Projet culturel transnational, enjeux et
perspectives.
En quoi un projet culturel pensé comme un outil
d'émancipation féminine
peut-il être le reflet d'une
vision occidentale des politiques culturelles ?
Mémoire de Master 1 « Développement Culturel
et Valorisation des Patrimoines »
Sous la direction de Anne HERTZOG, maitre de
conférences à l'Université de Cergy-Pontoise.
Composition du jury :
Anne HERTZOG, maître de conférences
à l'Université de Cergy-Pontoise Maria BASILE,
maitre de conférences à l'Université de Cergy Pontoise
Année universitaire 2013-2014
2
REMERCIEMENTS
Je remercie :
Mme Anne HERTZOG, pour m'avoir poussé sur le bon chemin et
permis de ne plus voir la géographie comme une succession de cartes,
mais comme un fabuleux moyen d'étudier et repenser l'individu.
Mme Nathalie GUISSET, pour m'avoir permis de participer à
un si beau projet culturel. Penser le théâtre au-delà des
frontières a déconstruit mes certitudes ce qui permet, je crois,
de mieux comprendre le monde.
Ainsi qu'à toutes les personnes qui m'ont reçue,
consacrée du temps, m'ont fait grandir.
3
LISTE DES SIGNES ET ACRONYMES
APD : Aide Publique au Développement
CCDH : Commission Consultative des Droits de
l'Homme
CCRE : Conseil des Communes et Régions
d'Europe
CEDEF : Convention sur l'Elimination de toutes
les formes de Discrimination à l'Egard
des Femmes
CCME : Conseil de la Communauté Marocaine
à l'Etranger
FMI : Fonds Monétaire International
FMCU : Fédération Mondiale des
Cités Unies
IDH : Indice de Développement Humain
IPF : Indice de Participation des Femmes
ISDH : Indice Sexospécifique du
Développement Humain MdFM : Maison des Femmes de
Montreuil
OMD : Objectifs du Millénaire pour le
Développement
ONU : Organisation des Nations Unies
PED : Pays En Développement
PMA : Pays les Moins Avancés
PNUD : Le Programme des Nations Unies pour le
Développement SCAC : Service de Coopération et
d'Action Culturelle français
TUE : Traité sur l'Union
Européenne
ZUS : Zone Urbaine Sensible
4
SOMMAIRE
Introduction
I) L'unification du monde et la redéfinition des
politiques culturelles
A. La mondialisation, agent de la transformation des relations
internationales
B. Relations France-Maroc : le poids du passé
C. La place des femmes, un enjeu au coeur des politiques
culturelles
II) Un projet culturel transnational comme
révélateur d'enjeux variés : « Regardons nous
grandir »
A. La compagnie théâtrale française Art dans
le Jardin : le théâtre, outil d'émancipation.
B. Le Maroc, carrefour des civilisations
C. Les politiques publiques françaises face à
l'enjeu de la conscience collective sur le territoire
III) Le paradoxe de la coopération
culturelle
A. La coopération culturelle, vectrice de
perpétuation du colonialisme ?
B. Emancipation et stigmatisation, deux notions qui se
croisent
C. La réception des publics comme outil d'analyse
Conclusion
5
« Il y a un préjugé naturel qui porte
l'homme à mépriser celui qui a été son
inférieur, longtemps encore après qu'il est devenu son
égal ; à l'inégalité réelle que produit la
fortune ou la loi, succède toujours une inégalité
imaginaire qui a sa racine dans les moeurs ; mais, chez les anciens, cet effet
secondaire de l'esclavage avait un terme. L'affranchi ressemblait si fort aux
hommes d'origine libre, qu'il devenait bientôt impossible de le
distinguer au milieu d'eux. Cela vient de ce que chez les modernes le fait
immatériel et fugitif de l'esclavage se combine de la manière la
plus funeste avec le fait matériel et permanent de la différence
de race. Le souvenir de l'esclavage déshonore la race, et
perpétue le souvenir de l'esclavage. »
Alexis de Tocqueville, De la démocratie en
Amérique
6
Introduction
En cette période de crise économique mondiale,
le budget alloué à la culture en France est de plus en plus
diminué. Pourtant, l'Etat lance régulièrement des appels
à projets, notamment dans le domaine théâtral, poussant les
compagnies à mettre en place des projets culturels à destination
des pays les plus pauvres. La solidarité internationale et la culture se
retrouvent ainsi liées l'une à l'autre et doivent répondre
à un enjeu commun, qui revient souvent à une volonté
d'émanciper les populations dites « fragiles ». Quelles sont
les motivations qui poussent les acteurs politiques à mettre en place
des projets internationaux ? Pourquoi un pays mettrait il des actions en place
afin d'en aider d'autres, au lieu de régler les problèmes qu'il
rencontre sur son territoire ? D'où vient cet attrait pour l'ailleurs ?
Ces questions sont régulièrement mises en avant par
l'actualité culturelle. Dans le domaine théâtral, de
nombreux appels à projets sont lancés pour mettre en place des
projets culturels transnationaux, les compagnies théâtrales
implantées dans des Zones Urbaines Sensibles reçoivent des
subventions qui se voient presque doublées si des actions sont
menées à l'étranger. Il semble intéressant de
s'interroger sur les enjeux et attentes des commanditaires, des
exécuteurs (compagnies théâtrales) et des récepteurs
(publics) afin de tenter de comprendre cet engouement pour la culture
utilisée comme outil d'émancipation.
Le stage obligatoire réalisé au cours du Master
1 DCVP a été l'occasion de se confronter à ces questions
puisqu'il a eu lieu au sein d'une compagnie théâtrale de
Montreuil. Celle-ci, en pleine préparation d'une action culturelle
franco-marocaine censée développer le pays maghrébin en
termes d'outils de communication, s'est vue être
réinterprétée par la compagnie qui a décidé
d'ajouter l'objectif de l'émancipation féminine au projet. Ce
terrain d'étude semblait donc être particulièrement
prolifique en cela qu'il recelait de problématiques complexes. En quoi
un projet transnational entre le Maroc et la France peut-il concerner la place
de la femme dans le Royaume ? Quels sont les enjeux
7
français au coeur de ce type d'action ? En quoi les
rapports entre ces deux pays nécessitent ils une entraide ? Finalement,
en quoi un projet culturel pensé comme un outil d'émancipation
féminine peut-il être le reflet d'une vision occidentale des
politiques culturelles ?
Cette dernière question semble particulièrement
intéressante en cela qu'elle nécessite d'aborder des
thèmes ancrés dans l'actualité comme les relations
Nord-Sud, la mondialisation ou encore la culture comme outil. La bibliographie
consacrée à la matière, notamment les conclusions de
Pascal Blanchard1, orientait la méthodologie vers
l'exploitation de sources directes. Cependant, l'étendue du sujet a
également nécessité la réalisation d'entretiens
semi-directifs ainsi qu'une enquête de terrain.
Intitulé "Projet culturel transnational : enjeux et
perspectives", ce mémoire tend à démontrer que dans
un projet culturel transnational, le rapport de coopération classique
est souvent réinterprétée par les acteurs culturels. La
vision que les acteurs de la coopération construisent du Maroc renvoie
à deux registres distincts de l'« Autre ». Ce terme, plusieurs
fois utilisé dans le mémoire, gagnerait à être
définit dès maintenant. Tout d'abord, l'Autre est celui
vis-à-vis duquel on se singularise, par opposition auquel on se
construit soi et son identité. L'Autre renvoie également à
celui qui n'appartient pas au même rivage de la
Méditerranée, il est celui auquel l'action de coopération
est destinée et à partir duquel elle se construit. C'est la
vision de cet Autre là que nous allons évoquer.
Après une première partie relativement
théorique consacrée à l'étude de la mondialisation
et à ses conséquences potentielles dans la redéfinition
des politiques culturelles, la deuxième partie s'axera sur
l'étude d'un projet culturel transnational spécifique. Il s'agira
d'analyser les enjeux au coeur du projet en adoptant un point de vue
transnational (celui des acteurs). Enfin, on s'interrogera dans une
dernière partie sur l'impact généré par la
réception des publics sur le projet au coeur de notre étude.
1 Pascal Blanchard, La fracture coloniale, la
société française au prisme de l'héritage
colonial, La Découverte, 2005
8
I) L'unification du monde et sa redéfinition des
politiques culturelles
A. La mondialisation, agent de la transformation des
relations internationales
Au cours des dernières décennies, les
frontières marquant la société internationale ont subi des
transformations importantes. La disparition de l'empire soviétique et la
fin de la Guerre froide ont entrainé des reconfigurations territoriales,
politiques et idéologiques à vaste ampleur, affectant tous les
États. La mondialisation - définie dans le Petit Robert 2013
comme étant un phénomène d'ouverture des économies
nationales sur un marché mondial libéral, lié aux
progrès des communications et à la libéralisation des
échanges - entraine une interdépendance croissante des pays.
Les années 1980, voyant les repères de l'ancien
ordre mondial bouleversé, ont été synonymes de profondes
ruptures. La mondialisation et la montée en puissance du
libéralisme ont transformé radicalement les relations
économiques internationales et ont eu d'importantes conséquences
sur la vie économique et sociale de tous les pays du monde. Le
développement des échanges internationaux de biens et de services
a provoqué un développement de l'économie de marché
au niveau mondial. Aucun pays ne peut vivre en autarcie, l'ouverture vers
l'extérieur, même minimale, impose un certain degré
d'acceptation des principes de l'économie de marché. La crise,
douloureuse pour les pays riches, est encore plus violemment ressentie par les
pays les plus pauvres.
1. Souffrance et dépendance des pays du Sud
Le terme « pays du Sud » désigne les pays
dits « pauvres », en général situés dans la
partie sud des continents émergés. Les PMA (Pays les Moins
Avancés) sont particulièrement visés par cette appellation
et tendent à lui donner plus de sens puisque géographiquement,
des pays situés au Sud peuvent bénéficier d'une richesse
économique relativement importante, ce qui rend l'expression paradoxale.
Crée en 1971 par l'Organisation des Nations Unies, la catégorie
PMA désigne donc les Etats présentant les indices de
développement humain (IDH) les plus faibles qui obtiennent ainsi une
attention
9
particulière de la part de la communauté
internationale. La mondialisation est souvent résumée comme
opposant les pays du « Nord » et ceux du « Sud », les
seconds tentant de rattraper les premiers d'un point de vue
économique.
Les pays occidentaux, sur lesquels le modèle de
mondialisation qui se développe aujourd'hui est basé, viennent en
aide aux pays les plus pauvres en mettant en place des mécanismes de
coopération auprès d'eux. Les Objectifs du Millénaire pour
le Développement (OMD) en sont une manifestation. Cette
coopération internationale repose sur l'adoption par 183 Etats membres
de l'ONU et 23 organisations internationales, de huit objectifs relevant de
grands enjeux humanitaires. Adoptés à New York lors de
l'année 2000, ces enjeux devaient être atteints à l'aube de
l'année 2015, date butoir qui ne sera finalement pas respectée.
Au-delà de cette difficulté rencontrée par les pays afin
de faire respecter ces objectifs, il semble intéressant de relever
l'effort mondial réalisé dans la lutte contre les
disparités et pour la promotion du respect des droits humains.
Un autre exemple d'action mise en oeuvre par les pays
développés au bénéfice des Pays En
Développement (PED) est l'Aide Publique au Développement (APD).
Elle correspond aux dons et prêts à des conditions
préférentielles accordées aux PED par le secteur public
des pays du « Nord ». Cette aide, composée de dons financiers
ou en nature, peut être bilatérale (d'État à
État) ou multilatérale (accordée par les organisations
internationales comme le Fonds Monétaire International - FMI - ou la
Banque mondiale). Permettant aux pays pauvres de financer une partie de leur
développement, cette aide peut être considérée comme
faisant partie des biens publics internationaux car elle a pour but
l'amélioration du bien-être collectif mondial.
En tentant de réguler les effets inéquitables de
la mondialisation, les États semblent tenter de penser le monde de
manière collective et humaine, ce qui peut sembler paradoxal au sein
même d'un système mondial basé uniquement sur une dimension
économique. Les effets et conséquences de la mondialisation
auraient-ils finalement dépassé les frontières du
matérialisme qui lui sont accolées ? Jusqu'où peut se
jouer cette internationalisation propre à notre ère ? La
mondialisation peut-elle redéfinir d'autres domaines, s'infiltrer dans
les modes de penser et de vivre au sein d'une culture singulière ?
10
2. La mondialisation culturelle
La mondialisation culturelle implique l'émergence d'une
culture mondiale issue de la symbiose des cultures nationales : les contacts
prolongés entre cultures différentes provoquent une acculturation
des peuples concernés, c'est-à-dire des changements culturels au
sein des sociétés en contact. La culture mondiale peut être
une culture nouvelle ou celle d'un pays dominant ou encore celle d'un groupe de
pays dominants (les pays occidentaux). On assiste à une
occidentalisation du monde qui, quelles qu'en soient les modalités,
aboutit à une uniformisation. Les identités nationales tendent
à s'effacer et à laisser la place à une forme
d'homogénéisation des cultures. Cette théorie a
été mise en avant par Claude Lévi-Strauss dès les
années 1980, qui soutenait que « l'humanité s'installe
dans la monoculture ; elle s'apprête à produire la civilisation de
masse comme la betterave. Son ordinaire ne comportera pas plus qu'un plat
»2. La mondialisation et son uniformisation culturelle
aurait donc un lien direct avec les politiques culturelles qui seraient mises
à son service.
En France, les politiques culturelles, portées par les
pouvoirs publics, occupent une place importante par rapport à la
majorité des pays. Elles trouvent leur légitimation au sein de
trois textes fondateurs de l'intervention publique en matière culturelle
qui semblent également être révélateurs de la
façon dont la politique internationale a touché les politiques
culturelles françaises.
Tout d'abord, le préambule de la Constitution qui, en
1946, déclare que « la Nation garantit l'égal
accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, la formation
professionnelle et à la culture 3», fait de
l'État le garant de la culture française sans s'appesantir des
autres cultures. Cette vision nous permet de définir la culture comme
étant l'ensemble des aspects intellectuels, artistiques et des
idéologies d'une civilisation.
En 1959, André Malraux alors nommé «
ministre d'État, chargé des affaires culturelles », en
créant le ministère de la Culture, rédigea un
décret relatif aux attributions du ministre chargé de la Culture
dans lequel il lui donna pour mission de « rendre accessibles au
plus
2 Claude Lévi-Strauss, Tristes
Tropiques, éd. Pocket, 2001, p.37
3 La Constitution est consultable en ligne sur le
site officiel de l'Assemblée Nationale, Préambule,
http://www.assemblee-nationale.fr/connaissance/constitution.asp
11
grand nombre les oeuvres capitales de l'humanité,
et d'abord de la France4 ». L'idée de la
préservation de la culture française reste donc centrale mais
celle-ci se voit rejointe par les autres faits culturels marquants mondiaux. Le
traité de Maastricht sur l'Union Européenne (TUE) élargira
cette vision en 1992 en énonçant la nécessité de
« réaliser des actions d'encouragement destinées, dans
le respect de la diversité nationale et régionale, et en
rappelant l'héritage culturel commun, à appuyer et à
compléter les actions des États membres5 ».
