UNIVERSITE LIBRE DE BRUXELLES
FACULTE DES SCIENCES SOCIALES ET POLITIQUES
Département des sciences sociales et des sciences du travail
Année académique 2012 - 2013
Directeur: M. le Professeur Marc
Lenaerts
LA NÉGOCIATION DE LA PRISE EN CHARGE DANS UNE
MAISON DE REPOS ET DE SOINS BRUXELLOISE.
Anne-Claire ORBAN
Mémoire présenté en vue de l'obtention du
grade de Master en Anthropologie à finalité sociale
et culturelle
Petit regard enfin « aux Copaing' »
grâce à qui ces années universitaires se termineront en
beauté !
Je remercie chaleureusement Mathilde, Mme Oste et
le Docteur Tudor pour le temps qu'ils m'ont chacun accordé mais surtout
pour leur ouverture, leur sympathie et leur accueil à chacune de mes
visites. Merci à Valérie pour le refuge qu'elle m'offrait dans
son local de secrétariat. Sans eux, ce terrain aurait été
bien moins agréable.
Merci au CPAS de Bruxelles et à Mr. Marc de
m'avoir ouvert les portes de l'établissement avec tellement de
confiance.
Merci à mes lecteurs, Mme Carbonnelle et Mr
Lebeer de m'avoir remise sur la voie quand je m'égarais. Il ne
s'agissait peut-être que de petits conseils insignifiants à leurs
yeux, mais croyez-moi, ils m'ont été capitaux ! Merci à Mr
Lenaerts également.
Un tout grand Merci à « mes ptits
vieux » pour leur relecture (et à Marie-Claire, pour le temps
passé à s'énerver devant l'imprimante. Ne
t'inquiète pas, ça ne marche jamais comme on veut ces trucs
là !) ; à mes parents : à ma mère pour son
attention quotidienne (notamment les crèmes pudding du dimanche,
même ratées...) et son implication dans mes études en
général, à la « larme à l'oeil »
encourageante de mon père et à ses conseils perspicaces ;
à mon petit frère pour m'avoir prêter sa chaise de bureau
grise si confortable... ; à Kim pour ses encouragements et la confiance
qu'il me donne dans les moments de doute (et c'est pas facile !) ; à
Marie pour ses virgules ; à la communauté Libre Office pour leur
traitement de texte si simple à utiliser ; et à Laurie, Astrid et
Guénaëlle pour le soutien mutuel apporté pendant notre
semaine Blocus périgourdine.
Ils y vivent, elles y travaillent Ils y pensent,
elles y pansent Ils ont le temps, elles ne l'ont pas Ils y rêvent, elles
s'épuisent
&&&
Lieu entre deux mondes Où au final, au lieu
que ne s'affrontent Ceux et celles que tout sépare C'est autour de
l'amour pour l'autre Que chacun trouve sa part
1
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION 3
PARTIE I : LE CONTEXTE DIT « LOINTAIN
»,
Ou : Analyse des éléments de la
situation
|
9
|
CHAPITRE 1 : UNE MAISON DE REPOS ET DE SOINS
10
1.1 Une population spécifique 10
Une première sélection, 10 ;
Une seconde sélection, 14
1.2 Une vue de l'intérieur 15
CHAPITRE 2 : UN ÉTABLISSEMENT DU
16ÈME SIÈCLE 18
2.1 Le bâtiment et sa direction 18
2.2 Évolution du règlement 20
Critère de sélection, 20 ;
Normes d'hygiène, 21 ; Vie sexuelle, 21 ; Travail
forcé, 22 ; Culte, 23 ; Civilité,
23
CHAPITRE 3 : UN ÉTABLISSEMENT PUBLIC
28
3.1 Public, privé, ASBL : quelles
différences ? 28
3.2 Un contrôle externe 28
3.3 Une certaine population 30
3.4 Immobilité et persistance 31
3.5 Réinsertion sociale 35
CHAPITRE 4 : UNE MAISON BRUXELLOISE 36
4.1 Offre résidentielle à Bruxelles
36
4.2 Une taille et un prix 37
4.3 Une certaine population 37
CHAPTIRE 5 : Coup d'oeil sur l'organisation officielle
39
5.1 La structure de la maison 39
5.2 Trois sous-division 46
Division spatiale, 46 ; Division
fonctionnelle, 49 ; Division temporelle, 52
56
57
CONCLUSION PARTIE I
Ou : Que retenir pour la suite ?
PARTIE II : LE CONTEXTE DIT « PROCHE »
Ou : Le grand plongeon dans les
négociations.
CHAPITRE 6 : UN MYSTÉRIEUX TRIANGLE 58
6.1 « Brainstorming » et catégorisation
58
6.2 Les « patients » : le pôle
hospitalier 62
2
La matérialité, 62 ; Le
fonctionnement d'équipe, 63 ; Les soins, 64 ; Qu'en
disent les résidents ?,64
6.3 Les « résidents » : le pôle
palliatif 65
Le respect de la liberté, 67 ; Le
fonctionnement d'équipe, 68
6.4 Les « résidants » : le pôle
domicile 70 L'intimité et l'intrusion, 71 ; La vie
privée, 72
6.5 Une quatrième dimension... 73
6.6 Une situation qui coince 75
CHAPITRE 7 : VOUS AVEZ DIT BIEN-ÊTRE ?
78
7.1 Stimuler 79
7.2 Converser 83
7.3 Surveiller 84
7.4 Se reposer 86
CHAPITRE 8 : AU-DELÀ DE LA HIÉRARCHIE
89
8.1 Histoire d'amour ou d'amitié, la question des
affinités 89
Choix affectif des résidents, 90 ;
Choix affectif du personnel, 92 ; Un apprentissage
partagé, 93
8.2 Histoire de techniques et d'expérience, la
place du savoir-faire 97
Frontière Médecin -- Direction, 97
; Frontière Infirmière --
Médecin, 98 ; Frontière
Aide-soignante -- Infirmière, 99 ; Frontière
Aide-logistique -- Personnel soignant, 101
8.3 Derrière la scène... 102
CHAPITRE 9 : ÉLARGIR LE MONDE : UN PERSONNAGE
AMBIGU 105
9.1 Mi dedans, mi dehors : une place paradoxale
105
9.2 Soupape de sécurité 108
9.3 Une transgression sélective 110
CHAPITRE 10 : MÉTHODOLOGIE SUIVIE 113
10.1 Une entrée négociée et «
encliquée » 113
10.2 Différents groupes, différents «
territoires », différentes approches 117
10.3 Oui mais concrètement ? 119
10.4 Et théoriquement ? 120
DISCUSSIONS CONCLUSIVES
Ou : L'histoire dont ils sont les
héros.
|
124
|
LISTE DES ENCADRÉS 132
LISTE DES RÉFÉRENCES CITÉES
133
ANNEXES 139
3
INTRODUCTION
Vous avez 60 ans ou plus ? Sachez que vous faites
aujourd'hui partie de la catégorie des « personnes
âgées »... Vous ne les avez pas encore ? Vous y arriverez !
D'ici une vingtaine d'années, vous serez peut-être le belge sur 5
ayant plus de 65 ans ( ou serez-vous dans les 3% des plus de 85 ans ?) (Rapport
fédéral KCE 2011). Et à ce moment, comment vivrez-vous ?
Seul ? En institution ? En ville ? À la campagne ? Aidé
d'auxiliaires de vie ? Peut-être de robots ? Nul ne sait. Le secteur de
la prise en charge des personnes âgées évolue sans cesse,
et rapidement ! En effet, les données démographiques le
confirment, le nombre de personnes âgées prend une proportion
grandissante au sein de la population belge1. Pour y
répondre, ce secteur devrait augmenter, pour 2025, sa capacité de
lits de 1.600 (s'il augmente également son offre de soins à
domicile de 50 %) à 3.500 unités de logement sur le sol belge
(KCE 2011). A cela s'ajoute l'explosion de diverses alternatives à
l'institutionnalisation en maison de repos : centres de jour,
résidences-services, etc., formant ainsi une palette variée de
lieux hétérotopiques (Foucault 2004) dédiés
à la gestion de l'avancée en âge et accueillant chacun une
sous-population spécifique (cf. chapitre 1). L'ethnographie
présentée dans le cadre de ce mémoire se penche sur l'un
de ces lieux, illustrant une voie de prise en charge parmi d'autres : une
maison de repos et de soins, mixte, de grande taille, publique, bruxelloise, et
prenant vie dans un bâtiment du 16ème siècle. Je la nomme
ici, Résidence des Capucines.
Qu'étudier dans un établissement de la
sorte ? Si le travail de préparation au mémoire rendu en
1er master nous pousse plutôt vers la démarche
déductive (production d'un état de la littérature et
définition de premières hypothèses), « On ne commence
pas avec une théorie pour la prouver mais bien plutôt avec un
domaine d'étude et on permet à ce qui est pertinent pour ce
domaine d'émerger », nous dit Anselm Strauss (1992b : 53). Ainsi,
la remarque du directeur face aux pratiques et comportements du personnel de
soin, à savoir « ici, c'est difficile de leur faire passer les
idées de « confort », de « bien-être » »,
fut l'élément déclencheur de ma réflexion : il
existe des acteurs aux intérêts divergents au sein de la maison
tournant autour d'une pratique commune, à savoir, la prise en charge de
la personne âgée. Partant d'éléments du terrain, je
m'inscris ici dans la dite « grounded theory ».
Ce constat d'intérêts d'acteurs divers
dans la maison fait notamment écho aux travaux
1 Source : SPF Économie, PME, Classes moyennes et
Énergie, Direction générale Statistique et Information
économique, Service Démographie, Population,
www.statbel.fgov.be/figures/p
opulation_fr.asp, 2006
4
d'Howard Becker et ses mondes de l'art où
l'auteur met en avant le « réseau de tous ceux dont les
activités, coordonnées grâce à une connaissance
commune des moyens conventionnels de travail, concourent à la production
des oeuvres » (1988 : 22). Il ajoute plus loin :
«L'étude de l'art comme action collective
participe d'une démarche qui s'applique plus généralement
à l'analyse de l'organisation sociale. Nous pouvons examiner n'importe
quel événement [...] et essayer de cerner le réseau, grand
ou petit, dont l'action collective a permis à l'événement
de se produire sous cette forme. Nous pouvons rechercher les réseaux
dont la coopération est devenue régulière ou
routinière, et préciser les conventi ons2 qui
permettent à leurs différents membres de coordonner leurs
activités respectives » (1988 : 364).
Chaque monde social nous dit Strauss (1978 : 122)
possède au moins une activité primaire, s'ancre dans un/des
site(s) spécifique(s), utilise une certaine technologie et tend à
s'organiser (entendu ici, à diviser le travail) au fur et à
mesure de son développement. L'activité primaire et principale de
la maison, sans surprise, se trouve être la prise en charge de la
personne âgée, tentant d'assurer son « bien-être
». Ainsi, on peut lire dans le dépliant publicitaire de la maison :
« Notre priorité est donnée au bien-être et à
l'épanouissement des capacités de chacun. À cet effet,
nous proposons une prise en charge adaptée ainsi qu'une gamme
d'animations variées » (dépliant officiel). Cependant, nous
dit-Strauss :
« Certaines, et peut-être la plupart des
organisations, peuvent être considérées comme des
arènes où les membres de sous-mondes, ou de mondes sociaux
différents, revendiquent différentes positions, recherchent
différents objectifs, s'engagent dans des contestations, et
créent ou cassent des alliances, dans le but de réaliser les
choses qu'ils espèrent faire » (1978 : 125).
Ainsi, derrière la structure formelle et la
hiérarchie officielle existantes dans l'organisation, il existe
également un ordre sous-jacent, un ordre implicite, fait de
négociations quotidiennes, « un ordre négocié »
(Strauss 1992b) entre les acteurs en jeu. La sociologie de l'organisation
comprend d'ailleurs de nombreux auteurs mettant en avant les logiques
sous-jacentes et informelles, l'autonomisation de l'acteur, et, plus
généralement, l'organisation sociale du travail, et ce, à
différentes époques (notamment Mayo dans les années 30' ;
Blau 1955 ; Crozier et Reynaud dans les années 60 ;
etc.)3.
A ce versant penchant vers la sociologie du travail et
des organisations, s'ajoute un deuxième, se rapprochant alors de travaux
tels que ceux de Goffman (1968), Scott (1990), ou plus récemment Mallon
(2005) : l'étude des stratégies mises en place par les acteurs
dits
2 « ensemble de pratiques propres à un groupe
social » d'après Menger (1988 : 10).
3 Pour un historique de l'avènement de la
négociation et ses défenseurs actuels, voir Kuty
(2008).
4 Si le lecteur désire prendre connaissance en
profondeur de ma méthodologique avant de commencer la lecture de ce
travail, je lui propose de se rendre avant tout au chapitre 10.
5
« dominés », « reclus »
dans un système, une institution les contraignant. En effet, les
institutions de prise en charge diffèrent d'autres formes d'organisation
par l'objet dont elles s'occupent : des humains. Ces derniers entrent alors
également dans l'organisation du travail (Strauss et c o. 1997), prenant
place dans le jeu d'acteurs annoncé ci-dessus. Tout au long de ce
mémoire, vous remarquerez la présence d'encadrés,
listés en fin de travail. Chacun de ceux-ci reprend une stratégie
développée par un ou plusieurs acteurs face à
l'organisation officielle, hiérarchisée, bureaucratique,
illustrant ainsi le versant plus informel de la prise en charge. Ces
micro-situations illustrent le pouvoir des acteurs, la créativité
dont ils font preuve pour jouer, contourner les contraintes institutionnelles
et arriver à leurs fins.
Parmi les « innombrables mondes discernables
» (voir Strauss 1978 : 121), le monde étudié dans le cadre
de ce mémoire et la population prise en compte se limitent aux murs de
l'établissement, aux murs de cette institution totale (Goffman 1968). Ce
petit monde, ce « sous-système » fait partie d'un monde plus
large, « un monde global », (Becker 1988 171173) le monde de la prise
en charge des personnes âgées. Ainsi, j'ai volontairement
écarté certains acteurs, participant pourtant parfois activement
à la prise en charge de la personne dans l'établissement (je
pense ici aux familles). De plus, certains acteurs (comme l'assistante sociale,
la psychologue ou les kinésithérapeutes), travaillant pourtant au
sein de la maison, se voient ici quelque peu mis de côté, semblant
avoir moins d'importance pour les résidents interrogés (cf.
chapitre 10). Ainsi, si j'avais rencontré d'autres résidents,
certains de ces acteurs ici oubliés seraient alors apparus. Si le
terrain est, comme nous dit Sophie Caratini (2004 : 107), « une mise en
lumière [il est] donc une mise en ombre aussi. Le discours ne repose que
sur les phénomènes observés et ne dit rien de ceux qui
sont écartés ». Vous voilà donc prévenus de
cette mise en ombre...
Je tente dans ce mémoire de me positionner au
plus proche des acteurs, de leur « donner la voix » (Goffman 1968),
de montrer leurs stratégies d'adaptation, leur créativité,
face aux contraintes hiérarchiques et institutionnelles, refusant ainsi
l'idée de monde fixé et de structures contraignantes. Pour ce
faire, j'ai tantôt conversé avec les acteurs via, comme on les
appelle, des entretiens semi-directifs, tantôt observé
l'organisation d'un service spécifique, en tant que personne «
volante », sans rôle officiel attribué. Je pouvais ainsi
m'approcher de tous les acteurs et tenter de récolter « les
différents sons de cloche », comme me le conseillait Mr.
Lenaerts4. Je me place ainsi dans le mouvement de chercheurs qui
« inscrivent leurs travaux sous le sceau de l'interactionnisme [et]
partagent une conception assez similaire de l'acteur
« Pour découvrir les formes locales de
coordination il est nécessaire d'accéder aux
6
social. Tous refusent explicitement d'en faire, selon
le mot d'Harold Garfinkel, un idiot culturel (cultural dope) »
(Lallement 2007 : 199). Toutefois, si cette tradition se veut
antidéterministe « soulignant le potentiel créatif des
individus et des groupes agissant face aux limitations sociales » (ma
traduction), ces limitations restent néanmoins le cadre de l'action et
si les individus façonnent leur société, ils sont
façonnés par cette dernière en retour (Strauss 1978 : 119
-- 120). Dans un autre écrit, Strauss (1992 : 12) nomme ces limitations
sociales et structurelles, « contexte lointain », où prennent
place les négociations, le « contexte proche ».
Pour cette raison, à l'instar d'Isabelle
Baszanger et ses cliniques de la douleur (1995), je divise ce travail en deux
parties, suivant l'approche « pragmatique » de Nicolas Dodier
:
« Sur le plan méthodologique, une
pragmatique sociologique articule deux entrées dans l'action. L'une
consiste à observer les appuis conventionnels au repos, inscrits dans la
matière, par l'intermédiaire d'objets, d'écrits ou plus
généralement de traces de l'activité humaine. L'autre
entrée consiste à observer les actions concrètes. Cette
deuxième entrée complète la première en ouvrant un
accès à toutes les ressources qui n'existent que sous une forme
animée, actualisées dans des actes humains (gestes, actes de
langage), articulés eux-mêmes au fonctionnement des objets et
à l'existence d'êtres vivants. (Dodier 1993 : 80)
Dans la première partie de ce travail, je tente
donc de faire le point sur les différents éléments qui
caractérisent mon terrain d'observation, et ce, afin de mieux comprendre
ce qu'implique précisément chacun d'eux dans le fonctionnement de
l'établissement, de mieux comprendre la « situation » (Goffman
1973a) du lieu observé. Je me discipline alors à
décomposer l'établissement, de façon assez
méthodique, en ses différents « facteurs de contingences
» (Mintzberg 1998). Je situe tout d'abord (chapitre 1)
l'élément « maison de repos et de soins » dans le monde
plus vaste du paysage institutionnel actuel et tente de mettre en avant les
implications sociales qui en découlent. Ensuite, si « la vie de
l'oeuvre dépend aussi d'autres acteurs agissant dans un temps
différent de celui de l'auteur » (Menger 1988 : 10), il en est de
même pour la prise en charge actuelle des personnes âgées.
Un détour par l'histoire de l'établissement observé, mis
en lien avec l'histoire de la prise en charge générale, puisque
l'une ne peut pas être compris sans l'autre (Hennion 1993),
s'avère donc nécessaire pour comprendre le mode de prise en
charge actuel (chapitre 2). Suivent les conséquences d'être une
maison de repos et de soins « publique » et « bruxelloise »
(chapitre 3 et 4). Enfin, je termine par décrire l'organisation
officielle de la maison, étape inévitable pour comprendre «
ce qui ce cache derrière » (chapitre 5).
7
terrains de leur existence empirique » nous dit
Nicolas Dodier (1993 : 81). La seconde partie se force alors à
comprendre comment « les conceptions et les principes fondamentaux [de
l'établissement] s'appliquent et s'agencent dans le fonctionnement
quotidien des services [...] » (Castra 2003 : 14), en d'autres mots,
comment se réalise pratiquement, « en acte » (Baszanger 1995)
la prise en charge des personnes âgées en institution. Il s'agit
ici de plonger au coeur des interactions, des négociations quotidiennes.
Un premier résultat d'observation fait l'objet du premier chapitre :
l'existence de trois pôles, au centre desquels la maison de repos et de
soins se situe, en perpétuel mouvement (chapitre 6). Selon ces trois
pôles, le bien-être de la personne prend des formes et des
impératifs différents (chapitre 7). Suit la mise en avant de
trois logiques, dépassant la hiérarchie formelle, structurant les
relations au sein de la maison (chapitre 8). Enfin, les
aides-ménagères qui selon moi, illustrent les « voix
étouffées » (Molinier 2013), sont dans ce mémoire
revalorisées en tant qu'acteurs à part entière (chapitre
9). Un chapitre méthodologique (chapitre 10) précédera aux
discussions finales.
L'approche pragmatique et celle en terme de monde
social prônent toutes deux, en plus des discours des acteurs, la prise en
compte « de matière palpable » (Strauss 1978) comme les
objets, les lieux, mais également l'histoire, l'environnement ou encore
le contexte socio-politique, dans la compréhension des situations. Ainsi
vous trouverez dans ce mémoire des références historiques,
architecturales, matérielles, ou politiques tentant d'éclairer
certains comportements d'acteurs.
Enfin, pourquoi un tel terrain et une telle
perspective ? « On n'est pas anthropologue par accident, [...] cette
quête de l'altérité, qui est aussi une quête
d'identité [...] dont l'archéologie est à chercher bien en
deçà de la première expérience de terrain »
(Caratini 2004 : 5). Je dois ici avouer l'amour et le respect que je porte
à mes grands-parents et la tendresse que j'ai toujours eue envers les
personnes âgées en général. L'idée de faire
un mémoire dans ce domaine me paraissait alors évidente. Mais en
plus de ce penchant personnel, il existerait une tendance sociétale
à se porter vers ces questions. Selon Michel Philibert (1984), la
gérontologie, à savoir la « science qui s'occupe des
problèmes biologiques, psychologiques, sociaux et économiques
posés par les personnes âgées » (Larousse 2013), est
née en réponse à l'avènement, fin
19ème siècle et dans les sociétés
industrielles, des disciplines prenant l'une pour objet la vie des enfants et
l'autre celles des nouveaux travailleurs de l'industrie. À partir de
1940, pour « combler ce trou » entre la fin de travail et la mort,
trou rassemblant de plus en plus d'individus, se développe la
gérontologie. Depuis, les regards sur les personnes âgées,
autant sociaux que médicaux, fleurissent.
8
De plus, selon Quivy et Van Campenhoudt (2006 : 85 --
90), les paradigmes utilisés en sciences sociales dépendent du
contexte de l'époque. Ainsi, ils notent que dans les années 60'
et 70', l'idée était plutôt à l'étude de la
reproduction sociale et idéologique, dans un but de contestation du
modèle libéral et capitaliste. Dans les années 80', une
vague d'études sur les organisations prend forme. Cette époque
est la période de rationalité économique et de remise en
cause de la générosité de l'état-providence. Enfin,
depuis les années 90', les chercheurs se penchent plutôt sur
l'étude des projets, des stratégies d'acteur contre le
système. L'accent est mis sur l'autonomie de la personne, nous entrons
alors dans l'ère de l'interactionnisme. « Mais le lecteur se doute
bien que l'on ne saute pas subitement [...] dans une nouvelle époque
» fait remarquer Olgierd Kuty (2008 : 2), les évolutions
théoriques sont progressives. Ainsi, la théorie de la
négociation aurait déjà germé dans les
années 30' aux Etats-Unis, suite aux bouleversements économiques
et structurels. Cette « négociation embryonnaire » y prend les
traits de l' « entente ». Elle s'illustre ensuite sous l' «
arrangement » dans les années 60-70'. La négociation
actuelle enfin, prend la forme d' « accord », et ce, depuis les
années 80 et 90'.
Par ces deux réflexions, je montre ici que les
thèmes de recherche et les problématiques associées sont
loin d'être les seuls fruits de l'envie, de la sensibilité du
chercheur, mais se voient prédéterminés par des effets de
mode, des domaines en vogue au moment de la recherche. L'ethnographie ici
présentée répond de ces tendances.
La notion de monde social sera ici l'unité
d'analyse, le prisme sur le monde, pour comprendre les tractations entre
acteurs au sein de l'établissement et mettre en avant l'ordre qui s'y
négocie. Comprendre comment les acteurs en jeu arrivent à «
faire un monde » (Molinier 2013) ; comprendre comment chacun arrive
à trouver son équilibre (ou non) ; comprendre les
conséquences de la division du travail sur la réalisation de
l'objectif principal de la maison, à savoir, la garantie du
bien-être du résident ; comprendre comment le personnel assure ce
bien-être du résident dans un organisation bureaucratique ;
comment les acteurs arrivent à faire face aux imprévus du «
matériel humain » (Goffman 1968) ; comment le personnel gère
le travail de « care » en équipe ; comprendre comment chaque
personne, véhiculant une certaine vision de la prise en charge, tente de
la faire valoir ; comment chacun atteint ( ou pas) ses objectifs dans un mode
de vie/un lieu de travail standardisé ; mettre en avant les alliances,
« qui agit ensemble pour produire quoi » (Becker 1988 : 365) ; bref,
comprendre comment « tiennent ensemble » (Hennion et Vidal Naquet
2012) tous ces éléments, aux intérêts parfois
contradictoires, tantôt en conflit, tantôt coopérant. Telles
sont les questions qui jalonnent ce travail, travail que je vous laisse
découvrir maintenant.
9
PARTIE I
LE CONTEXTE DIT « LOINTAIN »
Ou : Analyse des éléments de la
situation
Page de couverture du dépliant officiel
de la maison
10
CHAPITRE 1 :
UNE MAISON DE REPOS ET DE SOINS
1.1 Une population spécifique
Une première
sélection
Pour bien comprendre le type de population
fréquentant les maisons de repos et de soins, il faut se pencher sur la
situation actuelle de la prise en charge, sur les différents services
proposés aux personnes âgées face au vieillissement.
Aujourd'hui, et ce depuis les années 20005, on observe une
diversification et une multiplication des établissements et des services
dédiés à cette population. Suite à cela, des
centres d'informations - comme l'Asbl bruxelloise « Infor-home » ou
la Sprl « Webseni or » - « renseigne[nt] les personnes
âgées et leur entourage sur le choix de maisons de repos et se
mobilise[nt] continuellement pour une amélioration de leur
qualité de vie » (Infor-home).
En Belgique, pour les personnes de 60 ans au moins,
existent des maisons de repos et maisons de repos et de soins, des
résidences-service, des centres de soins et centres d'accueil de jour et
des centres dits de court séjour. Chaque établissement accueille
un type particulier de personnes, en fonction entre autres de leur revenus et
de leur état de dépendance et/ou d'autonomie6. Avant
de passer à la population prise en charge par les maisons de repos (et
de soins), voyons en vitesse ce qu'il en est dans les autres types de
services.
La résidence-service comprend un
ensemble de bâtiments destinés aux personnes âgées
autonomes qui y vivent en tant que propriétaires ou locataires et
disposent, selon leurs envies, de toutes sortes de services (repas,
activités, entretien, soins infirmiers,...). Les centres de soins de
jour (une dizaine dans la région bruxelloise) prennent « en
charge les personnes en souffrance psychique et/ou physique nécessitant
un accompagnement et des soins pendant la journée afin de retarder un
placement en maison de repos » (CSJ 2013). Les centres d'accueil de
jour (2 en région bruxelloise) proposent la même formule que
les précédents mais visent un public moins souffrant. Un
centre de court séjour est un « établissement
d'hébergement,
5 Selon les chiffres de l'INAMI en 2013
6 Il s'agit de deux processus différents : le
degré de dépendance se mesure par la capacité, ou non,
d'accomplir des actes quotidiens (évaluation par l'échelle de
Katz), tandis que l'autonomie signifie la capacité à
régler sa vie, à prendre des décisions, à s'assumer
seul, que l'on soit valide ou non (dépendant ou non) (Cadarec 2004 ;
Drulhe et Clément 1998).
11
médicalisé ou non, visant à
assurer la sécurité matérielle, affective et psychologique
des personnes âgées pour une durée de séjour qui
peut varier de quelques jours à quelques semaines » (Webseni or
2013).
À ces formes plus conventionnelles de prise en
charge de la personne nécessiteuse, s'ajoutent encore les dites «
alternatives ». Ainsi, il existe les formules d'habitats groupés,
de logements intergénérati onnels ou encore, les services de
coordination de soins à domicile qui permettent à la personne de
rester le plus longtemps possible dans son milieu. Ainsi, dans cette panoplie
de possibilité, les maisons de repos (et de soins), illustrent « le
dernier chez-soi » (Mallon 2005), pour ceux pour qui « la crise se
routinise » (Baszanger 1995 : 8).
La population acceptée dans une maison de repos
- MR - diffère de celle d'une maison de repos et de soins - MRS : la
première accueillera des « personnes valides ou dont l'état
de santé ne permet plus la vie à domicile à des conditions
satisfaisantes » (Ville de Bruxelles 2013). Une MR ne se voit pas
obligée d'installer une « fonction palliative »7
(FWSP 2013). La MRS, elle, illustre une « structure intermédiaire
entre la maison de repos et l'hôpital, où sont
hébergées, de manière collective et permanente, des
personnes fortement dépendantes qui y bénéficient des
soins requis, de services collectifs et d'aides à la vie
journalière » (COCOM 2013), autrement dit, elle se destine «
aux personnes âgées nécessitant des soins ou une aide dans
les actes de la vie quotidienne » (Ville de Bruxelles 2013).
Répartition des lits
La maison observée relève d'une
troisième catégorie : les maisons « mixtes »,
accueillant autant les personnes MR (59) que MRS (78). En d'autres termes, la
maison est à 43% maison de repos et 57% maisons de repos et de soins
comme l'illustre le graphique « Répartition des lits ». Le
point 1.2 traite plus en profondeur ce constat et les conséquences que
cela implique.
Ainsi la prise en charge des personnes
âgées s'effectue selon un processus graduel, jouant entre le
maintien de son autonomie et sa prise en charge par une personne/une
institution tiers. Le Service Public Fédéral - SPF - divise la
prise en charge comme suit :
« Les soins personnels, où la
personne âgée s'occupe elle-même de ses soins, constituent
le premier niveau. Ensuite, viennent les soins sous couvert où
la famille, les amis ou les voisins s'occupent de la personne
âgée. Les soins extra-muros (troisième niveau)
sont [...] des soins professionnels mais qui sont prodigués au domicile
des personnes âgées. [... Vient enfin] le dernier
7 Grossièrement, il s'agit de mettre en place un
accompagnement spécifique pour les personnes mourantes.
12
(quatrième) niveau de l'offre de soins,
notamment les soins intra-muros, qui comme leur nom l'indique, se
dispensent à l'intérieur d'un établissement. Les
MRPA8 et les MRS ne sont qu'une -- bien évidemment importante
-- partie des soins intra-muros qui intègrent également les
centres de soins de jour, les centres pour séjour de courte durée
[également définis comme les soins transmuraux] et les
serviceflats » (SPF 2009 : 9).
Ce continuum de la prise en charge, s'étendant
des « soins ambulatoires (censés permettre aux personnes
âgées de continuer à demeurer chez elles) aux dispositifs
de soins résidentiels (les soins étant alors entièrement
pris en charge par une institution » et peuplé de « solutions
intermédiaires recherchant un équilibre entre soins et autonomie
» (T.d.b.9. 2012 : 277), s'inscrit dans un processus de
médicalisation de la vieillesse par lequel le recours aux professionnels
pour « tout ce qui touche la santé et le corps » (Faure 1998 :
63) augmente. Cette situation de continuum, Jean-Louis Genard l'explique :
selon lui, nous sommes passés d'une anthropologie disjonctive à
une anthropologie conjonctive. Il nomme cela l'évolution des «
coordonnées anthropologiques », « c'est-à-dire des
grilles interprétatives à partir desquelles se construisent les
représentations de l'humain » (Genard 2009 : 27).
En effet, selon Jean-Pierre Bois, au Moyen Âge,
les personnes âgées étaient associées aux indigents,
aux malades et connaissaient un sort égal : l'enfermement. Au cours de
cette période, « il n'est pas encore question d'une identification
par l'âge, dans une société qui n'est pas numérique,
où l'homme ne connaît généralement pas sa date de
naissance, où seules comptent la capacité à travailler, et
le salut dans la vie éternelle » (Bois 2002 : 14). Ce n'est qu'au
16ème siècle que « les vieux »
commencèrent à apparaître sur la scène sociale, dit
autrement, que le critère de l'âge fut différencié
des autres critères de pauvreté. Commenceront alors à
être distingués les mendiants, les malades ou infirmes et les
vieillards.
Cette division se marque au niveau institutionnel :
auparavant internés dans les dépôts de mendicités ou
les maladreries, au 17ème et bien plus encore dans les
siècles suivants, les vieillards connaissent une prise en charge
spécifique, via les hôpitaux généraux (France) et
les hospices. Ce n'est que fin 19ème (France) qu'on
sépare explicitement les populations d'hôpital et d'hospice, ce
dernier accueillant jusqu'en 1975 (date de suppression légale de ce type
d'établissement) les enfants orphelins et les vieillards.
L'histoire racontée ici par Bois illustre la
période appelée « disjonctive » par Genard,
séparant la population en deux groupes distincts : d'un
côté les personnes responsables, de
8 MRPA -- Maison de Repos pour Personnes
Âgées ; dans ce travail je l'abrégerai à MR --
Maison de repos.
9 Tableau de bord de la santé en région
bruxelloise 2010
13
l'autre, les irresp onsables10.
L'anthropologie conjonctive, liée elle à la deuxième
modernité (du 18ème à nos jours), définit tous les
hommes en tant que responsables et irresponsables. Il n'y a plus
disjonction mais bien « continuum anthropologique » et de ce fait,
une atténuation des limites entre le normal et le
pathologique. « Le modèle anthropologique aujourd'hui
dominant placerait donc l'homme au coeur de ce continuum, toujours dans
l'entre-deux du normal et du pathologique, toujours donc fragile, toujours
vulnérable, mais aussi toujours responsable bien que toujours excusable
» (Genard 2009 : 32).
Ce même auteur nomme « pluralisme
institutionnel » ce paysage institutionnel actuel complexe. Si lors de la
première modernité, l'individu était soit libre, soit
enfermé (asile, prison,...), aujourd'hui, ces lieux ne forment plus que
les extrêmes. « La deuxième moitié du 20ème
siècle a ainsi vu se développer un ensemble de dispositifs (...)
qui « peuplent » d'une certaine façon le continuum
anthropologique en offrant des formes de soins et de prise en charge
adaptées aux différents cas se situant au fil du continuum »
(Genard 2009 : 36). Hélène Thomas se montre plus critique sur la
question : cette panoplie d'établissements engendrerait la
dépendance des personnes âgées. En effet, depuis les
années 90', la vieillesse serait vue comme « une nouvelle
catégorie d'action sanitaire et sociale » (2010 : 53),
plaçant les personnes âgées dans la catégorie des
« vulnérables » qu'il faut protéger. Cette surprotecti
on les rendrait dépendants, incapables de se prendre en charge. J'y
reviens.
Dans notre cas, les maisons de repos (et de soins)
entendues ici11 comme « un lieu de résidence [...]
où un grand nombre d'individus, placés dans la même
situation, coupés du monde extérieur pour une période
relativement longue, mènent ensemble une vie recluse dont les
modalités sont explicitement et minutieusement réglées
» (G offman 1968 : 41) illustreraient alors l'extrémité de
la prise en charge, rassemblant sous leurs toits, les personnes les moins aptes
à vivre seules. Michel Foucault place ce type d'établissement
entre l'« hétérotopie de crise » et l' «
hétérotopie de déviation »12, «
après tout, la vieillesse est une crise, mais également une
déviation puisque, dans nos sociétés où le loisir
est la règle, l'oisiveté forme une sorte de déviance
» (2004 : 16). Toutefois, la tendance actuelle, tend vers
10 Pour plus de détails sur ces clivages, je
vous propose la lecture de Robert Castel, 1995. Les métamorphoses de
la question sociale. Paris : Gallimard.
11 Isabelle Mallon refuse ce parallèle car il
existe de nombreuses façon de vivre en maison de repos et ces
dernières, à l'inverse des institutions totalitaires, ne sont pas
des formes d'orthopédie sociale. Il me semble cependant que qualifier
une maison de repos d'institution totalitaire n'interdit pas l'idée
d'importation de la vie antérieure et reconstruction d'une vie
mêlant vie privée et vie institutionnelle. Drulhe et
Clément (1998) nomment ce processus « déprise »
où l'individu s'adapte sans cesse à ses nouvelles conditions de
vie.
