DE L'HOMME FINI A L'INFINITUDE DIVINE
La portée philosophique de la destinée
humaine chez Maurice Blondel.
Par Christophe Westar MABOUNGOU
Introduction
Dans son article intitulé « Une genèse
de la vie sociale selon Maurice Blondel », Léo-Paul BORDELEAU
dressant le panorama historique qui a prévalu en Europe après le
grand siècle des Lumières écrit : « La
seconde moitié du XIXe siècle est marquée d'un renouveau
de l'esprit scientifique et philosophique. L'espèce de lassitude
qu'éprouvent, à cette époque, la plupart des penseurs
à l'égard des grands systèmes rationnels déclenche
un regain vers la recherche sous le signe de la force et du dynamisme. Ainsi,
dans le domaine de la science expérimentale, c'est sous le signe de
l'agir que s'exécutent les travaux en laboratoire, que
s'acquièrent des notions opératoires, que s'entassent de
matériaux précieux, que progresse le savoir. De la même
manière, beaucoup d'oeuvres philosophiques, françaises tout au
moins, se présentent comme des Essais pour guider la réflexion
vers une productivité spirituelle ; leurs démarches s'inscrivent
dans la ligne d'un positivisme spiritualiste dont Ravaisson1(*) a bien discerné les
signes dans son mémoire de 1867. Ce positivisme, « ayant pour
principe générateur la conscience que l'esprit prend en
lui-même d'une existence dont il ne connaît que toute autre
existence dérive et dépend, et qui n'est autre que son
action »2(*) , est
essentiellement un effort pour saisir, par la réflexion critique,
l'activité spirituelle dans sa production. Cette tendance vers le
concret en parturition traduit l'urgence d'un examen de
l'action »3(*).
Or, il nous semble que de tous les philosophes4(*) ayant baigné dans ce
contexte post-lumière encore largement dominé par le kantisme,
Maurice Blondel est le seul sinon le premier à avoir osé, non
seulement un examen philosophique approfondi de l'action, mais aussi et surtout
l'inscription et l'adoption intégrale de ce concept (encore inconnu
à l'époque) comme centre de perspective et de recherche
philosophique.
Toutefois, il est symptomatique de relever que l'idée
de l'action ou d'une philosophie de l'action est vraisemblablement
déjà en germe, dans la partie morale5(*), de la philosophie d'Aristote
notamment dans sa théorie de la phronesis qui ouvre les
horizons de la praxis. De plus, la conception de l'action
initiée par le mouvement intellectuel nord américain au
début du XXe siècle notamment Charles Sanders Peirce et William
James, et ordinairement connu sous le vocable de pragmatisme6(*), a longuement occulté le
vocabulaire lié à la philosophie de l'action.
Par ailleurs, il est aussi indéniable que Karl Marx (et
aussi Engels et Lénine) et le marxisme ont développé une
philosophie de l'action basée sur la lutte des classes et la
transformation de la nature et des structures économique et
sociale7(*) telles que
développées dans les thèses8(*) sur Feuerbach. De plus, la
philosophie contemporaine9(*) a également développé toute une
théorie de l'action10(*) qui repose, tout compte fait, sur l'analyse des
concepts dans lesquels l'homme tente de concevoir, de décrire,
d'expliquer et de justifier la pluralité de ses actions, une dimension
largement influencée par l'analytique anglo-saxonne et les
développements issus de Wittgenstein11(*).
C'est dans cette perspective que dans sa thèse
doctorale de 1893, l'Action. Essai d'une critique de la vie et
d'une science de la pratique, Blondel va entreprendre l'étude du
phénomène de l'action à partir de ses plus
élémentaires origines jusqu'à son large
développement. La démarche phénoménologique de
l'action qu'il déploie consiste à analyser le contenu de l'action
voulue, afin d'y voir développée toute la diversité des
objets qui apparaissent être des fins étrangères mais qui
ne sont en réalité que des moyens pour combler l'intervalle entre
ce que nous sommes et ce que nous voulons être. Car l'expérience
ordinaire semble démontrer que l'action humaine est souvent
incomplète et inachevée. La difficulté qu'il
s'attèle à vaincre est certainement celle de savoir : dans
l'agir de l'homme, où se situe la solution positive au
problème de la vie. Est-elle de l'ordre naturel des choses ? de la
science ? ou faut-il recourir à un Transcendant ?
D'où la problématique existentielle qui
cristallise et ouvre l'Action de 1893 :
« Oui ou non, la vie humaine a-t-elle un sens, et
l'homme a-t-il une destinée ? J'agis, mais sans savoir ce qu'est
l'action, sans avoir souhaité de vivre, sans connaître au juste ni
qui je suis ni même si je suis. Cette apparence d'être qui s'agite
en moi, ces actions légères et fugitives d'une ombre, j'entends
dire qu'elles portent en elles une responsabilité éternellement
lourde, et que, même au prix du sang, je ne puis acheter le néant
parce que pour moi il n'est plus : je serais condamné à la
vie, condamné à la mort, condamné à
l'éternité ! comment et de quel droit, si je ne l'ai ni su ni
voulu [...] Voilà pourquoi il faut étudier l'action : la
signification même du mot et la richesse de son contenu se
déploieront peu à peu. Il est bon de proposer à l'homme
toutes les exigences de la vie, toute la plénitude cachée de ses
oeuvres, pour raffermir en lui, avec la force d'affirmer et de croire, le
courage d'agir »12(*).
Mais que faut-il entendre par cette confrontation des
contraires, par cette sorte de dialectique ou d'impasse existentielle des choix
humains, de notre agir, du caractère imparfait et inachevé sinon
non voulu dont la décision délibérée et la
liberté de notre action devraient constituer le principe ? Pourquoi
partir, et reprendre à ses frais, ce qui ressemble bien, toute
proportion gardée, au fameux argument du pari de Pascal13(*)? C'est à cette
alternative que chaque homme est appelé à répondre. Car le
problème de la destinée humaine ne s'éclaire en effet que
si on le pose dans son ampleur et son intégrité comme fait
inéluctable, comme fait universel auquel l'action vient nouer une
problématique fondamentale à laquelle nul homme n'échappe.
Bref, c'est en quelque sorte notre condition humaine nouée dans les
disjonctions structurelles et les antinomies.
Toutefois, il semble évident que l'action telle que la
conçoit Blondel recèle une dimension
phénoménologique particulièrement originale :
« Plus qu'un fait, c'est une
nécessité »14(*), écrit-il. Donc, non pas comme une partie de
la philosophie ou seulement comme une thèse philosophique, mais bien
plus comme l'expression même du questionnement existentiel qui est au
coeur de toute recherche philosophique visant l'homme. Car, il se trouve que la
problématique de la destinée et du sens de l'existence humaine,
telle qu'énoncée dès l'introduction de la thèse de
1893, implique chez Blondel, la confrontation entre la puissance et
l'impuissance, entre le voulu et le non voulu, entre ce que je veux et ce que
je ne veux pas. Et que cette disproportion intime ne se manifeste que dans
l'expérience vécue de l'action qui se rend opératoire par
l'analyse de la finalité, des fins ou des limites de la
volonté15(*). Mais,
en réalité, que se propose la volonté et qu'est-ce qui la
rapporte à l'action ? À distance des positions réductrices
ou négatrices du sens de la vie humaine, Blondel s'est efforcé de
penser l'homme selon sa méthode d'immanence. De la sorte, comme le note
si bien J.-F Mattei, « Blondel part de l'action
élémentaire de l'être humain, enraciné dans l'effort
intentionnel de l'organisme issu des énergies obscures de la
matière, pour suivre son expansion illimitée à travers
tous les stades de l'action puis saisir au vif le déploiement et le
terme de la destinée humaine [...] Un déploiement progressif,
sans aucune solution de continuité, dirige l'action selon une
conversion, une épistrophé disait Plotin, non pas vers
l'Un ineffable du néoplatonisme, mais vers Celui que Blondel nomme
l'Unique nécessaire »16(*) . Pour le dire de façon plus
décisive : « en deux mots, la conscience de l'action
implique la notion d'infini, et cette notion d'infini explique la conscience de
l'action libre »17(*). Il devient évident que saisir le sens et la
destinée humaine, dans ces conditions, c'est donc et avant tout chercher
à saisir l'orientation de cette dynamique que le concept abstrait seul
ne peut définir sans la dénaturer. C'est en un sens qu'on ne peut
pénétrer la réalité qu'en se plaçant non pas
du point de vue statique de l'entendement, mais du point de vue dynamique de la
volonté. Voilà pourquoi chez Blondel, la volonté ou mieux
une philosophie de la volonté détermine, comme pour ainsi dire,
toutes les articulations de l'action. Et cela est symptomatique, car le premier
mot qui ouvre les Carnets Intimes est : « Je
veux » (24 novembre 1883)18(*). Mais, comme le souligne si bien R. Virgourlay :
« Or la volonté n'est pas simple, elle recèle une
complexité dont témoigne l'expérience morale. Le vouloir
se heurte à une résistance qui le tient en échec.
Contradiction éthique qu'exploite saint Paul dans sa théologie de
l'Épitre aux Romains19(*) et que le début de l'Action transpose
en termes de disproportion ontologique : « il y a toujours entre
ce que je sais, ce que je veux et ce que je fais, une disproportion
inexplicable et déconcertante...».20(*)
Chercher donc à penser la volonté, c'est pour
Blondel appréhender la vie non pas telle qu'elle a été ou
telle qu'elle devrait être, mais telle qu'elle se révèle
à l'homme dans l'immanence de son action. C'est dans l'expérience
vécue par l'être humain, par son action et ses implications que se
constitue à la fois la question et la réponse au problème
de la destinée humaine. Il devient clair que c'est dans toutes les
attitudes par lesquelles l'homme cherche à échapper aux exigences
de l'action qu'il aboutit à l'expérience d'un inachèvement
et qu'il y a nécessité d'ouverture à une action qui n'est
pas nôtre, qui n'est pas de l'ordre naturel fini, mais d'un ordre
surnaturel infini. C'est là justement qu'apparait l'idée d'une
volonté en quête d'achèvement dans l'Unique
nécessaire. Il ne s'agit donc pas ici d'une insuffisance de la
volonté en tant que telle, mais apparemment d'une insuffisance de
l'action. De la sorte, le sens de la vie et de la destinée humaine,
à l'ordre dans le questionnement initial, se manifeste alors dans
l'effort produit par l'homme pour égaler dans son action l'élan
premier de la volonté. Mais si cet effort appelle un questionnement
philosophique, c'est précisément parce que pour Blondel, il est
toujours renouvelé, jamais achevé. Et c'est dans cette
quête d'un achèvement que l'homme ne peut se donner à
lui-même que Blondel perçoit l'action secrète et
mystérieuse d'une volonté transcendante qu'il appellera l'unique
nécessaire ou le tout Autre. Ce qui nous amène donc à un
certain nombre d'interrogations qui vont structurer notre propos : quel
est le statut de la volonté dans son articulation entre pensée et
action (agir) ? Dans son action, l'homme peut-il se suffire à
lui-même ou nécessite-il un apport extérieur ? qu'est-ce
que pour Blondel la notion de l'Unique nécessaire et en quoi cette
notion (sa configuration et son contenu) se rend-elle indispensable dans
l'achèvement de l'action ? Comment le Transcendant (s'il existe) est-il
découvert et expérimenté par notre volonté ?
En conséquence, plus qu'une autre
référence, c'est la pensée de Maurice Blondel qui nous
permet donc d'esquisser les conditions d'une volonté fondée sur
l'indissolubilité entre pensée et l'agir. Et l'idée d'une
volonté en quête de la rencontre de l'unique nécessaire
semble indiquer un projet de reconnaître à un sujet social la
capacité de penser et d'évaluer le sens et la portée de
son agir.
Notre ambition, tout au long de ce travail est une tentative
de revisitation de l'expérience de la volonté dans sa
découverte et dans l'affirmation de l'Unique nécessaire ou le
transcendant ou le tout autre selon l'expression de Blondel lui-même.
Pour ce faire, trois moments importants vont
caractériser l'articulation de notre travail.
La première étape consistera à
déployer le contexte d'émergence et de l'élaboration de
l'Action de 1893. Elle exposera non seulement les motivations du choix
d'un concept dont l'usage n'était pas encore courant à son
époque, mais bien plus le dialogue qu'il savait entretenir avec la
tradition philosophique et même théologique21(*).
Le second moment consistera à analyser et à
interpréter les différentes articulations de la volonté
dans l'Action de 1893 et ses oeuvres ultérieures.
Enfin, le troisième moment sera celui de la
démonstration de l'indestructibilité de l'action volontaire dans
cette expérience de l'annonce et de l'affirmation de l'expérience
de l'Unique nécessaire.
CHAPITRE PREMIER
SITUATION HISTORIQUE DU PROBLÈME:
Blondel en
son Temps
Introduction
Il convient de présenter d'abord une vue d'ensemble de
l'homme et de l'oeuvre. Le but principal étant d'aider à situer
nos analyses ultérieures. Car, il est clair qu'en tant que philosophe,
il s'inscrit inéluctablement dans une tradition philosophique. Et que
dans cette tradition philosophique, il a marqué son originalité
et sa démarche mieux sa méthode philosophiques. Nous commencerons
par une esquisse biographique, nous examinerons le problème de
l'élaboration de l'oeuvre principale, et enfin nous tenterons de le
revisiter dans et à travers le dialogue qu'il a pu entretenir avec
d'autres philosophes surtout à propos de la problématique de la
volonté.
1.1. Esquisse biographique
Il est incontestable que c'est par une approche de deux
ouvrages importants : les petits cahiers composés au fil des jours
par le jeune Maurice Blondel, principalement de 1883 à 1949 22(*) et ses entretiens avec
Frédéric Lefèvre en 192823(*), qu'il est facile de situer les motivations, mieux
l'éclosion de sa vocation philosophique24(*). Mais aussi et surtout la rédaction, la
soutenance et la publication de sa thèse(1893), malgré les
controverses qu'elle suscita à l'époque. En effet, dans un
mémoire envoyé à un prêtre de Saint Sulpice, le 9
septembre 1893, Blondel résume son itinéraire, mieux son parcours
en ces termes :
« Pénétré dès mon
enfance, par de pieuses influences, élevé par une mère et
une tante profondément chrétiennes, entouré d'affection
par les bonnes soeurs du couvent.[...] J'ai fait paisiblement mes classes au
lycée de Dijon...Sur l'avis de sages directeurs, mes parents,
malgré leurs préférences, me laissèrent achever ma
rhétorique et ma philosophie comme externe au Lycée. Cette
décision était conforme à mon désir : car,
dès lors, mon attrait c'était de connaître l'état
d'âme des ennemis de la foi, afin de pouvoir efficacement agir sur eux
[...] Au sortir du Lycée, très jeune encore, n'ayant point
changé d'idée, mais n'entendant aucun appel, je me laissai tout
naturellement aller préparer ma licence ès lettres [...].
D'après leur désir, je pris également mon
baccalauréat ès sciences et mon baccalauréat en droit ;
mais je sentais que ces études auxquelles je m'adonnais accessoirement
par obéissance étaient sans intérêt pour moi. La
vraie inspiration, qui me vint de mon arrière-pensée, ce fut,
alors que j'étais étudiant à la Faculté de Droit de
Dijon, de me présenter à l'École Normale : dans le
milieu très peu universitaire où je vivais, timide comme je
l'étais, très attaché à la vie de famille, de
santé délicate, pusillanime à l'excès en face de
tout inconnu, jamais je n'aurais seulement conçu ce projet, si je n'y
avais pas été soulevé par l'idée qui me pressait
secrètement. Sans même remarquer l'étrangeté du
moyen, il me semblait que cette École (je ne la connaissais que de nom),
qui inspirait autour de moi de l'effroi, était la voie qu'il me fallait
prendre pour en venir à mes fins, pour m'armer contre ceux à qui
je souhaitais de faire entendre la vérité, pour m'acquérir
une connaissance plus directe et plus profonde des esprits égarés
ou des incrédules sincères dont mon rêve d'adolescent
était de dissiper les préjugés en leur parlant leur propre
langage. »25(*)
Ceci nous oriente à comprendre que le terreau qui
préparait le futur philosophe était révélateur des
ses origines, de ses choix et de son orientation. L'influence de
l'éducation familiale, fortement marquée par le catholicisme
constitue un élément essentiel et déterminant qui non
seulement va structurer sa pensée, mais surtout sa métaphysique
et son anthropologie. En effet, à ses yeux, la philosophie n'est
complète en elle-même : elle prépare la voie à
une expérience, celle d'abriter dans sa conscience un hôte
intérieur.26(*)
De fait, Maurice Blondel est né à Dijon le 2
novembre 1861, d'une très ancienne famille bourguignonne. La fortune de
son père, notaire à l'époque, lui assurait une vie exempte
des soucis d'argent. La tradition familiale lui transmettait une
éducation délicate et un christianisme solide. Il fit ses
études secondaires à Dijon . Il passe son baccalauréat de
philosophie, puis, l'année suivante, celui des mathématiques. Sa
famille souhaite qu'il prépare l'École polytechnique ; il a les
dons nécessaires, puisque l'un de ses cousins, André Blondel
(1863-1938), dont il sera proche toute sa vie, y entre et devient un physicien
expérimenté réputé, membre de l'Académie des
Sciences.
Il prit ensuite aux Facultés les grades de
licencié ès Lettres, de bachelier ès Sciences27(*) et en Droit. L'influence de
deux professeurs, Alexis Bertrand au Lycée, et henry Joly à la
Faculté des Lettres, contribua à l'orienter vers la philosophie.
En 1881, il entre à l'École Normale (que Bergson venait de
quitter). Aussi, dès le début de la deuxième année,
il fixa son projet de thèse sur L'Action, sujet qui surprit alors et ne
fut pas accepté sans difficulté28(*). Les années d'études de Blondel
à Paris se terminèrent durant l'été 1886 lorsqu'il
réussit, au second essai, l'agrégation. Il avait
été étudiant à l'École Normale29(*), dans la promotion de 1881,
avec pour condisciples Frédéric Rauh, Pierre Duhem et Victor
Delbos (ces deux derniers étant de la promotion de 1882). Ses deux
principaux professeur à la rue d'Ulm furent Léon
Ollé-Laprune et Emile Boutroux qui le marqueront et l'influenceront
considérablement. Le premier développa sur le jeune Blondel
l'intérêt pour la philosophie de la religion et les rapports entre
philosophie et théologie; tandis que le second l'initiera aux exigences
d'une méthode philosophique rigoureuse et à une solide
connaissance de l'histoire de la philosophie moderne. À l'automne 1886,
il est nommé professeur de philosophie au Lycée Mignet d'Aix-en
-Provence. C'est là qu'en 1887, il écrivit au doyen de la
Sorbonne pour soumettre à son approbation les titres et sujets de ses
thèses de Doctorat. Et c'est à Aix que vers la fin de
l'année 1888 il commença la rédaction de sa thèse
principale, l'Action. À la fin de l'année académique, en
été 1889, il obtînt, un congé de l'Université
pour se consacrer entièrement à la préparation de son
doctorat30(*). La
soutenance de thèse en Sorbonne eut lieu finalement le 7 Juin 1893. Le
jury fut déconcerté à la fois par la méthode et les
conclusions de l'ouvrage, mais dut en reconnaître la vigueur et la
pertinence. La thèse complémentaire, en latin, portait sur le
Vinculum substantiale de Leibniz. Cette curieuse théorie a
été l'un des points de départ de la réflexion de
Blondel. Il cherchait précisément dans « l'action ce
lien substantiel qui constitue l'unité concrète de chaque
être en assurant sa communion avec tous.»31(*)
1.2. L'élaboration de l'Action de 189332(*)
Maurice Blondel avait entrepris de rédiger une
thèse sur un sujet assez insolite : l'Action33(*). De fait, il entreprit un
travail de réflexion sur le sens de l'existence humaine qui
définit une attitude d'ouverture vis-à-vis de l'Absolu. Pour y
arriver, il fallait cependant mettre entre parenthèses toute conviction
personnelle pour examiner, d'un point de vue rationnel, la cohérence des
différentes attitudes prises vis-à-vis de l'existence. Or, il se
trouve que dès le départ, ce sujet suscite suspicion et
interrogation. En effet, dans son Itinéraire philosophique,
Blondel évoque cet épisode, à l'intention de son
interlocuteur Frédéric Lefèvre, de l'accueil mitigé
réservé au thème de l'action :
« Il me semble donc que c'est hier que, le 5
novembre 1882, tout au début de ma seconde année d'école
Normale, je fixais le titre sur lequel vous voulez être renseigné.
Je vois encore la place en la salle d'études, j'ai encore le feuillet
où j'exposais pour moi-même mon projet. Mon cher voisin, Gabriel
Audiat, au regard perçant, lut par dessus mon épaule et vendit
mon secret. "une thèse sur l'Action, grand Dieu ! qu'est-ce que cela
peut-être ? Le mot action ne figure même pas au Dictionnaire
des sciences philosophiques d'Adolphe Franck", le seul que nous avions
alors. En effet, quand je demandais en Sorbonne l'inscription de mon sujet qui
me paraissait d'autant plus justifié qu'il provoquait une sorte
d'étonnement, l'aimable secrétaire me répondit d'abord,
après avis compétents, qu'on ne voyait point là qu'il y
eût matière à thèse philosophique [...]. Un peu plus
tard, Lucien Herr, qui s'y intéressait plus sérieusement à
travers son ton goguenard de bon géant protecteur, me conseillait, lui
pourtant déjà si érudit bibliographe : «mon
petit Blondel, tu devrais ne point faire figurer un seul nom propre dans cette
thèse-là qui mérite d'être taillée en plein
drap ; c'est du neuf» ! Telle était bien ma
résolution. »34(*)
En outre la justification de ce choix semble être
déterminée par cette évidence, à partir de ce que
Blondel lui-même écrira environ 45 ans plus tard,
c'est-à-dire après la publication de la première
Action. En effet, il nous le précise, clairement, en
écrivant ceci :
« Si en 1888, on avait opposé à un
projet de thèse sur "l'Action" une fin de non recevoir, en faisant
remarquer que ce mot ne figure même pas dans le dictionnaire
philosophique d'Adolphe Franck (le seul qui fût alors usité en
France), et si en effet Descartes avait déclaré qu'il ne mettait
point de différence entre l'action et l'idée de l'action afin de
ramener la philosophie de l'agir à celle de la pensée et de la
connaissance, d'où venait cette réduction dont s'autorisait la
spéculation pour escamoter, si l'on ose dire, ce qui semblerait d'abord
le plus ample, le plus vital, le plus émouvant des problèmes ?
Agir ne serait-ce donc point un objet de science qui prétend à
connaître, à embrasser, dominer toute la réalité ?
Agir, pour le philosophe, devrait-il se borner à projeter, à
construire des plans, des rêves,à former des systèmes de
concepts, sans même aller jusqu'à des velléités ou
à des ébauches d'exécution ? [...] Comment
néanmoins a-t-on pu soutenir qu'il n'y a point de différence
entre "l'action" et "l'idée de l'action" ? ».35(*)
Le travail que va entreprendre Blondel est vraisemblablement
un défi, une gageure. Car le mot action n'appartiendra à la
langue philosophique que depuis la thèse de 1893. De fait, en 1882,
lorsque Blondel se mit à réfléchir sur quelques textes de
la Métaphysique et de l'Éthique d'Aristote
traitant de la praxis et de l'energeia, le terme ne figure
pas encore dans le Dictionnaire des Sciences philosophiques d'Adolphe Franck.
Qui plus est, la signification ne semble être attestée par aucune
tradition philosophique certaine. Néanmoins, l'absence même d'une
détermination communément admise autorisait, mieux stimulait
Maurice Blondel à charger le mot, encore impropre, d'un sens technique
expliquant que son but est de surmonter le conflit entre la "science" et la
"croyance". Il signale deux positions antithétiques : celle
d'Aristote qui considère que la pratique engagée dans le
contingent reste inférieure à la théorie portant sur
l'être immuable et, en sens inverse, celle de Kant qui établit le
primat de la raison pratique sur la raison théorique en opposant la
certitude morale à toute considération d'ordre
métaphysique. Néanmoins, les deux doctrines ont vraisemblablement
un point commun : c'est qu'elles situent l'agir suprême de l'homme
dans une activité pure, dégagée de toutes ses conditions
matérielles, à savoir la pensée pour Aristote,
l'obéissance à l'impératif moral pour Kant . Dès
lors, Blondel peut s'autoriser à définir son projet en ces
termes :
« Entre la doctrine ancienne, selon laquelle la
volonté agit conformément à un objet au point de ne plus
faire qu'un avec lui, et le kantisme qui place la volonté en dehors et
au dessus de la raison, il y a sans doute quelque chose à
définir : il demeure vrai que pour bien agir, il faut bien penser ;
il est plus vrai peut être de dire que pour bien penser, il faut bien
agir. »36(*)
1.3. Dialogue avec la tradition philosophique
Nous avons noté que la thèse de Blondel n'a pas
seulement suscité de l'admiration à la soutenance, mais que des
controverses ou critiques surviendront plus tard. Ces controverses
amèneront l'auteur à écrire la Lettre37(*) d'une part et d'autre
part à repréciser autant que possible son orientation propre. Une
orientation motivée par l'exigence de corriger « un milieu
où l'on oscillait du dilettantisme au scientisme ; où le
néo-christianisme à la Russe se heurtait à la dure
virtuosité de l'idéalisme radical à l'Allemande ;
où, dans l'art et la littérature comme dans la philosophie...me
semblaient triompher le notionnel, le formel, voire l'irréel [...] Or
l'Action me paraissait être ce "lien substantiel" qui constitue
l'unité concrète de chaque être en assurant sa communion
avec tous »38(*).
Aussi s'impose-t- il à nous, l'impérieuse
tâche de discuter la filiation ou les rapprochements possibles entre
Blondel et certains philosophes dont les allusions sont, on ne peut
hévidentes, dans l'Action de 1893. Nous pensons
évidemment à Aristote, par ce qu'il est comme pour ainsi dire la
source germinale de l'Action ; Leibniz, en tant qu'il lui a
consacré sa thèse latine ; Kant, parce que la plupart des
controverses, mieux des critiques (autant des philosophes que des
théologiens) se fondent sur une méprise consistant à taxer
Blondel de kantisme39(*) ;
Schopenhauer, en tant qu'il est cité nommément dans l'Action
et que l'axe de la volonté, tel que Blondel le développe
constitue une réfutation du pessimisme et du nihilisme schopenhaueriens.
Alors y' a-t-il eu entre Blondel et ces philosophes une dette, une filiation ,
une reconnaissance ou une source d' inspiration ?
1.3.1. La source aristotélicienne
Il ne fait l'ombre d'aucun doute que c'est d'abord dans le
cadre d'une éthique que, pour la première fois, Aristote a
conçu une analyse (subordonnée mais distincte) du volontaire et
de l'involontaire. Cette analyse, recueillie dans le Livre III de
l'Éthique à Nicomaque40(*), contient en germe, outre
les développements que lui donneront la psychologie
médiévale et celle du XVIIe siècle cartésien,
l'annonce d'une conjonction possible entre analyse
phénoménologique et analyse linguistique. La description du noyau
volontaire de l'action humaine supposait, en effet, des choix. Aussi Aristote
commence-t-il par délimiter la sphère des actes que nous faisons
de plein gré, pour les distinguer de ceux qui sont contre
le gré de l'agent.
Dès lors, il faut partir du volontaire pour
définir la volonté. Car, chez Aristote, la volonté est
acte, et plus précisément acte volontaire. De la sorte, le
volontaire se définit par l'union de deux facultés : le
désir (c'est -à-dire agir par soi-même et dont le contraire
est être craint) ; la seconde faculté est l'intentionnalité
de la connaissance, c'est-à-dire agir en connaissance de cause et dont
le contraire est d'agir par ignorance. Ce qui implique sinon fait intervenir la
dimension de la responsabilité de l' agent. Dans cette perspective, la
volonté devient donc la manifestation du volontaire dans l'union de ces
deux facultés. Autrement dit, la volonté ne peut se
définir que dans cette double détermination qui donnera l'acte
volontaire. Ainsi peut on voir dans la philosophie de la volonté chez
Aristote l'ancêtre à la fois d'un "volontarisme", qui met l'accent
sur la force d'agir et sur l'initiative du choix, et d'un "intellectualisme",
pour lequel seule une volonté éclairée par des motifs
rationnels est proprement humaine. Ainsi le bon usage de la volonté,
c'est finalement la sagesse pratique, que les latins ont appelée
prudentia. Et ainsi, la médiation sur l'agir humain pointe, en
effet, vers ce qu'Aristote appelle l'oeuvre ou la tâche de l'homme, ce
qui se dit en grec ergon ; Or cet ergon désigne
l'affleurement, au niveau humain, d'un fond d'activité, d'une
energeia, qui est le sens même de l'être, en tant du moins
que nous l'appréhendons sous cet aspect de la "puissance" et de
l'acte".41(*)
Plus fondamentalement donc, il est attesté que Blondel
a, non seulement lu Aristote, mais l'a largement exploré et
exploité. En effet, qu'on se rappelle bien, souligne Claude
TROISFONTAINES42(*), que
le mot "action" ne figurait pas dans le vocabulaire philosophique43(*) de l'époque et que le
thème lui-même ne paraissait pas digne d'une étude
philosophique. Pourtant il y avait bien un penseur célèbre qui
s'était occupé de l'action, et c'était Aristote. Il ne
faut donc pas s'étonner de voir Blondel, dans la toute première
note de 1882 concernant sa thèse, recopier une série de citations
de la Métaphysique et de diverses Éthiques. Ce
qui le frappe, c'est que le disciple de Platon, contrairement à son
maître, accorde à la
ðñáîßò et au
ðïéåÀí une originalité par rapport
au èåùñåÀí, du moins dans
certains de ses écrits. il déclare notamment : «C'est
dans l'oeuvre que semble résider le bon et l'un44(*) ». «C'est en
agissant, qu'ils connaissent »45(*). «Le bien est toujours dans
l'action »46(*).
«L'oeuvre est en un sens son producteur en acte. »47(*)
Ainsi, pour Blondel, faire et se faire
correspondent aux deux premiers niveaux de l'action que distingue Aristote
entre poiein et prattein. Le verbe "poiein", dit
Blondel, «s'applique à toute sortes d'opérations, depuis
celles qui modèlent de la glaise jusqu'aux réalisations les plus
hautes de l'artiste ou du poète. Mettre les mains à la
pâte, sculpter une minerve, incarner la pure poésie dans la
précieuse matière des mots évocateurs et des sons
cadencés, c'est toujours exercer ce métier de fabrication
idéaliste qui a fait définir l'homme : homo faber.
Le premier jeu de l'enfant, c'est de manier les choses pour construire l'appui
ou l'appartement de ses rêves. Et à partir des outils les plus
rudimentaires du langage et de l'industrie jusqu'aux créations les plus
libres du génie, partout se retrouve une matière animale,
transfigurée, sublimée par l'ouvrier humain, mais dominé
qu'il est par le besoin de refaire le monde à son service et de
réaliser un ordre répondant mieux à ses
aspirations »48(*). C'est ce faire humain qui distingue l'homme de
l'animal. De plus, ajoute-t-il, dans tout poiein, il y a des
degrés, une volonté de se faire, un prattein ;
« agir en ce sens s'applique moins aux actions transitives
qu'à l'oeuvre intime de notre propre genèse, comme si par nos
actions, nous avions, selon la parole d'un ancien, à nous
façonner d'abord nous-même, à constituer notre
personnalité, à sculpter visiblement ou invisiblement notre
beauté ou notre laideur, à devenir ce vivant poema
pulchritudinis et virtutis dont parle Cicéron. Donc à la
différence des industries qui fabriquent des objets, l'action immanente
à l'homme informe le sujet lui-même, sans doute par des concours
et des retouches multiples, miris et occultis modis, mais enfin, selon
une norme intimement présente qui soutient et juge l'effort continu de
l'être raisonnable et volontaire »49(*). Enfin, le prattein
s'ouvre sur un troisième niveau d'action qu'Aristote appelle le
théorein, l'action contemplative qui manifeste à l'homme
un acte pur dont toute passivité est exclue.50(*)
Cette analyse montre que Blondel était cependant
conscient de certaines apories dans la philosophie d'Aristote. Ce dernier, tout
en présentant l'originalité de l'action, maintient le primat de
la pensée : « C'est le theôrein qui porte
sur la substance ». En effet, «on ne peut trouver les
éléments du poiein »51(*) qui sont innombrables
tandis qu'« on peut déterminer les éléments des
substances »52(*). Or toute la pensée grecque est tendue vers le
déterminé, l'achevé. C'est la raison qui permet à
l'homme d'entrer en contact, à certains moments
privilégiés, avec l'Acte pur qui est Pensée de la
pensée. D'où la supériorité de la théorie
sur la pratique. Blondel se demande toutefois si c'est bien la conclusion
à laquelle devrait aboutir l'aristotélisme. En effet, si l'on
admet que l'être achevé est l'être en acte, celui qui
rejoint sa perfection (entelechia) alors pourquoi ne pas admettre
aussi que c'est la pratique, et non la théorie, qui porte sur la
substance ? Blondel décide en conséquence de renverser l'ordre
d'Aristote. Ainsi, dans l'Action, c'est cette décision qui conduira
Blondel à esquisser une logique de l'action qui dépasse, tout en
l'englobant, la simple logique de l'entendement. C'est en cela même que
le thème de la destinée qui est le problème le plus
sérieux soulevé par l'Action de 1893 est présentée
sous toutes ses dimensions à partir de la distinction
aristotélicienne du Ðïßéí et du
Ðñáôåßí. La transformation
du monde et de soi-même par la coopération avec les autres
êtres. Car c'est en faisant que l'homme se fait.
