Politique comparée : pensée et régimes
politiques
Pour le Master 2 de l'Université de
Bordeaux mention droit public et science
politique spécialité recherche
Mémoire de recherche
Par : Antoine VIEU
LES ZONES A DEFENDRE :
D'un mouvement de contestation sociale
à
un nouveau courant de pensée politique
Année 2015-2016
Sous la direction de : Patrick
Troude-Chastenet
2
Sommaire
Avant-propos 3
Introduction 5
Première Partie : Définir la zad 14
Chapitre 1 : Une vision alternative du monde à
défendre et à expérimenter : 15
Chapitre 2 : S'émanciper du système
contesté par la lutte : 23
Chapitre 3 : Le refus d'adopter une définition stricte
de la zad 31
Deuxième Partie : Comprendre les zads aux regardes
d'autres phénomènes politiques passés et
contemporains 38
Chapitre 4 : Une résurgence du Larzac ? 39
Chapitre 5 : Les Zads et les luttes altermondialistes : 47
Chapitre 6: Le No-TAV et les zads : deux modèles
singuliers des mouvements membres du réseau
contre les Grands Projets inutiles et Imposés. 54
Troisième partie : Du phénomène à
la pensée politique : une classification idéologique complexe
61
Chapitre 7 : Une écologie politique sociale et
révolutionnaire et anthropocentrée : le rejet du
capitalisme vert et du retour en arrière : 62
Chapitre 8 : Les zadistes et le comité invisible : un
constat de la crise similaire mais une approche
révolutionnaire radicalement différente. 70
Chapitre 9 : Les zads et la perspective municipale libertaire.
77
Conclusion 84
Bibliographie 86
Table des matières 93
Annexes 95
3
Avant-propos
« Le commencement de l'élaboration critique
est la conscience de ce qu'on est réellement, un « connais-toi
toi-même » conçu comme produit du processus historique qui
s'est jusqu'ici déroulé et qui a laissé en chacun de nous
une infinité de traces reçues sans bénéfice
d'inventaire ».
Cette maxime d'Antonio Gramsci résume bien mon parcours
personnel. Parmi les traces reçues, nous ne pouvons ignorer un
séjour sur la Zad de Notre-Dame-des-Landes, de nombreuses participations
aux manifestations de soutien aux différentes zads et de manière
plus générale, mon adhésion à différentes
associations qui contestent la légitimité de l'Etat et remettent
en cause le système capitaliste.
Conscient de centrer ce travail sur un phénomène
peu étudié qui possède un impact conséquent dans le
champ politique, mon travail essaye de s'extraire de toutes distorsions,
exagérations, occultations de faits. L'objectif n'étant pas de
juger ce phénomène mais de l'étudier pour tenter de le
comprendre.
Indéniablement, il existe un risque d'être
guidé uniquement par l'émotion. L'enjeu étant de s'en
échapper, en n'obéissant qu'à la recherche sérieuse
de documentation, son étude, sa critique objective, et sa mise en
perspective.
Mes remerciements vont avant tout à mon directeur de
mémoire, M. Patrick Troude-Chastenet pour ses conseils, son aide et son
suivi. Merci également à mes professeurs de ces deux
années de Master qui m'ont permis de développer un sens critique
qui m'accompagnera bien au-delà de mes études. Enfin, merci
à mes parents et mes amis sans qui tout cela n'aurait pas
été possible.
4
Titre : Les zones à Défendre : d'un
mouvement de contestation sociale à un nouveau courant de pensée
politique.
Résumé :
Notre mémoire d'analyse des idées politiques se
concentre sur la pensée politique zadiste.
Ce phénomène politique nouveau, véritable
fer de lance de la contestation sociale et environnementale, renouvelle une
critique du système politique actuel tout en proposant la mise en place
de nouvelles alternatives. A travers notre travail d'analyse des documents
zadistes, nous cherchons à comprendre la pensée politique
zadiste. Notre hypothèse principale suggère que les zads
développent une conception et une critique cohérente du politique
qui permet de comparer la pensée politique zadiste à certaines
idéologies.
Mots clés : Zad, Idéologie,
Mouvement, Anticapitalisme, Autonomie, Autogestion, Altermondialisme, Ecologie
radicale, Municipalisme libertaire.
Title : A Zone to Defend : from a new social protest
movement to a new political ideal.
Abstract :
Our thesis focuses on the political ideals of the zadist
movement, which is leading contemporary social and environmenatal protests. It
is renewing criticism of the current political system while suggesting the
establishment of an alternative way of living. Through analysing zadist
documents, our thesis aims to understand such political ideals. Our main
hypothesis is that the zads are constructing a consistent conception and
critique of politics allowing us to compare their political ideals with other
ideologies.
Keywords : Zad, Ideology, Movement,
Anticapitalism, Autonomy, Self-governance, Antiglobalisation, Ecology,
Libertarian municipalism.
5
Introduction
Le 26 juin 2016, 55,17% de la moitié
des électeurs de la région Loire-Atlantique interrogé par
consultation locale, s'est prononcé favorable au projet
d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Le gouvernement, à l'origine
de cette consultation, estime que ce résultat justifie
l'évacuation de la Zone A Défendre (Zad) de Notre-Dame-des-Landes
qui empêche le début des travaux depuis maintenant plus de sept
ans.
Le projet d'aéroport à Notre-Dame-des-Landes ne
date pas d'hier. Le choix du site pour la construction est décidé
en 1967. Il doit alors ouvrir en 1985. C'est en 1972 que la préfecture
annonce publiquement la volonté de construire un nouvel aéroport
auprès des habitants concernés. Cette même année est
créée l'ADECA, Association de Défense des Exploitations
Concernés par le projet d'Aéroport. En 1974, un
arrêté préfectoral institue une Zone d'Aménagement
Différé (ZAD) qui permet au Conseil Général
d'acquérir une partie des terrains en vue de la future construction. La
contestation ne dépasse pas encore le cadre local.
Le projet demeure lettre morte jusqu'en 2000, lorsque Lionel
Jospin, alors Premier Ministre relance l'idée de la
nécessité de construire l'aéroport qui doit alors
être fini en 2010. Quelques mois après se crée l'ACIPA,
Association Citoyenne Intercommunale des Populations concernées par le
projet d'Aéroport qui deviendra l'un des piliers de la mobilisation
anti-aéroport.
C'est à partir des années 2000 que sont mis en
place les premiers débat et enquête publique accompagnant le
« tournant délibératif » engagé par les pouvoirs
publics à l'occasion des débats sur l'énergie et plus
particulièrement sur le nucléaire. Parallèlement, la
contestation s'étend peu à peu à toute la région
et, en 2007, s'ouvre la première maison occupée sur la zone
d'aménagement : Les Rosiers. Une année plus tard, l'annonce de la
Déclaration d'Utilité Publique (DUP) entraîne
l'intensification de la mobilisation contre le projet d'aéroport. Les
différentes associations mobilisées et certains partis politiques
et syndicats organisent les premiers rassemblements sur la zone
d'aménagement qui s'accompagnent des premières occupations par
des individus extérieurs à la zone. Mais il faut attendre
l'organisation de la « Semaine des résistances » et
l'installation du premier Camp Action Climat en France à
Notre-Dame-des-Landes pour que la Zone d'Aménagement
Différé soit rebaptisée Zone A Défendre et que
l'appel à débuter une occupation permanente est lancé. A
l'automne 2012, le gouvernement entreprend l'expulsion de la Zad par la force
lors
6
de l'Opération César mais échoue.
L'ampleur et l'échec de cette Opération marquent une nouvelle
étape dans la mobilisation contre l'aéroport. Elle s'étend
sur tout le territoire national. La Zad de Notre-Dame-des-Landes devient le
symbole d'une lutte qui dépasse l'enjeu local de construction d'un
nouvel aéroport. Il s'agit de lutter contre la domination arbitraire de
l'Etat et contre l'économie capitaliste qui dévasterait le monde.
La zad devient progressivement un outil pour lutter contre l'aménagement
urbain et plus particulièrement contre ce que les militants nomment les
« Grands Projets Inutiles et Imposés »1 (GPII).
Ainsi, le projet de construction d'une retenue d'eau est avorté
après la création d'une zad et la mort dramatique du militant
écologiste Rémi Fraisse. A Roybon en Isère, pour
empêcher la construction d'un Center Parcs, des opposants au projet
créent à leur tour une zad. Le phénomène s'est
réitéré plus récemment dans la forêt de Bure
contre un projet d'enfouissement des déchets nucléaires. Le
chercheur Philippe Subra qualifie le terme zad de « label contestataire
»2 dans le sens où les opposants à un projet
utiliseraient cette appellation pour « attirer la sympathie d'une partie
de l'opinion publique » et donc en quelque sorte, légitimer leur
lutte. Le terme de « label » est contestable tant les
différents écrits zadistes réfutent toute idée de
filiation avec la Zad de Notre-Dame-des-Landes. Pour autant, le terme de zad
s'est exporté depuis 2012 dans toute la France ainsi que dans d'autres
pays.
Historiquement, certains projets d'aménagements du
territoire ont engendré une opposition qui a eu des répercussions
sur le plan national similaires aux zads. Outre le cas du Larzac abordé
dans la seconde partie de ce mémoire, il faut déjà citer
la lutte contre le projet de construction d'une centrale nucléaire dans
la commune de Plogoff à la fin des années 1970. Le mouvement
d'opposition local est vite rejoint par celui des antinucléaires qui
commence alors à prendre de l'importance. Le projet est abandonné
avec la victoire de François Mitterrand en 1981. Un autre projet
nucléaire, qui a également connu une forte contestation durant la
même décennie, est celui du surgénérateur
Superphénix. A la différence de Plogoff ou du Larzac, une
manifestation violente a lieu et Vital Michelon est tué par l'explosion
d'une grenade offensive. Le dernier projet important à citer et celui du
Tunnel du Somport. Ce dernier a occupé une moindre place que les autres
mouvements d'opposition mais il partage certains points communs avec la Zad de
Notre-Dame-des-Landes. Les manifestations sont plus violentes et donnent lieu
à une occupation de la zone3. Ces différentes
mobilisations partagent
1 CAMILLE Le petit livre des grands projets inutiles,
édition Le Passager Clandestin, Neuvy-en-Champagne, 2015
2 SUBRA Philippe, Zones A Défendre : De Sivens
à Notre-Dame-des-landes, La Tour d'Aigues, L'Aube, 2016, p.18.
3 A ce titre, l'ouvrage Des camions et des Hommes
écrit par André Cazetien, maire honoraire de la ville de
Mourenx durant la lutte est une très bonne introduction à ce
conflit qui mériterait une étude approfondie.
7
certains points communs avec les zones à
défendre et permettent de comprendre certains de ses aspects. Pour
autant l'échelle temporelle est trop grande pour amener à une
compréhension suffisante du phénomène zadiste.
Les zads et leurs définitions
Un reportage d'Enquête exclusive, une
émission télévisuelle, diffusé sur M6 le 29 mars
2015 débute en s'interrogeant sur l'identité des zadistes :
«écolos, extrémistes ou marginaux ? »1. Il
n'y aurait aucune utilité de mentionner ce reportage s'il n'était
pas utilisé dans certains travaux de recherche que nous avons
consultés pour réaliser ce travail. Le chercheur Eddy Fougier se
réfère, avec précaution, à ce reportage lorsqu'il
aborde la question de la violence sur les zads2 et plus
particulièrement la consommation de drogue et «
l'omniprésence » d'alcool. Le fait d'utiliser un reportage
télévisuel dans un travail scientifique souligne la
difficulté de trouver des informations scientifiques concernant les
différentes zads. Trop peu de travaux de science politique ou de
sociologie ont été réalisés ou sont en cours de
réalisation. Les définitions issues de la littérature
zadiste restent volontairement vagues. Le reportage a d'ailleurs
été repris et fortement critiqué dans un texte par un
« sympathisant zadiste »3 qui appelle à le
déconstruire.
Eddy Fougier définit simplement la zad comme une «
zone à défendre » composée de zadistes4.
Il poursuit en expliquant l'objectif de la zad, à savoir bloquer le
territoire pour éviter le début des travaux et mettre en place
des « pratiques alternatives » pour lutter contre un système
qu'ils rejettent. Pour le chercheur Philippe Subra une zone à
défendre existe à partir du moment où le terrain
d'aménagement est occupé de « façon permanente pour
une durée relativement longue »5. Il faut que le terrain
occupé soit l'objet d'un futur projet d'aménagement. En
regroupant les deux analyses, nous pouvons observer que les deux chercheurs
reconnaissent l'existence de plusieurs zads. Ils ne considèrent pas La
Zad de Notre-Dame-des-Landes comme un phénomène unique. De plus,
le projet d'aménagement peut être d'origine publique ou
privée. Enfin, la création d'une zad peut tout à fait
être légale.
1 M6 « Ecolos, extrémistes ou marginaux, qui sont
ces zadistes qui défient l'Etat », Enquête exclusive,
[en ligne] le 29 mars 2015
2 FOUGIER Eddy, Les zadistes : la tentation de la
violence, Paris, Fondation pour L'INNOVATION POLITIQUE, 2016, p.25.
3 ANONYME, « Enquête exclusive, ceci est un ressenti
personnel »,
grenoble.indymedia.com
[en ligne] URL :
https://grenoble.indymedia.org/IMG/pdf/Enquete
Exclusive - ceci est un ressenti personnel.pdf [réf. 25 avril
2016].
4 FOUGIER Eddy, Les zadistes : un nouvel anticapitalisme,
Paris, Fondation pour l'INNOVATION POLITIQUE, 2016.p. 11
5 SUBRA Philippe, Zones A Défendre : De Sivens
à Notre-Dame-des-landes, La Tour d'Aigues, L'Aube, 2016.p.20.
8
D'autre part, les deux auteurs voient dans les zads une
nouvelle forme de contestation sociale qui regroupe une
hétérogénéité d'individus et d'idées
avec comme point commun la critique du système capitaliste. Ils
expliquent qu'en plus de lutter contre un projet d'aménagement, les
zadistes entreprennent la mise en place d'une alternative au système
actuel.
Il est plus difficile de trouver une définition commune
de la zad dans les écrits zadistes. Le Collectif Mauvaise
Troupe1 préfère utiliser le terme zad plutôt que
ZAD car il considère que les zads dépassent le cadre de zone
à défendre et s'étendent à la défense du
« territoire »2. Il ne s'agit pas « d'un simple
acronyme mais d'un substantif qui désigne bien plus que la
préservation d'un terrain contre un projet d'aménagement ».
Le « territoire en lutte » implique aussi bien l'aspect
géographique que la présence humaine et le mode de vie. Pour
Henri Mora, opposant au Center Parcs de Roybon et auteur de nombreuses analyses
sur le sujet, les zadistes « n'ont pas une identité propre et
unique. Ils occupent un territoire qu'ils défendent contre son saccage
et s'en emparent pour expérimenter d'autres relations sociales et
humaines en dehors de l'utilitarisme économique »3. Le
Collectif Mauvaise Troupe estime que la création de nouvelles zads comme
à Roybon ou Sivens marque la naissance d'un « mouvement » zad.
Il le définit de « social », « guerrier » et «
artistique »4. Les zadistes définissent leur lutte de
« sociale » car se limiter à la qualification de lutte
environnementale reviendrait à négliger toute une partie de leurs
revendications.
En reliant les définitions des chercheurs et des
zadistes, les zads apparaissent comme une nouvelle forme de contestation
sociale bien plus large que la défense de l'environnement. En habitant
le territoire, les zadistes entreprennent la mise en place d'alternatives au
système capitaliste actuel. Mais la notion de zad est un terme
récent. Elle a connu une transformation avec le temps. D'un
phénomène singulier à Notre-Dame-des-Landes, le terme zad
fut utilisé pour nommer d'autres foyers de contestation à travers
le pays. La multiplicité des zads a obligatoirement des
conséquences sur sa définition. Les événements du
présent ne peuvent
1 Ce collectif explique dans ses ouvrages que certains de ses
membres se sont installés sur la Zad de Notre-Dame-des-Landes.
2 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires
croisées de la zad de Notre-Dame-des-Landes et de la lutte No TAV dans
le Val Susa, Paris, L'éclat, 2016, p.266
3 CHAMBARANS.UNBLOG, « Center Parcs dans les
Chambarans, utopie ou cauchemar touristique ? Entretien avec Henri Mora
»
Chambarans.unblog.fr
[en ligne] le 8 mai 2013 ; URL :
http://chambarans.unblog.fr/2013/05/08/center-parcs-dans-les-chambarans-utopie-ou-cauchemar-touristique-entretien-avec-henri-mora/
[réf. 15 mai 2016].
4 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées ..., Op.cit.,
p.368.
9
être compréhensibles qu'en prenant compte du
processus de formation de ces différentes zones à
défendre.
Vue l'absence de sources précises et le peu de travaux
scientifiques effectués sur les zads, nous avons opté pour une
définition large qui définit la zad comme un territoire
habité par des individus s'opposant à un projet
d'aménagement public ou privé et contestant sa
légitimité et sa viabilité. Ces individus proposent une
alternative, au système économique et politique à
l'origine de ces projets, qui repose sur des principes d'autonomie et
d'autogestion en adoptant une économie sans rapport marchand et en
rejetant toute relation de domination. Nous écrivons zad en minuscule
(qui s'accorde au pluriel) lorsqu'il s'agit du phénomène. La
majuscule indique le nom propre. Enfin nous n'utilisons pas l'acronyme ZAD pour
Zone A Défendre car la lutte des zadistes s'étend au-delà
d'une simple zone géographique et au-delà d'un projet
d'aménagement. Le terme zadiste doit se comprendre au sens large et
signifie tout individu habitant sur le territoire de la zad. Les médias
et les chercheurs distinguent les zadistes des « habitants historiques
» à savoir, les individus habitant sur la zone avant la relance des
travaux par le gouvernement Jospin. Cette distinction nous apparaît
difficile à effectuer sans un travail de terrain pour vérifier
son intérêt scientifique. Nous ne l'utiliserons donc pas.
Cadre méthodologique et limites du sujet.
Travailler sur la possible existence d'une idéologie
zadiste nécessite d'effectuer auparavant un travail de
définition. La première étape est de considérer la
zad en tant que mouvement pour ensuite aborder l'aspect idéologique.
En ce qui concerne la définition de « mouvement
», là encore un travail sociologique de terrain serait
nécessaire. Selon le sociologue Alain Touraine, une mobilisation sociale
doit remplir trois conditions1 de principes pour être
qualifiée de mouvement. Il faut un principe d'identité, un
principe d'opposition et un principe de totalité. Le mouvement social,
à la différence de l'action collective est à la recherche
d'une « orientation générale de la société
». Il est difficile de vérifier l'existence des trois principes sur
les zads. En revanche nous pouvons supposer que les revendications zadistes
dépassent largement une simple contestation sociale. De plus, ils
recherchent une alternative de vie au système actuel. Le rejet du
capitalisme implique obligatoirement une remise en cause de l'orientation
générale de la société. Enfin, tant la
littérature zadiste que scientifique utilisent la notion de mouvement
1 TOURAINE Alain, La production de la société,
Paris, Seuil, 1973, p. 322.
10
social. Nous utiliserons donc le terme de mouvement de
contestation sociale par souci de cohérence avec les sources primaires
et secondaires bien qu'il serait plus rigoureux de parler de mouvance tant les
zads ne constituent pas un mouvement structuré. Il s'agit plus d'un
réseau dans un réseau.
La deuxième notion à définir et peut
être la plus importante est celle d'idéologie. Ce mémoire
entreprend d'analyser les zads sur le plan des idées politiques et non
dans une approche sociologique d'où l'importance d'adopter une
définition précise de l'idéologie. Le terme «
idéologie » est une invention du philosophe et homme politique
français Antoine Destutt de Tracy qui désigne une nouvelle
science destinée à comprendre et expliquer les idées. Karl
Marx voit dans l'idéologie une représentation fausse du
réel qui permet de justifier la domination de la classe bourgeoise sur
le prolétariat. Dans L'idéologie ou l'origine des
idées reçues, le sociologue Raymond Boudon analyse
l'historicité de ce terme et définit l'idéologie moderne
comme « des doctrines plus ou moins cohérentes combinant à
dose variables des propositions prescriptives et des propositions descriptives
».1 Enfin, Philippe Braud la définit comme un «
ensemble structurée de représentation du monde social qui
fonctionne à la croyance (politique) et à la violence
(symbolique) »2. D'après l'ensemble de ces
définitions, l'idéologie apparaît comme une conception
englobante de la réalité qui a pour but de l'expliquer et de
légitimer le pouvoir. Elle explicite une situation en lui donnant un
sens à l'aide d'éléments non scientifiques mais
vérifiables partiellement.
Un des objectifs de ce mémoire est d'étudier la
possible existence d'une idéologie zadiste. Nous utiliserons pour ce
travail le terme de « pensée zadiste » en tant qu'aspirations
politiques multiples développées par le mouvement zadiste.
La démarche de ce travail n'est pas d'ordre
sociologique. Il ne s'agit pas de vérifier sociologiquement par un
travail de terrain une réalité mais plutôt d'analyser une
pensée politique en partie à travers le discours et les
écrits des acteurs tout en ayant recours à la méthode
comparative.
Notre travail couvrira la période de 2008 au 10 juillet
2016. Débuter notre recherche sur les zads en 2008 se justifie car c'est
au cours de cette année qu'apparait pour la première fois le
terme de ZAD comme Zone à défendre détourné de son
sens original, Zone d'aménagement différé. Le choix
d'arrêter notre analyse au 10 juillet 2016 correspond au dernier
1 BOUDON Raymond, L'idéologie ou l'origine des
idées reçues, Paris, Points, 2011, [1986], p.86.
2 BRAUD Philippe, Sociologie Politique,
Issy-les-Moulineaux, Lextenso LGDJ, 2014, [1992].
11
rassemblement organisé sur la Zad de
Notre-Dame-des-Landes au cours duquel de nombreux textes ont été
produits concernant l'analyse la consultation locale du 26 juin 2016. Les
analyses de cette consultation sont intéressantes car elles permettent
d'apporter de nouveaux éléments quant à la vision zadiste
de la démocratie représentative. La consultation a de plus
occupé une place important dans le champ politique national en suscitant
de nombreuses controverses quant à sa légitimité. Nous
avons décidé de ne pas prendre en compte dans notre analyse le
cas de l'occupation de la forêt de Bure qui empêche par sa
temporalité de prendre un recul nécessaire à sa
compréhension.
La première limite de ce travail est d'ordre temporel.
Comme le rappelle cette formule consacrée, « nous ne sommes jamais
les contemporains de notre propre histoire » et analyser un
événement si récent implique nécessairement une
compréhension qui pourra se révéler en partie
biaisée dans le futur. Avec le temps, des éléments qui
apparaissent importants et justes aujourd'hui disparaitront peut être des
mémoires ou seront contredits et notre analyse deviendra soit
obsolète soit infondée. C'est le risque de travailler sur le
temps présent.
La deuxième limite porte sur les sources
utilisées et plus particulièrement les sources primaires.
L'univers zadiste est le plus souvent anonyme. Nous avons utilisé les
documents en grande majorité publiés sur des sites internet comme
zad.nadir. org,
chambarans.unblog.fr
ou encore
zadagen.tumblr.com.
La plupart des textes ne sont pas signés et il est très rare
de savoir s'ils sont écrits par un ou plusieurs auteurs. Nous avons
également analysé les publications du Collectif Mauvaise Troupe
qui explique qu'une partie de ses membres habitent dans une zad. Cet anonymat,
et c'est volontaire, empêche de savoir si les auteurs s'expriment
à titre individuel ou au nom du groupe. Certaines idées peuvent
ainsi être mal interprétées. Il a donc fallu recouper les
différentes analyses pour tenter d'extraire certains grands principes
partagés par le mouvement zadiste. A titre d'exemple, les valeurs
d'autogestion et d'autonomie semblent être partagées par tous les
zadistes. Pour autant leurs définitions restent larges à la
simple lecture des sources primaires. Nous avons également eu recours
à des entretiens réalisés par le Collectif Mauvaise Troupe
et largement publiés sur les sites internet proches du milieu zadiste.
Leurs utilisations n'ont servi qu'à exprimer des idées et non
à décrire des réalités.
Travaillant sur un phénomène très
récent, la difficulté a été de rassembler des
sources secondaires sur les zads à proprement parler. Très peu
d'analyses scientifiques ont été réalisées à
ce sujet quand elles ne sont pas d'ordre sociologique. Les deux travaux
d'analyses
12
d'Eddy Fougier, publiés pour le think tank «
libéral, progressiste et européen » Fondapol et
l'ouvrage de Philippe Subra sont assez courts et comportent une bibliographie
extrêmement limitée.
Enfin, la dernière limite ou plutôt
difficulté porte sur la neutralité axiologique. Il a fallu
essayer de s'empêcher d'émettre des jugements de valeurs et de
s'extirper de nos croyances idéologiques. Il est toujours plus
compliqué de travailler sur un sujet qui nous passionne mais notre
démarche, qui entend dresser les contours de la pensée politique
des zadistes, a permis d'éviter d'aborder les sujets traitant de la
réalité des faits, plus susceptible d'être entachée
de subjectivité.
A partir de ce cadre méthodologique et de ces limites,
nous formulons les questions suivante : la zad résulte-t-elle d'une
évolution de mouvements de contestation déjà existants, ou
au contraire par sa singularité, n'en constitue-t-elle pas un nouveau ?
Peut-on alors la définir comme un nouveau courant de pensée
politique voire une nouvelle idéologie ?
Nous avons construit notre problématique à
partir des hypothèses suivantes : les zads qui peuvent apparaître
comme un ensemble hétérogène tant sociologiquement
qu'idéologiquement, semblent développer une conception et une
critique particulière du politique et de la participation de l'individu
à la politique. Il pourrait exister des convergences dans le mode de
lutte contre les projets, la vision du politique et le fonctionnement interne
entre les ZAD et les mouvements altermondialistes radicaux comme le
Comité Invisible. Enfin, tant la critique du système que le mode
de fonctionnement développés au sein des zads s'inscrivent dans
une logique qui rappelle le municipalisme libertaire théorisé par
Murray Bookchin.
Pour vérifier ces hypothèses, la première
démarche est de formuler une définition de la zad à partir
des sources primaires et de comprendre comment les zadistes se
définissent. L'analyse de ces différentes sources permet de
mettre en évidence des caractéristiques propres à la zad
sur leurs critiques du système, leur mode de fonctionnement et leurs
techniques de lutte (1). Dans un second temps, comparer la zad à
d'autres phénomènes politiques passés et contemporains
doit permettre de dresser son historicité et de constater qu'elle
s'ancre dans la mouvance altermondialiste radicale (2). Enfin, la
réponse à la dernière hypothèse apparait comme la
synthèse des deux réponses précédentes. En effet,
l'utilisation
13
de la définition de la zad par les acteurs qui la
constituent mêlée à sa comparaison à d'autres
phénomènes politiques permet de situer la zad
idéologiquement (3).
14
Première Partie : Définir la zad :
Traiter la pensée politique de la zad implique dans un
premier temps d'étudier comment les zadistes, eux-mêmes, la
définissent. A la lecture des écrits zadistes, la zad
dépasse la simple notion de zone géographique. Elle constitue en
outre bien plus que la lutte contre un projet d'aménagement. La zad se
définit d'abord contre le système capitaliste obsolète et
suicidaire qu'elle dénonce. Mais, la critique du système n'est
qu'une petite partie de leur définition. Elle constitue le socle de
réflexion quant à l'alternative qu'elle veut mettre en place.
Cette alternative repose sur deux grands principes : l'autonomie et
l'autogestion. Le mode d'organisation de la zad et la critique du
système a des conséquences sur les techniques de lutte
employées par les zadistes. Légales ou illégales, ces
techniques sont selon eux discutées avant d'être utilisées
afin de rendre la lutte dans son ensemble légitime. Pour autant, la
cohabitation entre la non-violence et la violence n'est pas toujours
aisée. Enfin, la zad ne peut être définie sans aborder son
refus d'être catégorisée et sans étudier la place
qu'elle occupe dans le réseau contre les Grands Projets Inutiles et
Imposés.
15
Chapitre 1 : Une vision alternative du monde à
défendre et à expérimenter :
Critique d'un modèle capitaliste usé et
imposé
« Ici et ailleurs, ils [les grands travaux inutiles]
illustrent à merveille les dérives d'un système
productiviste qui ne survit qu'à force de gaspillage
énergétique. Ivre de sa toute-puissance, l'oligarchie use et
abuse de sa position dominante »1.