12 «Hétérotopie de crise» :
«lieux [...] réservés aux individus qui se trouvent par
rapport à la société et au milieu humain dans lequel ils
vivent, en état de crise ». « Hétérotopie de
déviation » : lieux « où on place les individus dont le
comportement est déviant par rapport à la moyenne ou à la
norme exigée » (2004 : 15 - 16)
14
le maintien à domicile et la
préservation de l'autonomie13 de la pers onne14.
Ainsi, si proportionnellement à la population vieillissante, le nombre
de lits en MR décroit et que certes, le nombre de lits en MRS
croît15, les places en centres de soins de jour et en centres
de courte durée, elles, explosent ! Ainsi, affirme le docteur Tudor,
médecin de l'établissement :
« Il faut pas oublier que ici [dans les maisons
de repos et de soins], ce n'est qu'une toute petite part de la population
âgée hein ! La plupart, ils s'arrangent autrement, ou ils restent
chez eux! » (dr. T.).
Une seconde sélection
Notons qu'il n'existe pas une
population propre à la totalité des maisons de
repos, ni une population propre aux maisons de repos et de soins. En plus de
cette division institutionnelle classant les personnes âgées en
différentes catégories selon leurs besoins d'aide, il existe une
sous-division au sein même de ces catégories. Dans
l'établissement investigué, le directeur choisit ses
résidents. En effet, il peut accueillir « certains types de
résidents mais pas tous ! ». Chaque type d'établissement de
prise en charge sélectionne ainsi les types de démence, les types
de pathologies, les types de comportements acceptés ou refusés.
Ainsi, en plus de l'origine spatiale de la personne (priorité aux
citoyens de Bruxelles) et de son âge (au moins 60 ans16), le
directeur explique :
« Il y a aussi certains types de résidents
qu'on sait pas accueillir vu notre architecture. Par exemple, des gens qui
sont... des grands fugueurs ! Vu qu'on a pas un service fermé, c'est
très difficile pour nous à gérer ces gens là. Si on
a par exemple un pyromane, ça arrive, mais ça on sait pas
gérer non plus ! Y a encore quand même d'autres petites choses,
par exemple, des gens qui demandent des actes techniques que le personnel ici
ne maitrise pas... ça peut arriver. Donc heu, à ce niveau,
ça s'est refusé. Pour le reste, la plupart des choses qu'on
refuse temporairement, sous réserve, c'est quand on a pas une chambre
qui est adaptée à la situation du résident [...] Ici il y
a une grande partie de l'établissement, qui est moins accessible pour
les chaises roulantes... et où il y a moins de surveillance aussi. Donc
on va pas mettre quelqu'un aveugle là-bas ou quelqu'un qui est en chaise
roulante... [...] mais c'est lié à notre architecture, un peu
particulière » (Mr Marc).
Que tirer de ces renseignements ?
L'établissement investigué étant une maison de repos et de
soins, les personnes accueillies y sont pour le reste de leurs jours (Mme Ve.
:
13 Il s'agit d'une priorité du Groupe de
Travail Intercabinet « soins aux personnes âgées ». Voir
également le rapport « Vivre chez soi apres 65 ans. Atlas des
besoins et des acteurs a Bruxelles » publié en 2007 par
l'observatoire de Bruxelles : www . observatbru . be
14 L'INAMI soutient cette tendance depuis 2009. Voir
l'Arrêté Royal A.R. 2-7-2009 concernant le financement de soins
alternatifs et de soutien aux soins à des personnes âgées
fragiles (Moniteur belge 16/07/09)
15 En juillet 2009, seuls 5,24% de la population belge
de 60+ pouvaient bénéficier d'une place en établissement.
Source : Perspectives démographiques, BFP - SPF Economie (DGSIE), p.
14
16 « Les Ministres autorisent, à titre
exceptionnel, l'admission de résidents de moins de 60 ans dans le
respect des conditions définies par la loi » (art. 6 du ROI) : 10%
de personnes de moins de 60 ans sont acceptés.
15
« Vous savez, on est ici pour mourir hein !
», constat partagé par l'ensemble des résidents
interrogés). Toutes ces personnes (au moins 90%), ayant 60 ans au moins,
présentent des états de santé fortement variables :
désir de prévention des chutes, léger trouble de la
mémoire à la perte totale d'autonomie ou la dépendance
totale. La population au sein même de cette maison est ainsi très
hétérogène mais toutes ces personnes ont en commun
qu'elles ne peuvent/veulent plus vivre seules. Elles ne souffrent pas de «
maladies » douloureuses, mais de « maladies »
handicapantes17, caractéristique de l'avancée en
âge (Pince 2000 ; M oulias 2000). Suite à l'architecture de la
maison, la direction refuse les fugueurs, les pyromanes et les cas trop lourds
et accepte officiellement : les « Alzheimer ; Déments ; Invalides ;
Parkinson ; Semi-valides ; Valides » (Webseni or 2013). Point que le
directeur tend à souligner : « c'est important de montrer nos
limites, il faut être honnête, il faut montrer ce qu'on a, mais
aussi ce qu'on n'a pas ! On ne peut pas accepter n'importe quel type de
personne » (Mr Marc). Cette maison de repos et de soins
opère donc, au-delà des normes légales, une seconde
sélection, qui alors lui est propre, selon ses capacités
matérielles et la structure de l'établissement.
1.2 Une vue de l'intérieur
Comme mentionné ci-dessus, cet
établissement est qualifié de « mixte ». Ceci n'a rien
d'exceptionnel : la reconversion de lits MR en lits MRS s'avère
être la tendance actuelle de prise en charge. Depuis 1996 à
Bruxelles, le nombre de lits MR a diminué de 20% tandis que l'offre de
lits MRS a augmenté de 300% (selon les chiffres de l'INAMI
2013).
Pour expliquer brièvement la situation : les
MRS, regroupant des cas plus lourds, bénéficient
d'agréments supplémentaires, c'est-à-dire du personnel
qualifié. Une maison de repos doit comprendre au minimum 25 lits MRS
pour être reconnue maison de repos et de soins et disposer de ce
personnel supplémentaire. Le SPF conclut : « au niveau des maisons
de repos, on a besoin d'un bon mélange de personnes âgées
valides et dépendantes ainsi que d'unités de logement MRPA et
MRS, et ce, non seulement d'un point de vue financier, mais aussi du point de
vue de la qualité de vie au sein de la maison de repos » (SPF 2009
: 32). Bref, il semble être plus intéressant pour un
établissement d'être mixte.
Cependant, ce regroupement, s'il améliore la
« qualité de vie » du personnel (en ce sens qu'être
soignant dans un établissement exclusivement réservé aux
cas lourds est bien plus
17 Être vieux n'est pourtant pas être
« malade ». Cependant, dans notre ère
médicalisée (Aiach et Delanoë 1998), toute déviance
devient pathologie, d'où le terme « maladie ». Ces «
maladies » handicapantes sont d'ordre sensoriel (vue, ouie,...),
infectieux (respiratoire, urinaire), nutritionnel (carences liées
à l'âge), moteur (atteinte à la mobilité), psychique
(la démence, alzheimer,...) (Pince 2000).
16
fatiguant que dans un établissement mixte), il
n'améliore en rien celle des résidents valides et autonomes.
Brièvement, j'ai constaté sur mon terrain trois
conséquences de ce regroupement. Premièrement, ces
résidents semblent éviter les contacts avec « les
débiles », « les gagas », « les fous » (selon
leurs termes). S'ensuit une désertion des activités communes,
lieu de « confrontation incessante avec la vieillesse » (Mall on 2005
: 115). Ces résidents restent alors dans leur chambre ou, s'ils en sont
capables, sortent de l'établissement, fuyant ce « dispositif
», au sens foucaldien, qui les rend vieux. Erving Goffman parle lui de la
peur de la « contamination morale » ressentie par les « reclus
». Ces derniers refusent « la conception du monde et
d'eux-mêmes à laquelle ils sont censés devoir
s'identifier» (1968 : 357).
La deuxième conséquence de cette
mixité se présente par l'agressivité
inter-résidents. J'ai été choquée des propos
échangés entre-eux, suite, certainement, à la
non-compréhension des pathologies/démences/dégradations
des uns et des autres. Ne comprenant pas pourquoi une telle personne mange la
bouche ouverte, une autre lui crie « mais c'est dégueulasse, t'es
vraiment une femme dégueulasse, tu manges comme un cochon ! » ; un
autre, un peu plus loin, se fâche sur sa voisine qui lui
répète pour la troisième fois qu'il y a cinéma cet
après-midi là. Une autre encore essaie de faire la causette avec
sa voisine de table au restaurant. Cette dernière tout d'un coup se
fâche et lui crie « Ta gueule ! », laissant cette
première tout émue. Si l'agressivité entre
résidents était bien palpable dans l'établissement, je
pense néanmoins qu'elle peut exister au sein d'établissements
« purs » (MRS ou MR).
Enfin, troisièmement, et ceci serait une des
caractéristiques d'un système bureaucratique (Mintzberg 1998 ;
Busino 1993 ; Genard 2012) ainsi que d'une institution totalitaire (Goffman
1968), le personnel aurait tendance à homogénéiser ses
tâches ainsi que le type de relation entretenue avec les
résidents, ce qui amènerait les plaintes d'infantilisation
:
Mr Bou. : « Ici, les débiles et les
alzheimer, ça fait 80% de la population ! Alors le personnel, il se
conduit en fonction de la majorité des résidents !
Résultat, on est tous considérés comme des enfants de 6
ans ! [...] Tous considérés comme des MRS ! » ; Mme Co. :
« Oh vous savez, ici on est comme des grands enfants ! On dirait qu'on
retourne en enfance ! On ne peut rien décider, tout est fait à ta
place ! » ; Mme Ve. : « Vous savez dans les maisons de repos, il faut
pas trop demander ! [...] on nous prend pour des gosses hein ! » « On
est infantilisé, on n'a plus le droit de rien, rien... on est
très... caporalisés... cadrés ! `fin je comprends,
beaucoup de gens ici ont l'esprit dérangé ! »
Ainsi les résidents se sentant sains d'esprit
seraient associés à la masse de résidents plus
déments et considérés comme tel. La standardisation de la
prise en charge donne lieu à de mini-frustrations quotidiennes comme par
exemple, la frustration de résidents face aux
18 En effet, lors du conseil des résidents (3 mois
après mon arrivée), j'ai encore découvert de nouveaux
visages.
17
couteaux non-coupants : « on pourrait se scier la
main, ça ne laisserait aucune trace ! ». Mr Mohe,
secrétaire, de répondre : « ceux qui ont parkinson, ils
risqueraient de se couper un doigt ! Donc c'est mieux que tout le monde ait un
couteau lisse... ». Même constat pour le type de nourriture, pour
les horaires, pour les activités, bref, la liste est longue. La vie
quotidienne s'abaisse au niveau des personnes démentes, au
détriment des autres, valides et autonomes.
De ces trois conséquences, la première
seulement a entravé quelque peu mon observation. En effet, les
résidents « qui sont justes là pour un problème de
santé » (Mr B ou.) se montrent plus mobiles et plus discrets, voire
invisibles18, donc plus difficiles à trouver !
***
La population présente en maison de repos se
trouve ainsi sélectionnée parmi les personnes âgées
ne pouvant plus vivre seules. Contrairement aux illusions populaires, («
aujourd'hui tout le monde meurt en maison de repos ! »), suite au
développement des services de soins à domicile et des centres de
courte durée, les personnes âgées hébergée
dans ce type d'établissement ne constituent qu'une toute petite partie
de la population des 60+. Les maisons de repos (et de soins) illustrent les
« dernières formes » de prise en charge sur le continuum
institutionnel. De plus, suivant la tendance actuelle de création de
maisons mixtes, se retrouve un panel très diversifié de profils
de résidents dans l'établissement, engendrant alors des tensions
au sein de ce groupe de personnes. Nous verrons plus loin que les personnes MR
sont néanmoins séparées des personnes MRS, créant
alors des espaces aux dynamiques tout à fait
différentes.
Néanmoins, si le présent chapitre situe
le lieu de terrain observé dans le paysage institutionnel actuel, il
n'illustre en rien la trajectoire historique qui amena l'établissement
à la fonction de maison de repos et de soins. L' «
archéologie » de ce bâtiment fait l'objet du chapitre
suivant, l'analyse historique de la prise en charge des personnes
âgées étant nécessaire pour comprendre le contexte
actuel (notamment Philibert 1984 ; Rosenmayr 2001).
18
CHAPITRE 2 :
UN ETABLISSEMENT DU 16ème SIECLE
« Il y a toujours trois soeurs dans la maison,
elles s'occupent de petites choses, elles aident par exemple à tenir la
caisse ou à organiser les messes, ... mais elles sont très
âgées maintenant ! [...] Enfin, elles sont toujours chez elles
ici, elles ont leur appartement dans une partie à part de la maison,
avec leur cuisine et tout ce qu'il faut ! » (Mr Marc. directeur de la
maison )
|
Comment ce bâtiment, à l'architecture
quelque peu atypique, est-il devenu une maison de repos et de soins ?
D'où viennent les soeurs qui circulent dans les couloirs ? Pour y
répondre, il faut se tourner vers l'histoire de l'établissement,
cette dernière prenant place dans le « monde » de la prise en
charge (Becker 1988 ; D odier 1993). L'évolution du bâtiment et de
la direction ainsi que celle du règlement et de la population accueillie
forment les deux points de ce chapitre.
|
a Les Capucines » vues du ciel 2.1 Le
bâtiment et sa direction
|
C'est au 16ème siècle, dans
un quartier riche hors des remparts de la ville de Bruxelles, au croisement des
rues A. et des U., que le Seigneur de Havré fit construire l'Hôtel
Havré, s'insérant parfaitement dans le paysage de la « rue
aristocratique bordée de vastes hôtels de maitre » (Mardaga
1994 : 413) qu'était la rue des U.. En 1673, l'hôtel et toutes ses
dépendances sont vendus aux dames Ursulines de Mons, ayant, depuis peu,
l'autorisation de migrer sur Bruxelles19. En 1798, les soeurs sont
expulsées du bâtiment et le projet d'hospice de Grégoire
Sjongers, à la tête de divers refuges pour indigents, est
retenu.
Fin mai 1805, l'ancien couvent se recycle ainsi en
« refuge pour vieillards aux Capucines » et accueille 32
pensionnaires. Sjongers à sa tête, le refuge est alors
financé par certains « bienfaiteurs fortunés » (Expo
2003) de la ville de Bruxelles. En 1808, le bâtiment, alors
propriété de Napoléon, est légué à la
ville de Bruxelles à condition qu'elle s'engage à
19 Voir l'ouvrage de 1903 intitulé
Sainte-Ursule et ses légions pour l'histoire de la migration de
ces soeurs.
19
« maintenir cet établissement et de faire
à ses frais les réparations de tout genre
»20.
Après quelques années difficiles
financièrement, la commission administrative fit appel, en 1837, aux
soeurs de la Providence21, qui gérèrent alors la
direction interne de l'établissement, et ce, jusqu'en 1977.
Début du 20ème siècle,
le bâtiment étant vétuste et à la limite de
l'insalubrité, des travaux de rénovation sont entrepris. Le
financement provient d'abord de dons privés et ensuite du Conseil des
Hospices (qui deviendra par la suite la Commission de l'Assistance Publique -
CAP - , puis le Centre Public d'Action Sociale - CPAS - que nous connaissons
actuellement). Ce dernier viendra également en aide au refuge lors de la
première guerre mondial, le refuge abritant alors 357 pensionnaires
(dont de nombreux orphelins et pauvres accueillis durant cette période
difficile).
Un changement radical dans la gestion de
l'établissement s'opère dans la période de l'entre deux
guerres : « les liens entre le Refuge et la CAP sont très anciens,
leurs relations, longtemps informelles, sont pour la première fois
codifiées en 1929 de façon à les mettre en concordance
avec les lois régissant la bienfaisance publique » (Expo 2003). Ce
n'est que la continuation logique de ce processus qui s'illustre dans les
années 70' : le CPAS de Bruxelles prend en main la gestion de
l'établissement. Ceci entraîne une métamorphose importante
au niveau directionnel : la laïcisation de l'établissement. A
partir de 1977, la direction est laïque.
Le Refuge est requalifié « maison de repos
» en 1976 et devient « maison de repos et de soins » en 1993,
accueillant aujourd'hui 137 résidents. Cette dernière
étape de l'évolution de l'établissement illustre la
tendance générale annoncée plus haut de regroupement des
lits MR et MRS. José Pince (2000), analysant les aspects financiers qui
tournent autour de la prise en charge des personnes âgées,
confirme que cette requalification de lits « normaux » en lits «
pathologiques » constitue un réel avantage pour les
établissements de prise en charge. De plus, plus l'établissement
est grand, plus cela sera avantageux financièrement. Ces structures,
mixtes et importantes, symbolisent selon lui les nouveaux dispositifs de prise
en charge.
L'histoire de ce bâtiment recoupe bien celle que
raconte Bernard Hervy (1999) : l'origine des maisons de repos (et de soins)
serait à chercher dans les établissements religieux accueillant
ces exclus (malades, orphelins, handicapés, vieillards,...), et ce,
depuis le moyen-
20 Extrait du décret impérial, signé
par Napoléon le 11 décembre 1808, faisant ainsi don du
bâtiment à la ville.
21 Ces soeurs avaient acquis une bonne réputation
en matière de gestion d'établissements de prise en charge et
resteront actives en Belgique notamment dans les écoles, les prisons et
les hospices.
20
âge22. Si en France, les hospices
sont restés pour la plupart, des établissements religieux
jusqu'en 1880, date à partir de laquelle s'opère la
laïcisation de la fonction publique, en Belgique, la situation se
rapproche plutôt de celle décrite par Robert Castel :
« même du point de vue institutionnel, le
rôle de l'Église est à lire en continuité d'avantage
qu'en rupture avec les exigences d'une gestion de l'assistance sur une base
locale. Si les principales pratiques assistantielles se sont localisées
d'abord dans les couvents et les institutions religieuses, et si
l'Église a été longtemps la principale administrative de
l'assistance, le passage s'est fait sans solution de continuité avec les
autorités laïques. Il y a d'ailleurs moins eu passage que
collaboration et renvois incessants entre une pluralité d'instances
[...] dont les différences ne relèvent nullement de l'opposition
du public et du privé » (1995 : 92).
C'est bien ce que la brève histoire de
l'établissement met en avant : un va et vient entre aide religieuse et
aide publique, de façon plus ou moins formalisée. Ainsi
pouvons-nous comprendre la présence des trois dernières
religieuses de la maison : « au pouvoir » jusqu'en 1977, ayant
toujours vécu dans cet établissement, elles sont là chez
elles et le CPAS les autorise à rester. Il ne leur incombe plus aucune
obligation mais l'une d'elle s'occupe toujours de gérer la caisse du
petit magasin (mouchoirs, bics, shampoings, etc.) tenue à l'accueil,
l'autre s'occupe de la chapelle et des messes, et la troisième, fort
âgée, reste dans l'appartement à l'écart de la vie
de la maison. Ces soeurs sont, pour ainsi dire, une empreinte de
l'histoire...
2.2 Evolution du règlement
Critères de
sélection
En 1805, la maison actuelle se présente comme
« un humble refuge abritant de pauvres vieillards » (Expo 2003) avec
au total, 32 personnes dont 5 aveugles et 3 centenaires. À cette
époque, les vieillards souffrant de maladies contagieuses se voyaient
refusés et les personnes candidates devaient présenter leur
certificat d'indigence, délivré par le curé de la
paroisse. L'entrée et le séjour au refuge étaient alors
gratuits.
L'augmentation du nombre de résidents
entraîne une modification du règlement ainsi que les conditions
d'accès. Ces dernières, en 1824, stipulent que :
«pour être admis au Refuge gratuitement, il
faut avoir 70 ans accomplis, être domicilié à Bruxelles
depuis dix ans au moins, et être muni d'un bon certificat de
moralité et d'indigence, délivré par MM. les curés,
maître des pauvres et commissaire de police de l'arrondissement du
domicile (...) »
22 George Minois (1987) fait remonter l'origine de ces
établissements au 13ème siècle.
21
(art.29) ; « aucun individu atteint de
cécité, de maladies incurables et chroniques, ne pourra
être admis » (art.37) (Expo 2003).
Il faut préciser qu'il ne s'agissait pas de
chambres individuelles comme aujourd'hui mais bien de dortoirs, l'un pour
hommes, l'autre pour femmes ; le risque d'épidémie et de
contagion était donc bien réel. Néanmoins, tout doucement,
la sélection de candidats se durcit.
Aujourd'hui, la sélection s'opère
toujours sur base territoriale (art. 5/a du ROI), le certificat d'indigence et
le rapport du chirurgien sont remplacés par un « bilan
médical, psycho-social et financier » (art. 5/b du ROI) ; et le
candidat doit être âgé de 60ans au moins23.
Officiellement : « La maison de repos s'adresse à tout
résident, qu'il soit valide ou qu'il nécessite des soins ou de
l'aide dans les actes de la vie journalière. Elle dispose, en tout
temps, du personnel suffisant en nombre et en qualification pour fournir au
résident les soins nécessaires et assurer l'entretien et la
propreté des locaux » (art. 6 du ROI). J'ai montré cependant
dans le chapitre précédent que s'opérait une seconde
sélection, propre à chaque établissement, selon le type
d'architecture, le type de pathologie du candidat, selon le nombre et surtout
l'emplacement des places disponibles dans l'établissement.
Normes d'hygîène
En 1816 sort le premier « règlement du
directeur ». Celui-ci stipule entre autre que :
« Tous les samedis, le directeur fera une
inspection bien exacte de la maison pour s'assurer si les literies, les murs,
les fenêtres sont tenus bien propres et en bon état, ce qui est un
point très essentiel tant pour la santé des Individus que pour
l'honneur de la maison » (art.8) (Expo 2003).
Aujourd'hui, l'article 12 du ROI demandant au
résident d'être décent sur lui, de maintenir sa literie
propre et de respecter les ordres du personnel en matière
d'hygiène, lui fait écho. Cependant, malgré le fait que
« la direction de l'établissement veillera à la tenue et
à l'hygiène des résidents » (art. 12), le directeur
semble être totalement détaché de la vie pratique de la
maison et délègue donc ces tâches au personnel.
îe sexuelle
En 1808, le premier couple de vieillards entre dans
l'établissement mais ils dormiront dans les dortoirs
séparés. Il faut attendre une quarantaine d'années pour
que soit construite une aile réservée aux couples : « le
mari et la femme y sont admis, et peuvent y continuer la vie
23 Une maison de repos et de soins, comme je le
mentionnais, peut accueillir néanmoins 10 % de -- 60 ans.
22
commune » (règlement 1949).
Néanmoins, les religieuses alors à la tête du refuge
(jusqu'en 1977) ne voient pas d'un très bon oeil cette cohabitation des
sexes. Aujourd'hui, et il me semble que c'est ici le domaine qui a le plus
évolué, la maison de repos « garantit au résident le
respect de sa vie sexuelle et affective et de son orientation sexuelle »
(art.3 ROI). Certains membres du personnel restent toutefois mal à
l'aise devant cette liberté promise et acceptent difficilement les
relations sexuelles au sein des résidents.
Travail forcé
La gratuité du 19ème siècle
n'était en réalité pas si gratuite : les pensionnaires se
voient obligés de travailler aux côtés des soeurs. On peut
lire dans le règlement de 1877 :
«Les pensionnaires valides doivent aide et
assistance dans les travaux de ménage ou tous autres ; ces travaux
seront proportionnés à leurs forces et à leurs aptitudes.
Les pensionnaires désignés par les personnes
déléguées ne peuvent se soustraire, sous peine de consigne
ou d'exclusion, à l'obligation de soigner les infirmes» (art. 15) ;
« Le travail dans les ateliers commencera, dans la première
période [septembre - avril], à 8 %2 heures pour cesser à
midi, et recommencera à 1 %2 heure pour finir à 4 %2 heures. Dans
la seconde période [mai - août], les heures de travail sont
fixées de 8 heures à midi et de 1 %2 heure à 5 heures de
relevée » (art.21) (Expo 2003).
Ainsi les hommes s'occupent entre autre du charbon et
du bétail ; les femmes de la préparation des repas. On retrouve
cette logique, décrite par Robert Castel, de mise au travail
forcé, comme il était le cas dans l'Hôpital
général ou dans les dépôts de mendicité du
18ème siècle. Ces institutions de travail,
basée sur « la technologie panoptique et la division des
tâches » (1995 : 253), accueillaient les « pauvres »,
définis alors comme « toute personne qui n'aurait point de
propriété apparente ou présumable, ou de moyens de
subsistance honnêtes ou suffisants » (J. Bentham cité dans
Castel 1995 : idem). Le refuge pour vieillards suivait cette
même logique de mise au travail des pensionnaires.
Aujourd'hui, le seul « travail » en charge
du résident se résume à « veiller à ne pas
porter atteinte à la propreté de la chambre, de
l'établissement et des abords » (art. 19/c ROI). Toutes les autres
tâches se voient effectuées par le personnel, tant les
repas24 que toutes petites réparati ons25. Loin de
faire travailler les résidents, l'idée est maintenant de les
laisser se « reposer », même s'ils désirent mettre la
main à la pâte (cf. chapitre 7).
24 « L'établissement assure [...] au moins un
repas chaud par jour [...] ; l'établissement doit pouvoir à tout
moment servir une collation aux résidents qui le souhaitent [...] sans
frais supplémentaires » (art. 13 ROI)
25 « Seul le service d'entretien est habilité
à réaliser des menus travaux d'aménagement [...] »
(art. 19/d ROI).
23
Culte
A titre plutôt anecdotique, si la prière
du soir est obligatoire au milieu du 19ème au risque d'être «
consignés pour huit jours et, en cas de récidive, pour quinze
», fin de ce siècle, l'obligation est levée. Cependant, les
pensionnaires se voient obligés de se rendre aux « services
funèbres » (enterrements) de riches personnes car grossissant
l'assemblée, ils reçoivent une petite somme d'argent que le
refuge ne refuse pas. Ainsi, « à cet effet, ils s'habilleront de la
manière la plus convenable possible » (art. 14, 1877). Aujourd'hui,
la liberté de culte est de mise et aucune obligation ne
persiste.
Civilité
En 1877 : « Il est strictement
défendu de se servir d'expressions injurieuses ou grossières ;
toutes querelles, injures et voies de faits sont sévèrement
punies. Une première querelle est punie d'une consigne de huit jours
à un mois, les récidivistes peuvent être exclus. »
(art. 32) ;
En 2011 : « Afin de créer un
climat paisible et harmonieux, les résidents sont invités
à se comporter entre eux avec courtoisie et à s'aider
mutuellement. Le résident traitera le personnel avec bienveillance et
politesse [...]. » (art. 3)
Ces illustrations montrent bien la transition dans la
gestion de corps que propose Michel Foucault (1975). Sans entrer dans les
détails, on remarque d'abord l'utilisation de la menace de la sanction
directe (exclusion) puis par la suite, la référence à la
discipline, à la civilité, cachant alors les sanctions
sous-jacentes, entendues sous l'expression « prendre les mesures qui
s'imposent » (art. 21 du ROI).
*
J'ai tenté de montrer dans cette seconde partie
de chapitre l'évolution des objets, ici le règlement et la
convention, permettant la c oordinati on26 entre les acteurs que
Nicolas Dodier (1993) appelle « appuis conventionnels communs » et
que Foucault nomme « l'infra-pénalité » (1975). Il
s'opère en réalité, un changement radical de vision des
bénéficiaires. D'un refuge accueillant les indigents,
s'élevant parfois à plusieurs centaines et ne possédant
que peu de droits mais bien des devoirs, on trouve aujourd'hui un lieu tout
autre :
En 1877 : «Tous les pensionnaires
doivent respect et obéissance à l'Administrateur ainsi qu'aux
personnes déléguées. Ils sont tenus de se conformer aux
ordres qui leur sont transmis » (art.3)
En 2011 : « La maison de repos garantit
au résident de pouvoir mener une vie conforme à la
26 Attention à ne pas confondre coordination et
coopération. Cette dernière « doit [...] être comprise
comme une condition nécessaire pour la réussite d'une
activité coopérative » (Menger 1988 : 18). Pour aller plus
loin, voir Ullman-Margalit E., 1977. The Emergence of Norms. Oxford :
Clarendon Press.
24
dignité humaine, notamment en s'abstenant de
toute mesure de contrainte à son encontre, [...]27. La maison
de repos garantit au résident la plus grande liberté lors de son
occupation des lieux, pour autant qu'elle ne porte pas préjudice aux
autres et à la vie collective » (art 3 du ROI) .
Loin de nous le travail forcé, les obligations
strictes, les interdits, etc. Aujourd'hui la priorité est aux
résidents : ils forment le point central, le noeud autour duquel
l'institution doit tourner. Dupré-Lévêque note
qu'actuellement l'institution « n'est plus un lieu de pouvoir, capable de
contraindre les résidents à certaines activités ou
rôle, même si elle estime qu'ils sont essentiels à la
stabilité de leur identité » (2001 : 221).
L'établissement n'agit plus dans une optique de charité, qui
placerait les bénéficiaires dans une position de
redevabilité mais bien dans une optique de contrat où l'individu
« est censé avoir accepté une fois pour toutes, [les lois]
mêmes qui risquent de le punir » (Foucault 1975 : 106) et de
réciprocité (Genard 2009). Le résident est de nos jours
amené à participer à l'organisation de la vie collective
via le conseil participatif et la « boite à suggestions »
(cependant vide la plupart du temps). Il est également autorisé
(art. 18 ROI) à introduire une plainte auprès du directeur et/ou
auprès de l'administration. La logique est inversée : d'un
pensionnaire soumis aux exigences du refuge, on passe à une maison de
repos devant répondre aux exigences des résidents.
Encadré 1 : Le travail des
résidents
Anselm Strauss (et c o. 1997) note que si il n'existe
plus de travail officiel, les patients d'hôpitaux participent
néanmoins activement à l'organisation du travail, assurant son
bon fonctionnement. Les résidents agissent tout d'abord « avec tact
» (Goffman 1973a : 219), c'est-à-dire qu'ils se conforment au
rôle que l'on attend d'eux et ne cherchent pas à perturber la
pièce : « on les comprend bien », « je vais pas les
déranger pour ça », « si je peux les faire rire, je le
fais ! Ça doit pas être facile de travailler ici tous les jours...
», « tant que je peux le faire seule, autant le faire ! » sont
des phrases souvent répétées par les résidents,
faisant écho à l'idée de « dressage des corps »
que je développe plus loin (cf. chapitre 8). Ainsi, il est
demandé aux résidents de rec onnaitre le travail des soignants
(de Hennezel 2004) et de coopérer (Genard 2009b)28.
Toutefois, James Scott (2008) note que si cela illustre le « texte public
», d'autres discours peuvent être tenus, illustrant alors le «
texte caché » (cf. chapitre 9).
Ainsi, en plus de cette reconnaissance du travail du
personnel, les résidents offrent différents degrés
d'entraide au quotidien (faire leur lit, gérer leurs médicaments,
etc.). Si Mallon y voit un moyen de se démarquer des autres en montrant
que l'on peut se passer du personnel (2005 : 144), je pense que ces
résidents ont également besoin de ces gestes pour se sentir
« vivre », se sentir utiles (cf. déprise inquiète,
chapitre 7). Il s'agit alors d'une
|
27 Exception : voir les « mesures en matière
de contention, surveillance ou isolement » (art. 16)
28 Excepté pour les personnes placées en
soins palliatifs envers qui « toute attente de réciprocité
se trouve tendanciellement levée même si elle peut bien sûr
être présente. Les conditions de l'intervention sont
telles
que rien ne peut lui être demandé en
échange.» (2009b : 6)
25
forme de coopération : les soignants
délèguent aux résidents pour leur faire plaisir et ceux-ci
prennent ces tâches à coeur, pour eux et pour soulager le pers
onnel29.
Cette transition se ressent dans les termes
utilisés également : le refuge, « lieu, endroit
où quelqu'un qui est poursuivi ou menacé peut se mettre à
l'abri » (Larousse 2013) devient résidence, maison,
«bâtiment construit pour servir d'habitation aux personnes
» (idem) ; le pensionnaire, « personne logée
et nourrie dans un établissement public spécial »
(idem) devient résident, « personne qui habite
dans un lieu donné » (idem). Le refuge offrait
hospitalité, la maison de repos encadre les différents «
chez-soi », sur base d'un contrat, d'un accord explicite entre les deux
parties30. De plus, les sanctions s'externalisent (art. 15 ROI) : le
directeur peut se décharger de la responsabilité d'une
décision et envoyer l'affaire au niveau du CPAS. Ce dernier peut alors
l'envoyer devant la justice belge. On retrouve ici l'idée de Michel
Foucault (1975) qui remarque que les sanctions se voient prises en dehors des
lieux des délits, dans les tribunaux. Cela permet de donner un
caractère officiel, légal, aux déviances rapportées
mais aussi de déresponsabiliser les acteurs en jeu.
Je pense pouvoir avancer ici que la prise en charge
des personnes âgées a évolué d'une prise en charge
totale au niveau décisionnel (aucun espace pour l'autonomie des
pensionnaires) mais demandant une aide physique (travail forcé),
à aujourd'hui l'inverse : une prise en charge matérielle et
physique mais une demande de participation financière et
décisionnelle, illustrée par le schéma «
Évolution de la prise en charge » :
Évolution de la prise en
charge
Je me tourne encore vers Jean-Louis Genard pour aller
ici plus loin. Le grand partage (fous/sains d'esprit ; coupable/innocent ;
malade/en bonne santé ; etc.), dont je parlais plus
29 Notons le cas de Mme Van. qui a
décidé de prendre en charge ses médicaments, non pas par
désir de soulager le personnel, ni par souci de garder son autonomie
mais mécontente des trop nombreuses fautes dans la préparation de
ses médicaments...
30 Via la signature du règlement d'ordre
intérieur et de la convention du CPAS tous deux arrêtés par
le conseil de l'Action Sociale le 29 juin 2011« approuvée par les
membres du Collège réuni de la Commission Communautaire Commune
de Bruxelles-Capitale, [...] et ce, conformément à l'article 41,
$1, de l'arrêté du Collège réuni du 3 septembre 2009
[...] » (ROI et Convention page 1)
31 Termes du dépliant officiel de la
maison
26
haut, n'a donc plus lieu d'être aujourd'hui. Si,
lors de la première modernité, les vieillards étaient
enfermés, considérés comme irresponsables et demandant
donc une prise en charge totale au niveau décisionnel, la
deuxième modernité, se base sur le postulat que l'individu
:
« se trouve à tout moment, dans sa
fragilité, susceptible de basculer, de décrocher, mais en
même temps, chacun possède toujours des ressources qu'il s'agit de
déceler, et sur lesquelles il faut s'appuyer. » L'individu garde
toujours ainsi « la capacité de se prendre en charge, de s'assumer,
d'être responsable de soi, de s'en sortir, de pouvoir être autonome
» (Genard 2009 : 35).