1.3.2. La mise en cause du formalisme kantien
La philosophie kantienne fut introduite en France, à la
fin du XIXe et au début du XXe siècle par Charles Renouvier et
Jules Lachelier. Et, elle y exerça une telle influence que même si
un penseur , vivant à cette époque, lui refusait les conclusions
essentielles, ne pouvait pas se soustraire à l'atmosphère
créée par elle. Ainsi fit Blondel. Mais conscient du fait que le
formalisme du devoir selon Kant53(*) et toute sa philosophie étaient admis
d'évidence dans les les milieux universitaires du XIXe siècle, il
avait bien pris soin de préciser son orientation afin d'éviter
toute dette de pensée :
« ...Qu'on ne fasse pas, après Kant, surgir
je ne sais de quelle nuit je ne sais quel impératif catégorique ;
car je le traiterais en suspect et en intrus... ainsi pour que le
problème de l'action soit posé scientifiquement, il faut qu'on
n'ait ni postulat moral, ni donnée intellectuelle à
accepter. »54(*)
Le motif évoqué dans ce sens est
qu'« abordant la science de l'action »55(*) de manière qu'elle soit
vraiment scientifique, c'est-à-dire exhaustive, il est nécessaire
d'explorer toutes les attitudes possibles et n'accepter d'avance aucun
présupposé intangible, « ni postulat moral, ni
donnée intellectuelle »56(*).
Or, après la soutenance et la publication de
l'Action de 1893 et de la Lettre, les controverses ne
s'atténuèrent pas. Bien au contraire. Les uns dirent : ce
n'est pas là de la philosophie mais de l'apologétique ; les
autres dirent : en devenant philosophie, le christianisme de l'auteur
s'écarte de la doctrine sacrée reconnue par les
théologiens catholiques.57(*)
De fait, les multiples reproches faits à Blondel
concernaient la valeur de la connaissance et la gratuité du surnaturel.
Mais dans son rapport avec Kant nous nous attarderons sur le premier ; car le
second trouvera sa justification dans la dernière partie de notre
travail lorsqu'il s'agira de traiter de la question du surnaturel. Donc sur le
premier point, il lui est reproché d'être justement kantien. On
entendait par là : idéaliste, subjectiviste,
fidéiste. C'est ce qui d'ailleurs amène le P. Schwalm à
écrire :
« M. Blondel est néo-kantien. La
méthode de la philosophie, pour lui, c'est la méthode kantienne
poussée à ses dernières conséquences
phénoménistes : la raison spéculative sait que nous
avons des idées, elle ne sait pas si ces idées correspondent
à quoi que ce soit en dehors de nous. C'est la pratique, l'action qui
lui apprend la vérité objective de ce qu'elle
pense »58(*).
Cependant, souligne Henri Bouillard, ce grief souvent repris
et développé, manifestait chez ses auteurs, avec une notion trop
sommaire du kantisme, une méprise sur la phénoménologie
blondélienne de l'action59(*). Quel est donc le rapport du blondélisme au
kantisme s'il n'est ni d'inspiration, ni d'opposition point par point ? Il faut
répondre que c'est un rapport dialectique, au sens ou ce terme
évoque à la fois contradiction et passage à un niveau
supérieur60(*).
Sans prétendre, pour autant revenir sur ce débat61(*), nous retiendrons
exclusivement trois moments importants :
D'abord, on sait que du point de vue de sa théorie de
la connaissance, Kant a posé le problème du
phénomène et du noumène. Il est clair que le
phénomène, au sens kantien est l'objet indéterminé
d'une intuition empirique qui se rapporte à cet objet par
l'intermédiaire d'une sensation, qui est elle-même le
résultat d'une affection de ce même objet. l'objet
phénoménal est donc donné. Or de ce que l'esprit
reçoit des représentations dont il n'est l'auteur, Kant conclut
qu'il ne peut pas non plus connaître ces objets tels qu'ils sont en
eux-mêmes, mais seulement tels qu'ils nous affectent.
Ainsi, dans les Fondements de la Métaphysique des
moeurs62(*), Kant
montre que toutes ces représentations de notre arbitre
(Willkir), comme celle des sens, ne nous font connaître les
objets que comme ils nous affectent de telle sorte que ce que ces objets
peuvent être en soi nous reste inconnu. En conséquence, en
dépit des plus grands efforts d'attention et de toute clarté que
peut ajouter l'entendement, nous ne pouvons arriver qu'à la connaissance
des phénomènes jamais à celle des choses en soi. Et si,
par là même, il est nécessaire de distinguer les choses
connaissables ou phénomènes des choses inconnaissables ou
noumènes, c'est parce que l'esprit accède seulement aux objets
s'il est affecté par eux. Aussi, pour distinguer le
phénomène du noumène, il suffit d'être attentif,
selon Kant, à cette différence entre la passivité et
l'activité de l'esprit.
Cette distinction amène plutôt Blondel à
poser que c'est justement par l'action qu'il est possible de percer les choses,
de se les apprivoiser en quelque sorte. L'Action est ce principe
d'unité et de synthèse, du vouloir, de l'être et de la
connaissance. Il faut sans doute préciser ici ce que Blondel entend par
volonté voulante : Il s'agit de la volonté63(*) qui se contredit
elle-même dans ses actions. Il parle également de la structure
métaphysique de l'acte volontaire comme étant composée
d'une infinie relation déterminée qui s'actualise dans chaque
opération. Aussi lorsque Blondel parle de deux volontés, la
volonté voulante et la volonté voulue, il ne s'agit pas en
réalité de deux volontés distinctes, mais de deux sortes
d'opérations différentes de la même volonté. Ce qui
le rapproche justement du double usage kantien de l'unique raison, à la
fois spéculative et pratique.
Par ailleurs, la possibilité d'un impératif est
une question que pose la philosophie transcendantale. Ici l'impératif ne
peut être conditionné par aucune fin et on ne peut se demander
d'où il surgit. Car pour Kant, la liberté est une condition
nécessaire pour l'existence de l'obligation. De la sorte, l'obligation
constitue un élément à priori fondant la moralité.
C'est d'ailleurs ce concept du devoir ou d'obligation que Kant formule dans
l'impératif catégorique: «agis toujours d'après une
maxime telle que tu puisses vouloir qu'elle soit une loi
universelle ».
Or Blondel trouve cet idéal dans la structure
même de la volonté :
« Si donc on semble lui imposer comme loi,
l'obligation de s'ériger elle-même en maxime universelle, si l'on
commande à chacun d'agir avec l'intention de faire ce que tous doivent
faire: s'il faut avoir le sentiment de porter, en son action
particulière, la volonté et l'action des autres, ce n'est
là que la traduction , non pas seulement de ce qui doit être pour
la volonté délibérée et voulue, mais de ce qui est
déjà pour la volonté voulante et
opérante »64(*).
Enfin, Blondel recherche l'origine du pessimisme dans le
criticisme kantien qu'il soumet à une critique aussi concise que
pénétrante. Son erreur, selon lui a été de
dissocier et d'opposer la métaphysique, la morale et la science, la
raison pure et la raison pratique, le monde intelligible et le monde sensible,
donnant ainsi lieu à un formalisme moral où l'intention n'a pas
prise sur l'exécution :
« Si donc, il y a antinomie entre le
déterminisme des mouvements et la liberté des intentions ; si le
formalisme moral est sans relation avec les lois de la sensibilité et de
l'entendement ; si toute union est rompue entre la pensée, les sens et
l'activité volontaire; si le corps des actes est séparé de
l'esprit qui les inspire, et si dans ce monde qu'on représente comme le
théâtre de la moralité, l'homme
dépossédé de toute puissance métaphysique exclu de
l'être et comme écartelé, se sent entouré
d'impénétrables réalités où peut
régner l'illogisme le plus absurde, alors la force de vivre est
brisée avec l'audace de penser »65(*).
En conséquence les antinomies kantiennes permettent
à Blondel de démontrer que l'unité de l'action
réside justement dans cette synthèse du vouloir, du
connaître et de l'être. Ce lien du composé humain qu'on ne
peut scinder sans détruire tout ce qu'on a désuni. L'action est
le point précis où convergent le monde de la pensée, de la
morale et le monde de la science; et s'ils s'y unissent pas, c'en est fait de
tout66(*). Et comme le
note si bien Michel Jouhaud : « Mis entre parenthèse
comme position initiale, le formalisme sera aussi rejeté par Blondel
comme position définitive, en vertu de ce que révèle la
phénoménologie de l'action »67(*).
1.3.3. L'apport conceptuel de Leibniz68(*)
La revisitation de la philosophie de Leibniz se perçoit
facilement chez Blondel à partir de l'intérêt qu'il
attachera à la correspondance de Leibniz avec le Père Des Bosses
dès 1879 alors qu'il était encore élève de
philosophie à Dijon69(*). Cet intérêt se développera dans
sa thèse complémentaire sur Le Vinculum leibnizien70(*) et conforté
par l'énigme de 193071(*). Il est remarquable de souligner que Leibniz a
joué un rôle déterminant pour notre auteur. Le rôle
de médiateur entre les philosophies d'Aristote et de Kant.
En fait, l'hypothèse du vinculum
apparaît chez Leibniz, en 1712, dans sa correspondance avec le
Père Des Bosses, pour répondre aux difficultés
soulevées par la question de la transsubstantiation72(*). De fait, on sait que dans le
système classique de Leibniz la réalité qui fonde les
apparences consiste tout entière dans la monade qui ne change pas. Il
faudrait alors trouver un lien substantiel qui constituerait l'unité
organique d'un être vivant, substance composée qui dépasse
la multiplicité des monades. Aussi, Leibniz pose-t-il l'hypothèse
du Vinculum :
« Si la substance corporelle est quelque chose en
dehors des monades, comme il est constant que la ligne est quelque chose en
dehors des points, il faudra dire qu'elle consiste en une union, ou
plutôt en quelque chose de réel qui unifie et que Dieu ajoute aux
monades ».73(*)
Comme on le voit, Leibniz pose le problème en terme
d'hypothèse. Elle consisterait donc en une sorte de lien réel
compris entre les monades et les phénomènes. À cette
étape, la substance composée serait naturellement
périssable, et comme telle, ne serait pas différente du corps
organique. Et pour y arriver à fonder hypothétiquement
l'existence des substances corporelles, Leibniz recourt à l'alternative
suivante :
« Ou les corps sont de simples
phénomènes et par conséquent l'étendue aussi ne
sera qu'un phénomène, et seules les monades seront réelles
; mais l'union sera remplacée dans les phénomènes par
l'opération de l'âme qui perçoit; ou bien si la
vraissemblance nous pousse à admettre des substances corporelles, cette
substance là consiste en cette réalité qui ajoute quelque
chose (pourtant substantiel) quoi qu'en flux à ce qui doit être
uni. »74(*)
Ce "quelque chose" sera nommé par Leibniz, le
Vinculum substantiale. Donc si le fondement des
phénomènes était dans les monades au départ, il
montre ici que la réalité des corps doit participer d'un lien
substantiel. Le but qu'il souhaiterait atteindre est de montrer que si le corps
est une substance, il faudrait alors un lien réel pour réaliser
les phénomènes.
C'est à partir de l'examen de cette mise au point que
Blondel va s'atteler à cette question. De l'aveu même de Blondel,
cette hypothèse pose déjà clairement le problème du
rapport entre l'idéalisme et le réalisme. Sans doute aussi
Blondel reconnait-il expressément que le Vinculum introduit par
Leibniz pour justifier la réalité des substances composées
n'a jamais eu chez lui qu'un statut d'hypothèse et qu'il ne s'y est
jamais rallié entièrement. Mais en dépit des
réserves de son propre auteur, on peut estimer que cette
hypothèse indique la voie de sortie aux labyrinthes du criticisme. Voici
en effet comment Blondel présente le résultat de son étude
sur le Vinculum :
« C'est un effort hypothétique, mais
sincère de Leibniz, pour définir la condition d'une doctrine
réaliste, en fonction de son idéalisme même. Ce Vinculum
n'est rien de l'ordre sensible, rien de l'ordre scientifique, il laisse intact
tout le monadisme, avec les relations idéales qui le constituent ; or,
tout cela restant sauf en son rang, on ne peut en outre concevoir un ordre
supérieur, où les composés ne symbolisent pas seulement
avec les simples, mais forment une réalité nouvelle par l'union,
le lien étant vraiment une nouvelle créature substantielle de la
volonté divine, non plus une simple vue de l'entendement, de nos purs
phoenomena Dei. »75(*)
On comprend donc que si la doctrine de Leibniz reste
marquée par l'existence de deux pentes, idéaliste et
réaliste, Blondel va définir un réalisme
intégral dont la portée est apte à mieux poser la
question du réel. Autrement c'est la question de l'unité de
l'agir, de la connaissance et de l'être qui est en jeu. Pour y arriver
donc il faut que l'action puisse trouver dans le monde autre chose que des
phénomènes utilisables à son gré. Elle devrait
rencontrer des réalités organisées qui lui permettent de
s'enrichir en les voulant. Et c'est justement ce qui a séduit Blondel
dans l'hypothèse du Vinculum proposé par Leibniz. Au
lieu de réduire les substances composées à des
agrégats dont l'unité n'est jamais que mentale, on admettrait que
ces substances ont une unité qui domine leur propre multiplicité.
Et donc c'est dans l'action que peut se déployer ce genre de lien. Mais
pas n'importe quelle action, il s'agit clairement et exclusivement de l'action
voulue en tant que manifestation de la volonté voulante. Du coup, il
faut réaliser la synthèse et la conciliation de l'action, de la
pensée en conflit avec elle-même, de l'être avec les
êtres.
C'est ainsi que dans le commentaire de 1930, Blondel
ébauchera un réalisme supérieur qui correspondrait
à la manifestation du Vinculum. Le problème qui est
posé est bien celui du rapport entre le point de vue de la connaissance
et le point de vue de l'être. Si la réalité est
morcelée en phénomènes et en choses en soi, son
unité reste improbable et impossible et l'être demeure
caché. Où trouver alors l'unité de toutes ces
dissociations ? c'est dans le vinculum. Il dépasse l'ordre
idéal et l'ordre des phénomènes, l'effort d'unité
transcende les corps et les monades en les unifiant. Blondel montre alors que
le problème du réel ne peut se résoudre dans l'ordre
phénoménal mais dans la réalité du vinculum.
La réalité du phénomène réside dans le
fait d'être à l'intersection ou, plus précisément,
d'être le noeud d'une attente intellectuelle et d'une
réception sensible76(*). C'est là qu'il faut fonder l'unité sur
le lien substantiel. Car il permet d'éviter et d'éliminer
l'opposition artificielle qui fragmente la réalité. Aussi peut-il
conclure en ces termes :
« Car enfin de quoi s'est-il agi pour Leibniz ? Il
s'est agi de savoir si ce qui, à nos sens et à notre entendement,
parait complexe et multiple, ne comporte pas, ne manifeste pas une unité
réelle, antérieure et supérieure à tout le reste du
donné, quoique, dans sa vive et riche indivisibilité, cette
unité soit inaccessible aux sens et à tout ce que l'intellect
abstractif et discursif bâtit sur les phénomènes comme
s'ils étaient l'être même. Leibniz parait bien avoir compris
que la véritable assise des choses est autre que ces échafaudages
du monde de la représentation, de l'industrie utilitaire et même
de la science la plus authentique. [...] Ce qui a donc pour lui tout remis en
question, c'est le besoin de rendre compte [...] des réalités
concrètes, des ensembles organiques, des êtres complexes à
tous les degrés. »77(*)
1.3.4. La critique du pessimisme de Schopenhauer
On estime assez généralement que la source de la
philosophie chez Schopenhauer est l'expérience et l'observation. Mais il
ne s'agit pas pour autant d'empirisme au sens où il peut être
entendu habituellement. Car ce que nous prenons pour réalité et
que nous appelons le monde n'est qu'une représentation subjective, une
illusion. La vérité requiert pour cela de lever, ce que
Schopenhauer appelle le "voile de Maya" (image empruntée à la
philosophie Hindoue). Donc pour lui, la vraie réalité est celle
de la volonté. Il circonscrit cette volonté ainsi :
« Le concept de volonté est le seul, parmi tous les concepts
possibles, qui n'ait pas son origine dans le phénomène, dans une
simple représentation intuitive, mais vienne du fond même, de la
conscience immédiate de l'individu, dans laquelle il se reconnait
lui-même dans son essence, immédiatement sans aucune forme ,
même celle du sujet et de l'objet, attendu qu'ici le connaissant et le
connu coïncident. »78(*)
Pour Schopehnauer donc, la volonté ne vient pas des
phénomènes. Elle est un effort sans fin qui n'a ni but, ni
limite. Elle est en quelque sort une substance fondamentale pour toute chose,
l'équivalent d'une chose en soi dont les phénomènes ne
sont que l'expression objectivée. Elle est donc absurde au sens
où elle est sans raison (raison entendue ici comme instrument de nos
représentations, de nos productions d'illusions) et
répétitive : sa seule fin est de reproduire
éternellement.
Comme on le voit, Schopenhauer transforme, comme pour ainsi
dire la perspective de la philosophie kantienne (à propos justement du
phénomène et du noumène) en une métaphysique
d'inspiration platonicienne et même bouddhiste. Pour lui,
évidemment, la chose en soi n'est autre que la volonté. Mais
cette volonté (par une fatalité analogue à celle de la
chute de l'âme dans la caverne) est tombée dans le monde des
phénomènes pour devenir volonté de vivre dans un corps. Ce
faisant, la volonté s'est rendue dépendante de tous les objets
nécessaire à la survie et à la reproduction des corps.
Elle est entrée dans la chaine des nécessités qui la voue
à une insatisfaction perpétuelle :
« Tout vouloir a pour principe un besoin, un manque,
donc une douleur [...] mais que la volonté vienne à manquer
d'objets, qu'une prompte satisfaction vienne à lui enlever tout motif de
désirer, et (c'est) l'ennui. La vie donc oscille, comme un pendule, de
droite à gauche, de la souffrance à l'ennui »79(*).
Dès lors, la vision donc de Schopenhauer semble
s'inscrire plus généralement dans une philosophie de la nature.
La volonté (qui nous apparaît d'abord sous la forme de son effet
immédiat, le corps phénoménal) nous amène à
poser, par analogie, une volonté particulière à la racine
de tous les objets du monde. Cette volonté comportant des degrés
différents suivant qu'elle se réalise dans le minéral, le
vivant ou l'homme. Finalement le monde pris dans sa
totalité,apparaît comme le résultat d'une volonté
unique dont toutes les volontés particulières ne sont que des
degrés différents et que tout conduit au néant.
Schopenhauer écrit d'ailleurs : « Nous autres, nous
allons hardiment jusqu'au bout ; pour ceux que la Volonté anime encore,
ce qui reste , après la suppression totale de la Volonté, c'est
notre monde monde réel, ce monde si réel avec tous ses soleils et
ses voies lactées, qui est néant. »80(*)
Or l'on sait que Blondel récuse ou mieux critique la
philosophie de la volonté telle qu' elle était
élaborée chez Schopenhauer. En effet, Schopenhauer, auquel
renvoie d'ailleurs explicitement l'Action, était connu de
Blondel par les cours de Edme Caro et Olle-Laprune à l'École
Normale (Cours dont son maître devrait tirer une réfutation,
Le prix de la vie, en 1894). C'est dans ce contexte que
s'éclaire la méfiance de certains de ses amis philosophes,
notamment Jules Lachelier, à l'égard de l'Action de
Blondel conçue comme volonté des phénomènes. Le
rôle de la volonté dans la philosophie de l'action suscitait
indignation, et à ce titre, Lachelier invitait Blondel à
« renoncer presqu'à la philosophie ». Dans sa
correspondance avec Laberthonnière, Blondel évoque et
éclaire l'origine de l'incompréhension qu'avait manifestée
Lachelier pour l'Action lorsqu'il écrit :
« Il [Lachelier] me disait qu'il avait grand-peine
à entrer dans mon point de vue, par ce que depuis Schopenhauer il
s'était accoutumé à considérer la volonté
comme le mauvais principe, et qu'une philosophie du vouloir et de l'agir lui
paraissait congénitalement condamnée à condamner la
pensée. »81(*)
Or, la philosophie de Blondel se veut intégrale; elle
est une synthèse de la pensée, de l'être et de l'agir.
Revenant à cette même objection, Blondel montre qu'il faut
dépasser le pessimisme de Schopenhauer et voir dans la volonté le
principe même de notre action.
« Lachelier m'objectait qu'il répugnait (sans
doute à tort) à ma thèse sur l'Action, parce qu'il avait
été habitué par Schopenhauer à voir dans la
volonté le mauvais principe ; je lui ai répondu que si
Schopenhauer a dénaturé la volonté, ce n'est pas une
raison pour ne pas y voir la bonté normale et essentielle qu'elle
est. »82(*)
Dans l'Itinéraire philosophique, Blondel
reviendra encore sur son entretien avec Lachelier et suggérer
qu'à la fin, celui-ci semblait être convaincu de la nature
philosophique de l'Action. Il reprend les paroles de Lachelier à propos
de sa thèse :
« Il m'est difficile de m'habituer à votre
point de vue : j'ai été trop accoutumé, par Kant
à me défier de la nature, et par Schopenhauer, à voir dans
la volonté le mauvais principe. Avec votre Action tout
communique. » 83(*)
Ainsi, comme l'a si bien montré Claude
Troisfontaines : « Schopenhauer prétend que le malheur de
l'homme vient de sa volonté de vivre dans le monde et qu'il doit en
conséquence aspirer au néant. Blondel remarque toutefois que sous
la négation de l'être, il y a nécessairement affirmation
dune volonté de l' être et d'une volonté du
phénomène qui s'annulent tour à tour. Refusant cette
disproportion dont l'origine remonte à Kant, l'auteur montre que la
volonté de vivre prépare la volonté à s'affirmer
intégralement. Là où le pessimisme voit une
défaillance, une déchéance inévitable, le
philosophe de l'action établit qu'il y a une promotion au moins possible
de celle-ci »84(*). En réalité, si Schopenhauer ne voit
qu'une déchéance dans le vouloir-vivre, c'est par ce qu'il
estime, à la suite de Kant, que la volonté n'est elle-même
que lorsqu'elle se ressaisit indépendamment de toute matière.
C'est ce caractère immédiat du vouloir qui condamne d'avance son
inscription dans le cours des choses. Pour Blondel, au contraire, ce n'est pas
une perte pour l'action d'assumer les déterminations offertes par le
corps, par le monde, par la société. Car, c'est paradoxalement en
s'extériorisant que le sujet est susceptible de se vouloir
lui-même.85(*)
Conclusion
Ce cursus n'avait pas la prétention de résumer
toutes les filiations philosophiques86(*) de Blondel. Mais en sélectionnant (de
façon délibérée), en limitant cette filiation
à ces auteurs, celle-ci répondait au voeu que nous
poursuivions :fonder les bases susceptibles de montrer les forces et les
limites de la problématique de la volonté dans la dialectique de
l'action. Et, il est clair que l'Action , pour Blondel, s'enracine
dans une force qui la précède . Cette force, Blondel
n'hésite pas à lui donner une dimension cosmique
c'est-à-dire comme monde des phénomènes, car il y a un
effort qui parcourt la nature et qui précède la volonté
humaine. Cet effort n'est pas cependant une force irrationnelle à la
manière de Schopenhauer. C'est au contraire comme l'avait bien
perçu Leibniz, une force qui tend vers l'esprit et quiapparaît en
l'homme comme volonté voulante. Cette volonté voulante, l'homme
doit la vouloir de manière voulue mais il ne peut pas le faire de
manière immédiate comme le prétend le formalisme kantien.
l'homme ne peut vouloir son action qu'en s'insérant dans le monde des
phénomènes. Et l'action, pour Blondel, est justement ce qui
opère ce passage incessant du voulant au voulu par la médiation
de la volonté. Mais existe-t-il une possibilité de dégager
une loi manifeste de l'agir humain à partir de cette inadéquation
fondamentale87(*) entre
volonté voulante et volonté voulue ? . D'où la tâche
qui incombera au second chapitre. Celle justement qui va consister à
éclairer ce passage et les moments articulatoires de la volonté
dans l'Action de 1893.
CHAPITRE DEUXIÈME
PROBLÉMATIQUE ET ARTICULATION DE LA
VOLONTÉ DANS L'ACTION DE 1893
Introduction
Les analyses précédentes ont montré
comment la pensée de Maurice Blondel s'est constituée en dialogue
avec Aristote, Leibniz, Kant et Schopenhauer (pour ne citer que
ceux-là). Ce dialogue avait pour but, en un certain sens, de montrer non
seulement ce qui le rapprochait d'eux, par le thème abordé, mais
beaucoup plus ce qui constitue à la fois leur dépassement et son
originalité. Il est clair que la thèse centrale qui traverse
l'Action est révélatrice du fait que l'action n'est pas
une particularité de l'être (encore moins une force simple ni un
élan singulier), mais une totalité88(*) : elle constitue la
synthèse du vouloir du connaître, du pouvoir et de l'être.
Elle est le point où convergent le monde de la pensée, le monde
psychique et moral et l'univers de la science. Or, comme l'a si bien
montré Victor Delbos, « ce n'est pas, par suite, ni de la
nécessité ontologique de l'Absolu, ni de la
nécessité pratique du Devoir qui peut servir de fondement
à la pensée ; il faut un fait, un fait qui soit à la fois
premier et dernier, qui contienne en lui seul ou qui soit capable de
requérir par lui seul tout ce qui lui est indispensable pour être
pleinement »89(*). Et ce fait, c'est la volonté, la
volonté d'être. Montrer que cette volonté d'être est
présente à la conception même du néant, voilà
ce que entreprend Blondel lorsqu'il écrit d'ailleurs :
« On a beau aiguillonner la pensée et le
désir : du vouloir être, du vouloir n'être
pas, du vouloir ne pas vouloir, il subsiste toujours ce terme
commun, vouloir, qui domine de son inévitable présence
toutes les formes de l'existence ou de l'anéantissement, et dispose
souverainement de contraires. »90(*)
Outre donc qu'il est inévitablement et volontairement
posé, le problème de l'action réclame une solution
positive. Mais qu'est ce que ce vouloir ? qu'est-ce qui fonde cette
contradiction apparente à l'intérieur de la volonté
même ? et comment expliquer que la recherche du néant s'explique
par une solution positive ?
Il nous faudra partir de l'énonciation du plan
même de l'Action de 1893 d'abord, de dégager les fondements
historiques ou philosophiques de la volonté chez Blondel ensuite, de
proposer une approche définitionnelle pour mieux la circonscrire et
enfin d'examiner les «étapes successives qu'accomplit la
volonté pour se réaliser, sans pouvoir se
satisfaire »91(*).
2.1. Plan de l'Action (1893)
L'ouvrage de Maurice Blondel, l'Action , est
divisé en cinq parties (dont la troisième partie au centre,
« le phénomène de l'action », comporte
elle-même « cinq étapes »),
précédées d'une introduction elle-même en cinq
étapes. On peut supposer là un projet clairement établi et
défini qui répond à une certaine
herméneutique92(*).
En effet, à partir de la question existentielle qu'aucun homme ne peut
éluder et qu'il se pose inévitablement : « oui ou
non, la vie humaine a-t-elle un sens et l'homme a-t-il une
destinée93(*)
? », Blondel expose, tour à tour, l'apparente
nécessité du problème moral, la solution pratique au
problème moral, le problème scientifique de la pratique, la
méthode de la science de l'action et enfin la philosophie de l'action.
Tout un projet. Car parcourant toute la série des démarches par
lesquelles l'homme tente d'échapper aux sujétions
nécessaires, Blondel va manifester une inadéquation entre ce
qu'on croit vouloir et ce qu'on veut profondément, entre l'objet voulu
et le mouvement spontané du vouloir, ou selon la terminologie qu'il a
consacrée, entre la volonté voulue et la volonté
voulante94(*).
Ainsi, après deux premières parties de deux
chapitres chacune, et où il est établi contre l'esthétisme
et le dilettantisme que l'action constitue un vrai problème et, contre
le pessimisme, que ce problème admet une solution positive, on passe au
coeur de l'exposé dans les trois autres parties. Celles-ci analysent, en
profondeur le dynamisme, mieux la phénoménologie de l'action et
aboutissent aux conclusions suivantes :
a) Insuffisance de l'ordre naturel, entendu comme l'ordre dans
lequel se déploie l'action humaine ;
b) Nécessité d'un ordre surnaturel, entendu
comme de l'ordre de l'Absolu, du divin, du transcendant, qui seul peut donner
à l'action humaine son accomplissement ;
c) Impraticabilité d'une voie d'accès au
surnaturel, pourtant nécessaire, et Blondel invite à tenter la
voie de la foi chrétienne, qui connait un ordre surnaturellement
défini et historiquement offert comme don.
C'est dans ces conditions que l'objet de l'analyse
philosophique de l'action humaine va consister à dévoiler et
à élucider la disproportion intrinsèque entre la fin du
vouloir (la volonté voulante) et ses réalisations effectives
(volonté voulue).
Plus concrètement donc : « l'auteur
[Blondel] montre d'abord qu'on ne peut supprimer le problème
moral, qu'on le pose et qu'on le résout d'une certaine
manière au moment où l'on feint de s'y dérober. Il se
dégage ensuite des prétendues solutions négatives qui font
du néant le terme apparent de l'expérience, de la science et des
aspirations humaines, les affirmations positives qui y sont impliquées.
Amené dès lors à définir peu à peu toutes
les conditions que requiert notre action pour se développer, en
constituant l'ordre scientifique, moral, social et religieux, l'auteur fait
voir comment toutes nos oeuvres composent le drame profond de la vie et le
mènent forcément au dénouement. Ainsi, tout le
développement de la pensée et de la pratique est suspendu
à une alternative, question de vie ou de mort, de salut ou de
perte, que la volonté humaine n'évite point de trancher, parce
qu'au fond elle consent à la nécessité de la poser.
Comment donc la résoudre ? Là est le point délicat, parce
que la science de la pratique ne peut suppléer à la pratique
même, et parce que l'homme ne réussit point, par ses seules
forces, à atteindre comme une fin par ses actions voulues tout ce qui
est au principe de son action volontaire. Mais sans cesser de réserver
à la pratique même ce qu'elle apporte d'incommunicable
enseignement, sans empiéter sur le domaine de la religion positive, il
est possible de déterminer les conditions auxquelles est
subordonné l'achèvement complet de notre action ; car à
notre vie préside une dialectique telle que, du principe
secrètement posé de nos actes volontaires découlent des
conséquences inévitables ; comme la courbe commencée
détermine le segment qui complète la circonférence, ainsi
sont définies les conditions de l'action religieuse, et sans que l'homme
y ait accès par sa pensée ou par son effort propre, l'ordre
surnaturel est postulé par l'ordre naturel [...]. l'étude de
l'action permet ainsi de retrouver le noeud commun de la science, de la morale
et de la métaphysique ; elle étend la compétence de la
philosophie jusqu'à l'examen de la notion de surnaturel, et
jusqu'à la détermination des conditions de la vie
religieuse. »95(*)
Cette approche, nous le savons suscita des controverses. Mais,
il nous revient ici de clarifier le contenu sémantique de la notion ou
du concept de volonté qui est au coeur même de notre entreprise.
Qu'est-ce donc cette disproportion entre volonté voulante et
volonté voulue ? En quoi, leur dialectique peut elle nous être
utile pour la saisie, d'une part de l'inachevabilité de l'action humaine
et d'autre part de la découverte de l'Unique nécessaire?
D'où Blondel fonde-t-il son discours sur la volonté et les
implications qui lui sont liées ? C'est à partir de cette
dernière question que nous engagerons notre dialogue en revisitant, de
façon suggestive les filiations philosophiques de Blondel en ce qui
concerne, exclusivement, la notion de volonté. Or, il se trouve qu'il y
a une influence pertinente de Maine de Biran dans la constitution du
binôme volonté voulue/volonté voulante d'une part, et
d'autre part une critique de front à l'égard du pessimisme de
Schopenhauer (qui est d'ailleurs nommément cité dans
l'Action).
2.2. Dialogue avec les philosophes sur la
volonté
Nul doute qu'au temps où Blondel rédigeait sa
thèse, le climat philosophique était déterministe. La
science positive apparaissait comme le modèle de toute connaissance, et
elle postulait un déterminisme universel. De la sorte, deux traits
semblent caractériser, au mieux, la position de Blondel. D'abord par sa
formation et à partir de ses années d'études à
Dijon. A travers l'enseignement des ses professeurs, A. Bertrand et H. Joly, il
se rattache à une tradition philosophique française que l'on peut
dire spiritualiste. En fait, à des degrés divers, il a suivi
Maine de Biran, Ravaisson, Lachelier, Boutroux, Ollé-Laprune. Ensuite,
sa critique du pessimisme, du dilettantisme, du nihilisme le place
frontalement devant Schopenhauer, dont l'héritage kantien est fortement
exprimé. C'est donc ce cursus qui nous orientera et servira de piste
à notre examen de la question de la volonté et de la
méthode de Blondel dans L'Action.
2.2.1. L'héritage biranien
Il est clair que la recherche sur les racines philosophiques
de la pensée blondélienne conduit d'abord vers les classiques du
XVIIè siècle notamment Descartes, Pascal et Malebranche et
à bien d'autres. Cependant, il est important de s'arrêter sur
Maine de Biran (1766-1824). Blondel l'a rencontré, très
tôt, par l'intermédiaire d'Alexis Bertrand96(*), son professeur de
lycée à Dijon, en 1878-1879, qui devint ensuite professeur
à l'Université et éditeur de certains textes de Maine de
Biran. Le jeune Blondel a été profondément marqué
par l'exemple du Journal de Maine de Biran (qui l'a inspiré
dans sa préparation de la thèse, au point où il
élaborera ses notes publiées plus tard dans ses Carnets
Intimes). Il sera influencé par le cogito biranien (je
veux donc j'existe) qui est repris et développé par
l'Action, et qui analyse les implications de «je
veux » : ses négations et ses objets, afin de montrer le
caractère intrinsèquement inachevable de sa structure dialectique
(volonté voulante/volonté voulue) et ses relations avec la
connaissance et l'être. Les analyses biraniennes de l'effort fournissent
également à Blondel un point de départ dans
l'élaboration de sa propre philosophie de l'esprit et du corps dans la
troisième partie de l'Action. Pour Maine de Biran, l'effort
corporel est le fait primitif de conscience par lequel le sujet
s'apparaît à lui-même. Blondel s'efforce de remonter en
deçà, rappelant les passivités inconscientes qui
préparent la vie consciente, et soulignant ainsi l'enracinement de la
vie de l'esprit dans celle du corps et l'unité des deux. D'ailleurs, A.