La lutte locale contre l'aéroport de
Notre-Dame-des-Landes s'inscrit dans une logique bien plus globale
d'après la littérature zadiste. Ce projet d'aménagement
n'est qu'un exemple de plus de l' « absurdité2 » du
modèle capitaliste et c'est bien contre ce modèle obsolète
que les différentes zads entendent lutter. En étudiant les
différents ouvrages écrits par des auteurs zadistes, nous pouvons
établir l'ébauche de leur définition du capitalisme. C'est
un système économique et politique fondé d'une part sur
trois éléments : la possession, l'accumulation et la
productivité et d'autre part sur deux mythes : celui de la croissance
infinie et celui du progrès. Dans Le Petit Livre Noir des Grands
Projets inutiles les auteurs définissent la croissance comme un
« mode de pensée autoréférentielle conduisant
à se persuader qu'un monde fini peut croître à l'infini
», une « utopie du XXème siècle née pendant les
Trente Glorieuses et Cinquante Gaspilleuses prétendant créer de
l'emploi, du pouvoir d'achat et le bonheur sur Terre »3. Dans
un texte publié sur le site de Notre-Dame-des-Landes - zad.nadir
- intitulé « Toujours plus vite, toujours plus loin
»4 les auteurs fustigent le progrès, cette recherche
disproportionnée du gain de temps. Le progrès en créant de
faux besoins aux individus comme « le fait de vouloir traverser un
continent régulièrement dans les deux sens »5,
apparaît dans l'imaginaire de l'Homme inévitable. Il ne sert
pourtant qu'en grande partie à faire tourner la « machine »
capitaliste.
C'est à partir de ces deux mythes que naît la
critique écologiste zadiste. La recherche de la croissance infinie
implique l'utilisation de la nature comme une ressource à exploiter.
Or
1CAMILLE Le petit livre noir des grands projets
inutiles, Neuvy-en-Champagne, édition Le Passager Clandestin, 2015,
p9.
2 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires
croisées de la zad de Notre-Dame-des-Landes et de la lutte No TAV dans
le Val Susa, Paris, L'éclat, 2016, p16.
3 CAMILLE, Le petit livre noir..., Op.cit., p.106.
4ZADIST, « Toujours plus vite,
toujours plus loin »,
zad.nadir.org [en
ligne], le 24 février 2011 ; URL :
http://zad.nadir.org/spip.php?article17
[réf. 10 avril 2016].
5 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires
croisées..., Op.cit., p17.
16
cette exploitation est limitée et le
capitalisme se retrouve ainsi devant un paradoxe insurmontable. Les solutions
envisagées par la « machine » capitaliste à ces
problèmes seront abordées dans la troisième partie de ce
travail.
L'autre critique est d'ordre politique. Pour les
zadistes, le système capitaliste comporte dans son essence même
l'idée de domination et de hiérarchie. Modèle
compétitif et non coopératif, le résultat conduit toujours
à une distinction entre gagnant et perdant, possédant et
exploité. Ce système amène nécessairement à
la formation d'une « oligarchie » qui gouverne pour ses propres
intérêts et non celui du peuple. Finalement, les projets
d'aménagements qualifiés par les zadistes de « Grands
Projets Inutiles et Imposés (GPII), n'ont d'« utilité
publique » que le nom. D'une part, ils ne profitent pas à tous et
d'autre part ils sont décidés par un petit groupe d'individus,
composé de responsables politiques, de décideurs
économiques et d'experts, qui privilégie ses
intérêts privés. Pour illustrer cette idée, le site
zad.nadir présente la notion du Partenariat
Public Privé1 (PPP) qui est un mode de financement
passé entre une autorité publique et un prestataire privé
pour financer, et gérer un projet de service public. L'Etat ou la
collectivité publique devra, à la fin de l'ouvrage, payer un
loyer au prestataire pendant une dizaine d'années2. Pour les
zadistes, ces partenariats sont le principal outil de conception des «
grands projets inutiles et imposés » car ils permettent aux
collectivités publiques de s'affranchir de toute contrainte
budgétaire sur un très court terme, ils privilégient les
grands groupes industriels et ils constituent des gouffres budgétaires
pour les générations futures.
La Charte de Tunis3 (voir Annexe 1)
adoptée lors du Forum social mondial de Tunis en 2013 détaille
l'argumentaire contre ces grands projets. Elle constate qu'ils constituent un
« désastre écologique, socioéconomique et humain
» en n'intégrant pas la population à la prise de
décision, en étant opaques et basés sur des «
hypothèses fausses » quant aux bénéfices
économiques et écologiques des projets et en tant qu'instrument
du système économique libéral qui profitent aux grands
groupes industriels et financiers.
1 ZADIST, « Leçon d'économie politique
: le partenariat public privé à la lumière du projet de
Notre-Dame-des-Landes »,
zad-nadir.org
[en ligne], le 19 novembre 2013; URL :
http://zad.nadir.org/spip.php?article2022
[réf. 9 avril 2016].
2 Dans le cadre de Notre-Dame-des-Landes, Vinci AGO
bénéficie de l'exploitation pendant une période de
cinquante-cinq ans en investissant 55% des frais environ. Voir à ce
sujet : le site internet vinci-airports ; URL
http://www.vinci-airports.com/fr/l-aeroport-du-grand-ouest
.
3 CAMILLE, Le petit livre noir..., op.cit.,
p119 ; disponible également sur le site nddl-loiret.miskin
; URL :
https://nddl-loiret.miskin.fr/grands-projets-inutiles-et-imposes/article/forum-contre-les-grands-projets
.
17
Dès lors, les grands projets d'aménagement
(aéroport, barrage, ligne Là grande vitesse...) imposés
aux individus ne sont que les conséquences de ce système dans
lequel des individus décident pour les autres.
L'un des premiers défenseurs de ce système
combattu par les zadistes est l'Etat, symbole du pouvoir vertical qui s'impose
aux individus. La critique zadiste de l'Etat porte sur plusieurs points.
D'abord, il permet la marchandisation du monde et du territoire au profit des
multinationales en décidant des politiques d'aménagement et en
les imposant, si besoin, par la force. Etant soumis au marché mondial,
les Etats deviennent à la fois les sponsors et les créanciers de
« l'ordre néolibéral ».
D'autres parts, il impose aux individus sa vision du monde.
Peu après les attentats qui ont visé les journalistes de Charlie
Hebdo, des occupants de la Zad de Notre-Dames-des-Landes ont publié un
texte intitulé : « Vous avez dit Charlie ? »1. Ils
estiment que l'Etat a profité des attentats pour affirmer son
contrôle social au moyen de trois outils : la manipulation de l'opinion
publique à l'aide des médias, l'instauration d'un climat de peur
et l'adoption de lois autoritaires. En plus d'accroître son pouvoir
à l'intérieur du territoire, l'Etat profite de la lutte
antiterroriste pour mener une « politique impérialiste et
colonialiste » visant à s'accaparer les ressources des pays
producteurs de matières premières et à assoir le
modèle capitaliste dans ses anciennes colonies. A la fin de ce document,
les auteurs expliquent que l'Etat Islamique fonctionne de la même
manière que les autres Etats (fonctionnement économique
capitaliste) et concluent par cette phrase qui ne laisse aucun doute quant
à leur avis sur l'existence d'un Etat : « Que crève l'Etat,
islamique ou pas. ».
En ce qui concerne le contrôle social, le Collectif
Mauvaise Troupe explicite l'utilisation du « paradigme du peuple
républicain »2 par l'Etat. Pour le Collectif, le peuple
français n'est qu'une « fiction homogénéisante »
qui ne peut supporter aucune contradiction interne, aucune
différenciation. Alors les décisions rendues en son nom ne
peuvent souffrir d'aucune contestation. Mais si le peuple est UN, l'Etat a
recours selon les zadistes à « l'ennemi intérieur »
pour éliminer les groupes qui contestent son autorité. Il est
primordial que ce dernier n'appartienne pas au peuple au risque de nuire
à l'unité du pays. Ainsi, à chaque manifestation contre
les projets d'aménagements ou plus récemment en France contre la
loi
1 ZADIST, « Vous avez dit Charlie ? »,
zad.nadir.org [en ligne], le 20
janvier 2015 ; URL :
http://zad.nadir.org/spip.php?article2870
[réf. 9 avril 2015].
2 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires
croisées..., Op.cit., p.95.
18
travail1, les médias et décideurs
politiques utilisent le terme de « casseur » pour désigner
ceux qui s'attaquent aux biens publics ou à la police. Pour les
zadistes, ce terme permet de « diviser et taire le fait qu'une large
partie de la population ne ravale plus sa colère2 » et
ainsi d'opposer le peuple qui manifeste en son bon droit aux casseurs qui
n'appartiennent pas de facto à ce peuple.
Pour les zadistes, le système capitaliste manipule les
médias pour asseoir sa domination idéologique. Dans le texte
« Auto-média »3 , les auteurs qualifient les
médias traditionnels de « Mass-médias à la botte du
pouvoir ». La critique porte sur la manipulation de l'information et sur
sa massification qui empêche de la comprendre et de la trier. Pour savoir
qui représente ce « pouvoir » contrôlant la presse, il
faut se référer au document précité « Vous
avez dit Charlie ». Les auteurs estiment que les médias ne
constituent en aucun cas un contre-pouvoir. Ils sont la propriété
de grands groupes industriels qui « dépendent économiquement
par leurs marchés de l'Etat, donc du pouvoir politique
»4. Ainsi, les zadistes remettent en cause la capacité
des médias à fournir des informations indépendantes
à partir du moment où leurs propriétaires ont besoin de
l'opinion publique pour mener à bien leur projet
d'aménagement.
Le second défenseur de ce système
dénoncé par les zadistes est la démocratie
représentative. Dans un texte collectif intitulé « En quoi
l'organisation de la vie et de la lutte sur la zad est-elle un laboratoire de
démocratie ? »5, les auteurs, affirmant parler au nom du
mouvement d'occupation, énoncent leur désaccord avec
l'idéal démocratique et plus particulièrement avec la
définition du « gouvernement du peuple par le peuple ». Ils
rejettent l'idée du besoin d'être gouverné et, comme nous
l'avons vu plus haut, qualifient le mot « peuple » de « terme
unifiant » et de « fiction identitaire »6. La notion
de gouvernement implique l'existence d'un pouvoir exécutif chargé
de faire appliquer les lois votées soit par le peuple soit par ces
représentants. Pour les zadistes cette fonction s'oppose à
l'émancipation de l'individu et impose un cadre légal de vie,
véritable contrôle social. Finalement pour les zadistes, aucune
coercition ne peut être légitime.
1 ZADIST, « Les zadistes et la casse du mouvement social
»,
zad.nadir.org [en
ligne], le 21 mai 2016 ; URL :
http://zad.nadir.org/spip.php?article3829
[réf. 15 juin 2016].
2 Ibid., p.1.
3 ZADIST, « Auto-média »,
zad.nadir.org [en ligne], le 18
décembre 2011 ; URL : http//
zad.nadir.org/spip.php
?article147 [réf. 10 mai 2016].
4 ZADIST, « Vous avez dit Charlie ? ... Op.cit.
p2.
5 ZADISTE, « En quoi l'organisation de la vie et de la lutte
sur la zad est-elle un laboratoire de démocratie ? »,
zad.nadir.org [en
ligne], le 16 juillet 2016 ; URL :
http://zad.nadir.org/spip.php?article3934
[réf. 16 juillet 2016]. 6Ibid., p.1.
19
Nous avons pu voir que les critiques portées par le
milieu zadiste s'adressent à un système et pas seulement à
un projet local. A ce propos, le Collectif Mauvaise Troupe explicite
l'expression « ni ici, ni ailleurs 1». Le mouvement
d'opposition à l'aéroport n'est pas touché par le «
fameux syndrome NIMBY » pour Not In My Backyard qui consiste
à s'opposer non pas au projet en tant que tel mais à l'endroit de
son implantation. Les grands projets d'aménagements ne sont que les
conséquences d'un système qui serait mauvais pour l'Homme. Ainsi,
l'abandon d'un projet sera une petite victoire pour les zads mais il ne
changera pas fondamentalement l'état des contestations. En revanche, il
contribuera à « entraver la machine capitaliste et le monde qui en
découle 2».
Les ouvrages zadistes ne se contentent pas seulement de
critiquer le système capitaliste en place. Ils défendent une
autre vision du monde et appellent à un changement de paradigme.
Celui-ci reposerait sur « la qualité, la créativité
et le partage »3.
Promotion d'un modèle autogestionnaire et autonome
:
Dans un texte publié le 24 novembre 2014
intitulé « Eloge de la ZAD »4, les auteurs
détaillent le programme d'une zad : «se passer des institutions
pour construire leurs vie ». Ainsi le combat mené par les zadistes
ne s'inscrit pas uniquement dans le registre du rejet - combattre un projet
d'aménagement- il est aussi dans le registre de la proposition à
savoir construire un autre mode de vie.
Dans un article intitulé « Pourquoi cultiver la
Zone ? Au-delà de la « sauvegarde des terres agricoles
»... »5, l'organe « clandestin » POTES 44
(Partisans Organisés pour Terroriser l'Etat Socialiste) explicite
l'objectif des tentatives menées sur une zad en l'occurrence celle de
Notre-Dame-des-Landes : construire une contre-économie et
expérimenter des formes d'auto-organisation en s'éloignant des
logiques marchandes, policières et gestionnaires. Deux
éléments vont alors apparaître pour mettre en place ce mode
d'organisation sans reproduire
1 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires
croisées..., Op.cit., p.30.
2 ZADIST, « Toujours plus vite ... »,
Op.cit., p.1.
3 CAMILLE Le petit livre noir... Op.cit. p.10.
4 ZADIST, « Eloge de la ZAD »,
zad.nadir.org [en
ligne] le 24 novembre 2016 ; URL :
http://zad.nadir.org/spip.php?article2779
[réf. 5 décembre 2015]
5 POTES 44, « Pourquoi cultiver la Zone ? Au-delà
de la « sauvegarde des terres agricoles »... »,
zad.nadir.org [en
ligne] ; URL :
http://zad.nadir.org/IMG/pdf/compilactivite.pdf
[réf. 25 mai 2016].
20
l'ancien système compétitif,
hiérarchisé et destructeur. Il s'agit de l'autogestion ou
auto-organisation et de l'autonomie.
Concernant l'autogestion, l'objectif est de réussir
à s'organiser sans déléguer son pouvoir de choisir
à une personne ou une institution. Comme le rappelle un occupant de la
Zad de Notre-Dame-des-Landes interrogé sur France Culture : « Le
problème des institutions est qu'elle dépasse les individus.
L'institution a pour vocation de se maintenir et se perpétuer
»1. Ainsi, par leur vocation elles sont amenées à
reproduire des rapports hiérarchiques entre les individus. Pour le
collectif Mauvaise Troupe, l'institution est « une instance
supérieure et hégémonique pour arbitrer et intervenir
»2 dont il faut se passer. Mais sans institution ou chef, il
faut trouver des moyens de régler les conflits et prendre des
décisions. Pour les zadistes l'enjeu est de quitter un modèle de
vie calqué uniquement sur les besoins individuels pour « habiter en
collectif » tant du point de vue matériel (habitat, outils...)
qu'affectif. Ainsi il faut créer des infrastructures liées
à l'usage commun (comme des machines agricoles, des ateliers
mécaniques, des moulins...) ; collectiviser les terres agricoles pour
éviter d'engendrer de nouvelles inégalités et des rapports
de domination, construire des lieux de rencontre sans rapport marchand (salle
de spectacle, de conférence, de réunion, café,
université...).
Un élément important de l'univers zadiste
apparaît avec la question de l'autogestion. Il s'agit de l'anonymat
lorsque des zadistes prennent la parole en public en utilisant un nom d'emprunt
et en se masquant le visage. Dans « Le petit livre noir des grands projets
inutiles »3, les auteurs précisent que l'anonymat permet
d'éviter l'émergence d'un porte-parole du mouvement zadiste ce
qui aurait pour conséquence, même indirecte, l'apparition d'une
situation hiérarchique dans le groupe. Le porte-parole serait dans une
position différente - d'infériorité ou de
supériorité- face aux médias ou à l'Etat par
rapport aux autres membres. Pour le journaliste Hervé Kempf, auteur d'un
ouvrage sur Notre-Dame-des-Landes, ne pas rendre la lutte personnalisable
permet de préserver l'horizontalité et d'éviter
l'émergence de leaders charismatiques4.
Le collectif aborde alors l'exemple des «
assemblées du mouvement5 » mises en place à
Notre-Dame-des-Landes qui sont des moments où les habitants se
réunissent, règlent leurs
1France Culture, « Zad partie 1 »
Terre à Terre [en ligne] le 28 avril 2016 ; URL :
http://www.franceculture.fr/emissions/terre-terre
[réf. 8 juillet 2016], 32min47.
2 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Défendre la ZAD,
L'éclat, Paris, 2014.
3 CAMILLE Le petit livre noir..., Op.cit., p.113.
4 KEMPF Hervé, Notre-Dame-des-Landes, Paris,
Seuil, 2014, p86.
5 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires
croisées..., Op.cit., p.189.
21
conflits et prennent des décisions pour leur vie
commune. Pour lutter contre les rapports hiérarchiques informels ou
cachés existant dans tous les groupes humains, les zadistes ont recours
à des outils d'éducation populaire afin de réguler les
prises de paroles.
Pour l'historien Pierre Rosanvallon, le terme autogestion
n'est pas nouveau et s'inscrit dans une « démarche réaliste
»1 en ce qu'il crée sur ce qui ne fonctionne pas. Il
détaille les différentes définitions de l'autogestion en
fonction du langage idéologique utilisé. Deux définitions
semblent utiles pour qualifier la vision zadiste de l'autogestion : le «
langage libertaire » avec un refus de l'Etat et la suppression de toute
autorité, le droit à la spontanéité et le culte de
la démocratie directe et le « langage humaniste »2
dans lequel l'autogestion apparait plus comme une manière d'être,
où il faut rétablir des rapports sociaux plus ouverts en
prônant l'altruisme et le dévouement au groupe social.
Pierre Rosanvallon précise que le développement
d'une société autogestionnaire est lié au
développement d'un mode de production autonome3. Le
deuxième élément qui constitue l'alternative zadiste est
l'autonomie.
Comme le rappelle un habitant de la Zad de
Notre-Dame-des-Landes, interrogé sur France Culture4,
l'autonomie vient du grec autos qui veut dire soi-même
et logos qui signifie les lois, les règles. Ainsi rechercher
l'autonomie c'est vouloir être soumis à des règles que l'on
a choisies. Il s'agit de sortir de sa dépendance à une
institution supérieure comme l'Etat. L'autonomie peut être
politique, alimentaire ou économique. Dans le cadre des zads, le
collectif Mauvaise Troupe aborde la question de l'autonomie dans un de ses
ouvrages5. Il ne s'agit en aucun cas de rechercher une quelconque
autarcie qui consisterait à se couper totalement du monde, une sorte de
repli sur soi. Pour les zadistes, l'autonomie n'est pas une utopie mais bien
« une ligne directrice »6.
L'autonomie politique repose sur le refus d'appliquer des
règles ou des lois qui n'ont pas été choisies par ceux qui
doivent les appliquer. Les zadistes ont ainsi pris un certain nombre de
règles en fonction de leurs expériences de vie en
communauté qui ne relèvent pas de « l'intérêt
général incarné par l'Etat, marché ou
volonté divine »7. Pour Bruno Retailleau,
1 ROSANVALLON Pierre, L'âge de l'autogestion,
Paris, Seuil, 1976, p.16.
2 Ibid., p. 10-12.
3 Ibid., p.16.
4 France Culture, « Zad..., Op. cit. 17 :56.
5 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Défendre la zad...
Op.cit. p.29.
6 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires
croisées..., Op.cit., p.293.
7 Ibid., p.29.
22
président du conseil régional de
Loire-Atlantique, « les zadistes n'ont que faire du droit et de la
démocratie »1. Les zadistes, en recherchant l'autonomie
politique, essaient en effet de s'affranchir des lois dont ils ne reconnaissent
pas la légitimité. Et Concernant la démocratie, comme nous
l'avons vu précédemment ils construisent bien un modèle
alternatif contre « l'idéal démocratique »2
représentatif. L'autonomie politique implique aussi d'assurer la
viabilité de la zad face à l'Etat. Ainsi se constituent sur les
zads des équipes juridiques qui ont pour objectif de défendre les
zadistes face à la justice ou à la police en prodiguant des
conseils en cas de garde à vue ou en préparant les procès
des occupants.
L'autonomie économique consiste à rechercher
l'indépendance alimentaire, énergétique et d'habitation
afin de s'émanciper de la logique marchande qui régule les
relations entre les individus. Il s'agit alors de produire sa nourriture,
construire son lieu de vie et créer et organiser les biens communs. Le
collectif Mauvaise Troupe explicite la notion de « non-marché
»3 sur Notre-Dames-des-Landes : il s'agit d'un lieu où
chacun ramène ce qu'il a produit et le laisse à disposition des
autres. Le prix est libre donc l'individu paie ce qu'il peut ou ce qu'il veut.
Cet instrument a pour objectif de ne plus conditionner l'acquisition de la
nourriture - un besoin premier et vital- aux ressources financières.
Mais les zads ne sont pas complétement coupées du monde. Ainsi,
pour se procurer des biens matériels et pour subsister, les occupants
travaillent à l'extérieur de la zad, reçoivent des aides
de l'Etat et des dons ou encore, comme l'explique le collectif, ont recours
à de « menus larcins de la grande distribution »4.
L'utilité de l'autonomie économique comme le rappelle un zadiste
interrogé sur France Culture et de gagner en « autonomie sur notre
temps »5 et s'émanciper individuellement.
Pour Philippe Subra, les résultats de l'autonomie
économique des zadistes ne sont pas « probants »6
en raison du fait qu'ils n'ont pas atteint l'autoproduction et ils ont besoin
des soutiens, financiers notamment, extérieurs. Il reconnait en revanche
l'autonomie politique
1 « Bruno Retaillau : à Notre-Dame-des-Landes, il
faudra utiliser la force » [en ligne], Lepoint, le 8 janvier 2016
[réf. Le 12 janvier 2016] ; URL :
http://www.lepoint.fr/societe/bruno-retailleau-a-notre-dame-des-landes-il-faudra-utiliser-la-force-08-01-2016-2008084
23.php .
2 ZADISTE, « En quoi l'organisation ..., Op.cit.
3 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires
croisées..., Op.cit., p.297.
4 Ibid., p. 297.
5 France Culture, « Zad partie 1 » Terre à
Terre [en ligne] le 28 avril 2016 ; URL :
http://www.franceculture.fr/emissions/terre-terre
[réf. 8 juillet 2016], 18min15.
6 SUBRA Philippe, Zones A Défendre : De Sivens
à Notre-Dame-des-landes, La Tour d'Aigues, L'Aube, 2016, p45.
23
des zads. Mais pour les zadistes, comme nous l'avons vu,
l'autonomie constitue une ligne directrice et non une utopie à
atteindre.
L'alternative choisie et la critique du système ont des
conséquences sur la manière zadiste d'aborder la lutte contre les
projets d'aménagements. Les valeurs d'autogestion et d'autonomie y
jouent un rôle important.
Chapitre 2 : S'émanciper du système
contesté par la lutte :
« Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent », si
pour Victor Hugo, lutter permet de vivre pleinement, pour les zadistes, lutter
permet avant tout d'exister.
Une combinaison entre lutte légale et lutte
légitime.
Sans être l'objectif fondamental, empêcher le
projet d'aménagement de se réaliser demeure une importance
prioritaire. En effet, la démarche zadiste et de lutter contre un
modèle tout en proposant un autre. Comme le modèle qu'elle
propose s'inscrit en dehors de l'Etat, il faut être en capacité de
vivre sur le territoire revendiqué. Pour cela les zadistes utilisent
différentes techniques de lutte légales ou illégales.
Concernant les moyens légaux, le premier est de
contester le projet devant les tribunaux. Administratif ou judiciaire, un
procès permet de gagner du temps et ce gain de temps est fondamental
pour la zad. Il permet de la faire connaître, de pérenniser
l'occupation et d'expérimenter le nouveau mode de vie. Les recours
peuvent concerner la déclaration publique du projet1, le
non-respect de la Déclaration des Droits de L'Homme et du Citoyen
concernant les procédures d'expulsions mais aussi le non-respect des
lois ou traités environnementaux. Ainsi s'est créé le
collectif des « Naturalistes en lutte »2 à
Notre-Dame-des-Landes ou à Sivens. Son objectif est de collecter des
données sur la zone du projet d'aménagement afin de dresser un
inventaire des espèces vivantes. L'étude de la
biodiversité permet de trouver des espèces
protégées ou de démontrer que la compensation
1 Récemment, le Tribunal Administratif de Toulouse a
annulé le 1er juillet 2016 la DUP (déclaration
d'utilité publique) concernant le projet de barrage de Sivens.
2 Lire à ce sujet le témoignage de Jasmin,
naturaliste à Notre-Dame-des-Landes in Contrées : histoires
croisées de la zad de Notre-Dame-des-Landes et de la lutte No TAV dans
le Val Susa p. 45.
24
environnementale - reproduire l'environnement et la
biodiversité de la zone sur un autre site - ne serait pas viable pour
ces espèces.
Un autre moyen légal de lutter repose l'organisation de
grandes manifestations en dehors de la zad. Ces manifestations sont
déclarées en préfecture et peuvent regrouper des
dizaines
de millier de personnes.1 Le cas des rassemblements
ou des manifestations de réoccupation organisés sur la zad se
situent à la frontière de la légalité. S'ils ne
sont pas interdits par la préfecture, ils sont organisés en
partie sur des terrains privés. Ces rassemblements sont l'occasion de
réunir les sympathisants de la zad et d'organiser des
conférences, des réunions,
des débats mais aussi des formations, des concerts ou
des chantiers collectifs. La Zad de Roybon a par exemple proposé une
journée d'échange sur le sexisme dans les milieux
alternatifs2.
La communication à l'intérieur et à
l'extérieur de la zad constitue un outil de lutte légal
primordial. Toutes les zads disposent d'un site internet3 disponible
en général en plusieurs langues. Ces sites permettent de
consulter les programmes, déclarations, analyses ou actualités
concernant les zads et de diffuser des images ou des appels concernant les
luttes
en cours et à venir. L'utilisation d'internet par le
milieu zadiste et ses sympathisants permet de générer une forte
médiatisation et donc une forte mobilisation. Comme le note Philippe
Subra, le « champ de bataille médiatique » est plus
décisif que la bataille réelle4. La communication
comporte aussi la rédaction de revues comme le Penn Ar Bed ou
De tout Bois à Roybon.
Outre sa fonction mobilisatrice, la communication permet aussi
de diffuser les modèles expérimentés par les zads et par
d'autres mouvements. Ainsi, on peut trouver dans la rubrique «
International » du site
zad.nadir.org des
articles concernant la lutte zapatiste, No-TAV,
kurde, colombienne ou grecque. Il s'agit de fournir une autre
information que celle relayée par les « mass-media
»5 et ainsi lutter contre l'idéologie dominante. Cette
lutte se retrouve aussi dans l'écriture des articles. Dans le texte
intitulé « A propos du mépris de classe sur la zad »
(Annexe 2), les auteurs précisent qu'ils ont recours à la
féminisation « subjective et
1 Le 27 février 2016, entre 15 000 personnes (selon la
préfecture, 50 000 selon les organisateurs) ont défilé sur
la quatre voie reliant Nantes à la Bretagne.
2 Le programme et l'invitation sont à consulter sur le
site rebellyon.info ; URL :
https://rebellyon.info/jeudi-5-mai-OI-OI-OI-DANS-LES-BOIS-16246
.
3 Se reporter à la bibliographie
4 SUBRA Philippe, Zones A Défendre..., Op.cit.,
p.29.
5 Voir Chapitre 1
25
arbitraire » du texte et à l'emploi de
néologismes pour lutter contre d'une part la structure grammaticale
classique jugée « patriarcale » et d'autre part contre la
féminisation qui appartient aux « dominées ».
L'organisation des grands rassemblements et la communication
sont amplifiées par les comités de soutiens qui se sont
créés dans de nombreuses villes en France d'abord en soutien
à la Zad de Notre-Dame-des-Landes puis à toutes les autres.
Concernant les moyens illégaux, il faut dans un premier
temps rappeler que les zadistes contestent la légitimité de
l'Etat et des lois qu'il impose. L'aspect légal de leurs actions ne les
importe que dans une logique d'autodéfense afin d'échapper
à l'autorité judiciaire. L'action est légitime dès
lors qu'elle vise à s'opposer à l'Etat et au système
capitaliste.