Ainsi les structures de prise en charge actuelles ont
pour but de promouvoir l'autonomie de la personne le plus longtemps possible,
contrairement à ce qu'Hélène Thomas observe (cf. chapitre
1). Elles forment de multiples « dispositifs de « capacitati ons
» qui plutôt que de se contenter de ranger des êtres dans des
classes [comme nous l'avons vu dans l'histoire de Jean-Pierre Bois],
s'efforceront de les tirer vers des états de renforcement de leur
pouvoir-être et faire, c'est-à-dire de leur autonomie »
(Genard : 31). Ainsi, s'explique le désir de préserver
l'autonomie, la capacité décisionnelle de la personne dans la
maison observée.
En ce qui concerne le désir de laisser se
reposer les personnes, le désir de créer des espaces où
elles pourront terminer leurs jours « dignement », dans un «
climat paisible et harmonieux »31, je pense que l'idée
de « dette sociale » (Feller 2005 ; Gutton 1988 et Bois 1989 dans
Bourdelais 1990) peut nous éclairer : ayant travaillé pour la
patrie toute leur vie, il faudrait aujourd'hui témoigner du respect aux
anciens. Ceci expliquerait en partie l'avènement d'une politique propre
à la vieillesse, séparée de l'assistance aux pauvres,
reconnaissant alors un statut particulier et une prise en charge
particulière, plus respectueuse des personnes âgées. Michel
Philibert note que ce droit au repos (illustré par le
système de pension) a été octroyé aux personnes
âgées depuis le milieu du siècle passé, suite au
constat de leur inadaptabilité aux nouvelles conditions de travail,
étant plus lentes et moins flexibles :
« A mesure que les gens vivent plus vieux, que
les conditions sociales du travail laissent moins d'initiative et d'adaptation
à sa tâche au travailleur individuel, à mesure que le
travailleur âgé est perçu par son employeur et ses jeunes
collègues comme incapable de tenir utilement son emploi, que les
systèmes de pension se généralisent, une population
âgée croissante se voit soumise à, ou
bénéficiaire de, un statut particulier, et va vivre, pour une
période de vie de plus en plus longue, dans une situation
d'oisiveté pensionnée et instituée, avec des ressources
diminuées, un droit au repos prenant insidieusement la
relève du droit au travail » (Philibert 1984 :
21).
***
27
Le style de prise en charge prônée dans
la maison de repos et de soins observée résulte d'une longue
histoire, mêlant histoire sociale, dite « histoire
générale » (Philibert 1984), et histoire spécifique
à l'établissement, les deux étant inséparables
(Dodier 1993). Les documents propres à la maison et les analyses
d'historiens ont permis de montrer que l'évolution de
l'établissement est à comprendre en lien avec l'évolution
des formes de prise en charge de la personne âgée. Cela permet de
« renouveler le regard et rompre avec l'évidence » (Urbain
2003 : 114), rompre avec la naturalisation de cette prise en charge en mettant
ici en avant la spécificité de cette dernière (autonomie
et contribution financière mais non corporelle) où les
résidents sont au centre des préoccupations et le personnel
à leur service. Ils deviennent clients à satisfaire et
profitent de l'appui du directeur au lieu de pensionnaires dans une position de
redevabilité. Gardez cela en tête à la lecture de ce
mémoire car les conséquences de ce renversement se font toujours
ressentir aujourd'hui.
Tournons-nous maintenant, comme annoncé en
début de travail, vers les caractères public et bruxellois de la
maison. Qu'elles en sont les implications concrètes ?
28
CHAPITRE 3 :
UN ETABLISSEMENT PUBLIC
3.1 Public, privé, ASBL : quelles
différences ?
En Belgique, la gestion des maisons de repos (et de
soins) peut être soit de nature privée (c'est-à-dire
à caractère commercial) ; soit aux mains d'une ASBL
(privée mais non commerciale) ; soit de nature publique
(gérée par un CPAS). À Bruxelles, 73% relèvent du
domaine privé ; 12% d'une ASBL ; et 15% du public (T.d.b. 2010 : 281).
L'établissement traité dans ce mémoire fait partie d'un
des 5 établissements d'accueil pour personnes âgées
gérés par le CPAS de Bruxelles-Capitale. Succinctement, les
maisons de repos publiques et sous forme d'ASBL sont de plus grande taille que
les maisons privées, ce qui ce confirme dans l'établissement
observé : d'après Mr Marc, la taille moyenne d'une maison de
repos (et de soins) serait de 90 unités de l ogement32.
L'établissement en question en comprend 137, il s'agit donc d'une
structure « relativement grande » d'après ses mots. Qui dit
grande structure dit tendance à la standardisation comme méthode
privilégiée de coordination (Mintzberg 1998).
De plus, après comparaison des prix
demandés à la j ournée33, les maisons de repos
publiques se situent entre les ASBL (plus chères) et les privées
(moins chères) (SPF 2009). « Une explication possible peut
être la politique différente qui est notamment menée par
rapport à l'effectif en personnel. Une maison de repos privée
tentera d'employer un encadrement minimal en personnel pour réduire
ainsi les coûts et pouvoir demander un prix journalier inférieur.
Une maison de repos sous forme d'ASBL sera, en revanche, moins tentée de
réaliser des économies sur le personnel, ce qui l'obligera
à pratiquer des prix journaliers supérieurs. Cela vaut aussi pour
une maison de repos du CPAS, mais le prix journalier sera maintenu à un
niveau légèrement inférieur grâce à
l'intervention financière de l'autorité commune dans le
fonctionnement de la maison de repos » (SPF 2009 : 25). Je reviendrai sur
le prix de l'établissement dans le chapitre suivant.
3.2 Un contrôle externe
Le directeur m'a confié qu'en
réalité, il n'avait pas beaucoup de pouvoir dans la
32 C'est-à-dire les lits disponibles, donc la
capacité d'accueil des établissements. Autrement dit, leur
taille.
33 Attention, le prix varie en fonction de chaque
établissement en fonction des différents services
proposés.
29
maison : sa tâche se « résume »
à faire l'intermédiaire entre le CPAS de Bruxelles et
l'organisation de la maison de repos et de soins. Ainsi, me dit-il, il se
trouve parfois incapable de répondre aux demandes de résidents vu
les normes décidées au niveau supérieur, appliquées
alors dans les cinq établissements, de façon homogène. Par
exemple, le CPAS n'alloue pas de fonds pour l'aménagement et l'entretien
de cuisine : les repas proviennent des Cuisines Bruxelloises qui les apportent
matin, midi et soir. Dans la maison, il reste juste la préparation de
gaufres les mardis et jeudis, ayant notamment pour but d'emplir
l'établissement d'une bonne odeur, et d'ainsi créer un sentiment
de « chez-soi », toujours d'après le directeur.
Face à cette situation de délocalisation
imposée de préparation des repas, comment répondre
à la demande des résidents qui se plaignent, par exemple, de ne
jamais avoir de frites ? En effet, les repas étant
préparés bien avant la distribution, ils sont
réchauffés sur place. Les frites ne sauraient subir ce
traitement, elles en perdraient tout leur croquant ! Mr Marc s'est alors permis
d'acheter deux grosses friteuses (service de +- 40 personnes) qu'il entrepose
à la cave. Ainsi, de temps à autre, des frites sont
proposées aux résidents34, mais cette information doit
rester confidentielle, le directeur y engageant sa propre
responsabilité.
Ce pouvoir externe, analysé comme un des
facteurs de contingence pouvant pousser l'organisation vers l'une ou l'autre
configuration structurelle, « a pour effet de concentrer les pouvoirs de
décision au sommet de la hiérarchie et d'encourager l'utilisation
de règles et de procédures pour le contrôle interne »
(Mintzberg 1998 : 260). En d'autres mots, le fait que l'organisation soit
contrôlée par l'extérieur, encourage la centralisation et
la formalisation de la structure, et ce, afin que le contrôle soit plus
facilement réalisable. Cela a tendance à accroître un style
d'organisation bureaucratique.
Ce contrôle externe, je l'ai ressenti dès
mon entrée sur ce terrain. Lors du premier échange de mails avec
Monsieur Marc35, il m'a demandé un projet écrit de
mémoire, « vu que je suis obligé d'envoyer votre projet
à mes supérieurs » et ensuite, suite à une
interprétation différente du mot « fin de vie »
utilisé dans la description de mon projet, il me refusa l'accès
de la maison. Pourquoi ? Derrière le mot « fin de vie » se
cache, croyait-il, la question de l'euthanasie, question assez
controversée. Sans entrer dans les détails, il me fait comprendre
que la maison se devait de garder une certaine position sur la scène
politique, et qu'une investigation autour d'une question aussi délicate
et controversée n'était pas la bienvenue dans
34 Et ceux-ci en sont plus que ravis ! rai
constaté moi-même leur enthousiasme et leurs remerciements lors du
conseil des résidents de février 2013.
35 Conversation en Annexe 2.
36 Ceci peut s'expliquer par le pluralisme institutionnel
qui existe aujourd'hui, dont les résidences-service, assez
coûteuses, font partie et vers lesquelles une personne aisée
nécessitant de l'aide peut alors se tourner.
30
un organisme du CPAS. En réalité, c'est
l'image du CPAS que véhicule la maison. Le directeur se doit donc de
rester prudent (Mintzberg 1998) et de me refuser l'accès à ce
terrain, pour des questions extérieures à lui.
Michel Crozier (1964) montre qu'en
réalité, dans une organisation bureaucratique de ce type (cf.
chapitre 5), la hiérarchie formelle est trompeuse : les hauts dirigeants
ne feraient que suivre les règles, s'y soumettraient plus que tout autre
personne tandis que les « petits » effectifs, les exécutants,
se situant dans le bas auraient plus de marge de manoeuvre. Crozier observe
donc un déplacement du pouvoir, et ce grâce à
l'organisation bureaucratique elle-même. Je pense pouvoir rapprocher
cette théorie du cas observé : le directeur n'a fait que suivre
les règles vu son statut de subordonné direct et isolé au
CPAS. Au niveau du personnel par contre, aborder le thème de la mort, de
l'euthanasie, n'a posé aucun problème. Ainsi donc, à
l'instar de l'état dans le domaine de l'art, le CPAS de Bruxelles «
joue fatalement un certain rôle dans la réalisation [de la prise
en charge]. [Il] défend ses intérêts en soutenant ce qu'il
approuve et en mettant des entraves à ce qu'il désapprouve, ou en
l'interdisant purement et simplement » (Becker 1988 : 178 --
179).
3.3 Une certaine population
La plupart des résidents de la maison
dépend du CPAS, n'ayant pas de revenus suffisants pour se prendre en
charge (SPF 2009 : 30). Cela rejoint les observations d'Hélène
Thomas (2010) qui remarque une grande proportion de classes populaires dans les
maison de rep os36. Isabelle Mallon (2005), elle, précise que
si les personnes de milieux aisés font plus facilement le choix de venir
en maison de repos, les personnes de milieux populaires, plus attachées
à leur domicile, ne prendront la décision d'entrer en
établissement que par défaut, en dernier recours. Ceci ne
facilite alors pas l'adaptation à la vie institutionnelle. Goffman
(1968) le confirme : les reclus demanderont un plus long temps d'adaptation si
il n'ont pas fait le choix d'entrer en établissement. Et de fait,
d'après le directeur, ces personnes sont plus exigeantes, plus
récalcitrantes aux normes, que les « payantes » comme il les
appelle.
Face à cette population moins aisée, il
existe dans la maison tout un système de redistribution des biens afin
d'aider les résidents à recréer un cadre de vie «
digne ». Des brocantes se voient organisées à intervalles
réguliers où les résidents peuvent acheter, pour un prix
symbolique, des vêtements, des bibelots de toute sorte, des sacs, des
chaussures, etc. Les
31
meubles des défunts isolés sont
stockés à la cave, permettant aux nouveaux arrivants, parfois ne
possédant qu'une valise de vêtements (et encore), de meubler leur
chambre et de rendre le cadre de vie plus agréable et pratique. La
lingerie garde également en réserve de nombreuses pièces,
comme des chemises de nuit, des sous-vêtements, des pulls, à
disposition des résidents. Ainsi j'ai rencontré Mme De. qui,
arrivée à la maison avec les seuls habits qu'elle a pu
récupérer de son ancien appartement (son manteau de fourrure et
quelques pièces légères), a alors reçut une chemise
de nuit de la maison et des pantoufles « d'une autre qui était
morte hein ! Mais bon, moi j'm'en fous, j'en avais pas, alors j'suis bien
contente ! ».
Lors de mes premières visites, comme je le
développais plus haut, j'ai été choquée de la
non-communication entre résidents. Selon Isabelle Mallon les maisons de
repos accueillant une population aisée, connaissent une certaine
sociabilité : les résidents entretiennent entre eux de nombreux
« liens faibles ». De l'autre côté, dans les maisons de
repos accueillant une population moins aisée, la sociabilité
reste très faible. Les résidents alors évitent les
relations plus profondes avec d'autres résidents, au risque de les voir
devenir des « relations d'interdépendance pesantes » (2005 :
47). J'y reviendrai dans la suite du mémoire.
Encadré 2 : L'entraide (1)
Il existe néanmoins une forme d'entraide dans
le groupe des résident : Mr Br. face à l'injustice que subissait
son ami Mr Lef., ne recevant pas de gaufre comme les autres s'insurge ! Mme
Redman, l'ergothérapeute, a répondu que « moi au moins, je
prends soin de sa santé ! » Mr Lef. étant diabétique.
Mme De. prit sous son aile Mme Vin., nouvelle arrivante, et la guida dans les
maisons et les activités ; Mr K. fait les courses pour l'un ou l'autre
résident immobilisé ; Mr Le. se charge de transmettre directement
chez la chef de service les demandes de l'un ou l'autre de ses voisins ;
etc.
D'un côté donc, on assiste à une
redistribution des biens, un partage collectif mais de l'autre à des
rapports sociaux de non-engagement, de non-participation. D'un
côté, les résidents sont dépendants des personnes
décédées ; de l'autre, totalement indépendants des
vivants. Ceci peut être considéré comme une
caractéristique des maisons publiques.
3.4 Immobilité et persistance
Une dernière caractéristique de la
maison termine ce chapitre. Comme me le mentionnait Mr Marc, une MRS publique
trouvera toujours des résidents pour remplir ses chambres. Le CPAS se
charge d'envoyer des candidats, la demande sera donc constante.
Ceci
32
illustre un des facteurs de contingence qu'Henry
Mintzberg met en avant : la stabilité de l'environnement, entendu comme
« tout ce qui est situé en dehors de l'organisation : sa
technologie [...] , les clients et concurrents, la distribution
géographique de ses activité, le climat économique,
politique et même météorologique [...] » (1998 : 245).
Au plus l'environnement de l'organisation sera dynamique, complexe, hostile et
ses marchés divers, au plus l'organisation aura besoin de
flexibilité et donc aura tendance à se montrer organique. Au
contraire, « dans un environnement stable, une organisation peut
prédire les conditions dans lesquelles elle se trouvera, donc toute
chose étant égale par ailleurs, elle peut isoler son centre
opérationnel et en standardiser les activités (établir des
règles, formaliser le travail, planifier les actions) ou peut-être
standardiser les qualifications. Dans un environnement très stable,
toute l'organisation prend la forme d'un type protégé et serein
qui peut standardiser les procédures de haut en bas » (1998 :
248).
Dans notre cas, la technologie utilisée reste
constante (les techniques de soins n'évoluent pas rapidement) ; les
clients également ; la concurrence réduite au minimum (vs.
maisons privées plus sujettes à la concurrence) ;
activités très localisées géographiquement (au sein
même de la maison) ; les climats économique et politique (le
météorologique n'étant pas un facteur de perturbation ici)
fixes également. La stabilité et la simplicité de
l'environnement pousse la maison à adopter une structure
centralisée et mécanique, dont l'une des caractéristiques
est son incapacité à gérer les situations sortant du
planning officiel.
Encadré 3 : Gérer
l'exceptionnel
«Rédiger intégralement le
scénario [...] est un procédé très efficace,
à condition qu'aucun événement fâcheux ne vienne
rompre le cours pré-établi des paroles et des actes »
(Goffman 1973a : 215).
Stratégies du personnel
Bernadette est la responsable, aidée « du
robot », de la préparation quotidienne (excepté samedi et
dimanche) des médicaments. J'ai assisté un matin au rapport
infirmier à la situation suivante : Mme Oste, infirmière chef du
secteur 2, s'est retrouvée le jour précédent, n'ayant pas
été prévenue de l'absence de Bernadette, sans
médicament préparé pour ses résidents. Elle s'est
alors attellée elle-même à la tâche, laissant son
travail du jour de côté, engendrant des difficultés dans la
suite de l'organisation. Dans le secteur 1, l'infirmière de nuit
consciente de l'absence de Bernadette, avait pris en charge pendant sa garde,
la préparation des médicaments. Son équipe l'en remercie.
La prise d'initiative de l'une a « sauvé » son secteur d'une
situation de stress, comme cela le fut dans le secteur 2.
Dans le cas de situations inattendues comme l'absence
d'une personne-clé, il est demandé au personnel de faire preuve
d'initiative puisque aucune règle spécifique ne traite de
ces
|
33
situations. Ainsi, la prise d'initiative est
réprimée en ce qui concerne une résidente chahutant dans
les couloirs (cf. chapitre 6) car pour ces situations, il y a des
règles. Par contre, pour les situations anomiques, sans
règle précise, les soignants sont priés de «
savoir » ce qu'il faut faire : s'informer et « réparer »
la situation entre eux, « s'ajuster mutuellement » (Mintzberg 1998)
et combler les trous laissés par le règlement.
Stratégies de
résidents
Comment les résidents arrivent-ils à
faire entendre leurs désirs et à les résoudre ? Mr. Boe,
poète, avait l'habitude d'enregistrer ses créations sur
magnétophone. Ce dernier malheureusement « est cassé ».
Ne sachant pas à qui demander, il se résigne aujourd'hui à
les écrire. L'abandon semble être sa solution personnelle : «
c'est difficile de demander que quelqu'un vienne [...]. Vous savez ici tout le
monde travaille. Alors si je sais vivre comme ça, c'est bon. ». Son
réveil indiquait également une mauvaise heure. Aucune tâche
n'étant dévolue à la remise à l'heure des
réveils des résidents, il reste ainsi depuis « oh
ça fait longtemps vous savez! », de nouveau résignation.
Heureusement qu'une petite étudiante en anthropologie lui a alors
corrigé l'heure...
D'autres résidents se montrent plus actifs dans
la résolution de leurs situations « exceptionnelles » : Mr Li.
par exemple, aime écrire et veut noter ses mémoires pour les
générations futures. Il a alors demandé à Mme
Annette, « son rayon de soleil », un calepin et un stylo à
bille ; Mme Dem. demande à Christelle, de partir à la recherche
de son pull perdu ; Mme C o. a signalé à l'ergothérapeute
qu'elle adore coudre, depuis elle reçoit patrons, aiguilles et fil
à intervalles réguliers ; etc. Cependant, ne confier ses demandes
qu'à une seule personne peut être dangereux : Mr Ci. a ainsi
confié/s'est vu confier sa gestion de cigarettes à Mme Annette.
J'assiste, lors de sa demande hebdomadaire, à la frustration de ce
résident, ayant raté sa livraison précédente
:
Mme A. : «Mais vous avez déjà eu deux
paquets aujourd'hui !
Mr CL : Oui mais la semaine passée...
Mme A. : Ah mais la semaine passée,
j'étais malade hein ! C'était ma collègue qui devait vous
les donner normalement... (il rouspète un peu car la semaine
passée elle n'était pas là et il n'a donc pas reçu
ses cigarettes). Mais monsieur, ça arrive à tout le monde
d'être malade !
Mr CL : mais je les ai pas eues...
Mme A. : mais enfin monsieur, il n'y a pas que moi
dans la maison hein ! vous pouvez demander à quelqu'un d'autre d'aller
vous chercher vos cigarettes ! » (et elle s'en va)
D'autres résidents encore utilisent le conseil
des résidents une fois tous les trois mois pour faire entendre leurs
demandes : Mme Be. y demande une nouvelle chaise comportant des accoudoirs.
Elle demande également si « quelqu'un » pourra l'aider
à descendre ses bagages le mois suivant lors de son départ en
vacances. Mme Van. voudrait des couteaux plus tranchants ; Mr Bou. de la viande
avec des os ; Mme Fl., grande voyageuse, souhaite visiter Liège, etc.
Toutes ces demandes, le directeur les délègue aux chefs
présents : la chaise et les bagages vers Mme Moreau, l'alimentation vers
le diététicien, et l'excursion vers l'animatrice et
l'ergothérapeute, travaillant en binôme.
|
Cette immobilité de la maison, je l'ai
ressentie lors de la présentation de mon rapport au directeur. En effet,
il m'était demandé de mettre à profit ma recherche et
d'investiguer pour le CPAS quelques thèmes comme le sentiment
d'autonomie, l'appréciation ou non des
34
activités, etc. auprès des
résidents (cf. chapitre 10). Pensant que ce rapport leur serait utile,
j'ai pris la tâche sérieusement. Quelle ne fut pas ma
déception lorsque, devant le directeur, ce dernier n'y montra aucun
signe d'intérêt ! Mes réflexions pour tenter
d'améliorer la structure furent négligées. Cette situation
illustre selon moi, l'environnement non-concurrentiel et la stabilité
des marchés qui entourent la maison, n'offrant à cette
dernière, aucune raison d'évoluer. Cela illustre également
la difficulté de modifier l'organisation lorsque l'organisation comprend
des professionnels agissant plus isolément (Mintzberg 1998).
3.5 Réinsertion sociale
« Lorsqu'une personne doit justifier d'une
période de travail pour obtenir le bénéfice complet de
certaines allocations sociales ou afin de favoriser l'expérience
professionnelle de l'intéressé, le CPAS prend toutes dispositions
de nature à lui procurer un emploi à temps plein ou à
temps partiel. Le cas échéant, il fournit cette forme d'aide
sociale en agissant lui-même comme employeur pour la période
visée ». (article 60 § 7 de la loi organique des CPAS du
08/07/1976).
L'établissement observé accueille des
personnes dites « sous article 60 », pour des périodes de
prestation de 12 mois pour les moins de 36 ans ; 18 mois pour les 36 -- 49 ans
; 24 mois pour les 50ans et plus. « Aux Capucines », ces personnes
sont engagées en tant qu'aide-logistiques ou aides d'entretien. Elles
forment une population quelque peu à part dans la maison, étant
présentes pour une brève période (il s'agit souvent de
jeunes personnes), elles semblent moins investies dans l'établissement
que d'autres membres du personnel.
Encadré 4 : Un équilibre
déséquilibré (1) - Vers
l'aliénation.
Une organisation engageant du personnel salarié
trouve son équilibre via la rémunération. Etzioni (1961)
nomme cet équilibre, l'échange : le personnel est payé en
fonction du travail accompli / des heures prestées. Il se doit de
respecter les règles, Etzioni parle alors de discipline.
Néanmoins, deux types d'excès s'observent dans la maison,
s'écartant donc de cet équilibre : la participation et
l'aliénation. Je traite dans cet encadré du second
type.
Un problème récurrent dans la maison
selon le personnel soignant et le directeur est la non-fiabilité des
aides-logistiques, tous sous article 60 :
« Certains sont très motivés !
D'autres s'en foutent complètement et ils faut les chercher partout !
ils font le juste minimum !! Au moindre truc, ils sont à la maison, ils
viennent pas ! » (Mme Oste, infirmière chef) ; « ça
dépend vraiment sur qui on tombe hein, mais certains on sait jamais si
on va les voir arriver le matin ou pas, c'est toujours comme ça, on sait
pas ! » (Mireille, aide-soignante).
Ces derniers n'ont pas choisi de venir travailler en
maison de repos et de soins. Certains
|
35
peuvent y trouver une sorte de
révélation et choisissent de continuer dans le métier (par
exemple via une formation d'aide-soignante), d'autres resteront
indifférents à la condition des personnes âgées tout
au long de leur prestation, ce qui choque certains résidents : «
Ils n'en n'ont rien à foutre hein ! ils sont là pour toucher le
chômage après ! Il y a quelques exceptions hein, comme toujours...
» (Mme Van.).
Ceux d'entre eux non-motivés par le travail
représentent l'intégration par aliénation. Et cela leur
donne énormément de pouvoir. En effet, une personne
aliénée à son travail sera découragée,
« abandon[nera] toute velléité » (Desmarez 2008 : 49),
ne trouvera aucune motivation à sortir de chez elle, si ce n'est le fait
peut-être de ne pas se faire virer (Etzioni 1961). Or, dans notre cas, Mr
Marc m'explique que, sous article 60, ces personnes dépendent des
caisses du CPAS. Cependant après leur prestation, elles sortiront de ces
caisses, seront alors en charge de l'état et toucheront le
chômage. Le CPAS a tout intérêt, pour réduire ses
coûts, à « faire sortir » ces personnes de son
financement, donc à les faire prester au plus vite ces quelques mois. Il
est ainsi demandé au directeur de ne pas virer ces dernières, de
les garder dans la maison, afin de terminer la réinsertion sociale au
plus vite.
Comment assurer alors la motivation de ces personnes,
n'ayant pas choisi leur terrain de travail (en effet, le CPAS leur propose un
travail spécifique), ne l'acceptant parfois que pour
bénéficier d'une meilleure condition par la suite, et, qui plus
est, n'étant pas sous la pression d'un potentiel licenciement
malgré un mauvais travail ou un taux d'absentéisme important non
justifié ? Difficile, me confie Mr Marc.
Ces aides-logistiques créent ce que Michel
Crozier nomme « zones d'incertitude » : « si vous êtes la
personne qui contrôle une telle zone, et bien vous aurez du pouvoir sur
ceux qui sont affectés par l'incertitude que vous contrôlez »
(1994). Ainsi, à l'instar des ouvriers d'entretien (1964), laissant
l'équipe nursing et le directeur dans le doute permanent sur leur
présence et leur motivation au travail, les aides-logistiques
détiennent un réel pouvoir dans l'organisation, obligeant la
réorganisation du travail journalier.
***
D'après ces éléments (taille
importante, contrôle externe, environnement très stable), il
semble qu'un établissement public ait tendance à la
bureaucratisation. Cette standardisation de la prise en charge des personnes
âgées serait la cause de nombreuses petites frustrations
quotidiennes, tant du côté des résidents que du personnel.
Tout au long de ce mémoire, je montre néanmoins que les acteurs,
de façon individuelle ou collective, arrivent à contourner ces
règles afin d'éviter au maximum ces frustrations, à
l'instar de Mr Marc et des friteuses. De plus, au sein de
l'établissement public, malgré une redistribution des ressources,
la sociabilité entre résidents serait assez faible, ce qui, je
pense, a des répercussions sur les relations entretenues avec le
personnel (cf. chapitre 8). Terminons le tour de la question par les
implications du caractère bruxellois de la maison.
36
CHAPITRE 4 :
UNE MAISON BRUXELLOISE
Si la caractéristique d'être bruxelloise,
gérée par la Commission Communautaire Commune (comme 70% des
établissements de ce genre selon de T.d.b. 2010), relève moins de
particularités que le fait d'être publique, voici toutefois
quelques éléments intéressants.
4.1 Offre résidentielle à Bruxelles
En 2008, seuls 10% des personnes belges,
âgées de 80 ans et plus, habitent sur le sol bruxellois,
même constat pour le pourcentage des 60+, ne s'élevant qu'à
8,3% de la population nati onale37. S'ensuit logiquement que
Bruxelles se trouve être la région contenant le moins
d'unités de logement disponibles. En moyenne, en région
bruxelloise, on compte un lit pour dix candidats de 60+ ; et plus
précisément à (1000) Bruxelles, un lit pour sept
candidats38. L'offre y semble donc quelque peu meilleure que dans
les autres communes de la capitale et ceci signifie que les candidats à
l'entrée en établissement ont théoriquement plus de
choix.
Néanmoins, sur ce territoire (ainsi qu'en
Wallonie) la majorité des unités de logements disponibles
relèvent de maisons de repos privées et « la part de
marché des maisons de repos du CPAS et sous forme d'ASBL dans le nombre
d'unités de logement est bien plus réduite à Bruxelles et
dans les provinces wallonnes [qu'en Flandre] » (SPF 2009 : 19). Il
s'ensuit que, la demande pour les maisons publiques étant
élevée, les candidats à celles-ci ont moins de choix. De
plus, sur le territoire bruxellois, la population âgée a tendance
à consommer peu de soins à domicile, favorisant au contraire les
soins en institutions. Cela accroît également le nombre de
candidats et donc la demande (T.d.b. 2010) (cf. demande constante, chapitre 3).
Il semble également que l'offre résidentielle à Bruxelles
(MR et MRS) baisse continuellement depuis une dizaine d'années, au
profit de résidences-services. Cette fermeture de maisons touchant
particulièrement les petites structures, les établissements plus
importants (plus de 75 lits) voient leur proportion augmenter (InforHome 2009).
La maison observée se place parmi ces grands établissements et
ses résidents pourraient montrer de plus grandes difficultés
d'adaptation (cf. chapitre 3) vu le choix restreint de maisons publiques
à Bruxelles.
37 Source : 1955-2008 : observations, Eurostat ;
2009-2050 : Perspectives démographiques, BFP -- SPF (2009)
38 Source : Home-Info, Infor-Home et Registre national
2008
39 Source : Direction générale Statistique
et Information économique du SPF Economie, Registre national,
2008
40 Source : Direction générale Statistique
et Information économique du SPF Economie, Registre national,
2008
37
4.2 Une taille et un prix
Pour rappel, les maisons de repos (et de soins)
privées sont généralement de plus petite taille que les
maisons publiques et les ASBL. Un établissement
(privé/public/ASBL confondus) compte en moyenne à Bruxelles, 86
places (87 pour la Flandre, 69 pour la Wallonie) (INAMI 2013).
L'établissement étudié en comptant 137, il s'agit d'une
structure plus importante que la moyenne belge et bruxelloise.
Question de prix : au-delà du fait que «
les chambres d'une maison de repos peuvent [..] fortement différer
» en fonction de la taille, la vue, les rénovations, les
équipements, etc. (SPF 2009 : 23), le prix moyen d'une chambre à
Bruxelles s'élève à 35,5€ / jour (Flandre 41€/j.
et Wallonie 32€/j.). Dans notre cas, le prix journalier tourne autour de
43€ selon les facilités de la chambre. Cela signifie en terme de
population fréquentant l'établissement, que les personnes
payantes, sont des personnes assez aisées. Il y aurait donc un contraste
entre les personnes dépendantes du CPAS, plus démunies, et ces
personnes payantes. Cependant, je ne l'ai pas remarqué lors de mes
observations.
4.3 Une certaine population
Il est reconnu, les femmes ont une espérance de
vie plus longue que les hommes. À Bruxelles en 2008, la population des
85+ compte 74% de femmes39. « Il en résulte que les
personnes seules très âgées sont surtout des femmes et
qu'elles sont donc surreprésentées en maisons de repos et de
soins » (T.d.b. 2010 : 251). Ceci s'illustre également dans
l'établissement investigué. Or, tout à fait par hasard,
j'ai récolté les témoignages de 7 femmes et 7 hommes. Si
ceci semble égalitaire de premier abord, cela ne représente pas
le sexe ratio de la population générale ; ce n'est donc pas un
« échantillon représentatif ».
L'établissement fait aussi écho à
un autre constat démographique bruxellois : la proportion croissante de
jeunes personnes (20-40ans) non-belges (T.d.b 2010 : 18)40. En
effet, si la plupart des résidents sont d'origine belge, la plupart du
personnel provient du nord ou du centre de l'Afrique. Le directeur m'a
d'ailleurs confié que cette situation selon lui ne convient pas aux
résidents : venant de mondes trop différents, aucune
communication entre personnel et résidents ne serait possible, ce qui
selon lui amène des états de dépression et
d'anxiété du côté des personnes âgées.
Selon Hélène Thomas, la tension est inévitable : on
demande à des
38
femmes « peu qualifiées, au statut
précaire, issues de classes populaires » (2010 : 66), de faire
preuve de conversation, de tact, de sollicitude, bref, de «
compétences relationnelles sophistiquées » (idem:
67) et ce, pour un salaire peu élevé.
A titre plutôt anecdotique, Hulin et Blood
(1968) ont montré que les ouvriers de milieu urbain s'accommodaient
mieux à la routine au travail que leurs confrères ruraux. Ceci
serait dû au fait que, dans une ville, les personnes
préfèrent moins s'investir dans leurs relations sociales et
professionnelles. Pour ce mémoire, cela signifierait que le personnel
d'une maison de repos bruxelloise s'acclimaterait facilement au travail de
soin, assez routinier. D'après mes observations et témoignages
récoltés, si certes le personnel pointe cette routinisation du
travail, seule une aide-soignante s'en est réellement plainte. J'y
reviens au chapitre suivant.
***
Une maison de repos et de soins, publique, bruxelloise
amène dans un lieu fermé une population aux profils très
hétérogènes : des résidents déments,
valides, invalides, autonomes, de moyenne d'âge de 82-83 ans,
principalement d'origine belge ; un personnel souvent d'origine
étrangère, parfois peu ou pas qualifié ; des
professionnels de tous horizons : social, juridique, médical,
comptabilité, ... illustrés dans les différentes fonctions
travaillant dans l'établissement ; des carrières très
diverses également : 20 ans de carrière pour certains, stage de 3
semaines pour d'autres, période de 12 à 18 mois pour les «
articles 60 », période de transition avant de chercher un autre
emploi pour les derniers, ... ; femmes et hommes ; vieux et jeunes ;
dépendants du CPAS et «payants » ; ... Un beau melting-pot
comme dit chez nous !
Comment alors ce lieu hétérotopique,
illustrant « la plus petite parcelle du monde, et [...] la totalité
du monde du monde » (Foucault 2004 : 17), notamment pour les
résidents ne pouvant plus se mouvoir hors des murs de l'institution,
prend-t-il forme officiellement ? Comment chacun arrive-t-il à trouver
sa place ? Le chapitre suivant tend à expliquer comment de
façon officielle tout ce petit monde s'organise quotidiennement et
ainsi montre la place que chacun occupe dans la hiérarchie du travail.
Les résidents sont dans le prochains chapitre évincés,
étant, je le rappelle, considérés comme clients
à satisfaire donc n'entrant d'aucune manière officielle dans
la division du travail.
39
41 Annexe 3.
CHAPITRE 5 :
COUP D'OEIL SUR L'ORGANISATION OFFICIELLE
Mettant en avant l'organisation officielle de la
maison de repos et de soins, ce chapitre se divise en deux parties : la
présentation de l'organigramme et la présentation des divisions
spatiale, temporelle et fonctionnelle au sein de l'établissement.
Toutefois, je n'entrerai pas ici dans les détails précis. Il
s'agit de donner au lecteur une vue d'ensemble de l'organisation de la maison
car « on ne peut [.. pas] faire de bonnes études au niveau
microscopique sans une identification soigneuse et précise des
conditions structurelles y afférant [...] » (Strauss 1992a : 13).
Des points plus ciblés, concernant les tâches précises
(reprises dans les « profils de fonction » du personnel) seront
abordés au cours des chapitres suivants, en regard avec mes
observations. Je me tourne ici vers l'approche de la pragmatique sociologique,
et propose la première forme d'entrée dans l'action sociale :
« observer les appuis conventionnels au repos, inscrits dans la
matière, par l'intermédiaire d'objets, d'écrits ou plus
généralement de traces de l'activité humaine » (D
odier 1993 : 80).