Les enjeux de ce traité, du point de vue de la culture, semblent donc
allier protection, création et respect des cultures, démarche
représentative de l'évolution du monde moderne au rythme de la
mondialisation. Parallèlement à cette évolution des
regards, la politique de décentralisation menée en France dans
les années 80 a tenté de répondre aux problèmes
posés par le déséquilibrage des territoires
français en développant une politique partenariale entre
l'État et les collectivités territoriales. Soucieuses d'aller
à la rencontre des habitants, les politiques culturelles sont venues
concrètement à eux. La culture aurait été
utilisée comme un outil permettant de s'ouvrir à l'Autre afin de
créer un lien plus que jamais nécessaire au bon fonctionnement
national. Il semble donc cohérent de reporter cette attitude à la
mondialisation et de repenser ses effets. L'idée qu'une
collectivité humaine puisse adopter la culture d'autres
collectivités et ainsi abandonner ses propres traits culturels (il
s'agit du principe d'assimilation) peut certes s'avérer être un
risque encouru, mais ne semble pas forcément être un passage
obligé. En effet, emprunter certains traits culturels en les adaptant
à sa propre culture, qui de ce fait ne disparait pas, peut être un
signe d'évolution. L'individu serait alors un bâtisseur de sa
propre culture, faite d'emprunts culturels multiples et diversifiés aux
autres sociétés, que la mondialisation faciliterait. Celle-ci
n'impliquerait pas nécessairement la convergence des pays vers un
même modèle de société et pourrait même
s'avérer utile pour lutter contre un nationalisme grandissant qui
gangrène les Etats.
4 Décret n°59-889 du 24 juillet 1959
disponible sur le site
Legifrance.gouv.fr
http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000299564
5 Article 128 (devenu l'article 151) datant du 7
février 1992, consultable sur le site du Sénat :
http://www.senat.fr/rap/r00-213/r00-2130.html
12
3. Le transnational, une barrière au nationalisme
?
Le nationalisme, doctrine qui différencie les individus
sur la base de leur nationalité, semble s'être renforcé
avec l'arrivée de la mondialisation. En effet, si la bipolarisation
favorisait une cohésion à l'intérieur de chaque bloc
(Est-Ouest), la fin du conflit central a libéré les ambitions de
pays jusqu'alors soumis à un des deux grands. Leur volonté
d'échapper aux contraintes qu'ils s'étaient imposés en
temps de crise serait responsable de la multiplication des conflits locaux
selon S. P. Huntington6 pour qui les ruptures dans le système
international entraîneraient des réactions de repli sur soi
identitaires. Face aux changements socio-économiques, l'identité
serait alors ressentie comme le seul fondement inflexible d'un groupe affirmant
sa place dans un monde en mouvement. Ces dynamiques entraineraient une
radicalisation et réactiveraient des peurs fantasmagoriques. De part et
d'autre de la Méditerranée surgiraient des dynamiques visant
à construire l'Autre comme ennemi.
Selon S.P. Huntington, la première perception
négative que les pays du Nord construisent à propos des pays du
Sud est le « sentiment populaire ». La crise économique, les
changements de repères dus aux transformations mondiales et ce qu'ils
induisent en termes de questionnement, voire de remise en cause du
modèle d'intégration, ainsi que de la présence dans les
pays du Nord d'une importante population d'origine immigrée sont autant
d'éléments qui poussent l'opinion publique à une lecture
« culturelle » des difficultés liées à
l'immigration aujourd'hui. Ces lectures fantasmagoriques sont reprises et
entretenues par un discours politique, qui forme le deuxième registre de
perception négative. En se proclamant défenseur des idées
nationales, le Front National s'est ainsi saisi de la question de l'immigration
depuis 1976, ce qui, selon S. P. Huntington, pourrait diviser l'humanité
tout entière car « les grandes causes de division de
l'humanité et les principales sources de conflits seront culturelles.
Les Etats nations continueront à jouer leur premier rôle dans les
affaires internationales, mais les principaux conflits politiques mondiaux
mettront aux prises des nations et des groupes appartenant à des
civilisations
6 Samuel Philips Huntington, « The Clash of
Civilizations », Foreign affairs, 1993
13
différentes. Le choc des civilisations dominera la
politique mondiale. Les lignes de fractures entre civilisations seront les
lignes de front de l'avenir »7.
Comment contrer cet inexorable glissement du monde vers le
repli identitaire ? Les relations internationales, renvoyant aux rapports entre
les États-nation reconnus comme souverains par la communauté
internationale, ne semblent être d'aucun secours dans la pacification du
monde puisqu'elles excluent tout un pan de celui-ci. Elles font résider
l'Autre au-delà des frontières alors que la situation
géopolitique et économique mondial nous pousse actuellement
à constater qu'il est partout présent dans la
société qui l'héberge. Une solution pour éviter ce
danger, si l'on en croit Daniel Tremblay8, serait le transnational
et les rapports qui en découlent. L'expression « relations
transnationales » renvoie aux « interactions
transfrontalières qui se produisent sur une base régulière
entre des acteurs dont au moins un n'est pas un État ou n'agit pas au
nom d'un État »9. Selon cette thèse, la
cohabitation des acteurs mondiaux ne devrait pas se limiter à une
observation passagère, mais aboutir à des rencontres
régulières permettant de créer un partenariat, une
coopération continue. Ces relations, tissées entre les acteurs de
la scène internationale, en échappant au contrôle des
États, seraient alors susceptibles d'échapper à leur
influence et ainsi de supporter des projets porteurs d'un impact plus
spécifique et fonctionnel.
B. Relations France-Maroc : le poids du passé
1. Le traumatisme de la colonisation
Le colonialisme désigne un « processus par
lequel les grandes puissances européennes imposèrent leur emprise
sur le reste du monde. Aucun continent n'a échappé entre le
XVème et le XXème siècle, à cette dynamique
historique poussant les États à s'emparer par la force et
à s'implanter sur des territoires auxquels ils imposent leur
domination
7 Ibid. p.82
8 Daniel Tremblay, Un monde transnational est
possible : Mutation des frontières internationales. L'Harmattan,
2010
9 Ibid. p.261
14
politique, économique et idéologique
10». Cette notion est au coeur des relations entretenues
entre la France et le Maroc. Il semble important de la mettre en
évidence et de la comprendre car elle est à l'origine de la
plupart des liens entretenus par les pays par la suite.
Le 30 mars 1912 était signé à Fez le
Traité de Protectorat qui allait être abrogé 44 ans plus
tard, le 2 mars 1956. Ce régime politique mis en place entre la
Troisième République française et Moulay Hafid, sultan
marocain, a fait de ce dernier un élément symbolique pour le pays
et du pouvoir exécutif le représentant de la France. Cette
situation coloniale a créé un essor économique marocain
considérable mais également un sort drastique fait d'oppressions
et d'exploitation pour la population.
Face à la volonté de la France d'implanter sa
propre administration sur les terres marocaines et de diviser les populations
arabes et berbères, une agitation nationaliste a été
déclenchée avec la guerre du Rif organisée par Mohamed ben
Abdelkrim El Khattabi. La défaite française de 1940, l'occupation
anglo-américaine de l'Afrique du Nord à partir de 1942, ont
affaibli le prestige de la France et favorisé la création d'un
parti nationaliste qui a réclamé l'indépendance, le
Mouvement National Marocain (MNM). Après vingt ans de bataille contre
ses colonisateurs, l'indépendance marocaine a été
remportée. Ce fut l'une des plus courtes expériences de
colonisation de l'histoire, d'un point de vue culturel et idéologique,
le Maroc a été le moins touché des trois pays
maghrébins. Cependant celle-ci a marqué à jamais le cours
de l'histoire contemporaine du Maroc, le liant définitivement avec son
colonisateur, l'État Français.
La Déclaration de la Celle Saint Cloud, signée
le 6 novembre 1955 entre la France et le Maroc a fait apparaitre, pour la
première fois dans le lexique français de la
décolonisation, la notion « d'indépendance ». L'absence
de référence au texte du traité de Fès, qui
scellait le protectorat, renforçait la notion, toutefois assortie du
terme « interdépendance » : « l'indépendance dans
l'interdépendance ». L'expression fut placée au coeur des
négociations pour la décolonisation mais son contenu
évolua jusqu'à disparaitre au profit de la notion nouvelle de
« coopération ».
10 Définition extraite du Dictionnaire
des relations internationales de 1945 à nos jours, Frank Attar, Ed.
du Seuil, 2009
15
2. La coopération culturelle comme tentative de
réconciliation
La coopération qui s'est mise en place au lendemain des
indépendances a été rendue possible par l'évolution
des rapports internationaux. Elle est le produit de la mutation des rapports
entre la France et son ancienne colonie. Après l'indépendance, le
Maroc a mené une politique extérieure ambigüe, recherchant
un équilibre entre un positionnement en faveur de l'Occident et un
engagement plus revendicatif. Partisan de la double culture (bilinguisme),
l'ambition du Maroc était de se situer en l'Occident et l'Orient.
Soucieux de parfaire son indépendance politique par une
élimination des contraintes et de dépendances économiques,
le Maroc a accepté la politique de coopération technique et
culturelle. La pauvreté a été un champ de lutte
prioritaire pour les pouvoirs car celle-ci était
considérée comme la plus grave des humiliations parce qu'elle
place les nations en position de faiblesse. Il a donc été
question d'accepter une forme de dépendance pour en résorber une
autre ce qui fut et est toujours une source de tensions que Mongo Beti
dénonce dans son travail de recherche. « C'est-à-dire
que l'Afrique n'a pas plus choisi la coopération franco africaine,
fondée sur de prétendus liens spéciaux, qu'elle n'avait
choisi la colonisation jadis ; elle lui a été imposé dans
l'environnement schizophrénique de la guerre froide.11
» Un paradoxe semble effectivement être soulevé puisque le
mot « coopération », dérivé du latin «
co-operare » signifiant oeuvrer, travailler ensemble, est
censé renvoyer à un rapport au sein duquel les individus
conduisent leurs relations et leurs échanges d'une manière non
conflictuelle ou non concurrentielle. Si les objectifs du Maroc étaient
de combattre la pauvreté et de mettre l'accent sur le système
scolaire, perçu comme l'instrument clé de transformation des
sociétés, l'enjeu final restait le même que durant la
colonisation, la quête de l'indépendance.
Du côté français, toute la sphère
politique était mobilisée afin d'atteindre les objectifs de
développement des « pays du champ » (c'est-à-dire les
pays ayant acquis leur indépendance dans le cadre de la
décolonisation) lancés par le général De Gaulle qui
créa en 1959 le ministère de Coopération (fusionné
avec le ministère des Affaires Etrangères en 1999). Quatre
cercles interviennent dans le processus d'élaboration de la politique
publique de coopération. Celui par lequel tous les décisionnaires
transitent, le Président de la République, son cabinet, le
ministère des Finances ; l'ensemble des administrations
11 Mongo Beti, La France contre l'Afrique.
Ed. La Découverte, 2006, p.151
16
sectorielles qui interviennent lorsque leur secteur est
concerné ; les partenaires extérieurs de l' État :
syndicats, organisations professionnelles, associations, entreprises publiques
et privées ; et l'ensemble des organes politiques (Parlement),
juridictionnel (Conseil Constitutionnel, Conseil d'Etat, Cour des Comptes) qui
peuvent intervenir dans la décision.
La coopération entre collectivités territoriales
marocaines (communes, communautés urbaines, provinces et régions)
et collectivités françaises (villes, départements,
régions et structures intercommunales) est également mise en
place via le Service de Coopération et d'Action Culturelle (SCAC) de
l'ambassade de France qui élabore et conduit la politique de
coopération culturelle et d'aide au développement. Le SCAC a pour
mission de soutenir la conception, l'étude et la réalisation de
projets de coopération entre la France et le Maroc. Ses domaines
d'intervention sont la culture et la langue, l'université et la
recherche, la technique et la gouvernance et l'enseignement français.
Cette coopération est également entachée du sentiment amer
exprimé entre autre par Mongo Béti, d'être politiquement
intéressée. Dans son livre, il remet en cause le fait que
l'Afrique ait véritablement eu besoin d'être aidée et
dénonce les politiques françaises qui créeraient des
actions dites de développement sans se soucier des valeurs humaines mais
en souhaitant s'imposer sur l'échiquier politique international, ayant
perdu le statut de colonisateur. « Au commencement était le
politique, non le développement. Le développement a fort peu
mobilisé les esprits de la coopération francophone
institutionnelle jusqu'à ce que, vers la fin des années
quatre-vingt, la protestation contre la misère des africains,
scandaleuse dans un monde où l'enrichissement des peuples semble un
phénomène normal, commence à gronder de partout à
travers la planète, obligeant enfin Paris à inventer à la
hâte une doctrine qu'il n'avait jamais eu »12.
Comment unifier le monde moderne lorsque les pays
entretiennent entre eux un tel rapport dominé/dominant ? Le poids du
passé peut-il se voir alléger par de nouvelles politiques d'aides
ou sera-t-il définitivement au coeur de toutes les actions, les rendant
ainsi inutiles ? La France semble avoir choisi le parti pris des tentatives de
réconciliation politique en tentant de mettre en place des
coopérations décentralisées basées non plus sur une
aide unilatérale mais sur des échanges de savoir-faire, comme le
jumelage.
12 Mongo Beti, La France contre l'Afrique. Ed. La
Découverte, 2006, p.171
17
3. Le jumelage, entre échange et
compréhension de l'Autre.
Le principe du jumelage entre communes de deux États
différents s'est répandu au sortir de la seconde guerre mondiale.
Il s'agissait alors de sceller la paix entre la France et l'Allemagne «
par le bas », en créant suffisamment de liens entre les
populations. Les premiers partenariats avec des communes du Sud sont apparus
dans les années 1970, dans un contexte de tiers-mondialisme et de
non-alignement. Encouragés par la Fédération Mondiale des
Cités Unies (FMCU), association de 1400 collectivités locales,
réparties dans plus de 80 pays depuis 1957, les jumelages sont
présentés comme un moyen de progresser vers des relations
internationales apaisées. En 1997, les Assises du développement
et de la solidarité internationale font mention du concept de «
coopération de société à société
» pour définir le jumelage, faisant de la coopération une
affaire plus uniquement propre à l'État.
Concrètement, l'idée d'un jumelage peut avoir
plusieurs origines. Cela peut être la municipalité avec un maire
ayant sondé son conseil municipal sur l'opportunité d'un jumelage
ou un groupe d'habitants, ou encore une association à l'origine d'un
projet de ce type. Ensuite, un certain nombre de points communs doivent exister
entre les futures communes pour procéder à un jumelage. La taille
de la commune est importante, le nombre d'habitants devant être
sensiblement équivalent puisque les échanges nécessitent
la réciprocité des capacités d'accueil. Le type de commune
(rurale, urbaine, semi-urbaine) et le tissu sociologique-économique et
associatif sont également importants car le jumelage sert à
apaiser ou prévenir des tensions qui sont susceptibles
d'apparaître entre les communes et de créer du lien social
auprès des populations à travers des échanges
socioculturels.
