Organisation du droit international humanitaire au sein du service de santé des armées( Télécharger le fichier original )par Eléonore Carrot Ecole du Val de Grâce - Université Paris Diderot - Administration et management des établissement de santé 2014 |
Ecole du Val de Grâce Faculté de médecine - Université
Paris-Diderot 7 Mémoire pour l'obtention du Master 2 : « Administration et management des établissements
hospitaliers » Organisation du droit international humanitaire au sein du Service de Santé des Armées Responsable du diplôme : Professeur Dominique
BERTRAND Lieutenant Eléonore CARROT Année universitaire 2013-2014 Ecole du Val de Grâce Faculté de médecine - Université
Paris-Diderot 7 Mémoire pour l'obtention du Master 2 : « Administration et management des établissements
hospitaliers » Organisation du droit international humanitaire au sein du Service de Santé des Armées Responsable du diplôme : Professeur Dominique
BERTRAND Lieutenant Eléonore CARROT Année universitaire 2013-2014 Je remercie le Médecin général Eric Darré et le Médecin en chef Valérie Denux de m'avoir permis de traiter ce sujet passionnant. Leur écoute et leurs précieux conseils ont été déterminants dans la réalisation de cette étude. Je remercie également tous ceux qui ont répondu à mes questions avec patience et intérêt : Médecin en chef Angot, Etat-major opérationnel santé (EMO-S) Médecin en chef Bel, Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO J4. Soutien sanitaire) Médecin en chef Cziernak, EMO-S Médecin en Chef Thiéry, Hôpital d'instruction des armées de Laveran, professeur d'éthique médicale Colonel Chanliau, Centre interarmées de concepts, de doctrines et d'expérimentations (CICDE) Colonel Pellistrandi, CICDE Commissaire lieutenant-colonel Balcerski, Secrétariat général pour l'administration, bureau droit des conflits armés Lieutenant-colonel Clavier (er), Croix-Rouge Française, chargé de projet diffusion du droit international humanitaire Médecin principal Pohl, Direction centrale du service de santé des armées, bureau cohérence capacitaire opérationnelle. Commandant Ramanitra, Ecole du Val de Grâce, division de la formation initiale spécialisée. Capitaine Thonier, CPCO Mlle Ducrot, Croix-Rouge Française, chargé de projet diffusion du droit international humanitaire. Dr Eagan Chamberlin, professeur d'éthique au sein du Service de Santé des Etats Unis. Enfin, je remercie les membres de la division performance synthèse de la direction centrale du service de santé des armées pour leur accueil, leur soutien et leur bonne humeur. Table des matières Préambule 1 Introduction 3 1. Le DIH au sein du SSA : un enjeu majeur 6
2. L'organisation du DIH au sein du SSA : une nécessité 17
préparation opérationnelle juridique 18 3. Problématique 18 4. La mise en place du DIH : de la guerre juste à la « guerre justifiée » 19 5. Nature et portée du DIH 20
6. Le lien étroit entre le DIH et le SSA : 24
Méthodologie 27 Les atouts du SSA relatifs à la capacité d'intégration et d'application du DIH 30
Recommandations 77 Fiche-Action 2: Diffuser le DIH à l'ensemble des personnels du SSA 82 Fiche-Action 3: Diffuser le DIH dans les armées 85 Fiche-Action 4: Etablir une formation renforcée en DIH 88 Fiche-Action 5: Valoriser les compétences du SSA en DIH 91 Fiche-Action 6: Mettre en place un soutien juridique opérationnel 94 Fiche-Action 7: Renforcer l'exploitation du RETEX en matière de DIH 97 Fiche-Action 8: Participer à une réflexion globale sur l'adaptation du DIH au contexte opérationnel 100 Fiche-Action 9: Porter les valeurs du DIH au sein de la communauté médicale militaire 102 Annexe 1: La justice pénale internationale 104 Annexe 2: Historique du DIH, de la guerre juste à la guerre justifiée 106 Annexe 3: Historique du SSA et du DIH: deux destins liés 112 Annexe 4: Le SSA en opération 117 Annexe 5: Organisation du soutien médical en opération 118 Annexe 6: Analyse AVOT 119 Annexe 7: Procédure de sauvetage au combat 130 Bibliographie 132 1 Préambule « La guerre est un mal absolu. Il n'y a pas de guerre joyeuse ou de guerre triste, de belle guerre ou de sale guerre. La guerre humilie déshonore, dégrade. C'est l'horreur du monde rassemblée dans un paroxysme de sang et de larmes. (...) La guerre exaltera toujours en l'homme ce qui, en lui, relève de l'ange - ses ressorts les plus nobles, le courage, le mépris de la mort - et ce qui relève de la bête - ses instincts bestiaux, la peur, la lacheté» 1. Hélie de Saint Marc souligne ainsi toute l'ambiguité de la guerre qui incarne le meilleur et le pire de la nature humaine. Dans ce cadre, le droit international humanitaire cherche à encourager les principes d'humanité et à restreindre les excès de violence. L'objectif du droit international humanitaire est ainsi de limiter la souffrance de l'Homme au sein des conflits armés. Pour cela, le droit international humanitaire protège les valeurs considérées comme fondamentales par la société internationale. Par principe, l'étude du droit se distingue de l'éthique dans le sens où son objectif premier n'est pas de caractériser la valeur morale des actes mais de définir ce qui est permis ou défendu par la règle instituée dans une société donnée. En ce sens, tout ce qui n'est pas interdit étant autorisé, la règle de droit délimite l'autorisation d'agir sans crainte d'être poursuivi. Cependant, l'étude du droit international