CHAPITRE III :
LE DEPLOIEMENT
AMERICAIN AU CAMEROUN
Le projet géostratégique des
États-Unis d'Amérique dans le Golfe de Guinée : analyse
de l'action américaine au Cameroun entre 1997 et 2013
Mémoire en Master II Science Politique François
Xavier NOAH EDZIMBI, UY II-SOA 64
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Le projet géostratégique des
États-Unis d'Amérique dans le Golfe de Guinée : analyse
de l'action américaine au Cameroun entre 1997 et 2013
La forte économie des États-Unis
génère une demande en hydrocarbures que la production nationale
n'est pas à même de satisfaire. Ainsi, les Américains font
preuve d'un dynamisme impressionnant pour mettre en oeuvre une stratégie
leur permettant, pour importer la différence nécessaire à
leurs besoins, de profiter pleinement des ressources énergétiques
dont regorge le Cameroun. Les États-Unis exploitent, par exemple, de
l'incapacité politique et technologique des dirigeants camerounais
à contrôler et à exploiter les richesses que possède
l'État. Les États-Unis, pour quadriller le Cameroun, se
déploient à la fois dans le cadre bilatéral (section I)
que multilatéral (section II).
SECTION I : L'EXPRESSION DE LA MANOEUVRE AMERICAINE
DANS SES
RELATIONS BILATERALES AVEC LE CAMEROUN
Afin de mieux dérouler son projet
géostratégique au Cameroun, les États-Unis font appel
à la fois aux acteurs gouvernementaux et non gouvernementaux. Ceux-ci
utilisent différents moyens, structurant la politique
étrangère américaine202, pour arriver à
leurs fins dans cet État du Golfe de Guinée. Il s'agit des
procédés politico-diplomatiques, socio-économiques et
militaires. Ainsi, pour une meilleure compréhension et une
lisibilité de notre travail, nous présenterons en premier les
moyens politico-diplomatiques (paragraphe 1) et par la suite ceux
socio-économiques et militaires (paragraphe 2).
Paragraphe 1 : les moyens politico-diplomatiques
utilisés par les
États-Unis
a- Le pilier politique : usage géopolitique de
principes démocratiques et du droit international
Les États-Unis font usage de procédés
tant officiels qu'officieux203 au Cameroun. Parmi ceux-ci, les
programmes d'aide économique et sociale de même que des
équipes d'observation de scrutins électoraux sont usités.
L'invitation de délégations comme l'attribution de
récompenses aux personnes ou organismes camerounais, s'étant
distingué par
202 Nzeugang, « Les Etats-Unis en Afrique
après le 11 septembre 2001... », p.46. Pour Susan B.
Epstein, Nina M. SERAFINO et Francis T. MIKO-2007-la démocratie en
termes d'essence de la politique étrangère des États-Unis,
est la pierre angulaire, l'élément structurant de la politique
étrangère et partant africaine des États-Unis.
203L. DIAMOND, « An American Foreign Policy
for Democracy » in Policy Report, july 1991.
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Le projet géostratégique des
États-Unis d'Amérique dans le Golfe de Guinée : analyse
de l'action américaine au Cameroun entre 1997 et 2013
des activités en faveur de la démocratie et du
respect des droits et libertés fondamentaux204, participent
aussi à une politique de charme déployée par les
États-Unis205.
Cette manière d'agir provient de l'histoire
vécue par les États-Unis qui durent batailler avec la puissance
colonisatrice anglaise pour accéder à l'indépendance. Ils
trouvèrent nécessaire et indispensable d'établir la
démocratie dans laquelle les individus, plus précisément
les citoyens, ont le pouvoir de décider par le moyen des
élections compétitives et par la préservation des droits
et libertés du citoyen. Pour les États-Unis, la démocratie
libérale, encore appelée démocratie de marché, se
particularise par une large participation-plus ou moins directe-des citoyens
à la vie publique. Les libertés politiques comme celles de la
presse, l'association de conscience et d'expression sont garanties par un
système politique représentatif c'est-à-dire par une
Constitution et un Congrès où siègent les
représentants élus de la nation. Pour eux, les libertés
économiques côtoient les libertés politiques, l'État
protège l'initiative individuelle, la propriété
privée et l'égalité des citoyens206.