L'idée que les jumelages constituent un moyen vital
d'amener l'Europe aux citoyens par-delà les frontières
nationales, un moyen d'ériger une Europe unie et pacifique avec
l'approbation de sa population, est entre autre défendue par le Conseil
des communes et régions d'Europe (CCRE). Cette association à but
non lucratif considère que renforcer la contribution des
collectivités locales et régionales en influençant les
politiques communautaires est le moyen majeur pour influencer l'avenir mondial.
Fin 2008, le CCRE a lancé un nouveau site sur les jumelages qui
constitue un lieu de rencontre virtuel en plus de vingt langues pour les
collectivités locales. Le Maroc a accepté le jumelage avec
18
la France. Plus de quarante jumelages s'effectuent
actuellement dans le cadre de la coopération décentralisée
franco-marocaine, s'étendant à différents domaines
(économie, agriculture, aménagement urbain, gestion de l'eau,
transport, éducation, culture, ...).
Si la mondialisation et le poids du passé ont
bouleversé les relations internationales et transnationales en faisant
de l'espace mondial un théâtre de la réconciliation, il est
intéressant de s'interroger sur l'enjeu plus spécifique
soulevé par ces actions. En effet, coopérer avec l'autre, se
jumeler pour créer du lien, ne semble pouvoir s'envisager sans partager
des valeurs similaires. Depuis la dernière décennie, il semble
que la place de la femme soit un de ces enjeux, tant d'un point de vue mondial
que national.
C. La place des femmes, un enjeu au coeur des
politiques culturelles
1. Etat des lieux mondial de la condition
féminine
En abordant la question de la condition féminine, il
s'agit de s'intéresser aux relations entretenues entre les femmes dans
la société - les valeurs et les exigences spécifiques que
cette dernière leur impose ou propose - et les conséquences qui
en résultent.
Plusieurs indicateurs existent afin d'analyser la place des
femmes dans l'organisation sociale, ceux-ci permettant de mettre en avant le
fait qu'elles sont mondialement plus touchées que les hommes par les
problèmes de développement. Le Programme des Nations unies pour
le développement (PNUD), programme de fonds de l'ONU qui a pour
rôle d'aider les pays en développement en leur fournissant des
conseils, a mis en place deux Indices de Développement Humain (IDH).
L'Indicateur Sexo-Spécifique de Développement Humain (ISDH) et le
l'Indicateur de la Participation des Femmes (IPF). Le premier, l'ISDH, mesure
le niveau moyen atteint par chaque pays, l'ISDH corrige le résultat du
niveau moyen de l'IDH en le recalculant pour les deux sexes
séparément, de façon à refléter les
inégalités sociologiques entre femmes et hommes. Quant à
l'IPF, il mesure la représentation relative des femmes au niveau du
pouvoir économique et politique. Ces indicateurs permettent
d'établir un état des lieux de la condition féminine
ancré dans le présent, mais également d'analyser les
évolutions ou régressions ayant eu lieu.
19
Il semble que la condition féminine se soit grandement
améliorée sur bien des points depuis 1986 (date de la
première édition de l'Atlas)13. En tête de ces
progrès, l'alphabétisation des femmes et des filles et leur
scolarisation, l'acquisition du droit de vote, du droit de travailler et la
signature par de nombreux gouvernements de traités internationaux visant
à l'amélioration des droits de la femme. Cependant, les
résultats nous emmènent à constater que le monde reste
divisé. En effet, le fossé entre pays riches et pays pauvres
amplifié par la mondialisation s'est encore creusé et plus de
femmes et d'hommes vivent aujourd'hui dans la misère qu'il y a dix ans,
les femmes restant les plus pauvres d'entre les pauvres. Les politiques
d'ajustements structurels imposées par les pays riches ont plongé
les pays les plus démunis dans des crises sociales et économiques
au sein desquelles les femmes sont en première ligne. Afghanistan,
Bosnie ou Rwanda, pour ne citer qu'eux, ont été laminés
par des guerres qui lèguent aux populations des conditions de vie
difficiles. Les femmes souffrent dans ces conflits des viols en nombre, de la
permanente remise en cause de leurs droits, des problèmes de vie
quotidienne, du poids d'un intégrisme religieux, le tout reposant sur
l'hypothèse patriarcale selon laquelle il appartiendrait à
l'homme de contrôler la femme. Cependant, la plupart des gouvernements du
monde se sont engagés, au moins en principe, à respecter
l'égalité entre hommes et femmes. La Convention pour
l'élimination de toutes formes de discrimination à l'égard
des femmes (CEDEF) adoptée par les Nations unies en 1979 est
entrée en vigueur en 1981. Elle est le résultat d'années
de luttes menées par les femmes (mais aussi par des hommes). C'est la
Conférence internationale des Femmes des Nations unies tenue à
Mexico en 1975 qui a donné l'impulsion nécessaire à
l'établissement de cette convention. Elle constitue un jeu de normes et
de principes universels destinés à servir de
références aux politiques nationales : à long terme, il
s'agit d'éliminer toute discrimination sexuelle. La question de
l'égalité des sexes et de l'autonomisation des femmes fait
également partie des objectifs de l'OMD de l'ONU (objectif numéro
trois).
Si le monde semble rester un espace de danger et
d'inégalités pour les femmes, une nouvelle dynamique globale
tente d'y remédier afin de lutter contre des disparités ne
répondant pas à l'idée générale
d'uniformisation nécessaire au bon fonctionnement du monde. La
dichotomie pays du Nord et pays du Sud semble une fois de plus être mise
en lumière à travers cet enjeu de sociétés. En
effet, les lois et décrets ayant un impact mondial
13 Joni Seager, Atlas des femmes dans le
monde, Editions Autrement, 2013
20
sont édités par les pays du Nord en
général à destination des pays plus pauvres. Cette
situation trouve-t-elle sa légitimation dans le fait que les pays riches
ont un impact planétaire que les autres n'ont pas, leur permettant de
faire évoluer l'histoire mondiale ? L'égalité entre les
hommes et les femmes doit-elle légitimement être réduite
autour d'un point de vue (celui des pays du Nord) afin de faire marcher le
monde dans la même direction ? Quelle marge de manoeuvre reste-t-il aux
pays plus pauvres afin de trouver par eux-mêmes des solutions qu'ils
auraient choisies et mises en place ?
Ces interrogations semblent attendre une réponse qu'il
est possible de trouver en se centrant sur deux pays au sein desquels la place
des femmes est centrale dans les enjeux politiques, le Maroc et la France. Il
ne s'agira pas d'effectuer une comparaison, mais d'observer des fonctionnements
et les différences qui en résultent.
2. La place des femmes au Maroc
Au Maroc, les avancées concernant
l'égalité hommes-femmes sont réelles, et sont notamment
dues au mouvement réformiste (Nahda) porté par les mouvements
féministes depuis la fin des années cinquante et surtout
quatre-vingt-dix. La stratégie mise en place semble être celle des
« petits pas », dans la conscience de ce qui est socialement et
politiquement envisageable de demander, et qui pourrait se résumer ainsi
: « oui à l'école et au travail, oui mais à
l'évolution de la famille, non au bouleversement des rôles sexuels
entre hommes et femmes ».
Les avancées concernant l'émancipation
féminine au Maroc sont indéniables, depuis les ouvrages
écrits dans les années soixante-dix par Germaine Tillon et Pierre
Bourdieu : la scolarisation est obligatoire pour les filles comme pour les
garçons depuis 1963 au Maroc et les filles sont désormais plus
nombreuses que les garçons à obtenir le baccalauréat. Au
Maroc, l'âge du mariage moyen a reculé, et le nombre d'enfants par
femme est estimé à 2,20 en 2012. La scolarisation, l'urbanisme,
l'extension du salariat, mais également la dégradation de la
situation économique, qui rend de plus en plus nécessaire
l'apport d'un deuxième salaire, influent également sur
l'évolution de la condition féminine, notamment en leur donnant
accès au monde du travail.
21
Néanmoins, l'évolution générale
masque les disparités entre ville et campagne, tant en matière de
scolarisation que de taux d'activité féminine. Au Maroc, selon le
Haut-Commissariat au Plan, le taux d'activité féminin est de
26,6% et de 75,9%14 pour les hommes. Si on peut se poser la question
de la déclaration du travail effectué, qui irait dans le sens
d'une sous-estimation par les chiffres officiels de l'activité
féminine, néanmoins, ces chiffres sont là pour nous garder
de la généralisation à partir du seul cas des femmes
diplômées, urbaines, et de milieu favorisé.
L'examen des textes de loi qui régissent le statut des
femmes au Maroc n'est guère encourageant au sujet des marges de
manoeuvres des femmes. La modernisation en 2004 de la Moudawana (code de la
famille) passe pour la réforme phare du règne de Mohammed VI, et
témoigne de la difficulté à composer avec la charia : sans
être interdite, la polygamie est rendue impossible. La
responsabilité parentale est partagée. Les droits et devoirs des
époux deviennent réciproques, l'âge du mariage porté
pour les deux sexes à 18 ans. La répudiation ne disparait pas,
mais est soumise au contrôle judiciaire. Le divorce judiciaire peut
être demandé par les deux époux. La répartition des
biens après le mariage n'est plus soumise à la possession des
titres de propriété par l'épouse, etc. Mais
l'héritage reste inéquitable (la fille ayant droit à une
demi-part par rapport au garçon). Il y a par ailleurs loin de la loi
à la règle : si l'âge du mariage au Maroc est fixé
à 18 ans, en 2007, les juges de la famille ont accepté plus de
85% des demandes précoces.
Le 10 février dernier, le gouvernement marocain a
permis la levée des réserves exprimées à la
Convention sur l'élimination de toutes les formes de discriminations
à l'égard des femmes (CEDAW). En résumé, cela veut
dire que ce gouvernement va modifier sa législation nationale et va
ainsi faire un pas de plus vers l'égalité juridique des femmes au
Maroc.
3. La France et l'histoire des rapports sociaux de
sexe, de nouveaux enjeux
En France, on a longtemps employé l'expression «
l'histoire des femmes » pour désigner le champ historique qui met
en oeuvre une analyse sexuée des phénomènes historiques.
On
14 Chiffres datant de 2012 trouvés sur le site
du Haut-Commissariat au Plan. http://www.hcp.ma/
22
parle aujourd'hui plutôt de « l'histoire du genre
» ou de « l'histoire des rapports sociaux de sexe » que de
« l'histoire des femmes » car cette expression semble trop
réductrice15.
Le concept de gender qui est défini comme un
élément constitutif des rapports sociaux fondés sur les
différences perçues entre les sexes est lié aux travaux
des historiens et sociologues américains des années 1970. Il
s'agirait de considérer la différence des sexes comme un produit
de la culture et de l'histoire qu'il faudrait remettre en question. Suite
à cette prise de conscience, la recherche historique a fait
évolué la société française avec pour
conséquence une prise en compte institutionnelle. Trois textes
l'attestent, le premier étant la loi d'orientation du 10 juillet 1989
qui précise que le service public de l'Education doit contribuer
à favoriser l'égalité entre les hommes et les femmes. En
2000, la Convention pour la promotion de l'égalité des chances
entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le
système éducatif, insiste sur la nécessité de
mettre un terme à une orientation stéréotypée. Puis
en 2005, la loi d'orientation pour l'avenir de l'École consacre un titre
à la promotion de l'égalité entre les filles et les
garçons.
Le gouvernement français semble donc avoir pris
position afin de mettre en oeuvre un système éducatif formateur
d'individus égaux et éduqués de la même
façon, dans le but de construire une société plus
égalitariste. Du point de vue des chiffres, la France est un pays
relativement bien avancé concernant l'égalité
hommes-femmes puisque son classement ISDH est meilleur que son classement IDH
(15e et 16e). Il semble cependant nécessaire de s'interroger sur les
éléments se cachant derrière ces lois. Si les crises
identitaires viennent impacter en premier sur les minorités sociales,
les femmes en étant historique une (le long combat pour le droit de
vote, finalement atteint en 1944, soit après de nombreux autres pays, le
prouve), ne seraient-elles pas victimes d'inégalités
malgré les dispositions prises par le pays ? Pourquoi le gouvernement
aurait-il lancé l'année de l'égalité de la femme en
2011, si elle ne risquait plus rien ?
En France, les femmes, qui représentent 45 % de la
population active (11,2 millions) connaissent un taux de chômage de 9,1
%, contre 7,8 % pour les hommes (Ministère de l'Emploi, chiffres 2007).
Elles ont plus de difficultés que les hommes à monter en grade et
en salaire. Certes, les mouvements féministes des années
soixante-dix ont permis la création de lois ayant changé le
paysage social du pays (création du Planning familial en
15 Françoise Thébaud, Ecrire
l'histoire des femmes, ENS Editions, 1998
23
1956, loi Neuwirth autorisant la contraception en 1967, loi
Veil légalisant l'avortement en 1975). Cependant, les multiples
débats ayant lieu actuellement tant à propos des femmes
(questions touchant à la parité, au harcèlement de rue)
que du genre (mariage homosexuel, éducation genrée) et les
réactions qu'ils provoquent permettent d'éviter de poser un
regard trop caricatural sur la France qui aurait réussi à vaincre
les inégalités présentes au sein des rapports sociaux.
Pourtant, dans les travaux réalisés par les pays se
présentant comme développés, seuls les pays plus pauvres
semblent ne pas parvenir à résorber ces problèmes
sociaux.
Si la mondialisation tend à unifier le monde et
à redéfinir ses politiques culturelles, elle semble aussi
générer des incohérences dans le rapport caricatural
résidant dans la dichotomie entre les pays du Nord et du Sud.
L'étude d'un projet culturel transnational autour de
l'émancipation féminine liant la France et le Maroc peut
permettre de mettre en lumière la façon dont la vision
occidentale infiltre les politiques internationales. Ce type de projet peut au
contraire participer à la cohérence transnationale, en permettant
à deux civilisations au passé difficile de se retrouver, se
comprendre, s'apprivoiser.
II) Un projet culturel transnational comme
révélateur d'enjeux variés : « Regardons nous
grandir »
Le projet « Regardons nous grandir » est le
fruit d'une collaboration entre l'ONG Bani de Tiznit (zone rurale du sud du
Maroc), les associations Dar Taleb et Taleba et Tamount (de la commune rurale
de Sahel) et la ville de Montreuil (située en Seine Saint Denis en
France). Il s'agit d'une commande en matière d'outils de communication
innovants de prévention visant à toucher la population
féminine de la région rurale marocaine, passée par l'ONG
Bani auprès de la ville de Montreuil avec qui Agadir est jumelée.
