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Projets culturels transnationaux : enjeux et perspectives

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par Roxane Garo
Université de Cergy Pontoise - Master Développement Culturel 2013
  

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    Roxane GARO

     

    Projet culturel transnational, enjeux et perspectives.

    En quoi un projet culturel pensé comme un outil d'émancipation féminine
    peut-il être le reflet d'une vision occidentale des politiques culturelles ?

    Mémoire de Master 1 « Développement Culturel et Valorisation des Patrimoines »

    Sous la direction de Anne HERTZOG, maitre de conférences à l'Université de Cergy-Pontoise.

    Composition du jury :

    Anne HERTZOG, maître de conférences à l'Université de Cergy-Pontoise Maria BASILE, maitre de conférences à l'Université de Cergy Pontoise

    Année universitaire 2013-2014

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    REMERCIEMENTS

    Je remercie :

    Mme Anne HERTZOG, pour m'avoir poussé sur le bon chemin et permis de ne plus voir la géographie comme une succession de cartes, mais comme un fabuleux moyen d'étudier et repenser l'individu.

    Mme Nathalie GUISSET, pour m'avoir permis de participer à un si beau projet culturel. Penser le théâtre au-delà des frontières a déconstruit mes certitudes ce qui permet, je crois, de mieux comprendre le monde.

    Ainsi qu'à toutes les personnes qui m'ont reçue, consacrée du temps, m'ont fait grandir.

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    LISTE DES SIGNES ET ACRONYMES

    APD : Aide Publique au Développement

    CCDH : Commission Consultative des Droits de l'Homme

    CCRE : Conseil des Communes et Régions d'Europe

    CEDEF : Convention sur l'Elimination de toutes les formes de Discrimination à l'Egard

    des Femmes

    CCME : Conseil de la Communauté Marocaine à l'Etranger

    FMI : Fonds Monétaire International

    FMCU : Fédération Mondiale des Cités Unies

    IDH : Indice de Développement Humain

    IPF : Indice de Participation des Femmes

    ISDH : Indice Sexospécifique du Développement Humain MdFM : Maison des Femmes de Montreuil

    OMD : Objectifs du Millénaire pour le Développement

    ONU : Organisation des Nations Unies

    PED : Pays En Développement

    PMA : Pays les Moins Avancés

    PNUD : Le Programme des Nations Unies pour le Développement SCAC : Service de Coopération et d'Action Culturelle français

    TUE : Traité sur l'Union Européenne

    ZUS : Zone Urbaine Sensible

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    SOMMAIRE

    Introduction

    I) L'unification du monde et la redéfinition des politiques culturelles

    A. La mondialisation, agent de la transformation des relations internationales

    B. Relations France-Maroc : le poids du passé

    C. La place des femmes, un enjeu au coeur des politiques culturelles

    II) Un projet culturel transnational comme révélateur d'enjeux variés : « Regardons nous grandir »

    A. La compagnie théâtrale française Art dans le Jardin : le théâtre, outil d'émancipation.

    B. Le Maroc, carrefour des civilisations

    C. Les politiques publiques françaises face à l'enjeu de la conscience collective sur le territoire

    III) Le paradoxe de la coopération culturelle

    A. La coopération culturelle, vectrice de perpétuation du colonialisme ?

    B. Emancipation et stigmatisation, deux notions qui se croisent

    C. La réception des publics comme outil d'analyse

    Conclusion

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    « Il y a un préjugé naturel qui porte l'homme à mépriser celui qui a été son inférieur, longtemps encore après qu'il est devenu son égal ; à l'inégalité réelle que produit la fortune ou la loi, succède toujours une inégalité imaginaire qui a sa racine dans les moeurs ; mais, chez les anciens, cet effet secondaire de l'esclavage avait un terme. L'affranchi ressemblait si fort aux hommes d'origine libre, qu'il devenait bientôt impossible de le distinguer au milieu d'eux. Cela vient de ce que chez les modernes le fait immatériel et fugitif de l'esclavage se combine de la manière la plus funeste avec le fait matériel et permanent de la différence de race. Le souvenir de l'esclavage déshonore la race, et perpétue le souvenir de l'esclavage. »

    Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique

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    Introduction

    En cette période de crise économique mondiale, le budget alloué à la culture en France est de plus en plus diminué. Pourtant, l'Etat lance régulièrement des appels à projets, notamment dans le domaine théâtral, poussant les compagnies à mettre en place des projets culturels à destination des pays les plus pauvres. La solidarité internationale et la culture se retrouvent ainsi liées l'une à l'autre et doivent répondre à un enjeu commun, qui revient souvent à une volonté d'émanciper les populations dites « fragiles ». Quelles sont les motivations qui poussent les acteurs politiques à mettre en place des projets internationaux ? Pourquoi un pays mettrait il des actions en place afin d'en aider d'autres, au lieu de régler les problèmes qu'il rencontre sur son territoire ? D'où vient cet attrait pour l'ailleurs ? Ces questions sont régulièrement mises en avant par l'actualité culturelle. Dans le domaine théâtral, de nombreux appels à projets sont lancés pour mettre en place des projets culturels transnationaux, les compagnies théâtrales implantées dans des Zones Urbaines Sensibles reçoivent des subventions qui se voient presque doublées si des actions sont menées à l'étranger. Il semble intéressant de s'interroger sur les enjeux et attentes des commanditaires, des exécuteurs (compagnies théâtrales) et des récepteurs (publics) afin de tenter de comprendre cet engouement pour la culture utilisée comme outil d'émancipation.

    Le stage obligatoire réalisé au cours du Master 1 DCVP a été l'occasion de se confronter à ces questions puisqu'il a eu lieu au sein d'une compagnie théâtrale de Montreuil. Celle-ci, en pleine préparation d'une action culturelle franco-marocaine censée développer le pays maghrébin en termes d'outils de communication, s'est vue être réinterprétée par la compagnie qui a décidé d'ajouter l'objectif de l'émancipation féminine au projet. Ce terrain d'étude semblait donc être particulièrement prolifique en cela qu'il recelait de problématiques complexes. En quoi un projet transnational entre le Maroc et la France peut-il concerner la place de la femme dans le Royaume ? Quels sont les enjeux

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    français au coeur de ce type d'action ? En quoi les rapports entre ces deux pays nécessitent ils une entraide ? Finalement, en quoi un projet culturel pensé comme un outil d'émancipation féminine peut-il être le reflet d'une vision occidentale des politiques culturelles ?

    Cette dernière question semble particulièrement intéressante en cela qu'elle nécessite d'aborder des thèmes ancrés dans l'actualité comme les relations Nord-Sud, la mondialisation ou encore la culture comme outil. La bibliographie consacrée à la matière, notamment les conclusions de Pascal Blanchard1, orientait la méthodologie vers l'exploitation de sources directes. Cependant, l'étendue du sujet a également nécessité la réalisation d'entretiens semi-directifs ainsi qu'une enquête de terrain.

    Intitulé "Projet culturel transnational : enjeux et perspectives", ce mémoire tend à démontrer que dans un projet culturel transnational, le rapport de coopération classique est souvent réinterprétée par les acteurs culturels. La vision que les acteurs de la coopération construisent du Maroc renvoie à deux registres distincts de l'« Autre ». Ce terme, plusieurs fois utilisé dans le mémoire, gagnerait à être définit dès maintenant. Tout d'abord, l'Autre est celui vis-à-vis duquel on se singularise, par opposition auquel on se construit soi et son identité. L'Autre renvoie également à celui qui n'appartient pas au même rivage de la Méditerranée, il est celui auquel l'action de coopération est destinée et à partir duquel elle se construit. C'est la vision de cet Autre là que nous allons évoquer.

    Après une première partie relativement théorique consacrée à l'étude de la mondialisation et à ses conséquences potentielles dans la redéfinition des politiques culturelles, la deuxième partie s'axera sur l'étude d'un projet culturel transnational spécifique. Il s'agira d'analyser les enjeux au coeur du projet en adoptant un point de vue transnational (celui des acteurs). Enfin, on s'interrogera dans une dernière partie sur l'impact généré par la réception des publics sur le projet au coeur de notre étude.

    1 Pascal Blanchard, La fracture coloniale, la société française au prisme de l'héritage colonial, La Découverte, 2005

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    I) L'unification du monde et sa redéfinition des politiques culturelles

    A. La mondialisation, agent de la transformation des relations internationales

    Au cours des dernières décennies, les frontières marquant la société internationale ont subi des transformations importantes. La disparition de l'empire soviétique et la fin de la Guerre froide ont entrainé des reconfigurations territoriales, politiques et idéologiques à vaste ampleur, affectant tous les États. La mondialisation - définie dans le Petit Robert 2013 comme étant un phénomène d'ouverture des économies nationales sur un marché mondial libéral, lié aux progrès des communications et à la libéralisation des échanges - entraine une interdépendance croissante des pays.

    Les années 1980, voyant les repères de l'ancien ordre mondial bouleversé, ont été synonymes de profondes ruptures. La mondialisation et la montée en puissance du libéralisme ont transformé radicalement les relations économiques internationales et ont eu d'importantes conséquences sur la vie économique et sociale de tous les pays du monde. Le développement des échanges internationaux de biens et de services a provoqué un développement de l'économie de marché au niveau mondial. Aucun pays ne peut vivre en autarcie, l'ouverture vers l'extérieur, même minimale, impose un certain degré d'acceptation des principes de l'économie de marché. La crise, douloureuse pour les pays riches, est encore plus violemment ressentie par les pays les plus pauvres.

    1. Souffrance et dépendance des pays du Sud

    Le terme « pays du Sud » désigne les pays dits « pauvres », en général situés dans la partie sud des continents émergés. Les PMA (Pays les Moins Avancés) sont particulièrement visés par cette appellation et tendent à lui donner plus de sens puisque géographiquement, des pays situés au Sud peuvent bénéficier d'une richesse économique relativement importante, ce qui rend l'expression paradoxale. Crée en 1971 par l'Organisation des Nations Unies, la catégorie PMA désigne donc les Etats présentant les indices de développement humain (IDH) les plus faibles qui obtiennent ainsi une attention

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    particulière de la part de la communauté internationale. La mondialisation est souvent résumée comme opposant les pays du « Nord » et ceux du « Sud », les seconds tentant de rattraper les premiers d'un point de vue économique.

    Les pays occidentaux, sur lesquels le modèle de mondialisation qui se développe aujourd'hui est basé, viennent en aide aux pays les plus pauvres en mettant en place des mécanismes de coopération auprès d'eux. Les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) en sont une manifestation. Cette coopération internationale repose sur l'adoption par 183 Etats membres de l'ONU et 23 organisations internationales, de huit objectifs relevant de grands enjeux humanitaires. Adoptés à New York lors de l'année 2000, ces enjeux devaient être atteints à l'aube de l'année 2015, date butoir qui ne sera finalement pas respectée. Au-delà de cette difficulté rencontrée par les pays afin de faire respecter ces objectifs, il semble intéressant de relever l'effort mondial réalisé dans la lutte contre les disparités et pour la promotion du respect des droits humains.

    Un autre exemple d'action mise en oeuvre par les pays développés au bénéfice des Pays En Développement (PED) est l'Aide Publique au Développement (APD). Elle correspond aux dons et prêts à des conditions préférentielles accordées aux PED par le secteur public des pays du « Nord ». Cette aide, composée de dons financiers ou en nature, peut être bilatérale (d'État à État) ou multilatérale (accordée par les organisations internationales comme le Fonds Monétaire International - FMI - ou la Banque mondiale). Permettant aux pays pauvres de financer une partie de leur développement, cette aide peut être considérée comme faisant partie des biens publics internationaux car elle a pour but l'amélioration du bien-être collectif mondial.

    En tentant de réguler les effets inéquitables de la mondialisation, les États semblent tenter de penser le monde de manière collective et humaine, ce qui peut sembler paradoxal au sein même d'un système mondial basé uniquement sur une dimension économique. Les effets et conséquences de la mondialisation auraient-ils finalement dépassé les frontières du matérialisme qui lui sont accolées ? Jusqu'où peut se jouer cette internationalisation propre à notre ère ? La mondialisation peut-elle redéfinir d'autres domaines, s'infiltrer dans les modes de penser et de vivre au sein d'une culture singulière ?

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    2. La mondialisation culturelle

    La mondialisation culturelle implique l'émergence d'une culture mondiale issue de la symbiose des cultures nationales : les contacts prolongés entre cultures différentes provoquent une acculturation des peuples concernés, c'est-à-dire des changements culturels au sein des sociétés en contact. La culture mondiale peut être une culture nouvelle ou celle d'un pays dominant ou encore celle d'un groupe de pays dominants (les pays occidentaux). On assiste à une occidentalisation du monde qui, quelles qu'en soient les modalités, aboutit à une uniformisation. Les identités nationales tendent à s'effacer et à laisser la place à une forme d'homogénéisation des cultures. Cette théorie a été mise en avant par Claude Lévi-Strauss dès les années 1980, qui soutenait que « l'humanité s'installe dans la monoculture ; elle s'apprête à produire la civilisation de masse comme la betterave. Son ordinaire ne comportera pas plus qu'un plat »2. La mondialisation et son uniformisation culturelle aurait donc un lien direct avec les politiques culturelles qui seraient mises à son service.

    En France, les politiques culturelles, portées par les pouvoirs publics, occupent une place importante par rapport à la majorité des pays. Elles trouvent leur légitimation au sein de trois textes fondateurs de l'intervention publique en matière culturelle qui semblent également être révélateurs de la façon dont la politique internationale a touché les politiques culturelles françaises.

    Tout d'abord, le préambule de la Constitution qui, en 1946, déclare que « la Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, la formation professionnelle et à la culture 3», fait de l'État le garant de la culture française sans s'appesantir des autres cultures. Cette vision nous permet de définir la culture comme étant l'ensemble des aspects intellectuels, artistiques et des idéologies d'une civilisation.