humanitaire est largement influencée par l'éthique et la philosophie en ce que celui-ci vise à protéger des valeurs éminemment morales. De plus, la pratique révèle que l'application du droit est étroitement liée à un jugement éthique. Etudier l'application du droit international humanitaire est donc une entreprise hautement éthique et philosophique. En ce sens, appliquer une logique organisationnelle et managériale à cette analyse est une entreprise délicate. Néanmoins, le droit international humanitaire devient un enjeu stratégique au sein des nouveaux conflits, dans lesquels le Service de Santé des Armées (SSA) est impliqué, car il participe à la légitimation de l'action de la force. Le commandement et 1 Hélie de Saint Marc, Préface rédigée à Lyon le 28 septembre 2010. dans Général Benoit Royal, L'Ethique du soldat français: la conviction d'humanité, 2nde éd., Economica , 2011. les personnels du SSA attendent donc des solutions pratiques pour faciliter l'application du DIH. Ainsi, cette étude propose d'appliquer une analyse stratégique organisationnelle et managériale à un sujet juridique mais aussi éminemment éthique. Au vu de la nature du sujet, qui suppose une juxtaposition des règles juridiques et des valeurs éthiques, le choix du modèle d'analyse a été complexe. Néanmoins, l'utilisation d'une méthode d'analyse stratégique telle que la méthode AVOT2 (atouts, vulnérabilités, opportunités, menaces) a permis une analyse approfondie des contraintes juridiques et éthiques qui s'imposent aux personnels de santé au sein des conflits armés. Ainsi, un diagnostic stratégique interne et externe détaillé a conduit à proposer des recommandations structurelles et de management pour améliorer l'intégration et l'application du DIH au sein du service. 2 2 Plus connue par son anglicisme SWOT (strengths, weaknesses, opportunities, threats). 3 IntroductionLe Code d'Hammourabi, constitue la première trace de droit de la guerre. Hammourabi, souverain de Mésopotamie de 1790 à 1750 avant Jésus-Christ, établit un code de conduite de la guerre : « Je prescris ces lois afin que le fort n'opprime pas le faible ». Si l'histoire démontre la nature belligène de l'homme, elle souligne aussi la volonté des êtres humains de limiter cette violence en mettant en place des normes capables de réguler leurs relations et d'assurer leur protection. L'homme est au centre d'un combat où s'affrontent une agressivité belligène et une sociabilité issue de son humanité. Le droit international humanitaire (DIH) et la médecine militaire ont ceci en commun qu'ils cherchent tous deux à limiter les souffrances des Hommes dans la guerre et ont ainsi pu apparaitre utopistes ou contraignants selon les époques. De la participation de médecins et d'infirmiers à des interrogatoires dans les prisons américaines : Le 4 novembre 2013 un rapport indépendant dénonce la complicité des professionnels de santé américains concernant les abus commis dans les prisons américaines en Afghanistan, en Irak et à Guantanamo3. Cette étude souligne que les médecins et les infirmiers ont participé à « la conception, la participation et l'application de tortures et de traitements cruels, inhumains et dégradants ». Des médecins et psychologues étaient initialement présents pendant les interrogatoires aux fins déclarées de protection pour les détenus. Privation de sommeil, manipulation du régime alimentaire et privation sensorielle étaient donc effectuées sous surveillance de médecins et de psychiatres. En Afghanistan, plus de 30% des personnels de santé basés hors hôpital ont assisté ou connaissaient d'autres médecins qui avaient assisté à ces interrogatoires. En Irak, ils représentaient 18%. En 2002, la participation des personnels des services de santé américains aux interrogatoires devint plus formelle en Irak et à Guantanamo. Le Department of 3 « L'éthique abandonnée : professionnalisme médical et abus sur les détenus dans la guerre contre le terrorisme », 4 novembre 2013, Institute on médicine as a profession. 4 Defense (DOD) mit alors en place des équipes de consultations spécialisées en science du comportement (Behavioral science consultation team- BSCTs) qui développèrent de nouvelles techniques d'interrogatoires permettant d'optimiser la collecte de renseignements sans mettre en danger la vie du détenu. La violence utilisée lors des interrogatoires rendait de plus en plus obligatoire la présence de médecins pour la sécurité des détenus. Cependant, la présence de personnel de santé permettait d'augmenter les souffrances causées aux détenus. Presque la moitié des personnels de santé alors membres des BSCTs ont ensuite rapporté qu'ils subissaient des pressions et n'étaient pas à l'aise dans leur rôle. Afin d'optimiser la collecte de renseignements, les personnels de santé ont aussi participé à l'élaboration des « interrogatoires sur-mesure » en fonction du profil psychologique et du dossier médical du patient. Les spécificités des dossiers médicaux ont donc été partagées avec les militaires en charge d'interroger les prisonniers. La participation directe de personnels sanitaires à des traitements inhumains ou dégradants n'a pas été clairement établie, mais il est probable qu'ils aient participé à l'exploitation des phobies, à l'utilisation du chaud-froid, à l'isolation ou à la surcharge sensorielle. La communauté médicale américaine a fortement condamné