Les zones a defendre: d'un mouvement de contestation sociale à un nouveau courant de pensée politique( Télécharger le fichier original )par Antoine Vieu Université de Bordeaux - Master 2 2016 |
Chapitre 3 : Le refus d'adopter une définition stricte de la zadDepuis la création de la Zad de Notre-Dame-des-Landes, de nombreux autres projets d'aménagement ont été contestés en France et à l'étranger. Ces contestations ont donné lieu à des occupations qui parfois choisissaient la qualification de zad quand d'autres fois ce nom leurs était imposé par les pouvoirs publics ou les médias. Cette volonté de définir pour classer et comprendre est contestée dans les écrits zadistes. Si l'un des slogans entendu à Notre-Dame-des-Landes après l'opération César fut « Zad Partout ! » et l'idée de créer à chaque point de conflit avec l'Etat ou le système capitaliste une zad, il ne s'agissait pas pour autant d'exporter un modèle copier-coller de Notre-Dame-des-Landes. La réflexion zadiste a été confrontée à une double contradiction : définir la zad et dans ce cas imposer sa propre vision ou laisser chaque groupe s'emparer de ce concept au risque de le vider de son sens. La mise en avant de principes partagésDans l'analyse publiée en 2013 « To ZAD or not to ZAD »1 les auteurs reviennent sur l'apparition de nombreuses zads en France. Ils expliquent ce succès en raison de la popularité de défendre les terres agricoles dans l'imaginaire collectif d'un monde qui éprouve des difficultés à défendre l'illusion productiviste. Mais les auteurs rappellent que la zad ne lutte pas pour défendre des « valeurs de gauche », elle lutte contre la marchandisation du vivant. Elle naît avant tout de la « communication », du désir de rencontrer l'autre. Ainsi, pour ces auteurs, « la zad n'appartient à personne », tout le monde peut se la réapproprier car elle n'est qu'une « ouverture merveilleuse du devenir ». Dans une autre analyse plus récente « Label Zad et autres sornettes 2» les auteurs s'interrogent sur la labellisation de la zad, sur la légitimité à autoriser ou interdire l'usage de ce terme et finalement sur le sens du mot. Premièrement, ils rappellent qu'il n'y a pas de « zad mère », chaque zad a ses particularités, son histoire, ses réalités géographiques et sociales. Ainsi, qualifier de « zad mère » Notre-Dame-des-Landes revient à nier l'essence même de la zad. Cette vision ne semble pas partagée par Eddy Fougier ou Philippe Subra dans leurs travaux 1 ZADIST, « To Zad or not to ZAD », zad.nadir.org [en ligne] le 25 mai 2013 ; URL : http://zad.nadir.org/spip.php?article1652 [réf. 10 avril 2016]. 2 ZADIST, « Label Zad et... Op.cit. 32 sur les zads1. Pour les auteurs zadistes, parler de filiation revient à nier la « particularité des processus locaux ». Le collectif Mauvais Troupe se méfie de l'utilisation du terme zad comme un « prêt à porter ». Il faut rapporter la dynamique et la méthodologie de Notre-Dame-des-landes à la spécificité de chaque territoire. A titre d'exemple, le Quartier Libre des Lentillères à Dijon rejette ce qualificatif qui nuirait à leur singularité2. Deuxièmement, les zadistes insistent sur l'importance essentielle du temps dans la construction de la zad. L'établissement d'une zone autogestionnaire et autonome doit s'inscrire dans un processus historique assez long. Bien que l'utopie zadiste soit une force mobilisatrice, elle ne se suffit pas à elle-même pour pérenniser la vie d'une zad. Troisièmement, ils s'interrogent sur l'idée d'une planète à défendre. Dans Le petit livre noir des grands projets inutiles, la zad est définit comme « zone à défendre, mis bout à bout, les ZAD aboutissent à une PAD (Planète à défendre)... »3. Pour d'autres auteurs zadistes, ce n'est pas la Terre qui est à défendre, mais « notre relation au vivant ». La Terre, contrairement, à l'Homme survivra au réchauffement climatique, à la fin des matières premières et aux déforestations. Sur le dernier point, les auteurs analysent le processus idéologique au sein des zads. Lorsque les individus rejoignent la zad, ils ont tous leur propre système de pensée : « Ce sont autant de personnes que de raisons ou de sensibilités, d'objectifs personnels ou collectifs, de volontés, de croyances, d'espoirs et d'illusions »4. La difficulté est double : ne pas imposer sa vision du monde de façon autoritaire tout en conservant son identité. Pour les auteurs, un processus de