La compagnie théâtrale montreuilloise Art dans le Jardin a
proposé un projet qui a été accepté par l'ONG avec
qui un travail autour de la prévention de la drogue chez les jeunes
marocains avait été réalisé en 2009. Ce nouveau
projet, réalisé en trois phases de juillet 2013 à
août 2015, a pour but de faire travailler la compagnie avec les jeunes
filles du pensionnat (136 jeunes accueillies) de Sahel ainsi qu'avec des
encadrants et médiateurs des associations. Il s'agit de les former aux
outils de communication et de vulgarisation afin
24
que l'action puisse devenir pérenne et reproductible et
mener le public cible, les jeunes filles, à découvrir toutes les
étapes du travail d'une création spectaculaire. Mêlant les
arts plastiques, l'écriture, l'interprétation, la vidéo et
la photo, ce travail aboutira à des présentations publiques. La
forme finale sera une pièce de théâtre intégrant la
vidéo comme support scénographique, des bribes de
témoignages textuels interprétés issus de questionnaires
ainsi qu'un travail plastique sur la notion de la métamorphose qui
prendra appui sur la projection de ces jeunes filles en femmes adultes. Les
thématiques centrales de « l'émancipation et l'intime »
ont été choisies en concertation avec les responsables des
organismes partenaires. Une fois réalisé, ce travail servira de
support de sensibilisation auprès des femmes de la région. Un
relais de cette action sera pris par les associations locales partenaires afin
qu'il soit diffusé suivi d'un débat dans les villages de la
région. Un film témoignant de l'action mené sera
diffusé en France et fera l'objet de rencontre autour des thèmes
abordés suivis d'un débat.
Il s'agit là d'un projet culturel transnational qui
mêle différents acteurs gouvernementaux ou non à savoir une
ONG qui passe une commande auprès de la ville de Montreuil avec qui la
ville d'Agadir est jumelée, bientôt rejointe par la compagnie
théâtrale Art dans le jardin qui répond au projet. La
compagnie est subventionnée pour cette action entre autre par la ville
de Montreuil, le département de Seine Saint Denis, l'Institut
Français au Maroc et des fondations à vocation de
coopération internationale (fondation Elle, fondation EDF). Le projet,
réalisé au Maroc, sera ensuite exposé en France aux yeux
du public de l'association de la Maison des Femmes de Montreuil,
implantée, comme la compagnie théâtrale, en Zone Urbaine
Sensible (ZUS), expliquant entre autres le soutien budgétaire de la
DRAC. Ce projet complexe rassemble beaucoup d'acteurs des politiques
culturelles autour d'une même action. Si, en apparence, une dynamique
coopérative l'entoure, ce projet peut-il réellement être
porteur d'enjeux réunis par une démarche commune ? Peut-on
être acteurs d'un projet de façon égale alors même
qu'historiquement et économiquement résident de profondes
disparités ? Confronter les différents enjeux des acteurs semble
être indispensable.
25
A. La compagnie théâtrale française
Art dans le Jardin : le théâtre, outil d'émancipation.
Créée en 1998 à Montreuil, la compagnie
Art dans le Jardin est une association à but non lucratif
destinée à la création, la diffusion et l'action
culturelle. Elle conçoit des créations spectaculaires et
évènementielles mêlant le plus souvent des professionnels
du spectacle aux non professionnels. Plaçant l'humain au coeur de son
travail, elle va à la rencontre d'un milieu et d'un public très
large. Pour ce faire, elle mène des projets
intergénérationnels dans des quartiers, avec des publics de tout
âge dans des centres de détention, dans des centres
d'hébergements et à l'étranger.
1. Volonté d'émancipation et
réinterprétation de la demande
Selon la directrice et metteure en scène de la
compagnie Art dans le Jardin, « l'enjeu principal de cette action
culturelle menée auprès des jeunes filles marocaines est de les
émanciper. Notre présence à Tiznit et les outils mis en
place auront pour but central de leur permettre de sortir d'une situation
d'enclavement ».16
Avant de commenter cette déclaration, il semble
nécessaire de définir ce que recouvre la notion
d'émancipation. « L'expression émancipation sociale
désigne la construction idéologique conjuguée à
l'effort historique de libération de communautés politiques ou de
groupes sociaux. S'émanciper signifie s'affranchir du pouvoir
exercé par les autres, tout en conquérant la pleine
capacité civile et citoyenne dans l'Etat démocratique de droit.
S'émanciper signifie accéder à la majorité de
conscience ; entendons, par-là, la capacité de connaître et
de reconnaître les normes sociales et morales indépendamment de
critères externes imposés ou présentés à
tort comme naturels. Le concept d'émancipation social est lié
à celui de l'autonomie. » 17
Le rôle du théâtre serait donc d'apporter
de l'autonomie à ses participants, dans le cas présent, aux
jeunes filles résidantes du pensionnat créé et
géré par l'ONG Bani de la
16 Nathalie Guisset, entretien réalisé
le 15 avril 2014 dans les locaux de la compagnie à Montreuil, France
17 Jean-Louis Laville, Dictionnaire de l'autre
économie, Gallimard, 2006, p.326
26
commune rurale marocaine de Tiznit. Ce désir
d'émancipation de la part des membres de la compagnie
théâtrale s'inscrit dans une démarche militante
lancée par l'ONG Bani qui a créé le pensionnat
après avoir constaté que les filles villageoises étaient
déscolarisées dès l'entrée au collège
à cause de la distance entre les établissements scolaires et les
villages. Leur apporter, via ce projet, les outils numériques
nécessaires à leur apprentissage et à leur potentielle
insertion dans le monde professionnel, étaient les deux axes de la
commande crée initialement. Aucune trace d'émancipation,
l'enclavement de ces jeunes filles semblant ainsi ne résider qu'en leur
situation géographique. Pourtant c'est bien dans cette optique que la
compagnie a mis en place son action culturelle, en choisissant pour
thème central « l'émancipation et l'image de soi ».
Selon la directrice d'Art dans le jardin, « le thème central
autour de l'émancipation et l'image de soi s'est imposé de
lui-même. Ses jeunes filles sont voilées, n'osent pas bouger leur
corps dans l'espace, parlent doucement pendant que les garçons
pensionnaires crient et se bagarrent, il y a une vraie nécessité
à lutter contre ces situations d'inégalités
».
Bien que la demande initiale ait été
modifiée par la volonté d'agir contre ce que la compagnie
théâtrale considère être une injustice, le fait que
les autres partenaires en aient accepté les conditions semble être
une preuve du bien-fondé de cette action.
2. Création et mise en place de la
démarche artistique
Le projet « Regardons nous grandir » s'articule en
trois phases, se déroulant toutes au sein du pensionnant marocain. La
directrice de la compagnie théâtrale, un vidéaste et une
graphiste composent l'équipe française qui se rend à
Tiznit. Sur le terrain, le projet concerne trente jeunes filles de 12 à
14 ans collégiennes du pensionnant, trois médiateurs de
santé de l'ONG Bani, trois médiateurs de l'association Tamount,
un professeur de français du collège et un psychologue
clinicien.
« La sélection des participantes au projet
s'est faite naturellement par les équipes encadrantes de l'association
Tamount ainsi que par les professeurs engagés dans le projet. Le projet
a été soumis aux jeunes filles de 4eme et 3eme du collège
et a fait l'objet d'une inscription. De plus, le projet a été
intégré dans le cadre du parcours pédagogique du
27
professeur de Français »18.
Ces jeunes volontaires ont donc choisi de participer à ce projet
culturel. Selon la directrice de la structure, les échos les plus
entendues de la part des jeunes filles viendraient du fait qu'il existe peu de
propositions parascolaires au sein de leur pensionnat et qu'elles voient en ce
projet une façon de s'amuser, de se détourner de leur vie
quotidienne faite d'apprentissage scolaire et de la lecture du Coran.
C'est autour de cette notion du jeu que le projet culturel a
été construit par la metteure en scène. La première
phase d'une durée d'une semaine, réalisée en aout 2013,
consistait en une collecte d'histoires de la part des jeunes filles,
d'écriture et de réponse à un questionnaire censé
cibler quels rapports elles entretiennent avec leur corps. Un training corporel
ayant pour but de pousser les participantes à penser leur corps au sein
d'un espace a également été réalisé selon le
parti pris que libérer son corps permet de libérer les paroles.
Les questionnaires remplis par les jeunes filles ont ensuite été
remis en forme par la metteure en scène lors de son retour en France.
Durant ce retour à Montreuil, une soirée de projection a
été organisée par la compagnie en partenariat avec la
Maison des Femmes de Montreuil (MdFM) qui a projeté le film
retraçant la première partie de l'action au Maroc dans ses
locaux. Le film a été suivi d'une pièce de
théâtre interprétée par des jeunes filles
françaises amatrices qui lisaient les textes des jeunes marocaines
après leur réécriture.
La deuxième phase du projet qui aura lieu au Maroc en
octobre 2014 durant quinze jours, consistera en des cours d'improvisation
théâtrale avec les jeunes filles qui devront se projeter en adulte
et imaginer ce qui les attend, afin d'accepter ou rejeter ce modèle.
C'est à partir de cette matière théâtrale
filmée par le vidéaste que, neuf mois plus tard, lors de la
troisième phase du projet, les pensionnaires créeront avec la
metteure en scène la pièce de théâtre finale ainsi
que le support audiovisuel qu'elles apprendront à réaliser et
monter selon des techniques récentes de prise de vue (time laps).
Finalement, la matière finale (support audiovisuel) sera
projetée, accompagnée d'une pièce de théâtre
jouée comme lors de la première phase, par des jeunes filles
françaises, à la MdFM.
18 Nathalie Guisset, entretien réalisé
le 15 avril 2014 dans les locaux de la compagnie à Montreuil, France
28
3. Résultats attendus par la compagnie
Les résultats attendus par la compagnie
théâtrale sont avant tout qualitatifs et consistent en une prise
de conscience par des jeunes filles pensionnaires en plein essor
d'émancipation. « Si l'on considère que le corps est
notre ancrage dans le monde, notre approche rend le corps sujet en ce qu'il
n'est plus seulement, le lieu de marquage du social mais, transmetteur
d'émotions, le lieu d'un possible à inventer, à imaginer
et à produire.19 »
Peut-on, si on avance avec vigilance dans des dimensions aussi
délicates et intimes que celles du corps, en tenant compte de l'histoire
des personnes, de leurs attentes, de leurs capacités, de leurs limites,
imaginer une modélisation sensible de l'accompagnement des personnes ?
C'est ce que la compagnie tente de faire tout en tenant compte des tensions que
l'individu éprouve dans son rapport à la société.
« L'entrée du corps chez les jeunes femmes présente
à la fois un enjeu de restauration d'un corps cohérent, un outil
d'action et d'engagement, enfin et surtout un lieu possible du
développement de soi d'où émane la capacité
à tisser des liens sociaux.20 » Le corps s'il peut
être le lieu de toutes les discriminations, est aussi celui de toutes les
libertés selon ces acteurs culturels soucieux de participer à
cette grande idée qu'est l'émancipation des jeunes filles
marocaines.
L'autre résultat qualitatif espéré par la
compagnie théâtrale est d'insuffler aux acteurs en
prévention des outils de communication sensibles qui prennent en
considération les différents niveaux de compréhension des
publics cibles en fonction de leur âge, leur milieu social, leur culture.
La formation audiovisuelle ayant lieu durant la dernière phase du projet
ne concernera donc pas que les pensionnaires mais également les
équipes pédagogiques. En effet, une fois l'action
terminée, les associations partenaires mettront en place des
séances d'ateliers de sensibilisation, c'est d'ailleurs pour cela que
l'ONG Bani a initialement passé commande. Les représentations du
travail réalisé par les jeunes filles seront suivies d'un
débat mené par les médiateurs et encadrants formés
à cet effet. Ces ateliers se feront au sein des coopératives
féminines, des ateliers de femmes des villages
19 Nathalie Guisset, entretien réalisé
le 12 juin 2014, à la Maison des Femmes de Montreuil, France
20 Roselyne Rollier, directrice de la Maison des
femmes de Montreuil (MdF), rencontrée le 28 mai 2014 à la
Mdf
29
ainsi que tous les points de rassemblements des femmes de la
région. Le but de la compagnie est de maintenir une forme de
continuité tout au long d'un processus envisagé comme
indéterminé. Selon la directrice du projet, l''action en cours
tentera à terme d'établir des liens entre les enfants ruraux et
les réseaux citadins plus favorisés en matière d'actions
culturelles et de projets de développement durable.
Les résultats attendus par la compagnie sont
également quantitatifs. Il est ici question de la production d'outils
pédagogiques et de communication (trois vidéos compilées,
une pièce de théâtre intégrant des corpus de texte)
et du nombre de publics touchés (durant l'action au Maroc mais aussi
lors des projections organisés à la Maison des Femmes de
Montreuil).
B. Le Maroc, carrefour des civilisations
Si proche et pourtant si éloigné, le Maroc base
son tourisme sur sa capacité à être assez oriental pour les
Occidentaux et assez occidental pour les Orientaux. Dans cette première
décennie du XXIème siècle, le Maroc voit s'exprimer
contradictoirement revendications sociétales, politique d'une nouvelle
classe moyenne et tentation d'un repli identitaire qui, aux élections
législatives de 2011, a donné l'avantage au parti conservateur
musulman. Le pays fait également tourner deux moteurs de son
développement : l'ouverture aux marchés internationaux,
grâce notamment aux relations privilégiées que le royaume
entretient avec l'Union Européenne et la richesse des savoir-faire
ancestraux (agriculture ou artisanat).
Le projet culturel « Regardons nous grandir »
s'inscrit donc dans ce désir de vouloir créer un lien entre la
zone citadine et rurale en désenclavant cette dernière, si tant
est qu'un projet culturel soit capable de le faire.
1. Tiznit, une zone rurale à
développer
La province de Tiznit, est située au sud du Maroc dans
la région de Souss-Massa-Draâ. Sa superficie est de 9 585 et sa
population est d'environ 350.00 habitants à majorité
berbères, dont la majeure partie est en milieu rural
(environ 80%). Cette région compte parmi les plus
sous-équipées sur le plan sanitaire. Bien que le nombre de
médecins ait augmenté de 18 à 30 entre 1996 à 2000,
il reste largement inférieur à la moyenne nationale21.
Dans le domaine éducatif, 67.2 % de la population âgée de
plus de 10 ans est analphabète. En effet, l'alphabétisation en
milieu rural est très faible, 39,4%, alors qu'en milieu urbain, elle
presque deux fois supérieure et atteint 74.4 %. Quant à la
situation de la femme rurale, elle est particulièrement
défavorable puisque plus de neuf femmes rurales sur dix sont
analphabètes contre moins de six citadines sur dix. L'ONG Bani et
l'association Tamount constatent des difficultés en termes
d'accès au soin des populations les plus précaires et notamment
des populations villageoises. Cela les a amenés à créer un
pensionnat de filles et de garçons afin que ceux-ci aient accès
aux études. Cette ONG chapote différents lieux tel qu'un
pôle maternité, un centre d'hémodialyse, un pôle
maternité accueil prévention. Dans le cadre de leurs actions, les
équipes de Bani et de Tamount ont su identifier des besoins. L'apport
d'outils de communication en prévention, prenant en compte les
difficultés des populations ciblées, leur paraît essentiel.
