Dette extérieure et fuite des capitaux au Cameroun.( Télécharger le fichier original )par Yann Harold NOUNAMO Université de Yaoundé 2-SOA - Master 2015 |
INTRODUCTION GENERALE
La recherche du bien-être est une aspiration profonde et constante de l'homme. Quelle que soit la région du monde où ils appartiennent, les hommes imaginent et déploient les efforts tendant à l'amélioration de leur cadre et de leur niveau de vie. Les pays développés et en développement mettent en oeuvre et affinent de façon continue, des politiques et des stratégies de croissance économique afin de réaliser cet objectif. Cependant, la rareté des ressources, en particulier celle du facteur capital et la faible capacité d'absorption de ce dernier du fait de l'accumulation insuffisante, amènent les pays en développement (PED) à décupler des efforts pour améliorer le niveau de vie de leurs habitants. Ces deux groupes de pays entretiennent mutuellement des courants d'échanges commerciaux et de relations multiples (diplomatiques, économiques, financières, d'assistance technique...). Ces relations font intervenir les Etats, les institutions publiques et privées, commerciales et bancaires. Les efforts de développement entrepris par les PED, sont-ils faut-il l'avouer, fortement influencés par le comportement du monde développé, nanti de puissants moyens techniques et financiers. Le chemin parcouru par les PED est suffisamment long aujourd'hui pour mesurer les progrès accomplis, et porter un jugement de valeur sur telle politique mise en oeuvre et recenser les conditions et les moyens sur lesquels il convient de mettre l'accent en vue d'une amélioration des performances. Dans ce contexte, la dette extérieure comme source de financement des investissements des PED et l'amélioration des balances de paiements desdits pays est nécessaire. En effet, le financement de la croissance à l'aide d'emprunt étranger est une nécessité pratiquée par les PED mais les modalités et les conditions de ces emprunts sont diverses. L'endettement agit sur le pays emprunteur par ses effets en capital et en coût. Un endettement trop faible serait sans effet sur le processus de développement. Un endettement trop fort, par la lourdeur de la charge à rembourser, pourrait bloquer le processus de développement et provoquer des sorties massives de capitaux. C'est dans cette situation de sorties massives de capitaux que se trouvent bon nombre de PED depuis plusieurs décennies. C'est sans doute ce qui justifie la littérature florissante sur le phénomène de fuite de capitaux. Ce phénomène frappe avec une particulière gravité l'ensemble des Etats Africains au Sud du Sahara en général, et en particulier ceux de la Zone Franc et dont le Cameroun. 1. Contexte de l'étudeL'endettement est un phénomène universel que l'on retrouve dans tous les pays, en particulier dans les pays en voie de développement (PED) confrontés à une insuffisance de l'épargne interne. L'endettement extérieur, qui constitue un appel aux capitaux étrangers, sert d'appoint à cette épargne et permet de financer les projets d'investissement nécessaires à la croissance. La dette extérieure est donc censée jouer un rôle de catalyseur dans la mutation structurelle des PED. Dans cette optique, les emprunts étrangers sont apparus comme un élément essentiel intégré au processus de développement de ces économies. Toutefois, cet endettement s'accompagne aussi de phénomènes négatifs tels que la fuite des capitaux. Pour ces pays, ce phénomène représente un réel frein à la croissance à travers son impact négatif sur le niveau d'investissement des économies en développement. La fuite des capitaux est un concept économique qui n'est pas récent. Si les premières réflexions pourraient remonter à Smith (1776), c'est avec la crise d'endettement de certains pays d'Amérique latine (Mexique et Argentine) dans les années 80 que l'attention pour la fuite des capitaux est devenue considérable. Déclenchée en Août 82 par l'effondrement financier du Mexique qui ne pouvait plus faire face à une dette extérieure de 80 milliards de dollars, cette crise d'endettement a entrainé dans son sillage d'autres PED et dont le Cameroun (Touna Mama, 1996). Une crise qui, à la base était une