Les occupations maraîchères et des habitations
permettent l'implantation de la zad sur la zone d'aménagement. En plus
de participer à l'autonomie alimentaire, elles contribuent à
assoir territorialement et durablement la zad tout en complexifiant son
évacuation. Occuper un bâtiment, c'est rallonger les délais
dans la procédure d'expulsion. La mise en culture d'un champ ou
l'installation d'un potager est l'occasion d'une part de médiatiser la
zad en lui donnant une image positive et d'autre part de mettre en pratique un
idéal agricole opposé au modèle productiviste. Comme le
rappelle le communiqué de POTES 44, multiplier les initiatives agricoles
« illégales et non professionnelles » permet non seulement
d'affiner leurs critiques de « l'agriculture industrielle et marchande
» mais aussi de mener à une convergence avec les paysans dans la
défense des terres1. Ainsi s'est créé à
Notre-Dame-des-Landes l'opération « Sème ta zad »,
assemblée bimensuelle, qui a pour objectif de « discuter et
d'organiser collectivement les problématiques agricoles sur la zone
»2.
L'occupation des habitations ou de la zone par la construction
d'habitats constitue l'un des premiers actes dans la formation des zads. Pour
Philippe Subra, « ce qui fait la ZAD, c'est l'occupation du site du projet
»3.
Une autre action illégale consiste à
empêcher le bon déroulé des travaux ou d'avoir recours au
sabotage. Lorsque des experts environnementaux de Biotope viennent travailler
sur la Zad de Notre-Dame-des-Landes, les zadistes les empêchent de
travailler. Pour cela, ils peuvent utiliser la dégradation de
matériel, le vol de relevé ou de matériel ou la menace
1 POTES 44, « Pourquoi cultiver la Zone ?..., Op.cit.,
p.1.
2 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires
croisées..., Op.cit., p.46.
3 SUBRA Philippe, Zones A Défendre..., Op.cit.,
p.23.
26
physique comme en témoigne Shoyu interrogé par
le collectif Mauvaise Troupe.1 Il en va de même lorsque
l'huissier vient notifier les décisions d'expulsions rendues par le
tribunal. S'il ne peut pas les remettre en main propre, alors l'expulsion ne
peut avoir lieu. Le 22 septembre 2015, le juge des expropriations devait venir
sur la Zad de Notre-Dame-des-Landes avec la police. Selon le collectif Mauvaise
Troupe2, la décision d'empêcher sa venue est prise par
toutes les composantes de la lutte (occupants, paysans et associations).
L'anonymat peut aussi être considéré comme
un outil de lutte illégal. Il est ainsi interdit de se couvrir
totalement le visage sur la voie publique. De même, la production
agricole ou la construction d'habitations sont soumis à des normes. Ne
pas les déclarer constitue un délit. L'opacité est
recherchée par les zadistes tant sur le plan individuel que collectif.
Elle permet ainsi aux individus de ne pas être reconnus par les services
de police lors de manifestations illégales ou lors d'actes de sabotage
et d'éviter les poursuites judiciaires. Elle permet par exemple aux
zadistes d'échapper au contrôle de la chambre d'agriculture en ce
qui concerne les expérimentations agricoles ou à la campagne de
recensement menée par les autorités locales3.
La question de la légalité ne semble pas
être le premier critère retenu par les zadistes pour penser leurs
actions. Le consensus et la légitimité de l'action par rapport
à leurs valeurs semblent jouer d'avantage. La place de la violence dans
la lutte est un des éléments spécifiques à la
zad.
Une cohabitation délicate entre le recours à
la violence et à la non-violence :
Dans Théorie de la Justice, John Rawls reprend
les critères de Hugo Adam Bedau pour définir la
désobéissance civile : « acte public, non violent,
décidé en conscience, mais politique, contraire à la loi
et accompli le plus souvent pour amener à un changement dans la loi ou
bien la politique du gouvernement »4. Il affirme ensuite sa
nature non-violente car les
1 Ibid., p. 37.
2 Ibid., p.191.
3 ZADIST, « Invitation à des rencontre sur la
commune »,
zad.nadir.org [en
ligne] le 22 mai 2016 ; URL :
http://zad.nadir.org/spip.php?article3778
[réf. 25 mai 2016].
4 RAWLS John, Théorie de la justice, Paris,
Seuil, 1997 [1987], p. 405.
27
individus qui l'utilisent le font en étant «
fidèle à la loi »1. En d'autres termes ils
agissent pour défendre les grands principes qui régissent les
sociétés démocratiques. Pour John Rawls, les individus
doivent être prêts à assumer leurs actes devant la justice
dans le cadre de la désobéissance civile.
Mais John Rawls reprend aussi la définition de
l'historien Howard Zinn, qu'il qualifie de trop large pour son analyse sans
pour autant la rejeter. Il s'agit alors d'une « violation
délibérée et judicieuse de la loi au nom d'une cause
sociale et vitale »2. Howard Zinn n'utilise pas les
critères de violence et d'acte public pour la définir. Dans
Désobéissance civile et démocratie, il
s'interroge sur la primauté de la justice face à la loi. Il
explique que la loi peut très bien être injuste et qu'il faut
lutter contre « l'obéissance aveugle aux lois injustes
»3. Quant à la pertinence d'assumer la
responsabilité de ses actes, Howard Zinn réfute l'argumentaire
des libéraux selon lequel par exemple Martin Luther King aurait
accepté d'aller en prison pour rester dans le cadre de la
désobéissance civile. Pour Howard Zinn, s'il accepte d'être
incarcéré, c'est avant tout dans l'optique de populariser sa
lutte.
Les actions des zadistes peuvent parfois être
catégorisées comme désobéissances civiles au sens
d'Hugo A. Bedau et John Rawls mais il arrive souvent que ces actions soient
anonymes et violentes et coïncident plus avec la définition
d'Howard Zinn. Une question se pose dans le cadre de la contestation zadiste :
peut-on en étant non-violent et lutter aux côtés de
personnes violentes ? Cette question a été au coeur de nombreuses
réflexions zadistes comme nous allons le voir.
Premièrement, pour les zadistes, le terme de «
violence » a été accaparé par l'Etat. Lui seul
détient le monopole de la violence légitime et de ce fait, toute
autre personne qui aurait recours à la violence serait illégitime
dans son action. Ainsi, l'Etat aurait recours à ce terme pour diviser
les composantes de la lutte en qualifiant l'action d'un groupe de «
violente » ce qui la rend illégitime et illégale. La perte
de légitimité a des conséquences négatives sur
l'image des zads. Le collectif Mauvaise Troupe utilise l'exemple de «
l'affaire de la chemise arrachée »4 pour illustrer ce
constat. Le Premier Ministre Manuel Valls parle de « l'oeuvre des voyous
» quand le chef de l'opposition Nicolas Sarkozy fait
référence à la Terreur de 1793. Il
1 Ibid., p.407.
2 Ibid., note 19 p.405.
3 ZINN Howard, Désobéissance civile et
démocratie, Marseille, Agone, 2010, p. 179 et s.
4 Le 27 mai 2016, une centaine de salariés d'Air France
avait pris violemment à parti le directeur des ressources humaines et
certains lui ont arrachés la chemise après l'annonce de la
suppression de 2.900 emplois.
28
ne sera jamais question de la violence des licenciements que
vont subir les individus. Le collectif parle « d'opération
langagière »1 par laquelle la grève devient la
« prise d'otage des usagers » ou le sabotage un « acte de
terrorisme ». Mais outre le fait de rendre impopulaire les luttes, ces
éléments de langage entraînent le durcissement des
poursuites judiciaires. Le collectif conclut qu'il est essentiel de se
réapproprier l'usage de ce terme car l'abandonner revient à
« s'ôter le droit au conflit »2.
Cette réappropriation s'inscrit dans la logique zadiste
de contestation de l'Etat. S'ils ne lui reconnaissent pas le monopole de la
violence physique, alors il est pour eux légitime voire morale de lui
opposer une certaine violence. Pour Philippe Subra, elle peut être «
défensive » lorsqu'il s'agit de protéger le territoire
occupée ou « offensive » lors de manifestations à
l'extérieur de la zad. Elle s'exprime par la confrontation physique avec
les forces de l'ordre ou la destruction de biens immobiliers, symboles du
capitalisme (agences bancaires, local politique,
publicités...)3. Pour l'auteur, ce recours à la
violence défensive est une « condition de survie » pour la zad
car elle rend son évacuation beaucoup plus difficile par les forces de
l'ordre. Lors de la tentative d'évacuation de la Zad de
Notre-Dame-des-Landes durant de l'opération César en octobre
2012, la violence des affrontements et ces conséquences dans le champ
médiatique ont contraint le gouvernement à mettre un terme
à l'opération. De même, la mort de Rémi Fraisse a
entrainé le gel du projet d'aménagement du barrage de Sivens.
Le collectif Mauvaise Troupe tire la même conclusion de
l'opération César. La diffusion par les médias de
vidéos et d'images relayant les affrontements violents entre zadistes et
forces de l'ordre n'a pas eu l'effet habituel de stigmatiser les manifestants
mais au contraire a suscité de la sympathie pour les zadistes - en
témoigne l'ampleur de la manifestation de réoccupation le 17
novembre 20124. Le collectif estime que cet effet inhabituel est
dû à l'ancrage du mouvement dans le paysage politique et à
la « détermination commune de tous qui a transcendé les
diverses pratiques »5.
Un dernier élément doit être pris en
compte pour bien comprendre le rapport qu'entretiennent les zadistes avec la
violence. Il s'agit de la violence utilisée par les opposants aux zads,
donc ceux favorables aux grands projets d'aménagement. Ainsi à
Sivens comme à
1 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires
croisées..., Op.cit., p.319.
2 Ibid., p.321.
3 SUBRA Philippe, Zones A Défendre..., Op.cit.,
p. 65-66.
4 13 500 personnes selon la préfecture, 40 000 selon les
manifestants.
5 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires
croisées..., Op.cit., p.321.
29
Roybon1, les zadistes fustigent la violence
employée contre eux par les partisans au projet. L'utilisation de la
violence est légitime si elle permet d'égaliser le rapport de
force entre deux groupes. Dans le cadre des opposants et défenseurs aux
projets, les zadistes ne se considèrent pas supérieur en termes
de force et le recours à la violence n'est donc pas légitime.
Si la tentative d'évacuation de la Zad de
Notre-Dame-des-Landes a suscité de la sympathie, c'est du selon les
zadistes à la participation de toutes les composantes de la lutte dans
la défense des zones occupées. Dans un entretien publié
par Constellations.boum, Marcel, un paysan qui habite sur la Zad,
témoigne de l'utilité de la violence défensive et de la
participation de tous2. Ainsi, l'ADECA (Association de
Défense des Exploitants Concernés par l'Aéroport)
décide de participer à la manifestation illégale du 17
novembre 2012 ce qui, selon Marcel, « n'est pas dans sa pratique
»3. Il explique que les paysans ont utilisé les
mêmes modes de lutte que les squatteurs4.
Dans un autre témoignage, Jasmin qui se dit
non-violent, explique que s'il ne se sent pas investi, comprend les actions
violentes5. Cela ne l'empêche en rien de pratiquer ses actions
non-violentes. Pour les zadistes, il faut que les individus acceptent la
cohabitation des pratiques pour que le mouvement soit efficace. La lutte est le
fruit de diverses composantes qui ne doivent pas se diviser si elles veulent
gagner. Philippe Subra explique que la frontière entre violence et
non-violence n'est pas figée. Un militant non-violent peut, sur la zad,
participer à une action violente6.
La cohabitation va se révéler plus difficile
lorsqu'il s'agit de violence en dehors de la zad. Plusieurs exemples permettent
d'expliquer ces difficultés. Le premier concerne la manifestation du 24
mars 2012 organisée par les opposants au projet d'aéroport. Le
collectif Mauvaise Troupe a diffusé plusieurs entretiens concernant
l'organisation de la manifestation et le bilan à en tirer.7
Selon ces entretiens, les assemblées préparatoires ont permis
à chaque groupe de débattre sur les actions qu'il voulait mener.
Les partisans du recours à la violence expliquent que ces débats
leurs ont permis d'inventer des nouvelles formes d'expression afin
1 ANONYME, « Adresse aux défenseurs du projet de
construction d'un Center Parcs à Roybon suite aux violences commises en
leur nom »,
grenoble.indymedia.org
[en ligne], le 4 mars 2015 ; URL :
https://grenoble.indymedia.org/2015-03-04-Adresse-aux-defenseurs-du-projet
[réf. 20 mai 2016].
2 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, « Marcel, paysan
indéracinable »,
constallations.boum.org
[en ligne] ;
https://constellations.boum.org/spip.php?article126
[réf. 17 avril 2016].
3 Ibid., p.26.
4 Ibid., p. 29.
5 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires
croisées..., Op.cit., p.168.
6 SUBRA Philippe, Zones A Défendre..., Op.cit.,
p. 66.
7 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires
croisées..., Op.cit., p.173-176.
30
de concilier les visions de chacun. Ainsi pour Raoul, cette
manifestation a permis de créer une « base de confiance minimale,
malgré les désaccords et les tensions, entre des gens qui
à priori n'ont pas du tout les mêmes pratiques politiques
».
En revanche, le 21 novembre soit un jour avant une
manifestation organisée à Nantes contre la répression
policière après la mort de Remi Fraisse, l'ACIPA (Association
Citoyenne Intercommunale des Populations concernées par le projet
d'Aéroport) publie un appel intitulé : « La non-violence...
est un sport de combat- Appel pour la constitution de « blancs-blocs
»1. Cet appel dénonce la présence de «
casseurs » lors des manifestations et de policiers déguisés
dans les Black-Bloc, l'utilisation de la violence comme épouvantail par
l'Etat pour délégitimer la contestation et la division
artificielle qu'il effectue entre non-violence et violence. Il appelle les
manifestants à filmer toute violence commise, éloigner les
personnes violentes et se vêtir de blanc. Le site zad.nadir a
publié une réponse à ce communiqué qui permet de
comprendre la divergence idéologique entre les opposants à
l'aéroport. Dans ce communiqué2, les auteurs
qualifient de « thèse complotiste » l'idée de policiers
déguisés dans les Blacks-Blocs. De plus ils contestent la
responsabilité des casseurs dans l'origine des violences
policières. Pour ces auteurs, ce sont les forces de l'ordre qui sont les
seules responsables du degré de violence employé. Enfin, ils
rappellent qu'aucun « supposé casseur » n'a jamais
empêché un individu non-violent de manifester. Ils concluent en
soulignant l'importance de la « complémentarité des formes
de lutte » dans l'opposition à l'Etat.
Finalement, s'il ne semble pas exister trop de questionnement
vis-à-vis de la légalité de la lutte, la question du
recours à la violence reste l'une des problématiques majeures.
Nous allons voir dans le chapitre suivant que si les zads refusent d'être
définies strictement et placées dans des catégories, elles
partagent certains principes communs qui les rendent singulières.
1 « La non-violence... est un sport de combat - Appel pour
la constitution de « blancs-blocs »,
acipa-ndl.fr [en
ligne], le 21 novembre 2014 ; URL :
https://www.acipa-ndl.fr/actualites/lettres-ouvertes-tribunes/item/461-la-non-violence-est-un-sport-de-combat-appel-pour-la-constitution-de-blancs-blocs
[réf. 15 mai 2016].
2 ZADIST, « Des policiers déguisés en
pacifistes ? [Une réponse à « La non-violence est un sport
de combat...],
zad.nadir.org [en
ligne], le 28 novembre 2014 ; URL :
http://zad.nadir.org/spip.php?article2790
[réf. 10 mai 2016].
31
Chapitre 3 : Le refus d'adopter une définition
stricte de la zad
Depuis la création de la Zad de Notre-Dame-des-Landes,
de nombreux autres projets d'aménagement ont été
contestés en France et à l'étranger. Ces contestations ont
donné lieu à des occupations qui parfois choisissaient la
qualification de zad quand d'autres fois ce nom leurs était
imposé par les pouvoirs publics ou les médias. Cette
volonté de définir pour classer et comprendre est
contestée dans les écrits zadistes. Si l'un des slogans entendu
à Notre-Dame-des-Landes après l'opération César fut
« Zad Partout ! » et l'idée de créer à chaque
point de conflit avec l'Etat ou le système capitaliste une zad, il ne
s'agissait pas pour autant d'exporter un modèle copier-coller de
Notre-Dame-des-Landes. La réflexion zadiste a été
confrontée à une double contradiction : définir la zad et
dans ce cas imposer sa propre vision ou laisser chaque groupe s'emparer de ce
concept au risque de le vider de son sens.
La mise en avant de principes partagés
Dans l'analyse publiée en 2013 « To ZAD or not to
ZAD »1 les auteurs reviennent sur l'apparition de nombreuses
zads en France. Ils expliquent ce succès en raison de la
popularité de défendre les terres agricoles dans l'imaginaire
collectif d'un monde qui éprouve des difficultés à
défendre l'illusion productiviste. Mais les auteurs rappellent que la
zad ne lutte pas pour défendre des « valeurs de gauche », elle
lutte contre la marchandisation du vivant. Elle naît avant tout de la
« communication », du désir de rencontrer l'autre. Ainsi, pour
ces auteurs, « la zad n'appartient à personne », tout le monde
peut se la réapproprier car elle n'est qu'une « ouverture
merveilleuse du devenir ».
Dans une autre analyse plus récente « Label Zad et
autres sornettes 2» les auteurs s'interrogent sur la
labellisation de la zad, sur la légitimité à autoriser ou
interdire l'usage de ce terme et finalement sur le sens du mot.
Premièrement, ils rappellent qu'il n'y a pas de « zad mère
», chaque zad a ses particularités, son histoire, ses
réalités géographiques et sociales. Ainsi, qualifier de
« zad mère » Notre-Dame-des-Landes revient à nier
l'essence même de la zad. Cette vision ne semble pas partagée par
Eddy Fougier ou Philippe Subra dans leurs travaux
1 ZADIST, « To Zad or not to ZAD »,
zad.nadir.org [en
ligne] le 25 mai 2013 ; URL :
http://zad.nadir.org/spip.php?article1652
[réf. 10 avril 2016].
2 ZADIST, « Label Zad et... Op.cit.
32
sur les zads1. Pour les auteurs zadistes, parler de
filiation revient à nier la « particularité des processus
locaux ». Le collectif Mauvais Troupe se méfie de l'utilisation du
terme zad comme un « prêt à porter ». Il faut rapporter
la dynamique et la méthodologie de Notre-Dame-des-landes à la
spécificité de chaque territoire. A titre d'exemple, le Quartier
Libre des Lentillères à Dijon rejette ce qualificatif qui nuirait
à leur singularité2.
Deuxièmement, les zadistes insistent sur l'importance
essentielle du temps dans la construction de la zad. L'établissement
d'une zone autogestionnaire et autonome doit s'inscrire dans un processus
historique assez long. Bien que l'utopie zadiste soit une force mobilisatrice,
elle ne se suffit pas à elle-même pour pérenniser la vie
d'une zad.
Troisièmement, ils s'interrogent sur l'idée
d'une planète à défendre. Dans Le petit livre noir des
grands projets inutiles, la zad est définit comme « zone
à défendre, mis bout à bout, les ZAD aboutissent à
une PAD (Planète à défendre)... »3. Pour
d'autres auteurs zadistes, ce n'est pas la Terre qui est à
défendre, mais « notre relation au vivant ». La Terre,
contrairement, à l'Homme survivra au réchauffement climatique,
à la fin des matières premières et aux
déforestations.
Sur le dernier point, les auteurs analysent le processus
idéologique au sein des zads. Lorsque les individus rejoignent la zad,
ils ont tous leur propre système de pensée : « Ce sont
autant de personnes que de raisons ou de sensibilités, d'objectifs
personnels ou collectifs, de volontés, de croyances, d'espoirs et
d'illusions »4. La difficulté est double : ne pas
imposer sa vision du monde de façon autoritaire tout en conservant son
identité. Pour les auteurs, un processus de construction
idéologique est nécessaire. Il parle d'une «
écologique politique et sociale révolutionnaire » qui doit
permettre de concilier une force de proposition à leur force de
contestation.
Ces deux analyses soulignent les conséquences
contreproductives à utiliser la dénomination « zad ».
Elles rappellent l'importance d'un processus de construction long et
intégré voire imprégné au territoire et elles
permettent de comprendre la difficulté d'établir une
définition précise et acceptée par tous de la zad. Les
chercheurs cités précédemment ont
1 Voir FOUGIER Eddy, Les zadistes : un nouvel
anticapitalisme, Paris, Fondation pour l'INNOVATION POLITIQUE, 2016, p14
et SUBRA Philippe, Zones A Défendre..., Op.cit., p.18. Les deux
auteurs utilisent le terme de « zad-mère » qui fut
employé par un zadiste lors d'une interview dans le quotidien Le
Monde datant de décembre 2014.
2 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées..., Op.cit.,
p369.
3 CAMILLE, Le petit livre noir..., Op.cit., p.111.
4 ZADIST, « Label Zad et... Op.cit., p.6.
33
effectué un travail de définition de la zad dans
leurs ouvrages respectifs. Ainsi, pour Eddy Fougier, une « ZAD est une
« zone à défendre » installée contre ce qu'ils
(les zadistes) appellent des « grands projets imposés et inutiles
» »1. Philippe Subra parle de « véritables
zads » lorsque « les sites disputés font ou ont fait l'objet
d'une occupation permanente et relativement durable »2. Le
caractère permanent de l'occupation est le critère essentiel de
la zad.
Un problème s'est posé sur la Zad de
Sivens3 et plus récemment à Paris, dans le
XVème arrondissement, lorsque s'est ouvert la Zad « Sainte-Rita
» contre la destruction d'une église4. Les mouvements
dits « d'extrême-droite » peuvent-ils revendiquer l'ouverture
d'une zad ? Les agriculteurs de la FNSEA (fédération nationale
des syndicats des exploitants agricoles) peuvent-ils créer une zad pour
lutter contre les zadistes 5? A la seule lecture des
définitions de Philippe Subra et Eddy Fougier, l'ouverture d'une zad
contre un grand projet par des mouvements d'extrême-droite peut
être envisagée. Pourtant, si les zadistes rappellent que chaque
zad est issu d'un processus temporel et historique singulier, il n'en demeure
pas moins que certains principes sont indispensables à la constitution
d'une zad.
Dans son ouvrage Contrées : Histoires
croisées de la zad de Notre-Dame-des-Landes et de la lutte No TAV dans
le Val Susa, le Collectif Mauvaise Troupe estime que la mort de Remi
Fraisse a engendré l'éclosion d'un « mouvement zad
»6. La zad est selon le collectif « une forme de lutte
dont l'essence même est d'être ancrée, territoriale et bien
souvent rurale ». Il tente alors de décrire la particularité
de ce mouvement qui comprendrait trois acceptations :
l' « agitation », la « détermination
» et l'identité « artistique ou philosophique ». La zad
serait alors un « patron souple » utilisé par des individus
pour créer une opposition locale. Mais utiliser ce patron
nécessite de faire preuve d'inventivité et non d'imitation
précise le collectif.
1 Voir FOUGIER Eddy, Les zadistes : un nouvel
anticapitalisme..., Op.Cit., p. 11.
2 SUBRA Philippe, Zones A Défendre..., Op.cit.,
p.20.
3Sur la présence du MAS (mouvement d'action
sociale) à Sivens :
http://www.lesinrocks.com/2014/11/06/actualite/barrage-sivens-lextreme-droite-tente-dinfiltrer-zad-11534064
.
4
http://www.lemonde.fr/monde-academie/visuel/2016/06/17/une-enquete-de-la-monde-academie-la-zad-sacree-de-sainte-rita
4953010 1752655.html
5 Création d'une zad temporaire à Rodez
revendiquée par la FDSEA :
http://www.midilibre.fr/2015/01/30/aveyron-des-agriculteurs-creent-leur-zad-ephemere-a-rodez,1118204.php
6 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : ...
p367.
34
Néanmoins, la Zad de Notre-Dame-des-Landes a toujours
lutté contre « l'aéroport et son monde ». Lutter contre
ce monde, c'est lutter contre le modèle capitaliste et la
marchandisation du vivant, contre l'Etat et son monopole de la violence
physique légitime mais c'est aussi essayer de créer un
modèle autonome et autogestionnaire qui reposerait non plus sur des
valeurs de domination, de productivité ou d'accumulation mais sur des
valeurs comme la solidarité, le partage et la créativité.
Limiter la définition d'une zad à la lutte contre un projet
d'aménagement serait une erreur d'appréciation. Bien que la Zad
de Notre-Dame-des-Landes soit le fruit de facteurs historiques, individuels,
sociaux et temporels singuliers, ce sont ces valeurs qui constituent le «
patron souple » de la zad.
Penser la zad dans le réseau d'opposition au Grands
Projets Inutiles et imposés
Si les zads n'ont pas de définition stricte en raison
de leur singularité, elles partagent certaines valeurs. Elles se
constituent dans la lutte contre les grands projets d'aménagement
symboles d'un « modèle consumériste, climaticide et
énergivore »1. Philippe Subra énumère les
zads dans son ouvrage à partir du critère d'occupation
permanente2. Son analyse n'est pas partagée par le site
zad.nadir qui présente une liste actualisée et non-exhaustive des
« zad et espace occupé »3 dans laquelle
l'occupation permanente n'apparait pas comme le critère
déterminant. A titre d'exemple de grands projets dits « inutiles et
imposés », il y a la construction d'un aéroport à
Notre-Dame-des-Landes, un barrage pour constituer une réserve d'eau
à Sivens, un Center Park à Roybon, une technopole et une LGV
(ligne à grande vitesse) à Agen, un centre d'enfouissement des
déchets nucléaires à Bure, une scierie géante
à Macilly, une rocade autoroutière à côté
d'Avignon, un nouveau stade de foot à Lyon. Pour autant, les grands
projets d'aménagement sont confrontés à une contestation
qui dépasse le cadre des zads.
Diane Robert, dans son travail sur les mouvements sociaux et
les grands projets inutiles et imposés, définit ces derniers
comme « des investissements de grande ampleur dans des installations
matérielles. Le terme fait référence non seulement aux
grands projets d'infrastructure de transport, d'énergie, de gestion de
l'eau ou des déchets, mais aussi aux
1 CAMILLE, Le petit livre noir..., Op.cit., p.25.
2 SUBRA Philippe, Zones A Défendre..., Op.cit.,
p.20.
3
http://zad.nadir.org/spip.php?rubrique80
35
infrastructures minières, à la fracturation
hydraulique, aux projets de renouvellement urbain, de stations touristiques et
de grandes zones commerciales ». 1 Pour les auteurs du «
petit livre noir des grands projets inutiles », le pouvoir politique
depuis les pharaons d'Egypte, assure et manifeste sa domination par la
construction de ce type de projet. Le pouvoir politique actuel utiliserait ces
projets pour créer des emplois et relancer la croissance
économique tout en acquérant une indépendance
énergétique mais il ne prend pas en compte les catastrophes
sociales et écologiques qu'il produit.
Diane Robert entend mettre en évidence les grands
projets avec le courant économique néolibéral. Le
néolibéralisme prône un contrôle de la sphère
politique mais aussi de la vie sociale par le marché. Les individus sont
passés du statut de citoyen à celui de consommateurs. La
démocratie deviendrait de plus en plus obsolète dans la mesure
où « les possibilités de véritables prises de
décision et de conflits politiques sont écartées
»2 au profit d'un consensus autour de la
dérégulation du marché et de la disparition du secteur
publique. Enfin le néolibéralisme a introduit dans
l'économie des outils tels que les Partenariats Publics Privés
qui permettent aux entreprises privées de construire et gérer des
établissements de service public tel que les prisons ou dans le cadre de
Notre-Dame-des-Landes un aéroport. Toujours selon Diane Robert, le
système néolibéral repose sur une logique de
prédation dans lequel le plus fort économiquement « aspire
» le plus faible. Ainsi, les grandes entreprises internationales vont
prospérer tandis que les petites entreprises nationales vont
disparaître, ne pouvant rivaliser avec la concurrence des grands groupes.
Mais l'angle mort de ce système - l'épuisement des ressources
naturelles et la destruction de la nature - nourrit son opposition. Si, comme
le note Diane Robert, le modèle néolibéral conçoit
les inégalités sociales comme un moteur de l'économie donc
intégrées au système, il n'envisage pas de solutions aux
problèmes écologiques.