Ces nouveaux outils permettraient de diffuser plus simplement et de
façon vulgarisée les informations sanitaires et de santé
publique. Pour cela ils souhaitent former leurs propres encadrants à ces
supports ludiques, qui rendent acteurs et non plus spectateurs les populations
ciblées. Le projet porté par la compagnie française Art
dans le jardin vient donc répondre à cette attente en cela qu'il
va former les encadrants à de nouvelles technologies de
communications.
Pour le responsable de l'ONG Bani et également maire de
la commune Arbâa Sahel22, ce type d'action culturelle est
« indispensable pour le développement d'Arbâa Sahel.
Avant de parler d'émancipation féminine il faut
déjà se concentrer sur le développement territorial,
l'émancipation viendra d'elle-même par la suite ». Si
l'enjeu émancipatoire ne semble, à l'inverse de la compagnie
théâtrale, pas être placé au centre des
intérêts, l'ONG Bani semble se réjouir de ce projet qu'il
voit comme une occasion pour la commune de palier à l'écart qui
la sépare des villes marocaines et plus généralement des
pays
21 Indicateurs et sources de vérification : Site de l'ONG
Bani
http://www.ongbani.org/tiznit.htm
30
22 Brahim Safini, entretien réalisé par
Skype le 30 aout 2014
31
européens. « Il faut que les zones rurales
marocaines avancent, sinon bientôt elles disparaitront. La culture et
surtout la communication peuvent nous aider à lutter contre
l'enclavement ». La culture, qu'elle soit un outil de lutte contre
l'enclavement ou pour l'émancipation féminine, semble être
porteuse des espoirs des pays qui l'utilisent pour régler un
problème économique et social. L'émancipation
féminine en est un au Maroc, ce qui pourrait expliquer cet accord direct
de la part de l'ONG Bani d'un projet dont les lignes ont été
repensées par la compagnie.
2. L'émancipation féminine, un choix
économique
Depuis le début de l'indépendance du pays,
l'idéologie dominante se fonde sur la religion et la modernité.
Cette double référence est la trame centrale de
compréhension des agissements de l'État qui oscillent entre
politiques favorables aux droits universels reconnus constitutionnellement et
droits spécifiques qui concernent surtout la famille. Selon Houria
Alami23, le statut des femmes est dépendant de la
mondialisation et du désir des acteurs du pays marocain à
accréditer l'idée que la démocratie progresse. La
politique marocaine répond à un besoin d'insertion du pays dans
un monde globalisé qui a énoncé l'égalité
hommes-femmes parmi ses objectifs. Politiquement, grâce à
certaines mesures phares comme la promulgation d'un nouveau code de la famille,
elle sert de vitrine au processus de démocratisation.
Le fait que les politiques s'emparent de la question
féminine en acceptant les projets culturels visant à
l'émancipation de celle-ci, s'explique, selon Houria Alami, par le fait
que l'État marocain tenterait de contrôler ce qu'il
considère comme un soucis qui pourrait déborder et causer des
torts au pays. En effet, quoi de plus troublant que des femmes censées
être gardiennes des traditions qui changent et cherchent à imposer
de nouvelles normes ? Cette attitude de l'État peut être vue comme
une recherche de moyens pour entrer dans la modernité par une voie
sereine.
De plus, éduquer les femmes marocaines revient à
inscrire doublement le pays dans la modernité en le rendant plus
important économiquement. Les nouvelles orientations
23 Houria Alami, Les paradoxes du féminisme
d'Etat au Maroc, L'Harmattan, 2010
32
favorables à l'égalité hommes-femmes
placent les femmes au centre du processus de modernisation.
L'amélioration de la scolarisation des filles, l'alphabétisation
des femmes restées en marge de l'éducation scolaire, sont les
nouveaux objectifs du pays.
Pour finir, un nouveau fait de société peut
également expliquer cet intérêt suscité par les
femmes aux yeux de l'État marocain, la migration. En 2007, la question
était soulevée dans le cadre des consultations pour la
création du Conseil de la Communauté Marocaine à
l'Etranger (CCME), où le Conseil consultatif des Droits de l'Homme
(CCDH) a organisé une rencontre internationale sur le thème
« Les marocaines d'ici et d'ailleurs ». Depuis sa création, le
CCME, instance consultative auprès du chef de l'État dont l'un
des objectifs est d'établir des liens avec les marocains de
l'extérieur, a initié deux rencontres internationales avec la
diaspora féminine marocaine en 2008 et 2009 à Marrakech. En
tenant compte des spécificités des migrations des femmes
marocaines, le CCME participe au travail de déconstruction des
représentations qui considèrent les hommes comme les seuls
acteurs de la migration et les femmes comme de simples accompagnatrices. Ces
démarches marquent un tournant de la prise en considération de la
question migratoire puisque les femmes en tant que main d'oeuvre nouvelle,
quittent également le pays sur leur propre choix. La mauvaise image
véhiculée à l'international par le Maroc est donc
doublée d'une perte économique significative due au départ
d'une main d'oeuvre qui aurait pu travailler sur ses terres. Former les femmes
aux nouveaux outils de communication et les éduquer reviendrait donc
plus à les retenir qu'à les émanciper.
3. Le projet culturel, outil du renouvellement de
l'image mondiale
Il semble que la volonté d'utiliser la vie culturelle
afin de redonner une vitrine internationale soit l'apanage du Royaume marocain.
Cependant, les carences dont souffre le système d'éducation
marocain confinent la vie culturelle dans le cercle restreint de l'élite
cultivée et du public étranger.
Un rapport publié en 2008 par la Banque
Mondiale24 a froissé les susceptibilités marocaines.
En effet, sur 14 pays au Proche et Moyen-Orient, le royaume se situait parmi
24
http://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2013/05/28/world-bank-helps-morocco-address-
education-quality-and-governance, Site de la Banque
Mondiale
33
les pays les moins avancés en matière
d'éducation en compagnie de Djibouti, du Yémen et de l'Irak. Ces
résultats sans appel confirmaient les inquiétudes
formulées depuis de nombreuses années sur le système
éducatif marocain. Pourtant, certains chiffres paraissaient flatteurs :
le taux de scolarisation dans le primaire avoisine les 100% tant à la
ville qu'à la campagne et la part du budget consacrée à
l'éducation est équivalente au quart de la défense
publique. La réalité est plus inquiétante comme le
confirment les résultats des rapports de l'Unicef. Le Maroc y est
classé 126ème sur 177 pays selon l'indice de développement
humain établi par le Programme des Nations Unies pour le
Développement. Si près de la totalité des enfants
marocains entrent à l'école primaire, ils sont plus d'un tiers
à en sortir avant 15 ans. Seuls 13% arriveront au niveau du
baccalauréat. Les chiffres sont d'autant plus inquiétants si l'on
considère les jeunes diplômés qui forment le gros de la
cohorte des marocains privés d'emploi.
Le jumelage entre les villes d'Agadir (région abritant
Tiznit) et de Montreuil avait pour source d'inspiration officielle le respect
des Objectifs du Millénaire selon le protocole de coopération
ratifié en 200625. L'objectif numéro deux concernant
l'éducation pour tous et le numéro trois concernant
l'autonomisation féminine sont donc réunis au coeur de ce projet
culturel. Additionné à celui de l'émancipation
féminine, le problème de l'éducation rendu plus difficile
dans les zones rurales, place le projet « Regardons nous grandir »
comme une aubaine. En effet, il permet d'offrir au Maroc l'image d'un pays
capable de s'adapter et de faire évoluer des points clés chers
aux pays occidentaux.
Après avoir étudié les attentes de la
part du concepteur du projet (la compagnie Art dans le jardin) ainsi que celles
des différents acteurs du pays d'accueil, il reste à interroger
les actions menées sur le territoire français suite à
cette action culturelle. Si l'Etat français s'implique autant au sein du
projet culturel international, quel usage peut-il en faire en ramenant celui-ci
sur son territoire ? En quoi un projet créé pour
l'émancipation des jeunes femmes marocaines concerne-t-il les publics
français ?
25 Protocole de coopération entre les villes
de Montreuil (République Française) et Agadir (Royaume du Maroc),
annexe 1
34
C. Les politiques publiques françaises face
à l'enjeu de la conscience collective sur le territoire
La conscience collective correspond à «
l'ensemble des croyances et des sentiments communs à la majorité
des membres d'une société 26». Elle doit
être étudiée pour elle-même et ne pas être
réduite à la somme des consciences individuelles. Le concept de
conscience collective est la perception que les individus ont du monde. La
représentation est sociale parce qu'elle intègre dans l'analyse,
l'appartenance à une communauté, à une culture, et
contribue à définir un groupe dans sa spécificité.
Créer un projet culturel, le mettre en place à l'étranger
puis le ramener dans le pays initial afin de l'y présenter, semble
être une démarche qui s'inscrit directement dans la volonté
d'agir sur la conscience collective en lui apportant des éléments
nouveaux sur l'extérieur.
1. La Maison des femmes de Montreuil, lieu
d'échange avec l'Autre et d'interrogation sur soi
Au travers de l'élaboration d'un projet commun, il
s'agit avant tout de rencontrer l'autre. La réalisation d'action
concrète de production audiovisuelle et théâtrale entre la
compagnie Art dans le Jardin et le pensionnant de Tiznit est un exemple de
coopération réutilisé sur le territoire français
pour créer une rencontre entre plusieurs cultures.
Cet espace d'échange a lieu à la Maison des
Femmes de Montreuil (MdfM). Cette association a été fondée
en 2010 sur les valeurs primordiales du féminisme et de l'universalisme,
à savoir l'égalité femmes/hommes, la citoyenneté
républicaine, la démocratie, la laïcité et la
solidarité internationale. Elle est en lien avec des réseaux
d'acteurs associatifs et les instances publiques pour faire émerger les
revendications collectives des femmes par l'échange et la discussion,
trouver des solutions, voire fédérer des énergies. Pour la
présidente de la MdFM, « devenir partenaire du projet «
Regardons nous grandir », est une façon de participer à la
lutte pour l'accès à la dignité et à l'autonomie
des femmes. Ce projet est entré en résonnance avec ce que nous
sommes, à savoir un lieu de pratiques et de formations pour
accéder à l'égalité : en facilitant les
26 Emile Durkheim, De la division du travail
social, PUF, 1991, p.146
35
échanges et les rencontres, en luttant contre les
discriminations, en proposant des espaces d'expression, en accueillant et en
orientant les femmes ainsi qu'en accompagnant leurs projets et actions, la
Maison des Femmes se place dans une optique d'émancipation et
d'autonomisation des femmes. 27 »
Le projet culturel serait donc un outil créateur de
dialogue permettant une ouverture sur le monde et sur soi. La soirée de
projection du film résumant la première phase du projet, suivie
d'une pièce de théâtre jouée par de jeunes
françaises, a eu lieu le 12 juin 2014 à la MdFM et était
intitulée « Femme, théâtre, émancipation, le
corps un objet social »28. A travers des textes
créés par la metteure en scène à partir des
réponses au questionnaire rempli par les jeunes pensionnaires, il
était question du corps féminin comme objet social de lutte et
d'émancipation29. Les réactions du public à la
fin de la soirée furent toutes les mêmes : toutes les femmes
présentes, les plus jeunes comme les plus âgées, qu'elles
soient croyantes ou non, peu importe leurs origines, se sont reconnues à
un moment ou un autre dans l'un des textes. Est-ce cela, le pouvoir de la
culture ? Transcender les frontières pour emmener une réflexion
sous les yeux et dans le coeur des publics du monde ? Faut-il
impérativement se reconnaître en l'Autre pour le voir comme un
allié et avancer ainsi sur le chemin de l'égalité ? En
quoi le regard sur l'Autre ne peut-il pas être séparé du
regard sur soi ?
2. Biculturalisme et difficultés
rencontrées par les montreuilloises
Le choix de projeter le projet à la Maison des Femmes,
lieu situé en banlieue montreuilloise qui accueille quotidiennement des
femmes d'origines étrangères, semble être lié
à l'objectif d'intégration et d'émancipation de ses
visiteuses porté par le lieu mais aussi par la Ville de Montreuil qui le
subventionne. La responsable du service Echanges internationaux et
coopération décentralisée de la Ville confirme cette
hypothèse en ajoutant que « la Ville de Montreuil,
engagée contre les discriminations faites aux femmes, a
27 Roselyne Rollier, entretien réalisé
le 15 mai 2014 à la MdFM.
28 Affiche de l'évènement en annexe
2.
29 Texte d'une pensionnaire en annexe 3.
36
élaboré pour la première fois un plan
d'actions 2014 / 2016, pour l'égalité entre les femmes et les
hommes. 30» La Ville a réalisé un
état des lieux de la situation comparée des femmes et des hommes
à Montreuil et structuré le plan d'actions autour de quatre axes
centraux déclinés en quinze objectifs. Parmi eux se trouve la
volonté de permettre aux jeunes montreuilloises d'origines
étrangères de faire cohabiter les deux cultures qu'elles portent
en elles afin d'utiliser ce biculturalisme comme une force. La responsable
définit la ville de Montreuil comme étant dynamique, à
l'image d'une population jeune (26,2 % de la population est âgée
de moins de 20 ans en 2011, 28,7% dans le département) mais
scindée en deux par la démarcation sociale séparant le
nord et le sud de Montreuil. Le nord de Montreuil, où se situe la MdfM,
accueille la majorité des habitants immigrés (qui
représentent 25.5% de la population de la ville), c'est-à-dire
nés étrangers à l'étranger et résidant en
France31. Selon l'état des lieux de la situation
comparée des femmes et des hommes à Montreuil, les jeunes femmes
d'origine maghrébines rencontreraient des difficultés pour
trouver leur place dans la société, du fait de leur
biculturalisme qui les placerait dans une position paradoxale.