5.1 La structure de la maison
«Bonjour Mme Orban, En dessous, vous trouvez
quelques documents concernant notre maison de repos. N'hésitez pas
à me contacter en cas de questions. Structure: 137 lits, 78 MRS + 59 MR.
Age: +-82 ans. Bonne journée. » documents joints : organigramme
interne, organigramme général, convention du CPAS,
règlement d'ordre intérieur, historique de la maison, projets
d'animation et programme des mois de mai 2012 et juin 2012. (mail du
04/09/2012)
J'ai ainsi reçu deux organigrammes (interne et
externe)41 alors que je n'étais pas encore acceptée
officiellement (en attente de la réponse du CPAS). Que nous
révèlent-ils ? La citation suivante, certes un peu longue,
explique bien les avantages et inconvénients de ce type de document
:
« L'organigramme est une description discutable
de la structure. La plupart des organisations le trouvent toujours
indispensable et, inévitablement le donnent avant tout autre
élément quand elles veulent décrire la structure. [...
Malgré les réticences de spécialistes d'organisation] Il
ne faut pourtant pas rejeter l'organigramme ; il faut plutôt le
considérer avec un peu de recul, comme un document qui donne des
informations utiles, même s'il omet d'autres informations
également
40
valables. L'organigramme est un peu comme une carte ;
une carte est en effet précieuse pour repérer les villes et les
routes qui les relient , mais elle ne dit rien des relations économiques
et sociales de la région. Parallèlement, même si
l'organigramme ne décrit pas les relations informelles, il donne une
image exacte de la division du travail et indique au premier coup d'oeil : 1)
quels postes existent dans l'organisation; 2) comment sont-ils groupés
en unités et 3) comment l'autorité formelle circule entre eux
(Mintzberg 1998 : 52).
Voici donc l'organigramme interne, simplifié,
de la maison de repos et de soins inspiré du document officiel (en
annexe) :
Organigramme simplifié
Il existe officiellement quatre groupes distincts
travaillant de façon autonome : le groupe « nursing
»42 comprenant tout le personnel nursing (infirmières,
aides-soignantes, aides-logistiques) et le personnel plus extérieur mais
alloué aux MRS, à savoir, l'ergothérapeute, le
kinésithérapeute et l'animatrice. Il s'agit du groupe le plus
peuplé43 de la maison et le plus hiérarchisé.
Le groupe logistique comprend tout le personnel d'entretien et
d'hôtellerie, soit environs 27 pers onnes44. Le
troisième groupe, comprenant le personnel administratif, compte entre 7
et 8 pers onnes45. Les externes enfin, une dizaine, sont les
personnes indépendantes de la maison, engagées au niveau du CPAS
et travaillant également dans d'autres structures publiques. L'existence
de ces différents groupes ne facilite pas la communication au sein de la
maison, notamment pour les résidents : Mr Li. témoigne ainsi
:
42 J'entends par «groupe nursing », tous les
membres du groupe ; par «personnel nursing », les infirmières,
aides-logistiques, aides-soignants ; par « personnel soignant »
infirmiers et aides-soignants seulement.
43 Infirmiers 15 ETP (tous temps plein sauf deux
mi-temps) = 16 infirmiers ; Aides-soignants 28 ETP (10% temps plein et 90%
entre 20 et 32h semaine) = +- 39 aides-soignantes ; Aides-logistiques 12 ETP =
12 personnes ; Ergothérapeute 0,90 ETP = 1 personne ; Animation 0,90 ETP
= 1 personne ; Kinésithérapeute 2,60 ETP = 3 personnes. Au total,
le groupe nursing compte environs 72 personnes. A cela, il faut ajouter la
directrice nursing (1) et le secrétariat (4-5 personnes).
44 +- 23 ETP dont 80% à temps plein, soit +- 18
personnes à temps plein, et 6ETP d'une moyenne de 26h/semaine, soit 9
personnes.
45 Administration : 7,5 ETP. Ne sachant pas s'il
s'agit de temps pleins ou partiels, je me base sur mes observations : un faible
« turn over » me fait supposer qu'il s'agit pour la plupart de temps
pleins.
41
« on sait jamais quand [une demande] reviendra !
D'ailleurs parfois ça revient jamais ! ». Mr Li. « subit
» la hiérarchie décisionnelle : sa demande monte vers les
chefs de groupes puis redescend et peut ainsi facilement se perdre.
Encadré 5: L'avantage des
courts-circuits
« [Le personnel] ne dit jamais non ici ! Toujours
oui : oui je le signalerai, oui je m'en occuperai, oui
je l'inscris pour demain... Je n'ai jamais entendu, en 3 ans, quelqu'un du
personnel dire «non ce n'est pas possible... Mais y a pas de suite alors
hein, ça se perd parmi l'une ou l'autre personne ici... » (Mr. K.)
; « Ici, ils vous répondent toujours, mais c'est des
«non-réponses »46 que moi j'appelle ça !
Dans le sens, ils vous répondent mais ils disent qu'ils n'y sont pour
rien, que c'est la faute à untel, au directeur, aux cuisines bruxell
oises47, ou alors à un autre... ils nous prennent pour des
gosses, à qui on répond pas ! » (Mme Du.)
Comment font les résidents lorsqu'ils ont une
demande rapide à formuler ? Subissent-ils cette « gangrène
administrative » (de Hennezel 2004) fait de « non-réponses
» ? Ou
profitent-ils cette division hiérarchique
?
Que faites-vous en cas de lampe cassée ?
« ah ça je sais pas... je n'ai pas encore eu le cas. C'est
sûrement l'homme à tout faire qui vient, l'intendant, je sais pas
comment on appelle ça. » (Mme De.) ; « il faut sonner hein...
je ne sais pas qui il faut appeler mais on peut toujours appeler quelqu'un...
» (Mme Ve.)
D'autres résidents par contre ont appris
à jouer avec cette structure. Mr K., Mme Du., Mme Van., Mr Bou. savent
exactement quoi demander à qui : ils arrivent ainsi
à contourner la
lenteur de l'organisation :
«J'arrive toujours à avoir ce que je veux
! Je sais à qui et quand il faut demander. Je vais pas interrompre
quelqu'un qui n'y connait rien et qui n'est pas du service. Il va vous envoyer
au diable ! Donc ça sert à rien d'aller le voir lui ! » (Mme
Du.) ;
« Je préfère demander à la
dame du bureau en bas, qui est une personne indépendante, qui sort tous
les jours, je lui demande et j'ai toujours satisfaction, parce que je ne
demande pas la mer à boire hein ! » Faut savoir à qui
demander quoi ! « Oui, oui, mais les personnes qui arrivent ici, les
premières semaines, y a pas une personne qui est habilitée
à expliquer comment ça va, qui sont les chefs, et comment... non,
il faut qu'ils sucent ça du pouce hein ! » (Mr K.)
Comment expliquer ces types contrastés de
comportements ? Tout d'abord, le degré de
démence joue énormément, une
personne tout à fait autonome et saine d'esprit retiendra et comprendra
plus facilement les noms des responsables et la structure de la
maison.
Ensuite, il semblerait que le critère
d'ancienneté joue un rôle important : « on apprend petit
à petit... » (Mr Boe. résident depuis 2 ans) ; « Je
suppose que [la personne appelée] le
transmet à la personne qu'il faut, moi je
connais pas les responsables, peut-être que quand j'en aurai besoin je
les connaîtrai... » (Mme B o. résidente depuis 2 mois).
Enfin, le fait de pouvoir se déplacer semble un critère
essentiel48 pour court-circuiter la hiérarchie :
|
46 Notons ici le comportement de Paola. Afin
d'éviter ces « non réponses » concernant leurs
médicaments, elle demande à Bernadette, de lui laisser de temps
en temps préparer les médicaments. Ainsi, se tient-elle
informée des changements de traitements, révise les notices,
bref, elle est à même de répondre correctement aux
résidents face à leurs nombreuses pilules, et ce, par initiative
personnelle.
47 Organisation chargée d'apportée les
repas dans tous les établissements du CPAS de Bruxelles.
48 Certes des contacts par téléphone
peuvent être établis, comme Mr Bou. le fait, mais il faut savoir
que le téléphone est payant dans cette maison de repos et de
soins, tous les résidents ne le possèdent donc pas.
49 Mintzberg note que paradoxalement, au bout de cette
évolution se retrouve parfois l'ajustement mutuel, mécanisme de
coordination palliant aux effets négatifs de la
standardisation.
42
« Celui qui sait marcher ça va... mais
celui là qui sait pas marcher... il appelle l'infirmière et
l'infirmière téléphone à la chef entretien et ...
elle téléphone à quelqu'un du service, d'entretien aussi,
parce qu'ils font tout ces deux là ! » (Mr K. à propos d'une
lampe cassée)
Une stratégie également utilisée
par les résidents pour court-circuiter la structure s'illustre par le
réseau inter-résidents présent dans la maison. «
ça va bien plus vite qu'on n'croit ! » me dit Mme Annette, se
chargeant des courses extérieures. Les commandes se passent ainsi entre
les uns et les autres pour que le premier entrant en contact avec Mme Annette,
les lui transmette.
|
Henry Mintzberg dans ses travaux tente de «
comprendre la manière dont les organisations s'y prennent pour formuler
leurs stratégies » (1998 : 9), autrement dit, comment ces
dernières se structurent, comment elles mettent en pratique, ou encore
comment elles rendent concrète la réalisation de leur projet et
de leurs objectifs.
L'organigramme présenté donne
déjà une partie de réponse, l'autre partie sera à
chercher dans les observations empiriques. Dans le chapitre 2, je montrais
l'évolution de la nature de la direction et de la population
fréquentant l'établissement pour arriver aujourd'hui à une
explosion tant du personnel (105 d'après Mr Marc) que des
résidents (32 vieillards en 1805, 137 aujourd'hui). Selon Mintzberg
« toute activité humaine organisée [...] doit
répondre à deux exigences fondamentales et contradictoires : la
division du travail entre les différentes tâches à
accomplir et la coordination de ces tâches pour l'accomplissement du
travail » (1998 : 18). Cela implique que « la réalisation de
l'objet [...] repose sur l'exercice de certaines activités par certaines
personnes au moment voulu » (Becker 1988 : 37). Au fur et à mesure
que l'organisation gagne en taille (et en âge), elle verra ses
mécanismes de coordination évoluer, passant ainsi de l'ajustement
mutuel (coordination informelle), à la supervision directe (un
responsable du travail des autres), à la standardisation -- du travail
et/ou des produits et/ou des qualifications - (chacun sait alors ce qu'il a
à faire)49.
De plus, cette spécialisation du travail touche
depuis peu et fortement le domaine du soin, du « care ». On assiste
depuis les années 1950, à une explosion des métiers autour
de la prise en charge de la personne fragilisée : « historiquement,
à l'exception des actes médicaux, l'aide-familial-e était
donc polyvalent-e et effectuait des tâches ménagères,
d'accompagnement à la gestion du ménages (sic.), de
présence active auprès des bénéficiaires,
éducatives... il ou elle produisait également les soins de
confort (non médicaux) aux bénéficiaires [...] Mais,
au
43
fil du temps, une série de métiers ont
vu le jour, pour répondre aux différentes demandes. Sont ainsi
apparus les métiers d'aide-ménager-e social-e, de garde à
domicile et, tout récemment, celui d'aide-soignant-e, afin de pallier le
manque d'infirmier-es sur le marché du travail » (Dieu et Pironet
2010 : 2). S'ensuivit notamment une dévalorisation du métier
d'aide familiale et de femme ménagère (ayant elle aussi dans les
années 70, un rôle d'accompagnement et d'aide à la
personne). Michel Foucault montre également l'évolution du
rôle du médecin, dans les hôpitaux, au cours des trois
derniers siècles : de plus en plus présent, le médecin
supplante le personnel religieux et ne lui confie plus qu'un rôle de
subordonné, se crée alors la fonction d'infirmier
remplaçant ce personnel. D'un lieu d'assistance, l'hôpital devient
un lieu de connaissance et de savoir sur le corps (1975 : 218). Bref, on
assiste aujourd'hui à une professionnalisation, une externalisation du
« care » (Da Roit et Le Bihan 2009), sous-tendant une
hiérarchisation des métiers tournant autour de la personne
fragilisée (Rigaux 2012).
La maison de repos et de soins observée a ainsi
connu la même évolution de professionnalisation du soin : passant
d'une organisation à ajustement mutuel, la structure actuelle tend
plutôt vers la supervision directe (via les différents chefs) et
vers la standardisation permettant la coordination sans supervision
:
« Je joue à la responsabilisation, je vais
pas courir après toi chaque fois, tout est noté, toutes les
tâches sont attribuées, comme ça, tout le monde sait ce
qu'il a à faire» (Mr Val. inf. chef) ; «moi quand j'envoie une
aide-soignante dans une chambre, je dois pas lui dire ce qu'il faut faire !
Elle a appris, elle doit savoir ses tâches. Si elle sait pas, alors y a
un problème » (Mme Oste, inf. chef)
Néanmoins, si « chacun sait ce qu'il peut
faire », l'accession à ce savoir diffère selon les
fonctions. Dans le cas de métiers spécialisés
('cinésithérapeute ; ergothérapeute ; médecin ;
infirmier ; aide-soignant50), c'est la standardisation par
qualifications qui coordonne le travail. Attention, en pratique me dit Mme Oste
: « parfois les infirmières font trop ou alors les ergo et les
'cinés viennent trop dans le travail des infirmières, et on ne
sait plus où est la limite ! ça c'est souvent source de conflit
».
Il faut aussi noter qu'il y a une dizaine
d'années, « c'était le monde à l'envers! »
(Dr.Tudor) : les infirmières se voyaient exécuter les ordres des
aides-soignantes « et limite, elles, elles répondaient aux
aides-ménagères ! » ajoute-t-il. Aujourd'hui, suite à
l'engagement de personnel infirmier supplémentaire ainsi qu'au
désir de la direction de réinsérer une hiérarchie
stricte et de resserrer le contrôle sur le personnel, il n'en est plus
ainsi.
50 Fonction ambiguë : Elles ont certes suivis une
formation d'un an mais ne sont pas pour autant
spécialisées.
51 Médecins, ergothérapeute, infirmiers,
aides-soignants, etc. sont formés à l'extérieur
(haute école, université).
44
Officiellement la standardisation par qualification
devrait régir les relations médecin / infirmier ou
infirmier/aide-soignant, mais cela s'avère plus complexe en pratique,
l'expérience des uns et des autres et le fait de devoir travailler en
équipe brouillant les frontières (cf. Chapitre 8). Pour y
remédier, sont apparus les « profils de fonction », documents
reprenant toutes les tâches tombant sous la responsabilité de
chaque fonction, illustrant la coordination des procédés de
travail (Mintzberg 1998). Les soins prodigués par l'équipe
nursing oscillent donc entre standardisation des qualifications et des
procédés. Les tâches des aides-logistiques et
aides-ménagères, ne demandant aucune formation préalable,
sont apprises au sein même de l'établissement51.
Mintzberg (1998 : 109) appelle cela la « formation »,
c'est-à-dire le processus par lequel la personne intègre les
connaissances, les aptitudes relatives à sa tâche et les
conventions de l'organisation (Becker 1988). Il s'agit également ici
d'une standardisation des procédés : le contenu du travail est
programmé.
Toutefois, des mécanismes officiels
d'ajustements mutuels prennent également place dans la coordination des
activités : il s'agit des rapports quotidiens lors des roulements
d'équipe et des réunions interdisciplinaires. Mintzberg les nomme
« comités permanents », c'est-à dire des «
groupement[s] interdépartementa[ux] de nature stable qui [sont]
réuni[s] régulièrement pour discuter de sujets
d'intérêts communs » (1998 : 158). Ce premier ajustement
s'effectue pour des raisons pratiques : seules quelques soignants (souvent 3)
assurent le service de nuit, le rapport permet donc à ces
dernières d'informer les équipes de jour des
événements nocturnes. De cette façon, la communication
entre services est rapide, précise et efficace. La
nécessité d'ajustement mutuel est moins évidente pour les
réunions interdisciplinaires, discutant de questions plus «
importantes » (comme « placer » la personne en soins
palliatifs). Ces décisions pourraient, comme toutes les autres,
être prises au niveau individuel ou en petit comité et être
inscrites, parmi les autres sur le mur du local infirmier. Cependant, le
docteur Tudor m'explique que ces réunions sont nécessaires vu la
délicatesse des sujets abordés et surtout
l'émotivité qu'ils entraînent. La présence de ce
mode de coordination illustre une nouvelle approche de la personne,
éloignée de l'approche hospitalière (Strauss 1992b ;
Castra 2003). Je reviens sur ces réunions plus loin (cf. chapitre
6).
La structure de la maison balance donc entre un mode
de bureaucratie mécaniste (notamment formation interne du
personnel comme les aides-logistiques ou les aides-ménagères) et
un mode de bureaucratie professionnelle (formation externe du
personnel comme les infirmières ou les médecins). Cette tension
mécaniste/professionnelle s'illustre
45
également dans le type d'organisation propre aux
différents groupes52 :
· Au sein du groupe nursing, s'opère une
hiérarchie assez rigide, illustrant une structure dite « pointue
» : la directrice nursing contrôle les trois chefs infirmiers (aux
trois étages), eux-mêmes contrôlant les infirmiers, ces
derniers, les aides-soignants, et les aides-soignants, les aides-logistiques.
Ce groupe constitue la principale « ligne hiérarchique » de la
maison (Mintzberg 1998).
· Le groupe des externes constitué de
personnes plus indépendantes n'est pas repris dans l'organisation
interne de la structure. Cela peut d'ailleurs être source de tensions :
« les professionnels dans ces structures ne se considèrent
généralement pas comme faisant partie d'une équipe. Pour
beaucoup d'entre eux, l'organisation est presque accessoire, c'est un endroit
commode pour exercer leur profession» (Mintzberg 1998 : 331). Cette
tension, je l'ai constatée entre le directeur, Mr Marc et le docteur
Tudor. Ainsi ce dernier m'a relaté la « guerre » qui se jouait
entre eux autour du protocole à effectuer lors du décès
d'une personne. Le docteur Tudor s'insurge contre le fait de le faire venir
constater la mort pendant la nuit :
«Alors l'infirmière de nuit, elle
m'appelle et elle me dit : « Monsieur untel est
décédé », mais que voulez-vous que j'y fasse moi ?
Ça va rien changer que je me pointe à 3h du mat' à la
maison hein ! Il est mort, il est mort, ça peut attendre quelques
heures! C'est pas humain ça d'appeler un médecin en pleine nuit
pour qu'il se relève, moi je trouve que c'est pas humain ça !
Alors, depuis que c'est le nouveau directeur, on m'a appelé 3x le
premier mois ! La première fois, je reste calme, j'explique que je
verrai le cas le lendemain matin, la deuxième fois, je m'énerve
un peu mais toujours calme, mais la troisième fois alors ! Là je
l'ai engueulée la pauvre infirmière ! « C'est honteux
d'appeler des gens dans la nuit comme ça !! faites un peu preuve de bon
sens nom de dieu ! » que j'lui ai dit... oh la pauvre, elle n'y peut rien
elle... elle ne fait qu'appliquer ce qu'on lui a dit de faire, et si elle le
fait pas, c'est elle qui se fait taper sur les doigts... » (Dr.
T).
· Au sein du groupe d'entretien, une dynamique
différente prend forme : certes, il y a une chef, Mme Moreau,
dépendant directement du directeur, mais sous elle se trouve directement
la masse du personnel, sans hiérarchie entre eux, Mintzberg (1998) parle
de structure « aplatie ». Je développerai cette situation et
ses implications dans le chapitre consacré aux
aides-ménagères (cf. chapitre 9).
52 Je ne traiterai pas du groupe administratif ici,
n'ayant pas assez d'information sur leur type de coordination.
46
5.2 Trois sous-divisions
Division spatiale
Répartition des ailes
Pour rappel, le bâtiment fut construit au
16ème siècle et son architecture quelque peu spécifique
implique une certaine organisation spatiale et une certaine gestion des
résidents. On y trouve 6 ailes : l'aile Jésuites ;
l'aile Ursulines ; l'aile Jardin ; l'aile Accolay ;
l'aile Impérial et l'aile Centre.
La maison comprend également cinq
étages : le sous-sol (étage 0), l'entresol (0/1), le premier
étage (1), le second (2) et le troisième (3). Selon
l'étage et l'aile, on trouvera une certaine population, tant au niveau
des résidents que du personnel. Ainsi, si l'on croise les ailes et les
étages et qu'on enlève les parties non-utilisées de la
maison (ancienne cuisine, cave, ...), la maison se divise en 21 parties
habitables. Ces 21 parties sont réparties en 3 secteurs : le
secteur 1 reprenant les lits du premier étage et de l'aile jardin au
sous-sol dite Rez Jardin ; le secteur 2, les lits du second
étage et ceux des entresols Accolay et Jardin ; le
secteur 3 se limite au 3ème étage. À chaque secteur, son
personnel !
Position locaux infirmiers
Entre ces 21 espaces, les résidents sont
répartis comme suit : les plus valides habiteront dans les espaces les
plus éloignés des locaux infirmiers et les moins faciles
d'accès tandis que les résidents plus dépendants se
verront attribués les chambres proches des locaux de soins, et dont
l'accès est facilité (plans inclinés, ascenseurs à
proximité). De ce fait, les niveaux 0 et 0/1, reçoivent
principalement des résidents indépendants, pour la plupart ayant
reçu le « grade » de O sur l'échelle de Katz. Les trois
autres étages quant à eux, sont mixtes : les parties
Ursulines, Jésuites et Centre accueillent plutôt
des résidents MR tandis que les parties Accolay, Jardin et
Impérial accueillent plutôt des personnes MRS, les locaux
infirmiers des trois étages se situant aux carrefours de ces trois
dernières parties.
Les ailes MRS, « médicalisées
», ainsi que l'entresol et le sous-sol ont été
rénovés il y a peu, de sorte que ces espaces s'apparentent plus
à l'architecture hospitalière que les parties MR leur faisant
face, prenant toujours place dans l'ancienne architecture du
bâtiment.
47
Ailes rénovées Ailes
anciennes
Le personnel se déploie également
différemment selon les espaces : le personnel nursing fréquente
principalement dans les ailes médicalisées (Accolay, Jardin
et Impérial). Les ailes Jésuites et
Ursulines, ainsi que le sous-sol et l'entresol (je le
répète, symbolisant la partie MR de la maison étant plus
éloignés des locaux de soins) reçoivent peu de visites du
personnel, vu la relative bonne santé des résidents y
habitant.
Une différence notoire se fait sentir entre
ces deux types de lieux : le bruit. Dans les parties MR, règne un calme
absolu, les résidents savent encore lire par exemple, ou sortir de
l'établissement. Ces espaces paraissent vides de vie. Dans les parties
MRS, les télévisions (d'un niveau sonore assez
élevé vu le degré de surdité de certains
résidents) se mêlent aux cris des personnes démentes et le
personnel, alors en grand nombre dans un petit espace, accroît ce
sentiment d'oppression. D'un côté des espaces « sans vie
»53 qui pourtant accueillent des personnes pleines de vie ; de
l'autre des espaces très vivants accueillant pourtant les personnes les
plus « abîmées ». En découle que, dans les
espaces MR, le personnel le plus visible est alors le personnel d'entretien
alors qu'il passe presque inaperçu dans les parties
médicalisées, comme engloutis dans le flot de personnes s'y
agitant.
Quelles implications a cette division spatiale sur le
travail quotidien ? Chaque équipe travaillant de façon autonome
et indépendante, il y a peu de communication entre secteurs, confirmant
le constat de Mintzberg (1998). Ainsi, à titre d'exemple, Mr Marc et le
diététicien constatent un problème récurrent : le
pain, et ce, malgré les modifications régulières des
commandes (plus ou moins de gris, plus ou moins de blanc en fonction des
demandes des secteurs). Ainsi, quotidiennement, la maison reçoit sa
commande de pain qu'il faut alors diviser entre étages. Les pains
étant distribués entiers, il s'ensuit un surplus de blanc/gris
d'un
53 Entendu ici, sans vie « extérieure
», « publique ». La vie en « coulisse », en chambre,
étant bien présente.
48
côté et inévitablement un manque
de l'autre54. Le directeur rappelle au conseil des résidents
l'importance de la communication entre étages ; il aimerait que le
personnel régule lui-même ce problème de pain en se
déplaçant physiquement d'un étage à
l'autre.
Une dernière précision, il arrive
également qu'il y aie entraide entre les services, mais de façon
officielle et cadrée : une semaine mi-mars 2013, le secteur 3 manquait
de personnel. Une tournante a alors été établie par la
directrice nursing, pour que chaque jour une aide-soignante du secteur 1 ou du
secteur 2, y soit envoyée pour la matinée.
En plus de tout cela, du côté de
l'équipe nursing, « dans chaque service, les tâches sont
réparties, donc chaque personne sait de quel résident elle va
s'occuper, elle sait de quel côté elle va aller » (Pauline,
infirmière). Il y a donc une sous-division spatiale interne au secteur,
mise en place par le/la chef infirmier(e). Mr Val, infirmier chef 1èr
étage, évalue quotidiennement la charge de travail et prend
lui-même en charge l'aile présentant les cas plus difficiles ; il
place ensuite les autres infirmier(e)s aux espaces vacants. Néanmoins,
il tente d'assigner une personne à une aile pour plusieurs jours
d'affilée, afin qu'elle ne doive pas se familiariser chaque jour avec de
nouveaux cas. Du côté de l'équipe d'entretien, les postes
sont plus stables et chaque personne devient responsable d'un espace pour un
temps relativement long ! Par exemple, Isabelle s'est occupée de
l'entresol pendant une dizaine d'années avant d'être
affectée au sous-sol il y a quelques semaines de
cela55.
À cela il faut ajouter la remarque suivante :
les locaux de pause sont également répartis dans la maison. Les
équipes nursing ont chacune à leur disposition un espace
collectif, avec table, chaise, micro-onde, café, etc. à leurs
étages respectifs tandis que le personnel d'entretien se voit octroyer
un local de pause au sous-sol, et ce, pour tous secteurs confondus. Les
externes et le personnel administratif se réunissent également
dans un local à part. Les médecins ne participent pas aux pauses
du personnel nursing et s'ils leur arrivent de passer la tête dans le
local, c'est pour demander un renseignement ; ils ne s'asseyent, à ma
connaissance, jamais. Ces espaces de pause éparpillés ne
favorisent pas l'ajustement mutuel entre fonctions (Mintzberg 1998). D'un autre
côté, Michel Castra (2003) montre que ces endroits de relaxation
sont nécessaires à la survie du groupe, tant pour évacuer
les tensions que pour resserrer les liens « in-group
». Si toutes les fonctions se voyaient attribuer le même local,
cette fonction de relâchement de pression fonctionnerait peut-être
moins efficacement.
54 Le pain se calcule par tranches par
résidents et non par pain entier nécessaire. Ainsi, il manque
parfois 6 tranches d'un côté, 10 de l'autre, et le
troisième étage se retrouve en surplus de 16, que souvent, il
jette.
55 Aujourd'hui le secteur 1 doit prendre en charge
son étage et le sous-sol (et non plus l'entresol) et le secteur 2, son
étage et l'entresol (et non plus le sous-sol), et ce afin de mieux
répartir la charge de travail.
49
Division fonctionnelle
« il faut de l'ordre hein ! Il faut qu'on sache
qui fait quoi pour que ça roule ! Il faut que ça roule, de jour
comme de nuit ! » c'est important pour vous alors l'ordre ?
« Oh oui ! Très important ! » (Mathilde, aide-soignante)
; « ici c'est comme ça hein ! (en tranchant sèchement l'air
de sa main) Tout le monde à sa place ! » (Christelle,
aide-ménagère)
Comme je le disais précédemment, la
prise en charge des résidents est répartie en de nombreux
acteurs, se voyant chacun attribuer un « faisceau de tâches à
accomplir » (Hughes 1971 dans Becker 1988 : 37). Au sein de
l'équipe nursing, en plus des qualifications de chacun, tout est
minutieusement noté dans les « profils de fonctions »,
unifiés pour toutes les aides-soignant(e)s, les aides-logistiques, les
infirmier(e)s, les infirmier(e)s chef, et ce, de façon identique pour
tous les établissements gérés par le CPAS de 1000
Bruxelles. Ces profils de fonction reprennent la mission générale
de chaque fonction, la position hiérarchique, et l'ensemble des
tâches à effectuer. Par exemple, « l'aide-soignante collabore
activement au bien-être physique et affectif de la personne
âgée et / ou patient. Elle / il travaille sous la
responsabilité de l'infirmière » (mission et position). Ses
fonctions, sans détailler, concernent « les soins d'hygiène
» ; « les soins de base » ; « l'aide à
l'alimentation et l'hydratation » ; « l'aide à la mobilisation
» ; « la prévention et la sécurité » ;
« les tâches relationnelles » ; « les tâches
logistiques » et « les tâches administratives » (Profil de
fonction aide-soignante).
Notons toutefois que, si les tâches semblent
nombreuses et variées dans le profil de fonction de l'aide-soignante,
à la question : que faites-vous dans la journée en tant
qu'aide-soignante ?, voici quelques réponses :
«Nous les aides-soignantes, on fait les
toilettes, on distribue les repas et on les fait manger... on fait faire un
tour pipi après manger... quoi encore ? on fait le tour d'hydratation...
ah oui, on doit aussi être à l'écoute » (Julie) ;
« On commence par le débrief' avec les équipes de nuit, puis
on fait les toilettes, puis les petits déjeuners... après on fait
l'hydratation puis c'est le dîner puis on conduit les résidents
à la cafeteria ou à des activités prévues. A 4h on
fait le tour des chambres... après, à 17h30 on aide pour le
souper et puis on fait la mise au lit » (Josette) ; « Quand j'arrive
à 7h30, parce que moi je commence à 7h30, je fais les toilettes
et puis vers 11h il y a l'hydratation et puis à midi le dîner.
Après je change les personnes et je termine vers 13h30 »
(Cécile).
Les tâches paraissent à première
vue assez routinières et peu variées et certaines
aides-soignantes le notent : « ici c'est la routine ! C'est tous les jours
la même chose... Chaque jour les mêmes tâches » ; «
on désapprend ici... » ; « on fait beaucoup de toilettes !
». Il s'agit ici d'une caractéristique de la bureaucratie
mécaniste, où les tâches sont assez étroites,
c'est-à-
Selon Jacques Theureau, la planification des
tâches est certes possible mais toujours
50
dire, présentant peu de variations (Mintzberg
1998), ce que Jacques Theureau théorise sous le nom d' «
activités sérielles », c'est-à-dire des «
séquences concernant un même type de soin pour une série de
patientes, soumises à des prescriptions écrites ou à des
règles dont l'application est sous le contrôle [du soignant]
» (1993 : 164).
Encadré 6 : Face à la routine
Mathilde, aide-soignante mais ancienne
infirmière au Togo, se plaint de cette «
répétitivité ». Cependant, elle développe sa
propre stratégie pour accéder aux tâches plus
valorisées : s'arrangeant pour finir son travail d'aide-soignante vers
11h45, elle se rue vers le chariot médicaments afin de distribuer ces
derniers, tâche normalement dévolue aux infirmières :
« Je sais pas pourquoi, moi j'aime bien faire ça ! Et puis
j'étais infirmière avant alors je sais le faire...! ».
Lorsqu'elle dit cela, une de ses collègues rétorque : « oui,
mais c'est pas ta tâche de faire ça ! », Mathilde reprend
« oui, oui, c'est pas ma tâche, je sais, c'est pas ma tâche...
» et me sourit.
Les infirmières, elles, sont censées
avoir un travail plus large notamment par le fait qu'elles ont en charge tout
un volet administratif (remplir les dossiers médicaux). Elles prennent
également en charge les toilettes mais il s'agit des plus «
difficiles » (résidents présentant des plaies par exemple).
Les soins qu'elles procurent ensuite varient dans le temps et selon les
personnes, même si, de manière générale,
d'après Marion, infirmière, le même type de plaie revient
régulièrement (notamment les escarres).
Le profil de fonction des aides-logistiques reprend
également une palette variée de tâches : l'arrosage des
plantes vertes, le rangement des armoires, diverses courses extérieures,
la préparation des repas, etc. Ces derniers néanmoins se voient
chacun formés dans un domaine spécifique : certains resteront
dans les étages, aux côtés de l'équipe nursing
(refaire les lits, distribuer les repas, etc.), d'autres prendront en charge la
mobilisation des résidents, leurs courses etc. Les aides-logistiques ne
peuvent prodiguer le moindre soin aux résidents.
Du côté de l'équipe d'entretien,
le travail est également bien défini et délimité.
Si je n'ai pas obtenu de profil de fonction pour ces personnes, Christelle,
aide-ménagère, explique :
«Nous on peut aller qu'en surface et nettoyer
les sols... On ne peut pas aller nettoyer dans les
armoires ou les tiroirs ! ça c'est le boulot de l'aide logistique ! Nous
on n'est pas censé savoir ce qu'il y a dans les armoires [des
résidents ou du personnel]. Mais bon, tu sais, quand tu nettoies,
parfois t'es obligé d'ouvrir les portes, alors bon, moi je sais souvent
ce qu'il y a dedans hein»
51
sujette au réajustement selon les incidents,
les priorités du moment. Ainsi, si une personne chute, Aïcha
(aide-soignante) m'explique qu'elle appelle une infirmière, celle-ci
arrête directement ses soins pour se rendre chez le résident au
sol, le temps qu'il faudra pour stabiliser la situation. Un membre du personnel
absent demande également réajustement de l'équipe,
spécialement l'absence du chef hiérarchique. J'y reviendrai (cf.
chapitre 8).
Encadré 7 : Les techniques de
délégation (1) - « Bystander effect
»
«Eux [aides-logistiques et
aides-ménagères] ont le temps pendant qu'ils nettoient ou bien
font les lits... parfois ça dure une demi-heure, alors ils ont le temps
d'e parler ! » (Aïcha, A-S) ; « Nous on n'a pas le temps de
parler avec eux, on reste que 10 minutes pour les soins... et puis les soins
c'est tout le temps la même chose, on n'a pas l'occasion de parler
d'autre chose... Mais les aides-logistiques ont des tâches plus
variées, ils peuvent faire des choses différentes avec la
personne ! Ils peuvent parler plus, avoir des discussions plus
variées... » (Paola, infirmière)
Contrairement à ce que prône la
psychanalyste Jan Bauer (1995), c'est-à-dire la mise à
disposition d'une personne-ressource qui ne servirait « qu'à »
écouter les personnes, dans la MRS observée cette tâche
d'écoute et de conversation avec le résident, revient dans chaque
profil de fonction et n'est attribuée à personne
spécifiquement. Selon Marie de Hennezel, il est plus facile pour le
personnel hospitalier de se « limiter » aux tâches techniques
et de laisser les tâches relationnelles aux aides-logistiques et
ménagères (2004 : 82), situation différente en soins
palliatifs où, selon Michel Castra, les infirmières sont les
véritables spécialistes de l'écoute (2003 : 91). Ici, les
soignantes justifient cette délégation par le fait qu'elle n'ont
pas le temps, que d'autres personnes dont les tâches techniques sont plus
longues, sont plus habilitées à prendre ce rôle en main, ou
qu'il s'agit d'une question de respect envers le résident : ne pas
entrer dans sa vie intime. Ces différentes explications à la
non-écoute illustrent le fait que « chacun des participants est
autorisé à proposer la version officielle concernant les
questions qui sont vitales pour lui, sans être d'une importance
immédiate pour les autres » (Goffman 1973a : 19). Il s'agit
également d'une stratégie de protection de soi (cf. chapitre
8).