    En 1959, André Malraux alors nommé « ministre d'État, chargé des affaires culturelles », en créant le ministère de la Culture, rédigea un décret relatif aux attributions du ministre chargé de la Culture dans lequel il lui donna pour mission de « rendre accessibles au plus

    2 Claude Lévi-Strauss, Tristes Tropiques, éd. Pocket, 2001, p.37

    3 La Constitution est consultable en ligne sur le site officiel de l'Assemblée Nationale, Préambule, http://www.assemblee-nationale.fr/connaissance/constitution.asp

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    grand nombre les oeuvres capitales de l'humanité, et d'abord de la France4 ». L'idée de la préservation de la culture française reste donc centrale mais celle-ci se voit rejointe par les autres faits culturels marquants mondiaux. Le traité de Maastricht sur l'Union Européenne (TUE) élargira cette vision en 1992 en énonçant la nécessité de « réaliser des actions d'encouragement destinées, dans le respect de la diversité nationale et régionale, et en rappelant l'héritage culturel commun, à appuyer et à compléter les actions des États membres5 ». Les enjeux de ce traité, du point de vue de la culture, semblent donc allier protection, création et respect des cultures, démarche représentative de l'évolution du monde moderne au rythme de la mondialisation. Parallèlement à cette évolution des regards, la politique de décentralisation menée en France dans les années 80 a tenté de répondre aux problèmes posés par le déséquilibrage des territoires français en développant une politique partenariale entre l'État et les collectivités territoriales. Soucieuses d'aller à la rencontre des habitants, les politiques culturelles sont venues concrètement à eux. La culture aurait été utilisée comme un outil permettant de s'ouvrir à l'Autre afin de créer un lien plus que jamais nécessaire au bon fonctionnement national. Il semble donc cohérent de reporter cette attitude à la mondialisation et de repenser ses effets. L'idée qu'une collectivité humaine puisse adopter la culture d'autres collectivités et ainsi abandonner ses propres traits culturels (il s'agit du principe d'assimilation) peut certes s'avérer être un risque encouru, mais ne semble pas forcément être un passage obligé. En effet, emprunter certains traits culturels en les adaptant à sa propre culture, qui de ce fait ne disparait pas, peut être un signe d'évolution. L'individu serait alors un bâtisseur de sa propre culture, faite d'emprunts culturels multiples et diversifiés aux autres sociétés, que la mondialisation faciliterait. Celle-ci n'impliquerait pas nécessairement la convergence des pays vers un même modèle de société et pourrait même s'avérer utile pour lutter contre un nationalisme grandissant qui gangrène les Etats.

    4 Décret n°59-889 du 24 juillet 1959 disponible sur le site Legifrance.gouv.fr http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000299564

    5 Article 128 (devenu l'article 151) datant du 7 février 1992, consultable sur le site du Sénat : http://www.senat.fr/rap/r00-213/r00-2130.html

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    3. Le transnational, une barrière au nationalisme ?

    Le nationalisme, doctrine qui différencie les individus sur la base de leur nationalité, semble s'être renforcé avec l'arrivée de la mondialisation. En effet, si la bipolarisation favorisait une cohésion à l'intérieur de chaque bloc (Est-Ouest), la fin du conflit central a libéré les ambitions de pays jusqu'alors soumis à un des deux grands. Leur volonté d'échapper aux contraintes qu'ils s'étaient imposés en temps de crise serait responsable de la multiplication des conflits locaux selon S. P. Huntington6 pour qui les ruptures dans le système international entraîneraient des réactions de repli sur soi identitaires. Face aux changements socio-économiques, l'identité serait alors ressentie comme le seul fondement inflexible d'un groupe affirmant sa place dans un monde en mouvement. Ces dynamiques entraineraient une radicalisation et réactiveraient des peurs fantasmagoriques. De part et d'autre de la Méditerranée surgiraient des dynamiques visant à construire l'Autre comme ennemi.

    Selon S.P. Huntington, la première perception négative que les pays du Nord construisent à propos des pays du Sud est le « sentiment populaire ». La crise économique, les changements de repères dus aux transformations mondiales et ce qu'ils induisent en termes de questionnement, voire de remise en cause du modèle d'intégration, ainsi que de la présence dans les pays du Nord d'une importante population d'origine immigrée sont autant d'éléments qui poussent l'opinion publique à une lecture « culturelle » des difficultés liées à l'immigration aujourd'hui. Ces lectures fantasmagoriques sont reprises et entretenues par un discours politique, qui forme le deuxième registre de perception négative. En se proclamant défenseur des idées nationales, le Front National s'est ainsi saisi de la question de l'immigration depuis 1976, ce qui, selon S. P. Huntington, pourrait diviser l'humanité tout entière car « les grandes causes de division de l'humanité et les principales sources de conflits seront culturelles. Les Etats nations continueront à jouer leur premier rôle dans les affaires internationales, mais les principaux conflits politiques mondiaux mettront aux prises des nations et des groupes appartenant à des civilisations

    6 Samuel Philips Huntington, « The Clash of Civilizations », Foreign affairs, 1993

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    différentes. Le choc des civilisations dominera la politique mondiale. Les lignes de fractures entre civilisations seront les lignes de front de l'avenir »7.

    Comment contrer cet inexorable glissement du monde vers le repli identitaire ? Les relations internationales, renvoyant aux rapports entre les États-nation reconnus comme souverains par la communauté internationale, ne semblent être d'aucun secours dans la pacification du monde puisqu'elles excluent tout un pan de celui-ci. Elles font résider l'Autre au-delà des frontières alors que la situation géopolitique et économique mondial nous pousse actuellement à constater qu'il est partout présent dans la société qui l'héberge. Une solution pour éviter ce danger, si l'on en croit Daniel Tremblay8, serait le transnational et les rapports qui en découlent. L'expression « relations transnationales » renvoie aux « interactions transfrontalières qui se produisent sur une base régulière entre des acteurs dont au moins un n'est pas un État ou n'agit pas au nom d'un État »9. Selon cette thèse, la cohabitation des acteurs mondiaux ne devrait pas se limiter à une observation passagère, mais aboutir à des rencontres régulières permettant de créer un partenariat, une coopération continue. Ces relations, tissées entre les acteurs de la scène internationale, en échappant au contrôle des États, seraient alors susceptibles d'échapper à leur influence et ainsi de supporter des projets porteurs d'un impact plus spécifique et fonctionnel.

    B. Relations France-Maroc : le poids du passé

    1. Le traumatisme de la colonisation

    Le colonialisme désigne un « processus par lequel les grandes puissances européennes imposèrent leur emprise sur le reste du monde. Aucun continent n'a échappé entre le XVème et le XXème siècle, à cette dynamique historique poussant les États à s'emparer par la force et à s'implanter sur des territoires auxquels ils imposent leur domination

    7 Ibid. p.82

    8 Daniel Tremblay, Un monde transnational est possible : Mutation des frontières internationales. L'Harmattan, 2010

    9 Ibid. p.261

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    politique, économique et idéologique 10». Cette notion est au coeur des relations entretenues entre la France et le Maroc. Il semble important de la mettre en évidence et de la comprendre car elle est à l'origine de la plupart des liens entretenus par les pays par la suite.

    Le 30 mars 1912 était signé à Fez le Traité de Protectorat qui allait être abrogé 44 ans plus tard, le 2 mars 1956. Ce régime politique mis en place entre la Troisième République française et Moulay Hafid, sultan marocain, a fait de ce dernier un élément symbolique pour le pays et du pouvoir exécutif le représentant de la France. Cette situation coloniale a créé un essor économique marocain considérable mais également un sort drastique fait d'oppressions et d'exploitation pour la population.

    Face à la volonté de la France d'implanter sa propre administration sur les terres marocaines et de diviser les populations arabes et berbères, une agitation nationaliste a été déclenchée avec la guerre du Rif organisée par Mohamed ben Abdelkrim El Khattabi. La défaite française de 1940, l'occupation anglo-américaine de l'Afrique du Nord à partir de 1942, ont affaibli le prestige de la France et favorisé la création d'un parti nationaliste qui a réclamé l'indépendance, le Mouvement National Marocain (MNM). Après vingt ans de bataille contre ses colonisateurs, l'indépendance marocaine a été remportée. Ce fut l'une des plus courtes expériences de colonisation de l'histoire, d'un point de vue culturel et idéologique, le Maroc a été le moins touché des trois pays maghrébins. Cependant celle-ci a marqué à jamais le cours de l'histoire contemporaine du Maroc, le liant définitivement avec son colonisateur, l'État Français.

    La Déclaration de la Celle Saint Cloud, signée le 6 novembre 1955 entre la France et le Maroc a fait apparaitre, pour la première fois dans le lexique français de la décolonisation, la notion « d'indépendance ». L'absence de référence au texte du traité de Fès, qui scellait le protectorat, renforçait la notion, toutefois assortie du terme « interdépendance » : « l'indépendance dans l'interdépendance ». L'expression fut placée au coeur des négociations pour la décolonisation mais son contenu évolua jusqu'à disparaitre au profit de la notion nouvelle de « coopération ».

    10 Définition extraite du Dictionnaire des relations internationales de 1945 à nos jours, Frank Attar, Ed. du Seuil, 2009

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    2. La coopération culturelle comme tentative de réconciliation

    La coopération qui s'est mise en place au lendemain des indépendances a été rendue possible par l'évolution des rapports internationaux. Elle est le produit de la mutation des rapports entre la France et son ancienne colonie. Après l'indépendance, le Maroc a mené une politique extérieure ambigüe, recherchant un équilibre entre un positionnement en faveur de l'Occident et un engagement plus revendicatif. Partisan de la double culture (bilinguisme), l'ambition du Maroc était de se situer en l'Occident et l'Orient. Soucieux de parfaire son indépendance politique par une élimination des contraintes et de dépendances économiques, le Maroc a accepté la politique de coopération technique et culturelle. La pauvreté a été un champ de lutte prioritaire pour les pouvoirs car celle-ci était considérée comme la plus grave des humiliations parce qu'elle place les nations en position de faiblesse. Il a donc été question d'accepter une forme de dépendance pour en résorber une autre ce qui fut et est toujours une source de tensions que Mongo Beti dénonce dans son travail de recherche. « C'est-à-dire que l'Afrique n'a pas plus choisi la coopération franco africaine, fondée sur de prétendus liens spéciaux, qu'elle n'avait choisi la colonisation jadis ; elle lui a été imposé dans l'environnement schizophrénique de la guerre froide.11 » Un paradoxe semble effectivement être soulevé puisque le mot « coopération », dérivé du latin « co-operare » signifiant oeuvrer, travailler ensemble, est censé renvoyer à un rapport au sein duquel les individus conduisent leurs relations et leurs échanges d'une manière non conflictuelle ou non concurrentielle. Si les objectifs du Maroc étaient de combattre la pauvreté et de mettre l'accent sur le système scolaire, perçu comme l'instrument clé de transformation des sociétés, l'enjeu final restait le même que durant la colonisation, la quête de l'indépendance.

    Du côté français, toute la sphère politique était mobilisée afin d'atteindre les objectifs de développement des « pays du champ » (c'est-à-dire les pays ayant acquis leur indépendance dans le cadre de la décolonisation) lancés par le général De Gaulle qui créa en 1959 le ministère de Coopération (fusionné avec le ministère des Affaires Etrangères en 1999). Quatre cercles interviennent dans le processus d'élaboration de la politique publique de coopération. Celui par lequel tous les décisionnaires transitent, le Président de la République, son cabinet, le ministère des Finances ; l'ensemble des administrations

    11 Mongo Beti, La France contre l'Afrique. Ed. La Découverte, 2006, p.151

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    sectorielles qui interviennent lorsque leur secteur est concerné ; les partenaires extérieurs de l' État : syndicats, organisations professionnelles, associations, entreprises publiques et privées ; et l'ensemble des organes politiques (Parlement), juridictionnel (Conseil Constitutionnel, Conseil d'Etat, Cour des Comptes) qui peuvent intervenir dans la décision.

    La coopération entre collectivités territoriales marocaines (communes, communautés urbaines, provinces et régions) et collectivités françaises (villes, départements, régions et structures intercommunales) est également mise en place via le Service de Coopération et d'Action Culturelle (SCAC) de l'ambassade de France qui élabore et conduit la politique de coopération culturelle et d'aide au développement. Le SCAC a pour mission de soutenir la conception, l'étude et la réalisation de projets de coopération entre la France et le Maroc. Ses domaines d'intervention sont la culture et la langue, l'université et la recherche, la technique et la gouvernance et l'enseignement français. Cette coopération est également entachée du sentiment amer exprimé entre autre par Mongo Béti, d'être politiquement intéressée. Dans son livre, il remet en cause le fait que l'Afrique ait véritablement eu besoin d'être aidée et dénonce les politiques françaises qui créeraient des actions dites de développement sans se soucier des valeurs humaines mais en souhaitant s'imposer sur l'échiquier politique international, ayant perdu le statut de colonisateur. « Au commencement était le politique, non le développement. Le développement a fort peu mobilisé les esprits de la coopération francophone institutionnelle jusqu'à ce que, vers la fin des années quatre-vingt, la protestation contre la misère des africains, scandaleuse dans un monde où l'enrichissement des peuples semble un phénomène normal, commence à gronder de partout à travers la planète, obligeant enfin Paris à inventer à la hâte une doctrine qu'il n'avait jamais eu »12.

    Comment unifier le monde moderne lorsque les pays entretiennent entre eux un tel rapport dominé/dominant ? Le poids du passé peut-il se voir alléger par de nouvelles politiques d'aides ou sera-t-il définitivement au coeur de toutes les actions, les rendant ainsi inutiles ? La France semble avoir choisi le parti pris des tentatives de réconciliation politique en tentant de mettre en place des coopérations décentralisées basées non plus sur une aide unilatérale mais sur des échanges de savoir-faire, comme le jumelage.

    12 Mongo Beti, La France contre l'Afrique. Ed. La Découverte, 2006, p.171

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    3. Le jumelage, entre échange et compréhension de l'Autre.

    Le principe du jumelage entre communes de deux États différents s'est répandu au sortir de la seconde guerre mondiale. Il s'agissait alors de sceller la paix entre la France et l'Allemagne « par le bas », en créant suffisamment de liens entre les populations. Les premiers partenariats avec des communes du Sud sont apparus dans les années 1970, dans un contexte de tiers-mondialisme et de non-alignement. Encouragés par la Fédération Mondiale des Cités Unies (FMCU), association de 1400 collectivités locales, réparties dans plus de 80 pays depuis 1957, les jumelages sont présentés comme un moyen de progresser vers des relations internationales apaisées. En 1997, les Assises du développement et de la solidarité internationale font mention du concept de « coopération de société à société » pour définir le jumelage, faisant de la coopération une affaire plus uniquement propre à l'État.

    Concrètement, l'idée d'un jumelage peut avoir plusieurs origines. Cela peut être la municipalité avec un maire ayant sondé son conseil municipal sur l'opportunité d'un jumelage ou un groupe d'habitants, ou encore une association à l'origine d'un projet de ce type. Ensuite, un certain nombre de points communs doivent exister entre les futures communes pour procéder à un jumelage. La taille de la commune est importante, le nombre d'habitants devant être sensiblement équivalent puisque les échanges nécessitent la réciprocité des capacités d'accueil. Le type de commune (rurale, urbaine, semi-urbaine) et le tissu sociologique-économique et associatif sont également importants car le jumelage sert à apaiser ou prévenir des tensions qui sont susceptibles d'apparaître entre les communes et de créer du lien social auprès des populations à travers des échanges socioculturels.

