Les zones a defendre: d'un mouvement de contestation sociale à un nouveau courant de pensée politique( Télécharger le fichier original )par Antoine Vieu Université de Bordeaux - Master 2 2016 |
Chapitre 2 : S'émanciper du système contesté par la lutte :« Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent », si pour Victor Hugo, lutter permet de vivre pleinement, pour les zadistes, lutter permet avant tout d'exister. Une combinaison entre lutte légale et lutte légitime.Sans être l'objectif fondamental, empêcher le projet d'aménagement de se réaliser demeure une importance prioritaire. En effet, la démarche zadiste et de lutter contre un modèle tout en proposant un autre. Comme le modèle qu'elle propose s'inscrit en dehors de l'Etat, il faut être en capacité de vivre sur le territoire revendiqué. Pour cela les zadistes utilisent différentes techniques de lutte légales ou illégales. Concernant les moyens légaux, le premier est de contester le projet devant les tribunaux. Administratif ou judiciaire, un procès permet de gagner du temps et ce gain de temps est fondamental pour la zad. Il permet de la faire connaître, de pérenniser l'occupation et d'expérimenter le nouveau mode de vie. Les recours peuvent concerner la déclaration publique du projet1, le non-respect de la Déclaration des Droits de L'Homme et du Citoyen concernant les procédures d'expulsions mais aussi le non-respect des lois ou traités environnementaux. Ainsi s'est créé le collectif des « Naturalistes en lutte »2 à Notre-Dame-des-Landes ou à Sivens. Son objectif est de collecter des données sur la zone du projet d'aménagement afin de dresser un inventaire des espèces vivantes. L'étude de la biodiversité permet de trouver des espèces protégées ou de démontrer que la compensation 1 Récemment, le Tribunal Administratif de Toulouse a annulé le 1er juillet 2016 la DUP (déclaration d'utilité publique) concernant le projet de barrage de Sivens. 2 Lire à ce sujet le témoignage de Jasmin, naturaliste à Notre-Dame-des-Landes in Contrées : histoires croisées de la zad de Notre-Dame-des-Landes et de la lutte No TAV dans le Val Susa p. 45. 24 environnementale - reproduire l'environnement et la biodiversité de la zone sur un autre site - ne serait pas viable pour ces espèces. Un autre moyen légal de lutter repose l'organisation de grandes manifestations en dehors de la zad. Ces manifestations sont déclarées en préfecture et peuvent regrouper des dizaines de millier de personnes.1 Le cas des rassemblements ou des manifestations de réoccupation organisés sur la zad se situent à la frontière de la légalité. S'ils ne sont pas interdits par la préfecture, ils sont organisés en partie sur des terrains privés. Ces rassemblements sont l'occasion de réunir les sympathisants de la zad et d'organiser des conférences, des réunions, des débats mais aussi des formations, des concerts ou des chantiers collectifs. La Zad de Roybon a par exemple proposé une journée d'échange sur le sexisme dans les milieux alternatifs2. La communication à l'intérieur et à l'extérieur de la zad constitue un outil de lutte légal primordial. Toutes les zads disposent d'un site internet3 disponible en général en plusieurs langues. Ces sites permettent de consulter les programmes, déclarations, analyses ou actualités concernant les zads et de diffuser des images ou des appels concernant les luttes en cours et à venir. L'utilisation d'internet par le milieu zadiste et ses sympathisants permet de générer une forte médiatisation et donc une forte mobilisation. Comme le note Philippe Subra, le « champ de bataille médiatique » est plus décisif que la bataille réelle4. La communication comporte aussi la rédaction de revues comme le Penn Ar Bed ou De tout Bois à Roybon. Outre sa fonction mobilisatrice, la communication permet aussi de diffuser les modèles expérimentés par les zads et par d'autres mouvements. Ainsi, on peut trouver dans la rubrique « International » du site zad.nadir.org des articles concernant la lutte zapatiste, No-TAV, kurde, colombienne ou grecque. Il s'agit de fournir une autre information que celle relayée par les « mass-media »5 et ainsi lutter contre l'idéologie dominante. Cette lutte se retrouve aussi dans l'écriture des articles. Dans le texte intitulé « A propos du mépris de classe sur la zad » (Annexe 2), les auteurs précisent qu'ils ont recours à la féminisation « subjective et 1 Le 27 février 2016, entre 15 000 personnes (selon la préfecture, 50 000 selon les organisateurs) ont défilé sur la quatre voie reliant Nantes à la Bretagne. 