Cependant, mes observations des relations
aides-logistiques/résidents ou d'aides-ménagères (art.
60)/résidents ne semblent pas répondre au souhait des soignants.
Sans entrer dans les détails, je reprends ici une situation qui m'a
interpellée :
Deux aides-logistiques entrent dans la chambre alors
que je parle avec Mr Boe. Aucune ne lui adresse la parole. Mr Boe m'explique
qu'elles sont stagiaires infirmières. Elles se regardent et rigolent. Mr
Boe. les fixe, un peu étonné : « Ce n'est pas ça ?
Vous n'allez pas devenir infirmières ? » Pas de réponse. Il
reprend « hé, mesdemoiselles, je vous parle hein ! », l'une
d'elle alors : « non, non ». « Ah bon je pensais... » leur
dit-il. [...] Quelques secondes plus tard, un aide-soignant entre emprunter un
drap pour un autre résident : « ça va monsieur Boe.
aujourd'hui ? » « Non, ça va pas trop... », «
Comment ça, ça va pas trop ? Vous avez de magnifiques
créatures autour de vous et vous n'êtes pas content ? » et
ils rient et repartent.
Et en effet, lorsque je demande aux résidents
le contact qu'ils ont avec ces aides, les réponses ne sont pas des plus
enjouées : « oh ils ne parlent pas beaucoup vous savez ! »
(Mme B o.) ; « Ici c'est juste de la politesse « s'il vous plait
», « merci »... et encore ! » (Mme C o.) ; « Le
personnel ne parle pas avec nous. Il fait son travail. Il s'approche pas.
Ça c'est pour des questions heu... qu'il n'y ait pas de frôlement,
et tout ça ! Les hommes
52
sont des chasseurs ! Ils veulent éviter les
accidents [l'excitation du résident] » (Mr B oe.).
Je n'avance pas ici qu'il n'y a pas d'échange
entre les résidents et les aides-logistiques ou ménagères,
loin de là ! J'ai montre plus loin que certaines
aides-ménagères prennent parfois une place importante dans la vie
des résidents (cf. chapitre 9). Il s'agit ici de mettre en avant le
processus de diffusion de la responsabilité, mieux connu sous le
nom
d' « effet du témoin » ou «
bystander effect »56. Au final, la tâche de
l'écoute à la personne, même si incombant à chaque
fonction, semble rester vacante. Walter Hesbeen (2012), lui même
infirmier, offre un regard assez réaliste et intime sur cette
écoute : parfois, raconte-t-il, les soignants se voient utilisés
comme « punching-ball », sur lesquels les patients déchargent
leurs émotions. Que répondre alors face à l'angoisse de la
mort l'envie d'en finir ? Ces questions, ces situations font peur à
chacun de nous. Ainsi, au même titre que le manque de temps ou de la
préservation de soi (mise à distance), cette peur serait
également un élément expliquant cette
délégation de l'écoute et de la conversation.
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Division temporelle
La maison de repos et de soins observée
emploie un grand nombre de personnes (environ 105), présentes entre 20h
et 38h/semaine. L'établissement vit selon des temporalités
différentes qu'on se trouve un jour de la semaine ou du
week-end.
Au sein de l'équipe nursing, le personnel
soignant se divise la journée comme suit : 7h-13h3057 ;
15h30-20h ; 20h-7h. Entre chaque roulement d'équipe, s'effectue un
rapport, illustrant je le rappelle, une forme d'ajustement mutuel. Le rapport
du matin est le plus officialisé et vu comme le plus important tandis
qu'un rapport plus informel s'effectue entre les deux équipes de jour.
Le dernier rapport, le moins formalisé, se réalise entre
l'infirmière de nuit et les soignants de
l'après-midi.
Samedi et dimanche, les « électrons
libres », entendu comme toute personne travaillant de façon
indépendante, c'est-à-dire autant les dits officiellement «
externes » que les professionnels engagés dans le cadre de la MRS
(voir supra), se font rares et la maison tourne au ralenti : seules
l'équipe nursing et l'équipe d'entretien sont présentes,
toutes deux réduites58. Il faut prendre en compte
également les jours de repos du personnel, leurs congés et leurs
absences pour cause médicale. Le directeur m'explique que certaines
aides-soignantes ont plus
56 Pour de plus amples informations concernant cet
effet psycho-social, voir John Darley et Bibb Latané, 1968. Bystander
intervention in emergencies: Diffusion of responsibility, in Journal of
Personality and Social Psychology, vol. 8 : 377-383. Ou Peggy Chekroun,
2008. Pourquoi les individus aident-ils moins autrui lorsqu'ils sont nombreux
?, dans Revue Électronique de Psychologie Sociale, vol. 2 :
9-16
57 Entre 13h30 et 15h30, seule une infirmière,
accompagnée parfois d'une aide-soignante, ou une ou deux
aides-soignantes assurent le service et sont responsables d'informer
l'équipe suivante des événements du matin.
58 Au second étage, l'équipe nursing
passe de +- 8 personnes en semaine, à +- 4 le week-end. Au niveau de
l'entretien, de +- 5 personnes par étage en semaine, on passe à 1
seul le week-end.
53
de 5 enfants, elles doivent donc s'absenter assez
souvent pour s'occuper d'eux ; d'autres, encore jeunes, tombent enceintes tous
les ans, et s'absentent alors quelques mois sur l'année ; d'autres
encore s'arrangent pour travailler énormément pendant 6 mois puis
profiter des 6 autres mois pour rentrer dans leur pays. Cela crée
évidemment des trous dans l'organisation et des modifications du rythmes
de travail. Ainsi, les soignantes interrogées ne semblent pas être
dérangée par le sous-effectif du week-end, habituées aux
« trous » en semaine également.
Encadré 8: La division temporelle, entre
aubaine et enfer !
« Le week-end c'est plus calme. On travaille
plus vite mais c'est plus calme... » (Murielle, A-S) : plus vite car il
faut couvrir la même charge de travail à effectif réduit ;
plus calme car pas d'appel de l'ergothérapeute, pas d'activité,
pas de tournée du médecin, etc. Le weekend, « on est plus
libres » et moins « sous pression » dit Aïcha. De plus, les
médecins étant absents, les infirmières peuvent plus
facilement débuter ou arrêter un traitement de leur propre chef.
Les aides-soignantes par contre, ne semblent pas prendre plus d'initiatives.
À l'inverse, du point de vue du personnel d'entretien, ces deux jours
restent une épreuve plutôt qu'un plaisir :« On n'a pas le
temps hein ! On passe un coup pour dire que c'est fait mais b on...
voilà, y a trop de travail le week-end ! » dit
Christelle.
Si certains résidents y déplorent
l'absence d'activité (Mme De. : « c'est mort ici le weekend ! Y a
rien, on s'ennuie ! »), le personnel réduit (Mme Ve. : « Ma
pauvre chérie ! ici pour avoir quelqu'un, c'est pas facile hein !
surtout le week-end ! »), d'autres tirent néanmoins profit de cette
situation. Mme Du. a profité de ce sous-effectif
éphémère pour se rendre utile au restaurant
(débarrasser les tables) : « je sais que le week-end, y a moins de
hiérarchie donc les décisions vont plus vite ! Si j'avais
demandé ça la semaine alors là ! Il aurait fallu demander
à la principale, de la principale, aller chez le directeur... et alors
il aurait fait une réunion... et j'aurais été morte et
enterrée depuis longtemps ! » me dit-elle. L'effectif réduit
profite donc en partie au personnel nursing (travail plus calme et prise
d'initiative infirmière) et à certains résidents, en
demande de réponses rapides.
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De plus, si les infirmiers et les aides-logistiques
ont pour la plupart des temps pleins, seuls 10% des aides-soignantes
connaissent la même situation, les autres oscillent entre 20 et
32heures/semaine. Les médecins eux, se partagent les matinées :
le docteur Tudor prend en charge trois jours tandis que le docteur Lemah et le
docteur Alsteen n'en prennent qu'un.
A cela, il faut ajouter une remarque sur la
présence à long terme : les aides-logistiques restent pour une
durée de 12 à 18 mois ; les infirmières rencontrées
semblent également assez jeunes, l'une d'elle me raconte que le temps
moyen de prestation en maison de repos s'élève à quelques
années, vu l'usure qu'engendre l'omniprésence de la mort et le
travail non-motivant. Les aides-soignantes par contre, semblent rester pour de
plus longues carrières.
54
Toutes ces informations pour présenter le haut
« turn over » du personnel de soins sur le temps court. Il m'est
d'ailleurs arrivé plusieurs fois de vouloir rencontrer une personne et
de rater mon objectif, étant présente la mauvaise heure ou le
mauvais jour. Sur le long terme, le temps de carrière varie selon les
fonctions.
L'équipe d'entretien, bien que je n'ai pas
possession des horaires prestés, comprend 80% de temps plein,
c'est-à-dire qu'une très grosse majorité y travaillent la
plupart des jours de la semaine, à horaires fixes. Ce groupe compte une
vingtaine de personnes et ces dernières s'occupent des chambres de tous
les résidents, les passant quotidiennement à l'eau et les
récurant une fois par semaine. Sur le long terme, ce personnel semble
plus stable que les aides-logistiques et les infirmières. Si en leur
sein, se trouvent également des « articles 60 », certaines
personnes rencontrées travaillent dans l'établissement depuis 20
; 17 ; 15 ans ! Une longue carrière dans la maison, sans perspective de
promotion ici puisque comme je le disais, il s'agit d'une structure
organisationnelle aplatie. Un groupe donc plus stable que le
précédent.
La carrière des externes se compte
également en années, allant pour le docteur Tudor à plus
de 20 ans de prestation dans l'établissement. Il est
compréhensible que ce dernier, ayant connu nombre de directeurs avant
celui-ci59, s'oppose aux mesures de Mr Marc qu'il compare avec
l'ancienne directrice, beaucoup plus flexible...
*
Ainsi tant sur le court que le long terme, tant
spatialement que fonctionnellement, la maison semble être en
perpétuel mouvement.
Encadré 9: Tirer profit du
mouvement
Mme B o., depuis 2 mois dans l'établissement,
ne sait pas encore ce qui est permis ou non dans la maison, elle comprend
l'organisation « petit à petit, en demandant à l'une et
à l'autre ». Cette résidente possède néanmoins
son stock de médicaments et son propre thermos de café : «
j'ai toujours bu du café moi ! Depuis toujours, même le soir j'en
bois après le repas... et j'arrive à dormir hein ! ». Ainsi
sans savoir si elle était autorisée ou non à avoir du
café dans sa chambre, elle fait remplir chaque matin au restaurant son
thermos au petit-déjeuner. Elle peut ainsi « savourer
»60 son café au long de la journée. Cependant, me
confie-t-elle, elle place ce thermos derrière une lampe « pour ne
pas qu'on le voit trop... je sais pas si je peux ou pas, alors tant qu'ils le
voient pas, moi ça m'arrange! ». Mme B o.
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59 Première directrice engagée par la
fonction publique de 1977 à 1993 ; un directeur 1993-2003 ; un autre
2003-2006 ; une directrice 2006-2007 ; et le directeur actuel depuis
2007.
60 Savourer est un bien grand mot, le café de la
maison n'est pas des meilleurs...
55
joue entre le dit et le non-dit pour arriver à
ses fins et agit aussi de la sorte avec ses médicaments : « je les
mets bien en vue pour pas qu'on me dise que je cache des choses, mais je vais
pas moi même aller leur dire que j'en ai ! Elles le savent toujours pas
pour le moment... alors moi, ça m'arrange de les garder ici »
dit-elle d'un air complice.
Cette résidente profite « que tout bouge
», « qu'on ne sait jamais ce qu'il se passe, y a des changements tout
le temps ici ! », profite du flou ressenti autour d'elle pour
elle-même jouer entre le permis et le non-permis. Elle profite de ne pas
c onnaitre (et de ne pas chercher à c onnaitre) le règlement pour
garder ses habitudes antérieures. Le regard de Mme B o. sur la maison
fait écho à ce que Mintzberg appelle « flux
régulés », c'est-à-dire des « flux harmonieux de
matériels, d'informations et de processus de décision »
(1998 : 62) excepté qu'elle ne les trouve pas harmonieux mais
chaotiques, et ce, à son avantage !
***
Vous voilà donc informés de
l'organisation officielle de la maison. Le premier point de ce chapitre se
concentrant sur l'organigramme répond à une présentation
de l'organisation comme un « système d'autorité formelle
», c'est-à-dire principalement en terme de supervision directe
(Mintzberg 1998). Toujours selon Mintzberg, il s'agit de la première
strate d'analyse et celle-ci est nécessaire pour comprendre la structure
informelle, conditionnée par cette structure. Le deuxième point
abordé, se penchant sur les mouvements de personnes tant dans le temps,
dans l'espace, et sur leurs tâches, amène une autre dimension de
l'organisation : il montre cette dernière comme un « système
de flux régulés », il s'agit de la seconde strate d'analyse.
La troisième strate, la communication informelle, a déjà
été abordée via l'encadré 5 portant sur les
courts-circuits, et revient plus tard dans ce travail (cf. chapitre
8).
56
61 Pour un ouvrage sur le sujet, je vous conseille CONRAD P.,
2007. The medicalization of society. On the transformation of human
conditions into treatable disorders. Baltimore, Johns Hopkins University
Press.
CONCLUSION PARTIE I
Ou : que retenir pour la suite ?
La première partie de ce travail concernait ce
que Strauss nomme le « contexte lointain » (1992b). Au fil des
chapitres, j'ai montré l'évolution de l'établissement et
son avènement en tant qu'organisation standardisée et ceci suite,
entre autre, à sa taille grandissante et la tendance
générale de professionnalisation du soin et de
médicalisation de la s ociété61 accroissant le
nombre de personnes autour de la personne fragilisée. Si l'organigramme
présenté ici illustre la structure formelle, le « squelette
» de l'organisation selon le terme de Van de Ven (1976 dans Mintzberg
1998), il peut être affiné. Le graphique ci-dessous montre ainsi,
de façon plus subtile, la place des uns et des autres dans
l'organisation. Il met en avant la structure pointue de la ligne
hiérarchique principale, la position extérieure de ceux que je
nomme « électrons libres », le pouvoir externe (CPAS), et la
structure aplatie du groupe d'entretien.
Les places officielles qu'occupent les acteurs dans
la structure organisationnelle conditionnent leurs actions et leurs relations
avec la personne âgée, ainsi que leur rapport au travail. Je
demande alors au lecteur de garder en tête cette structure pour la suite
de la lecture.
Structure analytique
57
PARTIE II
LE CONTEXTE DIT « PROCHE »
Ou : le grand plongeon dans les
négociations.
1mage modifiée,
source :
http://kindo.com/blog/category/famille/fr/
58
Brainstorming reprenant des termes attachés à
la maison observée, c'est-à-dire tant les termes
énoncés lors des entretiens, que les termes
utilisés officiellement dans la maison, notamment dans le
dépliant publicitaire.
CHAPITRE 6 :
UN MYSTÉRIEUX TRIANGLE
Mme Redman : « attendez, attendez [changeant les
piles de la Wii], il faut être patient » Mr Bou. : « Ah oui,
ça on sait qu'ici on est considéré comme des patients !
(Elle rit) mais moi, moi je suis un senior actif !! »
6.1 « Brainstorming » et
catégorisation
Soit ces quelques termes attachés à la
maison de repos et de soins observée :
59
Après lecture de ces termes, revenons à
la définiti on d'une maison de repos et de soins proposée par la
Commission Communautaire Commune :
« Structure intermédiaire entre la maison
de repos et l'hôpital, où sont hébergées, de
manière collective et permanente, des personnes fortement
dépendantes qui y bénéficient des soins requis, de
services collectifs et d'aides à la vie journalière » (COCOM
2013). Structure où la santé est posée comme
impératif illustrant « un état général de
bien-être » et rassemblant dans ce but un « ensemble de soins
infirmiers, paramédicaux, médicaux et pharmaceutiques »
(art. 2 ROI).
Cependant, un tel établissement doit
également être un « lieu de vie » (cf. chapitre 2),
chercher à satisfaire le résident, et créer des «
chez-soi » :
« Le projet de vie est défini par le
gestionnaire et le directeur, en collaboration avec le personnel et le conseil
participatif, en vue de favoriser l'épanouissement et le bien-être
des personnes âgées, tant à l'intérieur qu'à
l'extérieur de l'établissement » (art. 1/c du modèle
de ROI proposé par COCOM62) ; « [...] Chaque membre du
personnel de l'établissement doit veiller à respecter la vie
privée de la personne âgée » (idem art. 3) ;
« La collaboration active des résidents est sollicitée, tant
dans le domaine du délassement que dans l'aménagement du cadre de
vie » (idem art. 17)
Le directeur m'explique qu'il lui est difficile de
faire passer ces idées (respect, autonomie, vie privée de la
personne âgée) au personnel. Selon lui, le résident doit
être au centre des préoccupations, doit pouvoir être libre
de décider le plus longtemps possible et doit pouvoir assouvir ses
désirs tant qu'ils ne portent pas atteinte à autrui. Ses demandes
doivent être rapportées aux supérieurs hiérarchiques
afin qu'ils prennent les mesures nécessaires63 pour le
satisfaire. Cependant, comme le montre Michel Crozier (1964), plus on
s'élève dans la hiérarchie, moins on accède
facilement au « terrain » et plus les informations reçues sont
biaisées par les acteurs intermédiaires. Ceux qui ont le pouvoir
de décider n'ont pas les informations adéquates, les
intermédiaires les substituant parfois volontairement.
Ainsi le directeur s'insurge contre le fait que le
personnel garde les informations allant à l'encontre de leur philosophie
(notamment les soignants, véhiculant une sorte de «
santéisme » (Aïach 1998), d' « hospitalisme » :
nourriture saine, poumons sains, sexualité absente, primauté de
la vie). Soit le schéma « Rétention d'informations »
(esquissé par Mr Marc. Je l'améliore ici).
62 En effet, la COCOM propose un modèle de
convention et un modèle de règlement d'ordre intérieur
pour tous ses établissements de soins. La maison observée reprend
ces modèles, ne les modifiant que très peu. URL :
http://www.inforhomes-asbl.be/fr/index.php?
option=com_content&view=article&id=274%3Alegislation-modeles-de-documents-inforhomes&catid=1&Itemid=44
63 L'accord de la direction est entre autres
nécessaire pour autoriser le résident à fumer, à
exercer une activité lucrative dans la maison, à apporter ses
meubles, à posséder des appareils électriques (art. 19
ROI).
60
Rétention d'informations
Ceci pose problème. Légalement, si un
résident demande pour mourir, sa demande doit être notée.
Si elle se réitère 3 fois, elle doit être examinée
en équipe pluridisciplinaire et par deux médecins.
J'espère montrer ici l'ambiguïté :
d'un côté, la garantie d'une attention accrue à la
santé grâce à un personnel de soins qualifié, de
l'autre, la promesse d'un lieu de vie adapté et la garantie du respect
de la vie privée, des envies personnelles du résident. Ce sont
ces tensions entre « vie privée » et « lieu de soin
», entre « individualité » et « collectivité
», qui m'ont frappées lors de mes observations de terrain. La
question qui m'est alors venue à l'esprit a été la
suivante : au final, au-delà des définitions officielles,
qu'est-ce réellement qu'une maison de repos et de soins ? Ma
réponse, au fil des observations, s'énonce sous forme de
schéma, mettant en tension trois lieux spécifiques,
représentant il me semble, trois « types idéaux »
:
On peut alors replacer les mots du cercle ci-dessus au
sein de ces trois pôles :
61
Ainsi que les différents
protagonistes64 présents dans la maison et
présentés plus haut65 :
Le tout est de comprendre comment tout cela «
tient ensemble » (Henni on et Vidal-Naquet 2012), comment tout cela forme
un « monde » (Becker 1988) : le monde social de la maison de repos et
de soins... Je trouve dans l'analyse du film Suisse d'Olivier Moeschler, le
même cheminement de pensée et la même mise en forme
triangulaire :
« Dans le « film » du cinéma
suisse et de sa politique [...], il n'y a pas de bons ou de méchants. Il
n'y a que des protagonistes [...] qui se battent parfois pour le premier
rôle, avec leurs desseins et leurs stratégies, leurs
réussites et leurs échecs. [...]. Le triangle
Etat-cinéma-publics est, en Suisse, dans le meilleur des cas, un «
trio » dont chaque membre joue harmonieusement sa partition. Il peut aussi
-- bien souvent -- devenir un « ménage à trois » dans
lequel rien ne va plus, les critiques fusent, les têtes tombent ! Ce
triangle sera notre guide, l'outil heuristique qui nous aidera à
décrire la passionnante histoire de la genèse et des
redéfinitions de la politique du 7ème art en Suisse ».
(Moeschler 2011 : 20)
À l'instar de ce chercheur, le triangle, ici
soins palliatifs-hôpital-domicile, sera notre « outil heuristique
» qui aidera à rendre compte de ce qu'est la prise en charge des
personnes âgées dans la maison de repos et de soins
observée. Avant de passer à l'analyse plus en détails de
ces trois lieux, aux « philosophies »66
spécifiques, se confrontant dans l'espace fermé qu'est
l'établissement de prise en charge, voici une situation un peu cocasse,
observée dans la maison. Regardez la photo « Couloir second
étage ».
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64 J'oublie expressément les
aides-ménagères dans ce schéma, comme elles sont
oubliées dans l'organisation de la maison. Je leur consacre
néanmoins un chapitre entier par la suite. J'oublie également le
personnel administratif qui me semble un peu en dehors de ce triangle.
Néanmoins, je montrerai qu'ils ont également leur rôle dans
la vie des personnes âgées.
65 Notons que certains personnages peuvent prendre
place dans différents pôles, comme c'est le cas de l'assistante
sociale, ou des externes de la maison.
62
Comme vous, lecteur, le constatez, un fauteuil est
installé au milieu du couloir, illustrant le désir de Mr Marc de
se détacher de l'image d'hôpital que véhicule sa maison :
« Vous aimez bien vous [le nouveau style] ? moi je trouve que les couloirs
font trop hôpitaux ! » m'annonce-t-il. Il désire
également, en plus de repeindre les murs en couleur, troquer les
uniformes blancs du personnel pour des uniformes colorés.
Ces trois pôles, ce « triangle infernal
» (Moeschler 2011), s'interpénètrent sans cesse et forment
selon moi la base, mais une base en mouvement, de la maison de repos et de
soins. Cette dernière oscille entre ce trio et subit des ajustements
permanents créant alors certaines tensions entre les acteurs, les uns se
rapprochant d'un pôle, les autres d'un autre.
6.2 Les « patients » : le pôle
hospitalier
Comme l'annonce la COCOM ci-dessus ainsi que le
directeur67, la MRS semble avoir de nombreux points communs avec
l'hôpital. La situation est pourtant plus subtile.
Espace de rassemblement
La matérialité
À ce niveau, il est vrai, les couloirs et les
chambres (cf. photo des ailes médicalisées, voir infra)
ont l'allure plus hospitalière68 : sol et murs lisses et
épurés, longs couloirs droit, néons au plafond, mobilier
fonctionnel (cf. Ci-à gauche), peu de décoration ni de
personnalisation.
Un local de pause a été accordé
par le directeur, à la demande du personnel : selon lui, un local
interdit aux résidents et réservé au personnel, au milieu
du lieu de travail, est une caractéristique du milieu hospitalier. Dans
d'autres maisons de repos, dit-il, il existe un lieu de pause pour
résidents et personnel. Néanmoins, les portes de ces
locaux (au niveaux 1 et 2) restent toujours ouvertes. Michel Castra (2003)
montre que l'ouverture de ces dernières se trouve être une
caractéristique des locaux de personnel de soins ; cela permet au
personnel de rester attentif aux événements extérieurs.
Erving Goffman définit les moments de pause, donc retirés de la
scène, comme des moments où les acteurs peuvent se relaxer,
où ils peuvent oser parler de propos hors
66 Philosophie entendue ici comme une
«Manière de voir, de comprendre, d'interpréter le monde, les
choses de la vie, qui guide le comportement » (Larousse 2013).
67 En effet, me dit-il, les soins dispensés
dans l'établissement sont de plus en plus techniques et complexes,
réduisant ainsi les allers-retours vers l'institution
hospitalière, fatigants pour les résidents.
68 Attention, j'ai annoncé qu'il s'agissant d'
« idéaux-types », donc par définition, irréels
et ne renvoyant pas à un lieu précis et unique.
63
profession. Cependant l'auteur parle d' «
extrême limite », c'est-à-dire que les acteurs peuvent
s'éloigner de la scène, de leur profession, de leurs devoirs,
mais à tout moment, ils doivent pouvoir revenir dans leur fonction. Ils
ne peuvent pas dépasser la limite qui les empêcherait alors «
lorsque l'alerte est donnée, [de] se ruer comme [des] fou[s] à
[leur] place pour ne pas se faire prendre hors de la base » (1973a : 214).
Il me semble que la fermeture des portes symboliserait le point de non-retour,
le franchissement de la limite, empêchant alors les soignants
d'être à l'écoute et de rapidement
réagir.
Revenons aux fournitures « hospitalières
» de l'établissement : au sol des ailes médicalisées,
du vinyle. Cela facilite le nettoyage mais également la circulation des
chariots ou des chaises roulantes ainsi que des personnes ayant des
difficultés de marche (sol égalisé et lisse). Des plans
inclinés remplacent également les anciens escaliers des ailes
médicalisées. Au niveau des chambres, les résidents
dorment tous, sans exception (MR et MRS), dans des lits
médicalisés (c'est-à-dire avec possibilité de
monter et descendre le matelas, de placer des barreaux et un perroquet)
à côté de tables de nuit sur roues, munies d'une plaque
rabattable permettant de manger couché. Une résidente, Mme Va.,
me fait remarquer que les lampes dans les chambres ne sont pas centrales comme
dans la plupart des habitations, mais bien placées au dessus du lit,
sous forme de néon, comme dans la plupart des chambres
hospitalières. Elle n'apprécie pas cela. Les arguments
avancés par le directeur pour expliquer ces intrusions de
matériaux, d'objets hospitaliers sont les suivants : si l'état de
la personne se détériore, elle pourra néanmoins rester
dans sa chambre, le matériel étant déjà sur place.
La logique suivie semble être de mettre du médical dans
le domicile pour assurer justement ce maintien au domicile le
plus longtemps possible, sans devoir déménager dans du
médical... Vous me suivez ? Ces lits, tables de nuit, douches
adaptées aux chaises roulantes, sont donc imposés à tous
les résidents par mesure de prévention.
Le fonctionnement d'équipe
L'équipe nursing fonctionne comme le fait une
équipe hospitalière, à la structure « pointue »
: les fonctions y sont fortement hiérarchisées. Le directeur me
rappelle : « elles se croient comme à l'hôpital ici, et c'est
vrai, les équipes sont les mêmes au fond... », ou Julie,
aide-soignante, « ici c'est les mêmes équipes qu'à
l'hôpital hein, c'est la même chose... les mêmes fonctions !
». Mathilde, aide-soignante, y voit pourtant une différence notoire
:
« ça bouge plus ! là, y a du
travail ! parfois, c'est une collègue qui disait : « hé, il
est 15h30 !! » parce qu'on travaille tellement qu'on oubliait le temps !
ici c'est différent, c'est la routine... le
64
temps passe pas, tous les jours c'est la même
chose... à l'hôpital, les cas sont différents ! toutes les
2 ou 3 semaines y a du changement, c'est motivant ! on change de tâche
tout le temps ! » (Math.).
Si à l'hôpital, il existe un haut «
turn over » des personnes hospitalisées, dans une MRS, et ce n'est
un secret pour personne, « ils sont là pour mourir », donc
pour un temps indéterminé, parfois très long. Ceci donne
en contre partie le temps au personnel de connaître les personnes de qui
ils/elles s'occupent. Le travail se voit moins stressant, plus lent, ce qui est
ici une caractéristique du fonctionnement des unités de soins
palliatifs (Castra 2003).
Les soins
Si les fournitures, l'agencement des ailes
médicalisées, l'organisation des équipes, la «
technicisati on » des soins et l'augmentation du matériel
médical tendent à rassembler autour du pôle hospitalier, au
niveau du travail quotidien des soignants, cela est plus subtil. En effet, les
membres du personnel soignant ayant travaillé en milieu hospitalier
auparavant s'offusquent parfois de ne pas trouver le matériel
adéquat ni les mêmes conditions de travail qu'à
l'hôpital. Ainsi Mr Val. s'indigne devant les bidons de
désinfectant. En maison de repos, sont livrés de gros bidons de
liquide avec lesquels le personnel remplit de plus petits, transportables, qui
serviront aux soins dans les chambres. À l'hôpital me dit-il, le
désinfectant arrive directement dans de petits conditionnements, donc
directement utilisables pour le soin et présentant un degré de
stérilité plus élevé. Aïcha, aide-soignante,
m'explique : « oh ici, on a de plus en plus de matériel hein, mais
bon, toujours pas assez, donc on fait ce qu'on peut ! » et Paola,
infirmière, de conclure : « ici moi je dis, on ne fait pas des
soins stériles, mais on fait des soins propres »,
étant donné les conditions de travail « précaires
» (Mr Val).
Qu'en disent les résidents
?
« le personnel à l'hôpital est
épouvantable ! Ici, ils sont tous gentils... » (Mme Ve.) ; «
oh ici, on ne se sent pas à l'hôpital ! un hôpital c'est
tout à fait différent ! l'hôpital c'est un lieu de douleur
hein ! », « à l'hôpital, c'est le silence ! Puis, c'est
comme un grand magasin, tout se ressemble ! » (Mr Boe.) ; « Quel
horreur là-bas ! Je préfère mourir ici, au calme ! »
(Mme De.)
Les résidents interrogés ressentent une
différence fondamentale avec l'hôpital. Ceci peut être
expliqué en regard de leur « carrière » (Goffman 1968)
personnelle. La « carrière » typique du résident
serait, comme Mr Marc le note, un problème personnel, entraînant
un séjour à l'hôpital, parfois une période de
ré-éducation, et l'entrée en maison de repos et de soins.
Le choc entre mode de vie hospitalier, dans lequel ils sont plongés
brutalement, et leur
69 Attention toutefois, j'ai rencontré des
personnes restant très critiques face à la maison de repos et de
soins malgré un séjour à l'hôpital avant d'y
entrer.
65
vie au domicile est si fort, que le « retour
» dans une MRS, parait une alternative viable. Le passage par
l'hôpital semble adoucir l'entrée en maison de repos et de s
oins69.
*
On le voit donc, d'un regard extérieur, comme
celui du directeur ou le mien au départ de mes observations,
éloigné des pratiques quotidiennes, l'établissement
s'« hospitalise ». Mr Marc tente alors de modifier les objets, les
fournitures, les couleurs bref, la facette « matérielle » de
l'établissement pour se détacher de cette image. Il désire
également accroître l'efficacité et la
régularité des réunions interdisciplinaires, signe d'une
autre approche de soin (cf. infra). Pourtant, malgré un
fonctionnement d'équipe similaire et une certaine idée «
santéiste », le personnel et les résidents, au quotidien, ne
ressentent pas aussi fort cette « hospitalisation » et pointent des
différences notables : peu de matériel, lieu plus calme, plus
serein, plus lent, etc. Les résidents interrogés ne voient
d'ailleurs pas la blancheur des uniformes du personnel comme une
présence de l'hôpital dans la maison de repos, contrairement
à l'idée de Mr Marc. De plus, ils ne semblent pas désirer
investir les couloirs en s'appropriant les fauteuils installés pour eux
(cf. supra), ces derniers restent très souvent
vides.
6.3 Les « résidents » : le pôle
palliatif
« Penser les malades en longue durée en
des termes qui ne sont plus médicaux » (Strauss 1992b : 28) et
« faire vivre et laisser mourir » (Memmi 2003), pourraient être
les deux phrases maîtresses de ce pôle. En effet, le directeur
m'explique que la maison prône ce qu'il appelle une « philosophie
palliative » : la personne se trouve au centre de l'organisation, avec ses
intérêts, ses désirs, et le personnel doit être au
service de cette personne (cf. chapitre 2), afin de lui garantir « une vie
conforme à la dignité humaine [... ainsi que] la plus grande
liberté lors de son occupation des lieux » (art. 3 ROI). Tout cela
dans le but de favoriser son « épanouissement » et son «
bien-être » (art. 2 ROI). Dans cette optique, le personnel doit
oeuvrer à l'amélioration de la qualité de vie de la
personne et surtout, ne rien lui imposer, ne la forcer à rien. Cette
philosophie ne promeut pas les pratiques d'euthanasie, on laisse
mourir ( on ne s'acharne pas) mais on ne fait pas
mourir.
66
Encadré 10 : Une limitation
protectrice
Mr Marc, directeur de la maison, considérant
le personnel comme étant au service des résidents, un
problème se pose alors : Jusqu'où vont les tâches
à remplir ? Quelles tâches relèvent-elles du travail
professionnel et de la relation humaine (écoute, gentillesse, ...C ?
Pascale Molinier remarque que dans le souci de l'autre, la charge de
travail se voit illimitée : « il y a toujours quelque chose
à faire dans une maison de repos, les soignantes peuvent toujours
être sollicitées ! » (2013), les demandes des
résidents pouvant être sans fin. Ainsi, le personnel doit trouver
des indicateurs objectifs de limitation de la charge de travail afin de
profiter de moments de pause, nécessaires et mérités et de
finir leur travail à temps, ainsi que de se protéger de leurs
propres émotions en limitant leur engagement affectif. Ainsi, le «
bureaucratisme » (Busino 1993 : 104), c'est-à-dire « la
manière d'être » attachée à la bureaucratie,
peut être utilisé comme technique de protection par le
personnel.
Les aides-logistiques élabore également
une technique de limitation de tâche. Face à l'appel d'un
résident, Paola raconte (et Julie acquiesce) :
«ils savent très bien ce qu'ils peuvent
faire et ne peuvent pas faire hein. Et parfois ils jouent dessus ! ça
sonne et ils disent « non non c'est pas pour moi » mais ils
pourraient très bien aller voir hein ! y a des fois, le résident
il a juste besoin d'un verre d'eau hein, et eux, ils sont habilités
à leur donner un verre d'eau mais non, dès que ça sonne,
on se dit que c'est pour quelque chose de médical donc du coup, on se
dit qu'on peut pas répondre aux sonnettes »
Ainsi le personnel de la maison semble profiter de la
liberté d'être fonctionnaire, c'est-à-dire ne devant
répondre officiellement qu'aux devoirs de sa fonction, n'étant
pas engagé personnellement mais sur base contractuelle (Busino 1993 :
41), pour limiter leur charge de travail. Cette protection peut
néanmoins donner lieu à des situations catastrophiques. Mathilde
raconte que, sa garde de nuit terminée et devant se rendre au rapport du
matin, elle a laissé seule, après vérification des
fonctions vitales et placement d'un oreiller, une résidente
tombée au sol. Peu après, l'équipe de jour trouva cette
personne, à terre, la tête en sang... Cette vieille dame avait
décidé de se relever et était retombée, se cognant
la tête. Situation délicate pour la soignante : d'un point de vue
technique elle a rempli son rôle (vérification des fonctions
vitales et délégation à l'équipe de jour), d'un
point de vue officiel, son horaire prenait fin, et de son point de vue, le
confort de la personne était assuré (le coussin). Pourtant, cela
n'a pas suffi, le matériel humain n'ayant pas obéi aux
règles prédites.