Les grands projets apparaissent ainsi pour leurs opposants
comme « imposés » car décidés par les grandes
entreprises et les Etats sans la participation des citoyens et « inutiles
» dans la mesure où même avant d'être construits ils
sont obsolètes en raison de l'absence de considérations
écologiques.
Pour Diane Kruger, les grands projets « participent au
processus de métropolisation ». Ce processus conduit à la
création de métropoles ultra connectées entre elles par un
réseau
1 ROBERT Diane « Les mouvements sociaux opposés
aux grands projets inutiles imposés »,
http://www.pcscp.org/IMG/pdf/mouvements
sociaux anti gpii.pdf.
2 Ibid., p.3.
36
de transport et de communication intense. Ce processus aurait
pour conséquence de créer des déserts entre les
métropoles. Les mouvements d'opposition à ces projets comme les
zads profitent de ces espaces laissés à l'abandon par le «
Progrès » pour expérimenter un autre schéma de vie.
Cette analyse est reprise par Anahita Grisoni dans son article « Les
Grands Projets Inutiles et imposés (GPII) à l'avant-garde de la
ruralité ? »1 qui voit dans l'organisation globale et
compétitive du territoire la raison des répartitions des GPII.
Diane Robert analyse l'organisation des mouvements
opposés aux grands projets d'aménagement comme un rhizome qui est
un « réseau avec des caractéristiques de
multiplicité, de relation intense avec son environnement et un potentiel
transformateur ». Il n'y a pas de relation hiérarchique, pas
d'origine et pas de fin dans un rhizome. Dans le mouvement contre les GPII,
comme dans un rhizome, chaque composante de la lutte peut avoir des relations
avec une autre composante, ou plusieurs. Il n'y a pas de structure centrale.
Les relations consistent dans un échange d'information, de conseils et
de techniques, de soutiens humains lors de gros rassemblement. Depuis 2010 et
la création du premier dans le Val Susa, un forum contre les GPII est
organisé chaque année dans un pays différent et rassemble
les différentes composantes de la lutte.
Le Collectif Mauvaise Troupe souligne l'importance du
réseau qui ressemble au rhizome entre les différents combats.
« Il faut dépasser l'entraide de zad à zad
»2 et profiter de l'importance de Notre-Dame-des-Landes tant
politiquement que dans l'imaginaire des individus en tant que soutien des
autres combats d'aménagement. Les combats doivent s'unir et exprimer
leurs solidarités à grande échelle. Mais la mise en
réseau contrairement aux structures plus traditionnelles type parti ou
syndicat permet de préserver la spécificité propre de
chaque mouvement d'opposition, des buts singuliers à l'autonomie
d'action. Les connexions se font et se défont au gré des
événements. Pour autant, le collectif critique aussi l'absence
d'ancrage dudit réseau et du besoin d'ancrée les relations pour
éviter l'affaiblissement qu'a connu la lutte altermondialiste qui
fonctionnait en réseau. Cet ancrage doit autant reposer sur l'affectif
que les proximités politiques.
Concernant la convergence des luttes entre les mouvements
sociaux, les zadistes restent assez méfiants. Ils estiment que les
luttes n'avancent pas nécessairement vers un même point ou elles
n'ont ni le même rythme, ni la même dimension géographique.
Ainsi,
1 GRISONI Anahita, « Les Grands Projets Inutiles et
Imposés (GPII) à l'avant-garde de la ruralité » dans
Mouvement n°84, 2015.
2 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : ..., Op.cit.,
p.375.
37
rechercher leurs convergences par le plus petit
dénominateur commun serrait une erreur qui atténuerait toute la
portée de la multiplicité des revendications. Ils
préconisent de créer des jonctions entre les combats. Ces
créations nécessitent du temps et ont autant besoin de l'affectif
que du politique.
La zad se construit ainsi sur trois plans : son mode
d'organisation, ses techniques de luttes et sa place dans le réseau
contre les grands projets inutiles et imposés. A la lecture des sources
primaires, les zadistes développent conception singulière du
politique et des alternatives qu'ils envisagent. De plus le rapport entre la
violence et la non-violence semble avoir trouvé un certain
équilibre. Pour prouver cette singularité, nous allons
étudier l'historicité des zads en les comparants à
d'autres phénomènes politiques qui partagent à
première vue de nombreuses particularités.
Deuxième Partie :
Comprendre les zads aux regardes d'autres
phénomènes politiques passés et contemporains
38
Toutes les problématiques abordées dans la
partie précédente ont été traitées par des
mouvements de contestation sociale antérieurs aux zads. Le Larzac qui
fait figure de symbole mondial de la non-violence et de la lutte contre les
projets arbitraires de l'Etat est souvent comparé aux zads. Cette
comparaison s'avère pourtant limitée pour plusieurs raisons. Les
zads semblent plus se rapprocher de la mouvance radicale altermondialiste.
Cette mouvance qui fonctionne également en réseau
développe l'idée de créer des alternatives libertaires
dans le monde capitaliste. Enfin, il était impératif de comparer
les zads à la lutte No-TAV en Italie tant les ressemblances sont
frappantes. Les zadistes eux-mêmes ont consacré un ouvrage
à cette comparaison.
39
Chapitre 4 : Une résurgence du Larzac ?
Lors d'un entretien publié par la revue
Mouvement1, Christian Roqueirol -qui a participé
à la lutte du Larzac et y est resté vivre par la suite- analyse
la situation des zads en revenant sur le Combat du Larzac. Il se voit lui et
ses compagnons de route comme les précurseurs des zadistes : « Nous
étions les premiers Zadistes en quelque sorte E...] ». Si cette
affirmation est contestable, le champ médiatique est marqué par
cette comparaison.2 Les deux luttes peuvent apparaître
similaires sur bien des points avec le temps passé. La mémoire de
l'Homme est encline à se rappeler des points communs entre deux
événements éloignés historiquement en oubliant les
différences. Dans le cas qui nous intéresse, nous allons voir que
les différences entre les deux luttes empêchent la filiation
directe entre les zads et le Larzac.
Le Larzac et les zads : des luttes locales et des
réflexions globales.
La lutte du Larzac née de la contestation d'un projet
d'agrandissement d'un camp militaire situé sur le plateau du Larzac. Le
projet d'extension existe depuis 1970 et suscite ses premières
contestations le 9 mai 1971 avec la première manifestation contre le
projet organisé par des militants de gauche et
d'extrême-gauche3. Le début de la contestation ne
rassemble pas à ces débuts les paysans qui habitent le plateau,
zone d'extension du camp militaire. C'est le 28 octobre 1971 que le mouvement
d'opposition va être rejoint par les paysans du plateau lorsque Michel
Debré, ministre de la Défense nationale, annonce au journal
télévisé régional, la décision d'extension.
Cette décision qualifiée d'action unilatérale sans
concertation pas les opposants permet dès lors au mouvement d'opposition
de s'intensifier.
1 GUICHARD Suzie et MARTINEZ Laurent, « Toutes les luttes
mènent au Larzac. Entretien avec Christian Roqueirol » dans
Mouvements n°84, 2015.
2 « Aéroport Notre-Dame-des-landes : un nouveau
Larzac ? » URL :
http://www.lavie.fr/actualite/ecologie/aeroport-notre-dame-des-landes-un-nouveau-larzac-15-11-2012-33292
8.php . « Notre-Dame-des-Landes, comme le Larzac, est le totem de nos
inquiétudes » URL :
http://www.lemonde.fr/planete/article/2013/06/29/notre-dame-des-landes-comme-le-larzac-hier-est-le-totem-de-nos-inquietudes
3438938 3244.html . « Notre-Dame-des-Landes n'est pas le Larzac
(même si ça y ressemble » URL :
http://rue89.nouvelobs.com/rue89-planete/2012/11/17/notre-dame-des-landes-nest-pas-le-larzac-meme-si-ca-y-ressemble-237113.
3 Pour une chronologie plus détaillée, voir Pour
une chronologie précise, voir : ALLAND JR. Alexander, Le Larzac et
après : l'étude d'un mouvement social novateur, Paris,
L'Harmattan, 1995, chapitre 2.
40
Lorsqu'Alexander Alland décrit le mouvement du Larzac,
il ne parle pas d'un mouvement paysan mais d'un « pot-pourri
d'idées folklorique, d'idéologies et de cultures
».1 Le Larzac aurait permis la construction « d'une
culture, d'une idéologie et d'une communauté ». Cette
idée de « pot-pourri » semble se retrouver dans les zads
d'après les entretiens réalisés avec des occupants.
Léandra, vivant dans la Zad de Notre-Dame-des-Landes interrogée
par Hervé Kempf estime que le seul point commun entre les zadistes est
leur anticapitalisme2. Pour Marcel, paysan sur la Zad, la perception
qu'avaient les paysans des « squatteurs » était assez mauvaise
au début de la lutte à Notre-Dame-des-Landes. C'est après
l'opération César qu'il y a eu l'impression d'un groupe
homogène qui avançait ensemble3. Le Larzac et la zad
ont ceci en commun de rassembler des personnes très
éloignées en ce qui concerne leurs modes de vies et leurs
idéologies. Ces différences sont dépassées par la
lutte contre le projet d'aménagement qui unit les opposant et les oblige
à vivre ensemble.
La diversité des opposants a eu des conséquences
sur les enjeux politiques du Larzac. Pour Jean Chesneaux4, il
existait ainsi six enjeux qui se complétaient : l'enjeu
socio-économique avec la critique du productivisme agricole
délocalisé ; l'enjeu écologique et la préservation
d'un espace naturel ; l'enjeu régional et la défense de
l'Occitanie face au pouvoir de l'Etat ; l'enjeu politique avec le refus du
pouvoir arbitraire de l'Etat ; l'enjeu militaire et l'antimilitarisme et enfin
l'enjeu idéologique avec l'adoption de la non-violence comme technique
de lutte. Ces enjeux différents ont ainsi permis de
générer une mobilisation importante et de constituer le «
pot-pourri » décrit par A. Alland. De la même manière,
comme nous l'avons vu dans la première partie, différents enjeux
cohabitent sur les zads : le choix de la violence, les critiques de la
domination étatique, de la marchandisation du monde, des relations
hiérarchiques, de la privatisation des biens communs, l'exploitation
intensive des ressources, les discriminations de toute sorte... Même
Alain Bauer, qui parle de « radicalisation verte, rouge et noir »
lorsqu'il décrit les zadistes, reconnait la difficulté de parler
« d'un ensemble homogène qui pense de façon homogène
»5.
1 ALLAND JR. Alexander, Le Larzac et après :
l'étude d'un mouvement social novateur, Paris, L'Harmattan,
1995,
2 KEMPF Hervé, Notre-Dame-des-Landes, Paris,
Seuil, 2014, p.87.
3 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, « Marcel, paysan
indéracinable »,
constallations.boum.org
[en ligne] ;
https://constellations.boum.org/spip.php?article126
[réf. 17 avril 2016], p.21-25.
4 BAILLON Elisabeth, Paroles du Larzac, Toulouse,
Privat, 2012, p.9.
5 BOUTIN Gilles, « De Sivens à Notre-Dame-des-Landes,
plongée au coeur de l'extrémisme vert, ses réseaux et ses
méthodes »,
atlantico.fr [en
ligne] le 29 octobre 2014 URL :
http://www.atlantico.fr/decryptage/sivens-notre-dame-landes-plongee-au-coeur-extremisme-vert-reseaux-et-methodes-alain-bauer-sylvain-boulouque-1832032.html
[réf. 28 avril 2016].
41
Philippe Subra souligne les ressemblances1 entre
Notre-Dame-des-Landes et le Larzac dans son ouvrage Zone à
Défendre : De Sivens à Notre-Dame-des-Landes. Il s'agit
d'abord de deux projets d'aménagement décidés et
imposés par une puissance supérieur. De plus, il s'agit de
conflits de longue durée. Enfin, ces deux combats ont joué le
rôle de lutte emblématique. Pour Pierre-Marie Terral, le Larzac
demeure « un lieu emblématique de la non-violence et de
l'écologie2 ». Nous verrons dans la deuxième
partie de ce chapitre que Notre-Dame-des-Landes ne peut pas être
qualifiée de « lieu emblématique de la non-violence
».
Une autre similitude entre les zads et le Larzac concerne les
techniques de lutte employées. Pour le Larzac, au moins cent
comités de soutien ont été créés partout en
France. Ces comités devaient assurer la communication de la lutte : les
besoins, les avancés, les problèmes. Ils ont ainsi permis de
financer les actions mais aussi de créer un soutien national Il s'est
illustré lors des grands rassemblements sur le plateau et en dehors avec
la présence pendant l'été 1974 de cent mille personnes
environ. De même, les créations de zads se sont
accompagnées de création de comité de soutien. Lors de la
manifestation du 17 novembre 20123 les comités de soutien ont
organisé le transport des manifestants et l'apport de matériel
pour la reconstruction de la Zad de Notre-Dame-des-Landes.
Concernant la lutte interne, les opposants à
l'extension sont venus sur le plateau habiter des fermes occupées par
l'armée et commencer une activité agricole. En août 1972,
les paysans organisent l'opération « Ferme Ouverte » qui est
une invitation à la France entière se de se rendre sur le plateau
pour rencontrer les paysans et comprendre leurs revendications. Le 10 juin
1973, il y a eu la construction collective de la Bergerie. Ce type d'action est
utilisé par les zadistes lors de manifestation de réoccupation,
la création de chantier collectif ou encore les week-ends de
débat et d'auto-formation. Le convoi de tracteurs et de vélo
parti de Notre-Dame-des-Landes pour aller à la COP 21 rappelle
indéniablement la marche « des 26 du Larzac » parti le 4
janvier 1973 pour Paris. De même, les zadistes ont décidé
de s'installer à Versailles4 lorsque les paysans du Larzac
établissaient leur campement sous la Tour Eiffel. Le Larzac publiait un
journal - Garderem Lo Larzac- et tenait une radio diffusée sur
le plateau et à l'extérieur afin de diffuser les nouvelles du
plateau et des analyses politiques, économiques ou sociales. Bien que
les moyens de communication aient évolué, les zads comme le
Larzac
1 SUBRA Philippe, Zones A Défendre..., Op.cit.,
p. 49-50.
2 TERRAL Pierre-Marie, Larzac : de la lutte paysanne à
l'altermondialisme, Toulouse, Privat, 2011, p. 372.
3 Voir Chapitre 1
4
http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2015/11/28/97001-20151128FILWWW00101-cop21-des-zadistes-festoyent-devant-le-chateau-de-versailles.php
42
communiquent énormément avec l'extérieur.
Ces deux luttes utilisent des actions dont l'objectif est double : investir le
terrain contesté par la construction d'habitation et revendiquer une
certaine conception du politique.
Un autre élément de comparaison à
considérer et le lien qu'entretenait le Larzac avec d'autres foyers de
lutte sur la planète. Alexandre Allard décrit les relations des
paysans du Larzac avec le combat des Kanaks pour l'indépendance en
Nouvelle-Calédonie ou encore la lutte palestinienne.1Ainsi,
Jean-Marie Tjibaou, leader du Front de Libération Nationale Kanak et
Socialiste a rendu plusieurs visites aux Paysans du Larzac. Une parcelle de
terre fut donnée symboliquement au Kanak le lendemain du « drame
» d'Ouvéa. Les zads diffusent et reçoivent
régulièrement des appels ou textes de soutien des mouvements en
lutte dans le monde comme par exemple la lutte au Chiapas ou encore la lutte au
Rojava pour l'autonomie au Kurdistan2. Après l'abandon du
projet en 1981, l'Association pour la Promotion de l'Agriculture au Larzac -
chargée d'organiser la récolte et la distribution des dons
pendant la lutte - devient l'Association Pour l'Aménagement du Larzac
chargée de développer la culture, le tourisme et
l'aménagement local sur le plateau. Dans un de ses rapports, elle
développe un projet qualifié d' « utopique » par les
paysans du Larzac3 qui doit servir de modèle pour promouvoir
des formes novatrices d'agricultures et établir une nouvelle
communauté rurale. Il est question de s'interroger sur les alternatives
au modèle d'agriculture intensive. A Notre-Dame-des-Landes s'est mis en
place depuis l'année 2013 « Sème ta zad » qui est une
assemblée bimensuelle réunissant les habitants de la Zad et des
paysans qui a pour objectif de « discuter et d'organiser collectivement
les problématiques agricoles sur la zone, notamment la rotation des
cultures »4. C'est cette assemblée qui a mis en place le
non-marché sur la Zad. Le collectif « Sème ta zad » a
ainsi permis d'installer « un rapport de force » avec la Chambre
d'Agriculture et les autres paysans « productivistes » qui a
facilité l'exploitation des terres occupées. Plus
généralement, l'idée de repenser l'agriculture pour sortir
du modèle productiviste et intensif dominant se retrouve sur les
différentes zads. Lors de leurs installations, la question de
l'exploitation des terres est l'une des premières qui se posent.
1 ALLAND JR. Alexander, Le Larzac et après :
l'étude d'un mouvement social novateur, Paris, L'Harmattan, 1995,
p.90.
2
http://espoirchiapas.blogspot.fr/2014/09/la-societe-civile-de-las-abejas-se.html
et
http://zad.nadir.org/spip.php?article3180
3 Ibid., p.122.
4 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires
croisées..., Op.cit., p.46.
43
La filiation entre les zads et le Larzac semblent naturelle
tant ces deux mouvements s'opposent aux décisions arbitraires de
l'appareil étatique et partagent les mêmes techniques de lutte.
Pour autant, l'imaginaire non-violent figé à la lutte du Larzac a
connu de profonds changements avec le temps et l'évolution des
contestations sociales. Cette métamorphose marque l'une des principales
distinctions entre les deux luttes avec également l'existence d'une
hiérarchie entre les opposants.
« O tempora, O mores » : Le Larzac, lieu
historique de l'écologie et de la nonviolence.
La première différence majeure entre les zads et
le Larzac repose sur leur rapport à la violence. Au Larzac, dès
le début de la lutte, la communauté de l'Arche est
présente. Lors de la première manifestation du 9 mai 1971 ses
membres réprouvent les insultes envers le gouvernement.1
Cette communauté fondée par Lanza del Vasto prône la
non-violence. L'influence de Lanza del Vasto va être déterminante
pour la suite de la lutte. Si le Larzac demeure l'emblème de la
non-violence, c'est en partie du fait de cet homme. Il a permis selon
Gérard Duruy de « fédérer la lutte » en offrant
aux paysans une alternative à la violence2. Pour Alexander
Alland le choix de la non-violence des opposants s'est fait soit par
conviction, soit pour des raisons techniques. Elle a servi de liant à la
lutte. Il insiste sur la forte influence de Lanza del Vasto qui aurait fourni
aux paysans « une idéologie et un moyen d'agir en parfait accord
avec leurs convictions religieuses »3. La non-violence est
devenue une « règle essentielle et irrévocable ».
Christian Roqueirol compare la non-violence entre le Larzac et les zads
lorsqu'il est allé à Sivens4. Il rappelle qu'au
Larzac, « il y avait interdiction d'être violent ». Les
opposants se surveillaient mutuellement pour prévenir tout
débordement violent. Il faut noter que pour une partie des opposants au
Larzac c'est la violence contre les personnes qui est proscrite. L'attaque
contre les biens a ainsi été utilisée par les paysans le
21 février 1975 lors de l' « opération commando »
visant à détruire les dossiers d'expropriations des fermes
mené sur le camp militaire. D'autre part, Christian Roqueirol dit ne pas
comprendre la lutte
1 TERRAL Pierre-Marie, « La lutte du Larzac : dix ans de
protestation contre l'extension du camp militaire »,
universitépopulairedetoulouse.fr
[en ligne] le 4 mars 2012 ; URL :
http://www.universitepopulairetoulouse.fr/spip.php?article104
[réf. 30 juin 2016].
2 BAILLON Elisabeth, Paroles du Larzac, Toulouse,
Privat, 2012, p.40.
3 ALLAND JR. Alexander, Le Larzac et après ...,
Op.cit., p.74.
4 GUICHARD Suzie et MARTINEZ Laurent, « Toutes les
luttes..., Op.cit., p.13.
44
« masquée ». Il qualifie de «
paranoïa moderne » l'argument qui consiste à justifier
l'anonymat en raison de l'augmentation de la répression. La non-violence
menée au Larzac n'est pas anonyme. Les acteurs l'assument publiquement.
Or, comme nous l'avons vu1, il existe sur les zads une cohabitation
entre les pratiques non-violentes et violentes. Etre nonviolent n'implique pas
empêcher l'autre d'être violent. Les zadistes appellent d'ailleurs
à la diversité des pratiques pour assurer une efficacité
maximale dans la contestation. Concernant l'anonymat, il leurs permet de se
protéger de la police et de la justice mais aussi d'éviter la
mise en avant de certains ce qui conduirait à une situation
hiérarchique.
Si la non-violence est devenue un absolu c'est parce qu'elle a
été choisie par les paysans en lutte. Jean Chesneaux rappelle
qu'il a toujours été question de « se soumettre aux choix
des paysans »2. Il existait ainsi sur le Larzac une
hiérarchie entre les 1033 et le reste des opposants.
Contrairement aux zads, très peu d'opposants sont venus s'installer sur
le plateau. Opposants et habitants du plateau se retrouvaient lors des grandes
manifestations ou lors des grands rassemblements. Contrairement au Larzac comme
l'explique Philippe Subra4, les zadistes « disposent d'une
totale autonomie ». Ils habitent le territoire de lutte à
côté des paysans. Ainsi, sur la Zad d'Agen, si les occupants sont
venus d'abord s'installer sur le terrain privé de Joseph Bonnotto suite
à son invitation, ils ont par la suite investi des lieux appartenant
à l'agglomération d'Agen5. Il n'y a pas selon les
zadistes de chefs ou de groupes de chefs sur les zads au moins du point de vue
formel. Les décisions ne dépendent ni des personnes
installés avant la zad, ni des nouveaux occupants. Si chaque zad
connaît son propre processus de construction, l'absence de leader est
commune à toutes les zads. A titre d'exemple, Marcel, paysan à
Notre-Dame-des-Landes, revient sur les conflits lors de son entretien par le
collectif Mauvaise Troupe. De l'usage des terres aux choix des techniques de
luttes, toutes les décisions sont discutées6. Comme le
rappelle le rappel le collectif, « à la zad, c'est pour l'essentiel
le foisonnement qui ôte à l'organisation formelle des prises de
décision toute possibilité d'hégémonie
»7.
1 Chapitre 2
2 BAILLON Elisabeth, Paroles du Larzac, Toulouse,
Privat, 2012, p.10.
3 Les 103 paysans qui ont fait le serment de ne pas vendre leurs
terrains à l'armée
4 SUBRA Philippe, Zones A Défendre..., Op.cit.,
p. 55-56.
5 OVLFC, « Notre combat est votre combat »,
zadagen.tumblr.com
[en ligne] le 13 juillet 2015 ; URL :
http://zadagen.tumblr.com/post/123144896731/notre-combat-est-votre-combat
[réf. 19 juin 2016].
6 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, « Marcel... Op.cit.,
p.23, 33-35.
7 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires
croisées..., Op.cit., p.195.
45
Si les habitants du Larzac ont réfléchi à
de nouvelles formes d'agriculture et à la mise en place d'alternative,
la bataille première est l'abandon du projet. Pour les zadistes, dans le
cadre de Notre-Dame-des-Landes, «le projet d'aéroport est la simple
conséquence d'un système »1 et c'est contre ce
système qu'il s'agit de lutter.
Cette différence des rapports entre paysans et
opposants conduit à envisager différemment l'après projet
en cas d'abandon. Pour le Larzac, l'abandon du projet d'extension avec
l'arrivée au pouvoir de François Mitterrand en 1981 conduit
à la création d'une Société Civile des Terres du
Larzac (SCTL). Elle fonctionne sur un bail emphytéotique de soixante ans
renouvelables trente ans qui lui permet de louer les terres et bâtiments
agricoles à des gens qui devront les quitter lors de l'arrêt de
leur activité professionnelle. Les terres appartenant à l'Etat
sont désormais soumis à une gestion locative. Cette SCTL a permis
d'intégrer les occupants qui souhaitaient s'installer
professionnellement sur le plateau en leur permettant une installation à
moindre coût. La création de la SCTL a été permise
avec l'arrivée du nouveau gouvernement au pouvoir et la promesse
électorale de l'abandon du projet. Contrairement au Larzac, les zads
sont très peu soutenues par les partis politiques. Pour Marcel, le
problème de la Zad de Notre-Dame-des-Landes est qu'elle suscite
l'opposition de toutes les institutions2. De plus créer une
structure du type de la SCTL pose des problèmes pour certains occupants
de la Zad en ce qu'elle constitue une « instance de pouvoir » et
impose de fait une obéissance. Pour autant, en novembre 2015 est
publié un texte rédigé et approuvé par toutes les
composantes de la lutte « après plus d'un an de discussion
»3. Ce texte en six points détaille les engagements des
personnes vivant sur la Zad en cas d'abandon du projet d'aéroport. Il
stipule que toutes les personnes vivant sur la Zad doivent pouvoir y rester
après ; Les terres cultivés appartenant à AGO Vinci
doivent pouvoir continuer à l'être ; que l'alternative tant
politique que agricole puisse demeurer ; que soit mise en place une
entité rassemblant toutes les composantes de la lutte pour
déterminer le sort des terres redistribuées sous forme de baux
précaires par la Chambre d'Agriculture et que ces terres ne servent pas
à agrandir la propriété d'un habitant ; que l'après
aéroport sera une gestion collective, « une destinée commune
».
1 « Pourquoi on est là »,
constellations.boum [en ligne] le 1er décembre 2010
; URL :
https://constellations.boum.org/spip.php?article139
[réf. 17 mars 2016].
2 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, « Marcel..., Op.cit.,
p.39.
3 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, « Défendre la zad...,
Op.cit., p32 ; voir aussi :
https://www.acipa-ndl.fr/actualites/divers/item/591-parce-qu-il-n-y-aura-pas-d-aeroport
46
D'autres réflexions zadistes envisagent quant à
elle la formation de commune comme prolongement des zads. Dans un texte
intitulé « De la zad aux communaux »1, les auteurs
s'interrogent sur le devenir des zads. Ils définissent les communaux
comme « un territoire partagé, les terres communales, et les
infrastructures de l'autonomie qui s'y élaborent, les communs ».
Concernant les communs, ils précisent qu'il s'agit de tous les
éléments qui permettent à la zad d'exister et de lutter.
Sur les terres communales, ils précisent que les parties
exploitées par les paysans le resteront. L'instauration d'une commune
constitue pour les auteurs la poursuite logique de la lutte. Il faut que «
nul ne puisse vendre, acheter monnayer l'usage des terres, cabanes et fermes,
friches et champs que nous avons en partage ». Ils imaginent une «
Assemblée des communaux » qui serait une structure horizontale et
coutumière dans laquelle s'inventerait une « manière de
vivre à l'échelle de la zad ». Cette commune doit constituer
une force collective capable de lutter contre l'Etat et les individus hostiles
à la commune.
Dans un texte plus récent du 2 mai 2016 intitulé
« Rencontre sur la commune », des zadistes appelle à «
faire Commune »2. Ils reviennent d'abord sur l'apport en termes
de matériel et d'idées des successions des contestations
sociales. Ainsi la lutte contre l'aéroport a transformé une
« juxtaposition de forces aux stratégies divergentes » en une
« communauté de lutte » liée par l'idée
d'habiter le territoire de façon collective. Pour ces auteurs, la Zad de
Loire-Atlantique n'est qu'une forme de commune. Chaque commune possède
sa singularité en ce qu'elle dépend de l'histoire du territoire
où elle se crée. Les auteurs dressent ensuite la chronologie des
différentes communes dans l'histoire de l'humanité. Ils
entrevoient finalement Notre-Dame-des-Landes comme une commune parmi d'autres
à ceci près qu'elle peut générer un élan de
contagion.
Cette volonté de former une commune marque une grande
différence entre les zads et le Larzac. Bien que cette idée ne
fasse sûrement pas l'unanimité pour l'ensemble des occupants des
zads, l'ambition communale n'a jamais été une revendication des
paysans du Larzac. Construits sur un imaginaire de lutte contre l'arbitraire,
les zads ne peuvent pas être considérées comme la
résurgence du Larzac.
1 ZADIST, « De la zad aux communaux »,
zad.nadir.org [en
ligne] le 17 juin 2015 ; URL :
http://zad.nadir.org/spip.php?article3067
[réf. 7 mars 2016].