construction idéologique est nécessaire. Il parle d'une « écologique politique et sociale révolutionnaire » qui doit permettre de concilier une force de proposition à leur force de contestation. Ces deux analyses soulignent les conséquences contreproductives à utiliser la dénomination « zad ». Elles rappellent l'importance d'un processus de construction long et intégré voire imprégné au territoire et elles permettent de comprendre la difficulté d'établir une définition précise et acceptée par tous de la zad. Les chercheurs cités précédemment ont 1 Voir FOUGIER Eddy, Les zadistes : un nouvel anticapitalisme, Paris, Fondation pour l'INNOVATION POLITIQUE, 2016, p14 et SUBRA Philippe, Zones A Défendre..., Op.cit., p.18. Les deux auteurs utilisent le terme de « zad-mère » qui fut employé par un zadiste lors d'une interview dans le quotidien Le Monde datant de décembre 2014. 2 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées..., Op.cit., p369. 3 CAMILLE, Le petit livre noir..., Op.cit., p.111. 4 ZADIST, « Label Zad et... Op.cit., p.6. 33 effectué un travail de définition de la zad dans leurs ouvrages respectifs. Ainsi, pour Eddy Fougier, une « ZAD est une « zone à défendre » installée contre ce qu'ils (les zadistes) appellent des « grands projets imposés et inutiles » »1. Philippe Subra parle de « véritables zads » lorsque « les sites disputés font ou ont fait l'objet d'une occupation permanente et relativement durable »2. Le caractère permanent de l'occupation est le critère essentiel de la zad. Un problème s'est posé sur la Zad de Sivens3 et plus récemment à Paris, dans le XVème arrondissement, lorsque s'est ouvert la Zad « Sainte-Rita » contre la destruction d'une église4. Les mouvements dits « d'extrême-droite » peuvent-ils revendiquer l'ouverture d'une zad ? Les agriculteurs de la FNSEA (fédération nationale des syndicats des exploitants agricoles) peuvent-ils créer une zad pour lutter contre les zadistes 5? A la seule lecture des définitions de Philippe Subra et Eddy Fougier, l'ouverture d'une zad contre un grand projet par des mouvements d'extrême-droite peut être envisagée. Pourtant, si les zadistes rappellent que chaque zad est issu d'un processus temporel et historique singulier, il n'en demeure pas moins que certains principes sont indispensables à la constitution d'une zad. Dans son ouvrage Contrées : Histoires croisées de la zad de Notre-Dame-des-Landes et de la lutte No TAV dans le Val Susa, le Collectif Mauvaise Troupe estime que la mort de Remi Fraisse a engendré l'éclosion d'un « mouvement zad »6. La zad est selon le collectif « une forme de lutte dont l'essence même est d'être ancrée, territoriale et bien souvent rurale ». Il tente alors de décrire la particularité de ce mouvement qui comprendrait trois acceptations : l' « agitation », la « détermination » et l'identité « artistique ou philosophique ». La zad serait alors un « patron souple » utilisé par des individus pour créer une opposition locale. Mais utiliser ce patron nécessite de faire preuve d'inventivité et non d'imitation précise le collectif. 1 Voir FOUGIER Eddy, Les zadistes : un nouvel anticapitalisme..., Op.Cit., p. 11. 2 SUBRA Philippe, Zones A Défendre..., Op.cit., p.20. 3Sur la présence du MAS (mouvement d'action sociale) à Sivens : 4 http://www.lemonde.fr/monde-academie/visuel/2016/06/17/une-enquete-de-la-monde-academie-la-zad-sacree-de-sainte-rita 4953010 1752655.html 5 Création d'une zad temporaire à Rodez revendiquée par la FDSEA : 6 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : ... p367. 34 Néanmoins, la Zad de Notre-Dame-des-Landes a toujours lutté contre « l'aéroport et son monde ». Lutter contre ce monde, c'est lutter contre le modèle capitaliste et la marchandisation du vivant, contre l'Etat et son monopole de la violence physique légitime mais c'est aussi essayer de créer un modèle autonome et autogestionnaire qui reposerait non plus sur des valeurs de domination, de productivité ou d'accumulation mais sur des valeurs comme la solidarité, le partage et la créativité. Limiter la définition d'une zad à la lutte contre un projet d'aménagement serait une erreur d'appréciation. Bien que la Zad de Notre-Dame-des-Landes soit le fruit de facteurs historiques, individuels, sociaux et temporels singuliers, ce sont ces valeurs qui constituent le « patron souple » de la zad. |
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