Notons que pour tenter d'éviter ce genre de
situation, une jeune psychologue, Laurie, est engagée (début
d'année scolaire 2012). Officiellement « référent
démence », elle est néanmoins chargée de susciter
chez le personnel un désir de bien faire, qui dépasserait les
horaires et leur charge de travail habituelle.
Cette « philosophie palliative »
s'apparente évidemment à celle présente dans les
unités de soins palliatifs. Michel Castra parle de « nursing de fin
de vie », opérant dans un contexte peu technique, valorisant la
subjectivité de la personne, « tout en s'efforçant de
répondre à la détresse morale et psychologique de ces
patients » (2003 : 3). Il définit les activités du personnel
comme suit :
67
« L'essentiel de leur activité concerne
bien moins le cure (soins de réparation) que le care (prendre soin). Les
soins palliatifs consacrent une rupture entre les deux types de soins
habituellement menés en continuité : on renoue avec la
prédominance historique des soins courants d'entretien du corps,
accompagnant de cette manière l'aggravation du processus de
dégénérescence lié à la maladie [...]. Les
infirmiers et les aides-soignants exercent ainsi pour partie de leur travail
des fonctions comparables aux tâches anciennes d'assistance aux mourants,
ne requérant aucun savoir formel et n'impliquant qu'une connaissance
technique limitée » (2003 : 166).
On retrouve ici de nombreuses caractéristiques
d'une maison de repos et de soins : confort (« on fait tout pour qu'ils
soient bien »), peu de technique (« ici on désapprend » ;
« c'est tous les jours la routine »), assistance (« on est
là pour les aider »)70. Ce dernier point, « les
tâches anciennes d'assistance », prend d'autant plus de poids
lorsque l'on connaît l'histoire de l'établissement, tenu
auparavant par des religieuses (cf. chapitre 2). J'aborde à la suite
deux points reflétant cette philosophie au sein de
l'établissement : le respect de la liberté du résident et
les réunions pluridisciplinaires.
Le respect de la liberté (tant de mouvement
que décisionnelle)
La direction s'oppose à toute forme de
contrainte. Si les mesures de contention « dures » (comme les sangles
ou les barres de lits) demandent prescription médicale et concertation
en équipe pluridisciplinaire (art. 16 ROI) pour être
appliquées ; les mesures plus « molles » comme monter le lit
pour empêcher la personne de se lever, donner des somnifères,
positionner la personne en lui installant les pieds en hauteur (de sorte
qu'elle n'ait pas assez de force pour relever ses jambes et se mettre debout),
se voient beaucoup plus difficiles à contrôler. Cependant, il
insiste, toute mesure de la sorte est interdite au nom de la liberté de
mouvement de la personne (art. 3 ROI).
Toujours selon Mr Marc., ayant suivi une formation en
soins palliatifs (approche sociale), « si la personne n'a plus envie de
manger, c'est son choix... vous savez, à l'approche de la mort, le corps
se détache tout doucement de la vie... Ces personnes se sentent partir,
il faut respecter cela... l'homme n'est pas éternel il faut
l'accepter...». On ne force donc pas, on incite.
Christelle, aide-ménagère, n'est pourtant pas de cet avis. Manger
donne la vie":
« Ici on ne les force pas... s'ils ne veulent plus
manger, on peut pas les forcer mais moi je trouve
70 Ces quelques phrases, je les ai souvent entendues de
la bouche de soignants.
71 L'équipe du second étage m'a
également rapporté le cas d'un époux voulant continuer
à nourrir sa femme, celle-ci étant pourtant sous gavage.
L'équipe avait beau lui expliquer qu'elle était nourrie par
sonde, il n'entendait rien : pour lui, seul la réelle nourriture
était source de vie et pouvait guérir son
épouse...
68
qu'on devrait ! Ma mère, elle est morte et
j'aurais bien aimé qu'on la force à manger pour qu'elle vive
un peu plus longtemps ! moi j'trouve qu'on devrait les faire manger même
s'ils veulent pas ! »
Du côté du personnel soignant, tous ont
intégré cette règle et se disent d'accord avec ce principe
de « non-forçage » mais d'incitation. À ma
question : et si une personne ne veut vraiment pas manger / prendre un
médicament / se laver, que faites-vous ?, la plupart des
répondants commencent d'abord par spécifier qu'« ici on ne
force jamais une personne ! on peut essayer de la convaincre mais on ne pourra
jamais la forcer ! » (Julie, aide-soignante).
Cependant, lorsque je pose la même question aux
résidents, les réponses diffèrent quelque peu : Mme Ve.
« Aha essayez seulement ! ils vous tirent par la peau du dos si vous ne le
faites pas ! » ; Mr Bou. « Ici on doit toujours dire OUI ». Le
sentiment d'autonomie et de possibilité d'opposition chez les
résidents semble donc assez limité... En effet, derrière
l'acceptation théorique de ce principe par le personnel se cache une
réalité plus complexe. Lors d'une fête du vendredi
après-midi72 par exemple, Mr Ci., résident
désorienté, demande pour retourner dans sa chambre mais ne
connaît pas le chemin jusque chez lui. Une aide-soignante arrive et lui
répond qu'elle le reconduira dans 10 minutes. 30 minutes plus tard, il
est toujours assis et demande pour rentrer. A-t-il été
forcé de rester ou l'a-t-on incité ? Même
constat pour la prise de médicaments, Mme Re. pense l'avoir
déjà pris, une soignante lui affirme le contraire et lui pose le
médicament sur les lèvres, forçage ou
incitation ? Ce principe incontrôlable et «
non-objectivable », sera toujours laissé au jugement des acteurs,
les uns considérant un geste comme obligation, les autres comme
incitation...
Le fonctionnement d'équipe
Un élément déjà
mentionné plus haut rapproche la maison d'une gestion palliative : les
réunions pluridisciplinaires. Ces réunions en effet illustrent un
trait d'une nouvelle approche de soin, apparue dans les années
d'après-guerre, symbolisant elle-même un tournant dans la
médecine et la manière d'aborder les corps. Norbert Elias, dans
son célèbre ouvrage La Civilisation des moeurs (1973),
montre les transformations, les siècles derniers, des mentalités
face au corps et à la mort (en occident). Nous vivons aujourd'hui,
explique-t-il, dans une époque où la violence physique, la
violence sur les corps disparaît au profit d'une sensibilité
accrue à la souffrance d'autrui. Du côté de la
médecine, de nombreuses formes de soins dites parallèles
apparaissent et tentent d'appréhender la souffrance de l'homme dans sa
globalité, tentent de dépasser la dichotomie corps/esprit
amenée par les premiers anatomistes, et surtout
72 Je reviens plus en détails sur ces fêtes
au chapitre 7.
69
par Vésale au 16ème
siècle, avec son ouvrage « De corporis humani fabrica »
(1543). « Dans l'élaboration graduelle de son savoir et de son
savoir-faire, la médecine a négligé le sujet et son
histoire, son milieu social, son rapport au désir, à l'angoisse,
à la mort, le sens de la maladie » (le Breton 2008 : 110). Les
formes de soin alternatives aujourd'hui tentent de prendre le contre-pied de
cette « anatomisation » du corps.
Isabelle Baszanger (1995) montre cette transformation
du modèle de soin médical à travers l'avènement des
cliniques de la douleur. Au sein de celles-ci les patients deviennent les
acteurs centraux et la médecine plus holiste. Y est dispensée une
médecine de la personne totale, malade, souffrante, où
psyché et soma sont confondus. Dans ce « monde social de la douleur
» (Baszanger 1995), Michel Castra explique l'avènement des soins
palliatifs. Selon lui, le constat de « l'incapacité de notre
société à gérer de manière satisfaisante la
phase terminale de l'existence » (2003 : 30) a été
l'élément déclencheur d'une crise de la
société occidentale au milieu de notre siècle.
L'hôpital se voit critiqué pour ne plus être adapté
aux nouveaux types de maladies, c'est-à-dire les maladies lentes,
chroniques, entraînant la souffrance ou la mort sur un temps relativement
long (également Strauss 1992b ; le Breton 2008). S'en est suivi une
transformation de la médecine dans les années 70' et
l'avènement des soins palliatifs, prônant une « mort
consciente, maitrisée, anticipée » (Castra 2003 : 35). Au
sein de ceux-ci ainsi qu'au sein des cliniques de la douleur, le patient
revient au centre de la scène médicale, entouré d'une
équipe pluridisciplinaire, ayant pour but de le soulager et de
l'encadrer dans sa maladie/sa souffrance et ce, dans tous les aspects de son
existence.
La philosophie palliative propose ainsi une gestion
commune des personnes en charge, une gestion pluridisciplinaire. Marie de
Hennezel (2004 : 18-19) cite une de ses répondantes : «
l'hôpital est une entreprise, ça doit tourner, mais
côté humain, l'hôpital est malade » et plus loin,
« en unité de soins palliatifs, j'ai rencontré des
médecins très humains. Là, il n'y a plus de
hiérarchie. L'aide-soignante a autant d'importance que le cadre »
(Élisabeth) . Cette équipe pluridisciplinaire, moins
hiérarchisée, symbolise une approche globale de la personne, un
« système thérapeutique » (le Breton 2008 : 108)
spécifique : « la doctrine n'est donc pas fondamentalement une et
homogène, mais composée de différents registres
correspondant à la spécificité des intervenants et fondant
les bases de cette pluridisciplinarité » (Castra 2003 : 7071).
Cette équipe concrétise l'existence du « monde social
», c'est-à-dire d'un monde composé d'acteurs de tout horizon
mais se rassemblant autour d'une activité primaire (Strauss 1978) : la
recherche de bien-être.
73 Je les appelle «personnels» car deux chats
«publics» séjournent dans la maison ainsi qu'un canari et
quelques poissons dans la cafeteria, plus deux perruches dans le hall
principal.
70
*
Respect de l'autonomie de la personne, respect de la
liberté de mouvement et réunions pluridisciplinaires sont des
éléments qui font, me semble-t-il, pencher la maison vers une
gestion palliative. Le directeur tente encore d'accroître cette
dernière en sensibilisant le personnel (cf. supra,
encadré 10), en augmentant la coopération entre les
différentes fonctions, et en modifiant la matérialité de
la maison (cf. Supra).
6.4 Les « résidants » : le pôle
domicile
Les termes « résidence » ou «
maison » se trouvent être révélateurs de ce pôle
(cf. chapitre 2) : ils marquent l'évolution de la prise en charge des
personnes âgées dans l'établissement, passant d'un refuge
où le pensionnaire est logé et nourri, à une
maison/résidence où le résident « demeure
habituellement » (Larousse 2013). Il s'agit aujourd'hui d'«
intégrer du domicile dans de l'institutionnel » (Molinier
2013).
Si ce n'est pas une obligation, l'assistante sociale
et le directeur insistent néanmoins fortement sur les
bénéfices de l'appropriation de la chambre par le
résident. Ces derniers sont invités à apporter leurs
objets personnels, parfois même leurs meubles, « à condition
que ceux-ci respectent les critères de sécurité, ne
gênent pas l'occupation normale et n'altèrent pas l'hygiène
des lieux » (art. 19/d du ROI). Ainsi Mme Va. a personnalisé sa
chambre avec des tableaux de son ancien chat (les animaux pers
onnels73 étant interdits), et m'explique qu'« on l'a
fait un peu soi-même son atmosphère ! ». La plupart des
résidents interrogés se sentent « chez-eux » dans leur
chambre, « je suis ici dans mon domaine, j'me sens bien » (Mr K.) et
ce, même si «c'est toujours mieux à la maison hein ! au
début c'est difficile de s'adapter ! » (Mme C o.). Il est ici
demandé au résident de s'approprier l'espace à l'aide de
« marqueurs » personnels, et de faire de sa chambre un «
territoire de la possession », c'est-à-dire un territoire où
« un ensemble d'objets identifiables au moi [sont] disposés autour
du corps où qu'il soit » (Goffman 1973b : 50-53). Ainsi, si
l'espace du couloirs « s'hospitalise », l'espace des chambres «
se domicilise ».
Néanmoins, si certaines fournitures se voient
acceptées, d'autres le sont plus difficilement, et ceci dans un but
sécuritaire. C'est le cas d'appareils chauffants tels que fers à
repasser, taques électriques, chauffage d'appoint qui ne sont
acceptés qu'à titre exceptionnel et
De manière générale, il y a une
plainte des résidents d'être considérés comme «
à disposition » du personnel, s'illustrant tant dans cette
situation d'intrusion dans l'espace
71
sous l'accord de la direction (éviter les
incendies ou les brûlures). Cependant, Mme Va. se fait cuire des oeufs au
micro-onde lorsque le repas ne lui plait guère ; Mr K. boit son propre
café préparé par ses soins dans sa chambre ; Mr De. lui,
se contente de thé tout au long de la journée grâce
à son chauffe-eau personnel. En réalité le personnel
« sait» qui a les capacités de gérer du matériel
« dangereux » et qui ne les a pas. Le directeur permet ainsi à
certains de posséder ces appareils. Je montrerai par la suite, à
l'instar d'Isabelle Mallon (2005) et d'Erving Goffman (1968), qu'il existe de
nombreuses « adaptations secondaires » permettant aux
résidents de « continuer leur vie » malgré les
contraintes de l'établissement.
L'intimité et l'intrusion
La chambre forme ainsi le « territoire »,
entendu comme l'« espace géographique propre à une personne
ou à un groupe, caractérisé par des limites, plus ou moins
fixes, et par la qualité d'intrus appliquée à celui qui
les franchit » (Kattan-Farhat 1993 : 179), l'espace privé
opposé au couloir qui illustre le « lieu public par excellence
» (idem : 188). Une remarque intéressante ici : le
personnel soignant se permet l'entrée sur le territoire des
résidents (parfois sans frapper), ils ne répondent pas de la
catégorie d'« intrus ». Moi même n'y répondait
pas
plus, j'ai été étonnée
d'ailleurs de la facilité à m'introduire dans les chambres, en
tant que personne extérieure et inconnue des résidents.
Voulant d'ailleurs frapper aux portes et attendre l'autorisation du
résident, je reçus du personnel ce genre de remarque : « Oh
mais tu peux entrer comme ça hein !! », dans le sens : pas
besoin d'attendre qu'ils te répondent, entre directement. Pourtant
il est stipulé dans le règlement que « chaque membre du
personnel de l'établissement doit veiller à respecter la vie
privée du résident, notamment en s'annonçant avant
d'entrer dans la chambre » (art. 3).
Cette situation de non-respect de leur
intimité énerve d'ailleurs certains résidents : Mme Va.
m'explique qu'elle était à la toilette, en train de s'essuyer les
fesses et quelqu'un est entré directement dans sa salle de bain pour lui
tendre un nouveau rouleau de papier toilette, « y a quand même de
quoi attraper une crise hein !? On rentre pas dans une toilette !! mais c'est
comme ça ici... » ; Mme W. « je vais pas parler du petit
personnel, c'est pas bien, mais bon, le directeur ne le fait pas [entrer sans
"frapper], l'assistance sociale non plus,... par contre les aides logistiques,
les aides ménagères,... les... les aides-soignantes, eux bien!
». Les résidents ont appris à ne pas les considérer
comme intrus.
72
personnel que lors des situations de rendez-vous
médicaux : « on nous prévient jamais quand on a rendez-vous,
on l'apprend le matin même ! Ou alors même pas, ils viennent nous
chercher et ils nous disent, allez ! Vous êtes pas prêts ? Mais
vous avez rendez-vous dans 20minutes à l'hôpital ! » (Mr W.)
ou encore lors d'activités : Mr Boe. m'explique que le jour de sa
fête d'anniversaire74, on est venu le chercher 5 minutes avant
en lui disant « allez ! c'est votre fête aujourd'hui ! ».
N'étant pas au courant, il avait sur lui une chemise sale. Amené
ainsi dans la cafeteria, il s'est senti mal à l'aise tout
l'après-midi devant les familles présentes...
Revenons à cette idée de chambre comme
« territoire », interdite aux « intrus ». Si le personnel y
est « accepté » ainsi que je le fus, cela est différent
pour les autres résidents : la présence de l'un d'entre eux dans
leur espace privé est vue comme intolérable. Ainsi, Mme S o.,
démente, passe son temps à se promener dans les couloirs, elle
entre alors dans les chambres, s'endort parfois sur les lits des autres
résidents, provoquant un tollé général
!
Cette permission sélective d'intrusion dans
l'espace intime illustre selon moi une facette de la tension entre les
pôles hôpital et domicile. D'un côté
le résident est vu comme passif, à disposition du personnel
(logique hospitalière : le Breton 2008 ; Byron Good 1998 ; Strauss
1992b) et de l'autre, on lui demande de créer un espace privé,
intime, un espace propre et personnel, inaccessible aux autres résidents
(logique du domicile).
La vie privée
Se situant à égale distance entre le
pôle hospitalier et le domicile (en tant qu'informations privées
de la personne), le secret médical se doit d'être respecté
(art. 15/f ROI). Pourtant, à mon arrivée, je reçus la
structure des chambres, avec les noms des personnes et le grade obtenu sur
l'échelle de Katz. Avant même d'entrer en contact avec les
résidents, je connaissais leur état de dépendance.
Même constat lors de ma tournée avec l'assistante sociale, le
premier jour d'observation : nous avons fait le tour des chambres et j'ai
appris qui était incontinent, alcoolique, SDF, etc. Ces dernières
informations relèvent selon moi, du domaine du privé (d'ailleurs
l'assistante sociale parlait à voix basse pour ne pas nous faire
entendre des résidents, confirmant mon impression). Si à
l'hôpital, comme je le mentionnais ci-dessus, l'histoire, la vie
personnelle de la personne, est passée sous silence, dans une maison de
repos et de soins, où prônant une approche plus holiste de la
personne, il n'est pas étonnant que de telles informations circulent, et
ce, dans le but d'apporter une meilleure prise en charge au
74 Chaque mois, une fête d'anniversaire commune
est organisée pour tous les résidents à fêter ce
mois-là. Ils sont rassemblés dans la cafeteria, les familles
invitées, les gâteux sortis. Les résidents reçoivent
aussi de petits cadeaux. Mr Boe. m'avoue avoir été
déçu du cadeau de cette année : un paquet de Cent Wafers
.
73
résident. De nouveau ici, on voit la tension
entre le respect de la vie privée et le besoin de la faire
connaître au personnel afin d'assurer l'accompagnement de la personne. La
connaissance des informations privées participe au dispositif panoptique
(cf. chapitre 7).
6.5 Une quatrième dimension...
Cette analyse en trois pôles oublie toutefois
une dimension les contraignant toutes trois : le fait de vivre en
communauté dans un établissement fermé, à
l'architecture spécifique, au nombre élevé de personnes,
etc. Bref le fait de prendre place dans une institution.
« Au début, je me dis « je dois, je
dois,... [me forcer à m'adapter]) On est plus chez soi hein, on est
libre mais on n'est pas libre à 100% hein, faut manger c'que l'on nous
donne, il faut suivre le règlement, ... il faut s'adapter à tout
le monde ! Y a de tout ici ! Mélange de classes, et de tout ! »
(Mme Co.) ; « Vous savez dans les maisons de repos, il faut pas trop
demander hein ! Il faut aller à la douche, il faut se lever tôt,
il faut faire ceci, il faut faire cela, ... ! » (Mme Ve.).
J'appelle cette dimension « les contraintes
institutionnelles » et la schématise comme suit :
Ou en terme de mots du brainstorming de départ
:
74
La vie en collectivité implique
l'établissement de règles pour assurer le déroulement
pacifiste de cette dernière. Mme Oste, infirmière chef, explique
ainsi :
«ils sont chez eux hein ici... mais ce que je
leur rappelle tout le temps, c'est qu'on vit en communauté, faut savoir
respecter les autres. Si vous agressez les gens ou injuriez le personnel, ou si
vous aimez trop les femmes, ça ne va pas hein, il faut trouver une
solution ! » (Mme Oste)
Ainsi par exemple, l'article 19 du règlement
d'ordre intérieur, intitulé « Mesures d'intérêt
général », stipule que les résidents ne peuvent nuire
à autrui en montant trop haut le son de la radio ou la
télévision et qu'ils veilleront à la propreté de
leur chambre et des abords. Le résident se conduira avec courtoisie tant
envers les autres résidents qu'envers le personnel et aidera la personne
dans le besoin (art. 3). Les repas seront servis à partir de 7h30 ;
11h30 et 17h30 (art. 13). L'article 20 stipule qu'« il est essentiel que
le résident prenne toutes les dispositions nécessaires pour
éviter ce qui peut causer un incendie ». Ainsi, aucun appareil
chauffant n'est accepté (sauf exception, voir
supra) ; seules les télévisions
à écrans plats sont permises (sauf accord de la direction) ; il
est « strictement interdit de fumer dans la chambre »75 et
dans la maison de repos (sauf accord de la direction) ; de brûler des
bougies ; de boire de l'alcool à outrance ; ... Bref, interdit de nuire
à autrui. Ceci rappelle la théorie de Michel Foucault concernant
le déplacement du droit de punir, passant « de la vengeance du
souverain à la défense de la société » (1975 :
107). L'individu est puni lorsqu'il porte atteinte à la
collectivité. Le personnel également se voit soumis aux
mêmes impératifs.
Ces contraintes, les résidents doivent s'y
faire et le plus gros effort semble être l'adaptation aux horaires,
certains ne s'y habituant pas : Mme Va. ramène son repas du soir dans sa
chambre considérant que l'on mange trop tôt ; Mr R. va directement
au magasin acheter sa nourriture (baguette et charcuterie) car il ne mange
jamais à midi et préfère manger plus tard. D'autres
plaintes prennent place notamment concernant la nourriture, la
sécurité excessive (cf. couteaux non tranchants) ou
l'hygiène excessive (alors qu'il s'agit d'un intérêt
général : les résidents doivent être propres pour ne
pas incommoder leurs voisins).
Mr Bou. fut carrément puni par le directeur
car il injuriait l'aide-ménagère venant faire sa chambre,
considérant qu'elle n'avait pas besoin de nettoyer aussi souvent. De
plus, il aurait nui au régime alimentaire d'une autre résidente
et n'aurait pas respecter les heures de soins. Aujourd'hui, il lui est
demandé de sortir de sa chambre tous les jours entre 14h et 15h pour
le
75 Je rencontrai néanmoins plusieurs
résidents fumant dans leur chambre. Ces derniers sont alors
demandés de fermer leur porte et d'ouvrir leur fenêtre
régulièrement. Le stock de cigarettes de certains
résidents (4 ou 5) est géré par le bureau administratif
qui les leur fournit régulièrement.
75
ménage ; il lui est interdit de passer dans
l'aile Imperial pour ne plus avoir accès à la chambre de
« sa grande amie » comme il dit ; il lui est demandé de
descendre manger au restaurant tous les jours. Mr Bou. m'explique
qu'aujourd'hui il respecte les règles scrupuleusement, ne voulant pas
être renvoyé « où irais-je alors ? » ! En effet,
« en cas de non-respect du règlement ou de troubles graves au bon
ordre, la direction en avertit le gestionnaire qui a la faculté de
prendre les mesures qui s'imposent, y compris le transfert ou l'expulsion
» (art. 21 du ROI).
6.6 Une situation qui coince
Je terminerai ce chapitre par une situation courante
mettant en avant et confrontant ces 4 dimensions, appliquant la méthode
d'Anselm Strauss (1992b) : l'analyse de différents points de vue
d'acteurs autour d'un événement précis qu'est ici, la
chute d'une résidente en pleine nuit. Mme De. est une personne
démente et fortement désorientée. La nuit, elle se
lève et se promène dans la maison. Elle se perd et tente alors
d'entrer dans les chambres d'autres résidents, parfois en
s'énervant. La nuit du 06 au 07 février, vers 3h00, Mme De. tombe
non loin de la porte de Mr et Mme W., se cognant la tête contre la rampe.
Ces derniers se réveillent et Mme W. sort. Leur voisine, Mme C., appelle
l'équipe de garde qui après un court instant arrive et accompagne
Mme De. dans sa chambre. Le lendemain je la vis, son visage était
couvert de bleus.
Au petit matin du 07 février donc, au rapport
infirmier (roulement d'équipe), une des soignantes de nuit se plaint du
comportement de cette résidente, bruyante et dérangeante pour les
autres résidents et dangereuse pour elle-même. Elle demande alors
à la directrice nursing si des mesures de contention ne pourraient pas
être envisagées. Directement, Mme Petit s'écrie : « il
n'est pas question de barreaux ici ! », l'utilisation de mesures de
contention ne rentrait pas dans la philosophie de la maison, « en plus,
c'est illégal sans prescription... ». La soignante de nuit reprit
alors, « et des calmants peut-être ? », « Non, reprend Mme
Oste, prenant la relève pour la journée, elle ne réagit
pas bien aux calmants... ». La directrice nursing se rend compte de
l'impasse de la situation et termine par : « c'est un problème,
mais c'est comme ça... ». Aucune solution envisagée pour
résoudre la situation, le rapport prit fin.
Dans la matinée, je me rends dans le bureau de
Mme Petit pour reparler de cet événement. Elle m'explique que
dans ce cas, c'est la personne individuelle « qui a gagné »,
elle restera libre de ses mouvements, comme la maison le demande ; les autres
résidents, la collectivité, « ont perdu » la bataille,
et devront subir les allées et venues de cette
résidente
76
démente jusqu'au jour où elle ne saura
plus marcher. La maison garantissant la liberté de la personne, aucune
mesure de contention (dure ou molle) ne peut être envisagée. Plus
encore : « normalement, ajoute-t-elle, il faut placer les lits le plus bas
possible... si on pense que le résident risque de tomber, on peut mettre
un tapis de mousse au pied de son lit pour qu'il ne se fasse pas mal en tombant
par exemple... mais on ne peut pas le maintenir au lit ». On
préfère ainsi que le résident tombe, se lève,
réveille les autres plutôt que de le contraindre à rester
couché. Entre bien-être de la communauté et respect de la
mobilité individuelle, le deuxième choix prime. Et elle termine :
« personne n'a la faute... C'est une situation qui coince...
».
K. Wetzelaer, formateur de soignants notamment
concernant la contention, décrit bien cette tension entre
liberté de la personne qui a le droit d'aller et venir et
contention qui garantit pourtant la sécurité autant
d'elle-même que de son entourage. Tout le noeud est ici : comment
allier liberté et sécurité ? Contenir une personne
immobile, comme le demande la soignante de nuit, irait à l'encontre des
principes de la maison, suivant cette philosophie palliative du «
non-forçage » mais de l'incitation (informations des fiches de
formation).
Du côté des résidents, Mr et Mme
W. ainsi que Mme C. s'énervent contre cette personne qui frappe aux
portes, les ouvre et entre dans leurs chambres. Mme W. me raconte que trois
fois la semaine précédente, elle s'était levée,
entre 3 et 4 heures du matin, pour raccompagner cette dame dans sa chambre.
Pourquoi vous n'appelez pas alors l'infirmière de nuit? «
Oh, elles ont tellement de travail, on ne va pas les déranger pour
ça ! » elle ajoute : « et puis, souvent la fille, elle dort,
et elle a bien raison d'ailleurs, c'est normal, je vais pas la réveiller
pour reconduire cette dame alors que moi aussi je sais où est sa
chambre... ». On sent alors la tension entre le domicile qui devrait
être un espace intime et privé et la vie en collectivité,
notamment avec des déments. Pourtant, Mme W. se rend compte que cette
dame n'y est pour rien, qu'elle est malade, elle se rend compte qu'il n'y a pas
de solution puisque appeler l'équipe nuit ne résoudra pas la
situation, Mme W. sait qu'elle doit prendre sur elle et supporter les
dérangements « de cette situation qui coince ». Soit le
schéma :
77
... où la liberté d'une personne est
privilégiée au détriment de la tranquillité des
résidents, du personnel, et de la santé de cette dernière.
Ceci rejoint le constat que Goffman pose dans son analyse d'un hôpital
psychiatrique : « la conviction qu'il faut, dans son intérêt
[d'un reclus], respecter certaines règles peut imposer la
nécessité d'en violer d'autres, ce qui exige un difficile dosage
des fins poursuivies » (1968 : 125).
***
Négocier un ordre social (Strauss et c o.
1997) mêlant acteurs hospitaliers, philosophie palliative,
préservant des « chez-soi», le tout entouré de
contraintes institutionnelles, telle est la difficile mission de la maison de
repos et de soins. Antoine Hennion, à propos de l'art, pose la question
: « Comment rendre compte de ce qui se passe sans considérer d'un
côté l'oeuvre, la production culturelle, de l'autre le public ?
Comment dépasser ce grand partage ? » (1993 : 216). Ce grand
partage, je tente de le surmonter dans la suite de ce mémoire en mettant
en avant les micro-scènes quotidiennes, formant le monde quotidien,
formant « la » prise en charge des personnes âgées,
tiraillée entre ces philosophies distinctes, entre ces trois «
types-idéaux », encadrés de contraintes
institutionnelles.
Tout d'abord, si de prime abord, tous les acteurs en
jeu s'accordent sur l'objectif principal de la maison, ces derniers
l'appliquent différemment au quotidien, selon leur vision, leur valeurs,
etc. J'ai déjà montré qu'il existe une forme de
rétention de l'information de la part du personnel nursing (cf.
Supra), les tensions ne s'arrêtent pas là et s'illustrent
de nombreuses façons. Comment le bien-être des
résidents prend-t-il forme, prend-t-il « acte » (Baszanger
1995) selon les différents acteurs ? Entrons dans le chapitre
7.
78
CHAPITRE 7 :
VOUS AVEZ DIT BIEN-ÊTRE ?
Pascale Molinier (2013) pointe un
élément intéressant pour ce mémoire : chacun,
à partir de sa position, de son expérience, a un point de vue
personnel sur ce qui est bon pour la personne prise en charge. Cela
crée alors des tensions autour du « care »76,
entendu ici comme le « souci de l'autre » (de Hennezel 2004), «
l'attention à l'autre » (Tronto 2009), comme comportement cherchant
à comprendre les besoins de l'autre pour qu'il se sente bien.
Cette notion de « care » ne reprend pas un nombre d'actes
précis, au contraire, elle varie pour chaque personne, pour chaque
résident. De tous petits actes banals, quotidiens participent au confort
de la personne (Soliveres 2001 ; Véga 2000). Mme Oste, m'explique que
certaines aides-soignantes ne soulèvent pas cette importance
:
«Parfois ils se rendent pas compte mais changer
le lit d'une personne, ou bien changer son pampers, c'est beaucoup plus
important pour la personne que le reste ! Vous vous rendez pas compte comment
ils sont soulagés quand on les change ! C'est ça aussi qu'il faut
se dire, c'est aller plus loin que l'acte lui-même hein... c'est pas
juste changer une personne qu'ils font, c'est participer à son confort,
c'est la soulager ! » (Mme Oste).
Ainsi cette chef infirmière cherche à
casser l'idée des aides-soignantes qui se voient comme « personnel
de renfort », chargé d'activités moins dignes de respect
(Becker 1988 : 41). Cette division morale du travail (Arborio 1995) s'appuiant
sur la technicité des tâches, les odeurs, etc. bref sur les
aspects pratiques du travail, me semble accentuée par le mode de
fonctionnement bureaucratique, amenant une concentration sur les moyens et non
sur les fins.
Le travail du care, non quantifiable, non
définissable, non énumérable, s'illustre donc dans tous
les petits actes quotidiens qui permettent le bien-être de la personne.
Le « care » étant une notion perméable et
malléable suivant le contexte dans lequel elle évolue, comment
s'effectue-t-il en MRS, balancée entre les trois lieux décrits
ci-dessus ? Si dans les discours, chaque acteur agit pour le
bien-être de la personne, ceci illustre le « contrat de base de
l'institution » sur lequel « tout le monde est d'accord »
(Strauss 1992b : 95) dans les pratiques, les comportements diffèrent. Il
s'agit ici de « l'objet-frontière » aussi robuste que souple
d'Isabelle Baszanger (1995 : 173), offrant une position commune face à
l'extérieur
76 Pour aller plus en profondeur sur cette notion :
Moliner P., Laugier S., Paperman P. (dir.), (2009). Qu'est-ce que le care ?
Souci des autres, sensibilité, responsabilité, Petite
Bibliothèque Payot.
79
(renforcement du in-group) mais s'effectuant
de différentes manières au sein de la population
étudiée. Comment se met en pratique le bien-être
de la personne ? Comment se soucie-t-on d'elle ? Il s'agit de
« comprendre comment l'homme réalise des choses » (Hennion
1993 : 34).
7.1 Stimuler
« Une personne qui veut rien faire, qui reste dans
son lit, c'est pas bon ça ! » (Mr Marc)
Depuis janvier 2013, tous les vendredis
après-midi, dans les « zones publiques » des ailes
médicalisées, se tiennent de « petites fêtes ».
Musique, collation et verre de bulles (sans alcool) sont au rendez-vous ! C'est
l'occasion, me dit le directeur, de créer un cadre de vie plus amical
que le cadre de vie hospitalier, l'occasion également de permettre aux
résidents de se connaître entre eux ainsi que d'approcher le
personnel d'une manière moins formelle. James Scott (2008) montre que ce
genre de fêtes permettent de renverser les rapports de force et de
libérer la parole des uns et des autres, rendus égaux pour un
court instant. Cependant, à ces fêtes ne participent qu'une petite
partie des résidents, tout au plus à une dizaine par
étage.
« Participer » semble néanmois un
terme un peu fort : certains résidents « amenés
»77 à la fête sont totalement déments. Ils
ne « participent » pas mais « sont présents ». Et
encore, j'ai déjà relaté le cas de Mr Ci. ne
désirant pas prendre part à la fête mais trop
désorienté que pour retrouver seul le chemin de sa chambre. Ce
résident s'est vu « obligé » de rester le temps d'une
demi-heure et de boire son verre de bulles. Au sein de cette dizaine de
résidents, certains donc ne désirent pas y participer mais y sont
quelque peu contraints.
Comment expliquer ce peu de motivation des personnes
à se rendre aux fêtes organisées ? Il peut s'agir d'une
conséquence du regroupement MR / MRS dont j'ai déjà
parlé : le désir de non-participation, principalement
observé chez les résidents valides et autonomes. Dans l'esprit de
ces personnes, ces fêtes animent ceux qui n'ont rien d'autre à
faire, assez « gaga » pour claquer des mains comme des enfants devant
un show de marionnettes :
«Ils font des fêtes là-bas... ils
mettent de la musique et alors ils dansent et font je sais pas quoi... mais
moi, non. Moi non j'ai pas envie d'aller là » (Mme De.) ; «
Alors ce qui est fou, c'est le vendredi, ils font leur petite fête
là, ils boivent des petites bu-bulles, y a d'la musique, et les
débiles alors, ils tapent dans les mains, ils sont contents ! Pfff...
» (Mr Bou.)
Le directeur me dit également être
mécontent de la tournure que prennent ces fêtes : selon lui, le
personnel doit être au service du résident, chercher à le
satisfaire en premier. Or
77 « Amenés » : soit se
déplaçant en chaise roulante ; soit
désorientés
80
lors de ces fêtes, le personnel apporte de la
musique africaine et/ou arabe et non de la musique des années 60'
pouvant plaire aux résidents. Mr Marc déplore le fait que le
personnel danse et rigole sans prêter attention aux résidents,
alors spectateurs, au lieu de les poser en acteurs principaux. Ce que j'ai
observé diffère quelque peu. Certes la musique est principalement
(nord) africaine mais les résidents ne sont pas négligés
pour autant, ils sont invités à danser, à rires, à
parler, etc. Il ne faut pas oublier que viennent principalement à ces
fêtes, les personnes que l'on « amène », moins mobiles
et/ou vives d'esprit, ne facilitant pas la mise d'ambiance...