Bertrand (qui a initié Blondel à la métaphysique
biranienne) résumait son cours du 9 novembre 1879 en précisant ce
qui distingue radicalement le cogito cartésien du cogito
biranien. Il écrivait (ou mieux disait) : « Si
j'avais à résumer toute la théorie de Descartes sur
l'âme, je dirais : "Je pense, donc je suis" ; pour résumer
celle de Condillac, je dirais : "Je sens, donc je suis". La parole de
Maine de Biran est plus profonde : "Je veux, donc je suis" : s'il est
vrai qu'un être humain se définit par l'acte qui lui est propre,
la volonté libre est le vrai caractère qui nous distingue des
autres êtres ». Et Hainnaux d'ajouter : «Bertrand se
rappelait sans doute de Ravaisson qui avait écrit à propos de
Biran : "Descartes avait dit : je pense, donc je suis, on peut dire,
mieux encore : je veux donc j'existe... »97(*).
Enfin, il semble bien établi que, avant Leibniz et
Ravaisson, Maine de Biran a joué un rôle déterminant pour
orienter Blondel dans sa recherche d'un réalisme spirituel, après
les tournants opérés par Descartes et surtout par Kant.
D'ailleurs, Blondel rapporte ce mot que lui adressa un jour Jules
Lachelier : « Maine de Biran peut nous dispenser de passer par
Kant pour le libre développement de la pensée
philosophique »98(*). Mais, en tant que reprise du cogito du point de vue
de la volonté personnelle, la philosophie biranienne peut-elle rendre
possible un dépassement (ou un contournement ?) de la critique
kantienne99(*) de la
métaphysique et ouvrir un nouvel accès à l'être, par
une philosophie réflexive concrète de l'esprit ? Blondel pose au
moins la question. Ainsi dans l'Action comme dans la
Pensée, les recherches de Blondel sur l'intentionnalité de
la conscience pensante prennent racine dans les réflexions de Maine de
Biran, « à qui souligne-t-il nous devons toujours revenir pour
comprendre le rapport des signes avec le développement de la vie
réfléchie et libératrice »100(*).
Comme on peut le constater, le cogito volitif
biranien a constitué pour Blondel, un élément important
dont la réappropriation lui permettra de poser les bases du binôme
volonté voulante et volonté voulue. Cependant, étant
entendu que cette influence semble, à tout le moins implicite, sinon
indirecte dans l'Action de 1893, il nous faudra opérer un
nécessaire détour par Schopenhauer (qui est d'ailleurs
nommément cité dans l'Action) pour voir comment s'articule
l'examen de la volonté.
2.2.2. Du pessimisme de Schopenhauer à l'Action
Dans son article intitulé « La critique de
Schopenhauer dans l'Action », Claude Troisfontaines en
arrive à une évidence selon laquelle tout l'effort de Blondel
consiste à inverser complètement la perspective du pessimisme. Au
lieu d'inviter la volonté à se nier elle-même pour aspirer
au néant, il lui demande de se vouloir elle-même en cherchant plus
que tout ce qui lui est donné actuellement. Ainsi à la
démarche régressive du philosophe allemand qui tente de revenir
à une impersonnalité originaire, le philosophe français
oppose fermement une démarche progressive qui s'oriente vers une
personnalisation de plus en plus grande. »101(*) C'est que justement dans les
deux premières parties de l'Action, composées de quatre
chapitres, Blondel fustige en quelque sorte un certain nombre d'approches
philosophiques ou scientifiques qui ont semblé, soit évacuer le
problème de l'action, soit poser l'inexistence d'une solution à
ce problème. À cette tendance du pessimisme qui pose le
néant comme solution au problème de l'action, Blondel oppose une
solution positive. Et , ici, il s'en prend ouvertement à
Schopenhauer :
« Du jour où la critique a morcelé
l'unité profonde de l'action, le pessimisme qui n'avait encore
été qu'une disposition d'âme chez quelques uns, a
revêtu la forme d'un système, et a pu chanter l'hymne
métaphysique du néant [...] Et comme la notion du néant
est toujours relative, se rapportant à un sujet déterminé
qu'il s'agit de nier (c'est l'aveu même de Schopenhauer) ; comme le monde
actuel n'exclut pas la possibilité d'une autre existence, et comme il
reste beaucoup de marge pour ce que nous désignons que
négativement par la négation même du "vouloir-vivre", le
pessimisme entièrement conséquent est donc un optimisme
radical. »102(*)
Et les deux ouvrages fondateurs de cette théorie du
volontarisme, du déterminisme phénoménal et de la
liberté nouménale, à partir desquels Blondel fonde sa
critique, ne sont autres que Le Monde comme volonté et
représentation, Essai sur le libre-arbitre.103(*)
C'est pourquoi, pour mieux situer les articulations à
partir desquelles Blondel fonde sa critique, il nous faut revisiter avant tout
l'approche même de Schopenhauer sur cette problématique de la
volonté.
De fait, il n'est pas sans intérêt de rappeler
que Schopenhauer a subi une influence considérable de Kant, mais aussi
de Platon et de la philosophie hindoue104(*). Mais c'est sur Kant (qu'il considère ,
à point nommé, comme ce" grand homme") que se
focaliseront surtout les bases de sa philosophie. « Le plus grand
mérite de Kant, déclare-t-il, c'est d'avoir distingué le
phénomène de la chose en soi »105(*). En réalité,
la critique a bien montré de manière définitive que le
monde tel qu'il nous apparaît, tel qu'il se donne à nous dans la
représentation, est le résultat de trois intuitions a
priori, à savoir le temps, l'espace et la
causalité106(*).
Il nous est donc impossible de considérer les objets qui
s'étalent devant nous autrement que comme des phénomènes
conditionnés par notre mode de connaissance. Mais peut-on dire que toute
connaissance de la chose en soi est impossible ? Assurément non. Pour
Schopenhauer, en fait, il y a toujours une chose en soi qui nous est
accessible. Et cette chose en soi est, à n'en point douter, la
Volonté. Or, il est probable que Kant avait pressenti cette
vérité dès lors qu'il soulignait que la valeur morale de
l'action était totalement indépendante des lois des
phénomènes. Mais sa présentation était tellement
obscure et confuse qu'il revenait à son disciple de reconnaître
clairement dans la volonté la chose en soi elle-même.
Ainsi donc pour Schopenhauer, nous reconnaissons donc la
volonté de deux façons : a priori comme chose en
soi et a posteriori comme phénomène. Comme
chose-en-soi, la volonté est le principe de toute connaissance d'objet
et par là, elle échappe aux déterminations de
l'objet : elle est liberté pure qui se déploie en dehors de
l'espace et du temps. Mais la volonté nous apparaît aussi sous la
forme de son effet immédiat, à savoir de notre corps
phénoménal. Schopenhauer réfléchit donc sur la
chose en soi (et ici il réalise un dépassement de Kant) et
découvre qu'elle n'est pas si inconnaissable. Il pose, en fait une
volonté particulière à la racine de tous les objets du
monde. Cette volonté107(*) comportant des degrés différents
suivant qu'elle se réalise« dans la matière inorganique
d'abord soumise à la seule causalité et où
l'individualité disparait sous l'uniformité des lois
générales ; puis dans les plantes par les réactions aux
excitations du dehors, dans l'animal enfin dont les mouvements sont
réglés par des lois spécifiques et communes et enfin dans
l'individu qui ne se trahit que par quelques modifications dues à des
circonstances accidentelles. »108(*) Dès lors, quelles peuvent être les
conséquences d'une telle vision du monde ?
Il est clair que si chaque volonté particulière
tend à se réaliser sous la forme d'un objet empirique
déterminé, elle se perd dans le déterminisme implacable
qui régit les phénomènes. Ceci s'exprime dans ces mots de
Schopenhauer :
« Déjà en considérant la nature
brute, nous avons reconnu pour son essence intime l'effort, un effort continu,
sans but, sans repos ; mais chez la bête et chez l'homme, la même
vérité éclate bien évidemment. Vouloir, s'efforcer,
voilà tout leur être : c'est comme une soif inextinguible. Or
tout vouloir a pour principe un besoin, un manque, donc une douleur :
c'est par nature, nécessairement, qu'ils doivent devenir la proie de la
douleur. Mais que la volonté vienne à manquer d'objet , qu'une
prompte satisfaction vienne à lui enlever tout motif de désirer,
et les voilà tombés dans le vide épouvantable, dans
l'ennui : leur nature, leur existence leur pèse d'un poids
intolérable. La vie donc oscille, comme un pendule, de droite à
gauche, de la souffrances à l'ennui : ce sont là les deux
éléments dont elle est faite, en somme »109(*).
Néanmoins, au delà de ce tableau, c'est dans
l'homme que Schopenhauer trouve que va s'achever cette représentation et
que la volonté en soi trouve le terme des ses manifestations.
Doué, en effet, de connaissance abstraite et réfléchie, de
raison discursive et, par là, capable de délibération,
l'homme est, à chaque instant, susceptible de décisions multiples
qui se traduisent en action. Or l'action réfléchie est
«l'unique traduction de la maxime de sa conduite, le résultat de
son vouloir le plus intime » : son vouloir-vivre. À
contrario, la volonté qui s'affirme est donc engagée dans la
poursuite sans fin d'objets qui ne pourront jamais combler ses aspirations.
Quelle possibilité s'offre à elle ? C'est celle de la
négation du vouloir-vivre. En fait, la négation du vouloir-vivre
conduit plutôt à une attitude ascétique110(*) qui éteint
progressivement la volonté elle-même soit par la voie de la
connaissance, en se persuadant de la vanité des choses, soit par la voie
de l'expérience, en assumant la douleur même :
« Suivant ce que nous venons de dire, la négation, la
négation du vouloir-vivre, qui n'est pas autre chose que la
résignation ou la sainteté absolue, résulte toujours de ce
qui calme le vouloir, à savoir la notion du conflit de la volonté
avec elle-même et de sa vanité radicale (vanité qui
s'exprime dans les souffrances de tous les hommes). La différence dans
la négation du vouloir, que nous avons représentée par les
deux chemins de la délivrance, consiste en ce que cette notion est
produite ou bien par la connaissance pure de la douleur, librement
appropriée, grâce à l'intuition du principium
individuationis, ou bien immédiatement, par la souffrance
directement subie. Sans la négation complète du vouloir, il n'y a
pas de vrai salut, de délivrance effective de la vie et de la
douleur »111(*). C'est donc cette résignation que
Schopenhauer définit comme l'acceptation du néant :
« Pour ceux que la Volonté anime encore, ce qui reste
après la suppression totale de la volonté, c'est effectivement le
néant. Mais à l'inverse, pour ceux qui ont converti et aboli la
Volonté, c'est notre monde actuel, ce monde si réel avec ses
soleils et toutes ses voies lactées, qui est le
néant. »112(*)
Ainsi, on aboutit à cette
révélation : « la connaissance de l'essence des
choses en soi est au contraire, pour sa volonté, un calmant. La
volonté alors se détache de la vie : elle a horreur de ces
jouissances, en qui elle voit une affirmation de la vie. L'homme atteint alors
l'état d'abnégation volontaire , de résignation, de
véritable abandon, et de totale libération du vouloir, (il ne
reste plus que la connaissance, la volonté est abolie", et avec elle
"supprimée également la totalité.) il n y a plus de
volonté, plus de représentation, plus d'univers. Il reste plus
désormais devant nous que le néant. »113(*)
En définitive, on peut souligner avec C.
Troisfontaines114(*), au
moins trois moments importants qui caractérisent la critique du
pessimisme dans l'Action. D'abord en examinant la version nihiliste du
pessimiste, c'est-à-dire son incohérence même ; ensuite
celui lié au scientisme de l'époque (XIX-XXe s.) ; enfin une
troisième forme de pessimisme, plus radicale, est la critique
métaphysique. Blondel n'a-t-il pas résumé ce parcours
ainsi : « Qu'est-ce donc que croire et aspirer au néant
de tout objet de pensée ou de désir ? C'est, par un aveu et un
acte de foi spontané qui dépasse la science, par une
décision originale qui manifeste l'initiative de la volonté,
avouer au Grand Tout, dont aiment à parler ceux-là surtout qui se
promettent l'anéantissement [...]. Le matérialisme dogmatique ou
pratiquant est donc un mysticisme qui, dans la matière adore l'invisible
réalité de ce qu'il voit et rend un culte à l'être
sous l'espèce du phénomène »115(*).
Mais, dès lors, comment reconnaître et admettre
que nos actes sont fatalement conduits au néant ? En outre, comment ce
néant (s'il existe) nous apparaît-il et que veut-il ce ? Ce sont
là les questions que Blondel voudra bien élucider dès le
début de l'Action pour mieux situer son sujet relatif à
la volonté.
2.3. Problématique de la volonté dans
l'Action
2.3.1. État de la question
« Oui ou non la vie humaine a-t-elle un sens et
l'homme a-t-il une destinée ? J'agis, mais sans même savoir ce
qu'est l'action, sans avoir souhaité de vivre, sans connaître au
juste ni qui je suis, ni même si je suis... ». Cette
problématique, mieux cette interrogation existentielle qui ouvre
l'Action de 1893, constitue pour Blondel tout un programme, tout un projet
dont l'enjeu consistera à chercher l'articulation foncière entre
l'existence humaine et sa destinée. Car, à l'époque
où Blondel écrivait l'Action, positivisme,
phénoménisme, criticisme imposaient à la majorité
des esprits le refus de toute métaphysique, ou du moins une profonde
défiance à son égard. C'est de cette attitude qu'il lui
fallait partir. Son procédé consistera, note à ce propos
H. Bouillard, à « descendre sur le terrain de l'interlocuteur,
adopter son langage, accepter provisoirement sa problématique, en vue de
montrer l'incohérence du système et la nécessité de
s'élever à une vue supérieure. Ce souci du contact avec
les doctrines alors vivantes explique l'usage fréquent [...] des termes
tels que science (pour désigner la philosophie), déterminisme
(pour nommer les implications nécessaires), phénomène
(pour désigner le donné, l'objet de connaissance comme
tel) »116(*).
C'est dans cette perspective que se découvre ou se révèle
cette conjonction entre la logique de la vie et l'action. Mais, il est clair
qu'en tant qu'être agissant, c'est la volonté qui semble orienter
les choses; aussi vrai qu'elle permet à l'homme de discriminer, de
procéder à des choix, de vouloir, de désirer ou d'aspirer
à quelque chose. D'où le premier moment sera , pour Blondel,
celui de l'élucidation du contexte, de l'espace dans lequel peut sinon
doit se déployer l'action. Or, plusieurs théories, notamment
celle de Schopenhauer ont professé le néant d'une volonté,
l'échec des actions humaines. Bien plus, le fait que certains
évènements dépassent le propre du champ de la
volonté, on en est venu à ne penser qu'à une solution
négative. Blondel partira donc de cette apparente négation pour
montrer que c'est là justement qu'il faudra découvrir la
fécondité même d'un déploiement de la
volonté. Car, on ne peut se dispenser d'être et d'agir. Cependant,
«L'homme ne peut égaler ses propres exigences. Il ne réussit
point, par ses propres forces, à mettre dans son action voulue tout ce
qui est au principe de son activité volontaire »117(*). Car la volonté qui
préside à chaque action ne parvient jamais à assouvir le
besoin, à se clore au plan des réalités visibles et
sensibles. La volonté est toujours portée et marquée par
une sorte de finitude, une insatiabilité, et même une
instabilité. Ainsi, les termes dans lesquels se pose le problème
de l'action manifestent vraisemblablement qu'il s'agit là d'un
problème nécessaire et que c'est dans le déterminisme
progressif de l'action qu'il s'agira de le situer et de le résoudre. En
conséquence la dialectique de la volonté va montrer que c'est
dans les termes de l'option que s'exprime la possibilité de
l'achèvement du problème de la destinée. Cette
démarche a pour ambition de voir où aboutit la volonté en
se plaçant justement à l'intérieur de la trame des actions
sans autre présupposé. Or dans l'Action, cette
dialectique de la volonté semble se déployer en trois moments. En
effet, par un raisonnement dialectique subtile, Blondel propose une
nomenclature triptyque qui consiste à montrer d'emblée que le
discours sur le néant aboutit à l'affirmation de l'exigence
même de la volonté (contre le dilettantisme118(*),
l'esthétisme119(*), le pessimisme, le positivisme, le criticisme, la
métaphysique) ; ensuite que la volonté, malgré, les
obstacles liés à sa dualité interne ne peut ne pas se
répandre dans les relations humaines (famille, patrie, humanité)
; mais qu'insatisfaite, chaque fois, elle se tourne ou s'ouvre
résolument, à un tout Autre, une autre volonté qui
possède en elle-même la satisfaction et l'achèvement des
finitudes humaines (l'unum necessarium). Nous suivrons, en cela
même, le plan mieux la méthode de l'auteur.
2.3.2. La volonté comme négation du
néant et ouverture à l'être
2.3.2.1. Le problème du
néant
L'analyse de la volonté qui est très manifeste
dans l'Action de 1893 a pour point de départ cette articulation
que Blondel tente d'établir entre la logique de l'action et la
complexité du vouloir. Ce qui va mettre en mouvement et déployer
la dialectique de l'action en articulant l'agir et le connaître, c'est
l'expansion de la volonté et le jeu de sa dualité
interne120(*). Ce jeu de
la dualité qui est manifeste entre le vouloir et le voulu, entre la
volonté voulante et la volonté voulue. Mais plus
précisément, cette dialectique qui caractérise cette
volonté qui pour ne pas vouloir finit par vouloir le néant. La
tentative d'annuler la volonté et l'impossibilité principielle
d'y parvenir. J-L Marion121(*) peut alors s'interroger sur l'origine même de
cette problématique : « Qui a fourni à Blondel
cette question initiale ? . Sans aucun doute Schopenhauer, qui vise la
suppression de la volonté : «Nous autres, nous allons
hardiment jusqu'à au bout ; pour ceux que la Volonté anime
encore, ce qui reste après la suppression totale de la Volonté,
c'est notre monde si réel avec ses soleils et ses voies lactées,
qui est néant »122(*) .
En effet, dès les deux premiers chapitres, Blondel
présente et critique certaines attitudes tendant à nier le
problème de l'action. Il s'agit bien entendu de l'esthétisme, du
dilettantisme et du pessimisme. Leur dénominateur commun demeurant
justement qu'ils sont marqués par cette tendance forte à nier le
problème de l'action ou à le réduire à ce qui est
"subjectif", au sens d'arbitraire. Le problème ainsi conçu se
ramènerait donc à l'illusoire et au relatif.
Or, l'expérience commune nous révèle des
situations existentielles complexes où, une fois accablé par la
souffrance, l'homme cède au désespoir et va même
jusqu'à désirer la mort. Il s'agit dans ce cas d'une attitude de
la suppression de la volonté d'être qui se traduit par le choix du
néant. Et Blondel associe cette forme de pessimisme à
l'insuffisance de la science qui n'arrête pas de chercher jusqu'à
l'infini ce que l'expérience ne peut donner : «néant de
la vie et des actes humains, c'était la conclusion des sens clairvoyants
et de l'expérience ; et c'est aussi celle de la
science »123(*). Dès lors, le pessimisme conclut au
néant de l'action humaine. Il présente le néant comme une
voie vers le bonheur, à condition de cesser de vivre. Ici encore, on se
retrouve devant un paradoxe : il y a d'un coté la volonté
d'être, de l'autre on tend vers l'anéantissement de l'être.
Par ailleurs, pour le dilettante124(*), « il n y a donc
de vérité que dans la contradiction, et les opinions ne sont
sures que si l'on en change ; non qu'on se fasse de la contradiction même
et de l'indifférence une nouvelle idole »125(*). Dans le même ordre
d'idées, le refus se trouve manifeste chez l'esthète dans le fait
de postuler qu'il n'y a ni réalité ni vérité.
L'esthète126(*)
refuse ainsi tout ce qui est déterminé, et ce refus
équivaut au refus de la vérité. Ainsi,
l'esthétisme, par son caractère qui frise le
« panthéisme subjectif », constitue une doctrine
subtile qu'il faut cataloguer. L'impossible destruction du problème de
l'action traduit donc une double volonté chez l'esthète : la
volonté d'affirmer et la volonté de nier. Cependant, dans cette
double contradiction, Blondel estime que le problème demeure. Il y a
nécessité d'être et d'agir. Voilà pourquoi, dans la
troisième section du second chapitre, il énonce un
néologisme pour critiquer la posture de l'esthète et du
dilettante : la nolonté127(*).
Quant au pessimisme128(*), proprement dit, Blondel l'expose dans la
deuxième partie de L'Action (« La solution au
problème de la vie est-elle négative ? ») dans sa
version nihiliste. Il s'agit dans ce cas d'une attitude de la suppression de la
volonté d'être qui se traduit par le choix du néant :
« Et ce qui, au regard du pessimisme, semble confirmer cette
conclusion, c'est que le mal et la souffrance naissent justement de ce qu'on
s'insurge contre le bienheureux anéantissement, en sorte que le
néant a pour lui le témoignage même de ceux qui en ont
l'honneur, et qu'il est senti, connu, avoué par ceux-là qui ne
savent pas encore le vouloir »129(*).
Ainsi, Blondel associe cette forme de pessimisme à
l'insuffisance de la science qui n'arrête pas de chercher jusqu'à
l'infini ce que l'expérience ne peut pas donner. «Néant de
la vie et des actes humains, c'était la conclusion des sens clairvoyants
et de l'expérience ; et c'est aussi celle de
science. »130(*)Le pessimisme conclut au néant de l'action
humaine. Il présente le néant comme une voie vers le bonheur,
à condition de cesser de vivre. Encore une fois on est devant un
paradoxe : il y a d'un côté la volonté d'être,
de l'autre on tend vers l'anéantissement de l'être. l'erreur donc
du pessimisme consiste à dissocier l'unité de l'action qui est le
point focal même de la dialectique de la vie et de la volonté. Car
pour Schopenhauer, l être étant illusion il faut le supprimer, ou
plus exactement, puisqu'il n'est pas, il faut supprimer la volonté
chimérique d'être. Car , ainsi s'acquiert la seule
béatitude possible en renonçant à vouloir l'être qui
n'est pas et en consentant au néant qui est. Pour pallier ces
antinomies, Blondel propose la voie positive et pose l'action comme
principe :
« L'action est cette synthèse du vouloir , du
connaître et de l'être, ce lien du composé humain qu'on ne
peut scinder sans détruire tout ce qu'on a désuni ; elle est le
point précis où convergent le monde de la pensée, le monde
moral, et le monde de la science; et s'ils ne s'y unissent pas , c'en est fait
de tout »131(*)
P. Archambault peut donc renchérir lorsqu'il
récapitule en ce sens : « oui, l'action a un sens. Ni le
dilettantisme ne parvient à la décharger de ses
responsabilités mystérieuses, ni le pessimisme à y
insérer une idée claire et une volonté sincère du
néant. Oui, sous nos éphémères volontés
voulues, il y a une permanente volonté voulante, volonté de
l'être, de l'Être absolu, éternel,
infini. »132(*)
De ce point de vue, pour supprimer le problème de
l'action, il faudrait parvenir à ne rien vouloir, réussir une
coïncidence pleine avec l'élan spontané de la vie que ne
troublerait aucune réflexion, sans retour ni repli de la conscience. Si
la voie du néant est contradiction, il reste à envisager la
solution positive, celle de l'affirmation. Pour ce faire, il faut bien que
l'action soit en accord avec elle-même, qu'elle soit en parfaite
cohésion. Cette solution peut être envisagée soit par la
voie du phénomène soit par celle de l'être pour arriver
à l'unité de la volonté sans la sacrifier. C'est là
ce qu'il nomme une analyse de la volonté ou plutôt de la
nolonté de l'esthète. Car l'attitude de l'esthète
recèle une duplicité qu'il importe de manifester. Ainsi, à
défaut de ne pouvoir rien vouloir il lui reste de ne pas vouloir
vouloir, nolo velle, qui se traduit immédiatement par
« je veux ne pas vouloir », volo nolle133(*), ce que Blondel nomme
la nolonté. Donc, à moins de faire violence aux lois de
la conscience, non pas morale, mais psychologique, à moins de dissimuler
sous une subtilité toute verbale la vérité des choses, le
seul sentiment d'une absence de volonté implique l'idée d'une
volonté qui ne veut pas et qui abdique, ajoute-t-il134(*). Ainsi, il n'y a pas
d'accord possible chez l'esthète entre ce qu'il veut affirmer et ce
qu'il veut nier. Il subsiste inévitablement une contradiction entre un
vouloir artificiel du néant et un vouloir spontané. Le
néant chez Blondel, bien loin d'être ce vide, cette
négation du vivant, devient, paradoxalement lieu d'émergence
d'une vie, d'une existence, et donc lieu d'affirmation et d'expression d'une
volonté, d'un choix qui implique cette dialectique même de la
volonté en l'être. De cet examen, faut-il déduire à
un résultat apparemment négatif, à savoir
qu'« il n'y a ni conception simple et distincte, ni volonté
franche et homogène du néant ». Pas du tout. Blondel
cherchera, en effet, à montrer « qu'en souhaitant
l'anéantissement complet on requiert à la fois le
phénomène et l'être pour les opposer l'un à l'autre
et les supprimer tour à tour »135(*). Ce qui revient à
dire que, sous la volonté du néant, il y a toujours une
volonté qui veut quelque chose136(*). Qu'est- ce à dire ?
C'est dans cette perspective que Jean-Luc Marion137(*), s'appropriant le texte de
L'Action, peut commenter : « D'emblée, Blondel
énonce un paradoxe, ou ce qui revient au même, une
nécessité du concept : la volonté ne peut pas ne pas
vouloir, puisque, si elle ne veut pas, elle ne peut pas ne pas vouloir le
néant même de sa volonté ; bref pour ne pas vouloir , il
faut vouloir ne pas vouloir, donc vouloir. L'ego est en tant qu'il
veut : ego sum signifie ego volo, plus qu'ego
cogito : [ Pour les dilettantes ]... leur nolonté
c'est ce qu'ils nomment eux-mêmes leur Divin
Égoïsme. ». Il montre que Blondel attaque une
thèse dominante selon laquelle la volonté ne peut se suspendre ni
se dépasser, car pour y parvenir, il faudrait qu'elle se redouble :
« Ne pas vouloir, c'est toujours vouloir ». Si donc ne pas
vouloir révèle une contradiction, la sophistique suppression de
la volonté aboutit réellement à une volonté
(positive) du néant : « ...la nolonté
même dissimule une fin subjective. Ne rien vouloir, c'est se refuser
à tout objet, afin de se refuser tout entier et de s'interdire tout don,
tout dévouement, toute abnégation. On veut que l'être ne
soit pas, et il fait plaisir d'être pour le nier ». Puisque,
ici encore, ne pas vouloir manifeste la volonté d'être pour le
nier, la nolonté, loin de s'opposer au vouloir-vivre
(Schopenhauer), confirme le vouloir-vivre subjectif de celui qui ne nie tout
autre étant que soi, qu'en restant un étant d'abord
lui-même. Je nie, donc je suis. Le cogito volitif (Maine de
Biran) l'emporte sur le cogito réflexif (Descartes), par une
volonté positive du néant, non par un néant de la
volonté : « Vainement s'opiniâtre-t-on dans une
nolonté systématique, comme si le sujet et l'objet
s'armant l'un contre l'autre réussissaient à
s'entre-détruire : sur le néant du vouloir, il reste le
vouloir artificiel mais positif du néant (...). Ne rien vouloir, c'est
en même temps : avouer l'être (...), affirmer le néant
138(*)(...), se tenir
aux phénomènes et s'enchanter de l'universelle féerie,
pour jouir de l'être dans la sécurité du
néant ». Aussi ajoute-t-il : « C'est une loi
nécessaire de la pensée réfléchie : on ne
peut, au point de vue subjectif, supprimer la volonté, nolle,
sans qu'aussitôt on lui assigne le néant comme objet et comme
fin »139(*) ;
avant de conclure : « ...du vouloir-être, du
vouloir n'être pas, du vouloir ne pas vouloir,
il subsiste toujours ce terme commun, vouloir, qui domine de son
inévitable présence toutes les formes de l'existence ou de
l'anéantissement »140(*). De cette contradiction apparente qui participe
même de la logique de la volonté peut-ton déceler ce
qu'elle est réellement ? Autrement, qu'est-ce que la volonté ?
Que recèle le binôme volonté voulante et volonté
voulue141(*)? La
volonté trouve-t-elle son achèvement dans son être ?
2.3.2.1. Dialectique, sens et dynamisme de la
volonté
La question essentielle et existentielle qui ouvre l'ouvrage
fondateur de Blondel ne nécessite pas, à première vue une
réponse, mais plutôt engage chaque être humain à
examiner le lieu de son émergence, la manière dont elle
s'articule et les possibilités de solutions qui s'offrent à sa
résolution. Et ce lieu de l'émergence est l'Action. Or
l'action, en tant qu'agir humain ne trouve son fondement et sa
possibilité d'être que dans la logique de la vie. Et celle-ci est
manifestement déterminée par un concept-clé, un
thème central, un thème sans lequel il nous serait impossible de
penser une action humaine : la Volonté.
En effet, la volonté constitue un concept-clé
qui sous-tend l'oeuvre de Blondel. Ainsi, écrivait-il
déjà, dans ses Carnets Intimes : « Il
nous faut poser un principe définitif : rien ne va jamais comme
nous le voulons, parce que, quoi qu'il arrive, fut-ce ce que nous avons voulu,
nous voulons toujours autre chose. »142(*)Une insatisfaction qui fait
écho aux premiers mots qui ouvrent les mêmes Carnets
« je veux », et détermine la complexité
et la dialectique présentes au coeur de tout vouloir humain.
Définir la volonté, son ancrage et ses déploiements,
c'est, à coup sûr, explorer ce dynamisme interne, cette
ambivalence, cette dualité143(*), cette disproportion qui la dominent et la
caractérisent. Aussi la définition la plus nette de la
volonté se trouve-t-elle dans dans ce double plan du vouloir tel que
Blondel la donne lui-même, dans sa contribution au Vocabulaire
philosophique de Lalande144(*) : « Au sens A qui définit la
volonté comme « forme de l'activité
personnelle » et en énonce les composantes, Blondel fait
l'observation suivante : Il y a un sens antérieur à A, qui
maintient la tradition antique et médiévale d'une voluntas ut
natura, appétit intellectuel, volonté voulante, inclination
fondamentale qui détermine nécessairement l'aspiration,
l'inquiétude, l'élan humain vers sa fin suprême. C'est ce
mouvement congénital de «la volonté voulante » que
spécifient la réflexion, « la volonté voulue
vers », les fins partielles et successives qui s'offrent à
nous comme les moyens ou les occasions d'accomplir notre destinée, dont
tout le sens est d'aboutir à mettre en équation ces deux
volontés, initiale et finale »145(*).
Remarquons donc que Blondel pose la volonté comme point
de départ, mais aussi et surtout comme effort continu dans la recherche
d'une solution à cette complexité. Il s'agit chez lui de
vérifier toutes les solutions, en passant du phénomène
à l'être. Bien plus, il s'agit de trouver un vinculum
(lien) qui soit à même d'unir, mieux de rallier volonté
voulante et volonté voulue. Car en fait, l'inconsistance de la
volonté, son action continue, constitue le moteur qui donne à la
volonté la possibilité de progresser vers sa réalisation.
Or la volonté est incapable de s'égaler ; il y a toujours une
disproportion entre le voulant et le voulu. Ce qui se traduit par la
dialectique même de la volonté dans ce binôme volonté
voulante et volonté voulue. Blondel estime pourtant que c'est dans
l'action, alors exclusivement dans et par l'action, qu'il est possible
d'opérer. L'action est la synthèse de ce double vouloir. Son
effort consistera alors à démontrer la permanence de la
volonté voulante au delà des obstacles de tout genre. Elle a
à surmonter autant les difficultés internes que les obstacles
externes. D'un coté, la volonté s'affirme et donne sa raison
d'être ; de l'autre, elle semble souvent être mise en échec.
Cependant, il ne s'agit que d'une destruction apparente, puisqu'il s agit
seulement de la volonté voulue qui est mise en échec. La
volonté voulante restant invincible : «Les contradictions en
apparence les plus répugnantes à la volonté ne servent
qu'à mettre en lumière son invincible attachement à
elle-même. Parce qu'elle nie, elle s'affirme et s'édifie
indestructiblement »146(*).
En outre, il est clair que le primat que Blondel accorde
à la volonté comme terme-clef de l'expérience dans la
logique de l'action tient au moins en deux axes importants : d'un
coté, la volonté est définie par ce que l'être
humain agit toujours (et cela est incontestable) dans le réseau infini
des nécessités qui définissent l'horizon au départ
de son action volontaire. D'autre part, on en arrive à admettre que
l'action libre consiste justement à transgresser (non pas au sens d'une
annihilation ; mais au sens d'un dépassement) toutes ces
déterminations aussi nombreuses qu'elles soient. Que retenir de cette
analyse ?
