4. La mise en place du DIH : de la guerre juste à
la « guerre justifiée »
Le droit des conflits armés est une partie du droit
international public qui s'efforce de fixer les normes qui régissent le
droit de faire la guerre, jus ad bellum, et la manière
55 Une nouvelle doctrine de l'analyse SWOT.
20
de faire la guerre, jus in bello. Cette seconde
démarche correspond au droit international humanitaire (DIH). Le droit
à la guerre et le droit dans la guerre se sont développés
de manière concomitante. Puis le droit relatif à la limitation
des armements est apparu. Celui-ci relève aussi bien du jus ad
bellum que du jus in bello. Les frontières sont donc
devenues poreuses au sein du droit des conflits armés. Le DIH peut
néanmoins être défini comme l'ensemble des règles
juridiques, d'origine conventionnelle ou coutumière,
spécifiquement destinées à régler les
problèmes humains découlant directement des conflits armés
internationaux et des conflits armés non internationaux, et qui
restreignent le droit des parties au conflit d'utiliser les méthodes et
les moyens de la guerre de leur choix, ou protègent les personnes et les
biens affectés ou susceptibles de l'être par le conflit. A toutes
les époques, même lorsque la guerre constituait « la
continuation de la politique par d'autres moyens », des humanistes
ont tenté d'imposer des limites aux excès qu'elle
générait56 (Annexe 2). La mise hors la loi de la
guerre a échoué. Faute de remède pour traiter la maladie
à la source, la société internationale à
développé le droit international humanitaire afin de lui
appliquer un traitement symptomatique. De fait, on est passé de la
guerre, comme un moyen de la politique des Etats, à la « guerre
justifiée »57. Il est préférable
aujourd'hui de ne plus parler de « guerre juste » qui est
chargée de prétention morale et tend à effacer la
nécessaire proportionnalité liée à l'usage de la
force. La force exercée en vue du bien est plus difficile à
modérer que la force exercée en vue du droit58. Les
guerres justifiées sont des guerres limitées, menées
conformément à un ensemble de règles. Le droit parait
aujourd'hui être le seul moyen d'atténuer les conséquences
de la guerre.
5. Nature et portée du DIH
a) La multiplicité des sources du DIH
Les sources du droit international sont consensuelles. Le DIH
est constitué d'un ensemble de normes de droit international primaires,
conventionnelles et coutumières, et de règles de droit
international dérivées, actes des organisations
56 Carl von Clausewitz (1832) dans De la
guerre, traduction de Jean-Baptiste Neuens, Paris, Astrée, 2014.
57 Op. cit. (12)
58 Cf., op. cit. (18 et 11)
21
internationales. L'obligation juridique découle donc
soit de la ratification de textes conventionnels, soit du pouvoir dont est
investi l'organe qui adopte un acte ou interprète le DIH, soit de
l'acceptation de pratiques constantes comme étant de droit.
Les sources conventionnelles
L'appareil conventionnel est complexe. Cette complexité
tient d'une part à l'ampleur du volume des traités et à
leur absence d'uniformité. D'autre part, afin de favoriser la
ratification d'un maximum d'Etats aux traités, le droit international
public admet que les parties émettent des réserves ou des
déclarations interprétatives. Les réserves peuvent
exonérer l'Etat de certaines obligations59. Les
déclarations interprétatives permettent à un Etat
d'adhérer à un traité tout en restreignant l'application
d'une disposition particulière60. La maitrise de cet ensemble
conventionnel mouvant et de son applicabilité sont donc difficiles.
Le droit dérivé
En vertu du droit international primaire, l'Organisation des
Nations Unies (ONU) dispose de la compétence de créer du droit
dérivé. L'Assemblée Générale des Nations
Unies et le Conseil de Sécurité s'efforcent ainsi de
compléter ou de préciser les dispositions du DIH par voie de
résolutions ou de déclarations plus ou moins impératives.
Plusieurs dizaines de résolutions générales ou
particulières forment donc aujourd'hui un ensemble complémentaire
du DIH61.
59 Réserve de la Suisse (1982) et de
l'Autriche (1982) quant à l'application de l'article 58 a) et b) du PI
qui « seront appliquées sous réserve des exigences de la
défense du territoire national ».
60 La Nouvelle Zélande (1988) déclare
que sa ratification des PI et PII ne devra pas s'étendre aux iles Cook
Nioué et Tokélaou ; L'Argentine (1986) affirme que la
ratification des PI et PII ne pourront être interprétés
comme accordant l'impunité à ceux qui enfreignent les normes du
DIH.
61 Depuis 1991, on constate une accumulation des
résolutions concernant le droit d'accès aux victimes.
Résolution 1001 du 30 juin 1995, résolution 908 du 31 mars 1994,
résolution 1010 du 10 aout 1995.
22
Les sources coutumières
Le DIH n'échappe pas à « l'invasion du
système normatif par la coutume »62. La coutume
doit se différencier de la pratique répétée. Sa
définition repose sur un élément matériel et un
élément intentionnel. La pratique doit d'abord être
constante. L'uniformité et la généralisation de la
pratique dans le temps conditionnent donc la formation de la coutume.