3. L'apprentissage de la « négociation
», la culture pour se libérer
En effet, les filles, dans la tradition musulmane, sont
soumises à un plus grand contrôle social que les garçons
qui ont moins d'interdits. Dans la culture occidentale où les moeurs
sont plus libres, les filles peuvent généralement s'affranchir
à leur majorité du pouvoir parental. Pour des filles d'origine
maghrébine vivant en France, la tension entre les valeurs familiales,
plus traditionnelles et les valeurs occidentales est importante. Pour la
responsable du service Echanges internationaux et coopération
décentralisée de la Ville, « la problématique des
filles est largement dépendante de la condition de la femme dans la
culture musulmane. L'histoire du féminisme arabe nous montre que
l'accès des femmes à l'enseignement et à la formation
reste central dans la dynamique émancipatrice. C'est pourquoi la
projection d'un projet comme « Regardons nous grandir » a toute sa
place à
30 Maïté Gerschwitz, entretien
réalisé le 20 avril 2014 au centre administratif à
Montreuil
31 Données démographiques
tirées du dernier recensement de 2011, téléchargeable sur
le site de la Ville de Montreuil
http://www.montreuil.fr/la-ville/population/
37
Montreuil. » La mobilité féminine
s'explique par rapport au système des contraintes familiales : la jeune
fille est à la recherche d'espaces d'invisibilité où
l'oeil des parents et des frères n'a plus de prise. L'accès
à l'école peut permettre d'atteindre ce que la chercheuse
Sandrine Gaymard nomme la négociation32 d'une
liberté plus importante. La négociation consiste en la conversion
symbolique de la culture d'origine dans une démarche stratégique
d'intégration à la société d'accueil. Dans la
société occidentale où le système éducatif
reste l'outil principal de la mobilité ascendante, la scolarité
des enfants constitue pour les familles issues de l'immigration un moyen de
réussir l'intégration par la promotion sociale. La
représentation sociale des études supérieures serait donc
un lieu de négociation interculturelle. L'accès aux études
représente pour les filles franco-maghrébines, un moyen
d'émancipation et d'ascension socio-professionnelle. Il s'agit
également de l'idée mise en avant par la compagnie
théâtrale dans son projet « Regardons nous grandir »,
qui pousse les jeunes filles à se visualiser en tant que femmes pour
projeter leurs désirs, leurs rêves, et par la suite avoir envie de
s'émanciper.
L'action sur les mentalités est censée faire
évoluer les perceptions mutuelles en mettant de côté les
préjugés inhérentes au rapport franco-marocain. C'est le
rôle que l'État français semble donner à l'outil
culture. Parfois, l'objectif des actions menées vise également la
transformation d'une situation sociale ou économique française.
Dans ce cas, le partenaire maghrébin et le rapport au Maghreb est-il
instrumentalisé ?
III) Le paradoxe de la coopération
culturelle
Le projet culturel « Regardons nous grandir », bien
qu'il soit très riche en termes d'enjeux et d'acteurs impliqués,
ne peut être étudié uniquement du point de vue
transnational. L'idée est bien ici non pas de s'interroger sur son
bien-fondé, mais de passer au crible tous les points de vue, de faire se
confronter différentes interprétations. Il semble donc
nécessaire, à ce stade de la réflexion, de s'interroger
sur les outils utilisés pour réaliser l'action culturelle en se
forçant de prendre de la distance afin de poser un regard relativement
neutre sur le suivi du projet.
32 Sandrine Gaymard, La négociation
interculturelle chez les filles franco-maghrebines, L'Harmattan, 2003
38
A. La coopération culturelle, vectrice de
perpétuation du colonialisme ?
1. Le théâtre, un outil occidental
Le fait qu'une compagnie théâtrale
française parte effectuer un projet dans un autre pays, nous pousse
à nous interroger sur la façon dont elle a ou non adapté
ses outils aux publics rencontrés. Le choix du théâtre peut
déjà soulever un paradoxe puisqu'il implique que les deux pays
(la France et le Maroc) en aient la même conception. Afin de clarifier ce
point, il semble important de définir le théâtre. Nous nous
baserons sur la définition proposée par l'inventeur Abdellah
Chakroun qui a particulièrement étudié cette question. La
définition française qu'il propose du théâtre est la
suivante : « art visant à représenter devant un public,
selon des conventions qui ont varié avec les époques et les
civilisations, une suite d'évènements ou d'actions
théâtrales où sont engagés des personnages agissant
et parlant »33.
En France, l'histoire du théâtre est
étroitement liée à celle de l'humanité, de la
société, des moeurs, de la politique, des cultes et croyances.
Pendant vingt-et-un siècles, le théâtre s'est joué
en extérieur, gratuitement, pour la population qui venait y trouver un
divertissement et surtout un enseignement. A la fin du XIXème
siècle, le public s'est lassé des spectacles qui n'avaient rien
à dire ou à défendre, forçant le
théâtre à se repenser à nouveau via le jeu,
l'espace, le rapport entre scène et salle, pour défendre des
idées importantes, afin d'adresser des messages de contestation,
dénoncer des injustices, et d'apporter un enseignement au public. Il
s'agit donc historiquement d'un outil esthétique de pédagogie
à la portée extrêmement forte.
Au Moyen Orient, il existe bien un théâtre
également mais celui-ci ne s'inscrit pas historiquement et
structurellement dans la même veine que l'occidental. D'essence
populaire, il s'agissait initialement de traditions orales, la primauté
étant donnée à la représentation composée
d'improvisations et d'imitations. Les textes étaient totalement absents
du processus théâtral et s'ils existaient, ils étaient
librement interprétés par les acteurs, à l'inverse du
théâtre occidental où l'apprentissage des supports
écrits est une partie considérable du travail de l'acteur.
33 Abdellah Chakroun, A la Rencontre du
théâtre au Maroc. Ed. Najah El Jadida, 1998, p.124
39
Viennent s'ajouter à ces différences
fondamentales entre deux conceptions du théâtre, le souvenir de la
colonisation. Le théâtre moderne au Maghreb est un produit
totalement étranger transplanté dans la terre vierge des
sociétés arabes. Le théâtre arabe (selon notre
conception du théâtre en France) n'existait pas avant le
XIXème siècle et l'invasion de l'Egypte par Napoléon. Dans
les représentations marocaines, il s'agissait de résister au
théâtre à l'occidental qui ne serait jamais le
théâtre arabe, mais juste une imitation plus ou moins
réussie d'une forme étrangère n'ayant aucune assise
populaire, fruit du labeur et de l'intérêt d'une classe
privilégiée souffrant d'un complexe vis-à-vis de la
culture des peuples qui l'ont colonisée. Il semblerait qu'un paradoxe en
amène ici un autre en nous confrontant, au-delà de l'outil
théâtral discutable, au lourd passé colonial reliant la
France et le Maroc.
2. Emanciper la femme, la nouvelle « mission
civilisatrice » ?
L'image de l'ensemble du secteur de la coopération
s'est construite autour de valeurs à visée universelle dont la
France s'est fait porte-parole. En effet, ce sentiment selon lequel la nation
française serait investie d'une « mission
civilisatrice34 » de propagation de ses valeurs culturelles
vers l'extérieur, est depuis longtemps profondément ancré
dans la conscience nationale. A. Salon le définit comme «
messianisme35» et A. Grosser comme « nationalisme
culturel36». Ce messianisme est étroitement lié
au rôle que la France entend mener dans le monde. La propension à
se penser comme porteur d'un message universel a été perceptible,
selon A. Salon, dès le XVIIème siècle, sous la forme d'un
messianisme catholique : « Face aux empires turc, russe, espagnol,
portugais, hollandais, voire anglais, la France fut alors la principale
puissance messianique ayant une projection intellectuelle et spirituelle hors
de ses frontières et à l'intérieur des autres empires et
puissances37». Elle
34 Dino Costantini, Mission civilisatrice, le
rôle de l'histoire coloniale dans la construction de l'identité
politique française. Ed. La Découverte, 2008
35 Albert Salon, L'action culturelle de la
France dans le monde : analyse critique, thèse pour le doctorat
d'Etat ès Lettres, Paris I Panthéon Sorbonne, 1981
36 Alfred Grosser, Affaires extérieures : la
politique de la France, 1944-1989, Paris, Flammarion, 1989
37 Albert Salon, op. cit, p.294
40
fut le premier pays occidental à développer une
politique culturelle extérieure. A l'origine, presque toujours
portée par des acteurs privés et religieux, l'action culturelle
est devenue plus permanente et plus politique lorsque la prétention de
la France à incarner une sorte de civilisation novatrice s'est accrue.
La définition de l'essence même de cette civilisation a
évolué : l'image de la chrétienté a
été remplacée lors de la Révolution par celle des
droits de l'Homme et de la libération de la personne humaine de toutes
les formes d'oppression. Tout se passait comme si la France « avait
voulu concevoir, reprendre à son compte, annexer, développer et
diffuser, les idées et les mythes les plus « modernes », les
plus « progressistes » et les plus chargés d'espérance
pour l'humanité38».
Réel humanisme, sentiment moral de solidarité
humaine ou vision égoïste des avantages pouvant résulter
pour la postérité, le prestige et la puissance de la France ? La
démarche française pourrait également trouver des
explications en cela qu'elle tenterait de rattraper ce qu'elle n'a pas fait
pour le Maroc en temps de colonisation. La rencontre avec le responsable de
l'action culturelle de l'institut Français d'Agadir39
semblait être intéressante afin de lui soumettre ces
hypothèses. En effet, l'Institut Français, de par sa mission de
diffuser la francophonie dans les anciens pays colonisés et de se
prévaloir garant de la culture française à
l'étranger, semble être au coeur de ce débat. Selon lui,
« Le néocolonialisme fait référence à la
manière dont les anciennes puissances colonisatrices continuent
d'exercer une forme de protectorat déguisé sur certaines de leurs
anciennes colonies. En cela, les Instituts Français ne sont pas des
néo colonisateurs puisqu'ils se définissent publiquement comme
des outils d'influence et de coopération ».
Si le point de vue de la personne interrogée reste
intéressant, il semble également nécessaire de le
recontextualiser afin de le discuter. Certes, les Instituts Français
favorisent les actions, entre autre culturelles, entre les pays de façon
égalitaire, leur existence relève tout de même de la
volonté de promouvoir la culture en dehors de ses frontières. De
plus, les similitudes entre les outils et enjeux mis en place par la compagnie
Art dans le jardin et l'attitude colonisatrice existent. Porteuse de la valeur
universelle qu'est l'émancipation féminine, elle propose aux
jeunes marocaines d'utiliser le théâtre, forme arrivée sur
les
38 Ibidem, p.298
39 François Tiger, responsable de l'action
culturelle de l'institut Français d'Agadir. Entretien
réalisé par courriel le 23 juillet 2014
41
terres marocaines (dans sa conception française) durant
la colonisation, afin de pratiquer un travail sur leur corps pour les amener
à se dévoiler (dans tous les sens du terme).
3. Les femmes marocaines et le dévoilement du
corps, une relation délicate
La thèse de l'historien P. Blanchard40
consiste à dire que les discriminations et les vexations que les jeunes
marocains subissent se trouveraient dans leur corps, devenant ainsi l'objet
d'un investissement fantasmatique qui renouerait avec l'aliénation et la
soumission imposées à leurs grands-parents ou leurs
arrière-grands-parents. La profondeur historique est ici doublée
d'une épaisseur intergénérationnelle ; ensemble, elles
permettent de comprendre comment des protagonistes - qui parfois ne savent rien
d'une histoire coloniale - peuvent en reproduire et en transmettre des traits
prétendument disparus depuis longtemps. Il ne s'agit pas tant de prendre
au pied de la lettre l'idée que les descendants des colonisés
d'hier sont des « indigènes » aujourd'hui, que d'examiner
sérieusement la nature d'un regard né et aiguisé durant
l'ère coloniale et dont les réminiscences restent palpables.
Selon P. Blanchard, elles surgissent dans un monde social et politique qui ne
s'est pas dépris d'une forme de gouvernement des corps, ayant atteint sa
plénitude au temps des colonies et pas encore congédiée
près d'un demi-siècle plus tard.
Durant la colonisation, le laisser faire face aux oppressions
en cascade, subies par les hommes colonisés et imposées
doublement aux femmes, s'inscrivait dans un système visant à
asseoir l'ordre colonial sur l'ordre patriarcal dans sa version local. Les
contacts entre indigènes et Européens devaient obéir
strictement à des logiques de servitude et de services sociaux et
sexuels répondant aux impératifs économiques et sociaux du
colon. Ce n'est qu'à la veille de la décolonisation qu'il sera
question d'« affranchir » le colonisé de son fardeau et plus
précisément de permettre aux femmes indigènes une
liberté symbolisée par l'abandon de leur voile lors d'une
cérémonie les exposant à Alger, signe ultime d'un pouvoir
défait.
Bien que la compagnie Art dans le jardin ne pousse pas les
participantes à littéralement enlever leur voile, le training
corporel a cependant pour but de permettre aux jeunes filles
40 Pascal Banchard, La fracture coloniale, la
société française au prisme de l'héritage
colonial. Ed. La Découverte, 2005
42
de se « réapproprier » leur corps, comme si
elles l'avaient perdu. Le regard occidental posé ici sur les femmes
voilées semble relever du cliché puisque l'association avec la
soumission et le mal être a été fait automatique par la
metteure en scène. Nous pouvons nous demander si nous ne faisons pas
face à un cas de stigmatisation, puisque le voile porté par les
pensionnaires, une fois passé au prisme des stéréotypes
que la vision occidentale lui accole, a créé une
représentation négative ou tout du moins
d'infériorité des jeunes filles.
B. Emancipation et stigmatisation, deux notions qui se
croisent
Si le lien entre émancipation et stigmatisation semble
être relativement clair sur le sol marocain, qu'en est-il sur le sol
français ? En mettant en place des moments d'échange à la
Mdf de Montreuil, la compagnie cherche à créer ou renforcer un
désir d'émancipation chez les jeunes filles franco-marocaines
(voir plus généralement franco-maghrébines). A partir de
quel moment la frontière entre émancipation et stigmatisation
est-elle dépassée ? Vouloir l'émanciper, n'est-ce pas
déjà juger l'Autre en plaçant ses propres conceptions (du
corps libre, du féminisme) comme les seules et uniques ?
1. Le féminisme, une notion qui ne peut se
penser qu'au pluriel
La stigmatisation faite par les pays occidentaux à
propos de l'émancipation des femmes ne réside-t-elle pas
déjà dans le fait de penser le féminisme de façon
européenne ?
Pour de nombreux occidentaux, les termes féminisme et
musulman sont contradictoires et se réfèrent à deux
phénomènes incompatibles. Le féminisme est un discours
moderniste qui s'inscrit dans la tradition des Lumières et qui remet en
cause les vérités reçues. L'Islam, par opposition,
prescrit des règles strictes et des normes sur l'existence et les
comportements. Pour de nombreux musulmans, l'Islam fournit toutes les
réponses tandis que le féminisme est un phénomène
déviant ou une idéologie occidentale étrangère.
Mais entre ces deux positions extrêmes qui « occidentalisent »
et « exotisent » toutes les deux l'Islam, il semble possible
d'établir des ponts entre les divisions idéologiques.
43
La recherche universitaire a défini le féminisme
musulman comme un « mouvement réformiste qui a permis un
dialogue entre féministes religieuses et laïques et ouvert la voie
à de nouvelles possibilités en faveur de l'égalité
des sexes et de la participation des femmes aux doctrines et pratiques
religieuses »41. D'un point de vue sociologique, le
féminisme musulman n'est donc pas un mouvement social distinct parce que
ses pratiques ont été par nature textuelles. Il peut cependant
être considéré comme faisant partie du mouvement
féministe global. L'histoire montre bien que le féminisme n'est
ni exclusivement occidental, ni oriental. Les idées et les mouvements
féministes sont apparus au même moment que l'Orient et l'Occident.