    L'idée que les jumelages constituent un moyen vital d'amener l'Europe aux citoyens par-delà les frontières nationales, un moyen d'ériger une Europe unie et pacifique avec l'approbation de sa population, est entre autre défendue par le Conseil des communes et régions d'Europe (CCRE). Cette association à but non lucratif considère que renforcer la contribution des collectivités locales et régionales en influençant les politiques communautaires est le moyen majeur pour influencer l'avenir mondial. Fin 2008, le CCRE a lancé un nouveau site sur les jumelages qui constitue un lieu de rencontre virtuel en plus de vingt langues pour les collectivités locales. Le Maroc a accepté le jumelage avec

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    la France. Plus de quarante jumelages s'effectuent actuellement dans le cadre de la coopération décentralisée franco-marocaine, s'étendant à différents domaines (économie, agriculture, aménagement urbain, gestion de l'eau, transport, éducation, culture, ...).

    Si la mondialisation et le poids du passé ont bouleversé les relations internationales et transnationales en faisant de l'espace mondial un théâtre de la réconciliation, il est intéressant de s'interroger sur l'enjeu plus spécifique soulevé par ces actions. En effet, coopérer avec l'autre, se jumeler pour créer du lien, ne semble pouvoir s'envisager sans partager des valeurs similaires. Depuis la dernière décennie, il semble que la place de la femme soit un de ces enjeux, tant d'un point de vue mondial que national.

    C. La place des femmes, un enjeu au coeur des politiques culturelles

    1. Etat des lieux mondial de la condition féminine

    En abordant la question de la condition féminine, il s'agit de s'intéresser aux relations entretenues entre les femmes dans la société - les valeurs et les exigences spécifiques que cette dernière leur impose ou propose - et les conséquences qui en résultent.

    Plusieurs indicateurs existent afin d'analyser la place des femmes dans l'organisation sociale, ceux-ci permettant de mettre en avant le fait qu'elles sont mondialement plus touchées que les hommes par les problèmes de développement. Le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), programme de fonds de l'ONU qui a pour rôle d'aider les pays en développement en leur fournissant des conseils, a mis en place deux Indices de Développement Humain (IDH). L'Indicateur Sexo-Spécifique de Développement Humain (ISDH) et le l'Indicateur de la Participation des Femmes (IPF). Le premier, l'ISDH, mesure le niveau moyen atteint par chaque pays, l'ISDH corrige le résultat du niveau moyen de l'IDH en le recalculant pour les deux sexes séparément, de façon à refléter les inégalités sociologiques entre femmes et hommes. Quant à l'IPF, il mesure la représentation relative des femmes au niveau du pouvoir économique et politique. Ces indicateurs permettent d'établir un état des lieux de la condition féminine ancré dans le présent, mais également d'analyser les évolutions ou régressions ayant eu lieu.

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    Il semble que la condition féminine se soit grandement améliorée sur bien des points depuis 1986 (date de la première édition de l'Atlas)13. En tête de ces progrès, l'alphabétisation des femmes et des filles et leur scolarisation, l'acquisition du droit de vote, du droit de travailler et la signature par de nombreux gouvernements de traités internationaux visant à l'amélioration des droits de la femme. Cependant, les résultats nous emmènent à constater que le monde reste divisé. En effet, le fossé entre pays riches et pays pauvres amplifié par la mondialisation s'est encore creusé et plus de femmes et d'hommes vivent aujourd'hui dans la misère qu'il y a dix ans, les femmes restant les plus pauvres d'entre les pauvres. Les politiques d'ajustements structurels imposées par les pays riches ont plongé les pays les plus démunis dans des crises sociales et économiques au sein desquelles les femmes sont en première ligne. Afghanistan, Bosnie ou Rwanda, pour ne citer qu'eux, ont été laminés par des guerres qui lèguent aux populations des conditions de vie difficiles. Les femmes souffrent dans ces conflits des viols en nombre, de la permanente remise en cause de leurs droits, des problèmes de vie quotidienne, du poids d'un intégrisme religieux, le tout reposant sur l'hypothèse patriarcale selon laquelle il appartiendrait à l'homme de contrôler la femme. Cependant, la plupart des gouvernements du monde se sont engagés, au moins en principe, à respecter l'égalité entre hommes et femmes. La Convention pour l'élimination de toutes formes de discrimination à l'égard des femmes (CEDEF) adoptée par les Nations unies en 1979 est entrée en vigueur en 1981. Elle est le résultat d'années de luttes menées par les femmes (mais aussi par des hommes). C'est la Conférence internationale des Femmes des Nations unies tenue à Mexico en 1975 qui a donné l'impulsion nécessaire à l'établissement de cette convention. Elle constitue un jeu de normes et de principes universels destinés à servir de références aux politiques nationales : à long terme, il s'agit d'éliminer toute discrimination sexuelle. La question de l'égalité des sexes et de l'autonomisation des femmes fait également partie des objectifs de l'OMD de l'ONU (objectif numéro trois).

    Si le monde semble rester un espace de danger et d'inégalités pour les femmes, une nouvelle dynamique globale tente d'y remédier afin de lutter contre des disparités ne répondant pas à l'idée générale d'uniformisation nécessaire au bon fonctionnement du monde. La dichotomie pays du Nord et pays du Sud semble une fois de plus être mise en lumière à travers cet enjeu de sociétés. En effet, les lois et décrets ayant un impact mondial

    13 Joni Seager, Atlas des femmes dans le monde, Editions Autrement, 2013

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    sont édités par les pays du Nord en général à destination des pays plus pauvres. Cette situation trouve-t-elle sa légitimation dans le fait que les pays riches ont un impact planétaire que les autres n'ont pas, leur permettant de faire évoluer l'histoire mondiale ? L'égalité entre les hommes et les femmes doit-elle légitimement être réduite autour d'un point de vue (celui des pays du Nord) afin de faire marcher le monde dans la même direction ? Quelle marge de manoeuvre reste-t-il aux pays plus pauvres afin de trouver par eux-mêmes des solutions qu'ils auraient choisies et mises en place ?

    Ces interrogations semblent attendre une réponse qu'il est possible de trouver en se centrant sur deux pays au sein desquels la place des femmes est centrale dans les enjeux politiques, le Maroc et la France. Il ne s'agira pas d'effectuer une comparaison, mais d'observer des fonctionnements et les différences qui en résultent.

    2. La place des femmes au Maroc

    Au Maroc, les avancées concernant l'égalité hommes-femmes sont réelles, et sont notamment dues au mouvement réformiste (Nahda) porté par les mouvements féministes depuis la fin des années cinquante et surtout quatre-vingt-dix. La stratégie mise en place semble être celle des « petits pas », dans la conscience de ce qui est socialement et politiquement envisageable de demander, et qui pourrait se résumer ainsi : « oui à l'école et au travail, oui mais à l'évolution de la famille, non au bouleversement des rôles sexuels entre hommes et femmes ».

    Les avancées concernant l'émancipation féminine au Maroc sont indéniables, depuis les ouvrages écrits dans les années soixante-dix par Germaine Tillon et Pierre Bourdieu : la scolarisation est obligatoire pour les filles comme pour les garçons depuis 1963 au Maroc et les filles sont désormais plus nombreuses que les garçons à obtenir le baccalauréat. Au Maroc, l'âge du mariage moyen a reculé, et le nombre d'enfants par femme est estimé à 2,20 en 2012. La scolarisation, l'urbanisme, l'extension du salariat, mais également la dégradation de la situation économique, qui rend de plus en plus nécessaire l'apport d'un deuxième salaire, influent également sur l'évolution de la condition féminine, notamment en leur donnant accès au monde du travail.

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    Néanmoins, l'évolution générale masque les disparités entre ville et campagne, tant en matière de scolarisation que de taux d'activité féminine. Au Maroc, selon le Haut-Commissariat au Plan, le taux d'activité féminin est de 26,6% et de 75,9%14 pour les hommes. Si on peut se poser la question de la déclaration du travail effectué, qui irait dans le sens d'une sous-estimation par les chiffres officiels de l'activité féminine, néanmoins, ces chiffres sont là pour nous garder de la généralisation à partir du seul cas des femmes diplômées, urbaines, et de milieu favorisé.

    L'examen des textes de loi qui régissent le statut des femmes au Maroc n'est guère encourageant au sujet des marges de manoeuvres des femmes. La modernisation en 2004 de la Moudawana (code de la famille) passe pour la réforme phare du règne de Mohammed VI, et témoigne de la difficulté à composer avec la charia : sans être interdite, la polygamie est rendue impossible. La responsabilité parentale est partagée. Les droits et devoirs des époux deviennent réciproques, l'âge du mariage porté pour les deux sexes à 18 ans. La répudiation ne disparait pas, mais est soumise au contrôle judiciaire. Le divorce judiciaire peut être demandé par les deux époux. La répartition des biens après le mariage n'est plus soumise à la possession des titres de propriété par l'épouse, etc. Mais l'héritage reste inéquitable (la fille ayant droit à une demi-part par rapport au garçon). Il y a par ailleurs loin de la loi à la règle : si l'âge du mariage au Maroc est fixé à 18 ans, en 2007, les juges de la famille ont accepté plus de 85% des demandes précoces.

    Le 10 février dernier, le gouvernement marocain a permis la levée des réserves exprimées à la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discriminations à l'égard des femmes (CEDAW). En résumé, cela veut dire que ce gouvernement va modifier sa législation nationale et va ainsi faire un pas de plus vers l'égalité juridique des femmes au Maroc.

    3. La France et l'histoire des rapports sociaux de sexe, de nouveaux enjeux

    En France, on a longtemps employé l'expression « l'histoire des femmes » pour désigner le champ historique qui met en oeuvre une analyse sexuée des phénomènes historiques. On

    14 Chiffres datant de 2012 trouvés sur le site du Haut-Commissariat au Plan. http://www.hcp.ma/

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    parle aujourd'hui plutôt de « l'histoire du genre » ou de « l'histoire des rapports sociaux de sexe » que de « l'histoire des femmes » car cette expression semble trop réductrice15.

    Le concept de gender qui est défini comme un élément constitutif des rapports sociaux fondés sur les différences perçues entre les sexes est lié aux travaux des historiens et sociologues américains des années 1970. Il s'agirait de considérer la différence des sexes comme un produit de la culture et de l'histoire qu'il faudrait remettre en question. Suite à cette prise de conscience, la recherche historique a fait évolué la société française avec pour conséquence une prise en compte institutionnelle. Trois textes l'attestent, le premier étant la loi d'orientation du 10 juillet 1989 qui précise que le service public de l'Education doit contribuer à favoriser l'égalité entre les hommes et les femmes. En 2000, la Convention pour la promotion de l'égalité des chances entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes dans le système éducatif, insiste sur la nécessité de mettre un terme à une orientation stéréotypée. Puis en 2005, la loi d'orientation pour l'avenir de l'École consacre un titre à la promotion de l'égalité entre les filles et les garçons.

    Le gouvernement français semble donc avoir pris position afin de mettre en oeuvre un système éducatif formateur d'individus égaux et éduqués de la même façon, dans le but de construire une société plus égalitariste. Du point de vue des chiffres, la France est un pays relativement bien avancé concernant l'égalité hommes-femmes puisque son classement ISDH est meilleur que son classement IDH (15e et 16e). Il semble cependant nécessaire de s'interroger sur les éléments se cachant derrière ces lois. Si les crises identitaires viennent impacter en premier sur les minorités sociales, les femmes en étant historique une (le long combat pour le droit de vote, finalement atteint en 1944, soit après de nombreux autres pays, le prouve), ne seraient-elles pas victimes d'inégalités malgré les dispositions prises par le pays ? Pourquoi le gouvernement aurait-il lancé l'année de l'égalité de la femme en 2011, si elle ne risquait plus rien ?

    En France, les femmes, qui représentent 45 % de la population active (11,2 millions) connaissent un taux de chômage de 9,1 %, contre 7,8 % pour les hommes (Ministère de l'Emploi, chiffres 2007). Elles ont plus de difficultés que les hommes à monter en grade et en salaire. Certes, les mouvements féministes des années soixante-dix ont permis la création de lois ayant changé le paysage social du pays (création du Planning familial en

    15 Françoise Thébaud, Ecrire l'histoire des femmes, ENS Editions, 1998

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    1956, loi Neuwirth autorisant la contraception en 1967, loi Veil légalisant l'avortement en 1975). Cependant, les multiples débats ayant lieu actuellement tant à propos des femmes (questions touchant à la parité, au harcèlement de rue) que du genre (mariage homosexuel, éducation genrée) et les réactions qu'ils provoquent permettent d'éviter de poser un regard trop caricatural sur la France qui aurait réussi à vaincre les inégalités présentes au sein des rapports sociaux. Pourtant, dans les travaux réalisés par les pays se présentant comme développés, seuls les pays plus pauvres semblent ne pas parvenir à résorber ces problèmes sociaux.

    Si la mondialisation tend à unifier le monde et à redéfinir ses politiques culturelles, elle semble aussi générer des incohérences dans le rapport caricatural résidant dans la dichotomie entre les pays du Nord et du Sud. L'étude d'un projet culturel transnational autour de l'émancipation féminine liant la France et le Maroc peut permettre de mettre en lumière la façon dont la vision occidentale infiltre les politiques internationales. Ce type de projet peut au contraire participer à la cohérence transnationale, en permettant à deux civilisations au passé difficile de se retrouver, se comprendre, s'apprivoiser.

    II) Un projet culturel transnational comme révélateur d'enjeux variés : « Regardons nous grandir »

    Le projet « Regardons nous grandir » est le fruit d'une collaboration entre l'ONG Bani de Tiznit (zone rurale du sud du Maroc), les associations Dar Taleb et Taleba et Tamount (de la commune rurale de Sahel) et la ville de Montreuil (située en Seine Saint Denis en France). Il s'agit d'une commande en matière d'outils de communication innovants de prévention visant à toucher la population féminine de la région rurale marocaine, passée par l'ONG Bani auprès de la ville de Montreuil avec qui Agadir est jumelée. La compagnie théâtrale montreuilloise Art dans le Jardin a proposé un projet qui a été accepté par l'ONG avec qui un travail autour de la prévention de la drogue chez les jeunes marocains avait été réalisé en 2009. Ce nouveau projet, réalisé en trois phases de juillet 2013 à août 2015, a pour but de faire travailler la compagnie avec les jeunes filles du pensionnat (136 jeunes accueillies) de Sahel ainsi qu'avec des encadrants et médiateurs des associations. Il s'agit de les former aux outils de communication et de vulgarisation afin

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    que l'action puisse devenir pérenne et reproductible et mener le public cible, les jeunes filles, à découvrir toutes les étapes du travail d'une création spectaculaire. Mêlant les arts plastiques, l'écriture, l'interprétation, la vidéo et la photo, ce travail aboutira à des présentations publiques. La forme finale sera une pièce de théâtre intégrant la vidéo comme support scénographique, des bribes de témoignages textuels interprétés issus de questionnaires ainsi qu'un travail plastique sur la notion de la métamorphose qui prendra appui sur la projection de ces jeunes filles en femmes adultes. Les thématiques centrales de « l'émancipation et l'intime » ont été choisies en concertation avec les responsables des organismes partenaires. Une fois réalisé, ce travail servira de support de sensibilisation auprès des femmes de la région. Un relais de cette action sera pris par les associations locales partenaires afin qu'il soit diffusé suivi d'un débat dans les villages de la région. Un film témoignant de l'action mené sera diffusé en France et fera l'objet de rencontre autour des thèmes abordés suivis d'un débat.

