Première Partie : Définir la zad :
Traiter la pensée politique de la zad implique dans un
premier temps d'étudier comment les zadistes, eux-mêmes, la
définissent. A la lecture des écrits zadistes, la zad
dépasse la simple notion de zone géographique. Elle constitue en
outre bien plus que la lutte contre un projet d'aménagement. La zad se
définit d'abord contre le système capitaliste obsolète et
suicidaire qu'elle dénonce. Mais, la critique du système n'est
qu'une petite partie de leur définition. Elle constitue le socle de
réflexion quant à l'alternative qu'elle veut mettre en place.
Cette alternative repose sur deux grands principes : l'autonomie et
l'autogestion. Le mode d'organisation de la zad et la critique du
système a des conséquences sur les techniques de lutte
employées par les zadistes. Légales ou illégales, ces
techniques sont selon eux discutées avant d'être utilisées
afin de rendre la lutte dans son ensemble légitime. Pour autant, la
cohabitation entre la non-violence et la violence n'est pas toujours
aisée. Enfin, la zad ne peut être définie sans aborder son
refus d'être catégorisée et sans étudier la place
qu'elle occupe dans le réseau contre les Grands Projets Inutiles et
Imposés.
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Chapitre 1 : Une vision alternative du monde à
défendre et à expérimenter :
Critique d'un modèle capitaliste usé et
imposé
« Ici et ailleurs, ils [les grands travaux inutiles]
illustrent à merveille les dérives d'un système
productiviste qui ne survit qu'à force de gaspillage
énergétique. Ivre de sa toute-puissance, l'oligarchie use et
abuse de sa position dominante »1.
La lutte locale contre l'aéroport de
Notre-Dame-des-Landes s'inscrit dans une logique bien plus globale
d'après la littérature zadiste. Ce projet d'aménagement
n'est qu'un exemple de plus de l' « absurdité2 » du
modèle capitaliste et c'est bien contre ce modèle obsolète
que les différentes zads entendent lutter. En étudiant les
différents ouvrages écrits par des auteurs zadistes, nous pouvons
établir l'ébauche de leur définition du capitalisme. C'est
un système économique et politique fondé d'une part sur
trois éléments : la possession, l'accumulation et la
productivité et d'autre part sur deux mythes : celui de la croissance
infinie et celui du progrès. Dans Le Petit Livre Noir des Grands
Projets inutiles les auteurs définissent la croissance comme un
« mode de pensée autoréférentielle conduisant
à se persuader qu'un monde fini peut croître à l'infini
», une « utopie du XXème siècle née pendant les
Trente Glorieuses et Cinquante Gaspilleuses prétendant créer de
l'emploi, du pouvoir d'achat et le bonheur sur Terre »3. Dans
un texte publié sur le site de Notre-Dame-des-Landes - zad.nadir
- intitulé « Toujours plus vite, toujours plus loin
»4 les auteurs fustigent le progrès, cette recherche
disproportionnée du gain de temps. Le progrès en créant de
faux besoins aux individus comme « le fait de vouloir traverser un
continent régulièrement dans les deux sens »5,
apparaît dans l'imaginaire de l'Homme inévitable. Il ne sert
pourtant qu'en grande partie à faire tourner la « machine »
capitaliste.
C'est à partir de ces deux mythes que naît la
critique écologiste zadiste. La recherche de la croissance infinie
implique l'utilisation de la nature comme une ressource à exploiter.
Or
1CAMILLE Le petit livre noir des grands projets
inutiles, Neuvy-en-Champagne, édition Le Passager Clandestin, 2015,
p9.
2 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires
croisées de la zad de Notre-Dame-des-Landes et de la lutte No TAV dans
le Val Susa, Paris, L'éclat, 2016, p16.
3 CAMILLE, Le petit livre noir..., Op.cit., p.106.
4ZADIST, « Toujours plus vite,
toujours plus loin »,
zad.nadir.org [en
ligne], le 24 février 2011 ; URL :
http://zad.nadir.org/spip.php?article17
[réf. 10 avril 2016].
5 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires
croisées..., Op.cit., p17.
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cette exploitation est limitée et le
capitalisme se retrouve ainsi devant un paradoxe insurmontable. Les solutions
envisagées par la « machine » capitaliste à ces
problèmes seront abordées dans la troisième partie de ce
travail.
