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Les zones a defendre: d'un mouvement de contestation sociale à un nouveau courant de pensée politique

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par Antoine Vieu
Université de Bordeaux - Master 2 2016
  

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Première Partie :
Définir la zad :

Traiter la pensée politique de la zad implique dans un premier temps d'étudier comment les zadistes, eux-mêmes, la définissent. A la lecture des écrits zadistes, la zad dépasse la simple notion de zone géographique. Elle constitue en outre bien plus que la lutte contre un projet d'aménagement. La zad se définit d'abord contre le système capitaliste obsolète et suicidaire qu'elle dénonce. Mais, la critique du système n'est qu'une petite partie de leur définition. Elle constitue le socle de réflexion quant à l'alternative qu'elle veut mettre en place. Cette alternative repose sur deux grands principes : l'autonomie et l'autogestion. Le mode d'organisation de la zad et la critique du système a des conséquences sur les techniques de lutte employées par les zadistes. Légales ou illégales, ces techniques sont selon eux discutées avant d'être utilisées afin de rendre la lutte dans son ensemble légitime. Pour autant, la cohabitation entre la non-violence et la violence n'est pas toujours aisée. Enfin, la zad ne peut être définie sans aborder son refus d'être catégorisée et sans étudier la place qu'elle occupe dans le réseau contre les Grands Projets Inutiles et Imposés.

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Chapitre 1 : Une vision alternative du monde à défendre et à expérimenter :

Critique d'un modèle capitaliste usé et imposé

« Ici et ailleurs, ils [les grands travaux inutiles] illustrent à merveille les dérives d'un système productiviste qui ne survit qu'à force de gaspillage énergétique. Ivre de sa toute-puissance, l'oligarchie use et abuse de sa position dominante »1.

La lutte locale contre l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes s'inscrit dans une logique bien plus globale d'après la littérature zadiste. Ce projet d'aménagement n'est qu'un exemple de plus de l' « absurdité2 » du modèle capitaliste et c'est bien contre ce modèle obsolète que les différentes zads entendent lutter. En étudiant les différents ouvrages écrits par des auteurs zadistes, nous pouvons établir l'ébauche de leur définition du capitalisme. C'est un système économique et politique fondé d'une part sur trois éléments : la possession, l'accumulation et la productivité et d'autre part sur deux mythes : celui de la croissance infinie et celui du progrès. Dans Le Petit Livre Noir des Grands Projets inutiles les auteurs définissent la croissance comme un « mode de pensée autoréférentielle conduisant à se persuader qu'un monde fini peut croître à l'infini », une « utopie du XXème siècle née pendant les Trente Glorieuses et Cinquante Gaspilleuses prétendant créer de l'emploi, du pouvoir d'achat et le bonheur sur Terre »3. Dans un texte publié sur le site de Notre-Dame-des-Landes - zad.nadir - intitulé « Toujours plus vite, toujours plus loin »4 les auteurs fustigent le progrès, cette recherche disproportionnée du gain de temps. Le progrès en créant de faux besoins aux individus comme « le fait de vouloir traverser un continent régulièrement dans les deux sens »5, apparaît dans l'imaginaire de l'Homme inévitable. Il ne sert pourtant qu'en grande partie à faire tourner la « machine » capitaliste.

C'est à partir de ces deux mythes que naît la critique écologiste zadiste. La recherche de la croissance infinie implique l'utilisation de la nature comme une ressource à exploiter. Or

1CAMILLE Le petit livre noir des grands projets inutiles, Neuvy-en-Champagne, édition Le Passager Clandestin, 2015, p9.

2 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires croisées de la zad de Notre-Dame-des-Landes et de la lutte No TAV dans le Val Susa, Paris, L'éclat, 2016, p16.

3 CAMILLE, Le petit livre noir..., Op.cit., p.106.

4ZADIST, « Toujours plus vite, toujours plus loin », zad.nadir.org [en ligne], le 24 février 2011 ; URL : http://zad.nadir.org/spip.php?article17 [réf. 10 avril 2016].

5 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires croisées..., Op.cit., p17.

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cette exploitation est limitée et le capitalisme se retrouve ainsi devant un paradoxe insurmontable. Les solutions envisagées par la « machine » capitaliste à ces problèmes seront abordées dans la troisième partie de ce travail.