Ce principe d'égalité ne s'oppose
évidemment pas aux inégalités économiques où
les plus riches côtoient les plus démunis. Ces principes sont
utilisés par les Américains au Cameroun en vue de promouvoir un
État démocratique. Ils se réfèrent aux propos du
président de la République Paul BIYA dont l'ambition est de
léguer à ses compatriotes, notamment aux jeunes
générations, une Nation démocratique, forte, unie,
pacifique et prospère. Les États-Unis offrent ainsi, pour la
promotion de cet État démocratique, des aides en formes
d'assistance, de prise en charge et d'observation de scrutins électoraux
au Cameroun. Tel a été le cas des élections
présidentielles de 2011 où l'ancien ambassadeur américain,
Robert P. JACKSON, s'est félicité de l'aide américaine
pour les programmes d'inscription sur les listes
électorales207.
Du côté de l'attribution de récompenses,
l'exemple de reconnaissance par les États-Unis à un individu pour
son engagement, en ce qui est de lutte contre les atteintes à la
démocratie, est Henriette EBONGO EKWE, journaliste, femme politique et
militante pour les droits de l'Homme. Elle est la première africaine
à avoir reçu l'IWCA208, prix du Courage Féminin
décerné par le département d'État américain
et reçue des mains d'Hilary CLINTON
204 Ibid.
205 Ibid., p.105.
206 A. TOCQUEVILLE, De la démocratie en
Amérique, Paris, Gallimard, 1961.
207 Cameroon Tribune no 9732/5934- 37e
année, du mardi 30 novembre 2010, p.5.
208 International Women of Courage Awards ou Prix Internationaux
pour Femmes engagées.
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États-Unis d'Amérique dans le Golfe de Guinée : analyse
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en présence de la première dame
américaine, Michelle OBAMA209. Selon Robert JACKSON ancien
ambassadeur des États-Unis au Cameroun, elle a été choisie
en raison de son courage exceptionnel, son engagement et son leadership dans la
promotion de la démocratie, de la transparence, des Droits de l'Homme et
de l'État de droit au Cameroun. Elle a été, à la
demande d'Hilary CLINTON, auteure du discours d'acceptation des
lauréats210. L'attachement des États-Unis au Cameroun,
pour la promotion d'un État fort, s'exprime aussi par des programmes
d'aide en matière de santé. Selon Robert JACKSON, le gouvernement
américain va continuer de soutenir le Ministère de la
Santé et les différents centres médicaux camerounais
spécialement dans la lutte contre le choléra et le VIH/Sida.
Cette aide se situait au-dessus des 14 millions de dollars (environ 7 milliards
de FCFA) en 2010. Aussi le gouvernement américain cherche-t-il d'autres
moyens qui permettront de renforcer le partenariat entre le Cameroun et les
États-Unis211.
Moins visible, la dimension propagandiste figure parmi des
moyens usités par les États-Unis pour promouvoir la
démocratie au Cameroun. La promotion de la démocratie
apparaît dans les discours d'officiels américains que ce soit aux
États-Unis ou lors de leurs tournées camerounaises. Ceux-ci
condamnent les violations de droits de l'Homme, dénoncent les
insuffisances observées en matière de démocratie ou
encouragent le pays à s'engager sur ce chemin. Les États-Unis
promeuvent l'égalité de genre, les droits de la femme, la
liberté d'expression et de religion. C'est le cas de la lettre du
président américain Barack OBAMA à son homologue
Camerounais, son excellence Paul BIYA, à l'occasion de la fête
nationale de la République du Cameroun du 20 mai 2012, dans laquelle le
président OBAMA le félicitait pour les relations amicales et de
coopérations pacifiques consolidées par les avancées
considérables en termes de respect de principes de
démocratie212.
Cette entente entre les deux États s'affirme à
travers les condoléances du chef de l'État camerounais à
son homologue américain, Barak Hussein OBAMA, après le double
attentat survenu au cours du marathon de Boston, le mardi 16 avril 2013,
provoquant des pertes en vie humaines (03 morts), de nombreux blessés
(140 blessés) et des pertes matérielles213. Ces
évènements lui ont permis de réaffirmer sa
détermination à ne ménager aucun effort pour que le
Cameroun demeure une terre d'hospitalité, de tolérance, de
stabilité
209 Jeune Afrique Économique édition africaine
no 384 d'août et septembre 2011, p.368.
210 Ibid.
211 Cameroon Tribune no 9732/5934- 37e
année, du mardi 30 novembre 2010, p.5.
212 Hot News, Hebdomadaire Bilingue- 2e année
no 065 du mardi 22 mai 2012, p.3.
213 Cameroon Tribune, no 10328/6529, p2.
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Le projet géostratégique des
États-Unis d'Amérique dans le Golfe de Guinée : analyse
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et de paix214, assurant les investisseurs
américains de la sauvegarde et de la préservation des principes
démocratiques contre des fléaux tels que le terrorisme ou les
prises d'otages.