2 ZADIST, « Rencontre sur la Commune »,
zad.nadir.org [en
ligne] le 22 mai 2016 ; URL :
http://zad.nadir.org/spip.php?article3778
[réf. 8 juin 2016].
47
Chapitre 5 : Les Zads et les luttes altermondialistes
:
L'historien Jean-Marie Terral analyse dans son ouvrage
Larzac : De la lutte paysanne à l'altermondialisme
l'évolution de la lutte sur le plateau du Larzac après
l'abandon du projet d'extension. Il observe un déclin du rayonnement du
militantisme à l'échelon national à partir des
années 1980. C'est à partir de la Guerre du Golfe en 1991 et la
lutte anti-nucléaire des années 1995 que le Larzac retrouve un
nouveau souffle militant selon l'historien. Il qualifie le plateau de «
bastion altermondialiste »1. Le plateau noue des liens avec
d'autres foyers de lutte altermondialiste dans le monde comme le Mouvement des
Sans Terre au Brésil ou les indiens Néozapatistes du Chiapas. Les
militants du Larzac participent aux premières manifestations contre les
sommets mondiaux tout en conservant une pratique non-violente. Les
contestations sociales ont connu une transformation radicale après les
années 1980. Jean-Marie Terral parle d'une
internationalisation2. Pourtant, l'altermondialisme, qui s'est
construit sur un réseau international organisant de grand rassemblement
lors des sommets mondiaux, a évolué pour s'ancrer
territorialement. Il est ainsi intéressant d'étudier la place des
zads dans le réseau altermondialiste notamment en prenant en compte
cette dernière évolution.
Les zads par rapport à la définition de
l'altermondialisme.
S'il est difficile de définir le terme « zad
», il est tout aussi difficile de donner une définition de
l'altermondialisme. Dans le Dictionnaire analytique de
l'altermondialisme, Eddy Fougier revient sur la « perception
biaisée »3 de ce terme. De la même manière
que pour les zads, on retrouve un biais médiatique, idéologique
et militant. Pour cet auteur, les zadistes s'ajoutent à « la
galerie de portrait des courants contestataires contemporains4
». Il distingue ainsi les zadistes des altermondialistes. Philippe Subra
semble classer les zadistes dans la branche radicale de
l'altermondialisme5.
1 TERRAL Pierre-Marie, Larzac : de la lutte paysanne...,
Op.cit., p.249.
2 Ibid.
3 FOUGIER Eddy, Dictionnaire analytique de
l'altermondialisme, Paris, Ellipses, 2006, p.3-5.
4 FOUGIER Eddy, Les zadistes..., Op.cit., p. 10.
5 SUBRA Philippe, Zones A Défendre..., Op.cit.,
p.31.
48
Selon Eddy Fougier, le terme « altermondialiste »
est utilisée pour la première fois par Arnaud Zacharie, alors
porte-parole d'ATTAC (Association pour la Taxation des Transactions
financières et l'Aide aux citoyens), pour sortir de l'appellation
antimondialiste. Le premier élément de définition de
l'altermondialisme repose sur sa structure en réseau. Eddy Fougier,
comme Emmanuel Allait, parle de « réseau de réseaux
»1. Structurellement, Il s'agit donc d'une «
nébuleuse » de mouvements et non d'une organisation
hiérarchisée avec une structure centrale. Dans Dictionnaire
analytique, Eddy Fougier donne deux définitions de
l'altermondialisme. La première très détaillée le
définit comme une « nébuleuse de mouvements » qui
s'oppose au caractère néolibéral de la mondialisation et
à l'hégémonie des puissances occidentales et qui
prône une alternative au caractère néolibéral «
sous la forme d'une autre mondialisation en menant des luttes tant à
l'échelle locale que nationale voire supranationale2. Selon
cette première définition, les zads semblent a priori exclues de
cette mouvance. La volonté de prôner une autre forme de
mondialisation qui serait une alternative au système
néolibéral n'apparait pas à la lecture des ouvrages
zadistes. Un peu plus loin dans l'ouvrage, l'auteur donne une autre
définition plus large. L'altermondialisme apparaît alors comme
« une convergence des mouvements appartenant principalement à la
société civile qui s'oppose tant à une échelle
locale, nationale que globale aux politiques néolibérales
»3 ce qui n'exclut pas nécessairement les zads.
Concernant les « débouchés politique »
des mouvements altermondialiste, l'analyse de Eddy Fougier repose sur deux
clivages superposés : révolutionnaire/réformiste et
volonté d'accéder au pouvoir/ refus total du pouvoir. Il
dégage alors trois catégories4 : les
réformistes, les révolutionnaires aspirants au pouvoir et les
révolutionnaires qui n'aspirent pas au pouvoir. Les mouvements
réformistes tentent d'améliorer le système actuel en
envisageant une mondialisation à « visage humain ». Les
mouvements révolutionnaires qui entendent accéder au pouvoir sont
dans le rejet total du système actuel et attendent la possibilité
d'une révolution qui permettrait de fonder un nouveau système.
Concernant les mouvements révolutionnaires qui rejettent l'exercice du
pouvoir, Eddy Fougier distingue l'approche « anarchiste » de
l'approche « gramscienne ». Dans la première, il s'agit de
sortir du système en instaurant des « poches alternatives »
plus ou moins durable dans lesquelles vivraient une communauté autonome
avec comme principes : la disparition du pouvoir traditionnel et de
1 ALLAIT Emmanuel, L'altermondialisme : Mouvance ou mouvement
?, Paris, Ellipes, 2007, p.77.
2 FOUGIER Eddy, Dictionnaire..., Op.cit., p.8-10.
3 Ibid., p.10.
4 Ibid., p.37-39.
49
toute domination, des relations reposant sur l'entraide et la
solidarité. La seconde approche revient à produire une
contre-hégémonie culturelle à la mondialisation afin de
modifier les valeurs au fondement de ce système. Certains mouvements
peuvent combiner ces deux approches. Mettre en pratique un mode de vie
alternatif remettre obligatoirement en cause l'hégémonie
culturelle, au moins localement. L'approche zadiste semble correspondre
à un mélange des deux tant elle met en place et développe
un espace de vie alternatif en dehors du système et dans le même
temps, diffuse par l'intermédiaire de ses propres médias ou
d'autres médias alternatifs une culture opposée à celle
dominante.
Concernant les mouvements altermondialistes, Eddy Fougier
distingue trois types de mouvements1 : les mouvements
altermondialistes en tant que tel qui sont les organisations de la
société civile créées en réaction à
la mondialisation ; les mouvements participants à la mouvance
altermondialiste qui ne se sont pas spécifiquement créés
contre la mondialisation et enfin les mouvements participants à la
« dynamique » altermondialiste tels que les organisations politiques,
des médias ou encore des maisons d'éditions. Dans les mouvements
participants à la mouvance altermondialiste, Il effectue encore une
distinction : les mouvements sociaux, les Organisations Non Gouvernementales
(ONG) et les mouvements radicaux. Il définit les mouvements sociaux
comme « des mouvements appartenant à la société
civile qui représentent, défendent et promeuvent les
intérêts de leurs membres et de population spécifiques que
ce soit sur une base professionnelle ou identitaire »2.
Concernant les mouvements radicaux, la définition est moins
précise. Il s'agit de groupes qui ne défendent pas les
intérêts d'une population spécifique comme les mouvements
sociaux et qui ne viennent pas en aide à d'autres populations comme les
ONG. Ces groupes veulent « résister » au système en
créant des espaces « libérés » et en
développant une critique libertaire. Concernant la mondialisation, ils
vont au-delà de la critique du néolibéralisme, ils
critiquent le capitalisme en tant que tel. Ces groupes alternent entre l'action
directe illégale violente et non-violente. Pour Eddy Fougier, ces
mouvements varient entre groupes anarchistes, communistes, antifasciste,
autonomes ou encore écologiques. Emmanuel Allait, qui reprend l'analyse
d'Eddy Fougier ne donne pas plus de précision sur ces mouvements
radicaux3. Ils constituent finalement une nébuleuse dans la
« nébuleuse de mouvements » que constitue
l'altermondialisme.
1 Ibid., p.119-133. Son analyse est reprise par Emmanuel
Allait.
2 Ibid., p. 150.
3 3 ALLAIT Emmanuel, L'altermondialisme..., Op.cit.,
p.80.
50
Mais si ces groupes contestent la notion même de la
mondialisation, pourquoi ne pas les qualifier d'antimondialistes ?
En premier lieu, le terme « antimondialisation » est
un terme controversé. Historiquement, il est utilisé en pour
définir les mouvements qui manifestent contre les sommets mondiaux comme
en 1999 à Seattle contre l'Organisation Mondiale du Commerce ou encore
à Gênes en 2001 contre le G-8. La journaliste Laurence Caramel
utilise ainsi ce terme pour parler de tous les manifestants présents
à Gênes mais aussi des personnes présentes au Forum Social
Mondial de Porto Alegre1. La violence lors de ces manifestations
conduit certains participants à réfléchir sur la
définition de ces mouvements présents. Pour Eddy Fougier, l'autre
élément qui conduit les militants à utiliser un autre nom
qu' « antimondialisation » est l'amalgame utilisé par les
média entre les attaques du 11 septembre 2001 et les mouvements
antimondialistes. Les terroristes seraient parvenus à mettre en pratique
le discours des opposants aux grands sommets mondiaux2. Le terme
« antimondialiste » va être abandonné au profit d'
« altermondialiste ». Ce néologisme permet de sortir d'une
logique unique de contestation et de violence en étant force de
proposition. Ainsi, les altermondialistes critiquent la mondialisation
néolibérale tout en proposant une alternative à ce
modèle. Les mouvements radicaux s'ils rejettent la mondialisation ne
défendent pas non plus l'isolationnisme. Ils luttent contre la
mondialisation qui contrairement à sa définition ne profite
qu'à un petit nombre qui lui permet de maintenir sa domination. De
nombreux mouvements radicaux altermondialistes revendiquent par exemple la
suppression des frontières qui permettrait de supprimer la notion
d'immigrés clandestin. Ces démarches s'inscrivent dans une
pensée globale. Dans l'ouvrage Trajectoire révolutionnaires
du jeune 21ème siècle, le collectif Mauvaise
Troupe regroupe la lutte altermondialiste de Millau et les manifestations de
Genève dans un chapitre intitulé « Antimondialisation
»3.
Ces qualifications différentes dépendent en
réalité de la définition de l'altermondialisme choisie.
1 CARAMEL Laurence, « Les réseaux de
l'antimondialisation », dans Critique internationale n°13,
2001 [en ligne] URL :
http://www.cairn.info.docelec.u-
bordeaux.fr/article.php?ID
ARTICLE=CRII 013 0153&DocId=13086&hits=4162+4123+3980+3866+3768+3559+
3233+3207+3151+3124+2984+2288+1708+1103+987+844+174+93+5+#anchor citation
[réf. 15 juillet 2016].
2 FOUGIER Eddy, Dictionnaire..., Op.cit., p.7.
3 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Constellations : Trajectoires
révolutionnaires du jeune 21ème siècle,
Paris, L'éclat, 2016, p.43-188.
51
Les zads dans la mouvance altermondialiste radicale : un
renouveau dans la lutte altermondialiste.
Dans la Déclaration aux puissants1,
les habitants de la Zad de Notre-Dame-des-Landes utilisent l'histoire des
Diggers anglais pour expliquer leur lutte : cultiver la terre pour s'opposer
à la « dévastation capitaliste ». Les zads s'opposent
localement au système capitalisme et à la marchandisation du
monde. Comme nous l'avons vu, elles ne sont pas exclues de fait de la mouvance
altermondialiste. Pour autant, Eddy Fougier voit dans les zads un mouvement
à part de la mouvance altermondialiste. Dans son article Les
zadistes : un nouvel anticapitalisme2, il considère que
les zads n'attaquent pas le système « de front » comme le font
les altermondialistes mais à sa marge. De plus les zadistes ont
réussi non seulement à bloquer le système mais aussi
à lui opposer une alternative de « façon concrète
». Il note d'ailleurs que selon Hervé Kempf, les zadistes ne se
disent pas altermondialistes. Le dénominateur commun entre les zadistes
est plutôt « l'anticapitalisme »3. Philippe Subra
associe quant à lui les zads aux mouvements altermondialistes radicaux.
Ces différences de qualification entre les auteurs dépendent de
la définition de l'altermondialisme utilisée.
Les zads sont des luttes ancrées territorialement qui
s'opposent à un projet d'aménagement capitaliste. En ce sens, le
terme de lutte locale est justifié. De plus, il existe la volonté
chez les zadistes de respecter la singularité de chaque territoire. Le
slogan « zad partout » ne signifie pas la volonté de
«copier-coller » le modèle de Notre-Dame-des-Landes, de Sivens
ou de Roybon un peu partout sur le territoire. Il s'agit plus d'exporter une
critique anticapitaliste et un nouveau moyen de lutte, une sorte de
méthodologie abstraite de la contestation. En ce sens, les zads
dépassent les cadres traditionnels de l'altermondialisme en
créant un espace alternatif durable dans le temps.
L'étude des sources internet zadistes permet de
comprendre le réseau existant entre les différentes zads mais
aussi avec d'autres lieux en France et à l'étranger. Des textes
de soutiens sont rédigés entre les zads et la lutte zapatiste. A
titre d'exemples, les Indigènes Chiapas en lutte se solidarisent avec la
Zad du Testet4 quand le site zad.nadir publie un
1 ZADIST, « Déclaration aux puissants... »,
zad.nadir.org [en
ligne], le 13 avril 2013 ; URL :
http://zad.nadir.org/IMG/pdf/affiche
de claration aux puissants.pdf [réf. 26 mai 2016]
2 FOUGIER Eddy, Les zadistes..., Op.cit..
3 KEMPF Hervé, Notre-Dame-des-Landes..., Op.cit.,
p.85.
4
http://www.bellaciao.org/fr/spip.php?article142956
.
52
communiqué de soutien avec les communautés
zapatistes1. Depuis la révolte de 1994 au Chiapas le
mouvement zapatiste lutte sur le plan local contre les politiques
néolibérales imposées par l'Etat mexicain et par les
institutions mondiales notamment avec les accords de libre-échange. Le
mouvement zapatiste mène une guerre « pour la dignité, la
justice et la démocratie » et pour la mise en place de communes
autonomes. Les communautés zapatistes du Chiapas sont un exemple du
besoin de s'ancrer territorialement pour les mouvements altermondialistes.
Comme le Mouvement des Sans Terre, ils ont réussi à maintenir une
forte contestation sans connaître l'affaiblissement du mouvement
altermondialiste qui débuta en 2003. La Zad de Notre-Dame-des-Landes se
solidarise également avec les communes kurdes qui se déclarent
autonomes dans le Rojava mais aussi en Turquie et en Irak. Les zadistes disent
se « sentir proche » de du projet kurde d'auto-organisation par la
mise en place de structure horizontale.2
Outre ces liens avec d'autres luttes internationales, les zads
tissent des liens avec d'autres luttes locales sur le territoire
français et elles participent à d'autres mobilisations qui ne
sont pas propres aux projets contre lesquels elles se sont construites. C'est
le cas de la mobilisation contre la « Loi Travail » au printemps
2016. Dans un texte intitulé « Les zadistes et la casse du
mouvement social »3 les zadistes expliquent d'une part comment
ils participent à la mobilisation mais aussi d'autre part pourquoi ils
militent contre cette loi. Ils manifestent dans la rue pour créer «
des solidarités entre les différents mouvements » qui
luttent contre la « marchandisation des territoires et des vies » et
des espaces d'expérimentations. Leurs luttes locales s'inscrivent dans
une réflexion beaucoup plus globale. Si le slogan contre le projet
d'aéroport est « contre l'aéroport et son monde », le
slogan contre la Loi Travail fut « contre la Loi Travail et son monde
». Autre exemple en mars 2016, ils appellent également à se
rassembler devant la préfecture de Nantes en « soutien aux
migrant.e.s de Calais » évacués par l'Etat de ladite «
jungle ». Le 29 novembre 2013, des zadistes publient un texte
intitulé « La paix en Afrique ne doit pas se décider
à l'Elysée avec les dictateurs »4 dans lequel ils
dénoncent l'ingérence française avec ses anciennes
colonies et le soutien logistique et
1 ZADIST, « Mexique : solidarité avec les
communautés zapatistes »,
zad.nadir.org [en ligne] le
22 mai 2014 ; URL :
http://zad.nadir.org/spip.php?article2450
[réf. 30 juin 2016].
2 ZADIST, « Déclaration d'autonomie de la ZAD de NDDL
en solidarité avec le Kurdistan »,
zad.nadir.org [en
ligne] le 26 septembre 2015 ; URL :
http://zad.nadir.org/spip.php?article3180
[réf. Le 30 juin 2016].
3 ZADIST, « Les zadistes et la casse du mouvement social
...Op.cit.
4 ZADISTE, « La paix en Afrique ne doit pas se
décider à l'Elysée avec les dictateurs »,
zad.nadir [en ligne, le 29 novembre 2013] ; URL :
http://zad.nadir.org/spip.php?article2034
[réf. 25 juin 2016].
militaire avec des dictateurs. La réflexion zadiste ne
se limite pas uniquement à une lutte territoriale contre le
capitalisme.
Enfin, les zads participent aux Forums Contre Les Grands
Projets Inutiles et Imposés qui ont eu lieu dans différents pays
d'Europe. Ces forums sont des lieux de rencontre entre les différents
mouvements de lutte. Comme les Forum sociaux, ils permettent aux militants de
se rencontrer, de partager des expériences et de réfléchir
aux solutions politiques et économiques pour lutter contre les projets
d'aménagement.
Lorsqu'Eddy Fougier décrit les mouvements radicaux dans
l'altermondialisme1, il présente l'Action Mondiale des
Peuples contre le libre-échange (AMP) qui est une coordination des
mouvements sociaux radicaux. L'objectif est de lutter contre le système
actuel en proposant des alternatives. La coordination doit apporter un soutien
aux différentes luttes locales et nouer des alliances à
l'échelle mondiale entre les mouvements populaires. Elle appelle en
outre à la résistance par l'action. Les zads et le réseau
dans lequel elles s'organisent rappellent la structure et les objectifs de
l'AMP. En définitive, les zads s'inscrivent dans la logique
altermondialiste radicale.
53
1 FOUGIER Eddy, Dictionnaire..., Op.cit., p.207.
54
Chapitre 6: Le No-TAV et les zads : deux modèles
singuliers des mouvements membres du réseau contre les Grands Projets
inutiles et Imposés.
« Qui se bat contre l'aéroport et son monde peut
se reconnaître aussi dans le mouvement No-TAV ». 1 C'est
dans un tract diffusé lors d'une manifestation à Nantes contre le
projet d'aéroport que ces lignes ont été écrites.
Le tract revient plus généralement sur l'histoire du No-TAV et le
compare à Notre-Dame-des-Landes.
Pour Philippe Subra, le combat du No-TAV présente
« le plus de similitude »2 avec les zad. C'est un conflit
long, mobilisateur et qui connait des passages de violences. Si ces similitudes
sont incontestables, il est important d'étudier en détail ce
conflit pour mieux comprendre les ressemblances mais aussi les
différences avec les zads et les rapports qu'ils entretiennent.
Le TAV signifie treno ad alta velocità
c'est-à-dire Train à Grande Vitesse. Le projet de
construction d'une deuxième ligne de train entre Lyon et Turin date de
1990. Ce projet implique de grands chantiers d'aménagement dans la
Vallée de Suse, vallée alpine au Nord-Est de l'Italie. Les
premières contestations donnent lieu à la création du
comité Habitat le 15 décembre 1991 qui doit sensibiliser les
habitants de la vallée aux méfaits du TAV. La première
manifestation a lieu le 2 mars 1996 dans la vallée et rassemble 4 000
personnes environ. Le 26 novembre de cette même année, des
sabotages ont lieu dont l'incendie du matériel ferroviaire dans la
vallée. Edoardo Massari, Maria Soledad Rosa et Sivano Peissero, trois
militants anarchistes, sont arrêtés et poursuivis pour ces actes
en 1998. Quelques jours après, Edoardo Massari se suicide en prison et
Maria Soledad Rosa en liberté surveillée. Ces suicides vont
engendrer une vaste campagne de soutien. D'abord méfiants à
l'égard des anarchistes, les habitants de la vallée rejoindre le
mouvement. Le 28 mars 1998, 10 000 personnes environ manifestent à Turin
en soutien à Edoardo. Les deux seront innocentés par la suite. La
lutte va alors continuer à s'ancrer peu à peu dans la
vallée3. Pour Anahita Grisoni, c'est en 2005 lors des travaux
sur le site de la Maddalena que la lutte va prendre un « médiatique
national et
1 ZADIST, « Solidarité avec la lutte No-TAV
»,
zad.nadir.org [en
ligne] le 16 mars 2014 ; URL :
http://zad.nadir.org/spip.php?article2311
[réf. 8 juin 2016].
2 SUBRA Philippe, Zones A Défendre..., Op.cit.,
p. 77.
3 Pour une chronologie des faits : COLLECTIF MAUVAISE TROUPE,
Contrées : histoires croisées..., Op.cit.,
p.389395.
55
urbain »1. Des blocages aux grandes
manifestations en passant par des grèves générales,
différents moyens de lutte vont être exploités.
De la contestation d'un monde aux modes de lutte : les
ressemblances indéniables du No-TAV et des zads
Les premières raisons de contestation de ce grand
projet d'aménagement ont d'abord été d'ordre
écologique. La construction du tunnel dans les roches provoquerait la
libération de particules d'amiantes et d'uranium. Mais la critique s'est
vite portée sur la nature politique et économique du projet. Pour
Emiliana Armano, Gian Luca Pittavino, et Raffaele Sciortino auteurs de «
Occupy in Valsusa »2, il ne s'agit pas d'une simple «
reddition du mouvement environnementaliste ». Le mouvement No-TAV s'oppose
à la logique néolibérale des grands projets
d'aménagements. Comme nous l'avons vu pour les zads3, le
mouvement No-TAV développe sa critique autour de l'économie
capitaliste actuelle - véritable désastre écologique et
social- de la suprématie de l'Etat et de la centralisation du
pouvoir.
Pour les auteurs de « Occupy in Valsusa », le
mouvement No-TAV s'est d'abord intéressé à l'aspect
financier du projet. Les opposants vont dénoncer la privatisation des
projets d'aménagement public qui s'inscrit dans une démarche
néolibérale à partir du moment où les
investissements sont à la charge de l'Etat qui va attribuer les travaux
à des entreprises privées sans appel d'offre. Ce processus
génère de grands profits à moindre coût pour les
grands groupes privés. Pour les auteurs, ce « modèle de
privatisation des profits et de socialisations des coûts » se
retrouve dans les grands scandales de corruption des années 1990 en
Italie4. Il s'agit d'une critique de la marchandisation des biens
communs. Pour Mimmo5, ancien cheminot de 69 ans et opposant au
projet, la lutte lui a permis d'acquérir « certaines valeurs »
et développer un regard critique sur l'économie. Si le projet du
TAV permet de lutter contre le chômage dans la vallée, Mimmo
répond que « l'économie n'est pas une justification
».
1 GRISONI Anahita, « Les Grands Projets Inutiles et
Imposés (GPII) à l'avant-garde de la ruralité » dans
Mouvement n°84, 2015, p.4.
2ARMANO Emiliana, PITTAVINO Gian Luca, SCIORTINO
Raffaele Traduit de l'Italien par Antonella Corsani et Anne Querrien, «
Occupy in Valsusa, Pratiques sociales et lutte du mouvement NO-TAV », dans
Multitudes n°50, 2012.
3 Chapitre 1
4 ARMANO Emiliana, PITTAVINO Gian Luca, SCIORTINO Raffaele
Traduit de l'Italien par Antonella Corsani et Anne Querrien, « Occupy in
Valsusa..., Op.cit., p.156.
5 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, « Mimmo du Nucleo Pintoni
Attivi », constellations.boum [en ligne] ; URL :
https://constellations.boum.org/spip.php?article122
[réf. 17 avril 2016].
56
L'autre critique porte sur la légitimité de
l'Etat et plus particulièrement de ses décisions. Le
problème de la représentation et des conflits
d'intérêts ressort. L'Etat est vu comme le « sponsor et le
financier de la marchandisation accrue du territoire ». Dans la
rhétorique des opposants, si l'Etat avait agi dans
l'intérêt des gouvernés, il n'y aurait pas eu ce projet
d'aménagement1. Les décisions de l'Etat, si elles
restent légales, ne sont plus légitimes pour les opposants qui
vont exercer « leur droit à la résistance ». Ainsi,
suite à la destruction d'une génératrice sur un chantier
en 2013, le mouvement se positionne et assume publiquement cette pratique de
sabotage selon le collectif Mauvaise Troupe2.
De la même manière que pour les zads, les
opposants No-TAV proposent, outre des actions pour empêcher la
construction, une alternative au système dominant. En ce qui concerne le
techniques de lutte, il faut distinguer celles légales et celles
illégales. De grandes journées de mobilisation et de
manifestations sont organisées sur la vallée. Depuis le
début de la lutte, les opposants continuent à diffuser leurs
positions et leurs inquiétudes en utilisant leurs moyens de
communications (Radio No-TAV, Radio Libera Maddalena...). Ils
achètent collectivement des terres destinées au projet.
Contestant la légitimité du projet, les opposants
n'hésitent pas à recourir à des actions parfois violentes
pour empêcher la construction des travaux. Ils occupent ainsi les
chantiers, bloquent les axes de circulations, détruisent le
matériel de construction ou affrontent les forces de l'ordre en
installant des barricades. En 2005 par exemple, les opposants empêchent
une foreuse d'accéder au terrain. Ils construisent à la place un
Presidio (cabane construite sur les chantiers pour se rassembler et les occuper
physiquement). En 2005 et en 2011 ils constituent les « Libres
Républiques de Venaus et de la Maddalena » qui durent chacune neuf
et trente jours. D'après les occupants3 ce sont des terrains
occupés sur lesquels l'Etat Italien n'avaient plus aucune
autorité et ou étaient organisés des espaces d'autonomie
et d'auto-organisation. Ces Libres Républiques matérialisaient
l'alternative au système dominant qu'ils prônaient.
De même que sur les zads, le recours à violence
est débattu par les opposants et semble faire consensus lorsqu'il s'agit
de « défendre » la vallée. Ainsi, d'après
certains témoignages4, lors des manifestations à
Venaus, les pierres jetées n'étaient pas que l'oeuvre de «
jeunes activistes » mais aussi de plusieurs habitants âgés de
la Vallée. Emilio poissonnier
1 ARMANO Emiliana, PITTAVINO Gian Luca, SCIORTINO Raffaele
Traduit de l'Italien par Antonella Corsani et Anne Querrien, « Occupy in
Valsusa..., Op.cit., p.156-157.
2COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées :
histoires croisées..., Op.cit., p.329.
3 Ibid., p.260-264.
4 Ibid., p.105-105.
de 60 ans et habitant de la vallée, explique que la
violence peut être légitime pour égaliser le rapport de
force face à celle de l'Etat, «l' ennemi très fort
»1. Enfin, concernant la violence, le 13 et 14 mai 2013, des
opposants sont entrés illégalement sur un chantier, incendiant et
détruisant du matériel et des équipements. Le 9
décembre, quatre opposants sont arrêtés pour ces
destructions. Le 10 mai 2014, une grande manifestation de soutien est
organisée à Turin avec pour slogans : Quella notte c'eravamo
tutti (ce soir-là, nous étions tous présents) ou
Siamo tutti colpevolidi resistere2 (nous sommes tous
coupables de résister).
Pour Anahita Grisoni, les opposants de la Vallée vont
mettre en place un mode de vie alternatif reposant sur les circuits courts et
l'économie sociale et solidaire3. Ce mode de vie apparait
comme une « résistance quotidienne ». Pour illustrer son
propos, elle décrit le réseau Etinomia qui est « un
réseau d'entreprise mettant en lien les consommateurs et les producteurs
de la vallée de Suse ». Mais pour les auteurs de « Occupy in
Valsusa », le mode de vie alternatif va encore plus loin que la remise en
cause du système capitaliste de consommation. C'est une recherche
d'autonomie politique et d'une « démocratie réelle,
effective et auto-organisée »4. Une assemblée
populaire se réunit ainsi tous les cinq mois pour décider de la
suite du mouvement. Tout le monde peut y participer. Les propositions de
décisions sont débattues au préalable au sein des
comités No-TAV existant dans les villes eux-aussi ouvert à tous.
