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Epargne et dépenses de consommation des ménages en milieu rural: cas du village d'Adjamé Bingerville dans la commune de Bingerville en Côte d'Ivoire

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par Tanoh Fabrice Oswald TANOH
Université Félix Houphouët Boigny Abidjan - Master 1 de sociologie économique 2013
  

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I-1-3 Les constats de recherche

Deux constats essentiels se dégagent autour de la question des déterminants sociaux de l'épargne dans le village d'Adjamé Bingerville. Le premier constat concerne la façon dont les Ebrié d'Adjamé Bingerville se représentent eux même l'épargne. Le second, évidemment, se situe au niveau des logiques de budgétisation de l'épargne par les ménages.

Constat 1 : Une logique de budgétisation de l'épargne en termes de revenu alloué afin d'honorer des obligations sociales malgré la précarité de revenu et l'insatisfaction des ménages dans les dépenses de consommation dites prioritaires

La budgétisation de l'épargne est le fait qu'un ménage octroie une part de son revenu à l'épargne, qui est considérée comme un poste dans la structure des dépenses de consommation des ménages.

Selon certains économistes, les ménages à bas revenu sont dans l'incapacité de dégager une partie de leur revenu pour le consacrer à l'épargne (Keynes, 1959). Seuls les ménages à revenu élevé peuvent épargner. Du coup, selon ce postulat économique, le revenu et le taux d'intérêt bancaire seraient les seuls déterminants de l'épargne des ménages. Ce qui conduit les économistes à ne prendre qu'en compte dans leur analyse de l'épargne la dimension monétaire ou financière.

Or, au cours de l'enquête exploratoire, le constat qui a été fait est que, malgré le caractère précaire du revenu des ménages d'Adjamé-Bingerville qui se situe en moyenne au seuil du SMIG, c'est-à-dire entre 37.000f et 100.000f CFA par mois, 93% de ces ménages5 consacrent environ 5000f à 20.000f CFA

5 Calculs issus de l'enquête exploratoire menée dans le village d'Adjamé-Bingerville dans la commune de Bingerville.

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de leur revenu chaque mois au poste épargne. Pour la plupart, l'épargne constitue un poste de dépense en termes de revenu alloué qui s'élève à environ un quart (1/4) du revenu disponible. Et ce, malgré le fait que ces ménages sont considérés comme pauvres du fait de leur statut social et de la faiblesse de leur revenu.

Cette budgétisation systématique de l'épargne met en perspective, au delà des facteurs économiques, des déterminants sociaux qui influencent les comportements des ménages dans l'acte d'épargne. Comme le souligne T. S6 « je gagne 60.000 F CFA chaque mois. Aujourd'hui qu'est-ce qu'on peut faire avec un tel salaire. Il y a beaucoup de dépenses à effectuer à la maison et pour les enfants, les parents qu'il faut aider de temps à autre et sans oublier les évènements tels les sorties de génération et les autres cérémonies traditionnelles ici au village que je dois préparer. Cette année je dois faire ma sortie de génération. Donc, je garde un peu d'argent chaque fin du mois pour payer ma contribution au niveau de la génération qui s'élève à 35.000 F CFA pour les hommes et 80.000 F CFA pour les femmes, C'est pour cela que si je ne garde pas de l'argent ce ne sera pas bon pour moi. C'est mon nom qui va se gâter ».

Constat 2 : Deux représentations de l'épargne socialement marquées différentes de la perception économique de l'épargne.

Dans une perspective phénoménologique, le décryptage du discours populaire et l'observation des pratiques sociales liées à l'épargne mettent en relief deux perceptions sociales distinctes de la rationalité économique dans la manière dont les ménages d'Adjamé Bingerville perçoivent l'épargne.

6 Verbatim de l'entretien réalisé avec T.S, contremaitre dans une plantation industrielle

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Il existe d'un côté, une perception de l'épargne fortement imprégnée des valeurs culturelles traditionnelles que transmettent les structures sociales telles que les générations de catégories de classes d'âge, les associations ou les mutuelles de solidarité villageoise. Comme en témoigne les propos d'A.Y7 « En tout cas monsieur, chez nous ici là, tous les membres de la mutuelle de notre génération savent qu'on doit respecter les règles surtout quand il s'agit d'apporter un soutien financier c'est-à-dire quand on doit lever des cotisations mensuelles ou spéciales pour une oeuvre communautaire, pour organiser un évènement ou pour soutenir l'un d'entre nous qui est malade. (...) Celui qui ne s'acquitte pas de toutes ces obligations morales risque de passer devant le conseil de discipline de la génération et recevra une amende ».

Et de l'autre côté, une perception de l'épargne marquée par des croyances religieuses véhiculées par les différentes communautés religieuses constatées sur le terrain. Selon le discours de K.C8, « chaque fin de semaine, je retire toujours dans le bénéfice de mes ventes d'attiéké, la part de Dieu pour faire les offrandes dans ma communauté religieuse. La dime9 que je donne chaque dimanche à l'église là, pour moi c'est une forme d'épargne! Et ce que je gagne en retour là, c'est plus que ce que je donne même. Pour moi c'est une obligation de donner. Si je ne le fait pas, je ne suis pas en paix dans mon esprit. (...) De plus je préfère donner une partie des bénéfices de la vente de mon attiéké à Dieu parce que je sais que c'est ce qui fait que mon commerce marche bien ».

Ces deux propos, parmi tant d'autres, font apparaitre une double perception sociale de l'épargne au niveau des ménages du village d'Adjamé Bingerville et qui influencent l'allocation de l'épargne des ménages.

7 Propos d'A.Y, vice-président de la mutuelle de la génération de la catégorie Dougbo

8 Propos de K.C, commerçant `'d'Atiéké» dans le village d'Akwè-Djèmin lors de l'enquête exploratoire.

9 La dîme est considérée dans la religion chrétienne comme le dixième du revenu qui revient à Dieu selon les écrits bibliques.

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Cette double perception se traduit en pratique, tout d'abord par une différenciation dans l'appartenance aux structures sociales qui régissent la vie quotidienne des ménages d'Adjamé Bingerville. Ensuite, par une logique d'acquisition de l'épargne grâce à des stratégies d'ajustement dans les dépenses de consommation mise en oeuvre par les ménages et enfin par un emploi conditionné de l'épargne dans les structures d'appartenance qui déterminent fortement l'épargne des ménages grâce aux normes et valeurs sociales qu'elles véhiculent. Comme en témoigne T.H10 « (...) En tant que notable et chef de catégorie, je suis obligé de garder de l'argent pour régler les problèmes de notre génération. Donc pour cela je ne dépense pas n'importe comment ce que je gagne. Je me prive de beaucoup de choses pour honorer à mes responsabilités... ». Ainsi, qu'elle soit culturelle ou religieuse, ces croyances orientent l'allocation de l'épargne dans la structure sociale à laquelle s'identifie le ménage. Dans cette optique, les ménages rationalisent leurs dépenses dans une logique de budgétisation de l'épargne afin de pouvoir remplir leurs obligations sociales.

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"En amour, en art, en politique, il faut nous arranger pour que notre légèreté pèse lourd dans la balance."   Sacha Guitry