L'autre critique est d'ordre politique. Pour les zadistes, le système capitaliste comporte dans son essence même l'idée de domination et de hiérarchie. Modèle compétitif et non coopératif, le résultat conduit toujours à une distinction entre gagnant et perdant, possédant et exploité. Ce système amène nécessairement à la formation d'une « oligarchie » qui gouverne pour ses propres intérêts et non celui du peuple. Finalement, les projets d'aménagements qualifiés par les zadistes de « Grands Projets Inutiles et Imposés (GPII), n'ont d'« utilité publique » que le nom. D'une part, ils ne profitent pas à tous et d'autre part ils sont décidés par un petit groupe d'individus, composé de responsables politiques, de décideurs économiques et d'experts, qui privilégie ses intérêts privés. Pour illustrer cette idée, le site zad.nadir présente la notion du Partenariat Public Privé1 (PPP) qui est un mode de financement passé entre une autorité publique et un prestataire privé pour financer, et gérer un projet de service public. L'Etat ou la collectivité publique devra, à la fin de l'ouvrage, payer un loyer au prestataire pendant une dizaine d'années2. Pour les zadistes, ces partenariats sont le principal outil de conception des « grands projets inutiles et imposés » car ils permettent aux collectivités publiques de s'affranchir de toute contrainte budgétaire sur un très court terme, ils privilégient les grands groupes industriels et ils constituent des gouffres budgétaires pour les générations futures.

La Charte de Tunis3 (voir Annexe 1) adoptée lors du Forum social mondial de Tunis en 2013 détaille l'argumentaire contre ces grands projets. Elle constate qu'ils constituent un « désastre écologique, socioéconomique et humain » en n'intégrant pas la population à la prise de décision, en étant opaques et basés sur des « hypothèses fausses » quant aux bénéfices économiques et écologiques des projets et en tant qu'instrument du système économique libéral qui profitent aux grands groupes industriels et financiers.

1 ZADIST, « Leçon d'économie politique : le partenariat public privé à la lumière du projet de Notre-Dame-des-Landes », zad-nadir.org [en ligne], le 19 novembre 2013; URL : http://zad.nadir.org/spip.php?article2022 [réf. 9 avril 2016].

2 Dans le cadre de Notre-Dame-des-Landes, Vinci AGO bénéficie de l'exploitation pendant une période de cinquante-cinq ans en investissant 55% des frais environ. Voir à ce sujet : le site internet vinci-airports ; URL http://www.vinci-airports.com/fr/l-aeroport-du-grand-ouest .

3 CAMILLE, Le petit livre noir..., op.cit., p119 ; disponible également sur le site nddl-loiret.miskin ; URL : https://nddl-loiret.miskin.fr/grands-projets-inutiles-et-imposes/article/forum-contre-les-grands-projets .

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Dès lors, les grands projets d'aménagement (aéroport, barrage, ligne Là grande vitesse...) imposés aux individus ne sont que les conséquences de ce système dans lequel des individus décident pour les autres.

L'un des premiers défenseurs de ce système combattu par les zadistes est l'Etat, symbole du pouvoir vertical qui s'impose aux individus. La critique zadiste de l'Etat porte sur plusieurs points. D'abord, il permet la marchandisation du monde et du territoire au profit des multinationales en décidant des politiques d'aménagement et en les imposant, si besoin, par la force. Etant soumis au marché mondial, les Etats deviennent à la fois les sponsors et les créanciers de « l'ordre néolibéral ».

D'autres parts, il impose aux individus sa vision du monde. Peu après les attentats qui ont visé les journalistes de Charlie Hebdo, des occupants de la Zad de Notre-Dames-des-Landes ont publié un texte intitulé : « Vous avez dit Charlie ? »1. Ils estiment que l'Etat a profité des attentats pour affirmer son contrôle social au moyen de trois outils : la manipulation de l'opinion publique à l'aide des médias, l'instauration d'un climat de peur et l'adoption de lois autoritaires. En plus d'accroître son pouvoir à l'intérieur du territoire, l'Etat profite de la lutte antiterroriste pour mener une « politique impérialiste et colonialiste » visant à s'accaparer les ressources des pays producteurs de matières premières et à assoir le modèle capitaliste dans ses anciennes colonies. A la fin de ce document, les auteurs expliquent que l'Etat Islamique fonctionne de la même manière que les autres Etats (fonctionnement économique capitaliste) et concluent par cette phrase qui ne laisse aucun doute quant à leur avis sur l'existence d'un Etat : « Que crève l'Etat, islamique ou pas. ».

En ce qui concerne le contrôle social, le Collectif Mauvaise Troupe explicite l'utilisation du « paradigme du peuple républicain »2 par l'Etat. Pour le Collectif, le peuple français n'est qu'une « fiction homogénéisante » qui ne peut supporter aucune contradiction interne, aucune différenciation. Alors les décisions rendues en son nom ne peuvent souffrir d'aucune contestation. Mais si le peuple est UN, l'Etat a recours selon les zadistes à « l'ennemi intérieur » pour éliminer les groupes qui contestent son autorité. Il est primordial que ce dernier n'appartienne pas au peuple au risque de nuire à l'unité du pays. Ainsi, à chaque manifestation contre les projets d'aménagements ou plus récemment en France contre la loi

1 ZADIST, « Vous avez dit Charlie ? », zad.nadir.org [en ligne], le 20 janvier 2015 ; URL : http://zad.nadir.org/spip.php?article2870 [réf. 9 avril 2015].