En fait, selon Blondel, la nature de la volonté est de
se vouloir elle-même. l'aspiration inépuisable à vouloir
(qui la caractérise) et par conséquent à s'étendre
fait partie de l'essence même de la volonté. l'origine de ce
dynamisme nécessaire est placée dans la conscience et son
mouvement ne connait pas d'interruption, car il s'agit là d'un
phénomène qui se présente comme nécessaire et
foncièrement intrinsèque à l'homme. l'homme, on l'a
démontré déjà , ne peut pas ne pas vouloir; il ne
peut pas ne pas agir. Or ce vouloir doit affronter et surmonter un certain
nombre d'obstacles, dont le plus immédiat est celui lié à
sa dialectique interne. De fait, la volonté qui se déploie reste
constamment soumise à un déterminisme inflexible qui se produit
souvent malgré soi. Il est comme constitutivement marqué et
dominé par cette disproportion ontologique : l'homme n'a pas voulu
vouloir et n'a pas voulu le déterminisme auquel il est soumis ; il
s'agit là d'une primitive contradiction : « il veut, mais
il n'a pas voulu vouloir. »147(*) Et pourquoi ?
Parce que justement au coeur de la logique de l'action
émerge inéluctablement une volonté voulante et une
volonté voulue. La volonté voulante cherche toujours une pleine
adéquation de soi avec soi. En d'autres termes, la volonté
voulante tend à l'adéquation de soi avec la volonté
voulue. Cependant, l'analyse phénoménologique du
déploiement de la volonté voulante montre son
impossibilité à trouver une parfaite adéquation à
soi dans la réalité phénoménale mondaine. Le
désaccord de la volonté voulante avec la volonté voulue
trouve sa première racine à ce niveau le plus profond de
l'être.
De plus, l'homme a le sentiment très fort de sa propre
impuissance. Impuissance marquée par le fait qu'il n'a pas voulu, et
qu'il entend clairement ne pas pouvoir trouver en lui : ni l'origine, ni
la substance, ni la fin de son action. Du coup, l'insuffisance des
phénomènes mondains trouve une correspondance dans l'insuffisance
de l'être humain. La volonté se montre nécessairement
faible dans ses manifestations extérieures. Elle se découvre
comme faible et percée. Et pour cause. La faiblesse de la volonté
humaine s'exprime dans le caractère indélébile de ses
actes .
En conséquence, récapitulons en soulignant que
la volonté voulue se traduit dans des actes qui ne sont pas efficaces,
car exposés aux pesanteurs des phénomènes de
l'environnement dans lequel ils émergent . Ainsi, pour égaler ses
volontés voulues à sa plus profonde volonté voulante, le
vouloir a successivement assimilé en quelque sorte tout ce qui se
présentait à lui. Cependant, il a encore du mouvement pour aller
toujours loin. C'est que rien de fini ne pourrait le satisfaire . Et c'est
même dans ce mouvement indéfini et toujours insatisfait que se
trouve en quelque sorte présent, au moins sous forme négative,
l'infini. Ce besoin de l'infini, l'homme peut s'efforcer de le satisfaire, en
plaçant l'infini dans des objets finis qu'il a rencontrés le long
de son parcours. D'où pour tenter d'égaler l'action humaine au
vouloir de l'homme surgissent les formes multiples de l'activité
superstitieuse. Mais cette prétention de faire du relatif un absolu, du
fini un infini est paradoxale. Ce qui nous accule à une
véritable impasse, un dilemme :« il est impossible de ne pas
reconnaître l'insuffisance de l'ordre naturel et de ne point
éprouver un besoin ultérieur ; il est impossible de trouver en
soi de quoi contenter ce besoin religieux. C'est nécessaire, et c'est
impraticable. Voilà toutes brutes, les conclusions du
déterminisme de l'action humaine»148(*) souligne encore Blondel.
En d'autres termes, la volonté se veut
nécessairement et cependant elle ne peut s'atteindre pleinement. La
seule issue pour elle serait donc de s'ouvrir à une autre Volonté
qui la ferait être. D'où le rôle de la philosophie
consisterait à conduire à une option qu'il ne lui appartient pas
de résoudre. À ce stade, l'action reste ouverte, si l'on peut
dire, par en haut. Il faut alors concevoir pour elle une réflexion, une
hypothèse qui lui permettrait de se réaliser enfin et d'accomplir
son achèvement. C'est ici que Blondel pensera à la méthode
d'immanence, car : « En quoi consistera donc cette
méthode d'immanence sinon à mettre en équation dans la
conscience même, ce que nous paraissons penser et vouloir et faire avec
ce que nous faisons, nous voulons et nous pensons en
réalité : de telle sorte que dans les négations ou
les fins artificiellement voulues se retrouveront encore les affirmations
profondes et les besoins incoercibles qu'elles
impliquent. »149(*)
Mais avant tout, essayons de revisiter cette dimension
où des volontés sont capables et de se fondre à savoir la
famille, la patrie et l'humanité.
2.3.2.2. Du rapport action-volonté : un mot ?
Le besoin de l'homme, c'est de s'égaler soi-même,
en sorte que rien de ce qu'il est ne demeure étranger ou contraire
à son vouloir, et rien de ce qu'il veut ne demeure inaccessible ou
refusé à son être. Agir, c'est chercher cet accord du
connaître, du vouloir, et de l'être, et contribuer à le
produire ou à le compromettre. Dès lors, l'action apparaît
comme le double mouvement qui porte l'être au terme où il tend
comme à une perfection nouvelle, et qui réintègre la cause
finale dans la cause efficiente150(*). Que dire alors et comment préciser ce
rapport qui lie ou qui détermine l'action à la volonté ou
la volonté par l'action151(*) ?
Dans sa contribution au colloque sur le Centenaire de
Blondel, Pierre Livet s'attache à montrer la
spécificité de la philosophie de l'action chez Blondel par
rapport à la théorie de l'action telle qu'elle se déploie
dans l'univers de la philosophie analytique : « La philosophie
de l'action de Blondel est aux antipodes de la théorie de l'action des
Anscombe, Von Wrigt et Davidson. La première traite des relations entre
le pur agir divin et les actions transitives humaines, la seconde étudie
les catégories pertinentes pour interpréter les comportements
comme des actions[...] l'objectif poursuivi étant de montrer, outre la
réelle communauté des problèmes, que la différence
tient à. une dissociation entre point de vue en première personne
et le point de vue en troisième personne ».152(*) Qu'est-ce à dire ?
En fait, la philosophie de l'action de Blondel suppose une
distinction entre point de vue en première personne (c'est-à-dire
de l'agent qui pose l'acte sur la base du "je veux") et le point de
vue en troisième personne (c'est la position de celui qui
interprète l'acte). Or pour lui, il n'est jamais question de
l'interprétation ou de l'identification de l'action (vue de
l'extérieur). Il s'agit chaque fois de se placer du point de vue l'agent
mais qui suscite la coopération des autres.
Dans la thèse de 1893, cette distinction se justifie
doublement : D'abord, par la méthode utilisée : pour
parler de l'action, il faut expérimenter l'action. Le faire en
première personne sans jamais sortir de ce point de vue. Ensuite selon
les perspectives ouvertes en conclusion : l'action se dépasse vers
l'extérieur, vers les autres (famille, patrie, humanité) :
«L'action volontaire est donc le ciment qui édifie la cité
humaine, c'est la fonction sociale par excellence. L'action est destinée
à la société, et nous ne tenons les uns aux autres que par
l'action »153(*) Mais, souligne l'auteur, il s'agit là d'une
expansion, non d'un changement de point de vue. Quand enfin, on saisit à
la fois l'ouverture de l'action sur l'infini et son incapacité à
s'égaler au vouloir originel dont elle procède, on replace
l'action dans le vouloir divin, et Dieu est ainsi tout à la fois
troisième personne puisque transcendant et première personne
puisqu'immanent à notre agir.
Par ailleurs, Blondel distingue de façon toute
classique les motifs (ce qui oriente vers l'action de manière
signifiante) et les mobiles (les forces et les causes qui poussent
à l'action). Néanmoins il les entrelace intimement de sorte que
les motifs doivent devenir des mobiles, et les mobiles na valent que s'ils
préparent un motif : «Un motif n'est pas un motif sans mobile.
Mais un mobile, non plus, n'est pas un mobile sans motif [...]. Les mobiles ne
valent que par le motif qu'ils préparent et se proposent. Mais le motif
lui-même n'est plus, s'il ne devient à son tour un
mobile. »154(*) Toutefois, il sied de relever tout de même que
Blondel n'analyse jamais l'action comme un raisonnement pratique (selon le
syllogisme d'Aristote). Et il ne conçoit pas l'intention comme un plan ,
mais plutôt comme une volonté ? Il commence par
définir l'action comme "un système" de mouvements voulus ou
spontanés, un ébranlement de l'organisme, un emploi
déterminé de forces vives, en vue d'un plaisir ou d'un
intérêt, sous l'influence d'un besoin, d'une idée ou d'un
rêve"155(*)Blondel
parlera ensuite de décision, mais il envisagera les alternatives non pas
comme un arbre des possibles, mais bien comme des forces en conflits. Il
insistera, en fin de compte, sur l'unité de l'action comme
synthèse de forces orientées.Il met au centre de l'action le
concept de volonté conçu d'une manière dynamique. En
posant donc le concept de volonté comme primitif et central , dans
l'articulation de l'action, il n'hésite pas à parler, au sein de
notre vouloir, de conflit de volontés, comme s'il y avait des
volontés subalternes, qui s'opposent à notre volonté
principale. De plus, il soutient qu'il suffit de vouloir et d'engager une
décision pour qu'aussitôt cela suscite une foule de
volontés opposées, et que l'action devra (et pourra) se
manifester comme action justement en triomphant de ce système de
« puissances récalcitrantes »156(*).
Ainsi, à ce niveau d'analyse, on peut dire que pour
Blondel tout est volonté, y compris la volonté de ne pas vouloir
(le nolle), comme il le démontre assez souvent. Cette
démonstration met en jeu une sorte de privilège d'essence de la
volonté. Car il n'est pas de position (fut-il nihiliste) qui ne soit
vouloir. Or l'idée de volonté oppositive ne relève pas de
cette analyse d'essence, mais de la description des nécessités
d'une dynamique de l'action. Aussi toute décision doit-elle affronter ou
s'affronter aux puissances qui se révèlent en conflit157(*) avec elle par cette
décision même. Ces puissances, dans la mesure où elles
entrent ainsi en conflit, jouent le rôle de volontés. Mais on peut
aussi soutenir que chez Blondel, la volonté dominante doit au fond
s'anticiper elle-même quand elle suscite ses antagonismes, grâce
à la dynamique de l'action qui la caractérise et lui permet de
procéder à un choix, à une coopération. Aussi nous
faut-il revisiter l'un des lieux de déploiement et de coopération
de l'action et de la volonté.
2.4. L'expansion de la volonté : famille,
patrie, humanité
Dans la cinquième et dernière étape de la
troisième partie de l'Action, Blondel traite, à propos
de l'expansion de la volonté, de la problématique cruciale de
l'union féconde des volontés et l'extension universelle
de l'action.158(*)
Et le chapitre qui nous intéresse et nous interpelle ici, est
évidemment celui portant sur l'unité de l'action volontaire et
l'action féconde de la vie commune. Comme quoi, l'auteur, par une
approche qu'on qualifierait de psycho-sociologique, s'attache à explorer
les déploiements de la volonté dans la famille, la patrie et
l'humanité. De fait, Blondel est convaincu que l'action n'est pas au
terme de son expansion naturelle, tant qu'elle se limite à l'individu.
« La vie individuelle est forcément amenée à
s'ouvrir et à se répandre ; elle fait concourir d'autres forces
à ses fins ; elle cherche au dehors un complément ; elle
espère une confirmation et comme un redoublement de sa propre
énergie. Puisque l'individu ne peut se fermer ni ne veut se garder seul
et tout en soi, il aspire à revivre en autrui »159(*).
C'est que le point de départ de cette affirmation est
la conscience. La conscience est selon Blondel doublement ouverte, en
deçà et au delà : elle puise ses aliments dans
l'immense milieu qu'elle résume en soi et s'élargit aux
dimensions de l'univers. l'action devient alors l'intention en acte. Elle est
d'abord «l'intention vivant dans l'organisme et modelant les
énergies obscures dont elle avait
émergé »160(*). Toutefois, elle ne saurait se restreindre à
la seule enceinte de la vie individuelle. Nulle résolution ne peut se
réaliser dans l'intimité de l'intimité de la personne sans
intéresser le monde environnant, sans y chercher un concours, sans y
provoquer une action correspondante. Dès lors agir, c'est se confier
à l'univers, c'est organiser un monde conforme à son voeu. Et
cela ne peut se faire que dans le passage de l'action individuelle à
l'action sociale. De ce point de vue, toute la dialectique blondélienne
désormais suivra le progrès de l'action depuis l'enceinte de
l'individu jusqu'au point où la volonté qui anime toujours ce
mouvement d'expansion attend et réclame l'intime concours avec autrui.
D'autant plus que la coopération avec les autre ne suffit pas. Le
vouloir éprouve le besoin de l'union réelle et totale :
l'amour, tel est l'objet auquel il tend incoerciblement.
C'est ainsi que la volonté de l'homme engendre la
famille où l'unité de deux êtres à la fois
désirée et impossible s'objective et se réalise dans
l'enfant, la patrie qui dépasse les affections familiales et
précède le sentiment de l'humanité comme synthèse
originale et définie entre eux, l'humanité enfin qui
apprend à voir dans l'esclave, dans le sauvage, dans le pauvre, dans le
malade ou l'infirme un autre soi-même161(*) : « La loi de l'égoïsme
actif et conquérant, c'est de se contredire et de se raviser en quelque
sorte pour s'étendre à ce qu'il semblait d'abord repousser. Ce
n'est plus assez de porter en soi comme une nation entière et de ne
faire qu'une âme avec elle : l'homme aspire, pour ainsi parler,
à épouser l'humanité même et à ne former avec
elle qu'une et une seule volonté »162(*).
Aussi va-t-il constituer les différentes
sociétés dont l'homme devient le membre, mais qu'au fond il
soutient et enveloppe de son vouloir personnel. Ce que l'auteur appellera
«une coenergie»163(*) . Elle réalise une union féconde des
volontés particulières pour les fédérer dans une
patrie, car l'homme est toujours mû par ce désir de
solidarité. La volonté épuise tout, invente tout, admet
tout, même l'impossible, pour se suffire et se contenter : elle n'y
réussit pas ; et cette prétention même est contraire
à son voeu le plus intime.
Comment ce mouvement qui nous porte vers d'autres
volontés réussit-il à franchir le seuil fermé des
consciences ? Blondel montre que tout en formant un système fermé
et exclusif, chaque société aspire à s'étendre, et
s'ouvre pour avoir accès à une synthèse plus large :
« Là dans ce besoin et cette volonté, réside le
secret mystère de l'amitié...S'aimer soi-même en aimant
sincèrement un autre ; se donner et se redoubler par ce don ; se voir
autre en soi-même, et se voir soi-même en
autrui... »164(*). Il faut donc suivre le mouvement de la
volonté depuis la plus simple et la plus intime union du seul à
seul, jusqu'au point où cette coenergie tend à
dépasser les limites de la vie sociale elle-même. Analysant la
dimension familiale, en passant par la vie de la cité, il
découvre que même la vie sociale constitue bien un besoin
spontané et une construction naturelle de la volonté. Il aboutit
au fait que c'est toujours l'action volontaire dont le progrès engendre
et justifie ces formes successives de la vie humaine ; que ces formes se
superposent et se complètent mutuellement ; que chacune ajoute à
celle qui la prépare une perfection nouvelle, mais sans supprimer pour
cela l'indépendance relative et la perpétuité des formes
antécédentes.
En outre, l'expansion de la volonté dans la famille et
l'humanité avec la patrie comme point focal devient le lieu de
l'expression même de l'action collective qui devient volonté dans
la solidarité de ses membres. Car si l'action trouve
nécessairement sa source dans la subjectivité humaine ; et que la
constitution intrinsèque qui caractérise le sujet implique mieux
inclut la nécessité des relations sociales que Blondel plaide
pour ce qu'il nomme coenergie qui n'est pas coaction. Car l'action a
une nature expansive. Elle procède par étapes successives pour se
voir réaliser la volonté qui préside à son
déploiement. Dans cette expansion donc, l'action va de
l'intériorité des actes à l'action extérieure dans
sa rencontre avec d'autres volontés telles qu'elles émanent de la
famille, de la patrie et de l'humanité tout entière.
En définitive, la vie en société
constitue une conséquente où volonté voulante et
volonté voulue cohabitent au delà de la dialectique ou du dilemme
qui les caractérisent. La volonté, en société, est
toujours en quête de son accomplissement ou de son achèvement donc
de sa réalisation effective. La recherche et la quête de l'autre
n'en demeure pas moins ce salut, ce désir, ce besoin de posséder
l'autre. Car, par exemple, si d'un coté l'exercice de la liberté
individuelle semble conditionner, socialement par un degré
d'organisation ou de concours psychologique et physiologique, ceci concourt
tout simplement à créer des mécanismes susceptibles de
participer à la conservation de l'être dans ce vivre-ensemble.
D'autre part, ceci est bénéfique dès qu'une action
volontaire, qui puise sa force dans l'univers matériel tente de
réagir sur lui, dès que la décision commence à se
traduire en mouvement, il est clair qu'elle rencontre des résistances
des corps propres, puis celle des objets extérieurs, et enfin celles
d'autres individus comme des volontés rivales. Néanmoins, dans
cette expansion la volonté finit par se réconcilier avec toutes
celles éparses qui lui résistaient grâce au concours d'une
gestion ordonnée de la liberté. Ainsi, par exemple, en se pliant
en toute liberté aux lois civiles, aux règles d'association, la
volonté de l'individu en vient à se réconcilier avec celle
des autres ; la concurrence fait place à la coopération, et par
l'institution de la famille, de l'État, la volonté humaine trouve
dans la vie sociale les moyens d'accroître, de régler et de
maîtriser efficacement son vouloir et ses penchants ou désirs.
Ainsi, entre le coeur à coeur de l'intimité familiale et le tous
à tous du partage de l'humanité, la patrie constitue ce relais
irréductible de la volonté qui se déploie vers sa fin.
L'ouverture du sujet au-delà du soi et du premier cercle familial fait
halte en quelque sorte dans la particularité nationale pour que la
liberté jouisse du bien qu'elle a contribué à créer
avec les autres. Mais si la patrie constitue ce vouloir , cette synthèse
des vouloirs individuels et privés et ceux éparpillés dans
l'humanité, le problème est-il résolu ? Assurément
pas. Car Blondel pense que l'élan de la volonté, au delà
de la patrie exige, mieux s'élargit à la quête d'un Autre,
d'un Infini, d'un Absolu en qui se réconcilient définitivement
tous ces vouloirs.
2.5. De l'infini de la volonté à
l'expérience de l'être
L'analyse philosophique de l'action humaine a
dévoilé une disproportion intrinsèque entre la fin du
vouloir (la volonté voulante) et les réalisations
effectives (la volonté voulue), disproportion indicative d'un
besoin de l'absolu ou du transcendant, ou du tout autre, qui en vient à
constituer le point d'intersection. Or, il se trouve que ce que montre Blondel,
entre autres, dans l'Action de 1893, c'est que pour être
fidèle au principe moteur, aux exigences de la volonté voulante
en l'homme, l'action ne peut s'arrêter ni se contenter aux divers paliers
constitutifs de l'activité humaine, et que, nécessairement,
l'action humaine est rejetée vers un au-delà, un transcendant qui
ouvre au don surnaturel. Pour cela, il est important de souligner alors que la
conscience de l'action pour Blondel doit impérativement impliquer
l'idée de l'infini, l'idée de l'Être transcendant. Comment
comprendre cela ?
Blondel part d'un fait indiscutable l'Action pour
montrer qu'il existe toujours une inadéquation profonde entre la
volonté voulante et la volonté voulue. l'homme se découvre
fini, mais il se veut infini. Il veut l'infini. Mais ce qu'il exige n'est
possible que si l'infini se donne gratuitement, et l'homme peut alors le
reconnaître et l'accueillir. Pour le Cardinal Poupard :
« De la découverte de l'insuffisance à l'accueil de la
surabondance, c'est la totalité de l'expérience vécue qui
nourrit l'analyse où la matièreapparaît vitalisable, la vie
spiritualisable et l'esprit divinisable. De la sensation à la
perception, de la science au sujet qui la fait, de la famille à la
cité, les dépassements successifs de l'action inscrivent la
recherche perpétuelle de l'infini dans le fini, au point de jonction de
l'immanence et de la transcendance»165(*).
Dès lors, la volonté est donc infinie de
multiples manières166(*) . D'abord parce que j'agis dans le réseau
infini des nécessités qui définissent l'horizon au
départ de mes actions volontaires. Ensuite parce que l'action libre
consiste justement à transgresser ces déterminations aussi
nombreuses et rigoureuses qu'elles soient. Enfin, cette volonté de
l'infini traduit une quête de l'Autre par la charité ou
l'amour.
Ce que confirme d'ailleurs Blondel lui-même :
« Nul ne pense agir, s'il ne s'attribue le principe de son action et
s'il ne croit être quelqu'un ou quelque chose, comme un empire dans un
empire »167(*)
; par suite de cette transcendance envers les causes, les
nécessités et même les motifs, l'action libre évolue
dans l'inconditionné, que Blondel nomme l'infini : « En
deux mots : la conscience de l'action implique la notion d'infini ; et
cette action infinie explique la conscience de l'action libre»168(*). l'infini est donc
pensée en rapport étroit avec l'action. On retrouve donc la
volonté qui a présidé au choix déterminant de cette
action. C'est autant dire que la volonté ne quelque sorte se retrouve en
quête de son infini. De ce point de vue, l'infini de l'acte volontaire
marque en fait l'irréductibilité de la liberté aux
phénomènes (en termes kantiens), ou
l'irréductibilité de la personne à la nature (en termes
patristiques). Aussi pour Blondel, la volonté transcende tous ces objets
comme idoles169(*). Car
l'idole apparaît quand l'acte qui en fait vise et accomplit l'infini,
veut reposer son élan, dans un étant, ou bien comme un
étant, pour n'avoir plus à persévérer dans l'extase
de la la volonté libre.
En outre, en agissant par une volonté qui transcende
infiniment ses propres intentions réales, l'homme se découvre
toujours déjà déporté dans l'infini, comme un
horizon170(*) . Car
« Il y a un infini présent à tous nos actes
volontaires, et cet infini est moins dans la connaissance que dans la vie ; il
n'est ni dans les faits, ni dans les sentiments, ni dans les idées, il
est dans l'action »171(*). Et J.-L. Marion peut renchérir :
« Sous l'apparence d'une faculté telle qu'en débattent
les métaphysiciens (Schopenhauer, Nietzsche, Descartes), la
volonté doit ainsi se reconnaître comme la trace d'une trace qui,
peu à peu, redevient elle-même en s'admettant le vestige de
l'infini. L'Action a pour ambition de reconduire la volonté de
son infini strictement métaphysique à la fonction
théologale de cet infini : vestgium Dei... Il s'agit, en
reconnaissant à la volonté son infinité, de la rendre
à elle-même afin qu'elle sache se rendre à
l'infini. »172(*)
Ainsi selon J-B J Vilmer : « L'aspiration vers
l'infini, qui est désir de Dieu, n'est autre que la volonté
voulante de Blondel - ou encore la volonté de la volonté,
volonté de puissance de Nietzsche - qui décrit le
dépassement de l'homme et qui donne l'impulsion aux volontés
voulues, les volitions quotidiennes sur les objets particuliers contingents. Le
désir de Dieu est alors ce conatus qui nous fait
persévérer dans notre être voulant. Ce qui implique aussi,
inversement, que cet être voulant préexiste et amorce le
désir de Dieu qui le conserve»173(*). C'est donc cette dernière tentative de
l'effort humain, dans sa quête et son aspiration marquées par
l'apparent échec de l'action de sa volonté, qui nous amène
à poser la problématique de l'Unique nécessaire avec ce
caractère de nécessité et de gratuité tout ensemble
qui convient à la détermination ultime de l'idée du divin
comme surnaturel174(*).
«C'est nécessaire et c'est impraticable».175(*)
Conclusion
Au terme de cette analyse, il est clair que c'est dans la
dialectique de la volonté qu'il faut percevoir le sens des actions
humaines ; il est d'autant plus clair aussi que l'homme ne peut pas
échapper à l'exigence de l'option, du choix ; et que y renoncer,
c'est paradoxalement poser son adhésion. Blondel montre alors que dans
chaque vouloir humain persiste toujours le sentiment de manque, d'une
inachevabilité de l'action. Car, si l'homme surpasse certains
phénomènes (désirs, besoins...), il reste cependant vrai
qu'il ne domine toujours pas son propre vouloir. Il n'arrive pas souvent
à épuiser les secrets et profonds ressorts de sa volonté.
Sa volonté voulue (celle qui est une volonté de surface) entre
perpétuellement en conflit avec la volonté voulante (celle qui
est justement une volonté profonde et spirituelle). Les principes de
celle-ci ne gouvernant pas toujours celle-là, la volonté
spontanée de l'homme ne s'accorde pas souvent avec sa volonté
réfléchie. Bien souvent, derrière la volonté de ne
rien vouloir profile et s'affirme la ferme volonté de vouloir. C'est
pourquoi, l'homme n'affirme le néant que parce qu'il a besoin d'une
réalité plus solide et plus comblante. Et l'activité
scientifique, personnelle, individuelle et sociale qui engendre la famille et
la patrie et qui tend, sous l'influence de certaines doctrines, à
vouloir borner la destinée humaine à tel ou tel secteur de la
vie, s'avère un échec. Car, à côté de
l'hypocrisie176(*) de la
pensée qui croit tout savoir, il y a la tendance humaine à se
créer des idoles telles que la science, la nation afin de leur
conférer une valeur absolue qu'elles ne possèdent pas. Mais
là encore, la prétention de se suffire « avorte parce
que , dans ce qu'on a voulu et fait jusqu'ici, ce qui veut et ce qui agit
demeure toujours supérieur à ce qui est voulu et
fait ». De cette insuffisance de l'ordre naturel apparaît
l'exigence d'un besoin supérieur, un recours qu'aucun fait ni
phénomène ne pourra combler de sorte qu'« il est
impossible de ne pas reconnaître l'insuffisance de tout l'ordre naturel
et de ne point éprouver un besoin ultérieur. C'est
nécessaire, et c'est impraticable. Voilà toutes brutes les
conclusions du déterminisme de l'action humaine177(*). Ce que Blondel
lui-même ouvre par ces mots : « En me heurtant à la
suprême nécessité de la volonté, j'ai donc à
déterminer ce que je veux, afin que je puisse, en toute
plénitude, vouloir vouloir. Oui, il faut que je veuille moi-même ;
or il m'est impossible de m'atteindre directement ; de moi ) moi, il y a un
abime que rien n'a pu combler. Point d'échappatoire pour me
dérober, point de passage pour avancer seul : de cette crise, que
va-t-il ? 178(*) ».Voilà qui ouvre la voie à
l'examen du Vinculum (lien) possible entre volonté voulante
dans son ouverture et son achèvement dans l'expérience de
l'Unique Nécessaire.
CHAPITRE TROISIÈME
DE L'ACHÈVEMENT DE LA VOLONTÉ
À L'UNIQUE NÉCESSAIRE
Introduction
L'examen de l'expansion de la volonté ou du
déploiement de son action, qui a focalisé les recherches du
second chapitre, a révélé ses limites. Car la dialectique
qui la caractérise est inexorablement marquée par la finitude
alors qu'elle tend toujours à une infinitude. De la sorte,
l'étude des conditions et des exigences déployées depuis,
ayant montré successivement autant dans le milieu organique et
matériel, que dans la vie sociale puis dans l'idéal de l'infini
autant d'éléments constitutifs de la réalité de ce
que nous devons être ou que nous voulons être. C'est au seuil de
cette inachévabilité qu'apparait l'exigence et la
nécessité de l'Unique nécessaire qui constitue comme pour
ainsi dire l'aboutissement du raisonnement pratique.
En effet, l'Unique Nécessaire apparaît au
troisième moment de la quatrième partie « au moment
où se noue le conflit entre l'apparent avortement de l'action voulue et
l'indestructibilité de l'action volontaire d'une part et d'autre part la
manifestation de l'inévitable transcendance de l'action
humaine »179(*). Et dans la pensée de Blondel, en faisant
surgir cette réflexion, les preuves de existence de Dieu constituent une
charnière parce que tout le domaine où se déploie l'action
humaine a été inventoriée sans que le problème ne
soit résolu : « impossible de
s'arrêter », parce que la volonté continue de vouloir
alors qu'elle semble n'avoir rien à vouloir ; « de
reculer » parce que le problème reste posé ;
« d'avancer seul », parce que ce qui est au delà est
inaccessible180(*) .
C'est donc à une option vitale , à une alternative qu'est
appelée la volonté humaine. Pour cela notre propos partira donc
de l'analyse de l'insuffisance de l'ordre naturel. Il examinera ensuite les
trois moments par lesquels semble passer toute action volontaire et enfin
l'articulation de l'option de l'Unique nécessaire à travers les
différentes preuves de l'existence de Dieu telles que Blondel se les
approprie pour résoudre la difficulté liée à
l'insuffisance de la dialectique de la volonté.
3.1. De l'insuffisance de l'ordre naturel
Il nous semble important de rappeler que l'Action de
1893 est divisée en cinq (5) parties. De fait, on remarque que
l'enchainement que l'auteur suit consiste en ceci : Par une critique du
dilettantisme, la première partie démontrait qu'on ne pouvait
éluder ni se soustraire à la problématique de la
destinée ; La seconde partie avait pour rôle de montrer, par une
critique du pessimisme, qu'on ne pouvait s'en tenir exclusivement à une
solution négative, car la volonté du néant impliquait, par
voie de conséquence, une contradiction. Laquelle contradiction
révélait qu'il y avait "quelque chose" au delà du
dilemme ; enfin la troisième partie a posé le problème de
l'action avant que la quatrième ne s'attèle à la
démonstration de l'achèvement de ce problème par
affirmation de l'Unique Nécessaire. Or, on ne peut poser cette
affirmation sans revisiter cette troisième partie qui sert comme pour
ainsi dire de charnière parce que justement il pose le problème
de l'insuffisance de l'ordre naturel comme il l'énonçait
déjà :
« Dans mes actes, dans le monde, en moi, hors de
moi, je ne sais où ni quoi, il y a quelque chose. De cette donnée
consentie surgira, par une secrète initiative qui apparaîtra de
plus en plus clairement, tout l'ordre sensible, scientifique, moral et social
[...] Et en suivant jusqu'au bout de ses exigences l'élan du vouloir, on
saura si l'action de l'homme peut être définie et bornée
dans ce domaine naturel».181(*)
Mais avant tout qu'est-ce que l'ordre naturel ? À en
croire H. Bouillard,182(*) l'ordre naturel désigne, dans la langue des
théologiens modernes, le plus souvent l'ordre de la création y
compris la relation fondamentale de la créature au Créateur ainsi
que la connaissance de cette relation par la lumière naturelle de
l'esprit. Blondel, dans sa Trilogie, se conformera à cet usage.
Mais dans L'Action de 1893 et les autres écrit de cette
époque, il s'en tient plutôt à l'usage qu'a
accrédité dans la philosophie moderne le développement des
sciences physiques et naturelles et qu'a consacré l'apparition du
positivisme. Nous en sommes avertis dès le début de la
troisième partie : « Faire entrer dans le champ de la
connaissance et de la puissance humaines tout ce qui nous semble d'abord le
moins accessible [...], fonder la vie individuelle ou sociale sur la Science
seule, se suffire, c'est bien l'ambition de l'esprit moderne. Dans son
désir de conquête universelle, il veut que le
phénomène soit, et soit tel qu'il le connait et qu'il en dispose
; il admet que constater les faits et leur enchainement, c'est les expliquer
complètement ; il considère comme à demi prouvée
toute hypothèse qui lui permet d'éviter l'intervention de la
Cause première ; la crainte de la métaphysique n'est-elle pas le
commencement de la sagesse183(*) ? ». Ainsi donc s'adressant aux
philosophes qui sont ses contemporains, il donne le même sens qu'eux
à l'expression qu'il emploie comme eux : le terme d'ordre naturel,
loin d'inclure la relation fondamentale du monde et de l'homme à la
cause première, en fait systématiquement abstraction ; il
désigne tout simplement le champ de l'activité humaine. Nous
pouvons donc présumer que, lorsque Blondel en viendra à conclure
que l'homme ne peut se borner à l'ordre naturel, il voudra dire
simplement que l'homme ne peut se contenter d'exercer la domination de son
savoir et de son pouvoir sur le monde. C'est ce qui transparait, d'ailleurs,
dans ces termes : « Oui ou non, pour qui se borne à
l'ordre naturel, y a - t-il concordance entre la volonté voulante et la
volonté voulue ; et l'action qui est la synthèse de ce double
vouloir trouvera-elle enfin en elle-même de quoi se suffire et se
définir ? Oui ou non, la vie de l'homme se restreindra-t-elle à
ce qui est de l'homme et de la nature, sans recours à rien de
transcendant ? »184(*).
Il faut donc partir d'une analyse
phénoménologique de l'action pour comprendre le
déploiement de la volonté et ses visées. Cette
démarche, pour Blondel, a comme horizon «d'analyser le contenu de
l'action voulue, afin d'y voir développée toute la
diversité des objets qui paraissent être des fins
étrangères mais qui ne sont en réalité que des
moyens pour combler l'intervalle de ce que nous sommes à ce que nous
voulons »185(*). Aussi cette démarche
révèle-t-elle que dans les actes de l'homme, dans le monde, dans
l'homme lui-même ou hors de lui, il y a quelque chose. Ce quelque
chose demeure encore une donnée indéterminée, mais de
lui surgit tout l'ordre sensible, scientifique, moral et ou social. Vouloir,
désirer ardemment cet ordre qui n'est que la résultante d'un
autre ordre, c'est manifestement tomber dans la superstition. Qu'est-ce
à dire ?