2 Le programme et l'invitation sont à consulter sur le site rebellyon.info ; URL : https://rebellyon.info/jeudi-5-mai-OI-OI-OI-DANS-LES-BOIS-16246 . 3 Se reporter à la bibliographie 4 SUBRA Philippe, Zones A Défendre..., Op.cit., p.29. 5 Voir Chapitre 1 25 arbitraire » du texte et à l'emploi de néologismes pour lutter contre d'une part la structure grammaticale classique jugée « patriarcale » et d'autre part contre la féminisation qui appartient aux « dominées ». L'organisation des grands rassemblements et la communication sont amplifiées par les comités de soutiens qui se sont créés dans de nombreuses villes en France d'abord en soutien à la Zad de Notre-Dame-des-Landes puis à toutes les autres. Concernant les moyens illégaux, il faut dans un premier temps rappeler que les zadistes contestent la légitimité de l'Etat et des lois qu'il impose. L'aspect légal de leurs actions ne les importe que dans une logique d'autodéfense afin d'échapper à l'autorité judiciaire. L'action est légitime dès lors qu'elle vise à s'opposer à l'Etat et au système capitaliste. Les occupations maraîchères et des habitations permettent l'implantation de la zad sur la zone d'aménagement. En plus de participer à l'autonomie alimentaire, elles contribuent à assoir territorialement et durablement la zad tout en complexifiant son évacuation. Occuper un bâtiment, c'est rallonger les délais dans la procédure d'expulsion. La mise en culture d'un champ ou l'installation d'un potager est l'occasion d'une part de médiatiser la zad en lui donnant une image positive et d'autre part de mettre en pratique un idéal agricole opposé au modèle productiviste. Comme le rappelle le communiqué de POTES 44, multiplier les initiatives agricoles « illégales et non professionnelles » permet non seulement d'affiner leurs critiques de « l'agriculture industrielle et marchande » mais aussi de mener à une convergence avec les paysans dans la défense des terres1. Ainsi s'est créé à Notre-Dame-des-Landes l'opération « Sème ta zad », assemblée bimensuelle, qui a pour objectif de « discuter et d'organiser collectivement les problématiques agricoles sur la zone »2. L'occupation des habitations ou de la zone par la construction d'habitats constitue l'un des premiers actes dans la formation des zads. Pour Philippe Subra, « ce qui fait la ZAD, c'est l'occupation du site du projet »3. Une autre action illégale consiste à empêcher le bon déroulé des travaux ou d'avoir recours au sabotage. Lorsque des experts environnementaux de Biotope viennent travailler sur la Zad de Notre-Dame-des-Landes, les zadistes les empêchent de travailler. Pour cela, ils peuvent utiliser la dégradation de matériel, le vol de relevé ou de matériel ou la menace 1 POTES 44, « Pourquoi cultiver la Zone ?..., Op.cit., p.1. 2 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires croisées..., Op.cit., p.46. 3 SUBRA Philippe, Zones A Défendre..., Op.cit., p.23. 26 physique comme en témoigne Shoyu interrogé par le collectif Mauvaise Troupe.1 Il en va de même lorsque l'huissier vient notifier les décisions d'expulsions rendues par le tribunal. S'il ne peut pas les remettre en main propre, alors l'expulsion ne peut avoir lieu. Le 22 septembre 2015, le juge des expropriations devait venir sur la Zad de Notre-Dame-des-Landes avec la police. Selon le collectif Mauvaise Troupe2, la décision d'empêcher sa venue est prise par toutes les composantes de la lutte (occupants, paysans et associations). L'anonymat peut aussi être considéré comme un outil de lutte illégal. Il est ainsi interdit de se couvrir totalement le visage sur la voie publique. De même, la production agricole ou la construction d'habitations sont soumis à des normes. Ne pas les déclarer constitue un délit. L'opacité est recherchée par les zadistes tant sur le plan individuel que collectif. Elle permet ainsi aux individus de ne pas être reconnus par les services de police lors de manifestations illégales ou lors d'actes de sabotage et d'éviter les poursuites judiciaires. Elle permet par exemple aux zadistes d'échapper au contrôle de la chambre d'agriculture en ce qui concerne les expérimentations agricoles ou à la campagne de recensement menée par les autorités locales3. La question de la légalité ne semble pas être le premier critère retenu par les zadistes pour penser leurs actions. Le consensus et la légitimité de l'action par rapport à leurs valeurs semblent jouer d'avantage. La place de la violence dans la lutte est un des éléments spécifiques à la zad. |
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