cette atteinte à la déontologie et à l'éthique médicale. Sur le plan juridique, la participation à des actes de tortures et le fait de ne pas les dénoncer est contraire à la Convention contre la Torture ratifiée par les Etats Unis en 1988. Même le Patriot Act de l'administration Bush de 2002, qui fait des ennemis des Etats Unis des « combattants illégaux » ne bénéficiant pas du statut protecteur de prisonnier de guerre, ne saurait rendre ces interrogatoires légaux4. De l'utilisation de médicaments comme une arme non létale : Voici un message inscrit au dos d'un médicament délivré par l'armée américaine à la population vietnamienne lors de la guerre du Vietnam dans le cadre d'une mission d'aide médicale à la population : 4 Article 3 CGI, Article 75(2) PI, Article1 Convention contre la Torture adoptée en 1984, ratifiée par les Etats UNis en 1988 avec 19 réserves .IMAP, Ethics abandoned: medical professionalism and detainee abuse on «war on terror», Task force report, novembre 2013 - Rubenstein l., Pross C., Davidoff F., Lacopino V., Coercive US interrogation policies: a challenge to medical ethics, JAMA. 2005;294(12):1544-1549. doi:10.1001/jama.294.12.1544. 5 « Une équipe médicale a été envoyée dans votre village pour vous aider. Venez avec votre famille et vos amis si vous êtes malade ou blessé. L'équipe médicale vous aidera à vous soigner. L'équipe médicale a été envoyée par le gouvernement du Vietnam du Sud parce que la république du Vietnam veut aider votre famille à se débarrasser de la maladie et de la souffrance. L'équipe médicale doit être protégée. Les Viet Cong veulent détruire l'équipe médicale parce que les Viet Cong ne veulent pas que le gouvernement du Sud Vietnam aide son peuple. Les soldats de la 9e Division sont là pour protéger l'équipe médicale pour que celle-ci puisse vous aider. S'il vous plait aidez nous à protéger l'équipe médicale. S'il vous plait dites aux soldats où les Viet Cong cachent leurs troupes, leurs armes et leur nourriture. »5 Pendant la guerre du Vietnam l'armée a menée une importante mission d'aide médicale à la population (MEDCAPS) pour « gagner les coeurs et les esprits» allant parfois jusqu'à distribuer des placebos. Cette mission a été particulièrement mal vécue par les personnels du service de santé qui se sont sentis trahis et utilisés par l'autorité militaire.6 Ces MEDCAPS ont posé des problèmes éthiques et juridiques car la collecte de renseignements par les unités sanitaires est contraire à l'esprit des conventions de Genève. Le premier protocole additionnel aux conventions de Genève de 1977 interdit ce genre d'opération. En effet, est interdit le fait de soumettre des personnes à un acte médical qui ne serait pas motivé par leur état de santé7. De plus, aucune personne exerçant une activité médicale ne peut être contrainte de donner à quiconque appartenant soit à la partie adverse, soit à sa propre partie, des renseignements concernant les blessés ou les malades qu'elle soigne, si elle estime que de tels renseignements pourraient porter préjudices à ceux-ci ou à leur famille8. Ces deux exemples montrent bien la difficulté pour le personnel sanitaire de résister aux effets de la guerre, aux pressions politiques et militaires. Ces conflits éthiques n'excusent pas mais peuvent expliquer la transgression de valeurs fondamentales 5 Dr. Eagan Chamberlain, S. M., Moral dilemnas in military medicine: a historic-ethical analysis of the problem of dual loyalties and medical civilian assistance programs in the US army, University of Texas Medical Branch, april 2013. 6 Op cit (5) 7 Article 11PI. 8 Article 16(3) PI. 6 telles que le respect de la dignité humaine, le respect du secret médical ou le principe de protection de la population. Le DIH trouve alors toute sa place comme garde-fou, comme guide de comportement envers les victimes des conflits armés mais aussi envers le personnel sanitaire. 1. Le DIH au sein du SSA : un enjeu majeurL'application du DIH au sein du service de santé des armées (SSA) est un enjeu particulièrement important de part son objet, les droits et les devoirs qu'il accorde aux personnels sanitaires, son application délicate dans la guerre et les obligations légales qui s'y attachent. a) L'objet du DIH : la protection de la vie humaine A travers la formule « sans ami, personne ne choisirait de vivre », Aristote démontre, dans son traité intitulé Ethique à Nicomaque, qu'il existe une valeur universelle que nul ne peut rejeter : l'amitié. Avec le terme philia - amitié - Aristote désigne le choix volontaire de vivre ensemble en vue du bonheur. Ce postulat est aujourd'hui estimé comme étant une donnée anthropologique, propre à toutes les sociétés humaines. L'amitié est donc virtuellement un principe universel de la valeur humaine9. L'idée de l'existence de valeurs morales pouvant être reconnues comme universelles est largement partagée par les philosophes contemporains. Monique Canto-Sperber écrivait dans son essai, Le bien, la guerre et la terreur : « Je suis convaincue qu'il existe des valeurs morales stables, très largement partagées, et dont la définition ne dépend pas de l'environnement social ou culturel, même si un tel environnement explique la diversité de leurs modes d'expression ».10 Le refus de la souffrance traverse ainsi les époques et les cultures11. Les découvertes accomplies par les sciences de la vie valident l'existence chez tout individu de prédispositions 9 Aristote, Ethique à Nicomaque, trad. Brodéus R., GF, Flammarion, 2004. La tradition républicaine française a donné à cette philia le nom de fraternité; Kant, lui aussi, estime que les lois de la morale sont universelles : en 1785 dans Fondation de la métaphysique des moeurs, il énonce le principe de l'impératif dans une formule célèbre : « agis toujours de telle façon que tu traites l'humanité dans ta propre personne et dans celle d'autrui, non pas seulement comme un moyen, mais toujours aussi comme une fin en soi». 10 Canto-Sperber M., Le bien, la guerre et la terreur, Revue de Défense, n°121 (mai- juin 2007). 11 Walzer M., Guerres justes et injustes, trad. S.Chambon et A. Wicke, collection Folio Essais, Gallimard, 2006, p77 à 122. 7 physiologiques innées d'ordre moral propres à la nature humaine. Le professeur Antonio R. Damasio, directeur de l'Institut pour l'étude neurologique de l'émotion et de la créativité de l'Université de la Californie du Sud et le professeur Jonathan Haig, psychologue à l'Université de Virginie, ont démontré qu'il existe dans notre cerveau des zones clairement impliquées dans l'élaboration de jugements moraux qui poussent l'homme à avoir une aversion pour la souffrance et à développer le sens de l'équité12. La thèse défendant l'existence de valeurs morales universelles qui limitent les atteintes à l'intégrité humaine, peut donc légitimement s'appuyer sur les principes philosophiques tirés de l'observation empirique de l'évolution des hommes et sur la découverte d'un patrimoine génétique commun à toute l'espèce humaine. La morale universelle définit dans l'ordre du bien et du mal des impératifs et des normes13. Le droit transcrit les valeurs morales et les rend opposables juridiquement aux individus. Le DIH vise à protéger et à faire respecter les personnes les plus faibles au sein des combats : les civils, particulièrement les femmes et les enfants, et les personnes hors de combats c'est-à-dire les blessés, les malades et les prisonniers14. C'est en ce sens que ce droit accorde une protection particulière aux personnels sanitaires afin qu'ils puissent porter secours aux victimes de la guerre et protéger la vie humaine. La médecine de guerre et le DIH sont donc étroitement liés par un objectif commun : protéger le droit à la vie, une valeur fondamentale universelle consacrée par de nombreux textes juridiques15. b) Un environnement contraignant : le contexte grave de la guerre Etymologiquement, le terme de guerre vient probablement du germanique werra, qui était sans doute à l'origine un cri de bataille. Elle peut être définie comme un « conflit armé à grande échelle opposant au moins deux groupes humains »16.Que la nature humaine soit belligène ou que la guerre s'explique par l'établissement d'institutions 12 Général Benoit Royal, L'éthique du soldat français : la conviction d'humanité, Economica, Coll. Stratégie et Doctrines, 2011, p25 et 26. 13 Ricoeur P., Ethique, encyclopédie Universalis, www.universalis.fr/encyclopedie/ethique, 2014 14 Article 85 (3) PI. 15 Article 3 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme de 1948 ; article 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 1950 ; 16 Tertrais B., La guerre, que sais-je, puf, 2010, p10 8 artificielles, historiens, anthropologues et ethnographes démontrent scientifiquement que « la guerre est d'une vilaine monotonie »17. « Si la guerre a un superbe passé ; elle a aussi un bel avenir » souligne le Général Vincent Desportes18. La guerre ne change pas de nature, car l'effet majeur recherché reste la soumission de l'adversaire, mais elle change de visage. L'unipolarisation du monde autour des Etats-Unis et l'accélération de la globalisation et de son corollaire, la glocalisation créent des frustrations au niveau local19. Des volontés locales sont en conflit avec des puissances globales qui ont développé une très haute technicité et possèdent l'arme nucléaire. La mondialisation et l'ère de l'information facilitent les échanges et transforment les modes d'organisation. Dans ce contexte, la guerre que l'on qualifiait de symétrique est vécue comme un conflit asymétrique par l'adversaire irrégulier. Ainsi, « selon la loi fondamentale de la guerre qui est celle du contournement, refusant intelligemment le combat à armes égales, le nouvel adversaire puise sa force dans l'évitement de la puissance ; il joue la disparité des moyens et des modes d'actions »20. Une guerre asymétrique est un conflit qui oppose des combattants dont les forces sont incomparables ; où le déséquilibre militaire, sociologique et politique entre les camps est total. Dès lors, il ne s'agit généralement plus pour la force militaire de détruire les éléments de la puissance de l'Etat, mais de convaincre : il s'agit de rallier et non de soumettre. Dans cette approche globale, la bataille initiale de haute technologie est courte mais la campagne qui la suit est longue. L'action militaire coercitive, hier centrale, devient une « ligne d'opération », parmi d'autres. Même si l'Etat sécuritaire du pays conditionne les entreprises diplomatiques, économiques et humanitaires21. Le SSA se trouve donc ré-immergé au centre des conflits et de la stratégie militaire. La guerre asymétrique et son corollaire l'approche globale présentent de nombreux défis pour l'application du DIH d'une part parce qu'elles soulignent des zones grises du droit et d'autre part parce que certaines parties au conflit, alliées ou adversaires, s'autorisent parfois à contourner le DIH. 17 Keeley L.H., Les guerres préhistoriques, collection tempus, ed. Perrin p350. ; Cf. Eckhardt W., War related deaths since 3000 BC, Security Dialogue, vol.22, numéro 4, 1991 ; Hobbes T., Le léviathan, 1650 ; Rousseau J.