    Il s'agit là d'un projet culturel transnational qui mêle différents acteurs gouvernementaux ou non à savoir une ONG qui passe une commande auprès de la ville de Montreuil avec qui la ville d'Agadir est jumelée, bientôt rejointe par la compagnie théâtrale Art dans le jardin qui répond au projet. La compagnie est subventionnée pour cette action entre autre par la ville de Montreuil, le département de Seine Saint Denis, l'Institut Français au Maroc et des fondations à vocation de coopération internationale (fondation Elle, fondation EDF). Le projet, réalisé au Maroc, sera ensuite exposé en France aux yeux du public de l'association de la Maison des Femmes de Montreuil, implantée, comme la compagnie théâtrale, en Zone Urbaine Sensible (ZUS), expliquant entre autres le soutien budgétaire de la DRAC. Ce projet complexe rassemble beaucoup d'acteurs des politiques culturelles autour d'une même action. Si, en apparence, une dynamique coopérative l'entoure, ce projet peut-il réellement être porteur d'enjeux réunis par une démarche commune ? Peut-on être acteurs d'un projet de façon égale alors même qu'historiquement et économiquement résident de profondes disparités ? Confronter les différents enjeux des acteurs semble être indispensable.

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    A. La compagnie théâtrale française Art dans le Jardin : le théâtre, outil d'émancipation.

    Créée en 1998 à Montreuil, la compagnie Art dans le Jardin est une association à but non lucratif destinée à la création, la diffusion et l'action culturelle. Elle conçoit des créations spectaculaires et évènementielles mêlant le plus souvent des professionnels du spectacle aux non professionnels. Plaçant l'humain au coeur de son travail, elle va à la rencontre d'un milieu et d'un public très large. Pour ce faire, elle mène des projets intergénérationnels dans des quartiers, avec des publics de tout âge dans des centres de détention, dans des centres d'hébergements et à l'étranger.

    1. Volonté d'émancipation et réinterprétation de la demande

    Selon la directrice et metteure en scène de la compagnie Art dans le Jardin, « l'enjeu principal de cette action culturelle menée auprès des jeunes filles marocaines est de les émanciper. Notre présence à Tiznit et les outils mis en place auront pour but central de leur permettre de sortir d'une situation d'enclavement ».16

    Avant de commenter cette déclaration, il semble nécessaire de définir ce que recouvre la notion d'émancipation. « L'expression émancipation sociale désigne la construction idéologique conjuguée à l'effort historique de libération de communautés politiques ou de groupes sociaux. S'émanciper signifie s'affranchir du pouvoir exercé par les autres, tout en conquérant la pleine capacité civile et citoyenne dans l'Etat démocratique de droit. S'émanciper signifie accéder à la majorité de conscience ; entendons, par-là, la capacité de connaître et de reconnaître les normes sociales et morales indépendamment de critères externes imposés ou présentés à tort comme naturels. Le concept d'émancipation social est lié à celui de l'autonomie. » 17

    Le rôle du théâtre serait donc d'apporter de l'autonomie à ses participants, dans le cas présent, aux jeunes filles résidantes du pensionnat créé et géré par l'ONG Bani de la

    16 Nathalie Guisset, entretien réalisé le 15 avril 2014 dans les locaux de la compagnie à Montreuil, France

    17 Jean-Louis Laville, Dictionnaire de l'autre économie, Gallimard, 2006, p.326

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    commune rurale marocaine de Tiznit. Ce désir d'émancipation de la part des membres de la compagnie théâtrale s'inscrit dans une démarche militante lancée par l'ONG Bani qui a créé le pensionnat après avoir constaté que les filles villageoises étaient déscolarisées dès l'entrée au collège à cause de la distance entre les établissements scolaires et les villages. Leur apporter, via ce projet, les outils numériques nécessaires à leur apprentissage et à leur potentielle insertion dans le monde professionnel, étaient les deux axes de la commande crée initialement. Aucune trace d'émancipation, l'enclavement de ces jeunes filles semblant ainsi ne résider qu'en leur situation géographique. Pourtant c'est bien dans cette optique que la compagnie a mis en place son action culturelle, en choisissant pour thème central « l'émancipation et l'image de soi ». Selon la directrice d'Art dans le jardin, « le thème central autour de l'émancipation et l'image de soi s'est imposé de lui-même. Ses jeunes filles sont voilées, n'osent pas bouger leur corps dans l'espace, parlent doucement pendant que les garçons pensionnaires crient et se bagarrent, il y a une vraie nécessité à lutter contre ces situations d'inégalités ».

    Bien que la demande initiale ait été modifiée par la volonté d'agir contre ce que la compagnie théâtrale considère être une injustice, le fait que les autres partenaires en aient accepté les conditions semble être une preuve du bien-fondé de cette action.

    2. Création et mise en place de la démarche artistique

    Le projet « Regardons nous grandir » s'articule en trois phases, se déroulant toutes au sein du pensionnant marocain. La directrice de la compagnie théâtrale, un vidéaste et une graphiste composent l'équipe française qui se rend à Tiznit. Sur le terrain, le projet concerne trente jeunes filles de 12 à 14 ans collégiennes du pensionnant, trois médiateurs de santé de l'ONG Bani, trois médiateurs de l'association Tamount, un professeur de français du collège et un psychologue clinicien.

    « La sélection des participantes au projet s'est faite naturellement par les équipes encadrantes de l'association Tamount ainsi que par les professeurs engagés dans le projet. Le projet a été soumis aux jeunes filles de 4eme et 3eme du collège et a fait l'objet d'une inscription. De plus, le projet a été intégré dans le cadre du parcours pédagogique du

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    professeur de Français »18. Ces jeunes volontaires ont donc choisi de participer à ce projet culturel. Selon la directrice de la structure, les échos les plus entendues de la part des jeunes filles viendraient du fait qu'il existe peu de propositions parascolaires au sein de leur pensionnat et qu'elles voient en ce projet une façon de s'amuser, de se détourner de leur vie quotidienne faite d'apprentissage scolaire et de la lecture du Coran.

    C'est autour de cette notion du jeu que le projet culturel a été construit par la metteure en scène. La première phase d'une durée d'une semaine, réalisée en aout 2013, consistait en une collecte d'histoires de la part des jeunes filles, d'écriture et de réponse à un questionnaire censé cibler quels rapports elles entretiennent avec leur corps. Un training corporel ayant pour but de pousser les participantes à penser leur corps au sein d'un espace a également été réalisé selon le parti pris que libérer son corps permet de libérer les paroles. Les questionnaires remplis par les jeunes filles ont ensuite été remis en forme par la metteure en scène lors de son retour en France. Durant ce retour à Montreuil, une soirée de projection a été organisée par la compagnie en partenariat avec la Maison des Femmes de Montreuil (MdFM) qui a projeté le film retraçant la première partie de l'action au Maroc dans ses locaux. Le film a été suivi d'une pièce de théâtre interprétée par des jeunes filles françaises amatrices qui lisaient les textes des jeunes marocaines après leur réécriture.

    La deuxième phase du projet qui aura lieu au Maroc en octobre 2014 durant quinze jours, consistera en des cours d'improvisation théâtrale avec les jeunes filles qui devront se projeter en adulte et imaginer ce qui les attend, afin d'accepter ou rejeter ce modèle. C'est à partir de cette matière théâtrale filmée par le vidéaste que, neuf mois plus tard, lors de la troisième phase du projet, les pensionnaires créeront avec la metteure en scène la pièce de théâtre finale ainsi que le support audiovisuel qu'elles apprendront à réaliser et monter selon des techniques récentes de prise de vue (time laps). Finalement, la matière finale (support audiovisuel) sera projetée, accompagnée d'une pièce de théâtre jouée comme lors de la première phase, par des jeunes filles françaises, à la MdFM.

    18 Nathalie Guisset, entretien réalisé le 15 avril 2014 dans les locaux de la compagnie à Montreuil, France

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    3. Résultats attendus par la compagnie

    Les résultats attendus par la compagnie théâtrale sont avant tout qualitatifs et consistent en une prise de conscience par des jeunes filles pensionnaires en plein essor d'émancipation. « Si l'on considère que le corps est notre ancrage dans le monde, notre approche rend le corps sujet en ce qu'il n'est plus seulement, le lieu de marquage du social mais, transmetteur d'émotions, le lieu d'un possible à inventer, à imaginer et à produire.19 »

    Peut-on, si on avance avec vigilance dans des dimensions aussi délicates et intimes que celles du corps, en tenant compte de l'histoire des personnes, de leurs attentes, de leurs capacités, de leurs limites, imaginer une modélisation sensible de l'accompagnement des personnes ? C'est ce que la compagnie tente de faire tout en tenant compte des tensions que l'individu éprouve dans son rapport à la société. « L'entrée du corps chez les jeunes femmes présente à la fois un enjeu de restauration d'un corps cohérent, un outil d'action et d'engagement, enfin et surtout un lieu possible du développement de soi d'où émane la capacité à tisser des liens sociaux.20 » Le corps s'il peut être le lieu de toutes les discriminations, est aussi celui de toutes les libertés selon ces acteurs culturels soucieux de participer à cette grande idée qu'est l'émancipation des jeunes filles marocaines.

    L'autre résultat qualitatif espéré par la compagnie théâtrale est d'insuffler aux acteurs en prévention des outils de communication sensibles qui prennent en considération les différents niveaux de compréhension des publics cibles en fonction de leur âge, leur milieu social, leur culture. La formation audiovisuelle ayant lieu durant la dernière phase du projet ne concernera donc pas que les pensionnaires mais également les équipes pédagogiques. En effet, une fois l'action terminée, les associations partenaires mettront en place des séances d'ateliers de sensibilisation, c'est d'ailleurs pour cela que l'ONG Bani a initialement passé commande. Les représentations du travail réalisé par les jeunes filles seront suivies d'un débat mené par les médiateurs et encadrants formés à cet effet. Ces ateliers se feront au sein des coopératives féminines, des ateliers de femmes des villages

    19 Nathalie Guisset, entretien réalisé le 12 juin 2014, à la Maison des Femmes de Montreuil, France

    20 Roselyne Rollier, directrice de la Maison des femmes de Montreuil (MdF), rencontrée le 28 mai 2014 à la

    Mdf

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    ainsi que tous les points de rassemblements des femmes de la région. Le but de la compagnie est de maintenir une forme de continuité tout au long d'un processus envisagé comme indéterminé. Selon la directrice du projet, l''action en cours tentera à terme d'établir des liens entre les enfants ruraux et les réseaux citadins plus favorisés en matière d'actions culturelles et de projets de développement durable.

    Les résultats attendus par la compagnie sont également quantitatifs. Il est ici question de la production d'outils pédagogiques et de communication (trois vidéos compilées, une pièce de théâtre intégrant des corpus de texte) et du nombre de publics touchés (durant l'action au Maroc mais aussi lors des projections organisés à la Maison des Femmes de Montreuil).

    B. Le Maroc, carrefour des civilisations

    Si proche et pourtant si éloigné, le Maroc base son tourisme sur sa capacité à être assez oriental pour les Occidentaux et assez occidental pour les Orientaux. Dans cette première décennie du XXIème siècle, le Maroc voit s'exprimer contradictoirement revendications sociétales, politique d'une nouvelle classe moyenne et tentation d'un repli identitaire qui, aux élections législatives de 2011, a donné l'avantage au parti conservateur musulman. Le pays fait également tourner deux moteurs de son développement : l'ouverture aux marchés internationaux, grâce notamment aux relations privilégiées que le royaume entretient avec l'Union Européenne et la richesse des savoir-faire ancestraux (agriculture ou artisanat).

    Le projet culturel « Regardons nous grandir » s'inscrit donc dans ce désir de vouloir créer un lien entre la zone citadine et rurale en désenclavant cette dernière, si tant est qu'un projet culturel soit capable de le faire.

    1. Tiznit, une zone rurale à développer

    La province de Tiznit, est située au sud du Maroc dans la région de Souss-Massa-Draâ. Sa superficie est de 9 585 et sa population est d'environ 350.00 habitants à majorité

    berbères, dont la majeure partie est en milieu rural (environ 80%). Cette région compte parmi les plus sous-équipées sur le plan sanitaire. Bien que le nombre de médecins ait augmenté de 18 à 30 entre 1996 à 2000, il reste largement inférieur à la moyenne nationale21. Dans le domaine éducatif, 67.2 % de la population âgée de plus de 10 ans est analphabète. En effet, l'alphabétisation en milieu rural est très faible, 39,4%, alors qu'en milieu urbain, elle presque deux fois supérieure et atteint 74.4 %. Quant à la situation de la femme rurale, elle est particulièrement défavorable puisque plus de neuf femmes rurales sur dix sont analphabètes contre moins de six citadines sur dix. L'ONG Bani et l'association Tamount constatent des difficultés en termes d'accès au soin des populations les plus précaires et notamment des populations villageoises. Cela les a amenés à créer un pensionnat de filles et de garçons afin que ceux-ci aient accès aux études. Cette ONG chapote différents lieux tel qu'un pôle maternité, un centre d'hémodialyse, un pôle maternité accueil prévention. Dans le cadre de leurs actions, les équipes de Bani et de Tamount ont su identifier des besoins. L'apport d'outils de communication en prévention, prenant en compte les difficultés des populations ciblées, leur paraît essentiel. Ces nouveaux outils permettraient de diffuser plus simplement et de façon vulgarisée les informations sanitaires et de santé publique. Pour cela ils souhaitent former leurs propres encadrants à ces supports ludiques, qui rendent acteurs et non plus spectateurs les populations ciblées. Le projet porté par la compagnie française Art dans le jardin vient donc répondre à cette attente en cela qu'il va former les encadrants à de nouvelles technologies de communications.