crise d'endettement s'est vue intensifiée par le comportement des plus riches résidents, qui, en investissant massivement dans des actifs étrangers, ont entrainé un épisode de fuite massive des capitaux. Comme solution à ce problème, le FMI1(*) et les Etats-Unis d'Amérique ont imposé à ces pays une série de réformes économiques à adopter afin d'être admissibles à un allègement de leurs dettes. Ces réformes inscrites dans le cadre du « Plan Brady 2(*)» avaient pour objectif de ramener les capitaux sorties à travers des mesures telles que la déréglementation des marchés financiers, l'austérité budgétaire, la dépréciation de la monnaie, la baisse des salaires et l'augmentation des taux d'intérêt. Même si le plan Brady a permis à certains de ces pays d'Amérique latine de résoudre leurs problèmes de dettes extérieures, à partir du milieu des années 90, de nombreuses crises financières accompagnées d'épisode de fuite de capitaux ont encore surgi dans certaines de ces économies. Particulièrement la crise Mexicaine entre 1994 et 1995, ensuite celle du Japon en 1997, suivie de la crise brésilienne en 1998. Aujourd'hui encore, les problèmes de dette extérieure et de fuite des capitaux se posent avec acuité et touchent aussi bien les économies développées que les économies en voie de développement. En Europe par exemple, elle a davantage pris la forme de la crise de la dette et le cas de la Grèce est assez parlant à ce sujet. En 2010, la dette Grecque s'élevait à 300 milliards d'euros soit 130% du PIB avec une progression annuelle de 12%, ce qui à l'évidence est insoutenable malgré les multiples plans de relances proposés, qui n'apportent pas toujours de solutions appropriées et acceptées par tous. Par ailleurs, nombre de pays européens ont vu leur dette totale exploser au premier rang desquels l'Irlande, avec 172 points de pourcentage de hausse par rapport au PIB entre 2007 et 2014, suivie par Singapour (129%), le Portugal (100%)3(*). Ce qui permet de reconsidérer fortement la vision des économistes classiques qui voyaient dans la dette une entrave au développement économique. De même, dans la zone euro, la récente crise de la dette publique qui a éclaté juste après celle des « Subprimes4(*) » des Etats-Unis d'Amérique a entrainé la fuite des capitaux des pays du Sud5(*) de l'Europe vers ceux du Nord6(*). Ainsi en trois ans, 600 milliards d'euro ont été rapatriés d'Espagne et d'Italie vers l'Allemagne et la France, qui à ce moment représentaient des investissements plus sûrs. En Afrique, d'après le dernier rapport de l'organisme international Global Financial Integrity7(*) les flux financiers illicites sortant du continent ont représenté au moins 29 milliards de dollars par an entre 1970 et 2008 (hors inflation). L'estimation de ces flux est encore plus forte pendant la période 2001-2008, qui a été marquée par une forte croissance, à cause de la hausse des prix des matières premières. Cette estimation s'élève à près de 54 milliards de dollars par an en moyenne durant cette période, et même 90 milliards en 2007 et 2008. Au Cameroun, l'encours de la dette publique est composé au 30 juin 2015, de 72,5% de dette extérieure, soit 2767 milliards de FCFA et 21,1% de dette intérieure correspondant à 1031 milliards de FCFA. A cela s'ajoute les récentes crises sociales, notamment les problèmes d'insécurité liés au groupe terroriste Boko Haram, la crise centrafricaine et la crise d'Ebola et ses répercussions. Selon Ndikumana et Boyce (2013), l'Afrique est victime d'une fuite de capitaux considérable à la fois en valeur absolue et en proportion du PIB : plus de 700 milliards de dollars entre 1970 et 2008. Ils estiment les pertes financières des 33 pays d'Afrique subsaharienne à 944 milliards de dollars sur cette période de 39 ans. En outre, dans une étude sur la fuite des capitaux des pays à faible revenu et lourdement endettés d'Afrique subsaharienne sur la période 1980-1991, Ajayi (1997) constate que la fuite des capitaux de la période avoisine plus de 40% de la dette extérieure pour un échantillon de 18 pays, et que le ratio était de 94% pour le Nigeria et le Rwanda,74% pour le Kenya, et 60% pour le Soudan. Ils constatent que les pays qui présentent la plus grande