Fondamentalement, le féminisme est une critique de la subordination
féminine et de la domination masculine qui s'accompagne d'un effort pour
rectifier la situation qu'engendrent ces rapports de domination/soumission. Les
féministes de culture musulmane n'ont pas emprunté leur vision
à l'Occident mais se sont opposées au colonialisme occidental qui
portait une bonne dose de pratiques et de politiques patriarcales. Le
féminisme que les femmes de culture musulmane ont conceptualisé
au siècle dernier fut appelé « féminisme laïque
» car il était organisé autour d'un discours nationaliste
qui prônait l'égalité pour tous les citoyens. «
Féminisme laïque » était une manière de dire
« féminisme national ». Prétendre que le
féminisme est occidental entretient non seulement l`ignorance historique
mais sert aussi à perpétuer l'idée qui a largement
circulé en Occident selon laquelle les musulmans et les Orientaux sont
incapables de produire des mouvements pour remettre les choses à
l'endroit, bref, incapables de produire un quelconque féminisme.
Cependant, il semble y avoir autant de façons de penser
le féminisme qu'il n'existe de féministes. Selon la
présidente de la MdFM42, « le féminisme est
une lutte des femmes pour obtenir l'égalité de leurs droits
», propos que vient corriger la directrice de la compagnie Art dans
le jardin43 pour qui « le féminisme est au contraire
une revendication qui doit être portée par les hommes et les
femmes afin de créer ensemble des solutions permettant d'aboutir
à l'égalité entre les sexes ». Parler « des
féminismes », en plus d'aller à l'encontre de l'utopie du
« front uni », soulève la question des rapports de force entre
les
41 Margot Badran, Existe-t-il un féminisme
musulman ? Ed. L'Harmattan, 2007, p.43
42 Roselyne Rollier, entretien réalisé
le 12 juin 2014 à la MdFM 4343 Nathalie Guisset, entretien
réalisé le 12 juin 2014 à la MdFM
44
féministes. Il semble donc très
problématique de pouvoir créer une action « féministe
» en France et de l'exporter dans une zone rurale marocaine sans
s'être adapté à l'histoire politique et humaine du pays
n'ayant pas les mêmes notions des féminismes. Si la
multiplicité des points de vue semble être résumée
au sein de ce projet, du strict point de vue occidental, jusqu'où peut
aller la stigmatisation des populations sur le sol français ? Ce type
d'actions culturelles peut-il, à défaut d'apaiser les tensions
entre les communautés, en créer de nouvelles ?
2. Les populations immigrées en banlieue, un
théâtre colonial ?
Toujours selon l'historien P. Blanchard, la banlieue serait
ainsi devenue un « théâtre colonial où la
domination subie enferme dans des catégories générales et
des images dont il est quasiment impossible pour l'individu de s'extraire. Ces
mécanismes néocoloniaux ne sont peut-être jamais aussi
présents que dans les relations entretenues par les représentants
institutionnels avec les habitants des quartiers
sensibles44». Confronter en permanence les populations
d'origines immigrées à des projets concernant
l'émancipation serait donc voué à l'échec et
contribuerait à creuser le fossé imaginaire entre eux et le reste
de la société en leur faisant comprendre qu'ils ne sont «
rien que des personnes immigrées ». A cause de ce manque de
qualification positive, il serait impossible d'engendrer des forces
sociologiquement unificatrices et donc d'agir sur l'émancipation. La
ségrégation socio spatiale, ajoutée à l'exclusion
symbolique, renforce la représentation d'une population apathique,
phénomène que certains n'hésitent pas à qualifier
de « colonialisme interne 45».
Schématiquement, deux analyses s'affrontent. La
première consiste à dire que les projets culturels à but
émancipatoire risqueraient d'accentuer les phénomènes
d'exclusion. La demande unilatérale faite aux personnes
immigrées, constituées en public cible dans l'obligation de
s'émanciper, traduirait un mépris social, une dégradation
de la citoyenneté en civisme et civilité, une adresse à
des êtres incivils qu'il convient de remettre dans le
44 Pascal Blanchard, La fracture coloniale, la
société française au prisme de l'héritage
colonial. Ed. La Découverte, 2005, p.24
45 Pablo Gonzalez Casanova, Société
plurale, colonialisme interne et développement. Revue Tiers-Monde, tome
5 n°18, p. 291-295
45
droit chemin46. Le but étant le maintien de
la paix sociale. La seconde analyse, portée par les acteurs de ce projet
culturel, repose sur l'idée qu'une action culturelle transnationale peut
créer une émancipation sociale et politique. L'activation de la
dimension conflictuelle de la citoyenneté, le développement des
formes de contrepouvoir en démocratie, permettraient aux publics de
redéfinir leurs préférences individuelles dans le sens des
politiques via la délibération.
Face à cette confrontation des points de vue, il parait
impossible de poser un regard tranché sur la situation. Certes,
l'émancipation semble être directement liée à la
stigmatisation, le tout participant au paradoxe de la coopération
culturelle. Si l'émancipation semble être aussi dure à
atteindre au Maroc qu'en France, existe-t-il au moins des impacts permettant
aux acteurs de ce projet de réaliser un bilan ? L'action culturelle sur
laquelle nous nous basons dans cette étude finissant en 2015, nous nous
axerons spécifiquement sur la réception des publics lors de la
soirée de projection de la première phase du projet «
Regardons nous grandir » qui a eu lieu le 12 juin 2014 à la
MdFM.
C. La réception des publics comme outil
d'analyse
La question de l'évaluation des activités
relevant de la politique publique est déjà difficile en soi. Elle
est encore plus délicate à maîtriser quand il s'agit
d'activités relevant des arts et de la culture car elles touchent
à des notions subjectives et souvent inquantifiables. Dans le domaine
culturel, bien que les questions de finalités ou d'objectifs soient
souvent sous estimées dans la relation entre décideurs publics et
acteurs, la complexité croissante des activités publiques et leur
imbrication dans des systèmes de réseaux mondialisés font
de l'évaluation un passage de plus en plus nécessaire afin de
recevoir des subventions. Dans le cas du projet « Regardons nous grandir
», les fondations (Elle et GDF Suez) qui le subventionnent ne
réclament pas ou très peu d'évaluation de la part de la
compagnie Art dans le jardin. Bien qu'il faille redemander une subvention pour
chaque phase du projet (trois fois en tout), les questions concernant le suivi
de projet se contentent de réponses quantitatives comme par exemple le
fait qu'Art dans le jardin ait créé une pièce de
théâtre à partir des textes des jeunes marocaines.
Qualitativement, la
46 Pascal Blanchard, op. cit
46
compagnie affirme par exemple dans son évaluation avoir
agi sur le désir d'émancipation des publics présents
à la MdFM lors de la soirée de projection. Peut-on mesurer
l'impact d'un projet en fonction du nombre de personnes qui se sont
déplacés pour le voir ? Qui étaient ces publics
présents à la MdFM le 12 juin 2014, quelles étaient leurs
attentes, qu'ont-ils retiré de cette expérience culturelle ? Afin
de tenter de répondre à ces questions, la mise en place d'une
enquête à distribuer le soir de la projection a été
nécessaire. Elle a pu être réalisée en partenariat
avec la présidente de la MdFM qui a partagé ses connaissances
à propos de ses publics, afin de créer un questionnaire le plus
logique possible.
1. Les publics cibles
La MdFM n'a jamais mis en place un référentiel
de ses publics, c'est donc au cours d'un entretien avec la présidente de
l'association qu'il a été possible de les déterminer dans
leurs grandes lignes47. Tout d'abord, le public de la MdFM est
différent en fonction des horaires. La journée il s'agit
principalement de femmes en situation de précarité qui viennent
chercher des conseils juridiques ou de femmes d'origines
étrangères qui assistent aux cours d'alphabétisation
proposés par l'association. Le soir, l'entrée est
autorisée aux hommes qui restent une minorité à franchir
les portes de la Maison. Le public le plus présent en composé de
femmes d'un milieu social assez aisé qui se revendiquent comme
étant des féministes. Il s'agit donc d'un public militant,
habitué des sorties culturelles. La dichotomie entre le public dit
d'habitués et celui composé par les femmes d'origines
étrangères socialement moins aisées, relève d'une
vision relativement caricaturale. Cependant, il s'agit schématiquement
des deux publics que la présidente de la MdFM espérait voir lors
de la soirée de projection de la première partie du projet «
Regardons nous grandir ». C'est pour cela que la construction du
questionnaire a été réalisée autour de ces deux
publics cibles.
2. Outils méthodologiques
Le choix méthodologique a été
déterminé par l'objet d'étude et par la population. En
effet, il semble nécessaire pour trouver les outils pertinents pour
appréhender son objet
47 Roselyne Rollier, entretien réalisé
le 28 mai 2014 à la MdFM
47
d'étude, de se confronter régulièrement
avec le terrain étudié afin de tester la faisabilité.
C'est pourquoi plusieurs visites à la MdFM ont été
nécessaires, tant en journée qu'en soirée.
L'outil48 a ensuite été construit de manière
à être adapté aux deux groupes étudiés d'un
niveau de langue différent puis il a été validé par
la présidente de la MdFM. Le questionnaire, écrit sur une double
page, devait être visuellement accessible pour les personnes ayant des
problèmes de vue. La langue utilisée est le français mais
ce questionnaire pouvait également être rempli sous forme de
question/réponse à voix haute si un problème de
compréhension se présentait. Il n'aura finalement pas pu
être utilisé lors de la soirée du 12 juin 2014.
3. Interprétation et résultat
Le soir de l'évènement à la MdFM, alors
qu'une soixantaine de personnes étaient attendues dans le public, une
vingtaine seulement étaient présentes. Parmi ces personnes, ni
public d'habitués, ni femmes du cours d'alphabétisation, mais des
proches des acteurs du projet culturel uniquement. Entre la famille des
salariés de la compagnie théâtrale, leurs amis et ceux de
la présidente de la MdFM, aucune personne extérieure ne se sera
déplacée ce soir-là. Distribuer le questionnaire
d'enquête a donc semblé être inutile, tant les
réponses obtenues auraient été modifiées par les
relations liant les sondés aux acteurs et partenaires du projet. Comment
expliquer cette désertion du lieu ? Pourquoi les publics cibles ne se
sont pas déplacés ? Selon la directrice de la
compagnie49, le problème viendrait de la communication.
Pourtant, entre l'affiche, les réseaux sociaux et les sites internet, la
soirée avait bien été annoncée. Quant à la
présidente de la MdFM, elle n'a pas su expliquer pourquoi le public
n'était pas au rendez-vous, s'excusant publiquement et déclarant
que la non venue du public était regrettable, « nous leur
proposions pourtant un sujet très intéressant50
». Finalement, cette phrase ne résumerait elle pas la force avec
laquelle la vision occidentale s'insinue dans un projet culturel transnational
? La culture, lieu de rencontre avec l'Autre, ne serait-il pas surtout un moyen
de se contempler soi ?
48 Questionnaire d'enquête de satisfaction,
annexe 4.
49 Nathalie Guisset, propos recueillis lors de la
soirée du 12 juin 2014 à la MdFM
50 Roselyne Rollier, discours tenu lors de la
soirée du 12 juin 2014 à la MdFM
48
Conclusion
A travers cette étude d'un projet culturel pensé
comme un outil d'émancipation féminine, il semble possible
d'affirmer qu'une certaine forme d'hybridation culturelle en découle. En
effet, conduire une action artistique sur un territoire aux codes
différents de ceux de ses acteurs peut être l'occasion de faire se
rencontrer deux cultures et visions du monde qui, ensemble, peuvent
déboucher sur une évolution des réflexions. Il est peut
être nécessaire de créer la rencontre de regards
différents pour prétendre à un désir de changement.
En cela, l'émancipation féminine ne serait pas un fantasme, et
les politiques culturelles seraient plus entachées d'une vision mondiale
et humaniste que d'une vision occidentale en opposition avec l'orientale.
Cependant, les politiques culturelles françaises
semblent également, inconsciemment ou non, reproduire une certaine forme
de domination culturelle entrant en résonnance avec les fractures
laissées par la colonisation. Le désir d'émancipation
féminine à l'égard du public marocain ne reposerait
finalement que sur la conviction que la France, en tant que pays plus
évolué, se doit de pousser les autres à reproduire son
propre modèle. Il s'agit d'une vision unilatérale de l'outil
culture plus que d'un esprit de coopération, l'Autre étant ainsi
régulièrement stigmatisé, et ce faisant, il
s'éloigne.
Cette réflexion ne reposant concrètement que sur
une étude de cas, il semble impossible d'en émettre des
généralités. Un travail plus approfondi, ouvert sur
d'autres structures effectuant des actions culturelles transnationales, devrait
être mis en parallèle avec ce résultat afin d'avoir une
vision plus complète, comme, par exemple, au sein d'une thèse.
Cependant, l'analyse de certaines pratiques ou phénomènes
collectifs contemporains montre, en tout état de cause, que les
hiérarchies inventées et mises en oeuvre durant la colonisation
ne relèvent pas du pur passé. Faut-il y voir un héritage,
c'est-à-dire une transmission directe et consciente ; un effet
persistant des systèmes symboliques ayant longtemps associé
l'infériorité et des couleurs de peau ; ou la conséquence
d'un long silence sur le passé ? Plutôt que de choisir, il est
plus sage et plus réaliste d'opter pour une multiplicité des
mécanismes qui, dans nos sociétés contemporaines,
maintiennent de l'inégalité et de la non-identification là
où l'égalité et la communauté des citoyens sont
affichées.
49
De plus, la persistance des disparités associées
aux différences visibles est souvent renforcée par des
institutions et des pratiques qui, sous couvert de neutralité,
véhiculent la pensée de l'inégalité en «
recyclant » des cadres administratifs nés dans le contexte
colonial. Ces imbrications du passé dans le présent ont
désormais pris la forme d'une question politique qui a été
plusieurs fois débattue. Comment régler le passé ?
Qu'il faille absolument s'en souvenir ou aller au-delà,
qu'on en écrive l'histoire, qu'on en brandisse la mémoire ou
qu'on accepte d'en assumer la responsabilité collective, les politiques
culturelles sont de plus en plus confrontées aux revendications ou aux
souffrances des victimes ou de leurs descendants, à moins que les
gouvernements ne prennent d'eux-mêmes la décision d'affronter
leurs politiques passées pour s'en repentir. Pourquoi, en ce
siècle dit de l'unification du monde sous l'emprise de la globalisation
des marchés financiers, des flux culturels et du brassage des
populations, la France s'obstine-t-elle à ne pas penser de
manière critique la post colonisation ? Quelles sont les conditions
intellectuelles qui pourraient faire en sorte que la France devienne, un jour,
une véritable démocratie cosmopolite capable de poser en des
termes inédits, et pour le compte du monde dans son ensemble, la
question de l'avenir, de la démocratie à venir ?