L'autre critique est d'ordre politique. Pour les
zadistes, le système capitaliste comporte dans son essence même
l'idée de domination et de hiérarchie. Modèle
compétitif et non coopératif, le résultat conduit toujours
à une distinction entre gagnant et perdant, possédant et
exploité. Ce système amène nécessairement à
la formation d'une « oligarchie » qui gouverne pour ses propres
intérêts et non celui du peuple. Finalement, les projets
d'aménagements qualifiés par les zadistes de « Grands
Projets Inutiles et Imposés (GPII), n'ont d'« utilité
publique » que le nom. D'une part, ils ne profitent pas à tous et
d'autre part ils sont décidés par un petit groupe d'individus,
composé de responsables politiques, de décideurs
économiques et d'experts, qui privilégie ses
intérêts privés. Pour illustrer cette idée, le site
zad.nadir présente la notion du Partenariat
Public Privé1 (PPP) qui est un mode de financement
passé entre une autorité publique et un prestataire privé
pour financer, et gérer un projet de service public. L'Etat ou la
collectivité publique devra, à la fin de l'ouvrage, payer un
loyer au prestataire pendant une dizaine d'années2. Pour les
zadistes, ces partenariats sont le principal outil de conception des «
grands projets inutiles et imposés » car ils permettent aux
collectivités publiques de s'affranchir de toute contrainte
budgétaire sur un très court terme, ils privilégient les
grands groupes industriels et ils constituent des gouffres budgétaires
pour les générations futures.
La Charte de Tunis3 (voir Annexe 1)
adoptée lors du Forum social mondial de Tunis en 2013 détaille
l'argumentaire contre ces grands projets. Elle constate qu'ils constituent un
« désastre écologique, socioéconomique et humain
» en n'intégrant pas la population à la prise de
décision, en étant opaques et basés sur des «
hypothèses fausses » quant aux bénéfices
économiques et écologiques des projets et en tant qu'instrument
du système économique libéral qui profitent aux grands
groupes industriels et financiers.
1 ZADIST, « Leçon d'économie politique
: le partenariat public privé à la lumière du projet de
Notre-Dame-des-Landes »,
zad-nadir.org
[en ligne], le 19 novembre 2013; URL :
http://zad.nadir.org/spip.php?article2022
[réf. 9 avril 2016].
2 Dans le cadre de Notre-Dame-des-Landes, Vinci AGO
bénéficie de l'exploitation pendant une période de
cinquante-cinq ans en investissant 55% des frais environ. Voir à ce
sujet : le site internet vinci-airports ; URL
http://www.vinci-airports.com/fr/l-aeroport-du-grand-ouest
.
3 CAMILLE, Le petit livre noir..., op.cit.,
p119 ; disponible également sur le site nddl-loiret.miskin
; URL :
https://nddl-loiret.miskin.fr/grands-projets-inutiles-et-imposes/article/forum-contre-les-grands-projets
.
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Dès lors, les grands projets d'aménagement
(aéroport, barrage, ligne Là grande vitesse...) imposés
aux individus ne sont que les conséquences de ce système dans
lequel des individus décident pour les autres.
L'un des premiers défenseurs de ce système
combattu par les zadistes est l'Etat, symbole du pouvoir vertical qui s'impose
aux individus. La critique zadiste de l'Etat porte sur plusieurs points.
D'abord, il permet la marchandisation du monde et du territoire au profit des
multinationales en décidant des politiques d'aménagement et en
les imposant, si besoin, par la force. Etant soumis au marché mondial,
les Etats deviennent à la fois les sponsors et les créanciers de
« l'ordre néolibéral ».
D'autres parts, il impose aux individus sa vision du monde.
Peu après les attentats qui ont visé les journalistes de Charlie
Hebdo, des occupants de la Zad de Notre-Dames-des-Landes ont publié un
texte intitulé : « Vous avez dit Charlie ? »1. Ils
estiment que l'Etat a profité des attentats pour affirmer son
contrôle social au moyen de trois outils : la manipulation de l'opinion
publique à l'aide des médias, l'instauration d'un climat de peur
et l'adoption de lois autoritaires. En plus d'accroître son pouvoir
à l'intérieur du territoire, l'Etat profite de la lutte
antiterroriste pour mener une « politique impérialiste et
colonialiste » visant à s'accaparer les ressources des pays
producteurs de matières premières et à assoir le
modèle capitaliste dans ses anciennes colonies. A la fin de ce document,
les auteurs expliquent que l'Etat Islamique fonctionne de la même
manière que les autres Etats (fonctionnement économique
capitaliste) et concluent par cette phrase qui ne laisse aucun doute quant
à leur avis sur l'existence d'un Etat : « Que crève l'Etat,
islamique ou pas. ».
En ce qui concerne le contrôle social, le Collectif
Mauvaise Troupe explicite l'utilisation du « paradigme du peuple
républicain »2 par l'Etat. Pour le Collectif, le peuple
français n'est qu'une « fiction homogénéisante »
qui ne peut supporter aucune contradiction interne, aucune
différenciation. Alors les décisions rendues en son nom ne
peuvent souffrir d'aucune contestation. Mais si le peuple est UN, l'Etat a
recours selon les zadistes à « l'ennemi intérieur »
pour éliminer les groupes qui contestent son autorité. Il est
primordial que ce dernier n'appartienne pas au peuple au risque de nuire
à l'unité du pays. Ainsi, à chaque manifestation contre
les projets d'aménagements ou plus récemment en France contre la
loi
1 ZADIST, « Vous avez dit Charlie ? »,
zad.nadir.org [en ligne], le 20
janvier 2015 ; URL :
http://zad.nadir.org/spip.php?article2870
[réf. 9 avril 2015].
