri, Les Races humaines, Paris: PUF. 7e
édition, 1944.
Ziégler J., Sociologie de la nouvelle Afrique,
paris, Gallimard, coll. « idées nrf », 1964.
135
Articles
Bayart J. F., « Hégémonie et coercition en
Afrique subsaharienne, La «politique de la chicotte« », in
Politique africaine, N°110, juin 2008, pp.123-152.
Brubaker R., F. Cooper « Au-delà de
l'«identité» », Actes de la recherche en sciences
sociales, 139 (2001), pp. 66-85.
Bui-Xuân Gilles, Compte Roy et Mikulovic Jacques, «
La culture du handicap peut-elle être une culture du métissage ?
», Corps et culture [En ligne], Numéro 6/7 | 2004, mis en
ligne le 12 octobre 2007, Consulté le 23 décembre 2015. URL :
http://corpsetculture.revues.org/839.
Chrétien J.P., « le Burundi : des mythes à
la réalité », in Revue française d'études
politiques africaines, 7 août 1979, pp. 112-113.
Darbon D., « De l'ethnie à l'ethnisme :
réflexions autour de quatre sociétés multiraciales,
Burundi, Afrique du Sud, Zimbabwe et Nouvelle Calédonie », in
Afrique contemporaine, N° 154, 1990, pp. 35-48.
Freitag, M. Pour un dépassement de l'opposition entre
«holisme» et «individualisme» en sociologie. In J.-F.
Côté (dir.), Individualismes et individualité,
Sillery: Éditions du Septentrion, 1995, pp. 264-326.
Gahama J., « la marginalisation des anciennes croyances
» in Le Burundi, sous administration belge. La période de
mandat 1919-1939, Paris Karthala-ACCT-CRA, 1983, pp. 355-370.
Gonçalves A.C., « Différences culturelles
et identités ethniques », Revista da Faculdade de
letras-geografia, I Série, Vol. I, Porto, 1986, pp.41-50.
Laely T., « les destins des du Bushingatahe.
Transformation, d'une structure locale d'autorité au Burundi », in
Genève-Afrique, N° 2, 1992, pp.75-98.
Lemaire Sandrine (dir.) et al. « Les zoos humains de la
République coloniale », in Le Monde Diplomatique,
Août 2000, pp. 16-17.
Lévi-Strauss C., Benoist J.-M., « Conclusions
», in L'Identité, séminaire interdisciplinaire
dirigé par Claude Lévi-Strauss, professeur au Collège de
France, 1974- 1975, C. Lévi-Strauss dir. Paris, 1977, p. 317-332.
Martin D. C., « Au-delà de la post-colonie, le
Tout-Monde ? Pour une lecture sociologique d'Edouard Glissant », in Smouts
Marie-Claude (dir.), La situation postcoloniale : les `'postcolonial
studies» dans le débat français, Paris, Presse de
Sciences Po, 2007, p.134-169.
Masure François , « État et identité
nationale, un rapport ambigu », Journal des Anthropologues,
Hors-série | 2007, 39-50.
136
Maquet Jacques, « AFRIQUE NOIRE Culture et
société - Civilisations traditionnelles», in
Encyclopédie Universalis, 2014. (Version
électronique).
Marouf Nadir, « Identité culturelle et
Identité nationale en Algérie et au Maghreb », Colloque
National : La place des formes d'expressions populaires dans la
définition d'une culture nationale. Université de
Tizi-Ouzou, novembre 1999, pp.13-44.
Matsiegui Mboula F., « La `'géopolitique» au
Gabon : Institution d'exercice de la violence de l'imaginaire »,
Gabonica N° 5, Novembre 2011. pp.59-74.
Mauss M., « L'âme, le nom et la personne »
[1929], in OEuvres, 2, Paris, 1969, p. 131-135.
Mauss M., « Une catégorie de l'esprit humain : la
notion de personne, celle de «moi» » [1938], dans Sociologie
et anthropologie, Paris, 1950, p. 331-362.