-J, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, 1755. 18 Général Vincent Desportes, La guerre probable, penser autrement, Economica, 2nd ed. 2008, p1. 19 Findlay M., Governing through globalised crime : futures for international criminal justice, Willan publishing, 2008 20 Op cit. (18), p13. 21 Op cit. (18), chapitre 3, p130 à 168. 9 c) Le DIH fixe les droits et devoirs des personnels sanitaires dans la guerre Les blessés et les malades « doivent en toutes circonstances être traités avec humanité et recevoir, dans toute la mesure du possible et dans les délais les plus brefs, les soins médicaux qu'exigent leur état »22. Le statut de non combattant spécifique du personnel sanitaire, c'est-à-dire du personnel exclusivement affecté au conflit à des fins sanitaires, permet de mettre en oeuvre cette disposition de manière optimale. Le statut de non combattant dont dispose les personnels du SSA est un statut protecteur. Ces droits sont inaliénables23. Les articles 24 et 25 de la première convention de Genève (CGI) distinguent les non combattants permanents, exclusivement affectés à des opérations de soutien médical, et les non combattants temporaires, employés de manière temporaire sur des missions de soutien médical. Les personnels bénéficiant du statut de non combattant permanent sont respectés et protégés en toutes circonstances. Mais les personnels sous statut de non combattant temporaire ne sont protégés que s'ils remplissent exclusivement des fonctions de soutien médical au moment où ils viennent au contact de l'ennemi. Les missions duales de combattants et non combattants sont prohibées24. Les personnels bénéficiant du statut de non combattant temporaire, notamment les auxiliaires sanitaires, doivent en connaitre les limites. Les personnels combattants effectuant des gestes de secours, quant à eux, ne sont pas protégés, ils peuvent être pris pour cible par l'ennemi. Pour toutes les unités sanitaires, la protection peut cesser après sommation s'il s'avérait qu'ils sont utilisés pour commettre des actes nuisibles à l'ennemi. Néanmoins, le fait que les unités sanitaires soient gardées ou escortées et que le personnel de l'unité soit doté d'armes légères individuelles pour sa défense et la défense des blessés et des malades dont il a la charge ne sont pas considérés comme des actes nuisibles à l'ennemi25. L'esprit de la loi révèle en l'espèce que la licéité de l'utilisation de l'arme repose plus sur l'intention accompagnant le feu que sur la catégorie de l'arme. Le personnel sanitaire doit exclusivement utiliser son 22 Article 10 PI. 23 Articles 7 CGI et CGII. 24 Articles 24 et 25 CGI, articles 36 et 37 CGII, article 12 PI. 25 Article 21 CGI, article 13 PI. 10 armement pour se défendre ou défendre les blessés ou malades dont il a la charge. Il serait en revanche difficile de reprocher à un médecin de protéger son groupement médical de campagne avec une arme collective. En pratique, les unités sanitaires sont souvent protégées par des unités de l'armée de terre. En situation normale chacun reste dans sa spécialité afin d'être le plus efficace possible. Cependant, des véhicules de l'avant blindés ont été attaqués en Afghanistan, le personnel sanitaire doit alors, dans des situations d'exception, être en mesure d'utiliser son arme de manière appropriée et d'agir sous le feu26. Afin d'assurer la protection des unités médicales les articles 39 à 45 CGI, l'article 18 du premier protocole additionnel aux conventions de Genève (PI) et la coutume internationale prévoient que, par principe, l'autorité militaire doit faire en sorte d'adopter et de mettre en oeuvre des méthodes et procédures permettant d'identifier les unités sanitaires27. Il s'agit ici d'une obligation de moyens et non de résultat car l'unité médicale non identifiable reste sous la protection du statut de non combattant. Ces articles admettent donc par exception que les unités sanitaires ne soient pas identifiables. Cette situation d'exception a récemment été précisée par l'OTAN dans le STANAG 2931 qui dispose que le camouflage de l'emblème est autorisé quand le fait de ne pas camoufler l'emblème pourrait mettre en péril les opérations tactiques. L'ordre doit être communiqué par un officier de niveau brigade minimum. Il doit être temporaire, localisé et prendre fin aussitôt que la situation le permet. Même s'il reste à définir précisément les conditions dans lesquelles l'utilisation de l'emblème « met en péril une opération tactique », il est clair que le camouflage de l'emblème dans l'esprit des conventions de Genève doit rester une mesure d'exception qui ne repose pas seulement sur un sentiment de danger diffus. En Afghanistan, les véhicules de l'avant blindé sanitaires ont pu être ciblés mais ils ne semblent pas que ce ciblage ait lieu sur les autres théâtres d'opération contemporains même si la ré-immersion des unités sanitaires au centre des combats diffuse un sentiment de crainte justifié. D'autre part, les personnels sanitaires ne peuvent être contraints de donner à quiconque appartenant à la partie adverse ou à l'autorité militaire hiérarchique des renseignements concernant les blessés ou les malades si elle estime que de tels 26 Entretiens CPCO, CICDE, DCSSA/CCO 27 Article 40 CGI : « le personnel portera fixé au bras gauche, un brassard résistant à l'humidité et muni du signe distinctif [...] ce personnel sera également muni d'une carte d'identité spéciale munie du signe distinctif ». 