2 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires
croisées..., Op.cit., p.95.
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travail1, les médias et décideurs
politiques utilisent le terme de « casseur » pour désigner
ceux qui s'attaquent aux biens publics ou à la police. Pour les
zadistes, ce terme permet de « diviser et taire le fait qu'une large
partie de la population ne ravale plus sa colère2 » et
ainsi d'opposer le peuple qui manifeste en son bon droit aux casseurs qui
n'appartiennent pas de facto à ce peuple.
Pour les zadistes, le système capitaliste manipule les
médias pour asseoir sa domination idéologique. Dans le texte
« Auto-média »3 , les auteurs qualifient les
médias traditionnels de « Mass-médias à la botte du
pouvoir ». La critique porte sur la manipulation de l'information et sur
sa massification qui empêche de la comprendre et de la trier. Pour savoir
qui représente ce « pouvoir » contrôlant la presse, il
faut se référer au document précité « Vous
avez dit Charlie ». Les auteurs estiment que les médias ne
constituent en aucun cas un contre-pouvoir. Ils sont la propriété
de grands groupes industriels qui « dépendent économiquement
par leurs marchés de l'Etat, donc du pouvoir politique
»4. Ainsi, les zadistes remettent en cause la capacité
des médias à fournir des informations indépendantes
à partir du moment où leurs propriétaires ont besoin de
l'opinion publique pour mener à bien leur projet
d'aménagement.
Le second défenseur de ce système
dénoncé par les zadistes est la démocratie
représentative. Dans un texte collectif intitulé « En quoi
l'organisation de la vie et de la lutte sur la zad est-elle un laboratoire de
démocratie ? »5, les auteurs, affirmant parler au nom du
mouvement d'occupation, énoncent leur désaccord avec
l'idéal démocratique et plus particulièrement avec la
définition du « gouvernement du peuple par le peuple ». Ils
rejettent l'idée du besoin d'être gouverné et, comme nous
l'avons vu plus haut, qualifient le mot « peuple » de « terme
unifiant » et de « fiction identitaire »6. La notion
de gouvernement implique l'existence d'un pouvoir exécutif chargé
de faire appliquer les lois votées soit par le peuple soit par ces
représentants. Pour les zadistes cette fonction s'oppose à
l'émancipation de l'individu et impose un cadre légal de vie,
véritable contrôle social. Finalement pour les zadistes, aucune
coercition ne peut être légitime.
1 ZADIST, « Les zadistes et la casse du mouvement social
»,
zad.nadir.org [en
ligne], le 21 mai 2016 ; URL :
http://zad.nadir.org/spip.php?article3829
[réf. 15 juin 2016].
2 Ibid., p.1.
3 ZADIST, « Auto-média »,
zad.nadir.org [en ligne], le 18
décembre 2011 ; URL : http//
zad.nadir.org/spip.php
?article147 [réf. 10 mai 2016].
4 ZADIST, « Vous avez dit Charlie ? ... Op.cit.
p2.
5 ZADISTE, « En quoi l'organisation de la vie et de la lutte
sur la zad est-elle un laboratoire de démocratie ? »,
zad.nadir.org [en
ligne], le 16 juillet 2016 ; URL :
http://zad.nadir.org/spip.php?article3934
[réf. 16 juillet 2016]. 6Ibid., p.1.
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Nous avons pu voir que les critiques portées par le
milieu zadiste s'adressent à un système et pas seulement à
un projet local. A ce propos, le Collectif Mauvaise Troupe explicite
l'expression « ni ici, ni ailleurs 1». Le mouvement
d'opposition à l'aéroport n'est pas touché par le «
fameux syndrome NIMBY » pour Not In My Backyard qui consiste
à s'opposer non pas au projet en tant que tel mais à l'endroit de
son implantation. Les grands projets d'aménagements ne sont que les
conséquences d'un système qui serait mauvais pour l'Homme. Ainsi,
l'abandon d'un projet sera une petite victoire pour les zads mais il ne
changera pas fondamentalement l'état des contestations. En revanche, il
contribuera à « entraver la machine capitaliste et le monde qui en
découle 2».
Les ouvrages zadistes ne se contentent pas seulement de
critiquer le système capitaliste en place. Ils défendent une
autre vision du monde et appellent à un changement de paradigme.
Celui-ci reposerait sur « la qualité, la créativité
et le partage »3.
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