Encadré 11 : La partialité du directeur
en jeu
Mme Chi. a compris que le directeur était
« du côté » des résidents. De fait, lors des
conseils des résidents, le directeur ne cache pas qu'il comprend les
résidents et qu'il est avec eux. Il demande même parfois le nom de
la personne ayant, d'après le résident plaintif, mal agi pour la
convoquer dans son bureau par la suite. Il évite ainsi les faces
à faces, servant d' « écran protecteur » (Busino 1993 :
99) entre les soignants et les résidents. Bref, Mme Chi. a bien compris
cela et en joue devant le nouveau personnel : elle les teste, leur demandant de
nombreux services (des « caprices » selon l'équipe du second),
les menaçant, s'ils ne les effectuent pas, de se plaindre au directeur.
Une jeune aide-soignante est ainsi arrivée à la pause,
complètement perturbée par Mme Chi. qui l'avait rendue folle en
demandant de l'eau puis refusant le verre, puis vidant ce dernier d'un trait et
redemandant de l'eau, pour ensuite écraser le verre (en plastique),
énervée, et le jeter par terre... L'équipe nursing du
second la rassura directement, elles connaissaient ses caprices, il ne faut pas
s'inquiéter pour cela. La stratégie de cette résidente est
donc éphémère... jusqu'au nouvel arrivant !
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Pour rappel, une fête d'anniversaire est
organisée mensuellement à la cafeteria. Néanmoins, et ici
il s'agit des dires du directeur de nouveau, ces fêtes ne ravissent pas
tous les résidents : pour certains, ce n'est qu'une occasion
supplémentaire de leur rappeler qu'ils sont seuls et qu'ils
vieillissent. C'est le cas d'une résidente fêtant ses 108 ans,
félicitée par l'échevin de la ville de Bruxelles et
interrogée par les journalistes alors qu'elle vivait cette année
supplémentaire non pas comme un prestige mais plutôt comme une
fatalité. Ces fêtes réunissent d'un côté les
personnes âgées entourées par leur famille et de l'autre,
les isolées, « accentu[ant] la solitude de ceux vivant en
communauté » (Mallon 2005 : 157).
De nombreuses activités se voient
également organisées : activité mémoire, chorale,
mots croisés, cinéma, etc., prises en charge par Mme Redman,
ergothérapeute, portant un uniforme blanc à l'instar du personnel
soignant. Ce port de l'uniforme illustre selon moi le désir de rendre
l'activité « professionnelle » et d'ainsi se détacher
du « simple délassement ». Par exemple, l'activité Wii
permet d'entretenir les réflexes des résidents me
dit-elle,
81
s'inscrivant ainsi pleinement dans l'objectif de la
maison : stimuler la personne pour stabiliser, maintenir son état,
stimulation devenue impératif médical (Mallon 2005). Cette
activité permet d'un côté le maintien en forme physique
« après ça, on sent ses bras hein ! c'est bien de bouger un
peu ! » (Mme M.) ; « pour maintenir le cerveau en action » (Mr B
ou.) ; de l'autre, permet aux résidents de se rencontrer, d'entretenir
une vie sociale dans la maison. Ainsi toutes ces activités « sont
regroupées selon un plan unique et rationnel, consciemment conçu
pour répondre au but officiel de l'institution » (G offman 1968 :
48).
Cependant, durant ces activités, les
résidents ne se parlent pas. Les conversations n'avaient lieu qu'entre
résidents (A et C) et ergothérapeute (B), comme si les autres
résidents présents « n'étaient pas là »,
des « non-personnes » (G offman 1973a : 147), n'entrant pas en compte
dans l'interaction. Le réseau social alors apparent prend la forme d'un
réseau de liens non-redondants (Godechot et Mari ot : 2004).
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Le bien-être selon « la direction
»78 s'illustre donc comme suit : faire participer les personnes
à la vie sociale, éviter l'isolement et le désoeuvrement,
effectuer un « travail socialisateur » (Castra 2003), leur faire
rencontrer d'autres résidents, entretenir des relations sociales dans
des conditions voulues agréables pour tout le monde,... le tout afin
d'éviter la mort sociale de l'individu. La maison de repos et de soins
devant répondre de la définition « lieu de vie », le
directeur, aidé du personnel, tente d'y introduire une vie quotidienne
animée, des contacts sociaux, de la conversation, etc. bref, du
mouvement.
Cependant et pour rappel (cf. Chapitre 2), Delphine
Dupré-Lévêque note que les institutions actuelles de prise
en charge, contrairement à celles des années 70', n'ont plus le
pouvoir d'obliger les résidents à participer à la vie
collective, même si ces activités sont estimées
nécessaires à la « stabilité de leur identité
» (2005 : 221). Ainsi malgré un désir de les stimuler, le
personnel aurait moins de légitimité d'y arriver. Cela confirme
mes observations.
Ce non-engagement s'explique par d'abord des
critères purement physiques : surdité, mauvaise articulation,
démence,... Tout cela entrave la conversation entre résidents.
Mais, comme je le disais plus tôt, il me semble qu'une grande partie de
l'explication tient au regroupement de divers degrés de démence
dans la maison. Les résidents « moins abîmés » ne
désirent pas spécialement participer à la vie de la maison
de repos et de soins, ne veulent pas se mêler aux résidents
déments au risque peut-être d'y être comparés. Ils
préfèrent alors
78 Entendez ici la philosophie générale de
la maison, illustrée par le directeur.
82
« s'instruire à la
télévision » (Mme Van.) ; coudre (Mme C o.) ; lire (Mme Ve.)
; surfer sur internet (Mme Va.), etc. Ensuite, entreprendre une relation avec
un autre résident est toujours risqué. Ainsi Mme De. s'est
investie dans l'accueil d'une résidente plus jeune, la présentant
aux autres, lui montrant la maison, l'emmenant avec elle lors de sorties, etc.
pour, au final, recevoir une série d'insultes de cette dernière,
souffrant de troubles comportementaux. Bouleversée, elle me jura que
plus jamais elle ne l'aiderait ! Mme W. également était amie avec
Mme Ve. mais cette dernière, devenue trop envahissante, surveillait tout
ce qu'elle faisait, Mme W. décida de couper les ponts et ne lui adresse
aujourd'hui plus la parole. Mme Du. elle, avait pris l'habitude de jouer au
scrabble avec une autre résidente, il y a de ça 2 ans. Cette
dernière a décliné très vite et se trouve
aujourd'hui démente. Mme Du. m'explique qu'elle avait essayé
d'aider cette amie, de la prendre en charge, mais que très vite, cette
situation était devenue trop lourde. Aujourd'hui, elle ne la voit plus.
Mme Hu. c onnait la même situation avec sa soeur dont elle s'occupe
malgré les conseils de l'ergothérapeute lui demandant
d'arrêter ses efforts et de se reposer... et les exemples
continuent.
Un engagement envers un autre résident ou une
relation d'amitié engendrent un risque de perte, de peine, de relation
trop encombrante (Mallon 2005), de contamination morale (Goffman 1968).
Toutefois, les résidents plus valides profitent des activités
extérieures (comme aller à l'opéra) pour apprendre
à se connaître en petit comité. Mme De. ainsi me raconte
qu'elle adore écouter Mr Bou. et Mr De., selon elle, très
intelligents et cultivés ! Attention, il arrive de voir deux personnes
se prendre d'amitié, l'une pour l'autre, à l'intérieur de
la maison, comme Mr J. et Mme Ma., discutant de leur passion commune, la
lecture.
Ainsi, on le voit, le désir de stimulation
sociale, intellectuelle et physique, prônée par le personnel, ne
semble pas répondre entièrement aux désirs des
résidents79. Ils préfèrent semble-t-il rester
seuls et vaquer à leurs occupations personnelles plutôt de
façon isolée. Ces comportements de replis sur soi ne participent
alors pas à l'idée d'une maison de repos et de soins comme «
lieu de vie », ni à l'idée d'une atmosphère vivante
et dynamique, bref à l'idée que « nous » (entendu ici
comme vous et moi, toujours dans la vie active) nous faisons d'une vie en
collectivité. Il y aurait une forme de transfert, une projection de ce
qui « nous » (illustré par les personnages du personnel et du
directeur) fait plaisir, sur les résidents. La maison se base sur le
postulat qu'une vie agréable se doit d'être remplie
d'activités et de contacts sociaux, de fêtes et
d'activités, à l'instar de nos exigences de vie, alors que les
personnes interrogées au contraire, semblent donner la primauté
à la tranquillité, qu'on ne les embête pas. Mr Le.
me
79 Attention, je parle des résidents ayant le
choix d'y aller ou non : des résidents autonomes et
indépendants.
83
raconte ainsi, ne voyant pourtant pas
l'intérêt de participer aux activités organisées,
qu'il a donné son accord à l'animatrice « pour qu'elle me
laisse tranquille ! Et pour lui faire plaisir aussi... » et s'est rendu
à la guinguette80 organisée dans un
établissement non loin de là. Aujourd'hui il ne participe pas
pour autant plus aux activités, mais au moins, maintenant, l'animatrice
« le laisse tranquille » et ne vient plus lui demander de faire un
effort pour venir.
7.2 Converser
« Bonjour ! » ; « ça va ?
» ; « Vous avez bien mangé ? » « bien dormi ? »
; ... Ces phrases, Mr Marc les déplore. Le personnel, d'origine
étrangère (cf. chapitre 4), n'a pas les capacités, selon
lui, de parler d'autre chose avec les résidents car ils ne partagent pas
la même culture, pas les mêmes références
historiques. De plus, dit-il, le personnel ne devrait pas parler arabe ou
swahili devant les résidents car cela les exclut de la conversation (de
nouveau ici l'idée de « non-personne » de Goffman 1973a). En
plus d'illustrer un manque de respect, ce peu de conversation, toujours selon
lui, entraînerait dépression et angoisse chez les
résidents.
Cependant, lorsque je demande à Mr Boe. s'il
désire parler de son histoire personnelle, il me répond par la
négative. Il a trop peur que les souvenirs des autres n'entravent sa
mémoire et ne contredisent les siens. Je suppose de nouveau que Mr Marc
part du postulat que les résidents ont envie de parler, ont envie de
converser avec le personnel, on retrouve ici encore l'idée de transfert
où ce que devrait être le bien-être selon un homme de 37
ans, vif d'esprit, actif, cultivé, et possédant encore toutes ses
fonctions (notamment la parole, l'ouïe) se voit appliquer sur des
résidents de +- 80 ans, plus usés par la vie. Ces derniers ne
préféreraient-ils pas entendre des voix plutôt que
de participer à une conversation ? Pascale Molinier (2013)
s'est posée la même question et remarque, également en MRS,
que les soignantes parlant en arabe lors de la sieste des résidents,
n'empêchent pas ceux-ci de s'assoupir, bercés par les
voix.
Attention, loin de moi l'idée que les
résidents n'ont pas envie de conversation ! Je pointe seulement le fait
qu'ils vivent dans un corps différent du nôtre, avec des envies
différentes également que celles d'hommes et de femmes actives.
Peut-être sont-ils contents parfois de ne pas devoir faire d'effort de
compréhension, ni de réponse. Le postulat du directeur qu'il faut
faire parler les résidents, les mettre au centre des conversations
sinon ils dépriment est peut-être alors à
nuancer.
80 Fête organisée une fois par mois tour
à tour entre les cinq établissements du CPAS de
Bruxelles-Capitale
Il existe ici donc une certaine tension entre le fait
de vouloir surveiller la personne et le désir de cette dernière
de préserver son intimité. Anselm Strauss observe la même
situation à
84
7.3 Surveiller
« On lui a tellement répété
qu'il était chez lui, que c'était chez lui sa chambre, que
après, plus personne ne pouvait y entrer ! ça je trouve pas
ça normal moi ! A force de crier tout le temps chez-soi, chez-soi,
on arrive à des situations où on ne peut plus entrer dans
les chambres ! Oui d'accord, c'est leur chambre, mais il reste en maison de
repos ! et nous on doit pouvoir y entrer, on doit les surveiller ! Là,
aucun membre du personnel ne pouvait entrer dans sa chambre, «
jusqu'à la fin de sa vie » qu'il avait dit. Alors nous, on lui a
expliqué que c'était une question de sécurité,
qu'on devait voir si tout allait bien. Sinon à quoi ça sert de
venir en maison de repos ? » (Mathilde, A-S)
Selon cette aide-soignante, prônant une logique
médicale (pôle hospitalier) plutôt que d'hébergement
(pôle domicile) (Mallon 2005 : 18), le but premier d'une maison de repos
reste de surveiller, d'assurer le « safety wor'c » (Strauss 1997 :
69), au détriment peut-être de leur vie privée et de leur
désir de solitude. Son argument principal se base sur on ne sait
jamais ce qui peut se passer d'où l'accès nécessaire
aux chambres de façon permanente. Mme Oste, infirmière chef,
m'explique également, qu'il y a toujours quelqu'un qui passe, au moins
une fois dans la journée, même s'il n'y a rien de spécial
à vérifier (cf. chapitre 9). Ainsi, « on sait toujours tout
! ». Cela rejoint l'idée de panoptique où les états,
les humeurs, les changements de la personne sont connus (Castra 2003 : 134),
situation similaire au sein de l'hôpital, comme le montre Foucault
(Vandewalle 2006). La définition du bien-être de la personne tend
ici à s'illustrer par le maintien de l'état de bonne
santé, garantie par la surveillance continuelle du personnel. Ceci
illustre une des conséquences sociales de la médicalisation de la
vie, à savoir « le passage de la surveillance médicale du
pathologique à la surveillance médicale du pathologique et
d'autres sphères de la vie » (Drulhe et Clément 1998 : 83).
Il faut aujourd'hui déjà surveiller les futurs potentiels malades
(Conrad 2007 : 151).
Du côté des résidents, comme je
le mentionne plus haut, c'est le désir de tranquillité qui prend
le devant. « On n'est jamais tranquille, jamais ! On dit maison de
repos mais c'est pas du tout du repos ! » (Mr Li.) ; même chose
pour le couple W. face aux allées et venues dans leur chambre : «
on n'est jamais tranquille ici !! » et ils ajoutent « une fois c'est
pour vous réveiller, une autre fois, c'est pour les médicaments,
puis l'après-midi, on ne sait jamais quand (!), c'est le 'ciné !
» ; Mme B o. elle, a décidé de fermer continuellement sa
porte à clé, ainsi me dit-elle, le personnel est obligé
d'attendre pour entrer ! (cf. supra, l'intimité et
l'intrusion).
85
l'hôpital : « à l'hôpital,
les infirmières ont tendance à voir toute expression ou tout acte
pour trouver l'intimité comme une façon de les rejeter et ont du
mal à le comprendre ou à le tolérer» (1992b : 128).
Cela semble également être le cas dans la maison
observée.
Toutefois, d'autre, comme Mr Le. et Mr Boe. trouvent
cette surveillance bénéfique : sachant qu'il y aura toujours
quelqu'un à appeler en cas de soucis, ils se sentent en
sécurité. Mr Le. (me parlant des repas) : « si on n'est pas
là dans les 5 minutes, alors ils appellent et on vient vous chercher !
Ah non, pour ça c'est très bien ! Moi je trouve ça bien !
» Mme C o. partage également ce sentiment et la surveillance
continuelle était une des raisons recherchée par son
entrée en institution, « ici y a toujours quelqu'un hein... et
ça, c'est bien! ».
L'architecture de la maison pourrait être un
premier élément pour mieux comprendre ces divergences d'opinion,
les espaces « particip[ant] aussi à la définition et
à la production de [...] rapports sociaux » (Castra 2003 : 127).
Souvenez-vous : d'une part, il y a les ailes médicalisées, de
l'autre, les non médicalisées, réservées aux
résidents plus indépendants. Dans ces secondes parties, le
personnel se fait beaucoup plus rare et n'y circule quasiment que le personnel
d'entretien. S'y sentirait alors un sentiment plus grand de calme et
d'isolement et une vision bénéfique de la surveillance, cette
dernière plus éloignée et moins directe ? Et au contraire,
dans les ailes médicalisées, une plus grande activité et
plus de bruit expliqueraient ce sentiment de « non-repos » et une
vision plus négative de la présence de personnel ? Il en
découle que le sentiment de non-tranquillité pourrait s'expliquer
ici par une présence plus ou moins importante de personnel. A cela il
faut évidemment ajouter les différences de caractère, les
raisons de l'entrée en MRS, les désirs de la personne,
etc.
Bref, ce désir de tranquillité et de
vie privée dont j'ai déjà parlé
précédemment s'oppose au désir de surveillance par le
personnel, pour qui cette surveillance fait partie d'un devoir de
sécurité, permettant de garantir la bonne santé de la
personne, et ce suivant l'idée que « la santé est un
état général de bien-être » (art. 2/b du
ROI)81. Cette prévention du risque se retrouve d'ailleurs
dans de nombreuses situations quotidiennes frustrant ainsi certains
résidents plus valides (cf. plainte des couteaux
non-tranchants).
81 J'aurais pu également parler ici de
l'utilisation de cette surveillance par les résidents. Leleu (2000),
Amyot (2013), Caron (2000) remarquent que les personnes âgées se
conforment au rôle que l'on attend d'elles et apprennent à
séparer les « demandes recevables » des « irrecevables
» (Leleu 2000) afin d'utiliser les « recevables » à
d'autres fins : ainsi une personne se sentant seule se plaindra d'une douleur
somatique pour faire venir une soignante et avoir quelqu'un avec qui parler.
J-J Amyot parle ainsi du « paradoxe de l'expert » illustrant le fait
que les experts croient connaitre les personnes âgées alors que
ces dernières cachent leurs réels désirs pour se conformer
aux désirs attendus et entendus.
86
7.4 Se reposer
Une des caractéristiques communes aux
institutions totalitaires sont de casser « les frontières qui
séparent ordinairement [l'endroit où l'individu dort ; l'endroit
où il travaille ; et l'endroit où il se distrait] » et
d'appliquer au reclus « un traitement collectif conforme à un
système d'organisation bureaucratique qui prend en charge tous ses
besoins, quelle que soit en l'occurrence la nécessité ou
l'efficacité de ce système » (Goffman 1968 : 48). Une MRS
offre ainsi au résident une prise en charge totale et comble les besoins
qu'elle considère comme nécessaires : repas, lit, soins,
délassement. Contrairement au siècle dernier, on n'attend ni
aide, ni travail de la part des résidents et cette prise en charge
matérielle (mais non décisionnelle, cf. chapitre 2) est
considérée comme bénéfique pour le résident
: il peut enfin se laisser gâter, se laisser vivre. Leur bien-être
passant entre autre par la suppression des tâches domestiques, les
résidents sont dépossédés de la gestion de leur
quotidien, pour leur bien (Mallon 2005 : 147).
Cependant, pour un homme, une femme, ayant
travaillé toute sa vie, ayant tenu un ménage, se voir retirer
tous ses devoirs domestiques peut amener un sentiment de désoeuvrement,
voir d'inutilité. Ainsi Mme Du. me raconte qu'arrivée dans la
maison, elle a demandé un balai : « « Non, non, vous
êtes ici pour vous reposer ! » qu'ils m'ont dit!! ». Elle ne
s'avoue pas vaincue et demande alors au restaurant pour aider à
débarrasser les tables, « pour faire quelque chose d'utile ! Je
voulais me rendre utile ! », ce qu'elle fit pendant 2 ans. Aujourd'hui, ne
pouvant plus mener à bien cette tâche suite à un bras
défaillant, elle s'ennuie et elle déprime, « tout est fait
pour moi... je peux plus rien faire ! »...
De nouveau, d'autres résidents trouvent cette
prise en charge totale très positive : Mr Le. demanda également
un balai à son arrivée : « alors ils ont rit ! Ils m'ont dit
qu'ici je n'avais pas à nettoyer ma chambre !! ... Oh ben moi, j'me suis
dit : ah bon, ben... la bonne affaire quoi, je dois même pas nettoyer ma
chambre ! » et il rit.
Deux réactions devant une même
situation, deux profils de personnes totalement différents : Mme Du.
semble être une personne assez négative, elle souffre
énormément « des nerfs », se sent rejetée des
activités organisées, elle ne voulait pas entrer en maison de
repos mais le maintien à domicile n'était plus possible. Selon
les terminol ogies82 de Dupré-Lévêque (2001) et
Mallon (2005), elle se placerait du côté des «
inadaptés ». Mr Le., jeune résident (62
82 Selon ces auteurs, il y a trois trois
façons de vivre en maison de repos : 1) La personne moulant sa vie
quotidienne à celle de l'institution. Elle a intériorisé
les contraintes institutionnelles et ne les ressent plus (obéissance -
soumission). 2) La personne continuant à mener une vie personnelle
extérieure. Les règles, également
intériorisées, forment son cadre de vie (équilibre). 3) La
personne qui subit plutôt que ne vit l'institution : révolte,
fuite, ennui et mauvaise adaptation (inadapté).
Ce désir de « se rendre utile »,
« continuer à faire seul » est théorisé par S.
Clément et J. Mantovani (1999) sous la notion de « déprise
inquiète ». Si celle de « déprise » signifie
« le
87
ans), siffle et rit facilement. Un accident de moto
(le jour de ses 40 ans) l'a forcé à arrêter de travailler
et à se rendre à l'armée du salut où il a
vécu (et travaillé) pendant 20 ans. Cette personne, plutôt
positive, ne participe pas aux activités collectives, elle s'occupe
seule (écoute de la musique classique et sorties extérieures).
Ainsi, il se placerait du côté de « l'équilibre
», une personne mi-dedans, mi-dehors.
Selon le degré d'acceptation de sa nouvelle
condition donc, le résident interpréterait les règles de
l'institution comme des contraintes ou comme, au contraire, des points
positifs. Cette explication est également valable pour la surveillance
(vue comme positive ou négative en fonction du vécu
antérieur de la personne et des raisons de son entrée en
établissement), et ceci rejoint l'idée de Goffman (1968) et
Mallon (2005) suivant lesquels, les conditions d'entrée en
établissement influencent fortement le processus d'adaptation à
l'institution.
Ce sentiment d'inutilité peut amener certains
résidents très loin : Mme Ve. m'explique ainsi qu'elle aimerait
pouvoir se faire euthanasier car, devenue complètement inutile, elle
occupe une chambre alors que quelqu'un d'autre en aurait peut-être
besoin. Pour la psychologue de la maison et le médecin, il n'y a aucune
raison de lui accorder le droit de mourir. Mais ceci touche un autre
débat, que pour rappel, je n'ai pas droit d'aborder ici...
Toutefois, certains résidents pallient
à ce désoeuvrement par de nombreuses petites stratégies,
tels de « petits îlots de vie active » (Goffman 1968 : 115).
Ainsi Mr K., ancien SDF, a pris le rôle de facteur de la maison : il
prend en charge la distribution de courrier entre différents
établissements du CPAS. Ce résident, d'après Mme Oste,
aurait envie de rendre la pareille à la maison en se rendant utile,
comprenant la chance qu'il avait à y séjourner. Mme Dé.
elle, s'est approprié une fonction d'aide-logisitique, elle va et vient
dans la maison, chercher telle chose pour un membre du personnel, conduire un
résident à la chorale, en amener un autre au cinéma, etc..
Mme Hu., se rend utile à la lessive, en repliant des vêtements,
« elle nous aide beaucoup quand elle vient ! » m'informe la
responsable lingerie.
Si les cas ci-dessus ne concernent que peu de
résidents, de nombreuses personnes, principalement MR se sont
arrangées avec le personnel pour continuer à faire leur lit :
« tant que je sais encore le faire, alors je le fais ! » Mme B o. ou
alors, « elles ont déjà tellement de travail ! Je vais pas
les embêter avec ça ! » Mme W.. (cf. encadré 1 : le
travail des résidents).
88
processus de réaménagement de la vie
qui tient compte des modifications dans les compétences personnelles, de
la trajectoire de la vie antérieure, des situations interpersonnelles
d'aujourd'hui dans un contexte social particulier » (Clément et
Membrado 2010 : 118), la notion de « déprise inquiète »
illustre, chez la personne âgée, la peur de perdre le
contrôle de son corps et donc le désir de travailler ce dernier.
Ainsi faire sa toilette seul, lire, découper son bout de viande,
deviennent des exercices de préservation des fonctions, plus que l'acte
lui-même accompli (le moyen prime sur le résultat de
l'acte).
On comprend ici toute la tension entre le
bien-être proposé par la maison de repos et de soins
s'illustrant par une prise en charge totale de la personne, une facilitation de
sa vie et une exemption des tâches ménagères et
domestiques, et de l'autre côté, certaines personnes
désireuses de toujours se sentir utiles, de continuer à faire des
choses, de faire travailler leur corps via de tous petits gestes. Cette prise
en charge de tous les besoins prônée dans la maison en fait alors
sa force d'attraction pour certains (ne plus rien devoir faire, se laisser
vivre) mais son talon d'Achille pour d'autres, se sentant alors
désoeuvrés et parfois inutiles.
***
Dans cet établissement clos, fonctionnant
comme entité presque autonome et autarcique, se côtoie un panel
très diversifié de profils, venant d'horizons très
variés, formant ainsi « réseau d'acteurs coopérant
dans l'accomplissement d'activités spécifiques » (Menger
1988 : 8), les résidents y compris. Dans ce réseau, chaque acteur
véhicule sa vision de ce qu'être bien implique, suivant
le pôle où il se place (cf. chapitre 6). Ainsi j'ai tenté
de montrer comment ces différentes mises en pratique de l'objectif
principal de la maison auquel tout le monde adhère, entrent en tension
dans les domaines de la stimulation, de la conversation, de la surveillance et
du repos imposés. Chaque acteur tend à faire valoir sa vision,
« se bat pour le premier rôle » (Moeschler 2011), créant
ainsi « un univers où rien n'est strictement
déterminé » (Strauss 1992b : 75).
Si ce chapitre était dédié aux
tensions sur le « fond », sur l'objectif «partagé »
de la maison, le chapitre suivant revient sur la « forme » et met en
avant trois logiques parallèles sous-tendant l'organisation du travail
au quotidien. Voyons donc ce qui se cache au-delà de la
hiérarchie.
89
CHAPITRE 8 :
AU-DELÀ DE LA HIÉRARCHIE
Travaille-t-on de façon identique dans une
entreprise, à tout hasard, agro-alimentaire de la région de
Tournais que dans une institution de soins de la région bruxelloise ?
Bien que les structures organisationnelles puissent se ressembler
(différents services, division et hiérarchie du travail), rien
n'est moins sûr. En effet, travailler sur du « matériel
humain » implique un autre rapport au travail que le travail sur objet ou
aliment, inanimé. De plus, travailler en équipe autour de
mêmes tâches, le « care », tâches relativement
stables au fil du temps et des années, permet l'acquisition de
savoir-faire au sein du personnel, supplantant quelque fois la
hiérarchie du travail. Enfin, et c'est ici un élément qui
pourrait être commun aux deux organisations présentées, les
coulisses (dans notre cas, les locaux de pause du personnel) offrent
également une autre forme d'organisation, alors informelle. C'est sur
ces trois situations que je me penche dans ce chapitre.
8.1 Histoire d'amour ou d'amitié, la question
des affinités
« La tâche du personnel d'encadrement
n'est pas d'effectuer un service mais de travailler sur des objets, des
produits, à cela près que ces objets, ces produits, sont des
hommes » (Goffman 1968 : 121)
Travailler avec du « matériel humain
» (Goffman 1968) implique, entre autres, le danger de confondre rôle
de soignant et de proche. Lorsque je demande aux soignants comment gérer
le fait de travailler sur ce matériel spécifique, voici leurs
réponses :
« Y en a qui sont gentils, y en a qui sont
méchants... mais on est censée répondre à tout le
monde ! On doit faire la même chose à tout le monde ! »
(Pauline, infirmière) ; « On doit être neutre hein ! Sinon on
fait pas bien son travail» (Aïcha, aide-soignante) ; «Moi je
donne les soins, je suis là pour les soins. Il faut garder la distance
entre les résidents et les soignants ! » (Mathilde, aide-soignante)
«moi je pars d'une logique qu'il faut être professionnel, c'est pas
bien d'installer cette relation. Moi je pense que c'est mieux d'être
égal avec tout le monde » (Julie, aide-soignante).
Ces discours relèveraient d'une forme de
« loyauté dramaturgique », c'est-à-dire du désir
de cacher des comportements contraires au rôle que l'on attend de la
personne. De plus, les acteurs « renforce[raie]nt leur façade quand
ils se trouvent parmi des personnes qu'ils ne connaissaient pas auparavant
» (Goffman 1973a : 210), c'est-à-dire devant moi.
90
Erving Goffman (1968) toujours note que, dans
certains cas, le travail sur l'homme peut s'apparenter au travail sur l'objet,
l'homme étant alors vu comme un article inanimé. Isabelle Mallon
pointe ce même constat concernant les personnes dépendantes :
« le traitement bureaucratique des résidents dépendants les
réduit à des sujets biologiques (au sens médical du
terme), sans plus tenir compte de leur dimension sociale et historique »
(2005 : 185). Qu'en est-il dans la maison observée ? De quelle nature
sont les liens ?
Choix affectif des
résidents
A cela ajoutons, Mr. Boe et sa relation forte avec
l'ancienne directrice ; Mme Dem. et son amie Christelle,
aide-ménagère ; Mr. Le et son amitié avec Viviane,
responsable cafeteria ; et sûrement bien d'autres !
Les résidents, on le voit, choisissent un ( ou
quelques, mais toujours très peu) membre(s) du personnel au(x)quel(s)
ils s'attachent particulièrement. Mr Marc connaît cette situation
: « chacun trouve sa personne de référence » me dit-il.
Pour Jérémy Fleury et Catherine Simard, l'entrée en
hébergement et le vieillissement de la personne ainsi que de son
entourage entraînent « des changements au niveau social : chez
certaines personnes, l'admission en centre d'hébergement engendre un
rétrécissement du cercle social. La perte d'un conjoint, la perte
des amis, l'éloignement de la famille peuvent conduire à
l'isolement et au repli sur soi » (2012 : 2). Albert Memmi (1997) parle
également de ce rétrécissement du cercle social avec
l'entrée en établissement. Selon lui, une des conséquences
de ce phénomène est l'importance croissante que prennent les
personnes de l'entourage direct du résident.
83 On peut supposer que plus une personne reste soutenue
par son entourage privé (ami, famille), moins elle sera
dépendante des liens créés dans l'institution. Mais ceci,
je ne l'ai pas vérifié.
91
Il faut garder à l'esprit également que
la sociabilité inter-résidents reste très faible,
situation due d'abord au souhait de rester extérieur et de ne pas
être comparé aux « gaga » et aux « débiles
» ; au désir de ne pas s'engager dans des relations trop
encombrantes ; et peut-être à ce que Mallon (2005)
décrivait comme une caractéristique d'une population moins
aisée, être moins friande de contacts sociaux (cf. chapitre 3).
L'entourage du résident se résumerait donc aux membres du
personnel, ceux-ci devenant les seules personnes potentielles pouvant combler
leur besoin affectif. Certains résidents pourraient alors créer
une forme de dépendance affective envers ces
derniers83.
Cependant, la profondeur et la nature des liens
diffèrent selon les parties de l'échange. Ainsi, Mme De. a
été fort peinée du comportement de
l'ergothérapeute, Mme Redman, avec qui elle pensait avoir une relation
bien particulière. Lorsqu'elle était malade en effet, Mme Redman
n'est pas venue prendre de ses nouvelles : « Oh j'étais
déçue de ne pas l'avoir vue ! Je ne comprends pas comment on peut
ne pas prendre de nouvelles ! ». Mme De. considérant
l'ergothérapeute presque comme une amie, s'attendait à ce que
cette dernière lui témoigne les mêmes sentiments en
retour... Or pour Mme Redman, Mme De. est peut-être une personne
très sympathique mais reste une résidente dans un ensemble de
résidents, dont elle s'occupe en tant que professionnelle.
Ces relations privilégiées,
décrites par Melville Dalton comme des « liens spontanés et
flexibles établis entre les membres de l'organisation sur base de
sentiments et d'intérêts personnels » (1959 : 219), les
résidents les utilisent pour faire passer des demandes plus
exceptionnelles et/ou plus personnelles (cf. encadré 3 : Gérer
l'exceptionnel). Si en entreprise ces liens sont utilisés pour
détourner des biens et des services (Dalton 1959), en MRS les
conséquences semblent moins nocives pour l'établissement : par
exemple, Mme Dem. demande à Christelle de se renseigner où a
disparu son pull. Cette dernière lui promet qu'elle mènera sa
petite enquête et qu'elle en parlera à la responsable lingerie
lors de leur pause cigarettes commune. Ces relations permettent
également de court-circuiter la hiérarchie en évitant le
passage par les échelons formels. David Conrath (1973) explique que ces
communications informelles sont nécessaires pour faire face aux
situations imprévues et exceptionnelles, il s'agit ici, pour reprendre
la terminologie de Mintzberg (1998), d'ajustement mutuel. Ainsi, Mme Dem.
aurait dû officiellement faire appel à une
aide-logistique ou une soignante pour que cette dernière constate la
perte du pull, en avertisse la chef d'entretien, Mme Moreau qui elle même
devait en informer la responsable lessive. Mme De. « utilise
»
84 Ce qui n'est ni l'avis d'Anne-Marie
Marché-Paillé (2010), ni de Marie de Hennezel (2004) pour qui la
familiarité se voit nécessaire pour une bonne prise en charge de
la personne par le personnel, même de soins.
92
également Mme Redman pour arriver à ses
fins : si officiellement les résidents doivent faire appel et
s'inscrire auprès de l'animatrice, Nadia, pour participer aux
activités extérieures, Mme De. demande à
l'ergothérapeute, Mme Redman, de l'inscrire à ces
activités et de venir la chercher en temps voulu. Mme De.
bénéficie ainsi d'un certain privilège (Goffman
1968).
Choix affectif du personnel
Ça vous arrive d'éviter un
résident que vous n'aimez pas ? Ou de favoriser un contact avec un autre
? Les réponses sont catégoriques : le personnel se dit
neutre et impartial. C'est d'ailleurs l'avis de la direction. Pascale Molinier
(2013) explique qu'au niveau directionnel, la familiarité est
considérée comme un manque de respect envers le résident,
de plus, cela nuirait au professi onnalisme84. Pourtant, selon
Erving Goffman : « quelque soit la distance que le personnel essaie de
mettre en lui et ces « matériaux », ceux-ci peuvent faire
naître des sentiments de camaraderie, voire d'amitié. Il existe un
danger permanent que le reclus prennent une apparence humaine » (1968 :
129).
Ainsi, le personnel utilisera de petits noms amicaux
pour certains, et les noms de famille pour d'autres ; vouvoiement des uns et
tutoiement des autres ; contacts physiques (prendre la main, pincer les fesses,
caresser la tête, etc. ) avec celui-ci mais pas celui là, petits
cadeaux pour certains, des remarques un peu brusques telle que « Hé
Monique ! T'as pris tes médoc' aujourd'hui ? », etc. « On peut
s'attendre à ce que les acteurs renoncent à maintenir strictement
leur façade lorsqu'ils sont avec des personnes connues depuis plus
longtemps [...] » (Goffman 1973a : 210). Le personnel se permet de laisser
tomber le masque de la profession pour laisser apparaître émotions
et affinités.