11 renseignements peuvent porter préjudice à ceux-ci. Ce principe de non délation n'est pas absolu : le médecin ne peut être contraint de dénoncer mais il n'est pas tenu de ne pas dénoncer. En pratique, le médecin peut agir comme capteur de renseignement diffus notamment quant au moral des troupes ou à l'acceptation de la présence de la force. Il peut et doit aussi prévenir sa hiérarchie s'il est mis au courant d'une attaque imminente mais il ne peut utiliser la médecine dans le but d'acquérir du renseignement28. De même, les médecins ne peuvent être contraints d'accomplir des actes ou de s'abstenir d'accomplir des actes si de tels actes ou de telles omissions sont contraires à la déontologie ou aux règles médicales29. Afin de renforcer cette protection, nul ne peut être puni pour avoir exercé une activité de caractère médical conforme à la déontologie et aux règles du DIH30. Concernant la prise en charge des blessés, l'article 12 CGI pose le principe de non discrimination. Seules des raisons d'urgence médicale autorise une priorité dans l'ordre des soins. En cas de pertes classiques, les médecins sont confrontés au triage. Cette classification des blessés basée sur l'urgence médicale et les moyens est bien codifiée mais parfois des questions se posent quant au principe de non discrimination : Quel patient prendra-t-on en charge en premier entre un militaire moins blessé et un ennemi plus gravement touché ? L'effet de groupe joue un rôle important. Certains médecins affirment que les militaires et l'opinion publique ne comprendraient pas que l'on ne soigne pas le militaire en premier31. D'autre part, lorsque la situation opérationnelle laisse présager qu'un afflux massif de blessés pourrait survenir et que les moyens sont limités, peut-on continuer à prendre en charge la population civile? En cas d'afflux massif de blessés les médecins adoptent un triage particulier fondé non plus sur l'urgence médicale mais sur le choix de traiter en priorité les cas les plus surement curables et de laisser mourir les cas les plus graves. De même, il peut être nécessaire lorsque les moyens disponibles rendent impossible l'administration de soins approchant un niveau adéquat de s'abstenir de fournir certains soins afin d'éviter des interventions qui, ne pouvant être réalisées correctement, en deviendraient dangereuses32. Le manque de moyens vient donc parfois limiter les soins de santé et rendre difficile l'application du DIH et notamment 28 Entretien CPCO CIMIC, COMEDS, EMOS, DCSSA/CCO 29 Article 16 PI. 30 Article 16 PI. 31 Entretiens 32 CICR, Les soins de santé en danger : les responsabilités des personnels de santé à l'oeuvre dans des conflits armés et d'autres situations d'urgence, CICR, 12 du principe d'humanité. Le risque d'euthanasie peut devenir important33. L'article 17 CGI dispose que les morts doivent faire l'objet d'un examen attentif « si possible médical » en vu de constater le décès, établir l'identité et pouvoir en rendre compte. La prise en charge des morts est cependant traditionnellement réalisée en France par le Service du commissariat des armées. Enfin, le principe de distinction entre combattants et non combattants prévoit que les forces militaires ne doivent « diriger leurs opérations que contre des objectifs militaires ». La population civile jouit d'une protection générale et par là « sont interdits les actes ou menaces de violence dont le but principal est de répandre la terreur parmi la population civile » 34. La protection large accordée à la population a pour but de la tenir écartée des opérations militaires. Dans ce contexte, les missions d'aide médicale à la population, accomplies dans le cadre de conflits armés, doivent être strictement encadrées afin de ne pas constituer une opération strictement militaire à l'encontre d'une population civile (qui peut penser être soigné alors qu'elle ne l'est pas vraiment) et du réseau sanitaire local. Aussi elle ne doit pas être utilisée pour diffuser la peur de la partie adverse dans la population (comme ce fut le cas pendant la guerre du Vietnam35). L'application du DIH par les personnels sanitaires, placés face à des situations déstabilisantes, n'est pas toujours évidente. Les violations du DIH que cela peut engendrer engagent la responsabilité des Etats et celle des individus. d) Une obligation légale : le SSA peut engager la responsabilité de l'Etat et celle de ses personnels pour des crimes de guerre La société internationale a cherché à responsabiliser les Etats et les individus et à réprimer les violations du DIH. Les infractions graves aux conventions de Genève et la violation des lois et coutumes de la guerre constituent des crimes de guerre36. Le critère de gravité peut être sujet à interprétation, il suppose l'atteinte à une valeur 33 Messelken D., Ethical aspects of battlefield euthanasia, Proceedings of the 3rd ICMM workshop on military medical