    Pour le responsable de l'ONG Bani et également maire de la commune Arbâa Sahel22, ce type d'action culturelle est « indispensable pour le développement d'Arbâa Sahel. Avant de parler d'émancipation féminine il faut déjà se concentrer sur le développement territorial, l'émancipation viendra d'elle-même par la suite ». Si l'enjeu émancipatoire ne semble, à l'inverse de la compagnie théâtrale, pas être placé au centre des intérêts, l'ONG Bani semble se réjouir de ce projet qu'il voit comme une occasion pour la commune de palier à l'écart qui la sépare des villes marocaines et plus généralement des pays

    21 Indicateurs et sources de vérification : Site de l'ONG Bani http://www.ongbani.org/tiznit.htm

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    22 Brahim Safini, entretien réalisé par Skype le 30 aout 2014

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    européens. « Il faut que les zones rurales marocaines avancent, sinon bientôt elles disparaitront. La culture et surtout la communication peuvent nous aider à lutter contre l'enclavement ». La culture, qu'elle soit un outil de lutte contre l'enclavement ou pour l'émancipation féminine, semble être porteuse des espoirs des pays qui l'utilisent pour régler un problème économique et social. L'émancipation féminine en est un au Maroc, ce qui pourrait expliquer cet accord direct de la part de l'ONG Bani d'un projet dont les lignes ont été repensées par la compagnie.

    2. L'émancipation féminine, un choix économique

    Depuis le début de l'indépendance du pays, l'idéologie dominante se fonde sur la religion et la modernité. Cette double référence est la trame centrale de compréhension des agissements de l'État qui oscillent entre politiques favorables aux droits universels reconnus constitutionnellement et droits spécifiques qui concernent surtout la famille. Selon Houria Alami23, le statut des femmes est dépendant de la mondialisation et du désir des acteurs du pays marocain à accréditer l'idée que la démocratie progresse. La politique marocaine répond à un besoin d'insertion du pays dans un monde globalisé qui a énoncé l'égalité hommes-femmes parmi ses objectifs. Politiquement, grâce à certaines mesures phares comme la promulgation d'un nouveau code de la famille, elle sert de vitrine au processus de démocratisation.

    Le fait que les politiques s'emparent de la question féminine en acceptant les projets culturels visant à l'émancipation de celle-ci, s'explique, selon Houria Alami, par le fait que l'État marocain tenterait de contrôler ce qu'il considère comme un soucis qui pourrait déborder et causer des torts au pays. En effet, quoi de plus troublant que des femmes censées être gardiennes des traditions qui changent et cherchent à imposer de nouvelles normes ? Cette attitude de l'État peut être vue comme une recherche de moyens pour entrer dans la modernité par une voie sereine.

    De plus, éduquer les femmes marocaines revient à inscrire doublement le pays dans la modernité en le rendant plus important économiquement. Les nouvelles orientations

    23 Houria Alami, Les paradoxes du féminisme d'Etat au Maroc, L'Harmattan, 2010

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    favorables à l'égalité hommes-femmes placent les femmes au centre du processus de modernisation. L'amélioration de la scolarisation des filles, l'alphabétisation des femmes restées en marge de l'éducation scolaire, sont les nouveaux objectifs du pays.

    Pour finir, un nouveau fait de société peut également expliquer cet intérêt suscité par les femmes aux yeux de l'État marocain, la migration. En 2007, la question était soulevée dans le cadre des consultations pour la création du Conseil de la Communauté Marocaine à l'Etranger (CCME), où le Conseil consultatif des Droits de l'Homme (CCDH) a organisé une rencontre internationale sur le thème « Les marocaines d'ici et d'ailleurs ». Depuis sa création, le CCME, instance consultative auprès du chef de l'État dont l'un des objectifs est d'établir des liens avec les marocains de l'extérieur, a initié deux rencontres internationales avec la diaspora féminine marocaine en 2008 et 2009 à Marrakech. En tenant compte des spécificités des migrations des femmes marocaines, le CCME participe au travail de déconstruction des représentations qui considèrent les hommes comme les seuls acteurs de la migration et les femmes comme de simples accompagnatrices. Ces démarches marquent un tournant de la prise en considération de la question migratoire puisque les femmes en tant que main d'oeuvre nouvelle, quittent également le pays sur leur propre choix. La mauvaise image véhiculée à l'international par le Maroc est donc doublée d'une perte économique significative due au départ d'une main d'oeuvre qui aurait pu travailler sur ses terres. Former les femmes aux nouveaux outils de communication et les éduquer reviendrait donc plus à les retenir qu'à les émanciper.

    3. Le projet culturel, outil du renouvellement de l'image mondiale

    Il semble que la volonté d'utiliser la vie culturelle afin de redonner une vitrine internationale soit l'apanage du Royaume marocain. Cependant, les carences dont souffre le système d'éducation marocain confinent la vie culturelle dans le cercle restreint de l'élite cultivée et du public étranger.

    Un rapport publié en 2008 par la Banque Mondiale24 a froissé les susceptibilités marocaines. En effet, sur 14 pays au Proche et Moyen-Orient, le royaume se situait parmi

    24 http://www.banquemondiale.org/fr/news/press-release/2013/05/28/world-bank-helps-morocco-address-

    education-quality-and-governance, Site de la Banque Mondiale

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    les pays les moins avancés en matière d'éducation en compagnie de Djibouti, du Yémen et de l'Irak. Ces résultats sans appel confirmaient les inquiétudes formulées depuis de nombreuses années sur le système éducatif marocain. Pourtant, certains chiffres paraissaient flatteurs : le taux de scolarisation dans le primaire avoisine les 100% tant à la ville qu'à la campagne et la part du budget consacrée à l'éducation est équivalente au quart de la défense publique. La réalité est plus inquiétante comme le confirment les résultats des rapports de l'Unicef. Le Maroc y est classé 126ème sur 177 pays selon l'indice de développement humain établi par le Programme des Nations Unies pour le Développement. Si près de la totalité des enfants marocains entrent à l'école primaire, ils sont plus d'un tiers à en sortir avant 15 ans. Seuls 13% arriveront au niveau du baccalauréat. Les chiffres sont d'autant plus inquiétants si l'on considère les jeunes diplômés qui forment le gros de la cohorte des marocains privés d'emploi.

    Le jumelage entre les villes d'Agadir (région abritant Tiznit) et de Montreuil avait pour source d'inspiration officielle le respect des Objectifs du Millénaire selon le protocole de coopération ratifié en 200625. L'objectif numéro deux concernant l'éducation pour tous et le numéro trois concernant l'autonomisation féminine sont donc réunis au coeur de ce projet culturel. Additionné à celui de l'émancipation féminine, le problème de l'éducation rendu plus difficile dans les zones rurales, place le projet « Regardons nous grandir » comme une aubaine. En effet, il permet d'offrir au Maroc l'image d'un pays capable de s'adapter et de faire évoluer des points clés chers aux pays occidentaux.

    Après avoir étudié les attentes de la part du concepteur du projet (la compagnie Art dans le jardin) ainsi que celles des différents acteurs du pays d'accueil, il reste à interroger les actions menées sur le territoire français suite à cette action culturelle. Si l'Etat français s'implique autant au sein du projet culturel international, quel usage peut-il en faire en ramenant celui-ci sur son territoire ? En quoi un projet créé pour l'émancipation des jeunes femmes marocaines concerne-t-il les publics français ?

    25 Protocole de coopération entre les villes de Montreuil (République Française) et Agadir (Royaume du Maroc), annexe 1

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    C. Les politiques publiques françaises face à l'enjeu de la conscience collective sur le territoire

    La conscience collective correspond à « l'ensemble des croyances et des sentiments communs à la majorité des membres d'une société 26». Elle doit être étudiée pour elle-même et ne pas être réduite à la somme des consciences individuelles. Le concept de conscience collective est la perception que les individus ont du monde. La représentation est sociale parce qu'elle intègre dans l'analyse, l'appartenance à une communauté, à une culture, et contribue à définir un groupe dans sa spécificité. Créer un projet culturel, le mettre en place à l'étranger puis le ramener dans le pays initial afin de l'y présenter, semble être une démarche qui s'inscrit directement dans la volonté d'agir sur la conscience collective en lui apportant des éléments nouveaux sur l'extérieur.

    1. La Maison des femmes de Montreuil, lieu d'échange avec l'Autre et d'interrogation sur soi

    Au travers de l'élaboration d'un projet commun, il s'agit avant tout de rencontrer l'autre. La réalisation d'action concrète de production audiovisuelle et théâtrale entre la compagnie Art dans le Jardin et le pensionnant de Tiznit est un exemple de coopération réutilisé sur le territoire français pour créer une rencontre entre plusieurs cultures.

    Cet espace d'échange a lieu à la Maison des Femmes de Montreuil (MdfM). Cette association a été fondée en 2010 sur les valeurs primordiales du féminisme et de l'universalisme, à savoir l'égalité femmes/hommes, la citoyenneté républicaine, la démocratie, la laïcité et la solidarité internationale. Elle est en lien avec des réseaux d'acteurs associatifs et les instances publiques pour faire émerger les revendications collectives des femmes par l'échange et la discussion, trouver des solutions, voire fédérer des énergies. Pour la présidente de la MdFM, « devenir partenaire du projet « Regardons nous grandir », est une façon de participer à la lutte pour l'accès à la dignité et à l'autonomie des femmes. Ce projet est entré en résonnance avec ce que nous sommes, à savoir un lieu de pratiques et de formations pour accéder à l'égalité : en facilitant les

    26 Emile Durkheim, De la division du travail social, PUF, 1991, p.146

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    échanges et les rencontres, en luttant contre les discriminations, en proposant des espaces d'expression, en accueillant et en orientant les femmes ainsi qu'en accompagnant leurs projets et actions, la Maison des Femmes se place dans une optique d'émancipation et d'autonomisation des femmes. 27 »

    Le projet culturel serait donc un outil créateur de dialogue permettant une ouverture sur le monde et sur soi. La soirée de projection du film résumant la première phase du projet, suivie d'une pièce de théâtre jouée par de jeunes françaises, a eu lieu le 12 juin 2014 à la MdFM et était intitulée « Femme, théâtre, émancipation, le corps un objet social »28. A travers des textes créés par la metteure en scène à partir des réponses au questionnaire rempli par les jeunes pensionnaires, il était question du corps féminin comme objet social de lutte et d'émancipation29. Les réactions du public à la fin de la soirée furent toutes les mêmes : toutes les femmes présentes, les plus jeunes comme les plus âgées, qu'elles soient croyantes ou non, peu importe leurs origines, se sont reconnues à un moment ou un autre dans l'un des textes. Est-ce cela, le pouvoir de la culture ? Transcender les frontières pour emmener une réflexion sous les yeux et dans le coeur des publics du monde ? Faut-il impérativement se reconnaître en l'Autre pour le voir comme un allié et avancer ainsi sur le chemin de l'égalité ? En quoi le regard sur l'Autre ne peut-il pas être séparé du regard sur soi ?

    2. Biculturalisme et difficultés rencontrées par les montreuilloises

    Le choix de projeter le projet à la Maison des Femmes, lieu situé en banlieue montreuilloise qui accueille quotidiennement des femmes d'origines étrangères, semble être lié à l'objectif d'intégration et d'émancipation de ses visiteuses porté par le lieu mais aussi par la Ville de Montreuil qui le subventionne. La responsable du service Echanges internationaux et coopération décentralisée de la Ville confirme cette hypothèse en ajoutant que « la Ville de Montreuil, engagée contre les discriminations faites aux femmes, a

    27 Roselyne Rollier, entretien réalisé le 15 mai 2014 à la MdFM.

    28 Affiche de l'évènement en annexe 2.

    29 Texte d'une pensionnaire en annexe 3.

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    élaboré pour la première fois un plan d'actions 2014 / 2016, pour l'égalité entre les femmes et les hommes. 30» La Ville a réalisé un état des lieux de la situation comparée des femmes et des hommes à Montreuil et structuré le plan d'actions autour de quatre axes centraux déclinés en quinze objectifs. Parmi eux se trouve la volonté de permettre aux jeunes montreuilloises d'origines étrangères de faire cohabiter les deux cultures qu'elles portent en elles afin d'utiliser ce biculturalisme comme une force. La responsable définit la ville de Montreuil comme étant dynamique, à l'image d'une population jeune (26,2 % de la population est âgée de moins de 20 ans en 2011, 28,7% dans le département) mais scindée en deux par la démarcation sociale séparant le nord et le sud de Montreuil. Le nord de Montreuil, où se situe la MdfM, accueille la majorité des habitants immigrés (qui représentent 25.5% de la population de la ville), c'est-à-dire nés étrangers à l'étranger et résidant en France31. Selon l'état des lieux de la situation comparée des femmes et des hommes à Montreuil, les jeunes femmes d'origine maghrébines rencontreraient des difficultés pour trouver leur place dans la société, du fait de leur biculturalisme qui les placerait dans une position paradoxale.

    3. L'apprentissage de la « négociation », la culture pour se libérer

    En effet, les filles, dans la tradition musulmane, sont soumises à un plus grand contrôle social que les garçons qui ont moins d'interdits. Dans la culture occidentale où les moeurs sont plus libres, les filles peuvent généralement s'affranchir à leur majorité du pouvoir parental. Pour des filles d'origine maghrébine vivant en France, la tension entre les valeurs familiales, plus traditionnelles et les valeurs occidentales est importante. Pour la responsable du service Echanges internationaux et coopération décentralisée de la Ville, « la problématique des filles est largement dépendante de la condition de la femme dans la culture musulmane. L'histoire du féminisme arabe nous montre que l'accès des femmes à l'enseignement et à la formation reste central dans la dynamique émancipatrice. C'est pourquoi la projection d'un projet comme « Regardons nous grandir » a toute sa place à

    30 Maïté Gerschwitz, entretien réalisé le 20 avril 2014 au centre administratif à Montreuil

    31 Données démographiques tirées du dernier recensement de 2011, téléchargeable sur le site de la Ville de Montreuil http://www.montreuil.fr/la-ville/population/

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    Montreuil. » La mobilité féminine s'explique par rapport au système des contraintes familiales : la jeune fille est à la recherche d'espaces d'invisibilité où l'oeil des parents et des frères n'a plus de prise. L'accès à l'école peut permettre d'atteindre ce que la chercheuse Sandrine Gaymard nomme la négociation32 d'une liberté plus importante. La négociation consiste en la conversion symbolique de la culture d'origine dans une démarche stratégique d'intégration à la société d'accueil. Dans la société occidentale où le système éducatif reste l'outil principal de la mobilité ascendante, la scolarité des enfants constitue pour les familles issues de l'immigration un moyen de réussir l'intégration par la promotion sociale. La représentation sociale des études supérieures serait donc un lieu de négociation interculturelle. L'accès aux études représente pour les filles franco-maghrébines, un moyen d'émancipation et d'ascension socio-professionnelle. Il s'agit également de l'idée mise en avant par la compagnie théâtrale dans son projet « Regardons nous grandir », qui pousse les jeunes filles à se visualiser en tant que femmes pour projeter leurs désirs, leurs rêves, et par la suite avoir envie de s'émanciper.

