§2. L'influence américaine dans le
pacifique
Les Etats-Unis entendent rester ou redevenir ce qu'ils sont,
une puissance hégémonique et/ou indispensable qui, si elle n'est
plus gendarme du monde, a une capacité d'empêcher ce qui ne leur
convient pas. La Chine, en dépit de discours officiels
lénifiants, cherche sans doute à affirmer une
hégémonie dans sa propre région pour étendre en
suite progressivement sa sphère de domination et à terme
contrôler l'ensemble du système mondial163.
Aujourd'hui, la situation est la suivante : les USA ont une
domination stratégique écrasante dans la région. Ils
encerclent la Chine par leurs bases et leurs alliances quadrillent toute l'Asie
: traités de sécurité avec le Japon, Taiwan et la
Corée du Sud ; accords avec la Thaïlande, Singapour et les
Philippines en Asie du Sud-Est ; double alliance avec l'Inde et le Pakistan en
Asie du Sud ; présence en Afghanistan, au Kirghizstan et en
Ouzbékistan en Asie centrale.
En face, l'activisme chinois, qui repose sur leur importance
économique régionale, est plus limité. Il vise à
geler la péninsule coréenne et se déploie de façon
concurrente au Pakistan, en Asie centrale ou jusqu'en Iran-Irak. C'est dans ce
contexte que la présence américaine dans la région donne
lieu à un désaccord. Les USA estiment que tout ce qui passe dans
le pacifique est une affaire américaine, alors que les chinois
soutiennent que toutes les questions locales doivent être
réglées sur une base bilatérale avec les nations
concernées et que, selon Wen Jiabao, des forces extérieures n'ont
pas à interférer.
Il n'en reste pas non plus que ce réengagement ne
suscite pas toujours l'enthousiasme dans la région. La proposition du
Vietnam et des Philippines lors de sommet de Bali, réunissant les
ministres des affaires étrangères de l'ASEAN en 2011 de
créer un front antichinois a été accueillie avec
tiédeur par les autres membres qui, conscients de leur dépendance
économique vis-à-vis de Pékin, ne souhaitent pas se
trouver pris en porte-à-faux entre les intérêts divergents
des deux puissances rivales.
163 Nazet, M., op.cit., p.316
Aujourd'hui, la Chine ne se pense pas comme une puissance
comme les autres, mais comme une puissance en capacité de
régénérer le monde par la promotion d'un système
présenté comme concurrent des Etats-Unis.
§3. Le contexte stratégique
Ce paragraphe va plus éclairer les situations de
relations dites ambiguës entre les deux puissances. C'est ici où il
convient de dire que les deux Etats à hégémonies en
gestation, peuvent ou pas se contredire du point de vue de contrôle du
monde. Bien des questions se posent s'agissant de rapport entre les USA et la
Chine, en ce qui concerne la résurgence de la nouvelle guerre froide.
Nous allons ainsi en apporter des réponses avec certains
spécialistes de Relations Internationales qui ont déjà
consacré des études importantes à ce sujet. Mais pour
aborder cette question, nous allons procéder à nous poser mille
et une questions avec Henry Kissinger, qui est un grand analyste sur la
question.
Cet auteur se pose une chaine des questions pour cerner la
quintessence de la situation même, en disant : « les Etats-Unis
doivent-ils chercher par tous les moyens possibles à retarder
l'émergence de la Chine au rang de grande puissance? Ou doivent-ils
s'efforcer d'instituer une structure asiatique ouverte à la
coopération avec tous les Etats, une structure qui ne reposerait pas sur
l'hypothèse de l'agressivité inhérente de tel ou tel ou
pays, mais serait en même temps assez souple pour résister
à toutes aspirations à
l'hégémonie?164.
A la suite des idées de l'auteur, après ces
questions, il souligne que la Chine est le pays de la planète qui a
connu la plus longue histoire ininterrompue et elle a été
contrôlée par le dernier gouvernement à se dire communiste.
C'est l'Etat qui a le plus de chances de se poser en rival des Etats-Unis
à un moment quelconque du siècle nouveau. L'auteur pense quant
à ce, que cette situation puisse se présenter dans les vingt-cinq
ans à venir.
164 Kissinger, H., la nouvelle puissance
américaine, Paris, éd. Nouveaux horizons fayard, 2003, p.
159
123
Il faut noter que le monde interactif actuel entre les deux
prétendus rivaux, est fort différent de celui de la guerre
froide. L'idéologie soviétique insistait sur son
applicabilité universelle, et jusqu'à Mikail Gorbatchev, tous les
dirigeants soviétiques avaient proclamé que leur objectif ultime
était le triomphe mondiale du communisme. La doctrine Brejnev
reflétait la détermination de Moscou à maintenir les
partis communistes au pouvoir, par la force au besoin, et l'Union
soviétique est intervenue militairement en Hongrie et en
Tchécoslovaquie, tout en menaçant d'en faire autant en Pologne et
indirectement en Chine. La direction communiste chinoise ne mène pas une
politique de ce genre à l'étranger et ne formule pas de telles
revendications universelles ; elle ne mène pas à la baguette un
réseau de partis communistes ou d'organisations extrémistes
déclarant leur allégeance à Pékin. Et elle ne remet
pas en question la structure intérieure d'autres Etats pour des motifs
idéologiques.