2 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires croisées..., Op.cit., p.95.

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travail1, les médias et décideurs politiques utilisent le terme de « casseur » pour désigner ceux qui s'attaquent aux biens publics ou à la police. Pour les zadistes, ce terme permet de « diviser et taire le fait qu'une large partie de la population ne ravale plus sa colère2 » et ainsi d'opposer le peuple qui manifeste en son bon droit aux casseurs qui n'appartiennent pas de facto à ce peuple.

Pour les zadistes, le système capitaliste manipule les médias pour asseoir sa domination idéologique. Dans le texte « Auto-média »3 , les auteurs qualifient les médias traditionnels de « Mass-médias à la botte du pouvoir ». La critique porte sur la manipulation de l'information et sur sa massification qui empêche de la comprendre et de la trier. Pour savoir qui représente ce « pouvoir » contrôlant la presse, il faut se référer au document précité « Vous avez dit Charlie ». Les auteurs estiment que les médias ne constituent en aucun cas un contre-pouvoir. Ils sont la propriété de grands groupes industriels qui « dépendent économiquement par leurs marchés de l'Etat, donc du pouvoir politique »4. Ainsi, les zadistes remettent en cause la capacité des médias à fournir des informations indépendantes à partir du moment où leurs propriétaires ont besoin de l'opinion publique pour mener à bien leur projet d'aménagement.

Le second défenseur de ce système dénoncé par les zadistes est la démocratie représentative. Dans un texte collectif intitulé « En quoi l'organisation de la vie et de la lutte sur la zad est-elle un laboratoire de démocratie ? »5, les auteurs, affirmant parler au nom du mouvement d'occupation, énoncent leur désaccord avec l'idéal démocratique et plus particulièrement avec la définition du « gouvernement du peuple par le peuple ». Ils rejettent l'idée du besoin d'être gouverné et, comme nous l'avons vu plus haut, qualifient le mot « peuple » de « terme unifiant » et de « fiction identitaire »6. La notion de gouvernement implique l'existence d'un pouvoir exécutif chargé de faire appliquer les lois votées soit par le peuple soit par ces représentants. Pour les zadistes cette fonction s'oppose à l'émancipation de l'individu et impose un cadre légal de vie, véritable contrôle social. Finalement pour les zadistes, aucune coercition ne peut être légitime.

1 ZADIST, « Les zadistes et la casse du mouvement social », zad.nadir.org [en ligne], le 21 mai 2016 ; URL : http://zad.nadir.org/spip.php?article3829 [réf. 15 juin 2016].

2 Ibid., p.1.

3 ZADIST, « Auto-média », zad.nadir.org [en ligne], le 18 décembre 2011 ; URL : http// zad.nadir.org/spip.php ?article147 [réf. 10 mai 2016].

4 ZADIST, « Vous avez dit Charlie ? ... Op.cit. p2.

5 ZADISTE, « En quoi l'organisation de la vie et de la lutte sur la zad est-elle un laboratoire de démocratie ? », zad.nadir.org [en ligne], le 16 juillet 2016 ; URL : http://zad.nadir.org/spip.php?article3934 [réf. 16 juillet 2016]. 6Ibid., p.1.

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Nous avons pu voir que les critiques portées par le milieu zadiste s'adressent à un système et pas seulement à un projet local. A ce propos, le Collectif Mauvaise Troupe explicite l'expression « ni ici, ni ailleurs 1». Le mouvement d'opposition à l'aéroport n'est pas touché par le « fameux syndrome NIMBY » pour Not In My Backyard qui consiste à s'opposer non pas au projet en tant que tel mais à l'endroit de son implantation. Les grands projets d'aménagements ne sont que les conséquences d'un système qui serait mauvais pour l'Homme. Ainsi, l'abandon d'un projet sera une petite victoire pour les zads mais il ne changera pas fondamentalement l'état des contestations. En revanche, il contribuera à « entraver la machine capitaliste et le monde qui en découle 2».

Les ouvrages zadistes ne se contentent pas seulement de critiquer le système capitaliste en place. Ils défendent une autre vision du monde et appellent à un changement de paradigme. Celui-ci reposerait sur « la qualité, la créativité et le partage »3.

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld