CHAPITRE VII :
DISCUSSION
La discussion portera essentiellement sur les résultats
qui peuvent permettre des recommandations dans la gestion de la
fertilité spécifique du site étudié, en concordance
avec le concept qui fait l'objet de notre étude.
Potentiel des bas-fonds
secondaires
L'étude morpho-pédologique du site
étudié montre l'existence d'un recouvrement sableux sur des
formations plus fines (argile et limon), dominantes dans la partie
médiane du bas-fond. Ce recouvrement indique une certaine transgression
de couches moins fertiles sur celles de meilleure potentialité, dans la
partie latérale, attestant d'un colluvionnement récent. Cette
situation serait la conséquence de la dynamique de l'eau le long de la
toposéquence, se résumant par l'érosion des sols de
plateau, dont les particules plus fines (argile et limon) sont
transportées et déposées plus loin dans le bas-fond, alors
que les plus grosses sont présentes sur les bordures.
A terme, ce processus géodynamique pourrait conduire
à un élargissement de la zone hydromorphe, au détriment du
bas-fond proprement dit, rejoignant en cela, Raunet (1985b), qui avait
signalé ce fait lors de son étude des bas-fonds de l'Afrique de
l'Ouest. Les travaux de Razafindrakoto (2007), effectués à
Madagascar ont aussi indiqué ce phénomène.
Notre étude révèle que le processus de
dégradation des bas-fonds est prononcé dans le bas-fond
secondaire étudié, avec l'existence d'une poche sableuse
jusqu'à la partie médiane, atténuant le potentiel
agronomique, et menaçant l'existence de ce type de bas-fond.
Les sols des autres segments topographiques, notamment, au
niveau du bas de versant, présentent plusieurs déficiences en
nutriment pour les cultures vivrières, à l'exception du bas-fond.
Cette analyse soulève la question de gestion rationnelle des ressources
en sol, ce qui justifie l'exclusion des sols de bas de versant pour une culture
vivrière intensive comme le montre les travaux de Koné
et al., (2009). Toutefois, l'existence d'une nappe
phréatique au niveau du sol (>70 cm) de bas de versant lui
confère, temporairement, des propriétés favorables
à des cultures spécifiques (riz pluvial, maraîcher,
etc).
Dans le bas-fond proprement dit, on a noté une texture
équilibrée, qui pourrait se prêter à une bonne
riziculture irriguée. Cependant, il pourrait y avoir une
déficience en K (<0,10 cmolkg-1) dans la couche 20 - 60 cm
de profondeur du sol, de sorte à affecter le rendement de cette culture.
La dominance des teintes 2,5Y et 5Y, au détriment de Gley1, laisse
croire que la toxicité ferreuse (ADRAO, 2006), l'une des contraintes les
plus répandues dans les bas-fonds (ADRAO, 2002; Fageria et al.,
2002) est inexistante ou mineure contrairement aux sols hydromorphes (gleysols)
de la région du Bélier (Zro Bi et al., 2012) qui
présentent des risques réels de toxicité ferreuse. En
effet, du point de vu morphologique, on note une largeur du bas-fond de plus
100 mètres environ avec un sol à une texture variable correspond
à un bas-fond secondaire tel que décrit par Ambouta et
al., (2005), mais équilibrée, permettant un bon drainage
qui est une action atténuante et de lutte contre le
phénomène de la toxicité ferreuse préconisé
par ADRAO (2006).