ethics, Military medical ethics series, 2014 34 Article 50 PI, article 13 PII. 35 Op cit. (5) 36 Article 8 du statut de la CPI et article 3 du statut du TPIY. 13 fondamentale considérée comme universelle. Le crime de guerre peut être déféré devant toutes les juridictions pénales internationales et les juridictions pénales de tout Etat partie aux conventions de Genève en vertu du principe d'universalité (Annexe 1). Les forces armées engagent la responsabilité de l'Etat en matière de DIH L'Etat a tout d'abord une obligation de respecter le DIH. Pacta sunt servanta : ce principe de base du droit conventionnel signifie que le traité « lie les parties et doit être exécuté par elles de bonne foi »37. Ce principe est implicite dans tous les textes contractuels mais les 4 conventions de Genève et les 2 protocoles additionnels rappellent cette obligation et lui adjoignent la formule « en toutes circonstances » afin de soustraire clairement le contenu du DIH à la logique de réciprocité38. L'exception d'inexécution n'est recevable ni en DIH, ni pour les textes relatifs au droit de l'homme, en vertu de la nature même de ces règles39. La responsabilité internationale de l'Etat est engagée lorsqu'il ordonne, commande, organise des crimes de guerre. L'Etat est responsable des violations du DIH qui lui sont imputables. Celles-ci comprennent les violations commises par les forces armées. L'Etat peut être reconnu responsable de ne pas avoir fait respecter le DIH au niveau national. En effet, celui-ci a l'obligation de légiférer et de « prendre les mesures d'exécution nécessaires » pour assurer l'application du texte des traités et sa diffusion40. Les Etats ont contracté l'obligation de diffuser le DIH dans leur pays respectif en temps de paix et en temps de guerre, et notamment à en incorporer l'étude dans les programmes d'instruction militaire et, si possible, civile de telle manière que ces instruments soient connus des forces armées et de l'ensemble de la population41. De plus, l'article 82 du PI précise que les Etats doivent veiller « à ce que des conseillers juridiques soient disponibles, lorsqu'il y a lieu, pour conseiller les 37 Article 2, Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969. 38 Article 1 CGI, Article 1 PI 1977, Article 1 PII 1977; Martin, P.H., Les échecs du droit international, « Que sais-je ? », PUF, n°3151, 1996. 39 Cette exception du droit contractuel est valable en droit international public mais pas en DIH. Article 60 paragraphe 5, Convention de Vienne sur le droit des traités de 1969 . 40 En France, la loi n°98-564 du 8 juillet 1998 tendant à l'élimination des mines anti-personnel a par exemple été adoptée en application de la Convention d'Ottawa du 3 décembre 1997 sur l'interdiction de l'emploi, du stockage, de la production et du transfert de ces armes ; Article 80 du PI ; art. 48 CGI; art.49 CGII; art.128 CGIII; art. 145 CGIV; art. 84 PI. 41 Articles 47 CGI; 48 CGII ; 127 CGIII; 144 CGIV; 83 PI; 19 PII. 14 commandements militaires, à l'échelon approprié, quant à l'application des Conventions et du présent Protocole et quant à l'enseignement approprié à dispenser aux forces armées à ce sujet » 42. Pour cela, l'article 6 du PI prévoit que les Etats s'efforceront de former des personnels qualifiés en vue de faciliter l'application du DIH. Les conseillers peuvent également être associés au processus d'examen de toute nouvelle arme, de tout nouveau moyen ou de toute nouvelle méthode de guerre43. Sur le plan juridictionnel, les Etats doivent rechercher les personnes accusées d'avoir commis ou donner l'ordre de commettre des « infractions graves » au DIH, indépendamment de la nationalité du coupable et du lieu de commission du crime, en application du principe de la compétence universelle. Ils doivent charger leurs commandements militaires d'empêcher que soient commises des « infractions graves », de les faire cesser et de prendre des mesures à l'encontre des personnes placées sous leur autorité qui se rendent coupables de tels crimes. La responsabilité individuelle de tous les personnels du SSA La responsabilité pénale individuelle comprend deux éléments. Selon le TPIY d'une part « tous actes d'assistance, sous forme verbale ou matérielle, qui prêtent encouragement ou soutien » dès lors que cette participation a eu « un effet important ou substantiel ». D'autre part, l'accusé doit avoir participé en connaissance de cause à l'acte. Sa participation peut intervenir avant, pendant ou après la commission de l'acte. Un refus d'intervenir pour faire cesser l'acte peut constituer un crime44. Les commandants et autres supérieurs hiérarchiques sont pénalement responsables des crimes de guerre commis par leurs subordonnés s'ils savaient, ou avaient des raisons de savoir, que ces subordonnés s'apprêtaient à commettre ces crimes et s'ils n'ont pas pris toutes les mesures nécessaires et responsables pour en empêcher l'exécution ou, si ces crimes avaient déjà été commis, pour punir les responsables. Tout combattant a le devoir de désobéir à un ordre manifestement illégal. Le fait d'obéir à un ordre d'un supérieur hiérarchique n'exonère pas le subordonné de sa 42 Article 82 PI, 1977. 43 Article 36 PI, 1977. 44 TPIY, Procureur c/ Dusko Tadic, 7 mai 1997- TPIY, Procureur c /Ejnil Delalic Zdravko Mucic, Hazim Delic et Esad Landzo, 16 novembre 1998- TPIY, Procureur c/ Anto Furundzija, 10 décembre 1998 - TPIY, Procureur c/ Jean-Paul Akayesu, 2 septembre 1998. 