Mais pour Mimmo, la prise de décision n'est pas figée. Lorsque
deux propositions font débat, les membres de l'assemblée
cherchent « à unir les deux idées »5.
57
1 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, « Emilio le poissonnier »,
constellations.boum [en ligne] ; URL :
https://constellations.boum.org/spip.php?article118
[réf. 17 avril 2016], p26.
2No-TAV info, « Quella notte c'eravamo tutti ;
tutti siamo Chiara, Claudio, Mattia e Niccolò », notav.info
[en ligne] le 5 octobre 2014 ; URL :
http://www.notav.info/post/quella-notte-ceravamo-tutti-tutti-siamo-chiara-claudio-mattia-e-niccolo/
[réf. 7 juin 2016].
3 GRISONI Anahita, « Les Grands Projets Inutiles...,
Op.cit., p.5.
4 ARMANO Emiliana, PITTAVINO Gian Luca, SCIORTINO Raffaele
Traduit de l'Italien par Antonella Corsani et Anne Querrien, « Occupy in
Valsusa..., Op.cit., p.157.
5 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires
croisées..., Op.cit., p.183.
58
Le mouvement No-TAV unique par son processus de
construction historique.
No-TAV et zads présentent de nombreux points communs et
s'inscrivent dans le même réseau de lutte contre les Grands
Projets Inutiles et Imposés. Mais contrairement à d'autres
mouvements altermondialistes, ils ont la particularité d'être
ancrés sur le territoire. Pour autant cette même
particularité marque aussi leur différence. Les deux mouvements
sont issus d'un processus historique propre à chacun. Le Collectif
Mauvais Troupe dans la conclusion de son ouvrage sur le No-TAV et
Notre-Dame-des-Landes a cette formule : « on rêve d'une zad à
la place du chantier de la Maddalena, d'une libre République qui dure.
[...] On rêve d'une région habitée par un souffle de
révolte en France »1. Lorsqu'il parle d'une «
région habitée par un souffle de révolte » en
décrivant le Val Susa, il ne parle pas de tous les individus de la
région qui seraient opposés au projet. Au contraire, il
précise que ce conflit a créé une véritable ligne
de front entre les habitants. Mais il existe une différence
d'échelle entre le No-TAV et les différentes zads. Le projet de
ligne à grande vitesse impacte toute la vallée et tous ses
habitants quand les zads ne concernent que quelques bourgs et une centaine de
personnes. Cette différence d'échelle va jouer sur la
qualification de la lutte. Les opposants No-TAV parlent de peuple en lutte
contre le projet. A ce sujet, un « comitato di lotta populare
»2 a été créé. Le terme «
peuple » est très peu employé par les zadistes. Comme nous
l'avons vu précédemment3, il constitue un «
fonction homogénéisante » qui permet à l'Etat de
transformer tout individu résidant sur son territoire mais contestant
son autorité en « ennemi intérieur ». Ce processus
permet de délégitimer les contestations. Pour le collectif
Mauvaise Troupe, le peuple du No-TAV représente « tous les pans de
la société ». Dans un texte traduit et publié sur le
site No-TAV France qui reprend les articles écrits par les opposants
italiens, les auteurs décrivent la composition de la lutte4.
En reprenant la liste des inculpés du 26 janvier 2012, ils
détaillent les différents profils et arrivent à cette
conclusion : ils sont « n'importe qui », ils ont juste en commun
d'être des habitants de la vallée pour la plupart.
1 Ibid., p379.
2
http://www.notav.info/tag/comitato-di-lotta-popolare/
3 Chapitre 1
4 Anonyme, « Contributions à la lutte contre le TAV
», Notavfrance [en ligne] avril 2012 ; URL :
http://ti1ca.com/gx919i15-contributions-2-pages-separees-contributions-2-pages-separees.pdf.html
[réf. 27 juin 2016], p.22.
59
Outre la différence d'échelle en ce qui concerne
la densité de la population, la différence d'échelle
temporelle explique la formation de ce « peuple du No-TAV ». Depuis
plus de 20 ans des habitants de la Vallée contestent le projet et avec
le temps, le groupe d'opposants s'est considérablement
développé. Pour le collectif Mauvaise Troupe, « c'est un
peuple né de la lutte, non pas seulement renforcé par elle
». Contrairement à Notre-Dames-des-Landes pour l'instant, l'aspect
novateur du NO-TAV est d'avoir « créé un peuple, sans
nation, sans frontières et sans qu'il ne se fonde en
société ».1 Pour Emilio, « le mouvement est
impossible à battre parce qu'il y a de tout, il y a le pacifique, le
catholique, l'aguerri, l'intellectuel, tu comprends ? Il y a le peuple
»2. D'après la définition du Larousse, le «
peuple » peut se comprendre comme « communauté de gens unis
par leur origine, leur mode de vie, leur langue et leur culture
»3. Pour Gianluca, animateur à radio Black Out, «
le mouvement a été capable de construire sa propre culture, son
imaginaire, ses chansons de luttes ». Il parle de « patrimoine
mythique » inscrit dans l'imaginaire collectif4. A ce sujet, la
chanson « Sara Düra » (Voir Annexe 4) illustre cet imaginaire en
retraçant l'histoire du No-TAV. De même les symboles du No-TAV
sont présents au quotidien dans la vallée. Des plaques
commémoratives sont érigées et les fêtes civiles ou
religieuses portent l'empreinte de la lutte. Mais pour Gianluca, parler de
« peuple No-TAV », c'est « un peu un fantasme qui a des effets
de réalités ». En d'autres termes, il ne s'agit
peut-être pas d'une réalité sociologique mais cette notion
existe dans l'imaginaire des individus et produit des effets politiques.
A la différence des zads, le mouvement No-TAV
entretient des relations avec les partis politiques, les syndicats et les
institutions plus étroites. Le parti Cinque Stelle, qui apporte
ouvertement son soutien au mouvement, l'utilise aussi dans une visée
électorale5. Beppe Grillo, ancien leader du parti, a ainsi
été condamné pour avoir participé à des
actes de destructions sur le chantier à quatre mois de prison. Le parti
apporte aux opposants un soutien financier important. Outre ce soutien, le
No-TAV est un élément décisif lors des campagnes
municipales dans la vallée. Ainsi, lors des élections municipales
de 2014, le mouvement avait soutenu des candidatures. Contrairement aux zads,
la volonté d'institutionnaliser le mouvement existe dans la
Vallée. Pour les auteurs de « Occupy in Valsusa », il s'agit
plus d'une volonté de contrôler les institutions politiques
locales sur le territoire que de vouloir
1 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires
croisées..., Op.cit., p.141.
2 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, « Emilio..., Op.cit.,
p.1.
3
http://www.larousse.fr/dictionnaires.
4 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires
croisées..., Op.cit., p.140.
5
http://www.lemonde.fr/europe/article/2014/02/13/le-mouvement-5-etoiles-de-beppe-grillo-s-enracine-dans-l-electorat
4365760 3214.html
60
institutionnaliser le mouvement1. S'il est plus
question de se « réapproprier » les institutions, la
démarche ne se retrouve pas pour l'instant sur les zads où il est
plus question de construire un modèle en-dehors des institutions.
Un autre élément singulier au mouvement No-TAV
que l'on ne retrouve pas sur les zads, est la présence de leaders.
Alberto Perino, ainsi présenté comme « leader charismatique
» sur le site notav-savoie2, est vu par
certains opposants comme une « spécificité italienne
»3 mais aussi comme une conséquence inéluctable
à chaque mouvement de contestation qui croît. Les porte-paroles du
mouvement occupent obligatoirement une position publique plus importante que le
reste des opposants. Cette distinction peut alors nuire à
l'horizontalité recherchée. C'est aussi pour cette raison que les
zadistes ont recours à l'anonymat devant les « mass-media
»4. Sur cette distinction, le mouvement No-TAV se rapproche
plus du Larzac.
Enfin, en raison de l'échelle géographique et de
la portée du projet, le mouvement a été majoritairement
forgé par les habitants de la vallée. Il s'est très vite
ouvert à personnes extérieures mais sa création est
principalement due aux Valsuséens. Outre les Libres Républiques,
le mouvement No-TAV n'a pas utilisé l'occupation durable pour lutter
contre le projet d'aménagement. Pour le moment, toutes les zads se sont
construites dans l'occupation durable du lieu d'aménagement
contesté. L'occupation constitue un des outils principaux de la lutte
zadiste. Pour autant, dans les deux cas, les habitants originaires du
territoire disputés s'unissent avec les nouveaux arrivants.
Finalement, de la même manière que la zad de
Notre-Dame-des-Landes diffère de la zad de Roybon ou Sivens, le No-TAV
constitue un mouvement singulier par ses particularités historiques,
géographiques et sociales. Ca n'empêche pas ces lieux, selon le
collectif Mauvaise Troupe, de constituer des espaces rares qui partagent la
même « portée révolutionnaire »5.
1 ARMANO Emiliana, PITTAVINO Gian Luca, SCIORTINO Raffaele
Traduit de l'Italien par Antonella Corsani et Anne Querrien, « Occupy in
Valsusa..., Op.cit., p.157.
2
http://notav-savoie.over-blog.com/pages/Alberto_Perino-5325840.html.
3 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires
croisées..., Op.cit., p.179.
4 Voir Partie 1 chapitre 1
5 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires
croisées..., Op.cit., p.380.
Troisième partie : Du phénomène
à la pensée politique : une classification idéologique
complexe
61
Nous avons entrepris dans les parties
précédentes d'amener une meilleure compréhension d'un
phénomène politique nouveau et peu étudié. Ce
travail doit permettre d'essayer de classer idéologiquement la zad, de
comprendre ce nouveau phénomène politique par rapport à
d'autres idéologies. Dans un premier temps, nous analyserons la
pensée politique zadiste qui constitue en grande partie une
pensée écologiste anthropocentrée selon laquelle il s'agit
avant tout de rendre à l'Homme sa liberté. Le deuxième
élément de comparaison concerne l'idéologie
développée par le Comité Invisible qui occupe aujourd'hui
une place importante dans le champ politique. Enfin, nous verrons dans un
dernier chapitre la place de la zad dans la pensée municipale libertaire
de Murray Bookchin. E
62
Chapitre 7 : Une écologie politique sociale et
révolutionnaire et anthropocentrée : le rejet du capitalisme vert
et du retour en arrière :
Défendre la nature en luttant pour la liberté
de l'Homme
« Nous ne défendons pas la nature, nous sommes la
nature qui se défend »
Comme vu précédemment, les zads ne s'opposent
pas uniquement à un projet local d'aménagement car ce projet
n'est que la conséquence d'une cause plus profonde : l'obsolescence du
système capitaliste inégalitaire. La critique écologiste
zadiste de ce système porte sur le mythe d'un capitalisme vert qui
repose sur la marchandisation du monde et l'aménagement du territoire
ainsi que sur l'illusoire protection de l'environnement. Ce n'est pas la Terre
qui doit être défendue mais la relation des êtres humains au
vivant.
Dans le corpus de texte « Sivens sans aucune retenue
»1, les zadistes ont diffusés plusieurs textes qui
s'intéressent aux questions écologiques et politiques. Le
capitalisme vert consiste à calquer des stratégies
écologiques sur la logique capitaliste, ce qui implique, comme le
rappelle Henri Mora, « la destruction, la privatisation et
l'artificialisation d'un territoire à des fins mercantiles
»2. La première critique zadiste porte sur
l'aménagement du territoire qualifié de « machine de guerre
étatique ». Cet aménagement comprend deux versants. Tout
d'abord l'aménagement du territoire traditionnel consiste à
« civiliser » un territoire sauvage en construisant des
infrastructures et à industrialiser ces « zones sauvages ». Le
deuxième type d'aménagement consiste à protéger ces
« zones sauvages » en créant des parcs naturels et des zones
humides. Pour les zadistes, l'Homme devient dans ces deux types
d'aménagement un simple spectateur de cette « nature distante
».
1 « Sivens sans aucune retenue »,
tantquilyauradesbouilles.wordpress.com
[en ligne] 2014 ; URL :
https://tantquilyauradesbouilles.wordpress.com/sivens-sans-retenue/
[réf. 15 mai 2016].
2 CHAMBARANS.UNBLOG, « Center Parcs dans les
Chambarans, utopie ou cauchemar touristique ? Entretien avec Henri Mora
»
Chambarans.unblog.fr
[en ligne] le 8 mai 2013 ; URL :
http://chambarans.unblog.fr/2013/05/08/center-parcs-dans-les-chambarans-utopie-ou-cauchemar-touristique-entretien-avec-henri-mora/
[réf. 15 mai 2016].
63
Pour ce qui est de l'industrialisation de la nature, l'Homme
est spectateur dans le sens où il ne possède plus le pouvoir de
décision lorsque l'aménagement est décidé par des
« technocrates au sommet de l'Etat »1 qui agissent bien
souvent au nom d'intérêt privé2. Les zadistes
critiquent les consultations locales dites « démocratiques »
mises en place avant le commencement des travaux ou pendant lorsque le projet
connaît une forte contestation. Ces consultations ne constituent pour eux
qu'un « vernis démocratique » dans la mesure où elles
n'ont aucun impact sur la suite du projet. Dans l'article « Les experts
qui exaspèrent »3, les auteurs considèrent que la
Commission de Dialogue mise en place après l'Opération
César à Notre-Dame-des-Landes n'est qu'une « façade
» pour masquer l'attitude autoritaire de l'Etat dans sa volonté
d'imposer le projet. Cette commission est selon eux, constituée
d'experts qui vont apporter une légitimité technique au projet
d'aménagement. Celui-ci, en plus d'être nécessaire, va
gagner en rationalité. Dans le cadre du barrage de Sivens, une
concertation a lieu avec les composantes qui « acceptent le dialogue
». Les zadistes refusent cette concertation qu'ils jugent inutiles puisque
les décisions sont déjà prises.
Outre la concertation, les zadistes contestent aussi la notion
de « compensation environnementale » qui consisterait à
reproduire ailleurs la zone naturelle détruite pour la construction du
projet. En premier lieu les zones détruites ne peuvent pas toujours
être reproduites car elles sont le fruit d'un processus historique long
et singulier. Il serait ainsi vain de vouloir reproduire la vie naturelle de
Notre-Dame-des-Landes sur un autre territoire. En second lieu, ce type de
projet va permettre la « conversion de la biodiversité en valeur
monétaire »4 et constituer un nouveau marché.
Cette compensation environnementale conduirait à une marchandisation de
la nature dans la mesure où la biodiversité acquerrait une valeur
et serait donc sujette à la spéculation. Tout ce processus est
facilité selon les zadistes par l'utilisation d'un langage particulier
qui cache une certaine vision du monde et qui s'applique de plus en plus
à l'agriculture, à la biodiversité et au vivant de
manière plus générale. Ce « langage de gestionnaire
» est au service du développement économique et du
progrès scientifique et industriel selon les zadistes. 5 Il
décrit, analyse, quantifie et attribue une valeur à l'ensemble du
vivant en niant toute singularité afin de pouvoir le classer et lui
attribuer une valeur marchande. Ce langage de gestionnaire appartient à
l'univers
1 « Sivens sans aucune retenue... Op.cit., p2.
2 Cas des Partenariats Public-Privé, Partie 1 chapitre
1.
3 ZADIST, « Les experts qui exaspèrent »
zad.nadir.org [en
ligne], le 16 juin 2013 ;
http://zad.nadir.org/spip.php?article1706
[réf.10 mai 2016].
4 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires
croisées..., Op.cit., p.46.
5 « Sivens sans aucune retenue... Op.cit., p11.
64
technocratique qui n'est qu'une partie de la « violence
normale du monde moderne » contre laquelle les zadistes entendent
lutter.
Enfin, les zadistes s'attaquent à l'idée de
développement durable qu'ils qualifient « d'écologie hors
sol »1. L'écologie est devenue depuis quelques
années un argument électoral qui aurait conduit les responsables
politiques à utiliser la notion de « développement durable
» dans leurs prises de décisions. Au-delà de cet argument
électoral, l'écologie est aussi devenue un argument marchand. Les
consommateurs seront ainsi plus enclins à acheter un produit qui
respecte l'environnement. Cet argument de vente est utilisé par toutes
les grandes entreprises qui optent pour des pratiques dites « responsables
» comme le tri des déchets ou l'utilisation d'énergies
renouvelables. Pour les zadistes, ces pratiques s'apparentent au «
greenwashing » qu'ils définissent comme « un ensemble de
techniques visant à manipuler l'opinion [...] qui aboutit à une
écologie hors sol où les discours lyriques cachent mal une
inaction chronique »2.
Concernant le deuxième type d'aménagement, il
s'agit de créer des zones naturelles dans lesquelles l'Homme ne peut
aller que de manière temporaire. Il n'habite pas ces zones, il les
visite ou y passe des vacances. Elles permettent de protéger la
biodiversité et notamment les espèces protégées.
Elles peuvent apparaitre comme des enclaves dans le monde moderne hyper
connecté, des îlots perdus dans la mondialisation. Mais elles
peuvent aussi exister sous la forme de Center Parcs comme par exemple le projet
de Roybon. Il s'agit alors de retrouver le « sentiment de nature »
tout en vivant dans un cadre urbain connu. Pour l'ethnologue Marc Augé,
un Center Parcs constitue ainsi une « bulle » qui permet aux
individus d'avoir le sentiment de vivre dans la nature tout en conservant son
confort quotidien. Il parle de « mise en spectacle du monde » dans
lequel le réel copie la fiction.3
Pour les zadistes, ce n'est pas la nature qui doit être
protégée. Ils la définissent d'ailleurs ainsi dans Le
petit livre des grands projets inutiles et imposés : « portion
de territoire exempte de toute pollution que le citoyen peut admirer en
regardant Ushuaia TV ! Existe aussi en téléchargement ou sur CD
vendu dans les Nature et découvertes, bombe désodorisante
1 CAMILLE Le petit livre noir... Op.cit. p.11.
2 Ibid., p.111.
3 Augé Marc « Ces lieux où le réel
copient la fiction. Un ethnologue à Center Parcs »,
chambarans.unblog.fr
[le 28 janvier 2010] ; URL :
http://chambarans.unblog.fr/2010/01/28/ces-lieux-ou-le-reel-copie-la-fiction-un-ethnologue-a-center-parcs/
[réf. 15 mai 2016].
65
senteur Printemps »1. De plus, défendre
la nature relèverait pour les zadistes d'un « héroïsme
anthropocentrique explicite et pour le moins déplacé
»2. Il s'agit plus de protéger une certaine relation au
vivant. Ainsi, les zadistes ne voient pas le bocage de Notre-Dame-des-Landes
comme un « milieu naturel » et ils le défendent non pas en
raison de sa fragilité ou parce qu'il leurs appartient mais parce qu'ils
l'habitent. Le problème de l'aménagement du territoire, qu'il
soit dans une logique de destruction ou une logique de préservation, est
qu'il émane de l'Etat et se fait au détriment des populations qui
en ont un usage commun. Les zadistes dénoncent une « gestion par le
haut » qui ne prend en compte que le bien être de la croissance
économique. Ils qualifient d'ailleurs cette gestion de «
soustraction » faite « aux gens qui y vivent ». L'Etat agit
ainsi comme le mercenaire du capitalisme en imposant des décisions
autoritaires.
L'aménagement ne se limite pas qu'au territoire selon
les zadistes, il s'étend peu à peu à la vie et à
l'esprit des êtres humains3. Cette « colonisation »
de la vie a deux conséquences néfastes. D'une part, la production
et la mise en réseau des outils numériques requièrent une
consommation d'énergie « colossale » et posent de nouvelles
problématiques écologiques quand elles ne créent pas des
situations de quasi-esclavage dans les pays producteurs de matières
premières. D'autre part, ces outils numériques et leur
fonctionnement en réseau conduit à la « numérisation
» de la vie. Les zadistes parlent « d'aménagement du
territoire mental ». L'interconnexion de tous les espaces a conduit
à bouleverser les rapports entre les individus et à modifier leur
rapport au vivant. L'être humain ne voit l'autre et le dehors que
derrière un écran. Il a l'impression de pouvoir satisfaire tous
ces désirs grâce à internet. Cet aménagement conduit
à l'uniformisation des esprits et à la négation des
particularités. Comme pour l'environnement, tout devient interchangeable
et acquiert une valeur marchande.
La critique écologiste zadiste est
anthropocentrée dans la mesure où c'est l'Homme et sa
liberté qu'il s'agit de défendre et non pas la planète.
Peu importe l'activité humaine, la Terre survivra à
l'humanité. Les zadistes recherchent finalement l'autonomie, « non
pas pour mais avec et dans la nature »4.
1 CAMILLE Le petit livre noir... Op.cit. p.109.
2 ZADIST, « Label Zad..., Op.cit., p.5.
3 « Sivens sans aucune retenue... Op.cit., p.4.
4 Ibid., p.2.
66
Inventer un nouveau modèle, le refus du retour en
arrière :
Afin d'affiner la compréhension de la pensée
écologiste des zadistes, il est intéressant de la
confronté à deux courants différents :
l'anarcho-primitivisme et le décroissantisme.
Frederic Dufoing, dans son ouvrage L'écologie
radicale définit l'anarcho-primitivisme comme « un
écologisme anthropocentrique » qui vise à redonner à
l'Homme son intégrité1. Cette idéologie reprend
les thèses anarchistes quant au refus de l'Etat et des relations
hiérarchiques qui aliènent l'Homme. Il y a la critique de la
modernité et de la science. L'Homme était libre à une
certaine époque et il s'agit de retrouver cette liberté. John
Zerzan, auteur primitiviste, estime que la sédentarisation et l'adoption
de l'agriculture constituent la matérialisation de l'aliénation
de l'Homme car elles ont donné naissance au besoin de produire, à
la division du travail, à la propriété privée,
à la guerre et à une certaine rationalité qui a mis fin
à l'intuition. Ce processus a ensuite permis l'apparition de la religion
qui entraîne l'apparition d'un leadership idéologique ce qui
conduit nécessairement à la centralisation du
pouvoir2. Les anarcho-primitivistes utilisent les travaux de
paléontologue ou d'anthropologue comme Marshall Sallings ou Pierre
Clastres pour proposer un modèle de société alternatif qui
repose sur l'abondance, l'absence de hiérarchie et la fin de la
civilisation moderne.
Pour Frédéric Dufoing, le problème des
anarcho-primitivistes est de n'utiliser les données scientifiques qu'en
partie en omettant des parts importantes. Ainsi ils vont vanter les
sociétés sans Etat décrites par Pierre Clastres en
omettant de mentionner que dans telle société, un rapport de
pouvoir et donc une hiérarchie existe entre les individus.
L'anarcho-primitivisme prône la restauration intégrale du mode de
vie des chasseurs-cueilleurs. Pour Damian White et Gideon Kossof3,
les anarcho-primitivistes ont une vision trop « romancée » des
vertus du mode de vie des chasseurs-cueilleurs.
Les zadistes ne s'inscrivent pas dans la vision
anarcho-primitiviste dans la mesure où ils n'entendent pas restaurer un
ancien mode de vie mais bien créer un nouveau modèle. De plus,
ils ne rejettent pas l'agriculture ou la sédentarisation. En effet, ils
utilisent l'occupation
1 DUFOING Frédéric, L'écologie
radicale, Paris, Infolio éd, 2012, p.73.
2 Ibid., p.80.
3 WHITE Damian F., KOSSOF Gideon, « Anarchisme,
libertarisme et environnementaliste : la pensée autoritaire et la
quête de sociétés auto-organisées, dans,
Ecologie & Politique 2011/1 (N°41), p.145-171.
67
maraîchère et l'occupation d'habitation pour
lutter contre les projets et pour développer leur projet de vie
alternatif. L'objectif est d' « habiter le territoire » à
savoir l'utiliser pour y vivre.
Les anarcho-primitivistes veulent combattre la
société industrielle et tente de trouver des alternatives
concrètes à l'agriculture intensive. Frédéric
Dufoing détaille trois alternatives développées par les
anarcho-primitivistes : le « forestgardening », la «
permaculture » et le « natural farming »1. Le
forestgardening consiste à développer une « agriculture
intégrée » en forêt en remplaçant les ajouts
humains extérieurs par des processus de régulation. Le
système doit s'autoréguler. La permaculture vise à
pratiquer une agriculture permanente qui se fond dans les
écosystèmes. Le natural farming ou agriculture naturelle entend
limiter l'intervention humaine dans la pratique agricole. L'idée
générale est de restreindre au maximum l'apport industriel dans
l'agriculture et revenir à une temporalité de production
naturelle. Outre ces initiatives, l'anarcho-primitivisme défend le
sabotage pour lutter contre l'agriculture intensive.
Les zadistes luttent également contre l'agriculture
industrielle et intensive qui non seulement participe à la
pérennisation du modèle économique capitaliste mais aussi
qui a des effets désastreux pour la planète. Ils envisagent ainsi
des alternatives à cette agriculture dont celles
développées par les anarcho-primitivistes. Mais, comme en
témoigne l'engagement pris par les zadistes de Notre-Dame-des-Landes
après l'abandon du projet2, la pensée zadiste tente de
concilier le modèle qu'elle entend mettre en place avec le modèle
ancien du territoire sur lequel elle habite. Il s'agit plus d'apprendre
à vivre ensemble et de réfléchir à des nouvelles
alternatives que d'imposer frontalement un nouveau modèle.
Pour Frédéric Dufoing, le décroissantisme
s'est construit en marge de l'altermondialisme avec pour
référence Ivan Illitch et pour postulat l'impossibilité
d'une croissance infinie3. L'origine de la crise écologique
réside dans un oubli effectué par le courant économique
dominant : la matière et l'énergie qui sont à la base de
la discipline économique doivent de nouveau être prises en compte.
Cette économie dominante a conduit à une croyance aveugle dans le
progrès, au monopole de la raison, de l'efficacité et du savoir.
Elle entraîne la perte des communaux et des savoir vernaculaires. Comme
nous l'avons vu
1 DUFOING Frédéric, L'écologie
radicale..., Op.cit., p.85.
2 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Défendre la ZAD...,
Op.cit., p. 32-33.
3 DUFOING Frédéric, L'écologie
radicale..., Op.cit., p.99.
68
précédemment, ce constat des causes de la crise
écologique est partagé en partie par les
zadistes.
Les décroissantistes critique l'existence de l'Etat
dans la mesure où il n'est que le « promoteur historique
»1 de la logique économique et a ainsi permis sa
diffusion en provoquant l'homogénéisation du territoire. Le champ
politique est colonisé par l'imaginaire économique capitaliste et
ne possède aucune liberté d'action. Les zadistes partagent cette
critique d'un Etat « sponsor et financier » de l'idéologie
néolibérale mais ils développent une autre critique qui
porte sur son caractère autoritaire et illégitime.
De plus, les décroissantistes entendent lutter contre
plusieurs « fausses croyances »2 qui reviennent à penser que
les besoins humains sont infinis et qu'ils ne peuvent être assouvis que
par le système industriel. Les besoins de l'Homme n'ont pas tous «
besoin » d'être assouvis dans la pensée
décroissantiste.
Enfin, comme pour la pensée zadiste, la pensée
décroissantiste ne défend pas un modèle qui aurait une
vocation universelle et qui serait bon pour l'Homme en général.
Elle rejette l'existence d'un monopole culturel et s'oppose ainsi à
l'école développementaliste qui estime que le
développement économique et industriel conduirait
nécessairement à la mise en place d'institution
démocratique.
Les propositions développées par la
pensée décroissantiste sont assez floues. Certaines sont reprises
par Frédéric Dufoing3. Il faudrait relocaliser
l'économie et sortir de la civilisation industrielle en mettant fin
à des pratiques comme la publicité, l'automobile ou la grande
distribution. Les décroissantistes reprennent l'idée de
créer un revenu minimum inconditionnel et de limiter les revenus
supérieurs. Pour parvenir à ces solutions, ils appellent à
modifier les pratiques individuelles quotidiennes de chacun et envisagent un
changement par la réforme des modèles politiques et
économiques. Ils se situent plus dans une approche gramscienne avec
cette volonté de produire une contre-hégémonie à la
culture économique capitaliste.
Les pensées zadistes et décroissantistes
partagent de nombreux points communs notamment en ce qui concerne leurs
critiques du système actuel. Mais ce qui les différencie portent
sur deux éléments importants. En premier lieu, les
décroissantistes ne critiquent pas
1 Ibid., p.118.
2 Ibid.,p. 120.
3 Ibid., p.124.
69
fondamentalement la notion de propriété
privée et leur dénonciation du capitalisme porte surtout sur son
monopole. Pour les zadistes, la propriété privée et le
capitalisme sont l'essence même de la domination et de l'existence d'une
hiérarchie entre les individus. En second lieu, les zadistes ne visent
pas à modifier les comportements individuels pour améliorer le
système. Ils préfèrent mettre en place des alternatives
qui auront beaucoup plus de chance d'amener un changement au modèle
dominant.
