SECTION.3. LA CONCEPTION RUSSE DE LA REVOLUTION DE
L'EUROMAIDAN
On s'accordera sur le fait qu'Européens et
Américains ont sous-estimé l'énergie
désespérée, et tardive, avec laquelle la Russie a combattu
victorieusement l'Accord d'association avec l'Ukraine, usant de toutes les
ressources possibles pour retourner le camp du président Viktor
Ianoukovitch. Il est aussi évident que Maïdan a constitué
inversement, pour les Russes, une mauvaise surprise stratégique. Dans la
vision russe du monde, le peuple n'est pas un acteur, et les révolutions
sont par nature manipulées. Il est remarquable de voir à quel
point la Russie contemporaine, jetant aux poubelles de l'histoire
l'épopée soviétique de la révolution d'Octobre,
s'est approprié la thèse occidentale du coup d'État
bolchevique.
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Sur ce point comme sur beaucoup d'autres, la Russie de Poutine
est plus proche de celle de Nicolas 1er que de celle de
Lénine ou de Léonid Brejnev. À cela s'ajoute le «
tourisme révolutionnaire », qui atteint son pic lors des trois
jours du sommet de l'Organisation pour la sécurité et la
coopération en Europe (OSCE) à Kiev en décembre 2013,
combiné à l'ignorance de l'histoire ukrainienne de la part des
leaders occidentaux qui, se laissant photographier en toute innocence
sous les drapeaux rouge et noir, ouvraient un boulevard à la propagande
russe sur le soutien étranger aux « fascistes » ukrainiens.
Le mode opératoire rappelle aussi bien celui des
conflits caucasiens et moldave du début des années 1990 que la
réponse russe à la guerre d'août 2008 en Géorgie, et
relève plus du réflexe que de la réflexion. L'analogie
semble plus à rechercher dans les automatismes acquis dans les sports de
combat (un domaine dans lequel on ne peut nier la compétence du
président russe) que dans le jeu d'échecs.
Face à l'opposition ukrainienne, les dirigeants
européens étaient conscients du caractère potentiellement
explosif de la situation.
Quant aux Russes, ils ne pouvaient interpréter la fuite
de Ianoukovitch que comme une violation de l'accord du 22 février 2014
avec la complicité active des médiateurs européens. «
Dans le cadre de la théorie du complot qui prévaut dans l'esprit
des dirigeants russes depuis la révolution serbe d'octobre 2000, la
créature n'est censée jouir d'aucune autonomie de décision
par rapport au créateur »48.
Ainsi pour les russes la révolution du maïdan est
une instrumentalisations de ceux que Moscou appelle « les fascistes »
; cette révolution n'a jamais été un fait populaire
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