ANNEXES
50
Annexe 1 : Protocole de coopération entre les
villes de Montreuil et d'Agadir
2
langue arabe 'est enseignée depuis-. plusieurs
années _ (çoilége Fabien et lycée Jean
Jaurès) et des ,
établiSsernents d'Agadir où laiangue
françaiseest enseignée,
· , .
:Des, échanges
entré des lycées d'enscignerrent technique et professionnel
pourront_ également
etre. organises. -
·:. _ : -
· .
Pour ce dire, dans le courant du premier semestre 2006, des
rencontres seront organisées entre
- les resgor isables des établissements scolaires
.d'Agadir et dé' Montrcu 1, qui désirent s'engager dans ' ces
jumelages, afin de, Ietir p'er nettre une meilleure 'connaissance
réciproque et d'envisager les ' modalités cOncrêtes de
leurs relations.
. même, les .échanges concernant des .professeurs .
de languis et des professeurs .de
·
l'enseignement professionnel' des étiblissetriei ts
scolaires des deux collectivités' seront favorisés. -
EC1-IAN ES.UNIVERSJT I F,
Dans. lecadre de cet accord. de coopération entrcles deux
villes, là ville de Montreuil accueillera
· deûx étudiants d'Agadir. afin
qu'ils. puissent. suivre un corans
universitaire dans.une université de la
région parisienne,
· leur permettant notamment de
découvrir la.langue et la c;ultare
française.
Les étudiants pourront etre invites â
intervenir dace les'étahIL seriments. scolaires
·ou des centres
'culturels mantrcuiilois qui dispenses t renseignement de l'arabe: .
Ar ieIe r .
Dans le cadre di présent .accord, la ville d'Agadir
accueillera p?ur sa para deux étudiants,. professeurs ou chercheurs;
notamment de P'mstitut national, des langues et civilisa. tons orientales,
présentés par Montreuil,
·.
Ces étudiants, professeurs ou chercheurs pourront
âtre .sollicités .pour intervenir .dans les établissements
scolaires ondes centres culturels d'Agadir.
Article 5 :-
·
Pour les étudiants d°Agadir la ville de Montreuil
prendra a_ sa charge les frais de logement; de . scolauité, et
attribuera une bourse mer telle -permettant dé couvrir les
dépenses quotidiennes. et noiarriment de restauration et de
'santé. Les frais de transports internationaux seront pris en charge par
la partie ni' aarocaine.
Pour les étudiants de 'Montreuil, la ville d'Agadir
prendra â sa charge les frais dellogemettt-, de stolarit&
et attribuera une bourse rnerisaelle permettant de couvrir les
.tlépenses,.quotidiennes et notamment de restauration et de
santé. Les frais de transports internationaux seront pris en charge. .
par la partie française.
. Les modalités de- choix des étudiants sont les
suivantes : la. ville
· d'origine étudiera les
candidatures 'au" regard des aptitudes et de l'intéet
pour la lingue et la culture, gais aussi. des
· objectifs professioanels dés candidats et des
offres .de formation proposées par la ville d'accueil_ Ceci permettra
'de chôisir les étudiants dont. le séjouiparaitra, le plus.
pertinent. La ville d'accueil sera consultée sur 'ce choix.
·
. Article 6
Les étudiants seront invités â - s
1mpliquer dans des activités favorisant Te rayonnement des actions
i$t.emationales. menées ' par 'la. ville oû 'ils
séjburneront ',et susceptibles de faciliter les échanges et la
mise.met.cGuvre dc la, coopération entre les villes de Mantreui
.ctAgadir.
'.Les étudiants seront également
invitée. a 'produire régulièrement un
coznpte-cendu de leurs
activités et du déroulement lie leur
séjour. -
- I
3. ECHANCES ADMINISTRATIFS ET FORMATION DES AD1E ES ET
A ENTS
·
· Les -collectivités
s'engagent â favoriser les échanges de cadies
· et agents.
municipaux, par des missions d'études de courts et moyens
·stjoars,. afin de favoriser une c6nnaissance mutuelle du
fonctionnement des. collectivités marocaines et fr'ançaïses.
A ce. titre, seront .notamment Mis en
· reuvre des -échanges .dans les
domaines-suivants
- Gesticin'et animation. des maisons .de.quartiers et
deicentres culturels ,
- Mise. en ocnvrc des agendas`21 locaux
-
- Services ct,prestations Sociales
·
Ces .échanges doivent con#ribUer
i..Pamélioration de la qualité des services. et du cadre de vie
des habitants des deux collectivités notamment l'intégration
urbaine et sociale des quartiers-
Des collectivités locales.
partenaires- d' gadir et. de. 1 oittreuil pourrorrt etre
associées a ces démarches, et notaira ent la 'ville de Maderna,
(Brésil) pour son expérience dans le domaine de la .r sorption
des bidonvilles et de l'intégration de l'habitat non rëglementaire,
expërieiic4 reposant sur une participation active
des
·habitants_
·
Les' dépenses dc ;vouge
,.sont â la charge , iie la
,délation qui se 'déplace. Les frais d'hébergement et de
restturati~ou seront pris :en charge par la ville qui
accueille,
4. ECHANGES CULTURELS ET SPORTIFS
Article 8
Les deux collectivités -'s'engagent a favoriser
des échanges dans les domaines culturels et
· sportifs, notamment via les associations et les
clubs présents sur leur territoire respectif:
· En. vue de parvenir 4 la
mise en oeuvre- de' réalisations concrètes, les
pèrties .s'engagent â sensibiliser ces
associations et ces clubs â proposer des-projets conarra s .dans le
courent do Naruiée 2.006,
Ainsi, dans. le domaine culturel, des groupes
de musique pourront 'être encouragés, â se produire ' d'ans
la ville partenaire. .
Lino réflexion particulière sera
menée par les demo villes afin qu'elles- puissent participer
réciproquement aux grands'ëvenements organisés par
elles.
55
Annexe 2 : Affiche de la soirée
organisée par la compagnie Art dans le Jardin à la Maison des
Femmes de Montreuil
56
Annexe 3 : Texte écrit par Fatima, jeune
pensionnaire marocaine
QUAND JE SERAI ADULTE...
J`arrive d'un village du sud où les personnes ont un
bon caractère. La nuit, c'est une lune blanche qui veille sur nous, on y
mange du pain frais trempé dans de l'huile d'argan tous les matins et le
soir, on dit au revoir au soleil avant qu'il se couche. J'ai rêvé
que je venais d'une planète en or où ma chambre serait construite
en sable, le matin je me promène en pantoufles sur les planètes
voisines et le dimanche je marche sur les plages de mercure à la
rencontre des sirènes rouges. J'habiterai dans une île remplie
d'arbres fruitiers au milieu de l'océan, ma maison sera construite en os
de gros poissons, mon amie baleine sera mon moyen de locomotion et le soir elle
me ramènera chez moi sur l'île.
Je construirai ma maison loin de la pollution humaine, loin
des bruits d'usine et de véhicules. J'y trouverai ma liberté, des
amies, de l'air pur, du calme et de la paix. Je fabriquerai des avions en
arrêtes de requins pour faire le tour du monde.
Adulte, je serai chercheur scientifique, professeur de la
philosophie, sapeur-pompier, professeur de danse, éleveur d'animaux
domestiques. Je ne serai pas mariée parce que je n'aime pas partager ma
vie avec les autres, j'aime vivre seule libre et indépendante. Je n'aime
pas la soumission. Je ne saurai comment décrire mon mari car je n'en
veux pas. Je ne serai jamais chirurgienne ou pilote mais en revanche, je ferai
de la natation, j'écouterai de la musique douce, je dessinerai et je
lirai.
Quand je serai une femme, je crois que je devrais renoncer
à certains de mes rêves d'enfants comme, voler sur le tapis de
Sindibad, faire le tour du monde comme Ibn Batouta ou devenir magicienne. Mais,
pour sûr, ma maison sera comme une verrière sous la mer,
décorée de sable et de coquillages, ses chambres remplis de
photos de poissons. Je pourrais les caresser du doigt au travers des vitres.
Pour mes trente ans, je veux un beau cheval noir et une ville
pleine de jeux. La seule femme que j'aimerai dans ma vie c'est ma maman.
J'aurai dix enfants que j'éduquerai d'une bonne éducation, je
leur apprendrai le respect, l'amour et la fraternité. Mes cinq
garçons joueront au basquet ball et mes cinq filles, je ne sais pas
encore. J'ai un coeur fragile, il ne supporte pas des chagrins, mon nez ne
supporte pas les mauvaises odeurs et mes yeux n'aiment pas les larmes
Je me sens belle quand je suis toute seule pour me concentrer
sur mes pensées ou quand je suis avec un ami intime où quand je
suis entre les bras de ma mère et quand je voyage avec mon père
aussi. Je suis moche quand je me réveille le matin avec force et quand
je me sens loin de ma mère. En fait ! Je serai professeur !
57
Quand je serai grande, je refuserai de ne pas trouver mon plat
préféré, je refuserai que quelqu'un m'insulte, je
refuserai la mort de mes proches, et faire du mal à quelqu'un
involontairement.
Adulte, je changerai les mauvais gens, je transformerai mon petit
village en une grande ville, je changerai les façons de vivre !
J'ai horreur d'être l'élève d'un professeur
que je n'aime pas et mélanger le café avec le lait. Je voudrais
être artiste pour pouvoir envoyer des messages à travers l'art.
Des fois je suis en colère, à cause de
moi-même, ou de mon père ou de mon professeur, ça
dépend.
Femme, je danserai sur ma chanson préférée
« la vie de chab khalid ».
Par amour, je gouvernerai le monde, je mettrai de la
démocratie et des voyages dans l'espace.
L'amour c'est un super sentiment, je n'ai pas peur de devenir une
femme
58
Annexe 4 : Questionnaire de réception du public
réalisé pour la soirée du 12 juin 2014
à la MdFM
VOS ATTENTES
11. Quelles étaient vos attentes en venant
â cette soirée {numéroter de 1 â 5 par ordre
d'importance) ?
q Militer Echangeretdébattre S'informer
q Se divertir Se retrouver entre amis
q Autres (p rècis erk :
12. Que vousa apporté la soirée
(numéroterde 1 â 4 par ordre d'importance) ?
q De nouvelles informations De nouveaux
points de vue Un
moment divertissant
LI Un temps de réflexion Autres (préciser):
13. Souhaiteriez-vous participer â une
autre soirée de ce genre?
q Oui Non Ne sait pas
14. Suite la soirée, avez-vous l'intention de :
q Rester informé sur ce sujet Devenir ou
rester bénévole dans une
association
q Repenser votre propre rapport â votre corps
Autres (préciser):-.--.--.- ._ ...............................
15. Pensez-vous que cette soirée ait
changé quelque chose au niveau de votre perception de la question de
l'émancipation féminine en général ?
q Oui Non Nesait pas
16. Pensez-vous que cette soirée peut modifier
la perception que vous avez de vous-même ?
q Oui Non Nesait pas
17. De façon plus générale,
pensez-vous qu'une action culturelle puisse participer â
l'émancipation féminine?
q Oui Non Nesait pas
AUTRES REMARQUES:
Mem pop vos pre'dmies rép4aaea !
Roiafe
Gara
59
2
60
BIBLIOGRAPHIE
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- Maïté GERSCHWITZ, Responsable du service
Echanges Internationaux et Coopération Décentralisée de la
Ville de Montreuil.
Entretien réalisé le 20 avril 2014 au centre
administratif à Montreuil.
- Nathalie GUISSET, Directrice de la Compagnie Art dans le
Jardin.
Plusieurs entretiens ont eu lieu entre le 15 avril 2014 et le
30 juin 2014 au siège de la Compagnie à Montreuil et à la
Maison des Femmes de Montreuil.
- Roselyne ROLLIER, Présidente de la Maison des Femmes de
Montreuil.
Plusieurs entretiens ont eu lieu entre le 15 mai 2014 et le 12
juin 2014 à la Maison des Femmes de Montreuil.
- Brahim SAFINI, Responsable de l'ONG Bani et Maire de la
commune Arbâa Sahel Entretien réalisé via Skype, le 30 aout
2014.
- François TIGER, Responsable de l'Action Culturelle de
l'Institut Français d'Agadir.
Entretien réalisé par courriel le 23 juillet
2014.
66
Table des matières
REMERCIEMENTS 2
LISTE DES SIGNES ET ACRONYMES 3
SOMMAIRE 4
Introduction 5
I) L'unification du monde et sa redéfinition des
politiques culturelles 8
A. La mondialisation, agent de la transformation des relations
internationales 8
1. Souffrance et dépendance des pays du Sud
8
2. La mondialisation culturelle 10
3. Le transnational, une barrière au nationalisme
? 12
B. Relations France-Maroc : le poids du passé 13
1. Le traumatisme de la colonisation 13
2. La coopération culturelle comme tentative de
réconciliation 15
3. Le jumelage, entre échange et
compréhension de l'Autre. 17
C. La place des femmes, un enjeu au coeur des politiques
culturelles 18
1. Etat des lieux mondial de la condition féminine
18
2. La place des femmes au Maroc 20
3. La France et l'histoire des rapports sociaux de sexe,
de nouveaux enjeux 21
II) Un projet culturel transnational comme
révélateur d'enjeux variés : « Regardons nous
grandir »
23
A. La compagnie théâtrale française Art
dans le Jardin : le théâtre, outil d'émancipation. 25
1. Volonté d'émancipation et
réinterprétation de la demande 25
2. Création et mise en place de la démarche
artistique 26
3. Résultats attendus par la compagnie 28
B. Le Maroc, carrefour des civilisations 29
1. Tiznit, une zone rurale à développer
29
2.
67
L'émancipation féminine, un choix
économique 31
3. Le projet culturel, outil du renouvellement de l'image
mondiale 32
C. Les politiques publiques françaises face à
l'enjeu de la conscience collective sur le territoire
34
1. La Maison des femmes de Montreuil, lieu
d'échange avec l'Autre et d'interrogation sur
soi............ 34
2. Biculturalisme et difficultés
rencontrées par les montreuilloises 35
3. L'apprentissage de la « négociation
», la culture pour se libérer 36
III) Le paradoxe de la coopération culturelle 37
A. La coopération culturelle, vectrice de
perpétuation du colonialisme ? 38
1. Le théâtre, un outil occidental
38
2. Emanciper la femme, la nouvelle « mission
civilisatrice » ? 39
3. Les femmes marocaines et le dévoilement du
corps, une relation délicate 41
B. Emancipation et stigmatisation, deux notions qui se
croisent 42
1. Le féminisme, une notion qui ne peut se penser
qu'au pluriel 42
2. Les populations immigrées en banlieue, un
théâtre colonial ? 44
C. La réception des publics comme outil d'analyse 45
1. Les publics cibles 46
2. Outils méthodologiques 46
3. Interprétation et résultat 47
Conclusion 48
ANNEXES 50
BIBLIOGRAPHIE 60
ENTRETIENS 65