2.2 Les ethos de crédibilité
Selon P. Charaudeau, la crédibilité n'est pas
une qualité attachée à l'identité sociale du sujet
mais le résultat d'une construction opérée par le sujet
parlant de son identité discursive de telle sorte que les autres soient
conduits à le juger digne de crédit. L'homme politique doit
tenter de trouver la solution à la question : comment faire pour gagner
la confiance ? Et pour cela doit fabriquer de lui-même une image qui
correspond à cette qualité. En nous appuyant sur trois conditions
essentielles, nous avons la possibilité de juger la
crédibilité du sujet parlant. D'abord il faut vérifier si
ce qu'il dit correspond toujours à ce qu'il pense (condition de
sincérité ou de transparence), puis s'il a les moyens de mettre
en application ce qu'il annonce ou promet (condition de performance), et enfin
si ce qu'il annonce et met en application est suivi d'effet (condition
d'efficacité). Il faut préciser que ces types de condition
varient selon l'enjeu de
chaque situation de communication. A titre d'exemple, dans le
discours publicitaire, le sujet annonceur n'a point besoin de se montrer
crédible. Son objectif est de déclencher chez le consommateur
potentiel un désir de croire, celui-ci n'a pas besoin que la promesse se
réalise, il suffit qu'elle le fasse rêver. Nous pouvons
définir la crédibilité comme une capacité mettant
en évidence notre pouvoir de faire et se montrer crédible, il
s'agit de prouver que nous possédons ce pouvoir.
Suite à cette définition établie, nous
nous apercevons que dans le discours politique, la crédibilité
est fondamentale puisque l'enjeu consiste à tenter de persuader un
certain public que nous avons un certain pouvoir. Cependant, cette
crédibilité est assez complexe car il existe trois
critères, portant sur la vérification et le jugement, auxquels
elle doit être capable de répondre : condition de
sincérité qui oblige à dire la vérité ;
condition de performance qui oblige à mettre en oeuvre ce que le sujet
parlant promet ; condition d'efficacité qui doit prouver que le sujet a
les moyens d'appliquer ce qu'il promet et que les résultats sont
positifs. Pour répondre à ces conditions, l'homme politique se
sent obligé de se construire des ethos de sérieux, de vertu et de
compétence.
2.2.1 L'ethos de « sérieux »
Pour P. Charaudeau, l'ethos de « sérieux »
dépend évidemment des représentations que, dans chaque
groupe social, nous avons de ce qui est considéré comme
sérieux ou non. Il se construit à l'aide de divers indices et
notamment des indices corporels et mimiques. Par exemple une certaine raideur
dans la tenue du corps, une expression rarement souriante du visage. Le sujet
de notre démonstration - Manuel Valls, sourit rarement, il s'agit de
quelqu'un qui voudrait s'imposer, nous pouvons même affirmer qu'il est
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autoritaire. Lors de ses allocutions il prend toujours les
sujets au sérieux sans non plus sur-estimer leur importance. Il garde sa
tête haute, regarde tout droit et laisse une impression d'homme politique
qui aimerait être écouté et respecté par son
auditoire. Cet ethos se caractérise par des indices comportementaux
révélant de sang-froid face à l'adversité ; en
faisant preuve d'une grande énergie et capacité de travail, par
une omniprésence sur tous les fronts de la vie politique et sociale. Cet
ethos exige de ne pas se trouver dans des activités frivoles (choisir
bien les programmes de télévision), ne pas avoir l'air de
plaisanter constamment à propos de tout et de rien, ni prendre un ton
désinvolte dans les interviews, les rencontres de couloir, les
apartés extra-institutionnels. Des indices verbaux : un ton ferme et
mesuré, pas trop d'effets oratoires, d' « effets de manche »
qui souvent discréditent même s'ils suscitent l'admiration ; un
choix de mots simples, appropriés, et de constructions de phrases
simples ; un débit d'élocution empreint de
sérénité.
Exemple 10« La question s'adressant
très clairement à moi, je vais y répondre bien volontiers.
Je l'ai déjà dit, l'unité nationale ne doit pas
empêcher le débat et il est normal que vous me posiez toutes les
questions nécessaires pour que nous cherchions des solutions, avec
modestie toutefois car nous sommes face à des défis
considérables. C'est tout simplement ce que j'ai voulu dire
»10.
Nous constatons que le sujet parlant se sert d'un vocabulaire
simple et adapté à tous les publics. Dans cet exemple nous
retrouvons les trois critères faisant preuve d'une parfaite formulation
de réponse : brièveté, clarté et précision,
auxquels s'ajoute la simplicité. Le locuteur tient des propos
volontairement et en
10 Question au gouvernement posée par M.
Laurent Wauquiez, député (UMP) de Haute-Loire, à
l'Assemblée nationale le 21 janvier 2015
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trois phrases il arrive à exprimer son point de vue
quant à la question posée par le député Laurent
Wauquiez.
P. Charaudeau précise que cet ethos se construit
également à l'aide de déclarations faites sur
soi-même, sur l'esprit qui anime l'homme politique. Il y a cependant une
limite à cette image de sérieux pour qu'elle ne soit pas
perçue de façon négative. La limite est celle de
l'austérité. Il ne faut pas que la personne sérieuse passe
pour une personne trop austère, car elle risquerait de perdre son
capital de sympathie auprès des électeurs. Il ne faut pas non
plus que le sérieux soit interprété comme une marque de
distance, ce qui donnerait l'image contre-productive pour un homme politique -
d'une personne hautaine, froide ou prétentieuse, restant avec des yeux
fermés face aux difficultés qu'éprouvent les citoyens dans
leur vie quotidienne. Il convient également que les propos tenus lors de
diverses déclarations ne contiennent pas de promesses ou des engagements
jugés difficilement réalisables.
Exemple 11« Le peuple
Français, une fois encore, a été à la hauteur de
son histoire. Mais, c'est aussi, pour nous tous sur ces bancs, vous l'avez dit,
un message de très grande responsabilité. Etre à la
hauteur de la situation est une exigence immense. Nous devons aux
Français d'être vigilants quant aux mots que nous employons et
à l'image que nous donnons»11.
Cet exemple met en évidence que le locuteur
déclare son engagement envers le peuple et qu'il n'est pas
indifférent vis-à-vis de l'opinion commune. Le sujet parlant
soigne son image et sa réputation, il ne peut se permettre d'avoir un
comportement ridicule. Donc il garde un air sérieux en sachant qu'il
existe une distance hiérarchique entre lui et les citoyens, et d'autre
part, par le biais de ses
11 op. cit. 13 janvier 2015
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propos, il tente de leur faire comprendre que leurs
problèmes deviennent automatiquement ses problèmes.
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