70
Chapitre 8 : Les zadistes et le comité invisible
: un constat de la crise similaire mais une approche révolutionnaire
radicalement différente.
Le constat d'une société de crises :
Dans leur ouvrage L'insurrection qui vient
publié en 2007, le Comité Invisible dresse une critique
globale de la société actuelle qu'il va étayer dans A
nos amis publié en 2014.
Pour les auteurs de ces deux ouvrages1, le
système politique actuel est au bord de l'implosion. Le métier du
politique se serait réduit à un travail de « communicant
»2 et le vote n'est plus que protestataire. Les citoyens ne
votent plus pour des idées, ils votent contre des personnes. Ils voient
dans la « crise des banlieues » de 2005 non pas une émeute
mais une « négation absolue du politique ». La réponse
à cette crise ne sera ni dans la démocratie, ni dans la
république. Le Comité Invisible et les zadistes partagent la
même analyse de la démocratie actuelle qui postule le besoin d'un
gouvernement. Pour le Comité Invisible, « gouverner » signifie
« conduire les conduites d'une population pour en maximiser le potentiel
et en orienter la liberté »3. L'objectif du gouvernement
est donc de maintenir le contrôle des gouvernés et
d'éradiquer toute idée de révolte. Les auteurs parlent de
« guerre indirecte ». Pour se maintenir en place, le gouvernement
recourt à différentes tactique dont l'élection. Elle donne
une « illusion d'adhésion » des individus au gouvernement. Le
Comité Invisible, comme les zadistes, rejettent l'idée du besoin
d'être gouverné. Pour ces auteurs, l'état de nature bestial
développé par Hobbes n'est qu'une croyance et ne possède
aucun fondement scientifique. Cette croyance doit être combattue car
c'est elle qui a permis de créer la nécessité du
gouvernement. Ils s'opposent également à toutes les
théories du contrat social, de Macchiavel à l'anarchisme
individualiste qui développe une certaine idée du contrat
social.
1 Le Comité Invisible explique dans l'introduction de
L'insurrection qui vient leurs ouvrages sont rédigés par
plusieurs auteurs.
2 LE COMITE INVISIBLE, L'insurrection qui vient, Paris,
La Fabrique, 2007, p.7.
3 LE COMITE INVISIBLE, A nos amis, Paris, La Fabrique,
2014, p.67.
71
Les zadistes voient dans le peuple une « fonction
homogénéisante »1 qui permet à l'Etat de
légitimer son action et de discréditer toute contestation. Pour
le Comité Invisible, la population est à la fois « l'objet
» et le « produit » du gouvernement. Il n'y a pas de peuple ou
de population sans un gouvernement, « la population cesse d'exister en
tant que telle dès qu'elle cesse d'être gouvernable
»2. De plus, elle permet au gouvernement de diviser les
contestations sociales en excluant une partie des individus participant
à ces mobilisations. Il va les décrire comme des « casseurs
» qui ne portent aucune revendication légitime contrairement au
reste des manifestants. Utiliser le terme « peuple » permet au
gouvernement de diviser un mouvement qui apparaissait homogène. Mais le
Comité Invisible dépasse la vision zadiste dans sa critique de
l'Etat et de la République. Il estime que les concepts «
société » et « nation » sont des fictions «
obsolètes »3 appartenant à l'ancien temps. Ils
n'ont plus de place dans le monde globalisé.
A noter que les zadistes ne rejettent pas, contrairement au
Comité Invisible, la notion de « peuple ». En y retirant
l'imaginaire républicain, le terme « peuple » garde une
portée sémantique pour comprendre les zads4. Il peut
être compris comme un qualificatif qui « transcende » les
catégories sociales habituellement cloisonnées dans la
société. Dans le cadre de la lutte No-TAV, le peuple a pu,
à certains moments, s'extraire de la « légalité
républicaine » pour faire face à l'Etat et empêcher la
continuation des travaux.
Le Comité Invisible développe une critique de
l'Etat plus générale que la vision zadiste en abordant la
question de la gouvernance et de la société cybernétique.
La gouvernance s'impose dans tous les domaines y compris dans le fonctionnement
de l'Etat qui lui est soumis. Le Comité Invisible parle d'une «
nouvelle science de gouvernement »5. Le gouvernement «
étatique » de contrôle a laissé la place après
la crise de 2008 à un gouvernement « cybernétique »
d'autocontrôle. Le cadre huxleysien a remplacé le cadre
orwellien6. Ce changement est dû selon les auteurs à la
globalisation qui a engendré des réseaux interconnectés
entre les hommes et les machines. La gouvernance se fait par le traitement
1 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires
croisées..., Op.cit., p.95.
2 LE COMITE INVISIBLE, A nos amis..., Op.cit.,
p.162.
3 Ibid., p.10.
4 4 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées : histoires
croisées..., Op.cit., p.97.
5 LE COMITE INVISIBLE, A nos amis..., Op.cit.,
p.103.
6 Ibid., p.113.
72
des algorithmes et des bases de données qui sont
recueillis avec le consentement des individus. Les zadistes parlent
d'aménagement mental du territoire1.
Le Comité Invisible critique également
l'aménagement métropolitain du territoire. Le capitalisme
fonctionne désormais territorialement et localement. Il n'est plus
national. Le pouvoir fonctionne aujourd'hui sur un processus de
sélection et non plus d'intégration. Pour le Comité
Invisible, cette « métropolisation »2 vise à
créer des zones ultra-connectées composées d'individus
connectés. La gouvernance va ainsi conduire à mettre entre place
une certaine forme d'horizontalité et de fragmentation. Pour autant,
cette horizontalité sera créée sur une division
hiérarchique du territoire d'où son rejet par le Comité
Invisible. Il existe donc une différence de perception entre les zads et
le Comité Invisible quant à l'aménagement du territoire.
En revanche, ils arrivent aux mêmes conclusions en considérant
qu'il faut lutter contre l'aménagement du territoire pour
défendre les Hommes.
Il s'intéresse aussi au travail. Il parle de «
fiction travailliste »3. Il estime que le travail est
aujourd'hui un outil de domination dans le sens où il produit et
contrôle des producteurs et des consommateurs. Il permet d'éviter
aux individus de penser et de remettre en cause le système. Les sites de
production ne sont plus des usines dans la mesure où il n'y a plus de
savoir-faire. Les individus ne travaillent que lorsque la production rencontre
un problème.
Pour les zadistes, les solutions aux problèmes
écologiques trouvées par le capitalisme ne fonctionnent pas.
Elles sont même néfastes au système. De même, la
solution ne réside pas dans le comportement individuel tant le
désastre écologique est systémique. Le Comité
Invisible tire les mêmes constats en ce qui concerne le «
capitalisme vert »4. La croissance verte est paradigme
fondé sur une illusion dont il faut sortir. Mais le Comité
Invisible fustige également les autres réponses au
désastre écologique. Ainsi, il ne voit dans l'agriculture
biologique que le traditionnel clivage bourgeoisie/prolétariat. Les
premiers sont les seuls à pouvoir disposer de cette agriculture saine
qui échappe structurellement à la classe prolétaire. De
même, il voit dans le principe de « simplicité volontaire
» un outil de domination du capitalisme. Il la renomme d'ailleurs «
austérité volontaire »5 qui fait partie de cette
société d'autocontrôle. Il voit dans cet autocontrôle
la voie vers une « dictature environnementale » alors que ses
défenseurs veulent l'éviter. Pour les auteurs du Comité
Invisible, de même que
1 Voir Partie 3 chapitre 1.
2 LE COMITE INVISIBLE, A nos amis..., Op.cit,
p.184.
3 LE COMITE INVISIBLE, L'insurrection..., Op.cit.,
p.29-35 et A nos amis..., Op.cit., p.91-94.
4 LE COMITE INVISIBLE, L'insurrection..., Op.cit.,
p.61.
5 Ibid., p.62.
73
pour les zadistes, il ne faut pas séparer l'Homme de
l'environnement mais contrairement aux zadistes, ils considèrent
l'écologie comme une seule idéologie qui se limiterait à
la politique écologique gouvernementale. Ils ne s'intéressent pas
aux différents courants de l'écologie radicale.
Le Comité Invisible rejette également
l'idée de s'organiser autour d'un parti, d'un collectif ou d'une
association puisque ça ne reviendrait qu'à reproduire une
domination de type étatique. En effet, les organisations enferment
l'individu dans un système de pensée qui nuirait
irrémédiablement à sa liberté. De plus, elles
portent en elle les germes de la centralisation des pouvoirs et donc d'une
certaine forme de hiérarchie. Dans le fond, le Comité Invisible
estime qu'aucune organisation ne permet à l'individu de se
réaliser pleinement sans aucun contrôle. Elles constituent
davantage un lieu de vote et de prise de décision que d'expression.
Chaque organisation dispose de son histoire et de ses principes qu'il est
difficile de remettre en cause pour un individu extérieur. Le
Comité Invisible critique même les associations les plus
libertaires qui, en s'instituant, sont devenus un organe de contrôle de
l'individu. Les zadistes sont eux, beaucoup plus nuancés sur la critique
des organisations. Ils leur reconnaissent une efficacité certaine et
beaucoup font partie du « rhizome » contre les Grands Projets
Inutiles et Imposés.
Pour conclure, le Comité Invisible et les zadistes
développent une critique du système actuel relativement
similaire. Les deux partagent le rejet d'un système politiquement
inégalitaire, écologiquement dramatique et technologiquement
totalisant. Leurs visions de l'alternative à mettre en place et les
moyens pour y parvenir marquent certaines de leurs divergences
fondamentales.
De la destitution de l'Etat à la «
levée de communes »
Dans son ouvrage TAZ : Zone d'Autonomie
Temporaire1, Hakim Bey estime que la période des
révolutions est close car l'Etat-Nation a réussi à
s'imposer sur l'ensemble du territoire mondial et domine toutes les
populations. Le choc frontal avec l'Etat est voué à
l'échec. Mais
1 BEY Hakim, TAZ zone d'autonomie temporaire,
Paris, L'éclat, 1997
74
si cette période est close, elle laisse place à
« l'inserructionnisme »1. L'objectif de la TAZ, Temporary
Autonomous Zone, est de libérer une zone du contrôle
étatique puis de se « dissoudre » avant que l'Etat ne la
réprime. Pour Hakim Bey, la principale force d'une TAZ, c'est son
invisibilité2.
Le Comité Invisible développe une théorie
de la destitution du pouvoir qui oscille entre la théorie de la TAZ et
la théorie zadiste. En ce qui concerne le rapprochement avec la
théorie de la TAZ, la solution pour le Comité Invisible se trouve
dans l'insurrection. Celle-ci doit se rendre « irréversible
»3 et dépasser le cadre matériel pour entrer dans
le cadre spirituelle. Ainsi, leur volonté de détruire la
propriété privée doit s'accompagner de la destruction du
désir d'être propriétaire.
De la même manière que pour les TAZ, les
insurrections doivent profiter de chaque mouvement social, de chaque
émeute urbaine, de chaque moment où l'autorité de l'Etat
est remise en cause, pour se mettre en place. Ces insurrections ne sont pas
organisées, elles ne reposent pas sur un seul groupe d'individus. Elles
dépendent de la situation dans laquelle elles apparaissent et de ses
acteurs. Mais en aucun cas, elles ne doivent chercher la prise de pouvoir ou
s'assurer une légitimité. L'insurrection doit être une
« pure destitution et rien d'autre ». Les auteurs du Comité
Invisible affirment que prétendre incarner une quelconque
légitimité conduirait à recréer un Etat. C'est
là une grande différence avec les zads qui revendiquent une
légitimité dans leur action. Certes, cette
légitimité ne doit pas conduire à l'instauration d'un
gouvernement dans la pensée zadiste mais elle constitue un argument
principal pour occuper les territoires et les projets d'aménagement. Le
Comité Invisible préconise, comme son nom l'indique, la lutte
invisible. L'anonymat est l'une des meilleures protections contre l'Etat. Cet
élément se retrouve tant dans les TAZ que des dans les zads.
Comme pour les zadistes, le principale « ennemi »
à destituer est symbolisé par l'Etat pour le Comité
Invisible. Il faut alors réussir à supprimer ce qui fait sa force
: le monopole de la violence physique légitime et s'attaquer à
cette notion de légitimité. Une destitution ne peut arriver
à son but que si la police n'est plus qu'un groupe ennemi à
vaincre, les juges que des gardiens d'un ordre autoritaire et l'Etat qu'une
ancienne organisation garante d'un ordre imparfait à remplacer. Le
Comité Invisible prend exemple sur le Printemps Arabe et la
Révolution tunisienne. C'est lorsque l'Etat et son chef ont perdu la
légitimité de gouverner et
1 Ibid., p.9.
2 Ibid, p.8.
3 LE COMITE INVISIBLE, L'insurrection..., Op.cit.,
p.121.
75
sont devenus de simple chef de clan que la destitution du
régime a été possible. Les zadistes tentent
également de « briser » la légitimité de l'Etat
et de la police. Pour eux, le véritable succès de la lutte
No-TAV, c'est d'avoir uni toute une vallée contre le gouvernement
italien. De même, l'opération César aurait permis
d'illustrer le fait que la police n'appartient pas à la France et
à sa population mais au capital.
Le Comité Invisible partage également avec les
zadistes certaines techniques de luttes comme le sabotage ou
l'autonomie1. Le sabotage doit porter sur la production capitaliste
et la circulation. La différence avec les zadistes repose dans le cas du
sabotage sur sa dimension géographique. Le Comité Invisible
préconise un sabotage général du système pour
créer des situations d'insurrection. Les zadistes appellent à
saboter les chantiers d'aménagements et les entreprises qui y
travaillent.
Si le Comité Invisible estime qu'il faut utiliser
toutes les ressources financières disponibles afin de se «
libérer du temps pour exprimer son énergie », le pillage et
la récupération ne sont pas viables. Il faut pour les auteurs
s'inscrire dans une logique d'auto-organisation qui permet de ne pas
dépendre du système et ainsi éviter de s'empêcher de
le détruire. Les zadistes défendent également cette
idée de l'autonomie2.
Dans l'ouvrage A nos amis3, les auteurs
développent une réflexion portant sur la distinction entre
pacifiques et radicaux lors des mouvements sociaux. Comme les zadistes, ils
estiment qu'opposer les deux est contreproductif et illogique car les deux
groupes sont liés par leur refus d'un système. Ils
considèrent comme essentiel la « désactivation de ce couple
infernal » pour parvenir à destituer le pouvoir. Ce dernier utilise
cette distinction selon les zadistes et le Comité Invisible pour diviser
un groupe homogène et semer la discorde. En revanche, le Comité
Invisible, contrairement aux zadistes, critiquent tant l'attitude pacifiste que
l'attitude radicale et appelle à adapter ses actions en fonction des
circonstances.
Enfin, ses auteurs reconnaissent l'importance d'occuper un
territoire afin de l'intégrer et lutter contre les nouvelles
intégrations dues à la métropolisation. Il faut lutter
contre les différents projets d'aménagement en habitant et en
créant un attachement pour le territoire mais il ne faut pas revendiquer
le local contre le local car le premier n'est que le « résidu
»4 du
1 LE COMITE INVISIBLE, L'insurrection..., Op.cit.,
p.90-110.
2 Chapitre 1.
3 LE COMITE INVISIBLE, A nos amis..., Op.cit.,
p.137-146.
4 LE COMITE INVISIBLE, A nos amis..., Op.cit.,
p.191.
76
second. L'enjeu des luttes n'est pas le territoire
géographiquement parlant mais bien les façons de vivre qui se
créent dans le conflit.
Destituer le pouvoir doit conduire à l'installation de
communes pour le Comité Invisible. Leur définition de la commune
n'est pas très détaillée dans leurs deux ouvrages. Elles
existeraient dans « toute grève sauvage, tout squat, dans les
comités d'actions, les villages d'esclaves »1. Cette
définition s'apparente finalement à la TAZ qui «
libère une zone puis se dissout [...] pour se reformer ailleurs dans le
temps ou dans l'espace »2. Les communes doivent pour le
Comité Invisible être des lieux où l'argent n'existe plus
car il n'est plus nécessaire. Dans A nos amis, les auteurs
précisent qu'un des fondements de la commune réside dans «
le serment mutuel prêté par les habitants de se tenir ensemble
»3. L'espace de la commune est « habité » dans
le sens où les individus qui y vivent l'affectent et en sont
affectées. La commune est donc une manière de vivre sur un
espace. Le Comité Invisible précise que les communes ne peuvent
dépasser une certaine taille géographique sans disparaitre. De
même elles doivent éviter l'isolement, comme la Commune de 1871,
qui les perdraient. En ce qui concerne l'analyse de l'économie dans les
communes, les auteurs expliquent que l'objectif n'est pas de s'emparer de tous
les communs (air, environnement, ressource, éducation, culture...) mais
«d'élaborer un rapport » à ce qu'elles peuvent
s'approprier.
Cette deuxième définition de la commune
s'apparente beaucoup plus au modèle des zads. Dans les textes
intitulés Rencontres sur la Commune4 et De la
zad au communaux5, des zadistes détaillent la vision
qu'ils ont de la commune. Ils décrivent la Zad de Notre-Dame-des-Landes
comme la « forme vernaculaire » de la Commune. Elle doit permettre
d'aborder la subsistance et l'existence en sortant de l'échelle
individuelle et hors du contrôle étatique. La commune remplace la
notion de propriété par la notion d'usage. Elle permet de
s'ancrer sur le territoire et de s'inscrire dans « une autre
temporalité » qui diffère des mouvements sociaux. Pour ces
zadistes, « faire commune » permet de reprendre en main « les
conditions matérielles et spirituelles de leurs existences ».
1 LE COMITE INVISIBLE, L'insurrection qui vient...,
Op.cit., p.90.
2 BEY Hakim, TAZ..., Op.cit., p.8.
3 LE COMITE INVISIBLE, A nos amis..., Op.cit.,
p.201.
4 ZADIST, « Rencontre sur la Commune »,
zad.nadir.org [en
ligne] le 22 mai 2016 ; URL :
http://zad.nadir.org/spip.php?article3778
[réf. 8 juin 2016].
5 ZADIST, « De la zad aux communaux »,
zad.nadir.org [en
ligne] le 17 juin 2015 ; URL :
http://zad.nadir.org/spip.php?article3067
[réf. 7 mars 2016].
77
Chapitre 9 : Les zads et la perspective municipale
libertaire.
Dans un article publié en juin 2016 dans Le Monde
Diplomatique, Benjamin Fernandez s'intéresse aux cantons du Rojava
dans le nord de la Syrie qui se sont constitués en communes
autonomes1. Il explique que les membres du PKK, le Parti des
Travailleurs du Kurdistan ont décidé de mettre en application les
principes du municipalisme libertaire développés par Murray
Bookchin. Le 26 septembre 2015, la Zad de Notre-Dame-des-Landes se
déclare autonome en solidarité avec le Kurdistan2.
Dans ce texte, les auteurs expliquent se sentir « proches » du
processus politique en cours au Kurdistan avec la recherche d'une
auto-organisation indépendante de l'Etat-Nation, l'élaboration de
structures horizontales et la mise en place d'un confédéralisme
démocratique. A cet égard, la pensée zadiste
présente de nombreux points communs avec le municipalisme libertaire et
l'écologie sociale.
La zad et le municipalisme libertaire : deux pensée
fondées sur une critique similaire du système.
Le municipalisme libertaire est l'application politique de
l'écologie sociale théorisée par Murray Bookchin. De la
critique du système actuel à la promotion d'un autre
modèle, la pensée zadiste et celle de Murray Bookchin se
rejoignent. Pour autant, la pensée zadiste est bien moins
théorisée et systémique que l'écologie sociale.
Pour Murray Bookchin, le désastre écologique
actuel trouve son explication dans l'organisation sociale existante. Ainsi,
l'Homme dans sa volonté de dominer la nature ne reproduirait que le
modèle de domination existant entre les Hommes qu'il s'agisse d'une
domination fondée sur le genre, sur l'ethnie, sur l'âge ou
même sur la hiérarchie familiale. Défendre la nature pour
Murray Bookchin revient donc à lutter contre toutes les dominations
existantes entre les Hommes. Il détaille dans Le projet
communaliste3 les facteurs responsables de la
perpétuation de dominations. Il s'agit en premier lieu du capitalisme
qui est « un système marchand d'échanges dans lequel l'objet
est conçu pour la vente et où le profit imprègne et sert
de médiateur à la plupart des relations humaines ». Il
repose dès lors
1 FERNANDEZ Benjamin, « Aux sources du communalisme kurde,
Murray Bookchin, écologie ou barbarie », Le Monde
Diplomatique, Juillet 2016.
2 ZADIST, « Déclaration d'autonomie...,
Op.cit.
3 BOOKCHIN Murray, « Le projet communaliste » dans
Harbinger 2003 (N°1).
78
sur un système économique nécessairement
compétitif et inégalitaire. Pour Janet Biehl, auteure de Le
municipalisme libertaire : la politique de l'écologie sociale, le
capitalisme, par sa dynamique de prédation, « détruit autant
les sociétés humaines que les Hommes »1. Outre
son caractère « immoral », le capitalisme a produit la
division de la société en classe et l'existence des
hiérarchies entre les Hommes. Mais Murray Bookchin nous met en garde sur
la nature du capitalisme. Il n'existe pas de « capitalisme pur
»2 car il est en évolution permanente. Ainsi la division
classique prolétaire/bourgeois a elle aussi connu une évolution.
Pour Murray Bookchin, la classe ouvrière a été
remplacée par la « classe moyenne laborieuse » qui a perdu son
sentiment d'appartenance de classe. Penser la révolution uniquement en
termes de lutte de classes devient caduque dans le contexte économique
et politique actuel. Pour Murray Bookchin, c'est par des « luttes globales
» qu'une conscience sociale pourrait émerger3. Enfin, il
note ce qu'il qualifie d'extrême contradiction du capitalisme : la
croyance en une croissance économique infinie et la «
désertification de l'environnement naturel ». Les zadistes
développent une analyse relativement similaire quant à la
structure du capitalisme et son paradoxe insurmontable.4
Un autre élément qui perpétue la
domination est constitué par l'Etat, qualifié par Murray Bookchin
de « machinerie professionnelle conçue pour dominer et faciliter
l'exploitation des citoyens dans l'intérêt d'une classe
privilégiée »5. Comme dans toutes les critiques
anarchistes de l'Etat, y compris chez les zadistes, il y a la
dénonciation de son caractère illégitime. Murray Bookchin
reprend la définition de Max Weber en la déformant et parle de
« monopole professionnalisé de la violence » qui vise à
assurer l'exploitation de « l'humain par l'humain »6. Pour
Janet Biehl, l'Etat « substitue à la démocratie directe
» un gouvernement élitiste7 d'une part et d'autre part
infantilise l'individu en lui imposant un lien de dépendance et de
subordination.
Cette critique de l'Etat se retrouve dans la pensée
zadiste lorsqu'elle dénonce le contrôle social qu'il impose et son
caractère illégitime. Concernant le contrôle social
justement, les zadistes parlent du peuple comme une fonction «
homogénéisante ». Pour Murray Bookchin, le mot peuple s'est
vidé de son sens à partir du moment où les
différences de classes, de sexes
1 BIEHL Janet, Le municipalisme libertaire : la politique de
l'écologie sociale, Montréal, Ecosociété,
2013, p.128.
2 BOOKCHIN Murray, « Le projet..., Op.cit., p.3.
3 Ibid., p.3.
4 Chapitre 1
5 BOOKCHIN Murray, « Le projet..., Op.cit., p.8.
6 BOOKCHIN Murray, Pour un municipalisme libertaire,
Lyon, Atelier de Création Libertaire, 2003, p.12.
7 BIEHL Janet, Le municipalisme libertaire ..., Op.cit.,
p.125.
79
et d'éthiques ont été
niées1. Pour autant, ce processus n'est pas
irrémédiable et Murray Bookchin envisage une redéfinition
du mot « peuple » avec l'émergence de nouveaux mouvements
sociaux tournés vers de nouvelles préoccupations
idéologiques de l'intérêt général autour des
problématiques écologiques, morales ou culturelles.
Murray Bookchin voit comme responsable dans l'échec de
la Commune de 1871 ou des Soviets, la délégation du pouvoir
populaire. Il ne peut se déléguer sans se
détruire2. Le suffrage universel électoral transforme
le peuple en « masse » non pas en citoyen. Janet Biehl précise
que le referendum ne doit pas être perçu comme un outil
démocratique. Elle estime que le suffrage référendaire
universel correspond plus à un « enregistrement des
préférences » plutôt qu'à la participation
politique du citoyen tant il transforme celui-ci en « consommateur »
et les idéaux en « goûts personnels »3. Dans
un texte publié le 5 juin 2016, des zadistes expliquent leur prise de
position face au referendum local concernant le projet d'aéroport,
organisé par le pouvoir exécutif le 26 juin 20164.
Pour les zadistes, l'Etat n'est jamais neutre lorsqu'il organise un referendum.
Il est d'une part dirigé par des individus qui ont un avis sur la
question référendaire et ces mêmes individus l'organisent.
D'autre part, l'Etat est bien souvent partie du projet en cause. Demander
l'avis de la population constitue ainsi une « parodie » de la
démocratie pour les zadistes.
Une autre critique partagée entre la pensée de
Murray Bookchin et la pensée zadiste concerne les « mass
médias ». Pour les deux, les « mass médias » sont
au service du capitalisme dans la mesure où ils font accepter aux
individus leurs exploitations, les transforment en « dociles consommateurs
» et maintiennent ainsi la paix sociale en rendant toute perspective de
révolte inutile et illégitime.
Il y a un point sur lequel la pensée zadiste semble
s'opposer au municipalisme libertaire de Murray Bookchin. Il s'agit du besoin
de gouvernement. Cette question apparait lorsque Murray Bookchin décrit
les idéologies marxiste et anarchiste. En ce qui concerne l'anarchisme,
Murray Bookchin considère qu'il ne constitue pas une «
théorie sociale »5 dans le sens où il ne permet
pas de fournir une explication du monde moderne et industriel mais aussi car sa
définition est trop polysémique. Il estime que l'anarchisme
utilise le marxisme pour justifier
1 BOOKCHIN Murray, Pour un municipalisme libertaire...,
Op.cit., p.24.
2 Ibid., p.19.
3 BIEHL Janet, Le municipalisme libertaire ..., Op.cit.,
p.102.
4 ZADIST, « Le mouvement de lutte de
Notre-Dame-des-Landes face à la consultation »,
zad.nadir.org [le 5
juin 2016] ; URL :
http://zad.nadir.org/spip.php?article3747
[réf. Le 15 juin 2016].
5 BOOKCHIN Murray, « Le projet..., Op.cit., p.7.
sa pensée économique. Il va même
jusqu'à dire que l'anarchisme représente la forme la plus
poussée de « l'autonomie sans entrave de l'idéologie
libérale ». Outre ces éléments qui pourraient
être discutés, Murray Bookchin conteste l'approche anarchiste qui
consiste à rejeter toute idée de gouvernement. Pour lui, le
gouvernement n'est pas intrinsèquement autoritaire et se
révèle même être nécessaire pour «
traiter les problèmes de la vie consociétale de manière
ordonnée»1. Or, la pensée zadiste rejette
l'idée de la nécessité pour un groupe d'individu d'avoir
un gouvernement qu'ils définissent comme un pouvoir exécutif
charger de faire appliquer les lois décidés par le
peuple2. Murray Bookchin qualifie de « stupide » le refus
libertaire à la loi et au gouvernement.
Cette dernière différence est importante pour
comprendre la distinction entre la pensée zadiste et le municipalisme
libertaire. Murray Bookchin, contrairement aux zadistes, entreprend
l'élaboration d'une théorie sociale qui a nécessairement
une portée générale bien qu'elle doit permettre la mise en
place d'un système qui respecte les spécificités locales
.
80
1 Ibid., p. 9.
2 Chapitre 1 et ZADISTE, « En quoi l'organisation de la
vie..., Op.cit.