L'adoption d'une solution exceptionnelle dans une situation singulière
servira de référence dans les situations semblables mais ne
crée pas une norme juridique, seules sa répétition et sa
généralisation peuvent conduire à développer le
DIH. L'élément matériel ne suffit pas à
définir la coutume. La pratique doit être accomplie avec la
conviction d'appliquer le droit. En 1999, le CICR a publié un rapport
sur les règles coutumières du DIH en place.63 La Cour
Internationale de Justice (CIJ) reconnait le caractère obligatoire des
règles coutumières qui s'imposent à tous les Etats parties
ou non aux conventions, en temps de guerre et en temps de paix64. La
jurisprudence des cours internationales découvre ainsi les principes
fondamentaux universels. La CIJ a identifié les principes fondamentaux
ayant trait à la conduite des hostilités dans son avis
consultatif sur la Licéité de la menace ou de l'emploi
d'armes nucléaires. Il s'agit du principe de distinction qui doit
être fait entre civils et combattants, de la prohibition de l'emploi
d'armes qui causent des blessures superflues ou des souffrances inutiles, et du
principe d'humanité contenu dans la clause de Martens65. La
codification des règles coutumières n'a pas pour effet de
supprimer ces dernières mais simplement de les ordonner et de les
préciser. De même, certaines règles conventionnelles
peuvent s'intégrer dans le droit coutumier, c'est le cas de l'article 3
commun aux conventions de Genève de 194966.
62 Veil P., Le droit international en quête
de son identité, RCADI 1996, t.237, p.161.
63 Ces travaux ont fait l'objet d'une publication
en 1999 pour la 27e conférence internationale de la
Croix-Rouge et du Croissant Rouge. Rapport du Secrétaire
Général présenté conformément à la
résolution 1998/29 de la Commission des Droits de l'Homme des
Nations Unies, E/CN.4/1999/92, le 18 décembre 1998, para. 21 à
24.
64 CIJ, Affaire du détroit de
Corfou, 1949 : l'obligation de notifier l'existence d'un champ de mines
pour des considérations élémentaires d'humanité est
une obligation erga omnes ; CIJ, Avis relatif aux
conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans le
territoire palestinien occupé, 9 juillet 2004.
65 CIJ, Arrêt sur la licéité
de la menace ou de l'emploi de l'arme nucléaire, 1996.
66 CIJ, Affaire du Nicaragua, 1986.
23
Les règles du DIH apparaissent donc à plusieurs
échelons différents ; droit primaire et droit
dérivé, droit conventionnel, droit jurisprudentiel et droit
coutumier. Ces droits se soutiennent et s'étayent mutuellement mais
peuvent être difficile à interpréter.
b) Le champ d'application du DIH
Seuls les conflits armés bénéficient de
la protection du DIH67. La chambre d'appel du TPIY donne une
définition non contestée d'un conflit armé dans
l'arrêt Tadic relatif à la compétence : « un
conflit armé existe chaque fois qu'il y a un recours à la force
armée entre les Etats ou un conflit armé prolongé entre
les autorités gouvernementales et des groupes armés
organisés ou entre de tels groupes au sein d'un Etat
».68 L'article 1er paragraphe 2 du PI exclut de
l'application du DIH les « troubles intérieurs » et
les « tensions internes » 69.
On applique toutes les normes du DIH aux conflits armés
internationaux (CAI) et des règles fondamentales minimales aux conflits
armés non internationaux (CANI). Un CAI est par principe commencé
ou poursuivi entre deux ou plusieurs Etats70. D'autre part, le PI
prévoit que le DIH s'applique en totalité aux conflits
armés dans lesquels les peuples luttent contre un régime en place
dans l'exercice du droit des peuples à disposer d'eux
même71. L'Assemblée générale de l'ONU
admet l'extension de cette disposition aux conflits qui oppose des forces
issues de la population à un gouvernement mis en place
artificiellement72. De plus, pour le TPIY un conflit armé
peut être considéré comme international si les troupes d'un
autre Etat interviennent dans un conflit interne ou si certains participants au
conflit armé interne agissent pour le compte de cet autre
Etat73. Un CANI, en revanche, est caractérisé par
l'existence d'une opposition armée à l'autorité du
gouvernement. Il existe deux branches de CANI. Tout d'abord, les CANI soumis
à l'article 3 commun aux 4
67 Assemblée Générale de
l'ONU, résolution 43/131du 8 décembre 1988 relative au principe
de libre accès aux victimes des catastrophes naturelles et autres
situations d'urgence du même ordre.
68 Sassoli M., La première
décision de la chambre d'appel du Tribunal Pénal International
pour l'ex-Yougoslavie : Tadic (compétence), RGDIP 1996, n°1,
p128.
69 Meron T., Projet de déclaration type
sur les troubles et tensions internes RICR janv-fev.1988, n°769,
p62-80 ; Déclaration de Turku, RICR, mai-juin 1991,
n°789.
70Haugh H., Humanité pour tous, le
mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, Institut Henry
Dunant, 1993, p514-515.
71 Article1 PI 1977.
72 Reisman V., Which law to the Afghan
conflict?, AJIL 1988, p 486-491; Assemblée Générale
de l'ONU, résolutions 41/158 du 4 décembre 1986, 42/135 du 7
décembre 1987, 44/161 du 15 décembre 1989, 45/174 du 18
décembre 1990.
73 TPIY, Tadic II, para.84.
24
conventions de Genève. La coutume définie deux
critères exigibles pour l'application de l'article 3 : un degré
suffisant d'organisation des parties et un niveau d'hostilité ouverte et
collective distincts de simples attentats. Les CANI soumis à
l'application du PII, quant à eux, sont plus restreints. Il s'agit des
conflits opposant une force armée étatique à des groupes
armées organisés, qui sous la conduite d'un commandement
responsable, exercent sur une partie du territoire un contrôle tel qu'il
leur permette de mener des opérations militaires continues et
concertées et d'appliquer le droit74.
Les missions opérationnelles du SSA, qui vont du
soutien de missions de coercition, en passant par la stabilisation, le maintien
de la Paix, aux catastrophes humanitaires et naturelles, ne relèvent
donc pas toutes du DIH.
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