En fait, Blondel va déployer successivement les
différentes sphères de l'activité humaine, justifiant
chacune d'elles par l'impossibilité de s'en passer, et dépassant
chacune d'elles par l'impossibilité de s'y borner. l'auteur commence par
une relecture de la donnée la plus élémentaire : la
sensation. Elle porte en elle, nous semble-t-il, une insuffisance, à
laquelle on remédie en créant la science. Celle-ci, à son
tour, suppose une activité synthétique, l'action constituante
d'un sujet. Le mouvement de cette conscience fait nécessairement
apparaît la liberté. Pour se maintenir et se développer, la
liberté se déploie et s'incarne dans l'exécution :
aux prise avec les résistances du corps et du monde, elle construit
l'individualité. À son tour, l'individu cherche et obtient au
dehors un complément : il veut fonder une société.
C'est ainsi que le vouloir engendre la famille, la patrie, humanité.
Mais l'intention de l'homme s'étend encore plus loin, elle suscite une
morale impliquant l'absolu du devoir. Dès lors, le terme auquel l'action
réfléchie semble éprouver le besoin de se suspendre, c'est
un absolu. Or, le fait que l'homme prétende trouver sa suffisance dans
l'ordre naturel et qu'il n'y réussisse pas constitue pour lui une crise
et l'expose à la superstition en tentant d'achever son action et de se
suffire : « C'est le phénomène de la
superstition qu'il faut étudier ; le
phénomène, c'est-à-dire la manifestation
nécessaire d'un besoin, sous quelque forme qu'il cherche à se
contenter ; la superstition, c'est-à-dire l'emploi d'un reliquat de
l'activité humaine, hors du réel.»186(*) Blondel le découvre
dans l'idolâtrie de la science ou de l'art, dans les pseudo-mystiques, et
même dans le déisme rationaliste ou le moralisme. Pourtant aucun
d'eux, on l'aveu, ne suffit à combler l'amplitude du vouloir. De ce
point de vue, on peut arguer qu'en tout acte humain réside une
ébauche de mysticité naissante. Et pour essayer d'achever son
action et de se parfaire, l'homme tente d'absorber ce divin, de se fabriquer un
dieu à sa façon et d'accaparer par sa seule force de quoi se
suffire. C'est ainsi que« l'action superstitieuse consiste donc
à prendre pour absolu un objet dont la finitude même marque mieux
qu'il est créature de l'homme, puisque c'est l'homme qui le valorise en
fixant sur lui son aspiration infinie »187(*). Celle-ci s'étend
bien au-delà du culte des idoles. Blondel la relève en maintes
pratiques de l'homme civilisé, en divers mysticisme. Tel est le cas de
la vie domestique fondée sur des pratiques rituelles (respect,
vénération, amende honorable, civilités), de la vie
politique (cérémonial) liée au respect traditionnel des
dévotions cérémonielles etc. De cette manière, tous
les essais d'achèvement s'annulent. Car la prétention de se
suffire « avorte parce que, dans ce qu'on a voulu et fait jusqu'ici,
ce qui veut et ce qui agit demeure toujours supérieur à ce qui
est voulu et fait188(*) ». Et Paul Archambault d'ajouter :
« En vain, par une suprême démarche et une suprême
illusion, l'homme tente-t-il de réaliser au dehors cet infini qui lui
échappe au dedans, de s'offrir, sous la forme d'un symbole ou d'une
idole, son propre besoin d'achèvement, de se fabriquer un Dieu à
sa façon pour y enfermer enfin de quoi devenir suffisant.
Grossière ou raffinée, matérielle ou spirituelle,
naïvement idolâtrique ou parée de grands mots de la science
ou du sentiment, la superstition n'arrive pas à boucler l'ordre
maintenant étalé des phénomènes naturels et
humains. Aliquid superest. Dans tout ce que nous avons voulu et fait
jusqu'ici, il y a plus, en quelque sorte, que nous n'avons pu réussir
à vouloir et à faire »189(*).
Dans cette même optique, Blondel dénonce aussi,
le risque d'idolâtrie, y compris de l'idolâtrie du
métaphysicien qui s'imagine que « par ses conceptions et par
ses préceptes, par ses systèmes et par sa religion naturelle, il
va mettre la main sur l'Être transcendant, le conquérir et le
maîtriser en quelque sorte »190(*) : ce métaphysicien « n'est-il
point idolâtre à sa façon ? »191(*). Néanmoins cette
chute dans l'idolâtrie appelle quelque précision. Selon Bernard
Sève192(*),
« La clé de cette explication tient à une distinction
fondamentale dans la problématique blondélienne : la
distinction entre la volonté voulante et la volonté voulue.
l'homme est d'abord un être agissant, un être de volonté.
Mais aucune des réalisations concrètes de la volonté
humaine n'est capable de la satisfaire, aucune n'épuise son ampleur
initiale : « la volonté, traversant comme d'un bond
toutes les apparentes satisfactions qu'elle rencontre, se retrouve,
après, en face d'un vide plus insondable»193(*), mais cette volonté
déçue par ses actions c'est-à-dire par ses objectifs) ne
peut éprouver cette déception que parce qu'en fait elle voulait
autre chose et plus que ce qu'elle peut atteindre dans le monde des
phénomènes ; cette volonté voulue (volonté
explicite et consciente) était mue par une volonté plus profonde
et plus secrète, la volonté voulante : « quoi que
la volonté ait réussi à atteindre par ses seules forces,
l'action n'est point encore égalée au vouloir dont elle
procède ; la volonté ne s'est pas encore voulue tout
entière.»194(*) B. Sève souligne l'importance du concept
"égalée", car ce concept constitue indéniablement
le pivot de la dialectique de l'action.
Il s'ensuit donc que la volonté n'arrive jamais
à s'égaler elle-même, à se vouloir
intégralement elle-même : cette dénivellation ou
disproportion intime entre elle-même nourrit l'action et la
pensée, qui doivent creuser toujours plus loin pour arriver enfin
à une adéquation entre soi et soi. De la sorte, l'idole, c'est
l'interruption prématurée de cette dialectique :
« ce reliquat de force et de volonté qui semble ne savoir
à quoi s'en prendre, c'est une tentation naturelle de lui assigner un
objet, un objet qui, fini et insuffisant comme les autres, n'aurait point par
lui-même la capacité de recevoir l'hommage qu'on prétend
lui rendre, mais qui justement, à cause de cette petitesse, satisfait au
double besoin qu'a l'homme et de créer et de maîtriser son
dieu.[...] ; il le prend dans la série des choses pour le mettre hors de
la série195(*) ». Et B. Sève peut renchérir
en montrant que « la série ne peut être
épuisée, puisque la sérialité même des choses
exprime l'infinité de la volonté voulante ; arracher un objet
fini quelconque à la sérialité, le fétichiser,
c'est vouloir (chose impossible) renoncer à l'infinité de cette
volonté voulante, c'est vouloir se satisfaire de la volonté
voulue. Mais l'action volontaire est indestructible : il faut d'abord
reconnaître et même «avouer l'insuffisance de tout objet
offert à la volonté »196(*), et donc reconnaître «la
nécessité [et] le besoin d'autre chose, d'une chose au prix de
laquelle le phénomène ne semble plus que
néant»197(*). Pour égaler le sujet au sujet même,
pour « vouloir vouloir »198(*), il va falloir
affirmer l'unique nécessaire, Dieu199(*).»
En conséquence, l'analyse
phénoménologique, par un procédé qu'on peut
qualifier de métaphysique, conduit implicitement au désir d'un
au-delà qui se donne la tâche de mettre en forme l'affirmation
implicite de l'absolu. Une telle affirmation ne jaillit pas d'ailleurs, mais
surgit, bien entendu, du conflit entre l'insuffisance de l'ordre naturel et
l'épreuve d'un besoin ultérieur, entre la volonté
contredite et vaincue d'une part , et, la volonté affirmée et
maintenue d'autre part. C'est cela même qui constitue ce que Maurice
Blondel appelle l'expérience humaine à travers l'avortement de
l'action . Donc « Il est impossible de ne pas reconnaître
l'insuffisance de tout l'ordre naturel et de ne point éprouver un besoin
ultérieur ; il est impossible de trouver en soi de quoi contenter ce
besoin religieux. C'est nécessaire, et c'est impraticable. Voilà,
toutes brutes, les conclusions du déterminisme de l'action
humaine »200(*).
3.2. Fondement du rapport volonté-action : les
trois moments de l'action
Il est indéniable que l'analyse
phénoménologique des instances ou des sphères
socio-organiques (espace et temps) dans lesquelles la volonté semble ne
pas s'achever et s'accomplir doit amener à explorer concrètement
son articulation dans le cadre d'une dialectique de l'action. Ce que d'ailleurs
fait l'auteur au début de la quatrième partie avant
d'évouquer précisément la question de l'Unique
Nécessaire. Car cette sorte d'impasse, aussi négative soit-elle,
prépare en quelque sorte le terreau, cette fois-ci positif, à
partir duquel il bâtira son raisonnement mieux la logique de la
démonstration de ce à quoi tend effectivement tout vouloir
humain. Il devient alors symptomatique de constater que les concepts
"clés" qui ouvrent le vocabulaire de la quatrième partie sont ,
à n'en point doute ceux de : avortement ,
indestructibilité, transcendance.
Ils ne sont donc pas seulement des concepts ou des
mots-clés, mais en réalité des moments ou des
étapes qui partent d'une expérience d'un apparent échec
à l'ouverture d'une réalisation complète. L'apparent
avortement de l'action prépare le terrain, l'indestructibilité
renforce son caractère inévitable (il faut nécessairement
poser le problème) et la transcendance récapitule et transforme
l'échec en un dénouement favorable.
D'où pour R. Vigourlay : « Le premier
moment présente l'aspect négatif dont il convient de
préciser deux traits : il s'agit d'un avortement
« apparent » et il est celui de « l'action
voulue». L'échec de celle-ci provient d'abord des obstacles qu'elle
rencontre et dont les plus graves ne sont pas ceux du dehors mais ceux du
dedans [...].
Le deuxième moment s'oppose dialectiquement au premier,
sans risque de contradiction car il s'agit ici de l'action volontaire alors que
l'avortement est celui de l'action voulue. Or cet avortement n'est qu'apparent.
Il est contredit par tout le pouvoir de la volonté
déployée jusque-là dans la dialectique
antécédente, notamment dans l'organisation des
phénomènes par la science et de la vie par l'action morale. Il
est contredit surtout par «l'indestructibilité de l'action
volontaire», par l'exigence persistante de la volonté voulante qui
a toujours du mouvement pour aller plus loin.
« L'immense ordre des phénomènes
où se répand la vie de l'homme semble épuisé et le
vouloir humain ne l'est pas. La prétention qu'il a de se suffire avorte,
mais non par pénurie ; elle avorte, parce que, dans ce qu'on a voulu et
fait jusqu'ici, ce qui veut et ce qui agit demeure toujours supérieur
à ce qu est voulu et fait »201(*).
[...] Le troisième moment est celui de
« l'inévitable transcendance de l'action humaine ».
Nous dépassons ici l'apparente contradiction de l'avortement et de
indestructibilité, du voulu et du volontaire, dans la synthèse
intégrale de l'action humaine. Arrivé à ce stade, l'homme
se trouve pris dans un ensemble d'impossibilités. Impossibilité
de reculer, car le mouvement est irréversible, l'action volontaire est
« indestructible ». Impossible de s'arrêter, car
l'avortement n'est qu'apparent et le vouloir ne s'égale pas encore.
Impossibilité d'avancer, car l'adéquation parfaite est
irréalisable par l'homme seul, comme en témoigne l'échec,
l'avortement qui viennent d'être analysés. C'est alors que se
présente la seule issue envisageable, après que toutes les autres
aient été fermées. Cette issue se trouve dans
l'idée de « l'Unique Nécessaire» [...]202(*) ». Examinons
à présent l'articulation ou l'ancrage de chaque moment.
3.2.1. L'apparent avortement de l'action volontaire
Pour comprendre le caractère parfois ambigu ou obscur
de certaines expressions de l'auteur, il ne faut pas perdre de vue le contenu
qu'il donne à chaque concept, et que cela se situe dans une construction
dialectique qu'il s'est imposé. Ce qui revient à dire qu'il faut
toujours se situer dans la dynamique des deux fameuses volontés à
l'oeuvre dans la structure de l'expérience humaine à savoir une
volonté voulante (spirituelle et interne) à une volonté
voulue (extérieure et de surface). Blondel précise d'ailleurs les
termes de cette opposition fondamentale lorsqu'il écrit :
« Dans ce qui est volontaire, y a-t-il donc quelque chose qui peut
n'être point voulu ; dans ce qui est voulu, quelque chose qui peut
n'être point volontaire ? -Oui ; et c'est cette contradiction qui est la
mort de l'action».203(*)
Blondel, en effet, passe en revue (au début de la
troisième partie) toutes les contradictions204(*) que la volonté voulue
affronte de façon permanente montrant par là qu'il est pleinement
conscient des difficultés inhérentes à la condition
humaine. Que révèle l'examen final de l'action dans le monde des
phénomènes ? Il révèle qu'en dépit de toutes
ses réussites partielles, il y a toujours une nécessité
radicale qui précède, enveloppe et dépasse l'initiative
personnelle : au départ, la volonté ne s'est pas voulue ;
dans ce qu'elle veut, elle découvre des conséquences qui lui
échappent. C'est ce qui marque son impuissance.
Ainsi, pour Blondel, l'action humaine est toujours en bute
à cette primitive contradiction qui gouverne en quelque sorte notre
volonté. Et le scandale de cette disproportion vient justement de la
prétention qu'a l'homme de vouloir se suffire à lui-même
alors que des forces et des obstacles extérieurs s'opposent à sa
volonté. Il est en quelque sorte pris dans ce déterminisme
naturel qu'il ne peut ni prévoir, ni éviter, ni contourner.
Blondel souligne le caractère inéluctable de ce conflit
inhérent à l'être en ces termes :
« Supposez que l'homme fasse tout selon ce qu'il
veut, obtienne ce qu'il convoite, anime l'univers à son gré,
organise et produise comme il le souhaite l'ordonnance totale des conditions
où il appuie sa vie : il reste que cette volonté même,
il ne l'a pas posée ni déterminée telle qu'elle est. Et
même s'il ne trouve pas, dans l'emploi qu'il en fait, rien qui la
contrarie, il découvre pourtant, en son fond, cette primitive
contradiction : il veut ; mais il n'a pas voulu
vouloir ».205(*)
Cette observation souligne qu'il y a toujours une contrainte
initiale qui pèse sur la volonté et qui n'a toujours pas
été levée. Par ailleurs, il est clair qu'au cours de son
déroulement, l'action rencontre sans cesse des déceptions :
« mis dans l'action, l'univers ne la comble pas ; s'approcher du but,
c'est s'éloigner du désir[...] Mais il n'est pas
nécessaire d'épuiser le monde pour sentir qu'on ne s'y
désaltère pas. Une amertume plus forte [...] nous instruit des
contradictions injurieuses où nous sommes exposés : cette
leçon, c'est la souffrance »206(*). Et ce n'est pas seulement du dehors, c'est surtout
du dedans que nous viennent les démentis qui nous blessent, comme les
passions qui semblent dévorer le meilleur de nous-mêmes :
«Subir ce qu'on ne veut pas, ne pas faire tout ce qu'on veut, faire ce
qu'on ne veut pas et finir par le vouloir, jamais on échappe
entièrement à cette fatalité humiliante et
douloureuse »207(*). Dès lors, nous tolérons, par exemple,
la souffrance par ce que nous escomptons toujours un bien futur. Mais notre
attente à cet égard ne peut être que déçue,
car dans les actes que nous avons posés, les défaillances
survivent et elles vont même en s'aggravant, en sorte que nous n'arrivons
plus à en maîtriser les conséquences. Et « le
pire n'est pas peut être de ne pas changer nos actes, c'est que nos actes
nous changent, au point que nous ne pouvons plus nous changer nous
mêmes»208(*).
Bref, l'impuissance de notre action nousapparaît totale :
« avant, pendant, après nos actes, il y a dépendance,
contrainte, défaillance»209(*).
De le dire plus clairement : « nous voudrions
nous suffire : nous ne pouvons pas. Contre le déterminisme de
l'action voulue parait se dresser, plus fort et plus évident encore, un
déterminisme opposé »210(*). Et ceci semble annuler les efforts humains à
vouloir dépasser ces vouloirs contraires ou mieux à les orienter
ou à les canaliser autrement. S'élève alors alors un aveu
d'impuissance : « l'homme aspire à être pleinement
ce qu'il veut, mais il ne le peut absolument pas l'être malgré
lui211(*) ».
C'est autant dire que l'auteur observe que la volonté humaine ne semble
pas s'être voulue elle-même, car dans ce qu'elle veut, elle
rencontre perpétuellement d'invincibles obstacles ; dans ce qu'elle fait
se glissent toujours et déjà d'incurables faiblesses dont elle ne
peut réparer les suites. De plus l'homme se trouve incapable de
remédier aux suites de l'action défaillante, d'annuler le mal
dont il est l'auteur, de refaire ce qu'il a été capable de
défaire. Fondamentalement donc, la volonté se heurte à son
propre principe, à ce déterminisme antérieur et plus
profond qui le précède, enveloppe et dépasse notre
initiative personnelle. L'homme veut mais il n'a pas voulu vouloir. Pour R.
Vigourlay, « la faiblesse de la volonté est donc l'expression
d'une foncière impuissance, non seulement par rapport à
ce qu'elle prend pour objet, mais par rapport à elle-même.
l'obstacle fondamentale tient à sa nature, à l'excès
inépuisable du voulant sur le voulu, à l'impossibilité de
se vouloir complètement. »212(*)
En conséquence, l'apparent avortement n'est que celui
de l'action volontaire alors que l'avortement est celui de l'action voulue.
Donc si les termes extérieurs du vouloir s'épuisent dans les
obstacles et les contradictions, les échecs (souffrance, malheur, mort),
il reste que de toute son existence, demeure cette volonté voulante qui
pousse à vouloir toujours tant qu'elle n'a pas trouvé en un
Être complet sa raison d'être et de se suffire. Car l'action qui a
commencé à s'accomplir dans le monde des
phénomènes, ne peut renier son premier mouvement de
réalisation mais qu'elle est obligée, par fidélité
à elle-même à le poursuivre. D'où l'examen de cette
section portant sur : «La volonté affirmée et
maintenue. Indestructibilité de l'action volontaire»213(*).
3.2.2. L'Indestructibilité de l'action
volontaire
Ce second moment de l'expansion de l'action volontaire part du
fait qu'il y a impossibilité de ne point poser le problème de
l'action, qu'il y a impossibilité de trouver refuge dans un
néant, qu'il y a impossibilité de se contenter de tout ce
qu'embrasse l'ordre immense des phénomènes, qu'il y a
impossibilité de ne pas reconnaître l'insuffisance de l'ordre
naturel, de ne point éprouver un besoin ultérieur, et
impossibilité de ne pas trouver en soi et par soi de quoi contenter ce
besoin. Cette quête donne l'impression d'un échec de l'action.
l'action humaine avorte. Et elle avorte dans la dépendance, la
souffrance, l'impuissance et la mort. Tous ces éléments
cités sont des faits. C'est un fait que nous sommes conscients des
déficiences de la vie actuelle, et c'est un fait que nous connaissons le
caractère inéluctable de la mort. Mais, pour Blondel, ces faits
ne résultent pas d'une constatation empirique : ils ne surgissent
à la conscience que parce que celle-ci est traversée par
l'exigence d'une vie meilleure. Ainsi : « avouer l'insuffisance
de tout objet offert à la volonté, sentir l'infirmité de
la condition humaine, connaître la mort, c'est trahir une
prétention supérieure214(*) ». Et quelle peut être cette
prétention supérieure, sinon une prétention à
l'immortalité ? « On ne comprend le fait de mourir que parce
qu'on possède la certitude implicite de survivre215(*) » souligne encore
Blondel. Et donc «L'attachement à la vie est, malgré un
caractère de nécessité apparente, l'effet d'une
foncière adhésion de la volonté à sa propre
nature. »216(*)
Dans ce même ordre d'idées, nous pouvons insinuer
que l'indestructibilité de l'action volontaire signifie donc
l'indestructible attachement de la vie à la vie. Elle est l'effet d'une
foncière adhésion de la volonté à sa propre nature
(sic). Par cet inéluctable attachement à la vie, la mort, la
souffrance, la douleur et l'échec apparaissent comme autant de
sentiments constatés a posteriori dans l'action humaine. Ces
faits apparaissent, néanmoins, par contraste, c'est-à-dire
«comme la négation de ce qu'on voulait ou comme l'affirmation de ce
qu'on ne voulait pas »217(*).
C'est pourquoi, on peut observer que ce conflit et cette
limite par rapport à l'obstacle extérieur ne font que traduire et
signifier la faille interne qui sépare les deux plans de la
volonté, l'impuissance de la volonté voulue (en ce que le non
voulu du malheur s'impose à elle) et l'exigence irrépressible de
la volonté voulante qui risque ainsi d'apparaitre comme une
nécessité, une contrainte tyrannique impossible à
satisfaire. Or, c'est cette exigence de la volonté voulante qui donne
toute leur dimension négative aux expérience du mal, de la
souffrance et de la mort, leur faisant dépasser le plan de la pure
facticité. C'est la complexité même de la volonté
qui est à l'oeuvre ici : D'une part, elle apparaît comme une
énergie affirmative dont la présence constitue une sorte
d'argument ontologique non dialectique mais réel. « Qui pose
le problème de l'être et de l'immortalité en a
déjà en soi la solution, par la vertu cachée d'une sorte
d'argument ontologique, mais d'un argument qui ne se fonde pas sur une
dialectique des idées, d'un argument qui développe simplement
l'énergie réelle et actuelle du vouloir humain. Ce n'est donc pas
l'immortalité, c'est la mort même qui est contre nature et dont la
notion a besoin d'être expliquée »218(*). D'autre part, la
présence de cette affirmation fondamentale exprime une
nécessité qui s'impose avec autant de netteté que la
volonté voulue semble inopérante, qu'elle est tenue en
échec . Les contradictions en apparence les plus répugnantes
à la volonté ne servent qu'à mettre en lumière son
invincible attachement à elle-même. Ces expériences non
voulues permettent finalement de dégager la volonté voulante dans
son caractère positif. La volonté profonde est ce qui subsiste en
présence de ce qui n'est pas voulu et qui le fait éprouver comme
négatif. Ainsi, le mal, la souffrance et la mort ne sont pas de faits
simples. Ce sont des négations, des contradictions qui ne peuvent
être expérimentées comme telles que par la présence
du positif à quoi elles s'opposent.
Ceci arrive par le fait que la volonté ne se contente
pas dans un monde fini, elle cherche ailleurs pour trouver sa nature dans ce
qu'elle a toujours voulu : l'infini. Toujours exigeante en effet, elle
dépasse les limites du temps pour s'installer dans ce qu'elle n'est
plus. C'est donc ce continuel regain d'énergie qui nous prouve le besoin
d'aller plus loin puisqu'elle n'épanche jamais toute la vie
intérieure dans l'objet fini du monde. Voilà pour quoi, par une
sorte d'argumentation ontologique qui ne se fonde pas sur une dialectique des
idées, mais développe tout simplement l'énergie
réelle et actuelle de notre vouloir qui demeure indestructible, Blondel
découvre la voie de la résolution de ce conflit :
« Les satisfactions apparentes ou provisoires le dévoilent ;
dans ce qu'on veut comme dans ce qu'on ne veut pas, il y a quelque chose qu'on
veut par dessus tout. Il se trouve donc, dans l'action voulue, un contenu
réel dont la réflexion n'a pas encore égalé
l'ampleur [...] Là donc où l'on dit : néant du
phénomène, insuffisance du phénomène, avortement et
insignifiance de l'action humaine, il faut traduire :
nécessité et besoin d'autre chose, d'une chose au prix
de laquelle le phénomène ne semble plus que
néant. » 219(*)
De plus, c'est donc de ce conflit qui s'élève en
toute conscience humaine que jaillit vraisemblablement l'aveu de l'unique
nécessaire. Sans doute, cet aveu ne revêt pas encore et toujours
la forme explicite d'une affirmation de l'existence de Dieu. Mais la
connaissance intellectuelle n'est pas la seule voie, la seule forme sous
laquelle Dieu puisse révéler sa présence à la
conscience : « Sans en connaître le nom et la nature, on
peut deviner son approche et comme éprouver son contact, tout ainsi que
dans le silence et la nuit l'on entend les pas, l'on touche la main d'un ami
qu'on ne reconnait pas encore. »220(*)
Dès lors, même contredite et vaincue dans les
faits, la volonté humaine toutefois demeure et n'avoue même pas sa
défaite. Car tous ces biens dont nous croyons un moment pouvoir nous
satisfaire, la dialectique de l'action n'établit pas seulement que nous
les désirons et les voulons en fait ; nous ne pouvons pas ne pas les
désirer et les vouloir, par un engrenage inévitable à
notre liberté même. En conséquence, toutes ces
déceptions dont souffrirait l'homme, ne viendraient pas de la lassitude,
mais de l'insatiabilité. l'aliment manque, l'appétit subsiste.
Nous sommes faits pour autre chose. Il y a un sentiment de surabondance sous le
sentiment de notre indigence221(*).
Enfin de compte, la prise de conscience de notre impuissance
actuelle, loin de nous arrêter, nous met dès lors devant une
dimension nouvelle de notre volonté voulante : il y a quelque chose
à vouloir que nous n'avons pas encore voulu jusqu'à
présent. Et pour sortir du dilemme et retrouver le vrai fond de notre
vouloir, Blondel en appelle à une option, à une alternative.
Chaque homme doit reconnaître dans son action ce qui s'y trouve
déjà. Ainsi le conflit se résout donc en une alternative
qui, en face des termes contradictoires du dilemme, exige une option
suprême et permet seule à la volonté de se vouloir
librement elle-même telle qu'elle le souhaite être à jamais.
C'est cette exigence d'une option suprême qui conduit à
l'affirmation de l'Unique nécessaire . Et c''est donc l'objet de cette
dernière section : l'analyse phénoménologique de
l'Unique nécessaire222(*).
3.3. De la volonté à l'Unique
Nécessaire : la transcendance de l'action
3.3.1. État de la question
C'est d'un point de vue phénoménologique que la
problématique de l'unique nécessaire est abordée au
troisième moment de cette quatrième partie de l'Action
en posant bien ce que l'auteur nomme précisément
«l'inévitable transcendance de l'action humaine».
Pourtant, il convient de bien situer la démarche qui permet
à Blondel d'en arriver là, et surtout l'ancrage de la
volonté dans son articulation avec cette idée de l'Unique
nécessaire. En effet, la philosophie blondélienne est une
philosophie dialectique. Blondel s'emploie à explorer la dialectique de
la vie afin de dégager une logique propre de l'action qui permet
d'interpréter la volonté . De là donc surgit le
déterminisme inflexible qui nait de l'acte de vouloir à partir
des multiples implications pour arriver à l'idée de cet Absolu.
Et pour Blondel, les différents termes du dilemme, les
différentes étapes de la dialectique de l'action suffiraient
à elles seules pour arriver à démonter la valeur
philosophique de l'Unique nécessaire ou de l' idée de Dieu.
En effet, pour traiter de l' idée de Dieu, Blondel sent
la nécessité de revisiter tout le discours relatif à la
critique du pessimisme de Schopenhauer. L'auteur prend tout d'abord acte des
contradictions qui affectent la volonté dans l' ordre des
phénomènes : le sujet découvre qu' il ne maîtrise
son action ni dans son principe, ni dans son déroulement, ni dans ses
conséquences. L' auteur remarque ensuite, qu' en dépit de ses
échecs actuels, le sujet ne peut supprimer sa volonté d'
être ni considérer comme irréalisables. Il y a donc un
conflit radical qui surgit au sein même de la volonté : « de
moi à moi, il y a un abîme que rien n' a pu
combler»223(*).C'est dans ce contexte qu' une nouvelle
hypothèse se fait jour. Car si les phénomènes ne
permettent pas au sujet de se rejoindre lui-même, il est
inévitable que celui-ci conçoive un être qui soit pour lui
l'Unique nécessaire. Aussi, dans l' examen qui suit, il s'agit
uniquement d' examiner comment s'engendre l' idée de Dieu, sans conclure
prématurément que Dieu existe. Ce sera le rôle du
renouvellement des preuves ou arguments sur Dieu.
3.3.2. L'Unique Nécessaire
Les analyses liées à l'insuffisance de l'ordre
naturel et à l'inévitable découverte d'un besoin
supérieur montrent bien que tout le mouvement du déterminisme
nous porte à l'affirmation de l'Unique Nécessaire. En effet, par
une sorte d'analyse phénoménologique de l'action, Blondel en pose
le point de départ :
«Dans mon action, il y a quelque chose que je n'ai pu
encore comprendre et égaler ; quelque chose qui l'empêche de
retomber au néant, et qui n'est quelque chose qu'en étant rien de
ce que j'ai voulu jusqu'ici. Ce que j'ai volontairement posé ne peut
donc ni se supprimer ni se maintenir ; c'est ce conflit qui explique la
présence forcée dans la conscience d'une affirmation nouvelle ;
et c'est la réalité de cette présence nécessaire
qui rend possible en nous la conscience même de ce conflit. Il y a un
unique nécessaire. Tout le mouvement du déterminisme nous porte
à ce terme : car c'est de lui que part ce déterminisme
même, dont tout le sens est de nous ramener à lui224(*).»
Dès lors, l'affirmation de l'Unique Nécessaire
s'appuie donc sur l'action entendue comme : « ce lien
substantiel qui constitue l'unité concrète de chaque être
en assurant sa communion avec tous [...] le lieu géométrique
où se rencontrent le naturel, l'humain et le divin »225(*). Mais s'il est entendu que
l'affirmation de l'unique nécessaire s'appuie sur l'action, il n'en
demeure pas moins que pour démontrer l'existence de cet être
transcendant et absolu dans lequel s'évanouit et s'achève
définitivement notre volonté, il faut faire recours à un
certain nombre de preuves qui justifient ou prouvent la réalité
même de cet Absolu. Mais plutôt que de preuves, c'est une
expérience, une nécessité que la conscience rencontre dans
l'action . Cette nécessité tient sa force et sa
légitimité du seul fait qu'il est impossible de s'arrêter,
de reculer, d'avancer seul. C'est la voie où il est impossible de ne pas
passer. »226(*) En réalité, pour Blondel, la
volonté qui n'a plus d'objet fini à vouloir, ne peut plus
vouloir, néanmoins elle n'arrête pas son élan. De la sorte,
l'inventaire complet de tout ce qui peut être voulu relève de
l'adéquation du volontaire et du voulu. Et sur ce, la volonté
voulante est elle-même conduite à se retourner sur
elle-même, à vouloir non plus l'objet, mais l'acte ou l'être
même de la volonté. Ainsi, parvenue à ce stade, la
volonté dépasse l'ordre de la nature et la métaphysique
lui sert de médiation puisqu'elle seule ne peut combler l'abime qu'elle
creuse entre la nature et la morale. Ainsi la pensée
s'élève à concevoir ces vérités
régulatrices pour l'action comme une nécessité qui n'est
pas de même nature que les prémisses. Car « la
pensée de l'idée de Dieu en nous dépend doublement de
notre action. D'une part, c'est parce qu'en agissant nous trouvons une infinie
disproportion en nous-mêmes, que nous sommes contraints à chercher
l'équation de notre propre action à l'infini. D'autre part, c'est
parce qu'en affirmant l'absolue perfection nous ne réussissons jamais
à égaler notre propre affirmation, que nous sommes contraints
à en chercher le complément et le commentaire dans
l'action. »227(*)
Pour cette raison, R Virgoulay peut affirmer que
« l'idée de Dieu apparaît donc mais ne s'impose pas
encore ; elle n'est point nécessaire tant qu'on n'a pas cherché
par tous les moyens à en faire l'économie. » 228(*)Car celle-ci se trouve dans
le surcroit qui résulte de l'action, dans le dynamisme
inépuisable de la volonté voulante. C'est donc de là qu'il
faut partir pour comprendre et assumer l'usage que Blondel fait de
l'argumentation classique relative à l'existence de Dieu par un
procédé dialectique. Mais lorsque nous parlons ici d'une
dialectique de l'idée de Dieu, il ne s'agit aucunement d'une
argumentation toute abstraite. Certes, se trouve toujours maintenu le point de
vu de la logique, mais l'enjeu n'est pas de pure spéculation ; Car Dieu
ne relève pas seulement d'une exigence théorique mais pour
Blondel, il relève bien du mouvement total de la volonté. Ainsi,
s'il est plus qu'une idée nécessaire de l'entendement, c'est
qu'il est un postulat de l'action : « Penser à Dieu est
une action, mais nous n'agissons pas sans coopérer avec lui et sans le
faire collaborer avec nous, par une sorte de théergie nécessaire
qui réintègre dans l'opération humaine la part divine,
afin de mettre l'action volontaire en équation dans la
conscience. »229(*)
Plus fondamentalement encore, Blondel est clair en montrant
que l'idée de Dieu (nous précisons bien qu'il s'agit de
l'idée de Dieu et non d'une affirmation même de Dieu),
quand il l'a rencontrée, il ne l'a considérée que sous un
aspect tout pratique :
«En montrant que cette conception, inévitablement
engendrée dans la conscience, nous force à affirmer au moins
implicitement la vivante réalité de cette infinie perfection, il
ne s'est nullement agi d'en conclure l'être de Dieu ; il s'est agi de
constater que cette idée nécessaire du Dieu réel nous
mène à la suprême alternative d'où il
dépendra que Dieu soit réellement ou ne soit pas pour
nous.»230(*)
C'est dans ce sens que dans des pages assez brillantes et au
raisonnement serré, Blondel, modifiant en cela la disposition
kantienne231(*), va
réinterpréter les preuves classiques de Dieu et les retraduire
dans le langage de l'action :
«Aussi est-il légitime ici, et ici seulement,
d'identifier l'idée à l'être, parce que sous cette
identité abstraite nous plaçons d'abord celle de la pensée
et de l'action. Il ne faut donc pas dire seulement que nous allons de
l'idée à l'être ; il faut dire que nous trouvons d'abord
l'idée dans l'être et l'être dans l'action. Nous
découvrons en nous la perfection réelle, et nous passons à
la perfection idéale. Nous allons, si l'on peut dire, de nous en elle,
afin d'aller d'elle en elle. Sans doute la preuve ontologique n'a jamais, pour
nous, toute la valeur qu'elle a en soi ; car elle n'est absolue que là
où il y'a l'idée parfaite de la perfection même, là
où l'essence est réelle et l'existence idéale. Il est donc
vrai que pour atteindre «l'unique nécessaire», nous ne le
saisissons pas lui-même en lui-même où nous ne sommes ; mais
nous partons de lui en nous où il est, afin de mieux voir qu'il est en
comprenant un peu ce qu'il est. Nous sommes en train de l'affirmer dans la
mesure où nous en avons l'idée : car cette idée
même est une réalité232(*).»