Disons avec cet auteur que, la politique chinoise est
patiente, elle s'inscrit dans le long terme. Le défi géopolitique
tel que le voit Pékin ne réside certainement pas dans la
conquête de pays voisins, l'objectif serait plutôt d'éviter
toute association de ceux-ci contre la Chine. Les dirigeants chinois n'ont
évidemment aucun intérêt à provoquer les Etats-Unis,
un pays extrêmement lointain et qui, historiquement, n'a jamais
menacé l'unité ni l'intégrité de la Chine. Certes,
dans leurs déclarations officielles, les chinois ne ménagent pas
leurs critiques contre les alliances militaires américaines en Asie, ce
qui pourrait donner à penser que leur pays cherche, à longue
échéance, à compromettre la présence des Etats-Unis
dans la région et à amoindrir leur rôle. Mais il n'est pas
besoin de croire à la bonne volonté de la Chine ni à ses
intentions pacifiques à long terme pour conclure que la simple prudence
empêchera ses dirigeants de prendre à la légère le
risque d'un conflit avec la puissance militaire dominante du monde à
cette étape de l'évolution de leur pays. Ajoutons avec Kissinger
que, les intérêts de la Chine moderne dans le système
économique international sont immenses, plus importants que l'Union
soviétique n'en a jamais eu, ce qui lui donne d'excellentes raisons de
ne pas remettre en cause le statu quo en Asie.
Un conflit avec les USA permettrait à tous les pays qui
entourent la vaste périphérie de la Chine de poursuivre leurs
ambitions et de faire valoir leurs prétentions. Dans ces conditions, la
Chine serait bien avisée d'appliquer la maxime fondamentale de sa
politique traditionnelle : « opposer les barbares lointains aux barbares
les plus proches ». de ce point de vue, les USA se verraient attribuer le
rôle d'option géopolitique de la Chine et même de filet de
protection potentiel, et non celui d'ennemi juré. Dans l'ensemble, la
politique chinoise a suivi cette voie malgré quelques vicissitudes,
à propos de Taiwan essentiellement165.
Sur le plan armement
Il convient également de garder le sens de la mesure
lorsqu'on envisage que la Chine puisse défier militairement et
directement les Etats-Unis. L'URSS possédait quelque 2500 vecteurs
stratégiques, dont certains étaient équipés
d'ogives multiples d'une haute précision potentielle. Une attaque tous
azimuts contre les USA était techniquement réalisable, et elle
était envisageable stratégiquement (bien qu'elle n'ait jamais
été vraisemblable). La force stratégique chinoise, qui se
limite à une trentaine des missiles à combustible liquide
équipés d'ogives uniques, et dont le lancement exige plusieurs
heures, ne permet pas d'opérations offensives. Et si, au cours des
prochaines décennies, les chinois font l'acquisition d'ogives multiples
pour équiper un nombre plus important de missiles à combustible
solide, une défense américaine anti-missile permettra
aisément de préserver l'équilibre166.
Quant aux forces terrestres chinoises, elles sont en mesure
d'assurer la défense de leur patrie par une stratégie d'usure,
mais elles ne se prêtent pas à des opérations offensives
prolongées contre un adversaire majeur. Ajoutons que sur
périphérie, la Chine se trouve dans une situation bien plus
périlleuse que celle de l'Union soviétique connaissait en Europe.
L'URSS menaçait des voisins faibles, incapables de résister aux
forces terrestres soviétiques, seules ou associées. La Chine est
confrontée à des
165 Kissinger, H., op.cit., pp. 160-161
166 Idem, p. 60
125
voisins militairement redoutables, dont l'Inde, le Vietnam, le
Japon, la Russie et les deux Corées, autant de puissances difficiles
à écraser individuellement et qui le seraient bien davantage
encore si elles s'associaient. Cela suffit à inciter la diplomatie
chinoise à éviter de menacer tous ses voisins
simultanément.
Certes, lorsque la Chine aura développé ce
qu'elle appelle, sa « force nationale complète », sa puissance
militaire représentera une menace plus sérieuse. Mais on peut
penser que dans les décennies à venir, les USA concevront des
avantages diplomatiques, économiques et militaires qui leur permettront
de façonner l'avenir sans susciter un affrontement préventif avec
la Chine.
Quant à la justification de notre
hypothèse, nous avons vite recouru à la méthode
systémique, car, définissant l'interaction entre les
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