La promotion d'un État démocratique au Cameroun,
par les États-Unis, ne souffre d'aucune contestation. Toutefois, si pour
les Camerounais les relations de coopération avec les Américains
se limitent à un élan humaniste, tel n'est point le cas chez les
Américains. Pour eux en effet, la coopération est utilisée
dans une géométrie variable. Elle sert les intérêts
des deux parties et n'est pas une faveur qu'un pays concède à un
autre215. Ainsi, la dialectique des intelligences216 qui
prévaut dans les relations entre États nous commande une
démarche ponctuée de réserve. La coopération des
États-Unis avec le Cameroun n'a pour seul objectif que
l'exécution de leurs entreprises géopolitiques. Elle leur permet,
en effet, de mettre en oeuvre une stratégie de « shaping »,
consistant à façonner l'environnement camerounais afin de
parvenir à leurs objectifs217, par la diffusion des normes,
des valeurs et des standards américains218.
Les États-Unis ont prévu la participation des
populations camerounaises pour la mise en oeuvre de cette stratégie. Le
processus débute par une assimilation de l'opinion nationale,
nommée allié silencieux, par des moyens médiatiques
américains qui diffusent des programmes scrupuleusement
choisis219. Ces programmes, définis comme diplomatie publique
par des stratèges américains220, permettent aux
États-Unis de présenter et d'expliquer leur culture aux
populations camerounaises. Les rapports publiés annuellement, par le
gouvernement américain et certains organismes privés, font aussi
parties de cette stratégie. Ils exposent l'État camerounais aux
critiques de l'opinion publique et de la communauté internationale sur
des sujets comme le respect de la démocratie.
Ces rapports visent l'assimilation des populations
camerounaises afin qu'elles se soulèvent et réclament des
reformes profitables aux États-Unis221. Ces arguments sus
cités peuvent être confirmés par les propos de l'ancien
ambassadeur américain, Frances COOK, qui, en période de fortes
tensions politiques entre 1991 et 1992, apporta son soutien à
l'opposition radicale. Ses critiques sur la gestion de l'État et le
respect des droits de l'Homme
214 Cameroon Tribune, no 10327/6528, p.5.
215 Henry Kissinger, « La nouvelle puissance
américaine », Paris, Fayard 2003, p.63.
216 H. COUTAU-BEGARIE, Traité de
stratégie, Paris. Economia, 1999, p.70.
217 Nzeugang, « Les États-Unis en Afrique
après le 11 septembre 2001... », pp.129-130.
218 NGHERMANI, « Les Etats-Unis et l'Europe en Afrique
subsaharienne, rivaux ou partenaires ? », 10 mars 2006.
219 Ibid.
220 Ibid.
221 Nzeugang, « Les États-Unis en Afrique
après le 11 septembre 2001... », pp.129-130.
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Le projet géostratégique des
États-Unis d'Amérique dans le Golfe de Guinée : analyse
de l'action américaine au Cameroun entre 1997 et 2013
par le régime politique camerounais en place à
cette période ont, d'une certaine manière, poussées les
populations du Nord-Ouest Cameroun, favorables à la culture
américaine à s'opposer au régime. La répercussion
des rapports d'ONG, qu'elles soient américaines ou ayant des
financements américains, est aussi décelable. La condamnation,
par certaines ONG, des carences démocratiques, des violations des droits
et libertés fondamentaux de minorités sexuelles camerounaises
constituent également un stratagème. Le rapport d'Amnesty
International, publié le mercredi 23 janvier 2012, sur
l'égalité des droits de l'Homme au Cameroun en est un exemple. Ce
rapport dénonce les conditions d'incarcération, les procès
politiques et surtout la pénalisation des rapports entre des personnes
de même sexe222.
Malgré ces condamnations, les relations entre les
régimes Camerounais et Américains sont toutefois cordiales. En
effet, pour les États-Unis, la démocratie est
considérée comme un véritable instrument de politique
étrangère, au service de la paix et de la sécurité
de même que de la conquête des marchés et du pétrole.
Les régimes occidentaux ont une conception des droits de l'Homme
à géométrie variable. Ils jugent la politique des autres
États, dits non-démocratiques, à l'aune de leurs
intérêts223. Ainsi, du moment où le
régime politique en place au Cameroun sauvegarde les
intérêts américains, il peut gouverner sans être
inquiété.
Cette collaboration américano-camerounaise est aussi
perceptible au niveau diplomatique.
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