De ce point de vue, cette citation peut être comprise
comme le fait que Blondel n'affirme pas exactement la preuve de l'existence de
Dieu. Mais l'idée de Dieu est plutôt posée en terme
d'hypothèse ou de postulat à la conscience. Ce qui fait dire
à B. Sève233(*) qu'«on ne se méprenne pas sur le "nous
sommes contraints" final : Blondel veut dire que la logique de l'action
doit nous amener à opter pour Dieu ; mais cette option reste libre,
c'est-à-dire qu'elle est bien une option et non la conclusion
nécessaire d'un système de prémisses. Cette option prend
la forme d'une alternative : ou bien être sans Dieu,
vouloir se suffire ; ou bien être dieu par Dieu et avec Dieu ou
bien «vouloir infiniment»234(*), ou bien «vouloir l'infini235(*) . »
Ainsi l'idée de Dieu selon Blondel suppose, pour
être saisie et même pour être produite, la dialectique
réelle de l'action agissante. Le lien entre idée (ou
pensée) de Dieu et action est double : d'un coté, cette
idée ne se trouve que dans l'expérience de la disproportion
intime entre le voulant et le voulu ; de l'autre, c'est parce qu'en affirmant
l'absolue perfection nous ne réussissons jamais à égaler
notre propre affirmation, que nous sommes contraints à en chercher le
«complément et le commentaire dans l'action»236(*). À ce stade,
l'affirmation de Dieu semble donc être provoquée par notre
incapacité à nous égaler à nous-mêmes ; mais
à cette affirmation non plus nous n'arrivons pas à nous
égaler : c'est l'action qui va permettre de compléter le
sens vrai et plein. Car l'affirmation de Dieu est provoquée par l'action
et reconduit à l'action. De sorte que « dans l'action
volontaire, il s'opère un secret hymen de la volonté humaine et
de la volonté divine [...] L'action est une synthèse de l'homme
et de Dieu »237(*). Blondel parle même d'action
théandrique, où volonté humaine et volonté divine
sont coextensives. Ainsi, l'affirmation blondélienne de Dieu est-elle
une affirmation indissolublement logique et pratique, remontant dialectiquement
des exigences de la vie à l'Unique Nécessaire qu'elle appelait
à son terme parce qu'elle le contenait dans son principe :
«Ainsi se révèle peu à peu
l'ambition intégrale de la volonté qui se cherchait
elle-même sans se connaître d'abord tout entière. C'est ne
prétendant s'égaler effectivement sa propre puissance qu'elle
cesse de trouver sa suffisance en elle seule. Nous voulions, semble-t-il, tout
faire de nous-mêmes ; et voici que, par ce dessein, nous sommes
amenés à reconnaître que nous ne faisons rien, et que Dieu
seul, agissant en nous, nous donne d'être et de faire ce que nous
voulons. Quand donc nous voulons pleinement, c'est lui, c'est sa
volonté que nous voulons. Nous demandons qu'il soit, qu'il soutienne,
achève, reprenne en sous oeuvre toutes nos opérations ; nous ne
sommes à nous que pour nous réclamer de lui et nous rendre
à lui ; notre vraie volonté, c'est de n'en avoir point d'autre
que la sienne ; et le triomphe de notre indépendance est dans notre
soumission238(*) ».
La citation peut prêter à équivoque, mais
en réalité, elle traduit à juste titre la conviction pour
Blondel de rester philosophe et de poser philosophiquement le problème
de l'unique nécessaire en des termes philosophiques. Pour cela donc,
nous avons à en suivre l'éclairage dans l'articulation des trois
preuves de l'existence de Dieu : la preuve cosmologique en tant
qu'elle reflète tout ce qui a été voulu et dont la
volonté a éprouvé l'insuffisance ; la preuve
téléologique c'est-à-dire de l'acte même de
la volonté qui se réfléchit ; enfin la preuve
ontologique où il sera perçue l'équation de la
pensée et de l'action dans l'être239(*). Néanmoins,
quand bien même, ils seraient nommés preuves, cela ne doit pas
s'entendre au sens logique d'une démonstration qui viserait une
satisfaction de l'esprit ; mais plutôt comme des voies, mieux des
approches susceptibles de favoriser la saisie et la compréhension des
étapes qui participent de l'achèvement de la logique de l'action
à travers l'action volontaire. De plus, tellement liés que
Blondel240(*) ne les
considèrera jamais comme trois arguments différents, mais
plutôt comme des voies qu'on pourrait prendre indifféremment pour
arriver au même but : « ils ne sont qu'une seule voie
semblable à une avenue qui changerait de nom en traversant les
localités différentes»241(*).
3.3.2.1. L'argument cosmologique
Ce qui sert de base ou de fondement à l'argument
cosmologique est, à n'en point douter, tout ce qui existe dans l'ordre
des phénomènes , c'est-à-dire les choses visibles, les
sciences humaines, les phénomènes de la conscience, les arts et
les oeuvres, la religion etc. Or tout ceci est apparu à la
volonté sous le mode , d'une part de «ce qui parait n'être
pas» (c'est-à-dire le vide de sa propre déception), et
d'autre part de «ce qui parait être» (c'est-à-dire le
chemin parcouru). L'expansion de la volonté en a fait
l'expérience de leur insuffisance. La volonté a fait
l'expérience de la plénitude du néant , mais aussi de la
nécessité de l'être qui se dissimule en eux. Le point de
départ semble donc être un résultat négatif :
de tout ce qui a été fait et pensé, l'insuffisance a
été éprouvée. Or, « sous ces voiles se
cache un hommage à l'être ; c'est le néant forcément
qui le confesse242(*) ». Qu'est-ce à dire ?
«En réalité, écrit Blondel, en se
déployant dans l'univers, la volonté prend clairement conscience
d'elle-même et de ses exigences : la nature, la science, la
conscience, la vie sociale, le domaine métaphysique,le monde moral,
n'ont été pour elle qu'une série de moyens : elle ne
peut y renoncer ni s'en contenter ; elle s'en sert donc comme de tremplin pour
prendre son élan»243(*). Pour C. Dhotel : « Deux points
importants sont à remarquer dans ce texte : d'abord, c'est l'ordre
entier des phénomènes qui sert de base à l'argument ,
c'est-à-dire tout ce qui existe dans le monde fini, dans l'ordre
même où la volonté en a fait la découverte ; le
premier pas de l'argumentation est bien donc une récollection de
l'expérience de l'expérience totale. D'autre part, l'argument ne
s'appuie pas seulement dans sur le fait de la contingence des êtres
reconnue objectivement, mais avant tout sur une contingence
éprouvée comme besoin et insatisfaction par la volonté
elle-même [...] Ainsi considéré, l'argument de la
contingence n'est autre que la traduction dialectique de l'inadéquation
du volontaire et du voulu »244(*). Ceci dit, l'argument cosmologique ne cherche pas le
nécessaire hors du contingent, il le trouve dans le contingent
même, comme une réalité déjà présente.
Mais dans le cadre de ce raisonnement, même si l'élan du vouloir
tend à quelque chose, il semble que l'unique nécessaire n'est pas
encore nommé. Il est pressenti en ce sens qu'il ne peut partir des
phénomènes, mais de nous, c'est-à -dire de notre
conscience.
Autrement dit, si la volonté continue de vouloir
après avoir obtenu ce qu'elle voulait d'abord dans les
phénomènes ; si ces phénomènes lui sont
nécessaires sans être pour elle suffisants, c'est qu'il y a pour
soutenir dans l'être ces phénomènes, c'est-à-dire
pour les faire participer, mais seulement participer, à sa
nécessité absolue, quelque chose «qui n'est ni le
néant ni le phénomène»245(*). Ainsi donc l'argument
cosmologique ne permet pas encore de nommer ce quelque chose, car pour
le nommer il faut l'avoir trouvé et d'abord le rejoindre.
Néanmoins, l'argument cosmologique n'est donc pas à proprement
parler une preuve, car il n'établit rien. Il ne fait qu'indiquer le sens
de la marche : celui qui va vers le centre de l'âme. Puisqu'en effet
il n'y a plus rien à trouver en extension dans l'ordre des
phénomènes et puisque d'autre part, l'unique nécessaire
n'est encore que pressenti, c'est donc de nous-même qu'il faut partir.
Dans ces conditions, l'argument cosmologique amène ou conduit
inexorablement à l'argument téléologique.
3.3.2.2. L'argument téléologique
Après le premier argument qui reposait sur le monde des
phénomènes, Blondel nous conduit à l'argument
téléologique. Il représente comme pour ainsi dire le
moment de la réflexion de l'action sur elle-même. Le moment
où on l' on prend nécessairement conscience des limites de
l'esprit humain par la perception de la disproportion continuelle de l'action
et de la pensée. Donc c'est autant dire que celui-ci porte sur
l'expérience : « Il ne suffit donc pas d'établir, par
un syllogisme, l'harmonie des moyens, la grandeur des fins, et la
nécessité d'une cause sage et intelligente pour ordonner
l'univers et la pensée»246(*). En fait, dans L'Action il s'agit
principalement d'exploiter le rapport et la disproportion qui existent entre le
réel et l'idéal . Il s'agit précisément de
s'appuyer sur l'expérience en tant qu'elle recèle à la
fois le monde des phénomènes et l'histoire subjective de sa
découverte : « Que l'on comprenne bien l'étendue
de cette épreuve. Elle rassemble tout ce que nous avons trouvé
hors de nous ou en nous-même d'intelligibilité et d'intelligence,
de mouvement et de force, de vérité et de
pensée »247(*). C'est autant dire que cette preuve porte sur
l'examen de la totalité du monde extérieur, mais en tant qu'elle
est intériorisée dans l'expérience totalisante de la
pensée et de l'action. Plus le dire autrement, Blondel
écrit :
La force de cette preuve, c'est de prendre son point d'appui
dans notre expérience la plus intime. Ce n'est pas en faisant la somme
de nos petites qualités, ce n'est pas en extrayant des choses la
beauté et la puissance qu'elles manifestent, ce n'est ni par abstraction
ni par contraste, que nous découvrons l'unique nécessaire, comme
s'il était un idéal extérieur à nous et sans racine
dans notre vie. Loin d'être une projection et comme un prolongement
fictif de ma pensée et de mon activité, il est au centre de ce
que je pense et de ce que je fais ; je l'environne ; et pour passer de la
pensée à l'action ou de l'action à la pensée, pour
aller de moi à moi, je le traverse sans cesse [...] Et quoi que je
trouve en moi cette présence et cette action, je ne puis dire qu'elles
soient. Cet unique nécessaire n'a de raison d'être que parce que
nous ne nous égalons pas nous-mêmes. Pour donner l'équation
de notre action volontaire, il faut regarder en nous jusqu'où cesse ce
qui est de nous [...]. Il y a au fond de ma conscience un moi qui n'est plus
moi.248(*)
Nous observons donc que loin d'être un idéal
fictif que l'homme projette toujours en avant de lui-même et auquel il
s'aliène, l'unique nécessaire est essentiellement le principe
constitutif qui fonde la condition humaine dans ce qu'elle a de
nécessaire. Ainsi, à la différence de l'argument
cosmologique qui mettait en relief la contingence, la nécessité
relative des phénomènes afin de ressortir la
nécessité absolue, la preuve téléologique
détermine cette nécessité en montrant qu'elle ne peut pas
relever seulement des phénomènes , mais qu'elle englobe la
totalité de l'existence et de l'expansion de la volonté.
L'argument téléologique détermine donc, sur ce plan, cette
nécessité en montrant qu'elle ne peut pas relever des
phénomènes, moins encore davantage de nous bien que nous le
découvrons en nous. une telle nécessité n'est pas une
simple abstraction. Elle est la perfection nécessaire pour penser et
agir ; c'est une lumière de notre pensée, une
efficacité de notre action, en tant que sagesse et puissance.
À n'en point douter cette perfection existe bel et bien. c'est
l'expérience intime, celle de la disproportion constante en nous. En
tant que "acte pur de la pensée parfaite", cette condition de
possibilité de notre agir ne peut être de nous bien que nous la
trouvions en nous. De cet acte pur de la pensée : « La
vraie preuve téléologique montre que la sagesse de l'homme n'est
pas dans l'homme. Elle cherche comment la pensée et l'action
coïncident et par où s'unissent la sagesse et la
puissance »249(*). Le témoignage de l'expérience
révèle qu'une union si parfaite ne se réalise pas en nous,
de sorte que pensée et action ne parviennent pas à coïncider
durablement. Nous tournant donc au plus profond de nous, cet argument nous fait
découvrir quelqu'un qui est plus que nous-même, comme il y
a, note Blondel, « au fond de ma conscience un moi qui n'est plus
moi, j'y reflète ma propre image. je ne vois qu'en lui : son
mystère impénétrable est comme la tain qui
réfléchit en moi la lumière. Mais s'il est en moi plus que
moi, il n'est pas plus que moi je ne suis lui.250(*)» La récurrence
des concepts tels que mystique, miroir, lumière suggère donc une
perfection, une sorte d'illumination qui n'est pas dans l'homme, mais qui lui
vient d'un Être autre que lui-même. C'est cet Autre, en tant qu'il
est plus et différent mais proche de moi que révèle cet
argument. Ainsi pour donner l'équation de notre action volontaire, il
faut regarder en nous jusqu'où cesse ce qui est de nous. C'est ce que
Saint Augustin appelle l'intimior intimio meo, le lieu
où l'immanence de la transcendance détermine
l'inévitable transcendance de l'action humaine. L'Unique
nécessaire n'est pas seulement postulé, puisque c'est à
partir de notre expérience la plus intime (de moi à moi) qu'elle
prend appui. Il n'est donc pas réductible à un besoin de ma
pensée ou de mon action, ce qui reviendrait à le relativiser, ou
à le compromettre dans sa réalité; il est réel pour
moi, non par moi, parce qu'il est en soi. C'est autant dire que ce sentiment de
perfection en moi n'est pas de moi puisque c'est à travers
l'expérience de mon impuissance et avec le sentiment d'une disproportion
que je découvre l'Unique nécessaire. De ce point de vue,
l'argument téléologique appelle l'argument ontologique.
3.3.2.3. L'Argument ontologique
L'argument téléologique a préparé
ce troisième argument comme la clef de voute251(*) des approches
précédentes. L'ambition sinon la prétention de la preuve
ou de l'argument ontologique est d'affirmer sinon l'idée de Dieu, du
moins l'existence de Dieu à partir de la dialectique de l'action et donc
de la logique de la volonté dans son expansion. Or, au cours des
développements antérieurs, Blondel semble avoir
déclaré que quand il a rencontré l'idée de Dieu, il
ne l'a considérée que sous un aspect tout pratique :
«En montrant que cette conception, inévitablement
engendrée dans la conscience, nous force à affirmer au moins
implicitement la vivante réalité de cette infinie perfection, il
ne s'est nullement agi d'en conclure l'être de Dieu ; il s'est agi de
constater que cette idée nécessaire du dieu réel nous
mène à la suprême alternative d'où il
dépendra que Dieu soit réellement ou ne soit pas pour
nous252(*).»
On peut être tenté de comprendre ce constat de la
manière suivante : la logique de l'action fait surgir dans la
conscience l'idée de Dieu, non comme affirmation, mais uniquement comme
idée ; celle-ci entraine simplement la nécessité d'une
option ; seule cette option affirme l'existence de Dieu. En cela il suit un peu
le développement de l'idée de perfection telle qu'on la trouve
dans le Proslogion de Saint Anselme253(*), mais aussi son affirmation chez Descartes ou
Malebranche254(*).
Ainsi, pour P. Lachièze- Rey :
« Primitivement, et on le constate non seulement dans la
première Action, mais surtout dans le compte rendu de la
soutenance de Thèse255(*), M. Blondel se plaçait sur un plan
exclusivement phénoménologique [...]. Dieu apparaissait donc
d'abord uniquement comme une idée, une idée dont on faisait la
genèse et dont on montrait comment elle devait naitre
nécessairement à un moment du processus spirituel [...].Mais,
quand il s'agissait de de sa valeur ontologique, l'idée de Dieu
n'entrainait par sa présence que la nécessité d'une
option, option à laquelle nous n'avions aucun moyen d'échapper.
l'affirmation de Dieu apparaissait comme une sort de postulat, et la position
de M. Blondel ne semblait pas très éloignée de celle de
KANT.[...] Il semble au contraire que, désormais, dans les derniers
ouvrages, on est directement installé dans l'être, que l'existence
de Dieu n'est plus l'objet d'une affirmation exigée par
l'achèvement voulu de la pensée et de l'action, par une
décision en faveur de cette réussite, mais qu'elle est
considérée comme réellement donnée dans le
mouvement propulseur et que l'option ne porte maintenant que sur l'attitude
intellectuelle et pratique prise par l'esprit en présence de cette
situation. La démonstration n'est plus que l'élucidation d'une
possession originaire et il ne s'agit plus de faire un acte de foi rationnelle
en courant le risque de l'affirmation, mais de consentir à ce que
révélera inévitablement la recherche 256(*) ».
De fait, la force de l'argument ontologique c'est que, selon
Blondel, elle ne surgit pas, elle ne résulte pas d'une construction
logique de l'entendement, mais du mouvement total de la vie. Elle saisit dans
l'action volontaire « précisément ce qui s'y trouve
déjà, ce qui par conséquent s'exprime
nécessairement à la conscience et y est représenté
toujours sous quelque forme que ce soit. »257(*) Aussi l'exposition
dialectique de cette preuve spontanée doit montrer que par elle
s'unissent en une synthèse démonstrative tous les arguments
partiels, qui, isolés, demeurent stériles. Loin de critiquer
à la manière de Kant la preuve ontologique, la preuve
cosmologique et la preuve téléologique, Blondel montre comment
elles puisent au dynamisme de l'action une vertu contraignante258(*). Ainsi renouvelé,
dit-il, l'argument qui procède de la contingence «a un tout autre
caractère, un ressort plus puissant qu'on ne l'a cru d'ordinaire. Au
lieu de chercher le nécessaire hors du contingent, comme un terme
ultérieur, il le montre dans le contingent même comme une
réalité déjà présente ».
l'argument ontologique aussi reprend un sens et une vigueur nouvelle. Il est
légitime ici, et seulement ici, d'identifier l'idée à
l'être, parce que nous trouvons d'abord l'idée dans l'être
et l'être dans l'action259(*). Sans doute, pour atteindre l'unique
nécessaire, nous ne le saisissons pas lui-même en
lui-même où nous ne sommes pas ; mais nous partons de lui en
nous où il est, afin de mieux voir qu'il est en
comprenant un peu ce qu'il est. Nous sommes contraints de l'affirmer dans
la mesure où nous en avons l'idée : car cette
idée même est une réalité260(*).
Plus concrètement, l'idée de perfection en cet
Être absolu chez Blondel n'est pas la résultante d'un a priori,
c'est-à-dire « une fiction arbitrairement construite sans
fondement réel»261(*)À vrai dire, elle n'a pas été
découverte comme une idée de l'intelligence, mais dans l'action
comme un principe d'action, qui donne à toutes nos démarches leur
relative consistance tout en nous faisant éprouver leur insuffisance.
C'est donc en fait l'action, mon action qui ,en s'approfondissant
découvre l'être, c'est-à-dire, non une notion, mais un
sujet au sens hypostatique et non notionnel, sujet où sagesse et
puissance coïncident, et dont il est possible de dire qu'il est en moi
sans être moi, bien qu'il puisse être encore nommé par son
nom ; et enfin, à l'intérieur de ce sujet que je découvre
l'idée de perfection, qui est identité de l'action et de la
pensée, à moi donnée pour que je puisse penser et agir.
N'est-ce pas que ces trois preuves se co-pénètrent ?
3.4. L'unité des preuves comme action et
dialectique de la volonté
En suivant le déploiement et l'expansion de la
volonté, à partir de la dialectique de l'action, ce qui est
découvert, selon le mot de C. Dhotel, « c'est un être
personnel dont l'action, en retour, va se manifester nécessairement.
Blondel attribue ce résultat à deux faits : la dialectique
des preuves prises dans leur ensemble, et le caractère total de l'action
comme fondement de la certitude acquise au terme »262(*). En effet les trois preuves,
qui ne doivent pas être prises isolément ont abouti à
démontrer la présence au terme de notre action d'un être
personnel dont l'action se manifeste nécessairement comme achevée
et définitive; alors que les actions humaines souffrent de leur
insuffisance et de leur pénurie intrinsèquement naturelles.
Néanmoins, prise isolément, chaque preuve
n'aboutirait qu'à élever une idole, à étaler un
fruit sans raison qui pourrait se manifester comme cause première
dans la preuve cosmologique, comme idéal moral dans la
preuve téléologique et comme idée de perfection
dans la preuve ontologique. Ce qui n'est évidemment pas de l'avis de
notre auteur. Car aucune notion, aucun résultat ne s'est
dégagé de la preuve cosmologique, sinon le fait que toutes choses
sont à considérer comme à la fois nécessaires et
insuffisantes aux aspirations de la volonté. Rien non plus du
coté de la preuve téléologique, sinon que
l'expérience exige l'identité de la pensée et de l'action
soit donnée, puisqu'elle ne peut pas être de nous. De même
pour la preuve ontologique laissée au pouvoir de la raison, elle n'eut
abouti qu'à une idée vide de contenu. Ces preuves, ajoute-t-il il
a fallu les offrir ensemble. Ensemble, mais en ordre, « dans une
unité synthétique »263(*). Ces preuves, pouvons-nous ajouter, ne montrent pas
la constitution progressive d'une idée, mais la progression de l'esprit
vers la rencontre de la réalité. C'est tout le mouvement de la
vie et de l action qui est en jeu ici. Aussi, Blondel les considère-t-il
comme découlant de l'action, entretenant la vie et retournant à
l'action. Voilà bien le sens de leur adéquation dans un mouvement
d'action et un mouvement dialectique. Car si l'action se heurtait aux bornes du
fini, elle cesserait d'agir. Du coup, l'au-delà du fini, que ces preuves
manifestent l'ouverture de l'action à un champ infini
d'implications : « en ce qui touche à la
complexité de la vie, seule l'action est nécessairement
complète et totale. Elle porte tout et d'elle seule l'action ressort
l'indiscutable présence et la preuve contraignante de
l'Être»264(*).
En conséquence, surgie du déterminisme de
l'action humaine, l'idée de transcendance n'entend donc pas mettre en
relief la prétention de l'inaccessibilité au transcendant, mais
plutôt son ouverture inconditionnelle aux êtres finis. En
même temps qu'il renvoie l'homme à lui-même, ce
Transcendant, cet Unique nécessaire suscite en l'homme l'exigence
irréductible de se donner à Lui, comme à l'auteur de son
accomplissement total. Le lien ainsi établi de nous à lui inclut
l'homme dans une sorte de coopération infinie avec Dieu.
Néanmoins,que la volonté humaine participe à l'Absolu,
cela lui vient d'un enjeu infini. Et donc, c'est en tant que liberté
qu'il entre dans cette coopération comme un lien qui le fonde et qu'il a
à promouvoir : « s'il doit y avoir, pour que la
volonté trouve son équation, synthèse de l'homme et de
Dieu, il ne faut pas oublier que l'acte commun qui consacre toute alliance, est
en un sens, tout entier l'oeuvre de chaque coopérateur».265(*)
Or cette façon de procéder et la manière
dont il a abouti à l'option de et pour Dieu suscita maints
débats. Mais, même si ces interprétations
suscitèrent beaucoup de méprises et de contradictions, il n'en
reste pas moins que Blondel a voulu maintenir le caractère philosophique
et l'interprétation philosophique de l'expansion de la volonté et
l'urgence d'une option en face de l'idée de Dieu ou de l'Unique
nécessaire. Pour Blondel, c'est la philosophie seule qui permet
d'opérer une telle option et doit en présenter exactement les
termes. D'où cette mise ne garde « que personne ne se
méprenne sur le dessein proprement philosophique de cette
recherche »266(*). Ce qui se dit de façon plus tranchée
et claire comme une mise au point final en ces termes :
«Ainsi se révèle peu à peu
l'ambition intégrale de la volonté qui se cherchait
elle-même sans se connaître d'abord tout entière. C'est en
prétendant s'égaler effectivement à sa propre puissance
qu'elle cesse de trouver sa suffisance en elle seule. Nous voulions,
semble-t-il, tout faire de nous-mêmes et voici que, par ce dessein, nous
sommes amenés à reconnaître que nous ne faisons rien et que
Dieu seul, agissant en nous, nous donne d'être et de faire ce que nous
voulons. Quand donc nous voulons pleinement, c'est lui, c'est sa volonté
que nous voulons. Nous demandons qu'il soit, qu'il soutienne, achève,
reprenne en sous oeuvre toutes nos opérations ; nous ne sommes à
nous que pour réclamer de lui et nous rendre à lui ; notre vraie
volonté, c'est de n'en avoir point d'autre que la sienne ; et le
triomphe de notre indépendance est dans notre soumission267(*).»
Plus concrètement et résumant les implications
entre action et dialectique depuis le début, on peut dire ceci :
toute volonté humaine est embarquée dans un conflit interne entre
le voulant et le voulu. Or, notre "moi" en réclamant son
autonomie nous accule à entreprendre la recherche pratique d'une
solution à ce conflit : c'est l'expansion de la volonté.
Cependant, cette expansion exige et suscite une action. L'action s'impose et en
s'imposant, se met elle-même en question (origine de la disproportion
entre la volonté voulante et la volonté voulue). Nous
voilà donc conduit à constater en nous une tension. Nous sommes
pris entre ce qui s'impose à nous et la tendance de notre volonté
à tout vouloir . Or ce vouloir butte à un certain nombre
d'écueils car l'espace de son déploiement est sujet à
beaucoup d'implications. On ne peut donc les surmonter ou les dépasser
qu'en posant ou en adoptant, mieux en désirant quelque chose
c'est-à-dire un univers toujours hors et en dehors de nous, mais qui est
aussi en nous. Et cet univers, nous essaierons de l'épuiser. C'est ici
que va se révéler le gros des implications et des obstacles. En
essayant de restreindre cet univers à notre vouloir, nous retrouvons le
monde des intuitions sensibles, des phénomènes, des
idéologies, des sciences positives, des libertés individuelles
etc. Ainsi, c'est de la manière infinie dont nous voudrions nous
approprier cet univers que surgit inévitablement et inexorablement
l'aveu de l'Unique Nécessaire. Le vouloir de cet univers nous impose de
postuler l'Unique nécessaire qui doit être accepté par une
option libre. Car, pour atteindre quoi que ce soit, en effet, il faut passer
par lui et tout lui donner. De sorte qu'en toutes choses voulues, c'est au bout
du compte, lui que nous rencontrons, que nous ne pouvons ne pas vouloir.
Dès lors, il devient indéniable que toutes ces
implications de notre action déploient ainsi l'univers que nous voulons
et deviennent, par voie de conséquence, des vérités pour
l'action et des haltes pour la pensée, c'est-à-dire des exigences
de l'expansion de notre propre volonté. Ces implications sont comme
posées par le mouvement de la volonté en quête de son
équation, de ce qui la satisfera pleinement. Or, au moment où
notre volonté nécessaire découvre sa situation au sein de
ce monde concret, elle ne peut ne pas s'arrêter, arrêter son
élan pour affirmer et reconnaître l'Être Transcendant ou
Dieu.
Concrètement donc, nous n'arrivons à notre
ultime vérité, celle de notre être, que par
l'anéantissement de toute volonté propre et l'accueil ou
l'ouverture de l'universelle médiation sans laquelle nous ne sommes rien
et nous ne pouvons rien.
Conclusion
Au regard de tout ce qui précède, force est de
noter que la volonté part d'une expérience de conflit. Il y a un
conflit évident et immanent entre le voulant et le voulu, entre la
volonté voulante et la volonté voulue. Ce conflit qui
n'épuise pas l'ordre des phénomènes naturel aboutit
à un échec de l'action. Mais celui-ci n'est qu'apparent puisque
la tentative perpétuelle de la volonté à se vouloir
elle-même et à se suffire l'expose à un besoin
supérieur. De ce conflit qui s'élève en toute conscience
humaine jaillit forcément l'aveu de l'Unique nécessaire. mais
sous quel mode s'est-il apparu ? Évidemment sous le mode du
néant, de la négation. Ainsi c'est en explorant la distance
creusée en moi que l'idée de l' Unique nécessaire se
précise.
« Oui ou non la vie de l'homme se restreindra-t-elle
à ce qui est de l'homme et de la nature sans recourir à rien de
transcendant ? ». C'est donc cette problématique qui a
orienté la démarche employée dans ce chapitre. En effet,
nous sommes partis du point où il fallait évaluer l'insuffisance
de l'action humaine dans l'ordre naturel. L'exploration des implications
liées à cette insuffisance a révélé
l'inévitable problématique de l'Unique nécessaire. En
effet, l'action humaine ne peut se renfermer dans l'ordre naturel. Elle n'y est
que partiellement parce que l'élan du vouloir le provoque toujours
à vouloir plus au delà ce qui a été fait et voulu
à cause justement de cette disproportion qui lui est intrinsèque.
Mais par ses seules forces, l'action ne réussit jamais à
restituer volontairement dans ses actes tout ce qui s'y trouve
spontanément. S'il prétend se borner à ce qu'il peut, s'il
prétend tirer de soi ce qu'il fait, il se prive du principe même
de sa vie. Aussi Blondel considère-t-il l'action bonne n'est pas celle
réduite à ses seules ressources ; elle est plutôt celle
qui, dans l'homme, le dépasse. De sorte que toutes les fois que l'homme
accomplit un devoir, il est toujours amené à postuler un Unique
nécessaire.
Le procédé qui a conduit à l'Unique
nécessaire est vraisemblablement celui où «toutes ses
actions paraissent suspendues à l'acte sacré qui en est la fin et
qui en devient le principe, qui en contient l'esprit caché et qui en
constitue le sceau, la terre, la pierre angulaire ». Ainsi,
dès lors que l'homme éprouve l'insuffisance de l'ordre naturel,
il surgit en lui un désir d'infini. partagé entre ce qu'il fait
sans le vouloir et ce qu'il veut sans le faire, ce vouloir s'affiche plus que
jamais indestructible. Donc au fond dans sa quête pour atteindre l'unique
nécessaire qui seul peut le combler parfaitement, l'esprit se voit
devancé, mais il découvre ce qu'il cherchait. Ainsi se trouvent
détruite la prétention d'agir et de vivre par ses seules forces,
mais en même temps une obligation de continuer à approfondir cette
quête. Et comme il y a au sein de l'action humaine, à ce stade,
impossibilité de s'arrêter, de reculer et d'avancer seul, c'est
par l'analyse ou mieux l'examen des preuves de existence que l'option finale
peut être engagée. Ce à quoi nous avons abouti dans notre
recherche, c'est à la fois de montrer les limites humaines de sa
volonté, mais aussi l'adéquation qu'il est possible
d'ériger entre le choix, l'option que l'homme est capable de faire en
face de l'exercice de sa liberté. Dans cet échange l'autonomie
devient hetéronomie.
Conclusion générale
Notre travail a porté sur « Finitude et
destinée humaine chez Maurice Blondel. La problématique de la
volonté dans l'Action de 1893». En effet, le point de
départ est ce fait réel que l'homme demeure un être fini,
mais sensiblement marqué par un désir ou une prétention
à vouloir l'infini ou à se voir infini. Or, c'est
vraisemblablement dans ce mouvement entre l'expression profonde de mon vouloir
(volonté voulante) et l'extériorisation de ce vouloir
(volonté voulue) que surgit l'expansion de ma volonté en tant
qu'expression de la dialectique mon action. Aussi, s'est-il agi pour nous
d'examiner comment et en quels termes s'opère ce déploiement de
la volonté. Plus précisément, nous avions cherché
à comprendre comment et pourquoi, à partir du dilemme constitutif
des choix humains, à partir de ce conflit interne soulevé par
l'auteur (cette disproportion ontologique entre ce que je veux, ce que je sais
et ce que je connais) quel moment ou quelle étape finale permet à
la volonté de s'accomplir et d's'achever, d'être réellement
la traduction ou l'expression exacte de ce que l'homme a toujours et
réellement voulu.
Or, il ne fait l'ombre d'aucun doute que la grandeur, mais
aussi la complexité de la pensée de Maurice Blondel tient
à l'articulation métaphysique de certains concepts. Et parmi
ceux-ci figure bien celui de la volonté. En effet, l'on sait que la
question originelle qui ouvre l'Action de 1893 est celle relative
à l'adéquation entre l'agir et la destinée humaine :
« Oui ou non la vie a-t-elle un sens et l'homme une destinée ?
mais plus encore, oui ou non l'homme se restreindra-t-il à ce qui est de
la nature sans vouloir autre chose ? ». Étudiant et revisitant
les implications que cette problématique soulève, Blondel en est
arrivé à comprendre que chaque agir humain est
déterminé par une volonté. Cependant, celle-ci se trouve
confrontée à une disproportion ontologique entre ce que l'homme
veut, ce qu'il sait et ce qu'il fait. Autrement dit, entre son vouloir et son
connaître, il se dégage forcément une évidence telle
que l'homme étant un être fini, il est toujours tendu vers un
infini qu'il ne peut ni achever, ni dépasser. C'est ainsi que analysant
l'action dans tout son déploiement, le but de Blondel sera de parvenir
à dégager une loi manifeste de l'agir humain à partir de
cette inadéquation fondamentale entre la volonté voulante et la
volonté voulue.