Contraintes
minérales dans le bas-fond secondaire de M'bé
Les effets de déficiences minérales
observés lors de la période végétative se sont
manifestés par les symptômes caractéristiques pour N, Mg et
K. Cependant, ces symptômes ont été temporaires, en
disparaissant au début du stade reproductif. Cela permet de supposer
que la plante de riz aurait un besoin plus prononcé en ces nutriments
durant la phase végétative, comparativement à la phase
reproductive. Si les traitements Fc-N, Fc-K et Fc-Mg n'ont eu aucun effet
significatif sur la hauteur du riz, ils ont induit des effets dépressifs
sur les nombres de talles et de panicules comptés à la
maturité du riz, en dépit de l'absence de symptômes
foliaires. Les indices de Chaminade, calculés pour Fc-N, Fc-K et Fc-Mg
sont à 77 p.c ; 85 p.c ; et 84 p.c respectivement et attestent
une déficience secondaire pour ces nutriments. Cette analyse souligne
l'ambiguïté de la nutrition minérale du riz, du fait des
effets phénotypiques temporaires. Les traitements en Fc-N, Fc-K et Fc-Mg
donnent des rendements en grains (RG) plus faibles, alors que ceux en Fc-Zn,
Fc-P et Fc-Ca ont induit de hauts rendements similaires à celui de la
fumure complète (Fc). L'apport de Zn, P et Ca ne serait donc pas un
impératif pour la riziculture dans l'agro-écologie
étudié, alors que celui de N, K et Mg se justifie. Les analyses
du sol confirment la déficience en N (< 1 gkg-1) et K
(< 0,10 cmolkg-1) par opposition à Mg (2,26
cmolkg-1) dont la teneur est suffisante pour les cultures, selon
Mahoulli (1997). L'effet du traitement Fc-Mg n'est donc pas lié à
la teneur du sol en Mg, mais plutôt à des effets indirects
résultant d'interactions. En effet, malgré une teneur suffisante
en Mg du sol, des symptômes de déficience sont notés. Ceci
peut être lié au pH du sol (5,5 < 5,6) (Ferrari et Sluijsmans,
1955), comme l'ont montré les études de terrain. Il y aurait donc
un problème de disponibilité de Mg pour la nutrition du riz, en
dépit d'une teneur suffisante.
Vu que l'exclusion de N de la fumure complète-Fc a
induit l'effet dépressif le plus important (77 p.c), faisant de lui le
nutriment le plus limitant, nous présumons que l'exclusion de Mg dans le
traitement Fc-Mg pourrait influencer la nutrition azotée du riz. En
effet, la figure 15 indique que Fc-Mg a été parmi les traitements
à faible exportation de N, avec un taux plus élevé dans la
paille. Il y'a donc eu une plus faible translocation de N, alors que c'est ce
processus physiologique qui favorise les productions quantitatives et
qualitatives. Cette analyse dénote l'existence d'une forte interaction
entre la nutrition azotée et celle du magnésium, en riziculture,
dans l'écosystème étudié. Cette interaction serait
due à une synergie entre Mg et N pour la nutrition du riz (Givelet et
Guénégan, 2003 ; Peltier, 2009). Par conséquent, la
dépréciation physiologique de l'un devra affecter
parallèlement l'autre. On a donc une inhibition du synergisme entre N
et Mg, entravant le rendement en grain dans Fc-Mg. Ceci peut être aussi
dû à l'effet antagoniste de K sur l'absorption de Mg (Epstein,
1972). Même si cela a un rôle secondaire dans la
dépréciation du rendement en grains en Fc-Mg, il peut
réduire le rôle de synthèse des carbohydrates et le
transport des assimilats, dévolu à Mg (Mengel and Kirkby,
1982).
Limite de la nutrition
minérale du riz dans le bas-fond pendant l'harmattan
Bien que le riz soit tolérant à un large
éventail de conditions climatiques, pédologiques, et
hydrologiques (Dembélé, 1995 ; Courtois, 2007), certains
facteurs climatiques ou environnementaux, notamment, l'air, la lumière,
l'énergie solaire, l'eau et les sels minéraux, ont une incidence
considérable sur les rendements, en agissant sur les processus
physiologiques liés à la formation du grain (FAO, 2003b).
Notre étude s'est déroulée en plein
harmattan (décembre, janvier et février), dans un bas-fond soumis
à des assèchements intermittents, dus à la mauvaise
gestion de l'eau du barrage. Ces assèchements sont survenus pendant le
plein tallage, à l'initiation paniculaire ainsi qu'au stade de
remplissage des grains, qui constituent des phases critiques pour le besoin en
eau (Scaskine et Shepilenia, 1947). Cette mauvaise gestion de l'eau, avec pour
conséquence une insatisfaction du besoin en eau du riz, a dû
influer sa production en grains en induisant des conditions permanentes de
sécheresse défavorables à la reproduction du riz ;
plante assez exigeante en eau (Courtois, 2007), occasionnant de ce fait, des
réductions drastiques des rendements en grain (Lafitte, 2002). Cette
pratique limiterait la tolérance des cultures (Lafitte et al.,
2004) à la sécheresse gage d'une amélioration des
rendements des cultures.
