Conclusion
Il est apparu, tout au long du travail, que les tanks
ne présentent pas une dynamique uniforme sur l'ensemble du bassin
versant. Selon l'échelle et les territoires considérés,
des éléments différents interviennent dans
l'affaiblissement, ou au contraire, dans le renforcement ou la stabilisation
des systèmes basés sur l'irrigation par tanks. Si, au niveau
régional, les facteurs physiques (réseau hydrographique,
topographie, sols) permettent d'interpréter de manière
satisfaisante l'agencement des tanks dans l'espace, il faut, au niveau local,
s'appuyer sur des variables plus diversifiées pour comprendre les
évolutions récentes du paysage rural. Ainsi, sur certains espaces
contigus ou géographiquement proches, et en réponse à des
structures internes différentes, des dynamiques opposées ont
émergé durant les dernières décennies. Cela
démontre, en particulier, l'importance qu'il convient d'accorder aux
paramètres, aussi bien endogènes qu'exogènes, susceptibles
de modifier la structure sociale ou les comportements individuels des acteurs.
Car si l'environnement naturel peut favoriser, voire accélérer
certains processus physiques (érosion, comblement), les choix
individuels et collectifs représentent le facteur déterminant
dans le déclin ou la stabilisation des tanks.
Dans un tel cas de figure, il est apparu
nécessaire de ne faire abstraction d'aucun élément du
système et de n'omettre aucune hypothèse sur les interactions
possibles entre ces éléments. L'articulation des observations
à plusieurs échelles et l'intégration de données
pluridisciplinaires ont donc participé à la mise en place d'une
analyse systémique, adaptée à l'étude d'objets
complexes réfractaires aux approches de compréhension classiques
et sectorisées. La complexité des systèmes agricoles
indiens n'a effectivement pas pu être abordée à partir des
concepts d'un seul champ disciplinaire. Elle s'exprime aussi à travers
les résultats disparates obtenus.
La période observée, c'est-à-dire
des années 1970 aux années 2000, a été le
siège de bouleversements mondiaux d'ordre géopolitique et
économique. Les changements opérés au lendemain de la
décennie des années 1980 ont profondément modifié
les objectifs, accru la concurrence et restructuré de nombreux secteurs
d'activité, dont l'agriculture. Tous ces éléments
contribuent à accélérer le processus de modernisation aux
dépens des systèmes traditionnels dont font partie
intégrante les tanks. Même si il est difficile d'évaluer et
de quantifier les répercussions de ces changements globaux à
l'échelle de l'exploitation agricole ou de celle de l'ouvrier agricole,
il semble que l'accroissement de la pression sur la ressource en eau,
exacerbée par des prélèvements excessifs d'eaux
souterraines, soit un signal fort de la restructuration des méthodes de
production agricoles, insufflée par une frange de la population (hautes
castes ou castes dominantes) en direction d'une financiarisation et d'une
marchandisation accrue des produits de l'agriculture. Alors que les
problèmes inhérents aux tanks au cours du 19ème
siècle et dans la première moitié du
20ème siècle étaient principalement le
résultat d'une difficulté à entreprendre des actions
collectives, corsé par l'interventionnisme de l'administration
britannique, les difficultés actuelles sont, en plus, liées
à l'intégration de l'agriculture au marché, qui est un
facteur immatériel déterminant mais difficile à cerner.
L'augmentation des intrants utilisés est toutefois une des
conséquences directes de la modernisation agricole qui accroît le
risque pour les petits paysans en diminuant leur autonomie managériale.
Dans ce cadre, les tanks répondent de moins en moins aux exigences sur
le court terme des nouveaux systèmes de productions, plus grands
consommateurs d'eau. La vallée de Cumbum est un exemple probant de cette
intensification qui s'appuie sur une pluralité de sources d'irrigation.
Dans un tel système, et à l'échelle de la vallée,
les tanks ont un rôle accessoire. Néanmoins, la baisse des niveaux
piézométriques enregistrée dès les années
1970 et la récurrence des années de sécheresse rend le
système particulièrement vulnérable. C'est une des raisons
pour lesquelles la revalorisation des produits dérivés du tank,
qui permet de dégager des fonds pour la collectivité et qui
réduit la vulnérabilité de tous
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les paysans, doit être considérée
comme une nécessité. La gestion du tank doit donc se
réorganiser pour répondre de manière adéquate aux
prochains défis qui se poseront au monde agricole indien. A ce titre, la
division des modes de gestion selon la taille des ayacuts et leur
sectorisation entre system tanks et non-system tanks
apparaissent comme des éléments néfastes à une
gestion intégrée au niveau régional. Au niveau des
villages, c'est davantage le manque de concertation et de coopération
entre les ayacutdars qui a amorcé le déclin des tanks.
Si certains espaces dans le sous-bassin de Sarugani, que l'ont pourrait
d'ailleurs assimiler à des terroirs, dans la mesure où ils
présentent une base de ressources homogène, voient leurs tanks
intégrés socialement, écologiquement et
économiquement, il faut rappeler que ce sont les conditions
environnementales et culturelles particulières qui en sont les
responsables, et que l'on ne les retrouve dans aucune autre portion du bassin
versant. C'est toutefois l'exemple qui montre que des systèmes agricoles
basés sur l'irrigation par tank sont, aujourd'hui, encore
viables.
Le travail réalisé aura donc permis,
à l'échelle d'un bassin versant, de déterminer les raisons
et les facteurs contribuant au déclin des tanks, mais aussi les
disparités, les originalités et les
hétérogénéités spatiales, sociales et
culturelles rattachées au systèmes agricoles. En cela, il
constitue un outil qu'il serait intéressant de développer afin de
confirmer ou d'infirmer certaines hypothèses émises, en
particulier sur les états de surface du lit des tanks. L'approche
systémique semble, quant à elle, adaptée à de
telles problématiques qui font intervenir des logiques
économiques, des changements d'ordre idéologique, des
problèmes liés à la dégradation de l'environnement,
des conflits d'usage lié à l'utilisation de l'eau et des
questions d'éthique et d'équité entre les
acteurs.
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