Voilà pourquoi, trois moments importants, de longueur
et d'étendue variables, ont focalisé la structuration de notre
propos.
Le premier chapitre a consisté à situer
historiquement Maurice Blondel et ses oeuvres qui traitent du thème que
nous avons choisi à savoir celui de la volonté en ayant mis un
accent particulier sur L'Action de 1893 et aussi ses Carnets
Intimes. Dans ce même contexte, il nous a semblé important de
revisiter les filiations de Blondel, notamment son inscription dans la
tradition philosophique non seulement en vue de mieux le situer, mais surtout
de mieux percevoir son originalité. C'est ainsi que
délibérément, nous avons limité cette filiation
à quelques philosophes, entre autres Aristote, Leibniz, Kant, Maine de
Biran et Schopenhauer, en vue de répondre et d'atteindre le voeu que
nous poursuivions : montrer les forces et les limites de la volonté
notamment ses implications dans la dialectique de l'action. Car, il est clair
que l'Action , pour Blondel, s'enracine dans une force qui la
précède. Cette force, Blondel n'hésite pas à lui
donner une dimension cosmique268(*) c'est-à-dire comme monde des
phénomènes,d'autant plus qu'il y a un effort qui parcourt la
nature et qui précède la volonté humaine (Ce qu'il nomme
justement l'ordre naturel ). Cet effort n'est pas cependant une force
irrationnelle à la manière de Schopenhauer. C'est au contraire
comme l'avait bien perçu Leibniz, une force qui tend vers l'esprit et
qui apparaît en l'homme comme volonté voulante. Cette
volonté voulante, l'homme doit la vouloir de manière voulue mais
il ne peut pas le faire de manière immédiate comme le
prétend le formalisme kantien. l'homme ne peut vouloir son action qu'en
s'insérant dans le monde des phénomènes ou l'ordre
naturel.
Dans cette perspective, le deuxième chapitre s'est
concrètement penché sur l'examen des différents axes qui
participent de l'articulation de la volonté dans l'Action de
1893. En effet, partant de l'architectonique même de l'ouvrage,
l'auteur montre que c'est à partir de l'action c'est-à-dire de
tout l'agir humain qu'il faut poser et résoudre le problème de la
volonté. Il nous est apparu l'impérieux devoir de clarifier le
contenu sémantique de la notion ou du concept de volonté. De
fait, nous nous sommes rendu compte que la volonté se saisit, chez
Blondel, d'abord à partir d'une disproportion intrinsèque entre
deux mouvements internes : la volonté voulante et la volonté
voulue. Leur dialectique ou mieux le conflit qui les caractérise nous a
conduit à l'évidence qu'en tant qu'être agissant, c'est la
volonté qui semble orienter les choses ; aussi vrai qu'elle permet
à l'homme de discriminer, de procéder à des choix, de
vouloir, de désirer ou d'aspirer à quelque chose. Cependant,
étant un être de finitude, l'homme ne peut égaler ses
propres exigences. Il ne réussit point, par ses propres forces à
mettre dans son action voulue tout ce qui est au principe de son
activité volontaire. Car la volonté qui préside à
chaque action ne parvient jamais à assouvir le besoin, à se clore
au plan des réalités visibles et sensibles. La volonté est
toujours portée et marquée par une sorte de finitude, une
insatiabilité, et même une instabilité. En
conséquence la dialectique de la volonté a fini par
démontrer au moins trois niveaux importants de son
déploiement : D'abord que le discours sur le néant aboutit
à l'affirmation de l'exigence même de la volonté (contre le
dilettantisme l'esthétisme, le pessimisme, le nihilisme,...) ; ensuite
que la volonté, malgré, les obstacles liés à sa
dualité interne ne peut ne pas se répandre dans les relations
humaines (famille, patrie, humanité) ; mais qu'insatisfaite chaque fois,
elle s'ouvre résolument à une autre Volonté qui
possède en elle-même la satisfaction complète et
l'achèvement des finitudes humaines : c'est l'Unique
nécessaire.
Enfin, le troisième chapitre a examiné
l'achèvement de la volonté humaine dans le choix ou l'option de
l'Unique Nécessaire. En effet, partie de l'insuffisance de l'ordre
naturel où l'expansion de la volonté a rencontré les
phénomènes comme des volontés voulues, celle-ci n'a pu
s'épuiser en eux ni se suffire, ni s'égaler. Il s'est donc apparu
la nécessité de fonder son achèvement sur la base des
preuves de l'existence de Dieu. Autrement dit, la volonté aboutit
à une sorte de transcendance de l'action humaine Aussi le moment de
l'achèvement de la volonté, s'il n'a pas a posé clairement
l'existence de Dieu, mais l'a du moins postulé. Et c'est d'ailleurs
là qu'on a découvert l'option proprement philosophique de sa
démarche. Arrivé à ce stade, l'homme se trouve pris dans
un ensemble d'impossibilités. Impossibilité de reculer, car le
mouvement est irréversible, l'action volontaire est
«indestructible». Impossible de s'arrêter, car l'avortement
n'est qu'apparent et le vouloir ne s'égale pas encore.
Impossibilité d'avancer, car l'adéquation parfaite est
irréalisable par l'homme seul. C'est alors que se présente la
seule issue envisageable, après que toutes les autres aient
été fermées. Cette issue se trouve dans l'idée de
«l'Unique Nécessaire».
Eu égard à tout ce qui vient d'être
souligné, nous pouvons en conséquence résumer les
résultats de notre recherche : Chaque moi, chaque
être humain se trouve existentiellement embarqué ou engagé
dans l'univers. C'est à ce moment que s'impose l'inévitable
problème de notre action. L'action s'impose et en s'imposant exige et
définit les conditions de déploiement de notre volonté.
Voilà pourquoi le dilettantisme qui nie cette nécessité
devient une attitude intenable, donc à dépasser. Nous
voilà alors amenés à constater une tension en nous :
nous sommes pris entre ce qui s'impose à nous et la tendance de notre
volonté à tout vouloir. De plus, on ne peut pas non plus adopter
une attitude nihiliste, car nous voulons toujours quelque chose,
c'est-à-dire un univers. Or, cet univers où s'exprime l'expansion
de la volonté, nous ne pouvons le restreindre à notre seul
vouloir. Car la manière infinie dont nous voulons cet univers nous force
à postuler l'Unique nécessaire qui doit être accepté
par une option libre. Et pour atteindre quoi que ce soit, il faut passer par
lui et tout lui donner. En toute chose, en tout phénomène, par ce
qu'ils sont voulus infiniment : c'est lui que nous rencontrons. Aussi
a-t-il été pour nous important de dégager e qui est
nécessaire et inévitable dans le déploiement total de la
volonté ; de démontrer qu' il était inévitable de
partir des déterminations qu structurent la chaîne des
nécessités qui composent le drame de la vie et donc de proposer
le dénouement qui lui est inhérent à savoir le choix de l'
Unique nécessaire.
Bibliographie
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Table des matièresSommaire 3
Introduction 4
CHAPITRE PREMIER
SITUATION HISTORIQUE DU PROBLÈME:
Blondel en son
Temps
Introduction 12
1.1. Esquisse biographique 12
1.2. L'élaboration de l'Action
de 1893 15
1.3. Dialogue avec la tradition
philosophique 17
1.3.1. La source
aristotélicienne 17
1.3.2. La mise en cause du formalisme
kantien 20
1.3.3. L'apport conceptuel de Leibniz
24
1.3.4. La critique du pessimisme de
Schopenhauer 27
Conclusion 30
CHAPITRE DEUXIÈME
PROBLÉMATIQUE ET ARTICULATION DE LA VOLONTÉ DANS
L'ACTION DE 1893
Introduction 32
2.1. Plan de l'Action (1893) 33
2.2. Dialogue avec les philosophes sur
la volonté 35
2.2.1. L'héritage biranien
35
2.2.2. Du pessimisme de Schopenhauer
à l'Action 37
2.3. Problématique de la
volonté dans l'Action 41
2.3.1. État de la question
41
2.3.2. La volonté comme
négation du néant et ouverture à l'être 43
2.3.2.1. Le problème du néant 43
2.3.2.1. Dialectique, sens et dynamisme de la volonté
48
2.3.2.2. Du rapport action-volonté : un mot ? 51
2.4. L'expansion de la volonté : famille,
patrie, humanité 54
2.5. De l'infini de la volonté
à l'expérience de l'être 57
Conclusion 59
CHAPITRE TROISIÈME
DE L'ACHÈVEMENT DE LA VOLONTÉ
À
L'UNIQUE NÉCESSAIRE
Introduction 62
3.1. De l'insuffisance de l'ordre
naturel 63
3.2. Fondement du rapport
volonté-action : les trois moments de l'action 68
3.2.1. L'apparent avortement de
l'action volontaire 69
3.2.2. L'Indestructibilité de
l'action volontaire 72
3.3. De la volonté à
l'Unique Nécessaire : la transcendance de l'action 75
3.3.1. État de la question
75
3.3.2. L'Unique Nécessaire
75
3.3.2.1. L'argument cosmologique 80
3.3.2.2. L'argument téléologique 81
3.3.2.3. L'Argument ontologique 83
3.4. L'unité des preuves comme action et
dialectique de la volonté 86
Conclusion 89
Conclusion générale 91
Bibliographie 95
Table des matières 102
RÉSUMÉ
Texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte,
texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte,
texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte,
texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte,
texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte,
texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte,
texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte,
texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte,
texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte,
texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte,
texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte, texte,
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SUMMARY SINTESI RESUMEN ZUSAMMENFASSUNG
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environ)
MOTS CLÉS : texte, texte,
texte, texte, texte... (5 à 10 mots-clés en français
traduits en anglais et/ou dans une autre langue)
* 1 Félix Ravaisson (1813-1900 a
entre autres écrit "De l'Habitude en 1838; Essai sur la
Métaphysique d'Aristote en1837 ; La philosophie en France au
XIXe en 1867), élève de Schelling, et maître de
Bergson (qui lui consacra un hommage dans La Pensée et le
Mouvant), est reconnu comme la figure la plus marquante de la philosophie
française du XIX è siècle, annonciateur du "positivisme
spiritualiste". Sa philosophie s'inscrit dans la tradition du spiritualisme
français, largement influencé par Maine de Biran. Pour de plus
amples informations, voir l'excellent ouvrage à lui consacré par
Dominique Janicaud, Une généalogie du spiritualisme
français. Aux sources du bergsonisme : Ravaisson et la
métaphysique, La Haye, Martinius Nijhoff, 1969. Ce qui est
confirmé par ces propos : «Comme l'écrit M. Gouhier,
à propos de l'annonce par Ravaisson du rayonnement du "positivisme
spiritualiste" : «Au moment où ces lignes étaient
publiées, la manifestation la plus apparente de ce nouvel état
d'esprit était l'oeuvre de Ravaisson lui-même ; mais les
thèses de J. Lachelier en 1871, d'Emile Boutroux en 1874, de Bergson en
1889, de Blondel en 1893, allaient montrer combien Ravaisson voyait juste et
loin. » D. Janicaud, op. cit., p. 5. Récemment,
Benoit Thirion a, par exemple, consacré un bel article sur la filiation
de Ricoeur à Ravaisson notamment sur la notion de volonté. Cf.
Benoit Thirion, « La lecture ricoeurienne de Ravaisson dans le
volontaire et l'involontaire», in Les études
Philosophiques 3/2002(n° 62), p. 371-390. URL : www. cairn.
info/revue-les-etudes-philosophiques.
* 2 Cf. F. Ravaisson, Rapport sur la
philosophie en France au XIXe siècle, Paris, Hachette, 1867
(Fayard, 1984).
* 3 Léo-Paul Bordeleau, «Une
genèse de la vie sociale selon Maurice Blondel » in Revue
Philosophique, Vol. 2/ n°1 (1975), p.1.
* 4 Cet éclairage nous est
suggéré par cet extrait de l'allocution de Henri Gouhier :
« La thèse de 1893 appartient à cette série de
thèses sorboniques qui, à des points de vue divers,
très divers, éclairent le problème de la
liberté et rendent à la liberté sa place dans un univers
où la science semblait la lui refuser : 1838 l'Habitude,
de Ravaisson; 1871, Le Fondement de l'induction de Lachelier;
1874, La contingence des lois de la nature d'Emile Boutroux, 1889,
Les Données immédiates de la conscience, d'Henri Bergson, ;
1893, l'Action de Maurice Blondel. Il y a là une tradition dont
Ravaisson rapportait l'origine à la pensée de Maine de Biran dans
le fameux rapport sur la philosophie en France de 1867 où il
annonçait et définissait l'oeuvre de ses successeurs de
"positivisme spiritualiste". Vue de loin, il y a bien là une tradition
qui manifeste la résistance de la conscience au scientisme du
siècle. Vue de près, l'histoire est moins simple, et c'est dans
cette histoire moins simple qu'apparaît l'originalité du jeune
Blondel [...] Or l'auteur de l'Action nous semble poser les principes d'une
philosophie de l'esprit se constituant pour elle-même et en
elle-même. C'est dans le climat créé par cet ouvrage que se
développeront plus tard les doctrines personnalistes et une partie de
celles qui devaient couvrir la rubrique philosophie de l'esprit reprise par
Louis Lavelle et René le Senne». Cf. Henri Gouhier," Allocution,"
in Le Centenaire de Maurice Blondel (1861-1961) en sa faculté
des Lettres d'Aix-Marseille, Publications des annales de la
faculté des Lettres , Aix-en-Provence, Nouvelle série 35, 1963,
p.24-25. Voir également, Henry Duméry, «Blondel et la
philosophie contemporaine», Études blondéliennes, 2
; Pierre de Cointet (éd.), Maurice Blondel et la philosophie
française, Paris, Parole et Silence, 2007; particulièrement
les pages 9-17.
* 5 Sur ce point, voir Pavlos Kontos,
l'action morale chez Aristote. Une lecture phénoménologique
et ses adversaires actuels, coll. "Thémis", Paris, PUF,
2002.
* 6 C'est dans la Revue
Philosophique de 1878 que Peirce signe son article : « La
logique de la science : comment rendre nos idées
claires » qu'apparait le mot pragmatisme. Il élabore cette
notion en l'articulant à une conception de la croyance comme disposition
à agir ou habitude d'action. Car ce mot venant du grec pragma
signifie action. Dans ce sens, nos croyances sont en réalité
des règles pour l'action, et Peirce soutient que pour développer
le contenu d'une idée, il suffit de déterminer la conduite
qu'elle est propre à susciter. Bien que le mot pragmatisme ne figure pas
dans l'Action de 1893, Maurice Blondel semble, au départ,
l'avoir adopté dans la préparation de sa thèse :
« Dès 1888, écrit-il, sans l'avoir rencontré
nulle part, je m'étais servi du terme pragmatisme en ayant nettement
conscience de le forger ». Mais, il le contestera clairement dans sa
contribution au vocabulaire de Lalande. Il déclare renoncer à ce
mot pour éviter toute confusion avec le pragmatisme anglo-saxon. Il
écrit : «Je proteste énergiquement contre le
pragmatisme des anglo-saxons, dont je n'admets aucunement
l'anti-intellectualisme et l'empirisme immanentiste ; lorsque j'ai
employé ce terme, c'était en un sens tout différent. Soit
que l'on considère les conditions corporelles que suppose ou qu'engendre
la spéculation la plus idéale ; soit qu'on envisage, au sein de
l'agent psychologique et moral, l'opération productrice d'une intention
ou d'une oeuvre ; soit qu'on examine les les répercussions du milieu qui
viennent instruire et comme remanier l'agent même, en s'incorporant
partiellement à lui, durant tout son cours, l'action se traduit
constamment par un ensemble de relations sui generis»...cf.
Maurice Blondel, Oeuvres Complètes, C. TROISFONTAINES
(éd.), tome II., p.804-805.
* 7 Si il est établi qu'il n y a
pas, à proprement parler, chez Blondel une théorie de la
lutte des classes, encore moins d'un matérialisme
dialectique, il n'en demeure pas moins que , sous le pseudonyme de Testis
(le témoin), Blondel a articulé une critique de
l'idéologie des mouvements d'extrême-droite, mais ce à
partir d'une solidarité effective avec le peuple. C'est l'objet des
articles regroupés sous le titre : Semaine sociale de Bordeaux
et le monophorisme. Pour de plus de détails, lire Michael Sutton,
« La critique du nationalisme, de la semaine sociale de Bordeaux
à la lutte pour la civilisation et philosophie de la paix». p.
79-93 et Jean Flory, « Maurice Blondel et les Semaines
Sociales » p.95-107.in Marie-Jeanne Coutagne et Pierre de Cointet
(éd.), Maurice Blondel. Dignité du politique et philosophique
de l'Action, Paris, Ed. du Carmel, 2006. De fait, le premier
auteur fait un renvoi suggestif à l'introduction philosophique et
théologique, en forme de préface, de Mgr Peter Henrici, Une
alliance contre nature : catholicisme et intégrisme. La
Semaine sociale de Bordeaux, 1910 (Bruxelles, 2000).
* 8 Karl Marx, Thèses sur
Feuerbach XI, Berlin, Werke, Dietz Verlag, 1845.
* 9 Voir par exemple Jean-luc PETIT,
L'action dans la philosophie analytique, Paris, PUF, 1991.
* 10 Cf.Hanna Arendt, La condition de
l'homme moderne (1958), trad. fr. G.Fradier,
Calmann-Lévy,1961.Réédité avec une préface
de Paul Ricoeur, Pocket, 1988(1992).On lirait avec intérêt le
chapitre V intitulé «l'action».
* 11 Voir par exemple les
intéressants développements que y a consacrés Denis
VERNANT, Introduction à la philosophie contemporaine du langage. Du
langage à l'action, Paris, A. Colin, 2011.
* 12 Maurice BLONDEL, l'Action
(.1893). Essai d'une critique de la vie et d'une science de la
pratique. dans OEuvres Complètes, tome I. Claude
Troisfontaines (éd.), Paris, PUF, 1997, Introduction, p.VII.
* 13 Il est clair que si la rapprochement
est possible en termes de formulation de la question du pari entre Pascal et
Blondel, il en demeure pas moins qu'il y a une nuance évidente du point
de vue des visées ou de la finalité. tandis que se demande si oui
ou non il faut croire ; Blondel pose la question en terme existentiel comme la
question même qui structure toute l'action humaine. l'homme agit et ne
peut pas ne pas agir. Toute réflexion sur la vie et la destinée
humaine doit être pensée de et à partir d'une
praxis.
* 14 M. Blondel, Op.cit.,p.
VIII.
* 15 Dans la note conclusive au second
moment de la quatrième partie et qui ouvre sur l'analyse de
"l'inévitable transcendance de l'action humaine", Blondel
écrit : « Impossibilité de s'arrêter,
impossibilité de reculer, impossibilité d'avancer seul : de
ce conflit qui s'élève en toute conscience humaine, jaillit
forcément l'aveu de l'unique nécessaire. Qu'on sache ou non le
nommer, c'est la voie où il est impossible de ne pas
passer », L'Action,1893, Paris, Quadrige/PUF, 1993, p.
338.
* 16 Jean-François Mattei,
« Maurice Blondel et la transcendante de l'action »dans
M.-J. Coutagne et P. de Cointet (éd.), Maurice Blondel,
Dignité du politique et philosophie de l'action, Paris, Ed. Parole
et Silence, p.67.
* 17 M. Blondel, l'Action,
1893,p. 118.
* 18 M. Blondel, Carnets Intimes
(1883-1894), Paris, Cerf, 1961, p. 17.
* 19 Cf. Romains 7,15 : «Ce que
je veux, je ne le fais pas, mais ce que je hais, je le fais». Paul semble
reprendre ici un lieu commun de la littérature hellénique
notamment les vers 1079-1080 de la tragédie de
Médée d'EURIPIDE (Poète tragique grec 480-406 av.
J.C) sur la passion violente (Thumos) qui est plus forte que la
volonté (tôn bouleumâthon). Cette passion est la
cause de grands maux pour les mortels.
* 20 René VIRGOULAY, l'Action
de Maurice Blondel,1893. Relecture pour un centenaire,
"Bibliothèque des Archives de Philosophie" 54, Paris, Beauschesne, 1992,
p. 55-56
* 21 Cf. Maurice BLONDEL, Dialogues
avec les philosophes. Descartes-Spinoza-Malebranche-Pascal-Saint Augustin.
Préface par Henri GOUHIER, Paris, Aubier-Montaigne, 1966 ;
L'Itinéraire (1928)..
* 22 Ces cahiers seront publiés,
à titre posthume, en 1961 sous le titre évocateur de Carnets
Intimes. Cf. Maurice BLONDEL, Carnets Intimes,tome I (1881-1894),
Paris, Cerf, 1961; Cartnets Intimes, tome II (1894-1949), Paris, Cerf,
1966.
* 23 Maurice Blondel,
Itinéraire philosophique. Propos recueillis par
Frédéric Lefèvre, Paris, Spès, 1928.
* 24 À partir d'une revisitation
des Carnets Intimes, Yvette Périco a pu relever trois traits,
mais qui ne sont en réalité que trois facettes d'une conviction
qui aura caractérisé le jeune Blondel, à savoir : une
vocation, un projet philosophique, une mission. Cf. Yvette PERICO,
Jésus-Christ, Rédempteur de l'Homme, Ed. du Carmel,
1986.
* 25 Maurice Blondel, op.cit,
t.I, p.545-546.
* 26 Cf. Bertrand Saint-Sernin,
Blondel. Un univers chrétien. Paris, Vrin, 2009.
* 27 En effet, le baccalauréat en
mathématiques était obligatoire, à l'époque, pour
passer l'agrégation en philosophie. Cf. Bernard SAINT-SERNIN, op.
cit. p. 16 (note).
* 28 Voir Henri BOUILLARD, Blondel et
le Christianisme, Paris, Seuil, 1961, p16-18.
* 29 Blondel traduit une reconnaissance
à ses maîtres et condisciples ses professeurs :
« ...Alexis Bertand (qui l'initia à la philosophie de Maine de
Biran) ; Henry Joly (qui l'initia à la pensée de Leibniz),
léon-Ollé Laprune (à Pascal) ; Émile Boutroux
(à l'esprit critique); ses condisciples : Victor Delbos,
Frédéric Rauh, André Pératé, Pierre Duhem;
ses amis : Laberthonnière, l'abbé J. Wehrlé, Henri
Bremond, Auguste Valensin, Paul Mulla, Candie, Jacques Paliard, Louis Ruy,
Jules Chaix, Joseph Segond, André Giraud... » Cf.
Itinéraire philosophique, p. 56-61.
* 30 Dans son ouvrage, Michael SUTTON
souligne par exemple :« Le titre de gloire de Blondel et sans
doute le plus durable, était sa thèse de doctorat à la
Sorbonne, l'Action ,qui avait suscité une certaine émotion et
même un vrai scandale dans les milieux académiques lors de sa
parution en 1893. La raison en est que, dans cet ouvrage d'universitaire
destiné à l'université, Blondel avait eu l'audace de
présenter une phénoménologie de l'Action dont la
dialectique mène à poser le caractère intelligible et
désirable d'une option ontologique et existentielle, qui en
dernière analyse est un acte de foi catholique en bonne et due
forme». Cf. Michael Sutton, Charles Mauras et les catholiques
français 1890-1914 : Nationalisme et positivisme,
Paris, Beauschesne, 1994, p.137-138.
* 31 L'itinéraire
philosophique de M. Blondel, p. 66-67.
* 32 Nous sommes bien redevable à
la notice sur l'Action de 1893 établie par Claude
Troisfontaines dans Maurice Blondel. OEuvres Complètes,
t.I,. Les deux thèses, Paris, PUF, 995, p.4-14.
* 33 Le caractère insolite et
certainement obscure est déjà souligné par Blondel
lui-même, en note, en ces termes : « On connait les
différences très précises que marquent les scolastiques
entre acte de l'homme et l'acte humain et aussi entre le
volontaire et le libre. De même une nuance assez tranchée
sépare acte et action. L'acte , c'est
plutôt (et sauf emplois particuliers) l'initiative de l'effort interne,
soit que par nature tout doive se borner à cette opération
spirituelle, soit que l'on envisage, dans l'oeuvre même, la part toute
subjective de l'agent. Le mot action indique plutôt le passage
de l'intention à l'exécution qui l'incarne, et souvent, par
suite, le résultat ou l'oeuvre même de cette opération
transitive. Entre acte et action il subsiste donc une différence
analogue, mais contraire à celle qu'il y a entre oeuvre et
opération. » Maurice Blondel, l'Action
(1893). Essai d'une critique de la vie et d'une science de la
pratique. Paris, PUF, 1950, p. 116.
* 34 Maurice BLONDEL,
Itinéraire philosophique. Propos recueillis par
Frédéric Lefèvre, Paris, Aubier-Montainge, 1928,
p.34-35.
* 35 Maurice BLONDEL, L'Action. t.II.
Le problème des causes secondes et le pur agir, Paris, Alcan, 1936,
p. 13-14.
* 36 Lettre au Doyen de la Sorbonne,
Lettres philosophiques, p. 12-13. Cf. Oeuvres complètes,
p. 5.
* 37 De janvier à juillet 1896,
Blondel publia une série de six articles dans les Annales de la
Philosophie chrétienne. Ceux-ci furent rassemblés sous le le
long titre de : Lettre sur les exigences de la pensée
contemporaine en matière d'apologétique et sur la méthode
de la philosophie dans l'étude du problème religieux. Pour
de plus amples détails, voir Maurice BLONDEL, OEuvres
complètes, t.II. 1888-1913. La philosophie de l'action et la crise
moderniste, Paris, PUF, 1997.
* 38 Maurice Blondel, L'
itinéraire philosophique, p. 35-36.
* 39 On lira avec intérêt les
grands développements que Michel Jouhaud y a consacrés. Michel
JOUHAUD, Le problème de l'être et l'expérience
morale chez Maurice Blondel. (Thèse pour le doctorat ès
lettres, facultés des Lettres et Sciences Humaines de
l'Université de Paris), Paris- Louvain, Ed. Nauwelaerts, 1970,
p.193-293.Voir aussi, Henri BOUILLARD, Blondel et le christianisme,
Paris, Seuil, 1961.
* 40 À ce propos, René
LEFEBVRE peut écrire : « À bien des égards,
c'est à l'auteur de l'Ethique à Nicomaque, III,1-8, que
pourrait revenir le titre de premier théoricien de la
volonté». R. LEFEBVRE, «Volonté de mal faire et
faiblesse de la volonté : aux origines grecques de la pensée
philosophique de la volonté», in P. SALTEL (dir.), La
volonté, Paris, Ellipses, 2002, p. 21.
* 41 Paul RICOEUR, art " Volonté"
dans Encyclopoedia Universalis, 1993,Corpus 18, p.1033.
* 42 Claude TROISFONTAINES,
« Entre la force et la forme, l'action. Le parcours
blondélien», in Pierre MAGNARD (Dir.), Métaphysique de
l'esprit. De la forme à la force. Actes du colloque tenu en
Sorbonne les 17 -18- 19 novembre 1995, Paris, Vrin, p.240.
* 43 Voir aussi Henry DUMÉRY,
La philosophie de l'Action. Essai sur l'intellectualisme blondélien
(avec une préface de Maurice Blondel), Paris, Aubier, 1948.
* 44 Citation tirée en fait de
l'Ethique à Nicomaque, A, 6, 1097b, 26-27.
* 45 Métaphysique, XI, 9,
1051,a 29-32.
* 46 Id., XIII, 3, 1078 a
31-32.
* 47 Ethique à Nicomaque,
IX, 7, 1168 a 5-9. Le feuillet où Blondel a recopié ces
citations a été publié par A. Hayen, « Le
testament d'un maître », Études philosophiques,
t. 7, oct-déc. 1952, p.324-325 . (Nous devons cette
exégèse à C. TROISFONTAINES, ibid). Voir aussi,
Maurice Blondel. Notes philosophiques 1880-1890. texte établi
et annoté par Peter Henrici (version électronique par Albert
Raflet) ; Raymond Saint-Jean, Genèse de l'Action, Bruges,
Desclée, 1965.
* 48 Maurice BLONDEL, L'Action. t.
I. Le problème des causes seconde et le pur agir, Paris,
Félix Alcan, 1936, p.79-80.
* 49 Ibid., p.84-85.
* 50 Ibid. ,p. 91.
* 51 Aristote, Métaphysique,
XII, I, 1069 a 15.
* 52 Id., I, 9, 992b 18-24.
* 53 De larges détails du
débat et ses conséquences se trouvent dans la thèse
doctorale de Michel Jouhaud, Le problème de l'être et
l'expérience morale chez Maurice Blondel, Paris-Louvain,
Nauwelaerts, 1970, p.183-320. l'auteur renvoie d'ailleurs, pour
compléments, à la correspondance de Blondel et A. Valensin,
à l'excellent ouvrage de Henri Gouhier, Blondel et le Christianisme.
Voir aussi Maurice Blondel, Le problème de la philosophie
catholique ; P. Archambault,Vers un réalisme intégral.
L'Oeuvre philosophique de Maurice Blondel, Paris, 1928.
* 54 Maurice BLONDEL, l'Action
(1893), p. XXI.
* 55 Ibidem
* 56 Ibid.
* 57 Henri Gouhier, «
Allocution», in Le Centenaire de Maurice Blondel 1861-1961 en sa
Faculté des Lettres d' Aix-Marseille, 1963, p. 26.
* 58 Rapporté par Henri Bouillard,
Blondel et le christianisme, Paris, Seuil, 1961, p.34
* 59 Ibidem
* 60 Cette vision est
suggérée par A. Letourneau. En effet, s'appuyant sur les travaux
de M. Jouhaud, il soutient que Blondel a un rapport dialectique à Kant,
fait de négation/intégration et de passage à niveau
supérieur. Blondel critique le formalisme kantien de la raison pratique,
mais du même coup, il "phénoménalise"(l'expression est de
M. Jouhaud) la raison pratique en faisant d'elle un moment du
développement de l'action. Cf. Jean Lacroix, Maurice Blondel,
Paris, PUF, 1963, p. 7
* 61 Pour de plus amples détails
sur ce débat, voir la thèse de Michel JOUHAUD, Le
problème de l'être et l'expérience morale chez
Maurice Blondel, Paris-Louvain, éd. Nauwelaerts, 1970 ; Alain
LETOURNEAU, L'Herméneutique de Blondel. Son
émergence pendant la crise moderniste, Montréal, Bellarmin,
1999 ; Diogène BIDERI, Lecture blondélienne de Kant dans les
principaux écrits de 1893-1930. Vers un dépassement de
l'idéalisme transcendantal dans le réalisme
intégral, Editrice Pontficia Università Gregoriana, 1999 ;
Claude TROISFONTAINES, art. cit., p.236-240.
* 62 . Immanuel KANT, Fondements de la
métaphysique des moeurs, tr. de l'allemand par Victor Delbos,
Paris, Delagrave, p. 7
* 63 À ce propos, Maurice Blondel
utilise même un néologisme : la nolonté.
«En vérité, écrit-il, sans même que la
réflexion éclaire ce mécanisme subtil, sans qu'on ait
besoin d'en connaître la théorie, la nolonté ne
saurait subsister si elle n'est composée d'un double vouloir ; et en la
convainquant de duplicité, on ne fait que révéler ce
qu'elle est, à son insu peut être, mais sans que cette ignorance
supprime le caractère volontaire du double mouvement qui la
forme. », l'Action, p. 19.
* 64 Maurice BLONDEL, l'Action,
p. 277.
* 65 Ibid., p. 28.
* 66 Ibid. p. 28
* 67 Michel Jouhaud, op. cit., p.
210.
* 68 Pour une étude
détaillée, voir l'article de Claude Troisfonfaines (supra) ; Et
surtout la thèse de Diogène BIDERI, Lecture
blondélienne de Kant dans les principaux écrits de 1893-1930.
Vers un dépassement de l'idéalisme transcendantal dans
le réalisme intégral, Editrice Pontificia Università
Gregoriana, 1999.
* 69 M. Blondel, Carnets Intimes,
I., p. 547.
* 70 Le titre de la thèse latine
complémentaire à l'Action, selon l'usage courant
à l'époque et dédiée à Emile Boutroux, porte
comme titre : De Vinculum Substantiali et de Substantia Composita apud
Leinitium (1893). Traduit par Claude Troifontaines. Maurice Blondel,
Le lien substantiel et la substance composée d'après Leibniz,
Louvain,-Paris, Nauwelaerts, 1972 ; M. Leclerc, l'Union
substantielle, Paris, éd. Lessius, 1997.
* 71 Maurice Blondel, Une
énigme historique historique. Le Vinculum substantiale d'après
Leibniz, Paris, Beauchesne, 1930.
* 72 Voir l'étude
détaillée de Xavier TILLIETTE, Philosophies eucharistiques de
Descartes à Blondel, Paris, Cerf, 2006.
* 73 Cité par Diogène
Bideri, op cit., p.435
* 74 Ibid.
* 75 Cf. A. Lalande, Vocabulaire
technique et critique de la philosophie, Paris, PUF., 10è
éd. 1968, p. 1209.
* 76 M. BLONDEL, L'Action, p.
453-455.
* 77 Maurice Blondel, Une
énigme historique, p. 86-87.
* 78 Cf. A. Schopenhauer, Le monde
comme volonté et représentation, trad. A. Burdeau, Paris,
Alcan, t. 1, 1888, t. 2, 1889, t. 3, 1890.
* 79 A. Schopenhauer, Le monde comme
volonté et représentation, trad. A. Burdeau, Paris, Alcan,
t. I, 1886, p. 325-326.