En effet, les doses de fertilisants appliquées visaient
un rendement en grains de 8 tha-1. Or, le maximum de rendement grain
n'a été que de 1,85 tha-1, avec Fc-Zn. Cependant, ce
traitement a induit une production de matière sèche totale de
7,11 tha-1, proche de notre objectif de rendement. Il y aurait une
très forte production de paille (3,21 - 5,26 tha-1). Cela est
illustré par de faibles (< 30p.c) valeurs de l'indice de
récolte-IR. On déduit de cette analyse qu'il y'a eu une
absorption optimale des fertilisants, en dépit de la mauvaise gestion de
l'eau. Le faible rendement en grains serait la conséquence des dommages
des organes de reproduction (organes floraux et pollens) tels que
décrits par Petrovskaïa (1955) et Anukiev (1959).
On ne saurait ignorer l'incidence des inondations lors des
épisodes d'irrigation, du fait d'un mauvais aménagement du
périmètre rizicole. En effet, nos résultats indiquent que
la submersion a favorisé des attaques de parasites, qui,
eux-mêmes, ont induit la mortalité des pieds de riz et
déprécié le rendement en grains.
Il faut noter que les températures minimales et
maximales ont varié respectivement, de 20-21°C et de 33-34°C,
durant l'expérimentation. Or, selon la FAO (2003b), les gammes de
températures pour un bon tallage et un bon remplissage des grains sont,
respectivement de 25-31°C et de 20-25°C. Théaka (1988) a
montré que, les basses températures dénaturent et
décomposent les chloroplastes, conduisant à la libération
de beaucoup de ferments grâce auxquels certains processus enzymatiques,
qui se réalisent dans les plastides, commencent à se
réaliser directement dans le protoplasme. Les effets néfastes des
basses températures se traduisent par un blocage des processus de
croissance, la réduction de la hauteur, le retard à la
levée, la lenteur de la vigueur végétative, la
décoloration foliaire, le retard à la floraison, une grande
stérilité de l'épillet, une maturation
irrégulière et une épiaison paniculaire incomplète.
Cette baisse de température conduirait la plante à
développer des processus d'adaptation (Fujii et al., 2004) au
détriment de la reproduction, comme le révèlent les
travaux de Cornic (2007) et Koné et al., (2008). Ce qui
contribuerait à réduire considérablement les rendements.
Néanmoins, le plus grand rendement obtenu durant
l'expérimentation a été presque le double du rendement
moyen, habituellement, obtenu en riziculture, en Côte d'Ivoire (DCGTx,
1990; REI, 2003) et approximativement égal à
celui obtenu par Koné et al., (2008) au Togo pour la
riziculture de plateau.
Vu que plusieurs contraintes ont impacté
négativement le rendement en plus des effets de l'harmattan, nous avons
des raisons de croire que, dans des meilleures conditions d'aménagement
et d'irrigation, une fumure de base, composée de N, K, et Mg serait la
mieux indiquée pour la riziculture, dans l'agro-écologie
étudiée, en période d'harmattan.
Cette étude, nous permet proposer quelques options de
gestion qui pourraient aider à atténuer le problème de
l'ensablement du bas-fond. Ainsi, pour limiter et/ou arrêter
l'érosion des sols de plateau dont les particules fines sont
transportées et déposées dans le bas-fond, il faudra
maintenir une couverture végétale pérenne (agroforesterie)
ou utiliser des plantes comme les légumineuses sur les plateaux,
notamment au sommet d'interfluve, qui présente le taux de sable le plus
élevé en surface. Dans le bas de versant, un apport de
fertilisants riche en N, P, K, et Mg se justifie pour une mise en valeur
agricole.
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