Mbembe A., « L'Afrique de Nicolas Sarkozy » in
www.africultures.com,
consulté le 05/05/2015
Memmi Albert, « Le portrait du colonisé »,
in
http://www.esprit.presse.fr/review,
consulté le 12/04/2015.
Meproba, « Burundi : un complot impérialiste
mène au génocide », Mai 1972, inédit in Notre
politique, avril 1977, pp.54-57.
Nathan Tobie, « À qui appartiennent les
métis ? » in Nouvelle Revue d'Ethnopsychiatrie, Paris, La
pensée Sauvage Éditions, 21, 1993, p. 13-21.
Nguema Minko E., « la géopolitique du pluralisme
culturel au Gabon : stratégies de longévité au pouvoir et
techniques gouvernantes clientélistes », in Enjeux,
N° 37, 4ème trimestre 2008, p. 248.
Nicolas G., « Fait ethnique et usages du concept d'ethnie
», in Cahier internationales de sociologie, vol. LIV, 1973,
pp.95-126.
Obenga, Théophile, (dir.), Les peuples Bantu :
migrations, expansion et identité culturelle. Actes du Colloque
International - Libreville 1 au 6 avril 1985 - Tome 2. Paris : L'Harmattan
, Libreville : CICIBA, 1989, pp. 293-599
Otayek R., « Afrique (conflits contemporains) » in
Encyclopédie Universalis, 2012(version électronique).
Pourtier Roland, « AFRIQUE Structure et milieu -
Géographie générale » in Encyclopédie
Universalis, 2014, (Version électronique).
137
Rossantanga-Rignault, « Faut-il avoir peur des Fang ? De
la démocratisation à l'ethnisme au Gabon », in Droit et
culture, Revue semestrielle d'anthropologie et d'histoire, N°26,
1993, pp.235-255.
Tonda J., « La violence de l'imaginaire des
enfants-sorciers », Cahiers d'études africaines [En
ligne], 189 190 | 2008, mis en ligne le 04 avril 2008, consulté le 27
février
2015.
www.etudesafricaines.revues.org/10872
Touret Denis, Le darwinisme social par Herbert
Spencer, in Les classiques en sciences sociales,
www.uqac.ca , consulté le
13/04/2015 à 19h 30.
Vandenberghe, F. « L'école de Montréal:
théorie critique ou critique théorique de l'
`'asociété» » in Société, 26,
2006, pp.115-151.
Zavalloni M., « L'identité psychosociale, un
concept à la recherche d'une science » in Moscovici,
Traité de psychologie sociale, 1978, Larousse, Paris, pp.
245-265.
Mémoires et thèses
Di Giacomo J.P., Représentations sociales et
comportement collectif, Thèse de doctorat, UCL, Louvain-la-Neuve,
1982.
Kàc Salif, La problématique des conflits en
Afrique: le cas de la Somalie, de la Côte d'Ivoire et de la RDC,
Mémoire de Maitrise en sciences politiques, Université Gaston
Berger de Saint-Louis, 2012.
Matsiegui Mboula F., L'Etat et le
tribalo-régionalisme au Gabon, de 1990 à nos jours,
thèse de doctorat N.R. Amiens, 2005.
Mbah Jean Ferdinand, Le tribalisme, adaptation et/ou
survivance de l'idéologie dominante au Gabon, Thèse de
Doctorat 3ème Cycle, Paris V, 1979.
Ondo Essono A., Onomastique et classes sociales,
Rapport de licence, UOB, 1992.
Webographie
Cassely Jean Laurent, « Maffesoli Michel le troll de la
sociologie française » sur
www.slate.fr, publié le
09/05/2015, consulté le 23/19/15 à 13h.
138
Diarra A.,
www.rfi.fr/afrique/20131129-archives-frontières-africaines-AddisAbeba
, le 29 novembre 2013, consulté le 19/04/2015 à 19h 08.
Ferry et Clemenceau,
http://ldh-toulon.net/Jules-Ferry-et-Clemenceau.html,
article de la rubrique histoire et colonies > colonies, date de publication
: dimanche 1er décembre 2013 consulté le 08/04/2015 à 19h
08.