    L'action sur les mentalités est censée faire évoluer les perceptions mutuelles en mettant de côté les préjugés inhérentes au rapport franco-marocain. C'est le rôle que l'État français semble donner à l'outil culture. Parfois, l'objectif des actions menées vise également la transformation d'une situation sociale ou économique française. Dans ce cas, le partenaire maghrébin et le rapport au Maghreb est-il instrumentalisé ?

    III) Le paradoxe de la coopération culturelle

    Le projet culturel « Regardons nous grandir », bien qu'il soit très riche en termes d'enjeux et d'acteurs impliqués, ne peut être étudié uniquement du point de vue transnational. L'idée est bien ici non pas de s'interroger sur son bien-fondé, mais de passer au crible tous les points de vue, de faire se confronter différentes interprétations. Il semble donc nécessaire, à ce stade de la réflexion, de s'interroger sur les outils utilisés pour réaliser l'action culturelle en se forçant de prendre de la distance afin de poser un regard relativement neutre sur le suivi du projet.

    32 Sandrine Gaymard, La négociation interculturelle chez les filles franco-maghrebines, L'Harmattan, 2003

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    A. La coopération culturelle, vectrice de perpétuation du colonialisme ?

    1. Le théâtre, un outil occidental

    Le fait qu'une compagnie théâtrale française parte effectuer un projet dans un autre pays, nous pousse à nous interroger sur la façon dont elle a ou non adapté ses outils aux publics rencontrés. Le choix du théâtre peut déjà soulever un paradoxe puisqu'il implique que les deux pays (la France et le Maroc) en aient la même conception. Afin de clarifier ce point, il semble important de définir le théâtre. Nous nous baserons sur la définition proposée par l'inventeur Abdellah Chakroun qui a particulièrement étudié cette question. La définition française qu'il propose du théâtre est la suivante : « art visant à représenter devant un public, selon des conventions qui ont varié avec les époques et les civilisations, une suite d'évènements ou d'actions théâtrales où sont engagés des personnages agissant et parlant »33.

    En France, l'histoire du théâtre est étroitement liée à celle de l'humanité, de la société, des moeurs, de la politique, des cultes et croyances. Pendant vingt-et-un siècles, le théâtre s'est joué en extérieur, gratuitement, pour la population qui venait y trouver un divertissement et surtout un enseignement. A la fin du XIXème siècle, le public s'est lassé des spectacles qui n'avaient rien à dire ou à défendre, forçant le théâtre à se repenser à nouveau via le jeu, l'espace, le rapport entre scène et salle, pour défendre des idées importantes, afin d'adresser des messages de contestation, dénoncer des injustices, et d'apporter un enseignement au public. Il s'agit donc historiquement d'un outil esthétique de pédagogie à la portée extrêmement forte.

    Au Moyen Orient, il existe bien un théâtre également mais celui-ci ne s'inscrit pas historiquement et structurellement dans la même veine que l'occidental. D'essence populaire, il s'agissait initialement de traditions orales, la primauté étant donnée à la représentation composée d'improvisations et d'imitations. Les textes étaient totalement absents du processus théâtral et s'ils existaient, ils étaient librement interprétés par les acteurs, à l'inverse du théâtre occidental où l'apprentissage des supports écrits est une partie considérable du travail de l'acteur.

    33 Abdellah Chakroun, A la Rencontre du théâtre au Maroc. Ed. Najah El Jadida, 1998, p.124

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    Viennent s'ajouter à ces différences fondamentales entre deux conceptions du théâtre, le souvenir de la colonisation. Le théâtre moderne au Maghreb est un produit totalement étranger transplanté dans la terre vierge des sociétés arabes. Le théâtre arabe (selon notre conception du théâtre en France) n'existait pas avant le XIXème siècle et l'invasion de l'Egypte par Napoléon. Dans les représentations marocaines, il s'agissait de résister au théâtre à l'occidental qui ne serait jamais le théâtre arabe, mais juste une imitation plus ou moins réussie d'une forme étrangère n'ayant aucune assise populaire, fruit du labeur et de l'intérêt d'une classe privilégiée souffrant d'un complexe vis-à-vis de la culture des peuples qui l'ont colonisée. Il semblerait qu'un paradoxe en amène ici un autre en nous confrontant, au-delà de l'outil théâtral discutable, au lourd passé colonial reliant la France et le Maroc.

    2. Emanciper la femme, la nouvelle « mission civilisatrice » ?

    L'image de l'ensemble du secteur de la coopération s'est construite autour de valeurs à visée universelle dont la France s'est fait porte-parole. En effet, ce sentiment selon lequel la nation française serait investie d'une « mission civilisatrice34 » de propagation de ses valeurs culturelles vers l'extérieur, est depuis longtemps profondément ancré dans la conscience nationale. A. Salon le définit comme « messianisme35» et A. Grosser comme « nationalisme culturel36». Ce messianisme est étroitement lié au rôle que la France entend mener dans le monde. La propension à se penser comme porteur d'un message universel a été perceptible, selon A. Salon, dès le XVIIème siècle, sous la forme d'un messianisme catholique : « Face aux empires turc, russe, espagnol, portugais, hollandais, voire anglais, la France fut alors la principale puissance messianique ayant une projection intellectuelle et spirituelle hors de ses frontières et à l'intérieur des autres empires et puissances37». Elle

    34 Dino Costantini, Mission civilisatrice, le rôle de l'histoire coloniale dans la construction de l'identité politique française. Ed. La Découverte, 2008

    35 Albert Salon, L'action culturelle de la France dans le monde : analyse critique, thèse pour le doctorat d'Etat ès Lettres, Paris I Panthéon Sorbonne, 1981

    36 Alfred Grosser, Affaires extérieures : la politique de la France, 1944-1989, Paris, Flammarion, 1989

    37 Albert Salon, op. cit, p.294

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    fut le premier pays occidental à développer une politique culturelle extérieure. A l'origine, presque toujours portée par des acteurs privés et religieux, l'action culturelle est devenue plus permanente et plus politique lorsque la prétention de la France à incarner une sorte de civilisation novatrice s'est accrue. La définition de l'essence même de cette civilisation a évolué : l'image de la chrétienté a été remplacée lors de la Révolution par celle des droits de l'Homme et de la libération de la personne humaine de toutes les formes d'oppression. Tout se passait comme si la France « avait voulu concevoir, reprendre à son compte, annexer, développer et diffuser, les idées et les mythes les plus « modernes », les plus « progressistes » et les plus chargés d'espérance pour l'humanité38».

    Réel humanisme, sentiment moral de solidarité humaine ou vision égoïste des avantages pouvant résulter pour la postérité, le prestige et la puissance de la France ? La démarche française pourrait également trouver des explications en cela qu'elle tenterait de rattraper ce qu'elle n'a pas fait pour le Maroc en temps de colonisation. La rencontre avec le responsable de l'action culturelle de l'institut Français d'Agadir39 semblait être intéressante afin de lui soumettre ces hypothèses. En effet, l'Institut Français, de par sa mission de diffuser la francophonie dans les anciens pays colonisés et de se prévaloir garant de la culture française à l'étranger, semble être au coeur de ce débat. Selon lui, « Le néocolonialisme fait référence à la manière dont les anciennes puissances colonisatrices continuent d'exercer une forme de protectorat déguisé sur certaines de leurs anciennes colonies. En cela, les Instituts Français ne sont pas des néo colonisateurs puisqu'ils se définissent publiquement comme des outils d'influence et de coopération ».

    Si le point de vue de la personne interrogée reste intéressant, il semble également nécessaire de le recontextualiser afin de le discuter. Certes, les Instituts Français favorisent les actions, entre autre culturelles, entre les pays de façon égalitaire, leur existence relève tout de même de la volonté de promouvoir la culture en dehors de ses frontières. De plus, les similitudes entre les outils et enjeux mis en place par la compagnie Art dans le jardin et l'attitude colonisatrice existent. Porteuse de la valeur universelle qu'est l'émancipation féminine, elle propose aux jeunes marocaines d'utiliser le théâtre, forme arrivée sur les

    38 Ibidem, p.298

    39 François Tiger, responsable de l'action culturelle de l'institut Français d'Agadir. Entretien réalisé par courriel le 23 juillet 2014

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    terres marocaines (dans sa conception française) durant la colonisation, afin de pratiquer un travail sur leur corps pour les amener à se dévoiler (dans tous les sens du terme).

    3. Les femmes marocaines et le dévoilement du corps, une relation délicate

    La thèse de l'historien P. Blanchard40 consiste à dire que les discriminations et les vexations que les jeunes marocains subissent se trouveraient dans leur corps, devenant ainsi l'objet d'un investissement fantasmatique qui renouerait avec l'aliénation et la soumission imposées à leurs grands-parents ou leurs arrière-grands-parents. La profondeur historique est ici doublée d'une épaisseur intergénérationnelle ; ensemble, elles permettent de comprendre comment des protagonistes - qui parfois ne savent rien d'une histoire coloniale - peuvent en reproduire et en transmettre des traits prétendument disparus depuis longtemps. Il ne s'agit pas tant de prendre au pied de la lettre l'idée que les descendants des colonisés d'hier sont des « indigènes » aujourd'hui, que d'examiner sérieusement la nature d'un regard né et aiguisé durant l'ère coloniale et dont les réminiscences restent palpables. Selon P. Blanchard, elles surgissent dans un monde social et politique qui ne s'est pas dépris d'une forme de gouvernement des corps, ayant atteint sa plénitude au temps des colonies et pas encore congédiée près d'un demi-siècle plus tard.

    Durant la colonisation, le laisser faire face aux oppressions en cascade, subies par les hommes colonisés et imposées doublement aux femmes, s'inscrivait dans un système visant à asseoir l'ordre colonial sur l'ordre patriarcal dans sa version local. Les contacts entre indigènes et Européens devaient obéir strictement à des logiques de servitude et de services sociaux et sexuels répondant aux impératifs économiques et sociaux du colon. Ce n'est qu'à la veille de la décolonisation qu'il sera question d'« affranchir » le colonisé de son fardeau et plus précisément de permettre aux femmes indigènes une liberté symbolisée par l'abandon de leur voile lors d'une cérémonie les exposant à Alger, signe ultime d'un pouvoir défait.

    Bien que la compagnie Art dans le jardin ne pousse pas les participantes à littéralement enlever leur voile, le training corporel a cependant pour but de permettre aux jeunes filles

    40 Pascal Banchard, La fracture coloniale, la société française au prisme de l'héritage colonial. Ed. La Découverte, 2005

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    de se « réapproprier » leur corps, comme si elles l'avaient perdu. Le regard occidental posé ici sur les femmes voilées semble relever du cliché puisque l'association avec la soumission et le mal être a été fait automatique par la metteure en scène. Nous pouvons nous demander si nous ne faisons pas face à un cas de stigmatisation, puisque le voile porté par les pensionnaires, une fois passé au prisme des stéréotypes que la vision occidentale lui accole, a créé une représentation négative ou tout du moins d'infériorité des jeunes filles.

    B. Emancipation et stigmatisation, deux notions qui se croisent

    Si le lien entre émancipation et stigmatisation semble être relativement clair sur le sol marocain, qu'en est-il sur le sol français ? En mettant en place des moments d'échange à la Mdf de Montreuil, la compagnie cherche à créer ou renforcer un désir d'émancipation chez les jeunes filles franco-marocaines (voir plus généralement franco-maghrébines). A partir de quel moment la frontière entre émancipation et stigmatisation est-elle dépassée ? Vouloir l'émanciper, n'est-ce pas déjà juger l'Autre en plaçant ses propres conceptions (du corps libre, du féminisme) comme les seules et uniques ?

    1. Le féminisme, une notion qui ne peut se penser qu'au pluriel

    La stigmatisation faite par les pays occidentaux à propos de l'émancipation des femmes ne réside-t-elle pas déjà dans le fait de penser le féminisme de façon européenne ?

    Pour de nombreux occidentaux, les termes féminisme et musulman sont contradictoires et se réfèrent à deux phénomènes incompatibles. Le féminisme est un discours moderniste qui s'inscrit dans la tradition des Lumières et qui remet en cause les vérités reçues. L'Islam, par opposition, prescrit des règles strictes et des normes sur l'existence et les comportements. Pour de nombreux musulmans, l'Islam fournit toutes les réponses tandis que le féminisme est un phénomène déviant ou une idéologie occidentale étrangère. Mais entre ces deux positions extrêmes qui « occidentalisent » et « exotisent » toutes les deux l'Islam, il semble possible d'établir des ponts entre les divisions idéologiques.

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    La recherche universitaire a défini le féminisme musulman comme un « mouvement réformiste qui a permis un dialogue entre féministes religieuses et laïques et ouvert la voie à de nouvelles possibilités en faveur de l'égalité des sexes et de la participation des femmes aux doctrines et pratiques religieuses »41. D'un point de vue sociologique, le féminisme musulman n'est donc pas un mouvement social distinct parce que ses pratiques ont été par nature textuelles. Il peut cependant être considéré comme faisant partie du mouvement féministe global. L'histoire montre bien que le féminisme n'est ni exclusivement occidental, ni oriental. Les idées et les mouvements féministes sont apparus au même moment que l'Orient et l'Occident. Fondamentalement, le féminisme est une critique de la subordination féminine et de la domination masculine qui s'accompagne d'un effort pour rectifier la situation qu'engendrent ces rapports de domination/soumission. Les féministes de culture musulmane n'ont pas emprunté leur vision à l'Occident mais se sont opposées au colonialisme occidental qui portait une bonne dose de pratiques et de politiques patriarcales. Le féminisme que les femmes de culture musulmane ont conceptualisé au siècle dernier fut appelé « féminisme laïque » car il était organisé autour d'un discours nationaliste qui prônait l'égalité pour tous les citoyens. « Féminisme laïque » était une manière de dire « féminisme national ». Prétendre que le féminisme est occidental entretient non seulement l`ignorance historique mais sert aussi à perpétuer l'idée qui a largement circulé en Occident selon laquelle les musulmans et les Orientaux sont incapables de produire des mouvements pour remettre les choses à l'endroit, bref, incapables de produire un quelconque féminisme.