81
L'opposition à la volonté universaliste du
municipalisme libertaire
Pour Janet Biehl, le municipalisme libertaire se
définit comme « le programme qui veut recréer et
élargir le champ politique démocratique comme champ d'autogestion
de la communauté »1. Murray Bookchin précise
qu'il doit être le cadre d'une « société
libératrice, enracinée dans l'éthique non
hiérarchique d'une unité des diversités, de
l'auto-éducation et autogestion, de la complémentarité de
l'entraide »2. Il ajoute que l'autogestion doit exister dans
les domaines économique, éthique et politique. L'autonomie des
communes ou municipalités apparait comme un élément
clé pour éviter la naissance d'un corps supérieur
arbitraire. Les zadistes partagent ces idées d'autogestion et
d'autonomie lorsqu'ils détaillent l'alternative au système qu'ils
entendent mettre en place. Leur objectif est de s'organiser dans sans aucune
délégation. Sur ces trois sujets, la pensée zadiste se
retrouve dans municipalisme libertaire.
Murray Bookchin envisage une démocratie libertaire
reposant sur deux éléments interdépendants : une structure
qui peut être une ville, un quartier, une place ou encore un parc et
d'une conscience qui leur donne l'impression d'appartenir à une
communauté. Cette notion de communauté est « le point de
départ »3 du municipalisme libertaire. La
communauté est composée d'individus concentrés dans un
« espace public » où la vie privée « s'efface
» derrière la vie publique. Murray Bookchin parle de « commune
». Etant donné l'enjeu de constituer une société
écologiquement saine et égalitaire, ces communes sont
géographiquement limitées. Elles sont autonomes et permettent
à chaque citoyen qui les constitue de prendre part directement au
processus de décision en participant aux assemblées de citoyens.
Ces dernières se réunissent à intervalle régulier,
l'ordre du jour est défini à l'avance et le vote se fait à
la majorité. Murray Bookchin ne rejette pas l'idée de
décision prise au consensus mais il estime que le consensus ne peut
fonctionner que dans un petit groupe dans lequel les individus se connaissent.
Lorsqu'ils décrivent les assemblées générales du
mouvement4, le Collectif Mauvaise Troupe reviennent sur l'importance
de ces lieux ouverts d'expression pour les habitants de la Zad. Les zadistes
mêlent l'utilisation d'outils d'éducations populaire à des
modes de fonctionnements plus spontanés pour permettre à tout
individu de pouvoir s'exprimer librement. Concernant le consensus, ils arrivent
au même
1 BIEHL Janet, Le municipalisme libertaire ..., Op.cit.,
p.73.
2 BOOKCHIN Murray, Pour un municipalisme libertaire...,
Op.cit., p.11.
3 BIEHL Janet, Le municipalisme libertaire ..., Op.cit.,
p.73.
4 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées...,
Op.cit., p.188
82
constat que Murray Bookchin quant à sa
difficulté à fonctionner dès lors qu'il s'agit d'un groupe
important d'individu.
Murray Bookchin ne prévoit pas une multitude de
communes vivant en autarcie. Pour Janet Biehl, la mondialisation rend
impossible une « recomposition locale du pouvoir politique en de micro
entités »1 car les relations économiques et
politiques sont trop interdépendantes. De plus l'autonomie des communes
pourrait conduire certaines à adopter des principes inégalitaires
ou néfastes pour les hommes. Murray Bookchin reconnait la
nécessité d'une forme d' « organisation inter municipale
» sous la forme du confédéralisme. Cette forme conduit
à la formation d'une grande entité formée de plus petites
entités. Mais ces dernières gardent leur identité, leur
souveraineté et leur liberté en se confédérant. Il
n'y a pas de processus de délégation. S'il peut y avoir des
mandats, ceux-ci seront obligatoirement impératifs. Les zadistes ne sont
pas aussi catégoriques en ce qui concerne l'impossibilité d'une
recomposition locale du politique et ils n'abordent pas la question d'une
quelconque confédération.
Concernant l'économie, le municipalisme libertaire
envisage une économie gérée par les citoyens de la
communauté. La propriété est placée sous le
contrôle général des citoyens. Ainsi, ils seraient tous
« propriétaires collectivement des ressources économiques de
leur communauté »2.
Sur les moyens d'actions pour parvenir au municipalisme
libertaire, Murray Bookchin envisage certaines méthodes rejetées
par les zadistes. La première est la volonté de participer aux
campagnes électorales. Janet Biehl précise que cette
participation doit se faire non en vue d'acquérir un siège mais
comme un moyen d'éducation populaire au municipalisme
libertaire3. Le candidat n'est plus l'individu mais
l'idéologie. Il s'agit de profiter des de la campagne municipale comme
d'une fenêtre de publicité pour présenter le l'idée
d'une démocratie libertaire. Mais il ne faut pas se concentrer sur le
succès électoral et éviter toute participation au pouvoir
exécutif qui conduirait à l'institutionnalisation du mouvement et
donc à sa métamorphose. Les zadistes critiquent la participation
à des élections car elle revient à cautionner un
système à combattre. Pour Janet Biehl, participer à une
élection municipale « dans une optique municipaliste libertaire
» revient à lutter contre l'Etat.
1 Ibid., p.109.
2 Ibid., p. 132
3 Ibid., p. 92.
83
Un autre point de désaccord en les zadistes et la
théorie de Murray Bookchin concerne l'utilisation des technologies. Dans
le cadre du municipalisme libertaire, la technologie doit permettre d'accomplir
à la place de l'Homme le travail qui l'aliène. Un des aspects
principaux du socialisme libertaire pour Murray Bookchin est « l'abolition
de l'usine par une technologie écologique et par le travail
créatif »1. Il s'agit de réorienter la
technologie à des fins de solidarités et de coopérations.
Pour Janet Biehl, l'agriculture industrialisée est ainsi «
souhaitable »2 et n'est nullement incompatible avec
l'agriculture biologique. Les zadistes s'opposent à l'industrialisation
de l'agriculture qui faciliterait la marchandisation de la nature. S'ils ne
rejettent pas les nouvelles technologies en soit, ils se montrent
méfiant vis-à-vis du mythe du progrès et la recherche
perpétuelle de l'efficacité maximum3.
Enfin, une technique commune de lutte envisagée par
Murray Bookchin et les zadistes concernent l'autodéfense. Le
municipalisme libertaire envisage la formation d'un « milice »4 pour
se protéger des attaques du système capitaliste. Les zadistes
reconnaissent la nécessité de constituer une force pour en
dernier recours « faire primer le bien commun sur l'intérêt
privé »5. Mais la milice du municipalisme libertaire
doit à terme remplacer l'armée et la police. Elle doit constituer
une institution démocratique avec des officiers élus sous
contrôle des assemblées de citoyens. Même en tant
qu'institution démocratique, les zadistes n'envisagent pas la
reconstitution d'une armée ou d'une police.
Finalement, les zads pourraient constituer un type de commune
correspondant à celles imaginées par Murray Bookchin dans le
cadre du municipalisme libertaire. Mais la pensée zadiste n'envisage pas
un système politique à grande échelle. Elle ne constitue
pas ce que Murray Bookchin qualifie de « théorie sociale ».
Dans le texte Rencontre sur la Commune, les auteurs précisent
que l'idée du slogan « zad partout » ne repose pas sur
l'exportation du modèle type de Notre-Dame-des-Landes sur tout le
territoire. Il s'agit d'exporter l'idée de communisation. Ils estiment
de plus que la Commune n'est pas une « idéologie en ce qu'elle
n'est pas un absolu universelle, mais une réalité pluriverselle,
un archipel de mondes irréductibles et singuliers qu'il nous appartient
de relier ». La zad, comme la commune, n'a pas une vocation universelle et
c'est pour cette raison qu'elle ne peut être considérée
comme une idéologie contrairement au municipalisme libertaire.
1 BOOKCHIN Murray, Pour un municipalisme libertaire...,
Op.cit., p.29.
2 BIEHL Janet, Le municipalisme libertaire ..., Op.cit.,
p.73
3 COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées...,
Op.cit., p.17.
4 BIEHL Janet, Le municipalisme libertaire ..., Op.cit.,
p.137.
5 ZADIST, « De la zad aux communaux, Op.cit..
84
Conclusion
Notre présent mémoire visait à dresser
l'esquisse d'une analyse des idées politiques de la pensée
zadiste en comparant les zads à d'autres phénomènes
politiques et en confrontant les idées à des idéologies
qui nous apparaissaient proches. L'hypothèse principale de ce travail
était que les zads, qui apparaissaient comme un ensemble
hétérogène idéologiquement et sociologiquement,
développaient une pensée politique cohérente. La
première étape pour vérifier cette hypothèse fut de
dresser la définition zadiste de la zad. Nous avons pu ainsi regrouper
ses caractéristiques autour de trois grands pôles en utilisant les
nombreuses sources primaires. Il existe une cohérence entre les zads
concernant la critique du système capitaliste actuel et la
volonté de mettre en place une alternative qui reposerait sur des
valeurs de complémentarité, de partage et de
créativité. De plus les zads adoptent une position commune quant
aux différentes techniques de lutte en combinant la lutte violente et
non-violente. Enfin les zads s'inscrivent également dans un
réseau. Elles constituent un réseau dans le réseau contre
les Grands Projets Inutiles et Imposés. La seconde étape fut
guidée par une de nos intuitions premières à savoir des
liens de « filiation » entre les zads et les mouvements
altermondialistes comme la lutte du Larzac. Cette intuition s'est
révélée en partie fausse étant données les
différences fondamentales entre les deux phénomènes tant
en terme de lutte que d'organisation. Enfin la dernière étape de
vérification a été de vérifier la place des zads
dans la classification idéologique. Nous avons
délibérément retenu deux idéologies
particulières : l'idéologie développée par le
Comité Invisible et le municipalisme libertaire. Le premier choix fut
guidé par des comparaisons que nous avons pu lire ou entendre dans les
champs politiques et médiatiques. Le deuxième choix fut plus
d'ordre personnel en raison de notre intérêt pour le municipalisme
libertaire. La vérification de ces hypothèses nous a conduit
à estimer que la pensée politique zadiste n'est pas une
idéologie car elle ne constitue pas « l'ensemble structuré
de représentation du monde social » comme le définit
Philippe Braud1. Bien qu'elle repose sur des croyances et qu'elle
vise à légitimer une certaine forme de pouvoir, elle refuse de
fournir une explication du social et du politique à vocation
universel.
Ce travail ne peut prétendre à
l'objectivité la plus complète bien que nous nous sommes toujours
efforcés, dans la mesure du possible, à retranscrire la
pensée des acteurs et
1 BRAUD Philippe, Sociologie Politique..., Op.cit..
85
des auteurs dans leur intégralité. Nous estimons
que toute recherche scientifique est guidée par des choix. L'important
est de les préciser.
Enfin, nous ne prétendons pas établir une
étude exhaustive de la pensée politique zadiste. Nous
espérons, en toute humilité, apporter quelques
éléments de réflexion sur un objet très peu
étudié en science politique. Ce travail apparaît dès
lors comme une esquisse qu'il est possible d'améliorer.
Premièrement, l'étude des sources primaires
nécessiterait un travail sur un plus long terme en raison de leur
multitude et de la difficulté de les synthétiser. Si travailler
sur la pensée zadiste en étudiant les différentes zads
reste intéressant, il serait également pertinent de ne se
focaliser que sur l'étude d'une seule zad pour établir un travail
de recherche plus précis et plus élaboré. Le risque est
dès lors celui de travailler sur un sujet nouveau et de tomber dans la
simple monographie sans vertu explicative.
Deuxièmement, il serait intéressant d'adopter
une approche interdisciplinaire pour traiter ce sujet.
L'interdisciplinarité doit permettre d'articuler les connaissances
acquises pour livrer une analyse d'avantage révélatrice des
multiples enjeux de ce phénomène. Ainsi le recours à la
sociologie tourainienne et la production d'entretien combinées à
une observation participante pourrait améliorer notre perception de la
pensée politique zadiste. Il s'agit moins de confronter les analyses
à la réalité que d'élargir nos connaissances afin
de mieux comprendre cette pensée.
Troisièmement, nous pensons qu'un travail de recherche
pourrait être entièrement consacré à la place des
zads dans les nouveaux mouvements de contestations sur le plan international.
La mise en réseau assez récente de tous ces mouvements
évolue parallèlement au processus de métropolisation qui
dépasse les frontières du monde occidental.
Finalement, cette tentative d'analyse de la pensée
politique zadiste a amené bien plus de questions qu'elle n'en a
résolues. C'est peut être bien là tout l'enjeu de la
recherche, répondre à des interrogations par d'autres
interrogations.
86
Bibliographie
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[réf. 30 juin 2016].
Filmographie :
- CASTELL Jean-François, Notre-Dame des luttes,
documentaire, 52min32, 2012.
- LAPIZE Vincent, Le dernier continent, documentaire,
1h17, production : Réel Factory et A Perte de Vue, 2015.
92
- ROBERT Camille, Center zad, documentaire, 24min47, Doc
du réel, 2015.
- M6 « Ecolos, extrémistes ou marginaux, qui sont ces
zadistes qui défient l'Etat », Enquête exclusive,
[en ligne] le 29 mars 2015.
Radio :
- France Culture, « Zad partie 1 » Terre à
Terre [en ligne] le 28 avril 2016 ; URL :
http://www.franceculture.fr/emissions/terre-terre
[réf. 8 juillet 2016]. Articles de presse :
- « Bruno Retaillau : à Notre-Dame-des-Landes, il
faudra utiliser la force » [en ligne],
Lepoint, le 8 janvier 2016 [réf. Le 12 janvier
2016] ; URL :
http://www.lepoint.fr/societe/bruno-retailleau-a-notre-dame-des-landes-il-
faudra-utiliser-la-force-08-01-2016-2008084 23.php.
- FERNANDEZ Benjamin, « Aux sources du communalisme kurde,
Murray
Bookchin, écologie ou barbarie », Le Monde
Diplomatique, Juillet 2016.
93
Table des matières
Avant-propos 3
Introduction 5
Les zads et leurs définitions 7
Cadre méthodologique et limites du sujet. 9
Première Partie : Définir la zad : 14
Chapitre 1 : Une vision alternative du monde à
défendre et à expérimenter : 15
Critique d'un modèle capitaliste usé et
imposé 15
Promotion d'un modèle autogestionnaire et autonome :
19
Chapitre 2 : S'émanciper du système contesté
par la lutte : 23
Une combinaison entre lutte légale et lutte
légitime. 23
Une cohabitation délicate entre le recours à la
violence et à la non-violence : 26
Chapitre 3 : Le refus d'adopter une définition stricte de
la zad 31
La mise en avant de principes partagés 31
Penser la zad dans le réseau d'opposition au Grands
Projets Inutiles et imposés 34
Deuxième Partie : Comprendre les zads aux regardes
d'autres phénomènes politiques passés et
contemporains 38
Chapitre 4 : Une résurgence du Larzac ? 39
Le Larzac et les zads : des luttes locales et des
réflexions globales. 39
« O tempora, O mores » : Le Larzac, lieu historique de
l'écologie et de la non-violence 43
Chapitre 5 : Les Zads et les luttes altermondialistes : 47
Les zads par rapport à la définition de
l'altermondialisme. 47
Les zads dans la mouvance altermondialiste radicale : un
renouveau dans la lutte
altermondialiste. 51
Chapitre 6: Le No-TAV et les zads : deux modèles
singuliers des mouvements membres du réseau
contre les Grands Projets inutiles et Imposés. 54
De la contestation d'un monde aux modes de lutte : les
ressemblances indéniables du No-TAV et
des zads 55
Le mouvement No-TAV unique par son processus de construction
historique. 58
Troisième partie : Du phénomène à la
pensée politique : une classification idéologique complexe 61
Chapitre 7 : Une écologie politique sociale et
révolutionnaire et anthropocentrée : le rejet du
capitalisme vert et du retour en arrière : 62
Défendre la nature en luttant pour la liberté de
l'Homme 62
Inventer un nouveau modèle, le refus du retour en
arrière : 66
Chapitre 8 : Les zadistes et le comité invisible : un
constat de la crise similaire mais une approche
révolutionnaire radicalement différente. 70
Le constat d'une société de crises : 70
De la destitution de l'Etat à la « levée de
communes » 73
94
Chapitre 9 : Les zads et la perspective municipale libertaire.
77
La zad et le municipalisme libertaire : deux pensée
fondées sur une critique similaire du
système. 77
L'opposition à la volonté universaliste du
municipalisme libertaire 81
Conclusion 84
Bibliographie 86
Bibliographie primaire 86
Bibliographie secondaire : 89
Table des matières 93
Annexes 95
Annexes 1 : La « Charte de Tunis » 95
Annexe 2 : Extrait de « A propos du mépris de classe
sur la zad » 97
Annexe 3 : Les six points contre l'aéroport : 98
Annexe 4 : Chanson No-TAV Sara Düra 99
95
Annexes
Annexes 1 : La « Charte de Tunis »
Nous, citoyennes et citoyens, associations et mouvements en lutte
contre des Grands
Projets Inutiles Imposés,
Nous constatons que :
ces projets constituent pour les territoires concernés un
désastre écologique, socio-économique et humain :
destruction de zones naturelles, de terres agricoles et du patrimoine
bâti, nuisances et dégradation de l'environnement avec des impacts
négatifs importants pour les habitants,
ces projets n'intègrent jamais la participation effective
de la population à la prise des décisions, et la privent de
l'accès aux medias,
face au profond désaccord social que ces projets
suscitent, les gouvernements et les administrations agissent dans
l'opacité et traitent avec mépris les arguments et propositions
des citoyens,
la justification officielle de la réalisation de ces
nouvelles infrastructures et équipements se fait systématiquement
sur des hypothèses fausses d'évaluation
coûts/bénéfices et de création d'emplois,
la priorité octroyée aux grands équipements
se fait au détriment des besoins locaux,
ces projets s'inscrivent dans une logique de concurrence
exacerbée entre les territoires et impliquent une fuite en avant vers
toujours « plus grand, plus vite, plus coûteux, plus centralisateur
»,
le système économique libéral qui domine le
monde est en crise profonde, les Grands Projets Inutiles Imposés sont un
des instruments qui garantissent des profits exorbitants aux grands groupes
industriels et financiers, civils et militaires, désormais incapables
d'obtenir des taux de profits élevés sur des marchés
globaux saturés,
la réalisation de ces projets inutiles, toujours à
charge des budgets publics, produit une énorme dette, ne
génère aucune reprise économique, concentre la richesse et
appauvrit les sociétés,
ces grands projets permettent au capital prédateur
d'augmenter sa domination sur la planète, portant ainsi des atteintes
irréversibles à l'environnement et au bien-être des
peuples,
les mêmes mécanismes qui endettent les Pays les plus
pauvres depuis la fin de la colonisation directe sont maintenant
utilisés aussi dans les Pays occidentaux.
Nous contestons :
la logique de concentration géographique et fonctionnelle
qui ne permet pas un développement local équitable, et les
mécanismes qui détruisent la survie des petites et
moyennes entreprises et le système économique
local,
les équipements surdimensionnés liés
à la production d'énergies non renouvelables, la construction de
barrages gigantesques, dont les techniques entraînent une forte
pollution
des sols, de l'eau, de l'air, des fonds marins et la disparition
de territoires entiers, compromettent la survie des générations
futures,
les modes de financement de ces projets qui
génèrent des profits exorbitants, garantis par la mobilisation de
l'argent public assortis de montages juridico-financiers scandaleux, au
bénéfice d'entreprises dont les actions de lobbying
interviennent dans la prise de décisions politiques, voire dans
l'obtention de mesures d'exception pour évacuer toutes les
96
contraintes juridiques,
le soutien apporté à ces projets par les
différents niveaux de structures politiques, locales, nationales,
supranationales et les institutions financières mondialisées qui
s'opposent ainsi aux droits, aux besoins et à la volonté des
peuples,
la militarisation des territoires et la criminalisation des
oppositions.
Nous affirmons que des solutions sont à chercher
dans :
l'entretien et l'optimisation des infrastructures existantes qui
sont, dans la plupart des cas, une solution alternative avec moins de nuisances
et de coûts, la construction de nouvelles infrastructures ne devant
répondre qu'à l'impératif de l'utilité publique et
non du profit,
la transformation profonde du modèle économique et
social aujourd'hui en profonde crise, en faisant notamment de la
proximité et de la relocalisation de l'économie, de la protection
des terres agricoles, de la sobriété énergétique et
de la transition vers les énergies renouvelables
décentralisées, nos priorités,
la restitution de la capacité de décision aux
populations directement concernées, fondement d'une authentique
démocratie et autonomie locale face à un modèle de
développement imposé, au moyen de propositions
législatives adaptées,
de nouvelles relations entre les peuples au sud comme au nord,
des relations de solidarité qui rompent définitivement avec la
logique de domination et d'impérialisme.
Nous affirmons notre solidarité dans la lutte contre tous
les Grands Projets Inutiles et Imposés et notre volonté commune
de nous réapproprier notre monde.
Cette déclaration a été
élaborée par des associations et mouvements qui luttent contre la
construction de grands projets d'infrastructures (transport de personnes ou de
marchandises, production d'énergie) ou d'équipements (tourisme,
urbanisme, militaire) réunis aujourd'hui au FSM de Tunis pour unir leurs
forces et mieux faire entendre leurs voix, les problématiques
étant partout les mêmes.
Source : CAMILLE Le petit livre des grands projets
inutiles, édition Le Passager Clandestin, Neuvy-en-Champagne,
2015.
97
Annexe 2 : Extrait de « A propos du mépris de
classe sur la zad »
D'un côté, des gens bien placé.e.s dans
cette lutte qui veulent pas se reconnaître comme tel.le.s...
Commençons par celleux que nous appellerons « petit-e-s
bourgeois-e-s ». Bah, déjà, c'est beaucoup les «
anciennes squatteuses » et « anciens squatteurs », celles qui
sont là plus ou moins depuis le début du mouvement d'occupation,
ou ceux qui ont rejoint en cours de route et se sont retrouvés camarades
et potes. C'est aussi tous les liens qui ont étés
créés ici avec des gens « du coin » depuis un bout de
temps : avec les habitant.e.s de longue date, avec les autres composantes de la
lutte, plus récemment avec les nouvelles bandes de
paysan.ne.s qui passent du temps ici,
etc. C'est un peu l'image des «
bon.ne.s squatteur.euse.s » : celles
qui sont « intégrées », qui sont potes avec les
habitants d'avant les occupations, ceux qui sont considérés comme
des interlocutrices crédibles par les fameux « historiques »
de la lutte : ADECA, ACIPA, Coordination. Parmi les personnes qui se sentent
incluses dans ce « groupe », on retrouve différents
éléments (ce qui ne veut pas dire que chacune des personnes
rempli tous les critères) : plutôt des personnes issues de classes
moyennes ou intellectuelles, ayant souvent fait des études
universitaires, habituées à s'organiser en réunions
ultra-formelles, avec ordre du jour, modération, tour de parole et tout
le bordel. Tout le monde vient pas forcément de là, mais en tout
cas les gens qui se sentent à l'aise dans ce groupe sont celles qui se
sont intégrées dans ces codes. On peut mettre aussi dans ce
« groupe » les habitant.e.s de longue date, les autres composantes de
la lutte citées plus haut et plus récemment les nouvelles bandes
de
paysan.ne.s qui passent du temps ici.
Bref, des gens qui ont une grosse légitimité, due à leur
« ancienneté » ou leurs liens avec la terre parce qu'ils/elles
la travaillent (et que c'est quand même quelque chose de valorisé
dans cette lutte). Dans ce « groupe », y'a aussi pas mal de moyens
matériels, de ressources économiques : des outils, des
véhicules, de la thune, des lieux de vie avec connexion internet, des
tracteurs, des réseaux d'entraide matérielle
développés, etc. Ça peut être aussi des gens qui
viennent de classes possédantes, qui ont du patrimoine, qui peuvent
avoir la famille derrière (qui a payé des études, un
permis de conduire, qui pourra aider financièrement en cas de coup dur),
etc...
SOURCE : extrait de ZADIST, « A propos du mépris de
classe sur la zad »,
zad.nadir.org [en
ligne], le 23 juillet 2013 ; URL :
http://zad.nadir.org/spip.php?article1798.
98
Annexe 3 : Les six points contre l'aéroport :
Nous défendons ce territoire et y vivons ensemble de
diverses manières dans un riche brassage. Nous comptons y vivre encore
longtemps et il nous importe de prendre soin de ce bocage, de ses habitant-e-s,
de sa diversité, de sa flore, de sa faune et de tout ce qui s'y
partage.
Une fois le projet d'aéroport abandonné, nous
voulons :
1. Que les habitant-e-s, propriétaires ou locataires
faisant l'objet d'une procédure d'expropriation ou d'expulsion puissent
rester sur la zone et retrouver leurs droits.
2. Que les agriculteurs-ices impacté-e-s, en lutte,
ayant refusé de plier face à AGO-VINCI, puissent continuer de
cultiver librement les terres dont il-elles ont l'usage, recouvrir leurs droits
et poursuivre leurs activités dans de bonnes conditions.
3. Que les nouveaux habitant-e-s venu-e-s occuper la ZAD pour
prendre part à la lutte puissent rester sur la zone. Que ce qui s'est
construit depuis 2007 dans le mouvement d'occupation en terme
d'expérimentations agricoles hors cadres, d'habitat auto-construit ou
d'habitat léger (cabanes, caravanes, yourtes, etc), de formes de vies et
de luttes, puisse se maintenir et se poursuivre.
4. Que les terres redistribuées chaque année
par la chambre d'agriculture pour le compte d'AGO-VINCI sous la forme de baux
précaires soient prises en charge par une entité issue du
mouvement de lutte qui rassemblera toutes ses composantes. Que ce soit donc le
mouvement anti-aéroport et non les institutions habituelles qui
détermine l'usage de ces terres.
5. Que ces terres aillent à de nouvelles installations
agricoles et non agricoles, officielles ou hors cadre, et non à
l'agrandissement.
6. Que ces bases deviennent une réalité par
notre détermination collective. Et nous porterons ensemble une attention
à résoudre les éventuels conflits liés à
leurs mise en oeuvre.
Nous semons et construisons déjà un avenir sans
aéroport dans la diversité et la cohésion. C'est à
nous tout-e-s, dès aujourd'hui, de le faire fleurir et de le
défendre.
SOURCE : COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Défendre la ZAD,
L'éclat, Paris, 2014
99
Annexe 4 : Chanson No-TAV Sara Düra
Sara Dürà Ce sera dur
(sur un air traditionnel)
Succede un po' dovunque, qualcuno che decide Ça
arrive un peu partout, quelqu'un qui
décide
Di noi, della natura, come una cosa sua Pour nous, pour la
nature, comme si c'était à lui
Valsusa l'ha capito, Valsusa non ci sta. Val Susa l'a
compris, Val Susa n'est pas
d'accord.
Il treno di Lunardi veloce fa paura Le train rapide de
Lunardi fait peur
Distrugge la vallata, inquina l'aria pura Il
détruit la vallée, pollue l'air pur
Dilaga la follia di gente ingorda e distruttrice Il
propage la folie de gens avides
et destructeurs
Gridando sarà düra ! En criant ça sera
dur !
Non li vogliamo più ! Nous ne les voulons plus
!
Sul ponte del Seghino non passa il celerino, Sur le pont
de Seghino le CRS ne passe pas,
allerta Valsusino ! Se portan le trivelle Alerte,
Valsusain ! Ils amènent les foreuses
di tutta la Valsusa una barriera noi faremo De tout le Val
Susa nous ferons une barrière
Gridando sarà düra ! En criant ce sera dur
!
Non torneranno più ! Ils ne reviendront plus
!
All' 8 di dicembre, a Garda l'han giurato Le 8
décembre, ils ont juré à Garda
Alzando i fucili, i nostri partigiani, Levant les fusils,
nos résistants
E' l' 8 di dicembre, oggi si lotta come allora C'est le 8
décembre, aujourd'hui on lutte
comme hier
Gridando sarà düra ! En criant ce sera dur
!
Venaus riprenderemo ! Nous reprendrons Venaus !
Ci dicono : è il progresso ! Ils nous disent :
c'est le progrès !
Ma noi ben lo sappiamo Mais nous le savons bien
Che questa è distruzione, per sete di profitto, Que
c'est la destruction, par soif de profit,
e dalle barricate e dai presidi lotteremo ! Et sur les
barricades et dans les presidi
nous lutterons !
Gridando sarà düra ! En criant ça sera
dur !
Valsusa salveremo ! Nous sauverons le Val Susa !
SOURCE : COLLECTIF MAUVAISE TROUPE, Contrées :
histoires croisées de la
zad de Notre-Dame-des-Landes et de la lutte No TAV dans le
Val Susa, Paris, L'éclat, 2016, p.135
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