* 80 Ibid., t.2, p. 431.
* 81 Maurice Blondel, Correspondances
philosophiques, p. 19-20.
* 82 Maurice Blondel, op cit., p.
301
* 83 Maurice blondel,
Itinéraire, p. 152.
* 84 Claude Troisfontaines,
«L'approche phénoménologique de l'être selon Maurice
Blondel», in Revue Philosophique de Louvain, vol 91/92,
p. 603-609.
* 85 Cf. Claude Troisfontaines,
« Entre la force et la forme, l'action. Le parcours
blondélien » in Pierre Magnard (Dir.), Métaphysique
de l'Esprit. De la forme à la force. Actes du colloque tenu en
Sorbonne les 17-18-19 nov 1995, Paris, Vrin, 1996, p.239.
* 86 On lira avec intérêt
l'Itinéraire philosophique. Nous avons expressément limiter
cette approche .
* 87 Cf.Roger TEXIER, « Maurice
Blondel : le défi de l'action à l'athéisme
actuel » in Nouvelle revue théologique,1992, p.
708-725.
* 88 Christian Godin, La
totalité I. De l'imaginaire au symbolique, Seyssel, Champ Vallon,
1998, p. 164.
* 89 Victor Delbos, « Compte
rendu sur l'Action (1893) », Revue Philosophique de la France et
de l'étranger, 1894(07-12), p. 635.
* 90 Maurice Blondel, L'Action,
p. 37..
* 91 Ibid. , p. 637. Voir aussi
«Une soutenance de thèse» dans Maurice Blondel, OEuvres
Complètes, t. I. 1893. Les deux thèses.
texte établi et présenté par Claude Troisfontaines, Paris,
PUF, 1995, p.691-760.
* 92 «Pour arriver à cerner
l'herméneutique de Maurice Blondel dans sa première
période, écrit A. Letourneau, c'est d'abord à
l'Action, puis surtout aux textes produits pendant la crise
moderniste, qu'il faut accorder notre attention». Cf. Alain
Letourneau, l'Herméneutique de Maurice Blondel. Son émergence
pendant la crise moderniste, Québec, Bellarmin, 1998, p.10.Voir
aussi, Rosino Gibellini, Panorama de la Théologie au XXè
siècle.trad. Jacques Millon, 2è éd., Paris, Cerf,
1994 ; Cardinal Paul Poupard, «Maurice Blondel.1861-1949. L'intelligence
de la foi, la sainteté au défi de l'histoire»,
Conférence de Carême 2003 à Notre Dame de Paris.
* 93 Maurice Blondel, l'Action,
p. I.
* 94 Cf. Henri Bouillard, Blondel et
le Christianisme, Paris, Seuil, 1961.
* 95 Cf., OEuvres Complètes,
t. I., p. 9.
* 96 Cf. J.H. Hennaux, «Alexis
Bertrand, professeur de philosophie du jeune Blondel», in Revue
philosophique de Louvain, 2000, 3, p. 549 -571.
* 97 Ce mot est rapporté par A.
Hainnaux, Op. cit.,note 6.
* 98 Maurice Blondel, Une
énigme historique : Le «Vinculum substantiale »
d'après Leibniz et l'ébauche d'un réalisme
supérieur, Paris, Beauchesne, 1930, p. XVII; La
Pensée, t. I, p. 151.
* 99 Selon Henri Gouhier :
«Maine de Biran semble ne pas voir entre le sujet nouménal et le
sujet phénoménal le rôle décisif d'un sujet
transcendantal irréductible aux deux autres. Pareille
méconnaissance de ce qui est essentiel au kantisme nous parait
stupéfiante (...) Maine de Biran n'a pas vu le sujet transcendantal,
simplement parce qu'il n'en avait pas besoin. Devant les formes a priori
de la sensibilité et les catégories de l'entendement, il n'a
pas à choisir entre un sensualisme naïf qui essaie de les engendrer
à partir des sensations et ce nouvel innéisme qu'est à ses
yeux, le recours à un transcendantal : il a mis au point une
méthode à la fois expérimentale et réflexive qui
permet de rapporter leur origine au sentiment que le sujet a de son existence
dans l'effort volontaire». H. Gouhier, Maine de Biran,
Paris, Seuil, 1970, p.126-127.
* 100 l'Intinéraire
philosophique de Maurice Blondel (1928), Paris, Aubier-Montaigne, 1996, p.
95.
* 101 Claude Troisfontaines,
« La critique de Schopenhauer dans "l'Action" », in
Revue philosophique de Louvain,91, n°92,1993,p.618.
* 102 Maurice Blondel, L'Action,
p.28-29.
* 103 Blondel avait non seulement lu
Schopenhauer, mais il possédait dans sa bibliothèque les
traductions (vulgarisées en France à l'époque) entre
autres:
-Le monde comme volonté et
représentation, trad. A. Burdeau, Paris, Alcan, t.I, 1888 ; t.II,
1889 ; t.III, 1890.
-Le fondement de la morale, trad. A. Burdeau, Paris,
Alcan, 1888.
-Essai sur le libre arbitre, trad. S. Reinach, Paris,
Alcan, 1888.
-Pensées et fragments, 1889.
* 104 Robert Maréchal
résume cette dette philosophique en ces termes : « ...et,
de fait, s'il part en métaphysique du criticisme kantien, c'est pour
révéler la nature de l'inconnue qu'il laissait, la chose en soi
et indiquer le rôle qu'elle joue dans l'évolution universelle et
même phénoménale ; là se trouve la partie originale
de sa doctrine. Dans le déroulement de ses pensées, il se montre
surtout morale. Mais artiste aussi, il est séduit par les Idées
de Platon et les adopte d'emblée [...] Enfin poète, il trouve
dans la littérature Hindoue le revêtement oriental du mysticisme
auquel aboutit sa doctrine. « Je ne crois pas que ma doctrine
eût pu naitre avant que les Upanishads, Platon et Kant eussent
jeté leur lumière dans l'esprit d'un homme», Cf. Robert
Maréchal, « La liberté dans le volontarisme de
Schopenhauer», in Revue néo-scolastique de
philosophie, 26/1, 1924, p. 6.
* 105 A. Schopenhauer, Le Monde comme
volonté et représentation, t. 2, p. 6.
* 106 En réalité, en
insistant sur la trilogie temps-espace-causalité, Schopenhauer
ramène, bien entendu, les douze catégories de l'entendement
présentées par Kant à une seule, la causalité, et
de plus, il fait de la causalité une intuition au même titre que
l'espace et le temps. Cf. Claude Troisfontaines, Op.cit, note,
p.605.
* 107 On lira avec
intérêt l'article de V. Stanek qui propose qu'il est suggestif de
lire la volonté chez Schopenhauer en distinguant trois niveaux, selon
que la vie est considérée d'un point de vue individuel,
spécifique, ou cosmologique. Cf. Vincent STANEK, «l'objet de la
volonté chez Schopenhauer» in P. SALTEL (dir.), La
Volonté, Paris, Ellipses, 2002, p.173-182.
* 108 Cf. R.MARECHAL Art. cit.,
p.9
* 109 A. Schopenhauer, Le Monde comme
volonté et comme représentation,t.1, p. 325-326.
* 110 Il suggestif de rappeler la
réaction de Paul JANET qui demandait à Blondel de poser une
nuance dans l'acceptation même par Schopenhauer du terme "néant"
aussi vrai qu'il recelait une certaine ambiguïté d'emploi ou
d'usage : « Je ne pense pas que Schopenhauer ait affirmé
le néant absolu : il en parle comme un mystique et cache sous ce
terme négatif, de profondes affirmations ». Cf. «Une
soutenance de thèse», in Études
blondéliennes, 1, Paris, PUF, 1951, p.88. La réponse de
Blondel consistera à montrer qu'il critique moins les personnes que les
systèmes : « Pour ce qui concerne Schopenhauer, je
souscris entièrement à votre interprétation. J'ai
remarqué, en termes presqu'identiques, ce mysticisme dont vous parlez,
et j'ai cherché à analyser ce que le pessimisme enveloppe de
positif dans l'idéal négatif qu'il propose, comme un objet
encore, à notre aspiration », id., Op. cit. p. 89.
* 111 A. Schopenhauer, Op. cit.,
t. 1, p. 415.
* 112 A. Schopenhauer, Op. cit.,
p. 430.
* 113 A. Schopenhauer, Op. cit.,
t.2, p.13-19.
* 114 Cf. Claude Troisfontaines, art.
cit., p. 609-611.
* 115 Maurice Blondel,
L'Action., p.34.
* 116 H. Bouillard, Op. cit.,
p. 166.
* 117 Maurice Blondel, l'Action,
p.338.
* 118 Dans ses Essais de
psychologie contemporaine, Paris, A. Lemerre, 1883, à propos de E.
Renan, P. Bourget présente le dilettantisme comme « une
disposition de l'esprit, très intelligente à la fois et
très voluptueuse, qui nous incline tour à tour vers les formes
diverses de la vie et nous conduit à nous prêter à toutes
ces formes sans nous donner à aucune ».Cf. R. Vigourlay,
L'Action de Maurice Blondel, Paris, Beauchesne, 1992, note 1, p.
31.
* 119 Ibid., p. 32.
* 120 Ibid., p.58.
* 121 Jean-Luc MARION, «La
conversion de la volonté selon "l'Action" », in
Revue Philosophique de la France et de l'étranger, 1, 1987,
p.34.
* 122 Arthur Schopenhauer, Le monde
comme volonté et représentation,(8è éd.) trad.
Burdeau, Paris, 1942, p. 431
* 123 Maurice Blondel, l'Action,
p. 25.
* 124 Selon M. LECLERC, même si
Blondel « ne cite pas les auteurs auxquels il se réfère
implicitement, dans la thèse de 1893, il vise en fait le dilettantisme
d'E. Renan (1823-1892) à la fin de sa vie, ainsi que
l'essayisme du jeune M. Barres (1862-1923), (comme il le reconnaitra
en 1937),tout en donnant alors la raison d'une telle
discrétion. » Marc LECLERC, La destinée humaine.
Pour un discernement philosophique, Namur, 1993, p.11O. voir aussi R.
VIGOURLAY, l'Action de Maurice Blondel, p. 31-32.
* 125 Maurice Blondel, L'Action,
p. 11.
* 126 Sur le terme esthète, R.
Vigourlay fait un rapprochement avec Kierkegaard. « Le mot
esthète ici utilisé et qui à cette époque est
ressenti comme un néologisme (Blondel avait le sentiment de l'avoir
inventé) évoque irrésistiblement pour nous cette
première sphère de l'existence que Kierkegaard dénomme
précisément esthétique». Et l'esthétisme comme
système, Blondel l'attribue à "l'idéalisme allemand"Cf. R.
Vigourlay, Op. cit.,p32 et 34.
* 127 Le néologisme
nolonté (nolition seule est admis par Littré)
désigne la volonté qui, pour tenter de ne pas vouloir et de ne
vouloir pas, se contraint à la fin à vouloir le néant,
faute d'annuler son vouloir propre. Cf. Jean-Luc Marion, art. cit., p.
34.
* 128 Dans ses Carnets Intimes,
Blondel écrivait à propos du pessimisme :« Kant, en
ruinant la raison spéculative pour relever la raison pratique, a
tué, sans le vouloir et sans le savoir, la force de vivre avec l'audace
de penser. Le pessimisme est issu de sa critique, parce qu'il y a brisé
la plus haute faculté de l'homme, a éteint toute lumière
et , en nous montrant je ne sais quelle réalité obscure,
impénétrable et illogique, nous a plongés dans une nuit
pleines de cauchemars »(CI. I, p. 223-224).
* 129 Maurice Blondel, L'Action,
p. 24.
* 130 Ibid., p. 25.
* 131 Ibid., p. 40.
* 132 P. Archambault, «La
théorie de la connaissance dans la philosophie de Maurice Blondel»,
in Revue Néo-scolastique de philosophie,
26/1930, p. 163.
http :www.persée/web/revues/home/prescrit/art. consulté le
14 avril 2011.
* 133 Ibid., p.12.
* 134 Ibid.
* 135 Ibid., p. 38.
* 136 Ibid.,p. 37.
* 137 Jean-Luc Marion, art.cit,
p. 34.
* 138 Maurice Blondel, L'Action,
p.21.
* 139 Ibid.,p. 20.
* 140 Ibid., p. 37.
* 141 Nous nous approprions une note
de Roger TEXIER stipulant que « dans le vocabulaire de Maurice
Blondel, volonté voulue désigne le choix que nous faisons d'un
objet ou d'un acte particulier ; volonté voulante, le mouvement du
vouloir qui se porte toujours au delà de nos choix particuliers vers le
bien absolu dont nous n'avons souvent qu'une connaissance obscure», Cf.
Roger TEXIER, Socrate enseignant : De Platon à nous,
Paris, l'harmattan, 1998, p.130.
* 142 Maurice Blondel,
Carnets,t. I., p.434.
* 143 Pour R. Vigourlay,
« La complexité du vouloir se précise en une
dualité qui trouve ici ses expressions caractéristiques :
volonté plus profonde et volonté déclarée (A,
44)...la volonté voulante et la volonté voulue. Cette distinction
entre le voulant et le voulu est évidemment forgée par analogie
verbale sur le modèle du binôme natura
naturans-natura naturata qui remonte au Moyen-Âge et que Spinoza
a rendu célèbre ». Op. cit. ,p. 51.
* 144 Voir note de M. Blondel relative au
mot volonté, in André Lalande, Vocabulaire technique et
Critique de la philosophie, Paris, PUF, 8è éd., p.
1218-1219.
* 145 Bulletin de
Société française de Philosophie, 1922, p.82-83.
Cité par R. Vigourlay , et qui se référant à A.
Graty, dans la note ajoute : « À cette époque,
Blondel est devenu soucieux de trouver des références
traditionnelles. Si en 1893, il ne connaissait pas de première main la
tradition médiévale, il a pu cependant la rencontrer
indirectement. «Saint Thomas distingue admirablement, dans l'âme,
deux volontés, volonté improprement dite, naturelle,
impersonnelle (voluntas ut natura) et la volonté raisonnable
(voluntas in quantum est rationalis...ut est voluntas
formalier). La volonté renferme deux éléments,
l'impulsion naturelle et la propre détermination... » , R.
Vigourlay, L'Action de Maurice Blondel, p. 58.
* 146 Maurice Blondel, l'Action,
p. 335.
* 147 Ibid., p. 127.
* 148 Maurice Blondel, L'Action,
p. 319.
* 149 Maurice BLONDEL, Premiers
Ecrits, t. II, p. 34.
* 150 Maurice Blondel, l'Action,
p.467.
* 151 Dans l'analyse du vouloir, mieux
de la volonté, il nous semble que Paul Ricoeur ne partage pas sinon ne
souscrit pas au point de vue de Blondel. Cela est très suggestif dans
ces propos: «Ce souci d'arrêt au stade du moi explique sans doute
que nous ne fassions aucun usage de la notion de l'action telle que Maurice
Blondel l'a mise en oeuvre depuis 1893.[...] La notion si large et si
précise d'action nous parait avoir son sens plein au niveau d'une
poétique ou mieux d'une pneumatologie de la volonté, telle qu'on
la trouve chez Pascal, chez Dostoïevski, chez Bergson et chez Gabriel
Marcel. À ce plan règnent des notions essentiellement unitives,
par delà la diversité des actes et en particulier par delà
la dualité du connaître et de l'agir dont nous avons dû
respecter la divergence de visée et d'objet. L'action est une de ces
notions unitives. Mais peut être Maurice Blondel sous -estime-t-il les
difficultés de cette méthode d'immanence, en particulier celles
qui procèdent de l'accident de la faute [...] Peut être
après tout l'oeuvre de Maurice Blondel est-elle non seulement une
méthode d'immanence, mais une méthode d'innocence. J'ai parfois
l'impression qu'à travers les détours de l'Eidétique, de
l'Empirique et de la Poétique de la volonté, est
recherchée une assurance onéreuse qui est tout de suite
donnée au maître d'Aix... ». Paul RICOEUR,
Philosophie de la volonté. I. Le volontaire et
l'involontaire, Paris, Aubier (1950), 1988, p. 33-34.
* 152 Pierre LIVET,
« Philosophie de l'action et théorie de l'action »
in M.-J. Coutagne (éd.), L'Action. Une dialectique du
salut. Colloque du centenaire d'Aix-en-Provence, Mars 1993, Paris,
Beauchesne, 1994, p. 83. On consultera avec intérêt aussi Jean-Luc
PETIT, L'Action dans la philosophie analytique, Paris, PUF, 1991.
* 153 Maurice BLONDEL, L'Action,
p.251.
* 154 Ibid., p.106-107
* 155 L'Action, t. I., p. 61.
* 156 Blondel parle ici de passions
comme : «cette action qui sort de nous contre notre vouloir, comme si
elle était volontaire, cette action déraisonnable dont on se fait
une raison nouvelle, c'est à proprement parler la passion». Cf;
l'Action, p.176.
* 157 Blondel semble affronter ici le
fameux problème de l'acrasie d'Aristote. On peut agir pour une
raison alors que ce n'est pas notre meilleure raison. Blondel le transpose
lorsqu'il estime que nous ne faisons toujours pas ce que nous voulons. On voit
là une réappropriation du conflit interne tel qu'il est
énoncé chez Saint Paul. aux Romains (Rm 7, 15).
* 158 En fait, la IIIè partie
de L'Action repose sur une taxinomie présentant le
phénomène de l'action en étapes. Chaque étape
examine ce phénomène en un triptyque de chapitre :
Première étape (3chap.): de l'intuition sensible à
la science subjective ; Deuxième étape :
Du seuil de la conscience à l'opération volontaire ;
Troisième étape (3 chap.) : De l'effort intentionnel
à la première expansion extérieure de l'action ;
Quatrième étape (3 chap.) : De l'action individuelle
à l'action sociale ; Cinquième étape (3e
chap.) : De l'action sociale à l'action superstitieuse (3
chap.) ; Et c'est justement, dans cette partie que se trouve le chapitre I
traitant de la famille, patrie, humanité. Cf, L'Action,
p. 253-
* 159 Ibid., p.245.
* 160 Ibid., p.146.
* 161 Cf. Jean LACROIX, Maurice
Blondel. Sa vie, son oeuvre avec un exposé de sa philosophie,
Paris, PUF, 1963.
* 162 Maurice Blondel, L'Action,
p. 274-275.
* 163 Ibid.
* 164 ibid, p.254.
* 165 Cf Paul Cardinal Poupard,
« Maurice Blondel, 1861-1949. l'Intelligence de la foi »
Conférence de Carême 2003 à Notre Dame de
Paris.
* 166 Nous suivons en partie les
développements de Jean-Luc Marion, « La conversion de la
volonté selon "l'Action" », in Revue
philosophique de la France et de l'Étranger, 1, 1987, p.33-47.
* 167 Maurice Blondel, l'Action,
p. 118
* 168 Ibid., p. 118.
* 169 Dans l'action, M.
Blondel repère et critique les idolâtries successives de l'enfant,
de l'amant, du citoyen, du penseur, de l'État, du rite religieux, de la
patrie, de la science...,Cf., p. 306-314.
* 170 J-L MARION fait un rapprochement
entre Blondel et Descatres. À ce stade, apparaît notamment une
sorte de réappropriation par Blondel de développement
effectués par Descartes sur la volonté de l'infinie comme
désir de Dieu dans Principia Philosophiae, I,§ 6;
Méditationes, AT, VII et VIII, Cf. art. cit., p.
40-41.
* 171 Maurice Blondel , Op.
cit., p. 422.
* 172 J-L Marion, Art. cit. , p.
42.
* 173 Cf. Jean-Baptiste
Jeangène Vilmer, « Descartes. l'infinitude de ma
volonté ,ou comment Dieu m'a fait à son image »,
Revue des Sciences philosophiques et théologiques, 92/2, 2008,
p. 287-312.
* 174 R. Vigourlay, L'Action de
Maurice Blondel, 1893, p.107.
* 175 M. Blondel, l'Action,
p.321.
* 176 C'est ce que Blondel appelle"action
superstitieuse". l'Action., p. 336.
* 177 Id., p.319.
* 178 Ibid.,p.338.
* 179 Blondel considère ce
passage comme obligatoire et nécessaire de sorte qu'il peut
écrire en note : « Impossible de s'arrêter,
impossible de reculer, impossible d'avancer seul : de ce conflit qu
s'élève en toute conscience humaine, jaillit forcément
l'aveu de "l'unique nécessaire". qu'on sache ou non le nommer, c'est la
voie où il est impossible de ne pas passer. Aussi n'est-ce pas d'en
chercher une définition métaphysique qu'il s'agit ici ; il faut
l'étudier, non dans la mesure où la connaissance présume
de pénétrer en lui, mais dans la mesure où son action
pénètre et promeut la nôtre. Il entre aussi, dans le
dynamisme de la conscience : par la présence de cette pensée
qui travaille sourdement les âmes, la vie volontaire revêt
forcément un caractère de transcendance. Le conflit se
résout donc en une alternative qui, en face des termes contradictoires
du dilemme, exige une option suprême et permet seule à la
volonté de se vouloir librement elle-même telle qu'elle souhaite
être à jamais. » M. BLONDEL, L'Action,
p.338.
* 180 Cf. C. DHOTEL, «Action et
dialectique. Les preuves de Dieu dans «l'Action» de 1893»,
Archives de Philosophie, 26/1, Janv-mars 1963, p. 5-26.
* 181 M. BLONDEL, l'Action,
p.41.
* 182 H. BOUILLARD, Blondel et le
christianisme, Paris, Seuil, 1961, p. 83-84 ; Id.,
«Philosophie et christianisme dans la pensée de Maurice
Blondel», in Le centenaire de Maurice Blondel 1861-1961 en sa
Faculté des Lettres d'Aix-Marseille, Publication des Annales de la
Faculté des lettres, Aix-en-Provence, Nouvelle Série n°35,
1963, p. 68-69.
* 183 Maurice BLONDEL, L'Action,
p. 42.
* 184 Ibid.,p. 42.
* 185 Ibid.,p. 43.
* 186 Ibid., p. 304.
* 187 R. Vigourlay, L'Action de
Maurice Blondel, p.105. Pour une étude approfondie de la
problématique de la superstition dans l'Action de
1893,Voir : B. Romeyer, «L'action religieuse et sa
déviation superstitieuse». Etudes Philosophiques,
oct-déc.1952, p. 421-436 ; H. Bouillard, «L'intention fondamentale
de Maurice Blondel et la théologie». Recherches de
sciences religieuse, juil-sept,1949, p. 321-402.
* 188 M. Blondel, L'Action, p.
323.
* 189 P. ARCHAMBAULT, Vers un
réalisme intégral. l'oeuvre philosophique de Maurice
Blondel, Paris, Bloud&gay, 1928, p.26 (version électronique).
Il cite en réalité l' Action, p. 325.
* 190 Maurice BLONDEL, L'Action,
p. 314.
* 191 Ibid.
* 192 Cf. Bernard SÈVE, La
question philosophique de l'existence de Dieu, Paris, PUF, 1994,
p.132-136.
* 193 M. BLONDEL, L'Action,
p.328.
* 194 Ibid., p. 332.
* 195 Ibid., p. 307.
* 196 Ibid., p. 334.
* 197 Ibid., p. 336.
* 198 Ibid., p. 138.
* 199 Bernard SÈVE, Op.
cit., p.133-134.
* 200 Maurice BLONDEL, Op. cit.,
p. 319.
* 201 Ibid., p.323.
* 202 René VIGOURLAY,
Op.cit., p.67-70.
* 203 M. BLONDEl, L'Action,p.
360.
* 204 Pour Claude
TROISFONTAINES : « Dans ce bilan des impuissances de l'action,
Blondel s'inspire très nettement de Schopenhauer et on pourrait mettre
en parallèle ses déclarations avec celles de son
prédécesseur. Par exemple, en ce qui concerne ce premier point,
le philosophe allemand déclare également :
« L'homme a toujours un but et des motifs qui règlent ses
actions : il peut toujours rendre compte de sa conduite dans chaque cas.
Mais demandez-lui pourquoi , ou pourquoi il veut être, d'une
manière générale : il ne saura que répondre ;
la question lui semblera même absurde » (Le monde comme
volonté et comme représentation, p. 168-169. » Cf
C. TROISFONTAINES, « La critique de Schopenhauer dans
L'Action » Revue Philosophique de Louvain,91/92, 1993,
p. 615 (Note).
* 205 Maurice BLONDEL, L'
Action., p. 326.
* 206 Ibid., p. 328.
* 207 Ibid., p. 329.
* 208 Ibid., p. 331.
* 209 Ibid.
* 210 Ibid., p. 325.
* 211 Ibidem.
* 212 R. VIRGOULAY, Op cit., p.
67-68.
* 213 M. BLONDEL, Op. cit.,
p.333.
* 214 Ibid., p. 334.
* 215 Ibidem.
Spécifions que pour Blondel, ce n'est pas l'être-en-soi
de l'homme qui est indestructible, mais sa prétention à
être pour-soi. Toute la différence avec Schopenhauer est
là. Ce dernier déclare qu'à la mort l'homme perd son
operari mais non son esse. Pour Blondel, en perdant son
action, l'homme perdrait aussi son être
* 216 Ibid., p.335.
* 217 Marc RENAULT,
Déterminisme et liberté dans l'Action de Maurice Blondel,
Lyon, E. Vitte, 1965, p. 219.
* 218 M. BLONDEL, Op cit., p.
334.
* 219 Ibid., p. 336.
Signalons que cette déclaration est déterminante pour Blondel. En
effet ,elle servira de point de départ au moment suivant consacré
à l'examen de l'unique nécessaire. Par un subtil usage,
Blondel voudrait bien montrer que la première manière de parler
de Dieu est vraisemblablement de le désigner sous le terme de
néant, car on reconnait par là qu'Il n'est rien de ce qui est
objet immédiat de connaissance et de désir. C'est l'attitude
mystique.
* 220 Ibid., p.340.
* 221 Cf. Paul ARCHAMBAULT,
Initiation à la philosophie blondélienne en forme de court
traité de métaphysique, Paris, Librairie Bloud & Gay,
1941.
* 222 Les commentateurs de Blondel
sont d'accords pour reconnaître que cette expression est une
transposition métaphysique et originale pour désigner Dieu
à partir d'une réappropriation (et d'un détour de sens) du
texte de l'évangile de Luc 10,42. l'originalité de Blondel, c'est
donc lui conférer la technicité d'un concept philosophique.
* 223 M. Blondel, L'Action, p.
338.
* 224 Maurice BLONDEL, L'Action,
p. 339.
* 225 M. BLONDEL, Itinéraire
philosophique, p.36.
* 226 M. BLONDEL, L'Action,p.
338.
* 227 Ibid., p. 351.
* 228 R. VIGOURLAY, Op cit., p.
104.
* 229 M. BLONDEL, Op.cit., p.
352.
* 230 Ibidem, p.426.
* 231 On sait bien que Kant ne
reconnait que trois preuves lorsqu'il écrit : « Il n'y a
, procédant de la raison spéculative, que trois types de preuves
possibles de l'existence de Dieu... La première preuve est la preuve
physico-héologique, la deuxième, la preuve
cosmologique, la troisième la preuve ontologique. Il
n'y en a pas d'avantage, et il ne peut pas non plus y en avoir
davantage ». Emmanuel KANT, Critique de la raison pure,
trad. Alain RENAUT, Paris, Garnier-Flammarion, 1997, p. 529.
* 232 M. BLONDEL, Op. cit.,, p.
348.
* 233 Bernard SÈVE, Op.
cit., p. 134.
* 234 M. BLONDEL, Op; cit.p.
356.
* 235 Ibid., p. 355.
* 236 Ibid., p. 351.
* 237 Ibid., p.371.
* 238 Ibid., p. 422-423.
* 239 Notre ambition n'étant
pas de traiter en profondeur cette problématique des preuves de
l'existence de Dieu, le lecteur pourra se référer, pour
approfondissement de la question , à :
C. DHOTEL, «Action et Dialectique. Les preuves de Dieu
dans "l'Action" de 1893».Archives de Philosophie, 26/1, janv-mars
1993, p. 5-26 ; Jacques PALLIARD, « Prière et Dialectique.
Méditation sur le Proslogion de Saint Anselme», Dieu
vivant, 6, 1946 ; Claudio HUMMES, Le renouvellement des preuves
traditionnelles de l'existence de Dieu dans L'Action(1893) de Maurice
Blondel, 1963 (Thèse de doctorat) ; Karl BARTH, «Fides
quaerens intellectum». La preuve de l'existence de Dieu d'après
Anselme de Cantorbery, trad. Jean Carrère, Paris, Delachaux et
Niestlé, 1960 ; Claude BRUAIRE, L'affirmation de Dieu. Essai sur la
logique de l'existence, Paris, Seuil, 1964.
* 240 Notons que Blondel examine, plus
profondément, cette question dans un article paru dans la Revista di
filosofia neoscolastica, juillet 1937, reproduit dans, Maurice
Blondel, Dialogue avec les philosophes. Descartes, Spinoza, Malebranche,
Pascal, Saint Augustin, Paris, Aubier,1966. Voir particulièrement
les p. 131-141. Un article intéressant y a été aussi
consacré par Gregory B SADLER, « The Ontological Proof, the
Option, the Unique Nécessaire : Maurice Blondel's Examination of
the Proof in Anselm, Descartes and Malebranche», The Saint Anselm
Journal, vol 2, fev 2005, p. 88-100
* 241 M. BLONDEL, Op. cit.,
p. 341.
* 242 Ibid., p.342.
* 243 Ibid., p. 343 .
* 244 C. DHOTEL, art; cit., p.
11.
* 245 M. BLONDEL, Op. cit., p.
345.
* 246 Ibid., p. 346.
* 247 Ibidem
* 248 Ibid., p. 346-347.
* 249 Ibid., p. 346.
* 250 Ibid., p.347.
* 251 Cf. Maurice Blondel, Dialogue
avec les philosophes, Paris, Aubier, 1966. Blondel a examiné l'
argument ontologique de Descartes qu' il nomme justement la «clef de
voûte du système cartésien».
* 252 Ibid., p. 426.
* 253 Cf. C. DHOTEL, Art
cit.
* 254 Voir l'intéressant article
de Gregory B. SADLER (supra); et les considérations que l'auteur y
apporte dans Blondel, Dialogues avec les philosophes, Paris, Aubier,
1966.
* 255 Répondant, pendant la
soutenance à une question de M. SÉAILLES, Blondel
précise : « ...À un point plus avancé du
développement de l'action, j'ai rencontré, tout aussi
inévitablement et d'ailleurs sous des formes plus ou moins explicites,
l'idée de Dieu : j'ai fait voir comment cette idée
est nécessairement engendrée et comment, même anonyme,
pseudonyme ou méconnue, elle engendre nécessairement
à son tour. J'ai essayé, par des preuves classiques dont
c'est en effet le rôle, de préciser, de purifier, de confirmer
cette grande affirmation de l'humanité entière pour montrer
ensuite, avec une fore accrue et une lumière qui oriente notre marche,
comment l'idée de Dieu entre aussi dans le dynamisme de l'action :
[...] Je l'étudie d'abord dans la mesure où cette connaissance
nécessaire devient pour nous l'unum necessarium et nous
impose la suprême alternative d'où il dépendra qu'elle
soit salutaire ou délétère, que Dieu soit
réellement ou qu'il ne soit pas pour nous.[...] Mais, ici plus que
jamais, j'ai maintenu que ce que nous refoulons par notre volonté
voulue, nous ne le supprimons pas, nous ne l'effaçons même pas de
notre volonté voulante. Et j'ai indiqué
comment, selon la réponse que nous aurons donné à
l'alternative dont la présence de Dieu en notre
conscience nous impose la nécessité, la connaissance et la
possession que nous avons et que nous aurons de lui ne sauraient être les
mêmes. Il y a donc une métaphysique à la seconde
puissance, une métaphysique foncièrement réaliste, qui
nous présente l'être non plus simplement comme un objet
constitué par les contours logiques qu'on pourrait connaître du
dehors et égaler par la pure idée, mais comme une
vérité et une bonté à laquelle on ne participe
davantage qu'en s'y conformant intérieurement ». Cf.
« Une soutenance de thèse » dans
Maurice BLONDEL, OEuvres Complètes, t. I.1893. Les deux
thèses, (texte établi et présenté par Claude
TROISFONTAINES), Paris, PUF, 1995, p. 737.
* 256 P. LACHIÈZE-REY,
« Réflexions sur la portée ontologique de la
méthode blondélienne », in Hommage à Maurice
Blondel, Cahiers de la Nouvelle journée,n° 12, 1946,
p149-150.
* 257 Maurice BLONDEL,
l'Action., p. 340.
* 258 Ibid., p.340
* 259 Ibid., p. 348.
* 260 Ibidem
* 261 Ibidem.
* 262 C DHOTEL, art. cit., p.
22.
* 263 Maurice Blondel, L'Action,
p. 350.
* 264 Ibid., p. 350.
* 265 Ibid., p. 402.
* 266 Ibid., p. 406.
* 267 Ibid. , p. 422-423.
* 268 À en croire B.
Saint-Sernin : « En résumé, Blondel prend l'action
comme fil directeur de son exploration du réel. Il voit en elle la seule
façon de passer de la phénoménologie à l'ontologie,
ce mot technique désignant l'accession aux "choses mêmes"(c'est
pourquoi il parle d'ontologie concrète). De l'analyse de
l'action, il tire l'implication qu'agir nous fait éprouver notre
solidarité avec l'univers. Sa perspective ne le pousse pas à
isoler les individus les uns des autres ni non plus à dissocier l'ordre
humain de l'ordre vivant (et donc de l'histoire naturelle) et de l'ordre
physico-chimique (qu'il appelle cosmique) ».B. SAINT-SERNIN,
Blondel. Un univers chrétien, Paris, Vrin, 2009, p. 172-173.