    Cependant, il semble y avoir autant de façons de penser le féminisme qu'il n'existe de féministes. Selon la présidente de la MdFM42, « le féminisme est une lutte des femmes pour obtenir l'égalité de leurs droits », propos que vient corriger la directrice de la compagnie Art dans le jardin43 pour qui « le féminisme est au contraire une revendication qui doit être portée par les hommes et les femmes afin de créer ensemble des solutions permettant d'aboutir à l'égalité entre les sexes ». Parler « des féminismes », en plus d'aller à l'encontre de l'utopie du « front uni », soulève la question des rapports de force entre les

    41 Margot Badran, Existe-t-il un féminisme musulman ? Ed. L'Harmattan, 2007, p.43

    42 Roselyne Rollier, entretien réalisé le 12 juin 2014 à la MdFM 4343 Nathalie Guisset, entretien réalisé le 12 juin 2014 à la MdFM

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    féministes. Il semble donc très problématique de pouvoir créer une action « féministe » en France et de l'exporter dans une zone rurale marocaine sans s'être adapté à l'histoire politique et humaine du pays n'ayant pas les mêmes notions des féminismes. Si la multiplicité des points de vue semble être résumée au sein de ce projet, du strict point de vue occidental, jusqu'où peut aller la stigmatisation des populations sur le sol français ? Ce type d'actions culturelles peut-il, à défaut d'apaiser les tensions entre les communautés, en créer de nouvelles ?

    2. Les populations immigrées en banlieue, un théâtre colonial ?

    Toujours selon l'historien P. Blanchard, la banlieue serait ainsi devenue un « théâtre colonial où la domination subie enferme dans des catégories générales et des images dont il est quasiment impossible pour l'individu de s'extraire. Ces mécanismes néocoloniaux ne sont peut-être jamais aussi présents que dans les relations entretenues par les représentants institutionnels avec les habitants des quartiers sensibles44». Confronter en permanence les populations d'origines immigrées à des projets concernant l'émancipation serait donc voué à l'échec et contribuerait à creuser le fossé imaginaire entre eux et le reste de la société en leur faisant comprendre qu'ils ne sont « rien que des personnes immigrées ». A cause de ce manque de qualification positive, il serait impossible d'engendrer des forces sociologiquement unificatrices et donc d'agir sur l'émancipation. La ségrégation socio spatiale, ajoutée à l'exclusion symbolique, renforce la représentation d'une population apathique, phénomène que certains n'hésitent pas à qualifier de « colonialisme interne 45».

    Schématiquement, deux analyses s'affrontent. La première consiste à dire que les projets culturels à but émancipatoire risqueraient d'accentuer les phénomènes d'exclusion. La demande unilatérale faite aux personnes immigrées, constituées en public cible dans l'obligation de s'émanciper, traduirait un mépris social, une dégradation de la citoyenneté en civisme et civilité, une adresse à des êtres incivils qu'il convient de remettre dans le

    44 Pascal Blanchard, La fracture coloniale, la société française au prisme de l'héritage colonial. Ed. La Découverte, 2005, p.24

    45 Pablo Gonzalez Casanova, Société plurale, colonialisme interne et développement. Revue Tiers-Monde, tome 5 n°18, p. 291-295

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    droit chemin46. Le but étant le maintien de la paix sociale. La seconde analyse, portée par les acteurs de ce projet culturel, repose sur l'idée qu'une action culturelle transnationale peut créer une émancipation sociale et politique. L'activation de la dimension conflictuelle de la citoyenneté, le développement des formes de contrepouvoir en démocratie, permettraient aux publics de redéfinir leurs préférences individuelles dans le sens des politiques via la délibération.

    Face à cette confrontation des points de vue, il parait impossible de poser un regard tranché sur la situation. Certes, l'émancipation semble être directement liée à la stigmatisation, le tout participant au paradoxe de la coopération culturelle. Si l'émancipation semble être aussi dure à atteindre au Maroc qu'en France, existe-t-il au moins des impacts permettant aux acteurs de ce projet de réaliser un bilan ? L'action culturelle sur laquelle nous nous basons dans cette étude finissant en 2015, nous nous axerons spécifiquement sur la réception des publics lors de la soirée de projection de la première phase du projet « Regardons nous grandir » qui a eu lieu le 12 juin 2014 à la MdFM.

    C. La réception des publics comme outil d'analyse

    La question de l'évaluation des activités relevant de la politique publique est déjà difficile en soi. Elle est encore plus délicate à maîtriser quand il s'agit d'activités relevant des arts et de la culture car elles touchent à des notions subjectives et souvent inquantifiables. Dans le domaine culturel, bien que les questions de finalités ou d'objectifs soient souvent sous estimées dans la relation entre décideurs publics et acteurs, la complexité croissante des activités publiques et leur imbrication dans des systèmes de réseaux mondialisés font de l'évaluation un passage de plus en plus nécessaire afin de recevoir des subventions. Dans le cas du projet « Regardons nous grandir », les fondations (Elle et GDF Suez) qui le subventionnent ne réclament pas ou très peu d'évaluation de la part de la compagnie Art dans le jardin. Bien qu'il faille redemander une subvention pour chaque phase du projet (trois fois en tout), les questions concernant le suivi de projet se contentent de réponses quantitatives comme par exemple le fait qu'Art dans le jardin ait créé une pièce de théâtre à partir des textes des jeunes marocaines. Qualitativement, la

    46 Pascal Blanchard, op. cit

    46

    compagnie affirme par exemple dans son évaluation avoir agi sur le désir d'émancipation des publics présents à la MdFM lors de la soirée de projection. Peut-on mesurer l'impact d'un projet en fonction du nombre de personnes qui se sont déplacés pour le voir ? Qui étaient ces publics présents à la MdFM le 12 juin 2014, quelles étaient leurs attentes, qu'ont-ils retiré de cette expérience culturelle ? Afin de tenter de répondre à ces questions, la mise en place d'une enquête à distribuer le soir de la projection a été nécessaire. Elle a pu être réalisée en partenariat avec la présidente de la MdFM qui a partagé ses connaissances à propos de ses publics, afin de créer un questionnaire le plus logique possible.

    1. Les publics cibles

    La MdFM n'a jamais mis en place un référentiel de ses publics, c'est donc au cours d'un entretien avec la présidente de l'association qu'il a été possible de les déterminer dans leurs grandes lignes47. Tout d'abord, le public de la MdFM est différent en fonction des horaires. La journée il s'agit principalement de femmes en situation de précarité qui viennent chercher des conseils juridiques ou de femmes d'origines étrangères qui assistent aux cours d'alphabétisation proposés par l'association. Le soir, l'entrée est autorisée aux hommes qui restent une minorité à franchir les portes de la Maison. Le public le plus présent en composé de femmes d'un milieu social assez aisé qui se revendiquent comme étant des féministes. Il s'agit donc d'un public militant, habitué des sorties culturelles. La dichotomie entre le public dit d'habitués et celui composé par les femmes d'origines étrangères socialement moins aisées, relève d'une vision relativement caricaturale. Cependant, il s'agit schématiquement des deux publics que la présidente de la MdFM espérait voir lors de la soirée de projection de la première partie du projet « Regardons nous grandir ». C'est pour cela que la construction du questionnaire a été réalisée autour de ces deux publics cibles.

    2. Outils méthodologiques

    Le choix méthodologique a été déterminé par l'objet d'étude et par la population. En effet, il semble nécessaire pour trouver les outils pertinents pour appréhender son objet

    47 Roselyne Rollier, entretien réalisé le 28 mai 2014 à la MdFM

    47

    d'étude, de se confronter régulièrement avec le terrain étudié afin de tester la faisabilité. C'est pourquoi plusieurs visites à la MdFM ont été nécessaires, tant en journée qu'en soirée. L'outil48 a ensuite été construit de manière à être adapté aux deux groupes étudiés d'un niveau de langue différent puis il a été validé par la présidente de la MdFM. Le questionnaire, écrit sur une double page, devait être visuellement accessible pour les personnes ayant des problèmes de vue. La langue utilisée est le français mais ce questionnaire pouvait également être rempli sous forme de question/réponse à voix haute si un problème de compréhension se présentait. Il n'aura finalement pas pu être utilisé lors de la soirée du 12 juin 2014.

    3. Interprétation et résultat

    Le soir de l'évènement à la MdFM, alors qu'une soixantaine de personnes étaient attendues dans le public, une vingtaine seulement étaient présentes. Parmi ces personnes, ni public d'habitués, ni femmes du cours d'alphabétisation, mais des proches des acteurs du projet culturel uniquement. Entre la famille des salariés de la compagnie théâtrale, leurs amis et ceux de la présidente de la MdFM, aucune personne extérieure ne se sera déplacée ce soir-là. Distribuer le questionnaire d'enquête a donc semblé être inutile, tant les réponses obtenues auraient été modifiées par les relations liant les sondés aux acteurs et partenaires du projet. Comment expliquer cette désertion du lieu ? Pourquoi les publics cibles ne se sont pas déplacés ? Selon la directrice de la compagnie49, le problème viendrait de la communication. Pourtant, entre l'affiche, les réseaux sociaux et les sites internet, la soirée avait bien été annoncée. Quant à la présidente de la MdFM, elle n'a pas su expliquer pourquoi le public n'était pas au rendez-vous, s'excusant publiquement et déclarant que la non venue du public était regrettable, « nous leur proposions pourtant un sujet très intéressant50 ». Finalement, cette phrase ne résumerait elle pas la force avec laquelle la vision occidentale s'insinue dans un projet culturel transnational ? La culture, lieu de rencontre avec l'Autre, ne serait-il pas surtout un moyen de se contempler soi ?

    48 Questionnaire d'enquête de satisfaction, annexe 4.

    49 Nathalie Guisset, propos recueillis lors de la soirée du 12 juin 2014 à la MdFM

    50 Roselyne Rollier, discours tenu lors de la soirée du 12 juin 2014 à la MdFM

    48

    Conclusion

    A travers cette étude d'un projet culturel pensé comme un outil d'émancipation féminine, il semble possible d'affirmer qu'une certaine forme d'hybridation culturelle en découle. En effet, conduire une action artistique sur un territoire aux codes différents de ceux de ses acteurs peut être l'occasion de faire se rencontrer deux cultures et visions du monde qui, ensemble, peuvent déboucher sur une évolution des réflexions. Il est peut être nécessaire de créer la rencontre de regards différents pour prétendre à un désir de changement. En cela, l'émancipation féminine ne serait pas un fantasme, et les politiques culturelles seraient plus entachées d'une vision mondiale et humaniste que d'une vision occidentale en opposition avec l'orientale.

    Cependant, les politiques culturelles françaises semblent également, inconsciemment ou non, reproduire une certaine forme de domination culturelle entrant en résonnance avec les fractures laissées par la colonisation. Le désir d'émancipation féminine à l'égard du public marocain ne reposerait finalement que sur la conviction que la France, en tant que pays plus évolué, se doit de pousser les autres à reproduire son propre modèle. Il s'agit d'une vision unilatérale de l'outil culture plus que d'un esprit de coopération, l'Autre étant ainsi régulièrement stigmatisé, et ce faisant, il s'éloigne.

    Cette réflexion ne reposant concrètement que sur une étude de cas, il semble impossible d'en émettre des généralités. Un travail plus approfondi, ouvert sur d'autres structures effectuant des actions culturelles transnationales, devrait être mis en parallèle avec ce résultat afin d'avoir une vision plus complète, comme, par exemple, au sein d'une thèse. Cependant, l'analyse de certaines pratiques ou phénomènes collectifs contemporains montre, en tout état de cause, que les hiérarchies inventées et mises en oeuvre durant la colonisation ne relèvent pas du pur passé. Faut-il y voir un héritage, c'est-à-dire une transmission directe et consciente ; un effet persistant des systèmes symboliques ayant longtemps associé l'infériorité et des couleurs de peau ; ou la conséquence d'un long silence sur le passé ? Plutôt que de choisir, il est plus sage et plus réaliste d'opter pour une multiplicité des mécanismes qui, dans nos sociétés contemporaines, maintiennent de l'inégalité et de la non-identification là où l'égalité et la communauté des citoyens sont affichées.

    49

    De plus, la persistance des disparités associées aux différences visibles est souvent renforcée par des institutions et des pratiques qui, sous couvert de neutralité, véhiculent la pensée de l'inégalité en « recyclant » des cadres administratifs nés dans le contexte colonial. Ces imbrications du passé dans le présent ont désormais pris la forme d'une question politique qui a été plusieurs fois débattue. Comment régler le passé ?

    Qu'il faille absolument s'en souvenir ou aller au-delà, qu'on en écrive l'histoire, qu'on en brandisse la mémoire ou qu'on accepte d'en assumer la responsabilité collective, les politiques culturelles sont de plus en plus confrontées aux revendications ou aux souffrances des victimes ou de leurs descendants, à moins que les gouvernements ne prennent d'eux-mêmes la décision d'affronter leurs politiques passées pour s'en repentir. Pourquoi, en ce siècle dit de l'unification du monde sous l'emprise de la globalisation des marchés financiers, des flux culturels et du brassage des populations, la France s'obstine-t-elle à ne pas penser de manière critique la post colonisation ? Quelles sont les conditions intellectuelles qui pourraient faire en sorte que la France devienne, un jour, une véritable démocratie cosmopolite capable de poser en des termes inédits, et pour le compte du monde dans son ensemble, la question de l'avenir, de la démocratie à venir ?

    ANNEXES

    50

    Annexe 1 : Protocole de coopération entre les villes de Montreuil et d'Agadir

    2

    langue arabe 'est enseignée depuis-. plusieurs années _ (çoilége Fabien et lycée Jean Jaurès) et des ,

    établiSsernents d'Agadir où laiangue françaiseest enseignée,
    · , .
    :Des, échanges entré des lycées d'enscignerrent technique et professionnel pourront_ également

    etre. organises. -
    ·:. _ : -
    · .

    Pour ce dire, dans le courant du premier semestre 2006, des rencontres seront organisées entre

    - les resgor isables des établissements scolaires .d'Agadir et dé' Montrcu 1, qui désirent s'engager dans ' ces jumelages, afin de, Ietir p'er nettre une meilleure 'connaissance réciproque et d'envisager les ' modalités cOncrêtes de leurs relations.

    . même, les .échanges concernant des .professeurs . de languis et des professeurs .de
    ·

    l'enseignement professionnel' des étiblissetriei ts scolaires des deux collectivités' seront favorisés. -

    EC1-IAN ES.UNIVERSJT I F,

    Dans. lecadre de cet accord. de coopération entrcles deux villes, là ville de Montreuil accueillera

    · deûx étudiants d'Agadir. afin qu'ils. puissent. suivre un corans universitaire dans.une université de la région parisienne,
    · leur permettant notamment de découvrir la.langue et la c;ultare française.

    Les étudiants pourront etre invites â intervenir dace les'étahIL seriments. scolaires
    ·ou des centres 'culturels mantrcuiilois qui dispenses t renseignement de l'arabe: .

    Ar ieIe r .

    Dans le cadre di présent .accord, la ville d'Agadir accueillera p?ur sa para deux étudiants,. professeurs ou chercheurs; notamment de P'mstitut national, des langues et civilisa. tons orientales,

    présentés par Montreuil,
    ·.