Nzouba-Dama G., Discours à l'occasion de la proposition du
projet de loi contre le tribalisme et la xénophobie,
http://i241.ga/921
Ona Essangui Marc, « Maixent, chef de la «Légion
étrangère« » in
www.facebook.com,
publié le 21 décembre 2014.
Rekacewicz Philippe, Carte des frontières de l'Afrique,
in
www.towards.be .
Tonda J., entretien avec Catherine Gau, In
www.Africultiure.com,
Consulté le 04/01/2015 à 9h30.
Table des matières
139
Dédicace
Remerciements
Sigles
Table des illustrations
Avant-propos
Introduction générale 1
Partie préliminaire : PREALABLES
EPISTEMOLOGIQUES ET METHODOLOGIQUES 13
SECTION I : Objet et champ de l'étude
14
1. Le discours nationalitaire comme objet
d'étude 14
2. Champ théorique : la sociologie politique
16
SECTION II : Problématisation 18
I. Revue de la littérature sur le fait
nationalitaire 18
1. Le débat fondamentale sur l'ethnie (la
nationalité) 18
2. La nationalité dans la littérature
sociologique africaniste 21
3. Les universitaires gabonais et le fait
nationalitaire. 28
II. Position 30
1. Cadre théorique 33
2. Hypothèse 36
3. Construction du concept de dynamique du discours
nationalitaire 36
SECTION III : Approche méthodologique
37
I. Techniques de collecte des données.
38
1. L'observation indirecte 38
2. Les fils de discussions 39
3. La recherche bibliographique 40
4. Le focus group 41
II. Technique de traitement des données :
l'analyse de contenu 41
III. Champ empirique et délimitation temporelle
de l'étude 41
IV. Difficultés et limites de l'étude
42
Partie I : PROPRIETES SOCIOHISTORIQUES DU DISCOURS
NATIONALITAIRE 43
Chapitre I : La socio-archéologie de
l'ethnicité 46
Section I : Des prolégomènes pour une
théorie de l'homo ethnicus 47
1. L'étymologie et la généalogie
de l'ethnie 48
140
2. Les ethnè comme formes
élémentaires d'organisation politique. 53
Section II : De l'ethnocentrisme à l'ethnonymie
58
1. L'universalité de l'ethnocentrisme ou la
négation d'une altérité humaine 59
2. La fonction classificatoire des ethnonymes
61
Chapitre II : De la « géno
»-politique coloniale au partage de l'Afrique 65
Section I : La « géno »-politique
coloniale 67
1. Le darwinisme social et la légitimation de
la conquête coloniale 67
2. Le double portrait colonisateur/colonisé
70
Section II : Des frontières naturelles
précoloniales à la division coloniale de l'Afrique 74
1. La répartition territoriale des populations
dans la précolonie 75
2. La Conférence de Berlin de 1884 à
1885 77
Conclusion de la première partie 81
Partie II: LA METAMORPHOSE DE LA RACE 83
Chapitre III : Entre nationalisme et le
multiculturalisme. 87
Section I : Une citoyenneté improbable
90
1. L'intégration des nationalités et la
construction de l'Etat 91
2. « Gabon d'abord » ou le manifeste
politique des Pères de la Nation 93
Section II : Le nationalitarisme et la lutte pour le
pouvoir d'Etat 95
1. Les partis politiques et la tyrannie du clan
97
2. La géopolitique du pluralisme culturel
104
Chapitre IV : Le nouvel esprit de la
nationalité 107
Section I : Qu'est-ce qu'un Gabonais ? 107
1. Du droit à la gabonité
108
2. La hiérarchie des origines de la
gabonité. 112
Section II : La gabonité au prisme de la
mondialisation 117
1. Pour une critique de la raison métisse
118
2. La nationalité dans le droit international
121
Conclusion de la deuxième partie
125
Conclusion générale 127
Bibliographie 131
|
|