15 responsabilité pénale45. Au sein de l'armée française, la violation des règles de DIH entraine une sanction disciplinaire, sous peine d'engager la responsabilité pénale du commandement. Le Statut Général des Militaires, le Règlement de Discipline Générale dans les Armées et le Code du Soldat prévoient que le militaire ne peut accomplir, ordonner ou se voir ordonner des actes contraires aux règles du droit international46. L'instruction d'application du règlement de discipline générale et le Code de Déontologie Médicale des Médecins Militaires précisent que les personnels sanitaires doivent adopter une conduite conforme aux principes généraux régissant l'exercice de la profession ainsi qu'aux règles de DIH47. Ainsi, lors de l'affaire Mahé la Cour d'Assise de Paris a condamné un colonel et deux sous officiers français de l'armée de terre pour un crime de guerre commis en 2005 à l'encontre d'un civil Ivoirien. Un véritable arsenal juridique a donc été mis en place pour défendre le DIH au niveau national et international. Dans un contexte de judiciarisation de la société et de complexification de l'environnement opérationnel, le risque de contentieux devrait donc se renforcer. Assurer l'intégration et l'application du DIH est une obligation légale pour le SSA qui engage la responsabilité de l'Etat et celle de chacun de ses personnels. Cette obligation de résultat suppose aujourd'hui plus que la simple diffusion des règles de droit. e) La délicate application du DIH : les conflits juridiques et éthiques L'application du DIH par les personnels du service de santé des armées est loin d'être évidente. Les règles de droit peuvent parfois se trouver en conflit avec d'autres règles de droit ou avec des limites opérationnelles. Le devoir de non discrimination peut ainsi s'opposer au devoir de cohésion du militaire ou à la limitation des moyens. L'application du DIH implique nécessairement un questionnement éthique. 45 Article 7.3 du Statut du TPIY, Articles 28 et 86 alinéa 2 du Statut de la CPI. 46 Loi 72-662 du 13 juillet 1972 portant statut général des militaires - décret 75-675 du 28 juillet 1975 portant règlement de discipline générale dans les armées, article 7 à 9bis - code du soldat, articles 3 et 4. 47 Instruction 52000/DEF/C/5 du 10 décembre 1979 portant application du règlement de discipline générale dans les armées, Décret n° 2008-967 du 16 septembre 2008 fixant les règles de déontologie propres aux praticiens des armées. 16 L'éthique a pour but de permettre à l'individu d'agir avec la conscience d'une action sociétale responsable et de manière conforme à la morale. L'éthique regroupe un ensemble de règles qui se différencient et complètent les règles juridiques car elles intègrent le mobile des activités humaines et trouvent leur fondement dans l'intériorité de l'être48. L'éthique inspire et précède souvent les règles juridiques : les règles morales sont souvent érigées en loi. Le temps de l'éthique permet la création du consensus social nécessaire à l'établissement de la règle de droit. Nous soulignerons aussi que la connaissance du droit sert l'éthique. Le droit constitue un référentiel important dans le questionnement éthique. Le questionnement éthique du médecin militaire dépend de l'évaluation morale que fait celui-ci de la situation telle qu'il la perçoit sur le terrain. Selon Kant, il existe des exigences impératives, telles que les règles de droit, qui n'ont pas à être subordonnées à des considérations empiriques. Mais cette hiérarchisation est difficile à mettre en place car il existe de multiples valeurs et principes moraux qui ne peuvent être rassemblés sous un agencement unique. Selon Weber, l'Homme est contraint de choisir entre l'éthique de conviction, qui rend compte des certitudes morales, et l'éthique de responsabilité, qui rend compte de la situation différente et assume la responsabilité de ses décisions. Ces deux éthiques peuvent être rendues complémentaires et non pas opposables49. Chaque membre du SSA disposerait de valeurs communes qui formeraient l'éthique de conviction et serait en mesure de mettre en oeuvre une éthique de responsabilité en fonction des circonstances50. La connaissance du DIH n'est donc pas suffisante, il est nécessaire de s'assurer de l'intégration de ces normes afin d'appliquer strictement le DIH. L'intégration du DIH pourrait rendre le questionnement éthique des personnels du SSA plus aisé. Le DIH, comme la médecine militaire, s'efforce donc de protéger la vie et de limiter les souffrances de l'Homme au sein des conflits armés. Si la règle de droit est aisément compréhensible, son application dans un contexte de violence extrême est délicate car elle engendre des conflits éthiques. L'intégration de la règle de droit est 48Simone Goyard-Fabre et Jean Ferrari, L'année 1797 : Kant, la métaphysique des moeurs, librairie philosophique J. Vrin, Paris, 2000. 49 MG Darré E., Médecin militaire et droit des conflits armés : entre éthique et juridique, Revue Internationale des Services de Santé des forces armées, vol.76/2, 2003. 50 Op. cit. (50) 17 cependant essentielle car l'application de celle-ci constitue une obligation légale et parce qu'elle peut faciliter la prise de décision éthique lors des situations complexes. |
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