    Ces étudiants, professeurs ou chercheurs pourront âtre .sollicités .pour intervenir .dans les établissements scolaires ondes centres culturels d'Agadir.

    Article 5 :-
    ·

    Pour les étudiants d°Agadir la ville de Montreuil prendra a_ sa charge les frais de logement; de . scolauité, et attribuera une bourse mer telle -permettant dé couvrir les dépenses quotidiennes. et noiarriment de restauration et de 'santé. Les frais de transports internationaux seront pris en charge par la partie ni' aarocaine.

    Pour les étudiants de 'Montreuil, la ville d'Agadir prendra â sa charge les frais dellogemettt-, de stolarit& et attribuera une bourse rnerisaelle permettant de couvrir les .tlépenses,.quotidiennes et notamment de restauration et de santé. Les frais de transports internationaux seront pris en charge. . par la partie française.

    . Les modalités de- choix des étudiants sont les suivantes : la. ville
    · d'origine étudiera les

    candidatures 'au" regard des aptitudes et de l'intéet pour la lingue et la culture, gais aussi. des

    · objectifs professioanels dés candidats et des offres .de formation proposées par la ville d'accueil_ Ceci permettra 'de chôisir les étudiants dont. le séjouiparaitra, le plus. pertinent. La ville d'accueil sera consultée sur 'ce choix.
    ·

    . Article 6

    Les étudiants seront invités â - s 1mpliquer dans des activités favorisant Te rayonnement des actions i$t.emationales. menées ' par 'la. ville oû 'ils séjburneront ',et susceptibles de faciliter les échanges et la mise.met.cGuvre dc la, coopération entre les villes de Mantreui .ctAgadir.

    '.Les étudiants seront également invitée. a 'produire régulièrement un coznpte-cendu de leurs

    activités et du déroulement lie leur séjour. -

    - I

    3. ECHANCES ADMINISTRATIFS ET FORMATION DES AD1E ES ET A ENTS


    ·
    · Les -collectivités s'engagent â favoriser les échanges de cadies
    · et agents. municipaux, par des missions d'études de courts et moyens
    ·stjoars,. afin de favoriser une c6nnaissance mutuelle du fonctionnement des. collectivités marocaines et fr'ançaïses. A ce. titre, seront .notamment Mis en

    · reuvre des -échanges .dans les domaines-suivants

    - Gesticin'et animation. des maisons .de.quartiers et deicentres culturels ,

    - Mise. en ocnvrc des agendas`21 locaux -

    - Services ct,prestations Sociales
    ·

    Ces .échanges doivent con#ribUer i..Pamélioration de la qualité des services. et du cadre de vie des habitants des deux collectivités notamment l'intégration urbaine et sociale des quartiers-

    Des collectivités locales. partenaires- d' gadir et. de. 1 oittreuil pourrorrt etre associées a ces démarches, et notaira ent la 'ville de Maderna, (Brésil) pour son expérience dans le domaine de la .r sorption des bidonvilles et de l'intégration de l'habitat non rëglementaire, expërieiic4 reposant sur une participation active des
    ·habitants_


    ·

    Les' dépenses dc ;vouge ,.sont â la charge , iie la ,délation qui se 'déplace. Les frais d'hébergement et de restturati~ou seront pris :en charge par la ville qui accueille,

    4. ECHANGES CULTURELS ET SPORTIFS

    Article 8

    Les deux collectivités -'s'engagent a favoriser des échanges dans les domaines culturels et

    · sportifs, notamment via les associations et les clubs présents sur leur territoire respectif:

    · En. vue de parvenir 4 la mise en oeuvre- de' réalisations concrètes, les pèrties .s'engagent â sensibiliser ces associations et ces clubs â proposer des-projets conarra s .dans le courent do Naruiée 2.006,

    Ainsi, dans. le domaine culturel, des groupes de musique pourront 'être encouragés, â se produire ' d'ans la ville partenaire. .

    Lino réflexion particulière sera menée par les demo villes afin qu'elles- puissent participer réciproquement aux grands'ëvenements organisés par elles.

    55

    Annexe 2 : Affiche de la soirée organisée par la compagnie Art dans le Jardin à la Maison des Femmes de Montreuil

    56

    Annexe 3 : Texte écrit par Fatima, jeune pensionnaire marocaine

    QUAND JE SERAI ADULTE...

    J`arrive d'un village du sud où les personnes ont un bon caractère. La nuit, c'est une lune blanche qui veille sur nous, on y mange du pain frais trempé dans de l'huile d'argan tous les matins et le soir, on dit au revoir au soleil avant qu'il se couche. J'ai rêvé que je venais d'une planète en or où ma chambre serait construite en sable, le matin je me promène en pantoufles sur les planètes voisines et le dimanche je marche sur les plages de mercure à la rencontre des sirènes rouges. J'habiterai dans une île remplie d'arbres fruitiers au milieu de l'océan, ma maison sera construite en os de gros poissons, mon amie baleine sera mon moyen de locomotion et le soir elle me ramènera chez moi sur l'île.

    Je construirai ma maison loin de la pollution humaine, loin des bruits d'usine et de véhicules. J'y trouverai ma liberté, des amies, de l'air pur, du calme et de la paix. Je fabriquerai des avions en arrêtes de requins pour faire le tour du monde.

    Adulte, je serai chercheur scientifique, professeur de la philosophie, sapeur-pompier, professeur de danse, éleveur d'animaux domestiques. Je ne serai pas mariée parce que je n'aime pas partager ma vie avec les autres, j'aime vivre seule libre et indépendante. Je n'aime pas la soumission. Je ne saurai comment décrire mon mari car je n'en veux pas. Je ne serai jamais chirurgienne ou pilote mais en revanche, je ferai de la natation, j'écouterai de la musique douce, je dessinerai et je lirai.

    Quand je serai une femme, je crois que je devrais renoncer à certains de mes rêves d'enfants comme, voler sur le tapis de Sindibad, faire le tour du monde comme Ibn Batouta ou devenir magicienne. Mais, pour sûr, ma maison sera comme une verrière sous la mer, décorée de sable et de coquillages, ses chambres remplis de photos de poissons. Je pourrais les caresser du doigt au travers des vitres.

    Pour mes trente ans, je veux un beau cheval noir et une ville pleine de jeux. La seule femme que j'aimerai dans ma vie c'est ma maman. J'aurai dix enfants que j'éduquerai d'une bonne éducation, je leur apprendrai le respect, l'amour et la fraternité. Mes cinq garçons joueront au basquet ball et mes cinq filles, je ne sais pas encore. J'ai un coeur fragile, il ne supporte pas des chagrins, mon nez ne supporte pas les mauvaises odeurs et mes yeux n'aiment pas les larmes

    Je me sens belle quand je suis toute seule pour me concentrer sur mes pensées ou quand je suis avec un ami intime où quand je suis entre les bras de ma mère et quand je voyage avec mon père aussi. Je suis moche quand je me réveille le matin avec force et quand je me sens loin de ma mère. En fait ! Je serai professeur !

    57

    Quand je serai grande, je refuserai de ne pas trouver mon plat préféré, je refuserai que quelqu'un m'insulte, je refuserai la mort de mes proches, et faire du mal à quelqu'un involontairement.

    Adulte, je changerai les mauvais gens, je transformerai mon petit village en une grande ville, je changerai les façons de vivre !

    J'ai horreur d'être l'élève d'un professeur que je n'aime pas et mélanger le café avec le lait. Je voudrais être artiste pour pouvoir envoyer des messages à travers l'art.

    Des fois je suis en colère, à cause de moi-même, ou de mon père ou de mon professeur, ça dépend.

    Femme, je danserai sur ma chanson préférée « la vie de chab khalid ».

    Par amour, je gouvernerai le monde, je mettrai de la démocratie et des voyages dans l'espace.

    L'amour c'est un super sentiment, je n'ai pas peur de devenir une femme

    58

    Annexe 4 : Questionnaire de réception du public réalisé pour la soirée du 12 juin 2014

    à la MdFM

    VOS ATTENTES

    11. Quelles étaient vos attentes en venant â cette soirée {numéroter de 1 â 5 par ordre d'importance) ?

    q Militer Echangeretdébattre S'informer

    q Se divertir Se retrouver entre amis

    q Autres (p rècis erk :

    12. Que vousa apporté la soirée (numéroterde 1 â 4 par ordre d'importance) ?

    q De nouvelles informations De nouveaux points de vue Un
    moment divertissant

    LI Un temps de réflexion Autres (préciser):

    13. Souhaiteriez-vous participer â une autre soirée de ce genre?

    q Oui Non Ne sait pas

    14. Suite la soirée, avez-vous l'intention de :

    q Rester informé sur ce sujet Devenir ou rester bénévole dans une
    asso
    ciation

    q Repenser votre propre rapport â votre corps
    Autres (préciser):-.--.--.- ._ ...............................

    15. Pensez-vous que cette soirée ait changé quelque chose au niveau de votre perception de la question de l'émancipation féminine en général ?

    q Oui Non Nesait pas

    16. Pensez-vous que cette soirée peut modifier la perception que vous avez de vous-même ?

    q Oui Non Nesait pas

    17. De façon plus générale, pensez-vous qu'une action culturelle puisse participer â l'émancipation féminine?

    q Oui Non Nesait pas

    AUTRES REMARQUES:

    Mem pop vos pre'dmies rép4aaea !
    Roiafe Gara

    59

    2

    60

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    Meirieux, Martine (2002) Se (re)connaître par le théâtre : Ecole, éducation spécialisée, formation. Paris : Ed. Chronique sociale, 103p

    Neveux, Olivier (2007) Théâtres en lutte. Paris : Ed. La Découverte, 321p

    ? Sites internet

    « La nation contre le nationalisme », Bernard Cassen, Le Monde Diplomatique, mars 1998 : http://www.monde-diplomatique.fr/1998/03/CASSEN/3616. Consulté le 12 août 2014.

    64

    Site de l'Assemblée Nationale,

    http://www.assembleenationale.fr/connaissance/constitution.asp. Consulté le 25 juin 2014.

    Site de l'ONG Bani, www.ongbani.org. Consulté le 25 juillet 2014

    Site de la Banque Mondiale,

    http://www.banquemondiale.org/fr/news/pressrelease/2013/05/28/world-bank-helps-morocco-address-education-quality-and-governance. Consulté le 10 juillet 2014.

    Site de la Ville de Montreuil, http://www.montreuil.fr/la-ville/population/. Consulté le 18 avril 2014

    Site Légifrance,

    http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000299564. Consulté le 25 juin 2014

    Site du Sénat, http://www.senat.fr/rap/r00-213/r00-2130.html. Consulté le 26 juin 2014

    Revue en ligne Etudes Coloniales, Association Etudes Coloniales, 2006 http://etudescoloniales.canalblog.com/. Consulté le 02 juillet 2014 et le 15 août 2014.

    65

    ENTRETIENS

    - Maïté GERSCHWITZ, Responsable du service Echanges Internationaux et Coopération Décentralisée de la Ville de Montreuil.

    Entretien réalisé le 20 avril 2014 au centre administratif à Montreuil.

    - Nathalie GUISSET, Directrice de la Compagnie Art dans le Jardin.

    Plusieurs entretiens ont eu lieu entre le 15 avril 2014 et le 30 juin 2014 au siège de la Compagnie à Montreuil et à la Maison des Femmes de Montreuil.

    - Roselyne ROLLIER, Présidente de la Maison des Femmes de Montreuil.

    Plusieurs entretiens ont eu lieu entre le 15 mai 2014 et le 12 juin 2014 à la Maison des Femmes de Montreuil.

    - Brahim SAFINI, Responsable de l'ONG Bani et Maire de la commune Arbâa Sahel Entretien réalisé via Skype, le 30 aout 2014.

    - François TIGER, Responsable de l'Action Culturelle de l'Institut Français d'Agadir.

    Entretien réalisé par courriel le 23 juillet 2014.

    66

    Table des matières

    REMERCIEMENTS 2

    LISTE DES SIGNES ET ACRONYMES 3

    SOMMAIRE 4

    Introduction 5

    I) L'unification du monde et sa redéfinition des politiques culturelles 8

    A. La mondialisation, agent de la transformation des relations internationales 8

    1. Souffrance et dépendance des pays du Sud 8

    2. La mondialisation culturelle 10

    3. Le transnational, une barrière au nationalisme ? 12

    B. Relations France-Maroc : le poids du passé 13

    1. Le traumatisme de la colonisation 13

    2. La coopération culturelle comme tentative de réconciliation 15

    3. Le jumelage, entre échange et compréhension de l'Autre. 17

    C. La place des femmes, un enjeu au coeur des politiques culturelles 18

    1. Etat des lieux mondial de la condition féminine 18

    2. La place des femmes au Maroc 20

    3. La France et l'histoire des rapports sociaux de sexe, de nouveaux enjeux 21

    II) Un projet culturel transnational comme révélateur d'enjeux variés : « Regardons nous grandir »

    23

    A. La compagnie théâtrale française Art dans le Jardin : le théâtre, outil d'émancipation. 25

    1. Volonté d'émancipation et réinterprétation de la demande 25

    2. Création et mise en place de la démarche artistique 26

    3. Résultats attendus par la compagnie 28

    B. Le Maroc, carrefour des civilisations 29

    1. Tiznit, une zone rurale à développer 29

    2.

    67

    L'émancipation féminine, un choix économique 31

    3. Le projet culturel, outil du renouvellement de l'image mondiale 32

    C. Les politiques publiques françaises face à l'enjeu de la conscience collective sur le territoire

    34

    1. La Maison des femmes de Montreuil, lieu d'échange avec l'Autre et d'interrogation sur

    soi............ 34

    2. Biculturalisme et difficultés rencontrées par les montreuilloises 35

    3. L'apprentissage de la « négociation », la culture pour se libérer 36

    III) Le paradoxe de la coopération culturelle 37

    A. La coopération culturelle, vectrice de perpétuation du colonialisme ? 38

    1. Le théâtre, un outil occidental 38

    2. Emanciper la femme, la nouvelle « mission civilisatrice » ? 39

    3. Les femmes marocaines et le dévoilement du corps, une relation délicate 41

    B. Emancipation et stigmatisation, deux notions qui se croisent 42

    1. Le féminisme, une notion qui ne peut se penser qu'au pluriel 42

    2. Les populations immigrées en banlieue, un théâtre colonial ? 44

    C. La réception des publics comme outil d'analyse 45

    1. Les publics cibles 46

    2. Outils méthodologiques 46

    3. Interprétation et résultat 47

    Conclusion 48

    ANNEXES 50

    BIBLIOGRAPHIE 60

    ENTRETIENS 65






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"Ceux qui vivent sont ceux qui luttent"   Victor Hugo