fuite de capitaux sont souvent aussi les plus fortement endettés et caractérisent cette situation de « problèmes jumeaux»8(*). D'autres études à l'instar de celle de Ndikumana et Boyce (2011), soulignent que trois pays de la Zone Franc (ZFA) sont parmi les dix premiers pays d'Afrique subsaharienne possédant les fuites des capitaux les plus élevées. C'est ainsi que la Côte d'Ivoire occupe la 3ème position (45,4 milliards de dollars soit 194,1% du PIB) ; le Cameroun la 7ème position (24 milliards de dollars soit 102,8% du PIB) et le Congo la 8ème position (23,9 milliards de dollars soit 223,4% du PIB). Les chiffres précédents montrent que les pays de la ZFA sont très affectés par le phénomène de fuite massive de capitaux. Cet argument est complété par Ndiaye (2012) pour qui, la zone CEMAC est la région de la ZFA la plus affectée par la fuite massive des capitaux (près de 81,5% de la fuite des capitaux de la ZFA, soit environ 65,3 milliards de dollars en zone CEMAC contre environ 14,9 milliards de dollars en zone UEMOA. De tels résultats révèlent les deux constats suivants : d'une part, si un pays appartient à la CEMAC, alors il appartient à une zone géographique où l'ampleur de la fuite des capitaux est très élevée. D'autre part, le Cameroun est le pays de la zone CEMAC le plus affecté par le phénomène de la fuite des capitaux. Une difficulté rencontrée avec l'analyse de la fuite des capitaux concerne sa définition. Si l'on considère de façon générale que la fuite des capitaux est la sortie des capitaux d'un pays vers l'extérieur pour un motif ou un autre, dans la littérature économique, « II n'y a aucun consensus sur la définition de la fuite des capitaux ». Cette remarque, faite par Hermes, Lensink et Murinde (2002a) et Macleod (2002), révèle l'existence de diverses méthodes de mesure de la fuite des capitaux. Plusieurs études suggèrent que la fuite des capitaux doit être distinguée des sorties normales de capitaux (Deppler et Williamson, 1987 ; Walter, 1987 ; Kindleberger, 1987) pendant que d'autres auteurs comme Erbe (1985), la Banque Mondiale et Morgan Guaranty Trust Company9(*), soutiennent que la fuite des capitaux ne doit pas être distinguée des flux normaux extérieurs de capitaux, et la définissent comme toutes les sorties de capitaux privés de toute espèce qui aboutissent à l'acquisition d'avoirs extérieurs par les résidents d'un pays. Au cours de notre analyse, aucune distinction ne sera faite entre sorties normale et anormale de capitaux. Ainsi donc, nous considèrerons la fuite des capitaux telle que définie par la méthode résiduelle de la Banque Mondiale. Nous tiendrons aussi compte des différents ajustements associés à cette méthode notamment, l'ajustement aux falsifications des transactions commerciales (Lessard et Williamson; 1987), l'ajustement aux fluctuations du taux de change `-( Boyce et Ndikumana, 2001) ainsi que les ajustements aux annulations de dettes, aux envois de fonds non-enregistrés et à l'inflation -( Ndikumana et Boyce, 2010). * 1Fond Monétaire International * 2Plan mis en oeuvre par le Secrétaire d'Etat d'administration Bush en 1989, suite à l'échec des plans antérieurs parmi lesquels le plan Baker (Secrétaire au Trésor Américain). Ce plan a été utilisé par les pays d'Amérique Latine pour échanger des réformes libérales contre des réaménagements de leur dette. * 3 Source : note de conjoncture de la dette publique du Cameroun, Numéro 14 - mars 2015, CAA * 4Crise financière qui débuta aux USA en 2007 et se propagea au reste du monde. Elle a été causée par l'éclatement de la bulle spéculative immobilière. * 5Espagne, Italie, Irlande, Grèce, Portugal, Belgique * 6Allemagne, Luxembourg, Pays-Bas * 7Organisation non gouvernementale située à Washington qui oeuvre à la promotion des politiques, des mesures de protection et des ententes nationales et multilatérales visant à freiner les mouvements transfrontaliers de capitaux illicites : corruption, contrebande, crime organisé et évasion fiscale. * 8 « twins problems ». * 9Banque Américaine issue de la fusion, réalisée en 1959, de la Guaranty Trust Company of New York et de la banque J. P. Morgan and Co. Incorporated. |
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