Bref, la neutralité (et nous sommes bien
placés en anthropologie pour le confirmer) semble un objectif complexe
à mettre en oeuvre dans le travail sur la personne. Quelles en sont
alors les conséquences ? Au niveau des résidents, Mr. Li. et Mme
Du. par exemple, se plaignent de favoritisme dans la maison. Mr. Li. «
sait » qu'il y a des échanges de cadeaux, de biens, que certains
résidents sont mieux traités que d'autres, etc. « mais on
ferme les yeux la dessus hein! ». Mme Du. « sait » que le
personnel privilégie certains résidents dans l'inscription aux
activés extérieures, « moi ils ne m'aiment pas, je le sais !
Alors j'ai jamais ma place ! », Mme B o. partage son avis : « oui
c'est dommage, c'est toujours les mêmes qui y vont... c'est un peu
dommage... mais bon ». Ces résidents « savent » sans
savoir vraiment, à
93
l'instar des rituels créés par Houseman
(2002) où les personnes voient mais ne voient pas tout, entendent mais
n'entendent pas tout, s'informant principalement par les bruits de couloir, qui
j'en témoigne, vont bon train dans l'établissement
observé...
Au niveau des tâches, Julie, aide-soignante, me
confie que « si on a un problème avec un résident, alors on
demande pour changer ou on attend un peu ». Malheureusement, je n'ai pas
récolté plus d'informations sur la définition de «
problème avec un résident », je ne peux que supposer qu'il
s'agit de problèmes dus à la confrontation entre le
caractère du résident et celui du soignant, laissant pour
solution de proposer un autre soignant ou d'attendre que les deux personnes se
soient calmées. Cependant cette question restera ici sans
réponse.
Un apprentissage partagé
Comment arriver à l'harmonie, à un
ordre social stable dans ce monde composé d'êtres humains en
interactions, aux attentes différentes les uns envers les autres ?
« On apprend » me dit-on. Tant le personnel que les résidents
« apprennent » les comportements sociaux adéquats, facilitant
alors les rapports sociaux entre groupes et évitant les «
pièges » de l'affectivité.
Selon Mathilde, aide-soignante, la relation
résident / soignant doit s'apparenter à une relation de «
cohabitation » et de « respect mutuel ». « Il faut se
construire une carapace ! » et être « insensible », tous
les jours un résident peut mourir ou insulter un soignant, «
beaucoup arrêtent après trois ans à cause de ça...
c'est trop dur ! ». Et ce témoignage trouve écho
:
« Au début c'est difficile de travailler
ici... on voit les gens qui meurent les uns après les autres...
ça vous fait quelque chose ! C'est humain ! Mais il faut apprendre
à garder la distance, à faire le deuil vite, sinon c'est toi qui
meurt ! » (Pauline, infirmière) ; « On vit avec eux !
Ça fait 6 ans que je vis avec eux ! On s'attache à eux, on les
connaît... alors que ce soit une mort brusque ou lente, ça fait
quelque chose ! Mais ils sont pas là pour mourir sinon pourquoi on les
soignerait ? Alors on se dit que c'est comme ça, et qu'il faut s'occuper
des autres ! » (Aïcha, A-S)
On comprend dans ces discours, la difficulté
des soignants à travailler avec des personnes âgées en fin
de parcours. L'expérience les amène à repenser la relation
au résident, pour se préserver elles-mêmes, tout en
jonglant avec ces rapprochements affectifs (petits noms, bisous, etc.), les
soignants apprennent ainsi à jouer entre investissement personnel et
préservation de soi (Castra 2003). Mais cela prend du temps :
Céline, stagiaire, n'a pas encore appris à gérer ses
émotions face aux résidents décédés. Par
ailleurs, elle déplore aussi le manque de temps accordé à
la conversation avec le résident : « on va de plus en plus vite !!
on
94
prend pas le temps de rester un peu avec eux, il faut
toujours avoir fini à temps et y a beaucoup de monde ! Parfois on fait
même pas les soins de bouche pour gagner du temps ! ».
Encadré 12 : Un équilibre
déséquilibré (2) - Vers la participation Suite de
l'encadré 3 -- Vers l'aliénation
Le penchant vers la participation s'illustre
d'abord par « une contamination involontaire du temps hors travail »
(Dej ours 1993 : 55). Par exemple, Jeanne, aide-soignante, revient dans la
maison ses week-end et jours de congé rendre visite à une
résidente pour qui elle s'est prise de tendresse (cf. chapitre 9). Mme
Annette, travaillant au bureau administratif, présente une forme
beaucoup plus forte de participation. Elle m'explique qu'elle ne peut faire
autrement que de passer plusieurs heures par semaine, hors temps de travail,
pour répondre aux demandes des résidents : le vendredi, en plus
de ses courses habituelles, elle se charge d'acheter tous les produits
désirés des personnes âgées. Cependant, ces
dernières assez exigeantes me dit-t-elle, elle se voit aller chercher
les biscuits d'un tel chez Aldi, le fromage d'une telle chez Colruyt, les
bonbons à l'anis d'une troisième chez Lidl, etc. Elle se retrouve
également de temps en temps sur le marché d'Anderlecht à
la recherche de sous-vêtements pour les résidentes aux petits
moyens. Ainsi, certains lundis, elle arrive (en transports en commun)
énormément chargée : « et c'est lourd hein ! En plus
le bus ne me dépose pas tout près d'ici, alors j'marche pendant
quelques centaines de mètres avec tous ces sacs ! Parfois j'en ai
vraiment marre... ». Depuis un certain temps maintenant, elle se bat avec
le directeur pour faire rec onnaitre ce travail comme nécessaire au
bien-être des résidents. Elle aimerait pouvoir l'effectuer pendant
ses heures de travail, donc payées, mais le directeur ne l'entend pas
ainsi.
Pourquoi continue-t-elle ? « mais tu sais, y en
a, ils n'ont plus que ça... ils ne demandent pas grand chose tu vois,
juste un paquet de bonbons, mais c'est leur petit plaisir, la seule chose
qu'ils peuvent encore choisir... alors moi, ça, ça m'fend le
coeur, j'peux pas arrêter de leur donner ça... ». Mme Annette
a basculé vers la participation, c'est-à-dire qu'elle s'implique
plus qu'il n'est nécessaire dans son travail. D'un côté
cela la frustre et elle aimerait que ce travail soit reconnu mais, de l'autre,
elle ne veut pas arrêter d'effectuer ces charges supplémentaires,
brouillant ainsi les frontières entre vie personnelle et professionnelle
(Castra 2003).
Ce penchant vers la participation peut
également s'introduire au sein même du travail, par le partage des
buts, des objectifs de l'organisation, il s'agit d'une « implication
morale » (Desmarez 2008 : 50).
C'est pas trop dur de travailler avec des gens
qui meurent ? « Non... c'est normal hein ! Chacun son tour... c'est
son jour, puis ce sera le mien... puis le tien tu sais ! » Oui oui je
sais bien... moi j'aurais vraiment du mal à travailler avec des
personnes âgées, ça doit être vraiment dur de ne pas
s'attacher... «Ben on nous apprend hein... à pas s'attacher,
à garder de la distance... Enfin bon, là-bas [de l'autre
côté du couloir], il y en a une qui va de moins en moins bien et
ça... ça, ça me fait mal... » dit-elle avec la main
sur le coeur.
Cependant, surtout en début de
carrière, une telle forme de participation n'est-elle pas
inévitable dans tout travail sur la personne ? Une stagiaire,
Céline, racontant la mort de deux résidents dont elle
s'était occupée, me dit qu'elle ne voudra jamais travailler en
MRS, « c'est trop dur ! ». Elle n'a pas encore appris les techniques
permettant de mettre la distance et de réduire l'implication
morale.
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95
Le personnel soignant apprend, au fil du temps,
à « mettre la distance » (cf. encadré 10 : Une
limitation protectrice), cependant même pour une soignante
habituée, le résident peut à tout moment prendre forme
humaine (Goffman 1968). Ainsi « la perméabilité des
frontières entre vie personnelle et vie professionnelle, le
caractère imprévisible et incontrôlable du surgissement des
émotions, donnent une dimension de « risque professionnel »
à ces phénomènes d'implication excessive » (Castra
2003 : 286).
Les résidents également doivent se
discipliner, à ce type de relation et entrer dans le rôle qu'on
attend d'eux. Cet apprentissage, Goffman l'appelle « adaptation primaire
», où l'individu « se transforme en « collaborateur
» et il devient un membre « normal », « programmé
», ou « incorporé » » (1968 : 267). Suite à
cette intériorisation de la relation avec le personnel de soins, les
personnes « de coeur » ne sont jamais choisies au sein de ceux-ci,
mais plutôt à côté : secrétaire, responsable
médicaments, infirmière chef, responsable cafeteria,
ergothérapeute, aide-ménagère, etc. Ces personnes, plus
extérieures, peuvent poser une limite par l'éloignement physique.
Le personnel soignant lui, toujours sur place, ne peut poser de limite que
socialement, et ce, dès le départ :
«Nous on les respecte, et eux, ils doivent nous
respecter aussi ! On apprend à leur faire respecter la limite, on les
cadre quand on sent que ça va trop loin... » (Mathilde, A-S);
« il faut pas leur laisser prendre de mauvaises habitudes ! Sinon si ils
s'habituent... enfin quand ils pourront plus faire ce qu'ils veulent, alors
là ce sera un problème ! Il faut les cadrer dès le
départ. » (Patricia, Infirmière)
Ceci rejoint les observations de Michel Castra, dont
le témoignage d'Hélène, infirmière en soins
palliatifs. Elle explique que l'on peut donner beaucoup à un patient (en
terme de soins, d'écoute, de satisfaction de ses désirs) qui
reste pour un court séjour, mais « quand le patient reste beaucoup
plus longtemps, ça devient une habitude, après ça devient
un dû et on induit un comportement chez le patient. On a tellement
donné, ça devient difficile. Je pense qu'on peut donner
énormément mais sur une courte période » (2003 :
193). Dès les premiers contacts donc, le personnel cadre les
résidents, il prend les devants et instaure une relation
adéquate, maintenant l'ordre sur le long terme. Deux aides-soignantes
racontent :
« Si un résident il veut parler, faut lui
expliquer que y a du travail ! Qu'on a du travail qui nous attend ! Et puis on
n'a pas le temps de parler! » et la seconde de reprendre : « enfin,
il faut surtout garder la distance par respect pour eux, c'est leur vie intime.
Moi je leur dis : c'est votre vie intime, vous devez la préservez »
; « et ils finissent par comprendre ! Maintenant, tous, ils se comportent
bien ! » (Aïcha et Mathilde, A-S)
96
Ainsi, « chaque site va être le
théâtre de rituels définis avec des prescriptions et des
proscriptions, rituels qui jalonneront et permettront l'accomplissement du
programme avec un minimum de sécurité interacti onnelle pour les
différents acteurs » (C osnier 1993 : 29), construisant ainsi une
« catégorie relativement homogène » (Castra 2003 : 192)
de résidents.
Les relations inter-groupes sont donc le fruit d'un
apprentissage réciproque créant « la distance »
nécessaire entre soignants et résidents. Cette distance reste
néanmoins définie dès le départ par le personnel,
en position de « donner le ton à l'échange » (Scott
2008 et Goffman 1973a). Les résidents sont demandés de garder
leurs états d'âme par exemple mais doivent se laisser appeler
« ma cocotte » et se laisser embrasser, parce que « donner des
bisous, oui on peut! C'est pas dépasser la limite ça! »
(Julie, aide-soignante). Pourtant :
« Quand j'suis arrivée, on m'a même
appelé chouchou (elle rit)... mais bon, ça va, ça
me dérange pas hein ! D'autres, ils m'appellent Madame B o. » (Mme
Bo.) ; « Ici, elles vous disent directement « ma chérie
»... ça c'est pas nécessaire mais bon, elles le disent avec
chaleur et croyant que ça vous fait du bien et oui, ça nous fait
du bien hein ! quand elle me prend dans ses bras et qu'elle m'embrasse «
oh toi toi toi » ben... je fais pareil hein, pas le choix ! (elle rit)
» (Mme De.)
Ces deux résidentes ont été
surprises donc de cette approche du personnel, elles se sont maintenant
habituées. Il s'agit d'une forme de coordination par socialisation,
c'est-à-dire via un « processus par lequel sont acquises les normes
de l'organisation au profit de celle-ci » (Mintzberg 1998 : 109). Il en
résulte une internalisation des comportements standardisés, un
« dressage des corps », rendant ces derniers « obéissants
et utiles » (Foucault 1975 : 162).
Pourquoi les résidents « obéissent
»-ils ? Il me semble qu'il existe toujours la peur de se faire mal voir,
la peur de ne plus recevoir d'attention, et peut-être aussi l'envie de
recevoir des privilèges, à l'instar d'autres résidents
(cf. Mr Li. et Mme Du. face au favoritisme). Et de fait, Scott (2008) montre
qu'au plus une personne obéit aux normes en vigueur, au plus elle se
voit octroyer des faveurs ; Strauss (1997) note qu'un patient calme et
obéissant attire la sympathie et la gentillesse des soignants ; Castra
(2003) pointe également les différences de traitements entre les
« bons » patients, ayant intériorisé la « bonne
» façon de mourir et les « mauvais » patients, criant, se
plaignant, etc., attirant alors les critiques du personnel. Foucault (1975)
enfin parle de « sanction normalisatrice » agissant plutôt par
récompenses que par peines, ce trait étant selon lui
caractéristique de tout établissement disciplinaire. Si les trois
premiers auteurs voient la conformité aux règles comme une
technique pouvant être mise en place par l'acteur afin de recevoir les
bénéfices corrélés, Foucault y voit la trace du
pouvoir
97
disciplinaire, dressant les corps, sans quelconque
pouvoir de l'acteur : « l'effet correctif qu'on attend ne passe que d'une
façon accessoire par l'expiation et le repentir ; il est obtenu
directement par la mécanique d'un dressage » (1975 :
211).
Les résidents semblent conscients qu'ils
vivent en monde clos et que « tout se sait » (Mme Oste), d'où
un sentiment de devoir se comporter constamment comme il faut et ce, avec tout
le monde car le moindre écart pourrait faire le tour du personnel. Le
rapprochement avec le dispositif panoptique est clair : « l'effet majeur
du panoptique [est d'] induire chez le détenu un état de
conscience et permanent de visibilité qui assure le fonctionnement
automatique du pouvoir. Faire que la surveillance soit permanente dans ses
effets, même si elle est discontinue dans ses actions » (Foucault
1975 : 234). Ce dispositif permet d'assurer le « bon redressement »
(idem : 200) des corps et du coup, l'ordre dans le
service. S'ensuit le choix, parfois à leur insu et à leurs
dépends, de « personne de coeur » hors personnel soignant,
alors plus ouvertes à la relation puisque plus extérieures, ayant
l'avantage de la distance physique donc du moins grand contact avec les
résidents.
8.2 Histoire de technique et d'expérience, la
place du savoir-faire
« C'est vraiment ça, on est
confronté des fois à des trucs et on se dit « elle aurait pu
le faire » mais la loi nous l'interdit de le faire... pour se
protéger soi-même aussi, même si c'était pour sauver
le résident, la famille peut se retourner contre nous et on est en
tort... » (Paola, infirmière)
Officiellement, la coordination des tâches dans
ce type d'organisation se fait par standardisation, c'est-à-dire que le
personnel connaît les limites de son faisceau de tâches (via une
formation extérieure ou intérieure et les profils de fonction),
s'il les dépasse, il devient punissable devant la loi. Néanmoins,
une autre logique agit sur le travail et la répartition des tâches
: l'expérience acquise par la personne. C'est sur cette seconde logique
de coordination rendant les frontières entre fonctions floues et plus
perméables, que je me penche ici.
Frontière Médecin --
Direction
Le docteur Tudor travaille depuis une vingtaine
d'années dans la maison observée. Il a ainsi vu défiler
quelques directeurs et a également acquis un grand savoir-faire dans la
prise en charge des personnes âgées. Le directeur actuel, 37 ans,
est juriste de formation, à la tête de l'établissement
depuis 2007 (6 ans). Face aux nouvelles mesures de la direction dans la gestion
des décès (cf. chapitre 5), ce médecin s'emporte ! Il a
compris, au fil des années, que l'appel
98
des familles en pleine nuit ne vaut pas la peine. De
plus, il ne le faisait pas avec les autres directeurs/trices, pourquoi
commencer et changer ses habitudes maintenant ? Comme je l'expliquais plus
haut, une bureaucratie professionnelle peut voir naître des tensions
entre ses externes et le règlement de l'institution illustré par
la figure du directeur (Mintzberg 1998). Ces externes ne voudraient pas se
plier aux règles car ils savent mieux comment faire, de par leur
qualification certes, mais également, comme ici, de part leur
expérience acquise.
Frontière 1nfirmière --
Médecin
«D'une certaine manière, y a beaucoup de
choses que je maitrise un peu plus que le médecin dans le domaine de
soigner le résident, parce que je le connais dans sa globalité
» (Paola, infirmière)
J'ai moi-même assisté à une
conversation entre le docteur Tudor et l'infirmière chef, Mme Oste,
concernant une résidente qui présente un problème de s
onde85. Si celle-ci débute par les conseils du médecin
vers l'infirmière, cette dernière prend le relais et termine en
expliquant au médecin ce qui, selon elle, faudrait faire. Il acquiesce
et accepte sa proposition. Cet échange montre la confiance que porte le
médecin à cette infirmière. Il me confie d'ailleurs un
jour : « elles ne font pas tout ce que je veux hein ! Même si
normalement elles doivent m'obéir ! ». Parfois donc, les
infirmières prennent l'initiative, les médecins absents pour un
certain temps, de débuter un traitement médicamenteux et en
informent le médecin par après, celui-ci approuve souvent, car
« elles connaissent le protocole, parfois moi, je viens juste pour assurer
la formalité hein ». Dans le cas d'escarres par exemple, ce
médecin reconnaît qu'elles s'y connaissent mieux que lui, qu'elles
maîtrisent mieux « l'arc de travail » (Strauss 1992b), y
étant régulièrement confrontées.
Paola, depuis quelques années dans la maison,
m'explique que, malgré qu'elles lui soient hiérarchiquement
subordonnées, « on a la chance des fois, de pouvoir, je vais dire,
gagner le médecin à notre cause » en lui proposant
un traitement à l'essai. Si ce traitement s'avère inefficace,
alors on revient à celui prôné par le médecin.
« En général tout ce qui concerne les pansements, les
médecins, ils nous font confiance parce qu'ils savent qu'on
connaît la situation » ajoute-t-elle. Si dans les hôpitaux les
situations banales se voient gérées par le médecin
généraliste et les maladies « difficiles » par les
médecins spécialistes (Strauss 1992b : 26), dans la MRS
observée, on « descend » d'un étage et les situations
banales, de routine, semblent être gérées par le personnel
infirmier tandis que les plus difficiles par le généraliste.
Toutefois, il est difficile de pointer la personne principale
coordinatrice des tâches
85 Conversation en annexe 4.
99
de la trajectoire : une situation de désaccord
amène tractations entre les acteurs (idem :
158). Ainsi, il me semble avoir senti une réelle émancipation de
la fonction d'infirmière, un élargissement86 de leurs
tâches, un gain de pouvoir dans l'organisation alors que « le
médecin [lui,] perd de sa hauteur » (Castra 2003 : 184), à
l'instar de la médecine palliative.
De plus, pour rappel, l'établissement assure
la prise en charge des résidents via des réunions
pluridisciplinaires, signe d'une plus grande prise en compte des « petites
voix » et donc d'une moins grande rigidité hiérarchique
(Castra 2003 ; de Hennezel 2004). J'ai ainsi assisté à une
demande d'infirmière de placer une résidente en soins palliatifs,
avec comme argument « nous on trouve que son état s'est
dégradé, vraiment... ». Le docteur Lemah alors de garde
donna son acc ord87 et pria l'assistante sociale de convier la
famille pour discuter des modalités de prise en charge. La «
trajectoire » (Strauss 1992b) du résident se décide entre
tous les acteurs engagés, chacun apportant sa vision de la situati
on88.
Attention, cette reconnaissance et cette confiance
accordée aux infirmières reste sélective. Le docteur
Tudor, n'appréciant pas Mme Petit, directrice nursing (terme qu'il
conteste), normalement infirmière de formation, lui reproche de mettre
son grain de sel dans les traitements, alors qu' « elle n'a même pas
fini ses études » (2 ans au lieu de 3). Il ne l'apprécie pas
non plus car il n'accepte pas ses ordres en tant que directrice nursing, trop
rigide et trop « de droite » (lui se qualifiant « de gauche
») à son goût. « Alors, je lui dit, « oui oui
» mais après, je l'écoute pas ! Elle est pas médecin
hein ! »... En plus du savoir-faire de la personne, entrent en compte les
éléments de confiance et d'amitié.
Frontière Aide-soignante --
1nfirmière
« Normalement les aides-soignantes ne peuvent
pas pratiquer d'acte infirmier » (Dr. Tudor). Cependant en l'absence de
personnel infirmier et lorsque la procédure de soins leur est
familière, les aides-soignantes prennent en charge de « petits
pansements » par exemple. « Elle sait très bien, parce qu'elle
a vu plusieurs fois le faire [par infirmière], alors elle le fait. Et
l'infirmière après peut être contente que le travail soit
déjà fait » (Mme Oste, inf. chef).
Mathilde, un matin où « la personne
au-dessus » était absente, décide « pas
d'arrêter
86 Mintzberg (1998) parle de «largeur» de
tâche : plus une tâche est large, plus elle comprend de nombreux
gestes variés. Au contraire, plus une tâche est étroite, au
plus le travail sera routinier.
87 Le médecin connaissait déjà le
cas préoccupant de la personne, il n'aurait pas donné son accord
sans cela.
88 J'ai assisté par exemple à une
discussion quelque peu acharnée entre l'assistante sociale et le docteur
Lemah concernant la pratique de l'euthanasie : la première prônant
cette dernière, le second l'acceptant difficilement, « la mort ce
sera toujours un échec pour moi ! » lance-t-il.
100
hein ! Mais j'ai suspendu» le
traitement d'une personne (amenant de nombreuses éruptions
cutanées) en attendant l'avis de l'infirmière. Mais elle reprend
: « sinon, on doit toujours exécuter ce qu'on nous dit ! Même
si on croit que ça va pas marcher, c'est comme ça...! [...]
Pourtant moi je suis là tous les jours, tous les matins avec les
résidents ! Et le médecin lui, il est jamais là ! Pourtant
c'est lui qui prescrit... moi je ne fait que constater... ». Cette
aide-soignante semble frustrée du peu de liberté qu'elle
possède, pourtant elle « sait »
aussi89.
Face à la douleur au pied inexplicable de Mr
Vi., Nicole, aide-soignante assez jeune, décida de mettre le pied dans
de l'eau chaude, juste pour soulager ce résident. Elle pense qu'il n'y a
rien d'autre à faire dit-elle à Mme Oste. J'ai également
observé une situation où une aide-soignante plus
âgée expliquait au stagiaire infirmier comment distribuer les
médicaments, et accompagnait ce dernier dans sa tâche.
Toute la tension se trouve dans la gestion de ce
savoir-faire : si les tâches officielles sont délimitées,
les gestes pratiques, eux, s'apprennent par l'expérience. Ainsi
:
« On peut arriver à une sorte de
transdisciplinarité : les aides-soignantes font des trucs presque
d'infirmières, et l'infirmière aussi, elle fait certaines
tâches de l'aide-soignante. Y a un moment, on est tellement «
entre» qu'on a plus les limites ! Y a plus de frontière entre nos
fonctions et ça peut créer des conflits [...] on a difficile
parce qu'on travaille ensemble, on est tellement habituée, qu'on ne c
onnait plus nos limites... » (Mme Oste)
Cette situation de « fl outage » de
frontière se ressentait fortement il y a une dizaine d'années
(cf. chapitre 5, « monde à l'envers ») : les aides-soignantes
plus nombreuses avaient tout le pouvoir et dictaient aux infirmières les
tâches à faire. L'arrivée de nombreuses infirmières
et la rigidification de la division du travail (assurée par Mme Petit)
ont réduit cette logique de coordination par savoir-faire au profit de
la coordination par standardisation entre ces deux fonctions, réduisant
alors la « profondeur »90 des tâches des
aides-soignantes. Il reste néanmoins quelques reliquats du temps de
cette époque : 2 ou 3 aides-soignantes plus anciennes y avaient suivi
(suite au manque de personnel infirmier) une formation en soins infirmiers.
Aujourd'hui elles sont toujours habilitées à faire les injections
par exemple, geste interdit aux autres aides-soignantes. Mais cette situation
se raréfie, ces personnes partant à la retraite.
89 Mathilde était infirmière au Togo mais
travaille ici comme aide-soignante, son diplôme n'étant pas
reconnu.
90 Plus un travail permet le contrôle de l'acteur
sur celui-ci, la prise d'initiative, la réflexion, plus ce travail sera
« profond » ; au contraire, du travail d'exécutant, routinier,
alors moins « profond » (Mintzberg 1998)
101
Frontière Aide-logistique - Personnel
soignant
Le faisceau de tâches des aides-logistiques
comprend principalement les tâches d'aide au personnel. Tant les
aides-soignantes que les infirmières peuvent ainsi s'approprier, si
elles le désirent, l'une de leur tâche. Cependant, ces aides ne
peuvent par exemple, pas relever une personne tombée à terre,
« ils ne sont pas formés pour ça » (Julie,
aide-soignante). Ils peuvent la rattraper, la soutenir si elle perd
l'équilibre, mais relever la personne relève des tâches du
personnel soignant... mais «bon ils peuvent l'aider à le lever, on
n'est pas pointilleux à ce point-là, mais normalement, ils ne
sont pas habilités à faire ça » (Paola,
infirmière).
On comprend que même si non-habilitée
à le faire, toute personne sait relever une autre et sait
aider à manger. J'ai moi-même, sans suivre de formation,
nourri des résidents du second étage d'abord aux
côtés de Mme Oste, ensuite lorsque je suivais Joëlle, jeune
aide-logistique. Dans ce deuxième cas, il s'agissait de résidents
dépendants et déments. En ce qui concerne les chutes, on peut
imaginer, n'ayant pas observé cette situation, que les soignants
s'aident des aides-logistiques pour relever la personne, les fonctions vitales
étant mesurées.
Encadré 13 : L'entraide (2)
« On travaille ensemble » ; « on voit
entre nous qui fait quoi » ; « on forme une équipe »
; « il faut tout couvrir » ; « on s'arrange toujours » ;
etc. sont des phrases qui reviennent
régulièrement dans les discours, les
soignants semblant montrer un réel désir d'entraide. Comme le
note de Hennezel, dans un établissement de prise en charge, il faut
assurer la
continuité des soins, même en
sous-effectif, l'entraide entre membres du personnel est donc
nécessaire (2004 : 73). En effet, si les activités sont
planifiables, il reste toujours une
part d'imprévisibilité qui bouleverse
l'ordre établi et demande réajustement dans
l'équipe (Theureau 1993). Ainsi, en fonction du personnel
présent et de la charge de travail, l'équipe
« s'arrange » pour que tout soit fait.
Selon son savoir-faire, une personne peut apporter son aide à la
fonction en besoin :
« Ça arrive qu'elles soient
débordées ou quoi, alors ça peut arriver que je prenne la
responsabilité de faire des petits pansements ou quoi, ou alors
[l'infirmière] peut me dire, «voilà, maintenant, tu peux
donner les médicaments », des choses comme ça, je le fais, y
a pas de souci» (Julie, aide-soignante) ; «Les aides logistiques
distribuent les repas dans les chambres et ils aident les personnes à
manger. Évidemment si moi je suis soignante et que je m'occupe de cette
personne-là à ce moment, je vais pas attendre que l'aide
logistique revienne, je vais moi l'aider à manger» (Paola,
infirmière) ; « Je peux faire des toilettes, je peux donner
à manger, je peux faire les chambres, mais ce n'est pas ma fonction
première, il faut pas que j'oublie que je suis aussi de l'autre
côté ! Mais je peux aider pour faire plaisir» (Mme Oste,
infirmière chef) ; «Quand j'ai fini, soit je vais aider une
collègue, soit je commence la distribution médicaments, soit je
vais remplacer une infirmière si elle fait une tâche que je peux
faire et je la laisse faire une tâche d'infirmière, comme
distribuer les médicaments » (Mathilde,
aide-soignante).
Le matin de cette conversation avec Mme Oste, je lui
demande à quand remontait sa
|
|
102
dernière toilette, elle me répond :
« ce matin même ! ». De plus, lors des repas, cette personne se
présente pour aider son équipe à nourrir les
résidents. Un matin, les aides-logistiques absents, Elle s'attelle
à la confection des tartines. Cela a été pointé
à la pause : « et ce matin, Mme Oste, elle a même fait les
tartines ! », lança l'une d'elle admirative.
De plus, à l'instar du fonctionnement du
service de soins palliatifs étudié par Castra (2003), il y a
entraide dans le sens où si un soignant éprouve de réelles
difficultés avec un résident, un échange inter-soignants
reste possible. S'il s'agit d'un résident « impossible à
faire », « moi je ne vais pas envoyer une nouvelle là, je vais
envoyer quelqu'un qui a plus d'expérience », tenant ainsi compte
des capacités de chacun, me dit Mme Oste,.
Je ne consacre pas de paragraphe aux
aides-ménagères ici, elles ont droit au chapitre entier suivant.
De même, si l'infirmière chef, Mme Oste, m'a expliqué
certaines tensions entre les kinés ou l'ergothérapeute et le
personnel soignant (les uns empiétant trop sur le travail des autres et
inversement), je n'ai pas récolté assez d'informations que pour y
dédier un paragraphe. Je termine ici par conclure, à l'instar de
la situation décrite en hôpital par Strauss (et c o.) en
196391 (1992b), que dans cette maison de repos et de soins, «
le travail quotidien fait l'objet de multiples tractations entre
médecins, infirmières et aides-soignantes pour déterminer
la division du travail [...] » (Lallement 2007 : 204).
8.3 Derrière la scène...
Un dernier point allant au-delà de la
hiérarchie termine ce chapitre : la place que prennent les «
grandes gueules » comme dit vulgairement. En effet, la position qu'occupe
chacun dans la hiérarchie du travail sert de cadre aux relations
qu'entretiennent les individus mais cela, sur la « scène publique
» (G offman 1973a). En coulisses, c'est à dire ici le local de
pause du second étage (cf. chapitre 10), ce cadre formel s'amenuise et
une autre logique prend forme : une sorte de leadership informel. Ainsi, les
acteurs en coulisses, semblent laisser tomber leurs masques officiels, laisser
quelque peu leur fonction dans le couloir et adoptent de nouveaux rôles
(Strauss 1992a). Les sujets abordés ne touchent que rarement les soins
ou les résidents, au profit des derniers potins de stars, des enfants,
de recettes de cuisine, etc. On y mange, boit et partage de temps en temps des
biscuits ou un repas que l'une ou l'autre amène.
Cependant, tout le monde n'y prend pas une place
similaire : lorsque la chef infirmière est présente, elle semble
garder la place principale, elle mène facilement les conversations,
prend facilement également la parole, et les personnes présentes
l'intègrent souvent dans les
91 « The Hospital and Its Negotiated Order »,
in FRIEDSON E. (eds.), 1963. The Hospital in modern society, New-York,
Free Press of Glencoe.
103
échanges, lui demandant son avis, lui faisant
part de leurs expériences, etc. On sent qu'elle est une femme sûre
d'elle et respectée tant par son grade (chef) que pour la personne
qu'elle incarne (à l'écoute tant du personnel que des
résidents, calme, riante, de bon conseil,...).
Cette dernière absente, alors prend la place
de leader de la conversation une aide-soignante assez imposante,
Joséphine, depuis 6 -- 7 ans dans la maison. Signe
révélateur, elle s'approprie le siège et la place de Mme
Oste, en bout de table, sur la chaise de bureau (voir graphique plus bas).
Cette personne, de corpulence assez forte et d'un volume sonore important,
monopolise souvent la parole. Drôle et assurée, les autres
l'écoutent et rigolent de ses histoires, elle s'installe et on
l'installe au centre des conversations. Face à elle, se trouvent
d'autres « grandes gueules », mêmes si moins assurées ;
des personnes « neutres » (ni silencieuses ni imposantes) ; et les
dites « effacées » (notamment Julie, depuis moins d'un an dans
la maison et Patricia, depuis quelques mois). Ces deux personnes ne parlent
jamais, ou alors à voix basse, et ne participent pas activement aux
conversations. Elles s'assoient toujours du côté des portes tandis
que les aides-soignantes plus âgées, dont Joséphine,
s'installent de l'autre côté de la table. Soit le schéma
suivant :
Répartition des places dans les coulisses du
second étage
Une situation de domination implicite se crée
alors, suite à cette répartition des places92. En
effet, si un résident appelle lors de la pause, qui se lève ?
D'après Julie, « donc heu, si une personne demande de l'aide,
à ce moment-là, on regarde sur le DECT93, « ah
c'est la chambre untel », et heu, de son initiative, chacune... une prend
l'initiative et voilà quoi ». Néanmoins, d'après mes
observations, il me semble que les personnes « effacées »,
ainsi que la chef infirmière (présidant l'assemblée tout
en étant proche de la scène publique), interrompent plus
facilement leur pause que les personnes se trouvant de l'autre
côté de la
92 Chaque fois que je me suis rendue en observation,
les personnes se trouvaient aux mêmes places dans le local, je me suis
donc appropriée également la place derrière la table et
devant une porte pour pouvoir continuer à observer les interactions dans
le couloir.
93 Téléphone interne sans fil que toute
personne a sur elle.
104
table. Ces dernières pour s'extraire de leur
place, le local étant assez étroit, doivent en effet faire bouger
leurs voisines pour pouvoir passer entre la table et le mur du fond et
accéder aux portes. Ces « grandes gueules » ont, je suppose,
pu accéder à ces places privilégiées de
tranquillité au fur et à mesure qu'elles acquéraient du
« poids », de la confiance, de l'expérience, de la
renommée, dans l'établissement94 et que les anciennes
prenaient leur retraite ou s'en allaient. Elles se rapprochent du point
d'« extrême limite » (Goffman 1973a) dont je parlais plus
tôt, alors que les nouvelles, occupant les places proches des portes, en
restent écartées, pouvant à tout moment et plus facilement
se « ruer » hors des coulisses lors d'appel et reprendre leur
rôle sur la scène publique...
***
Travailler sur du matériel humain ne
s'apparente pas au travail en usine sur les objets inanimés, travailler
sur ce matériel amène un jeu d'affinité : sympathie,
transfert, choc de caractère, animosité, etc. Ce jeu
d'affinité se voit néanmoins contrôlé par le
personnel qui « maîtrise [les règles du] théâtre
» (Scott 2008 : 48) et discipline ainsi leur propre corps et ceux des
résidents. Ces derniers face à cette mise à distance
protectrice (cf. encadré 10) du personnel nursing, se tournent vers les
acteurs dont les tâches se voient limitées dans le temps et dans
l'espace. De plus, le travail sur ce matériel âgé,
n'évoluant pas comme évoluent par exemple le domaine de la
nanotechnol ogie, permet au personnel soignant d'acquérir de
l'expérience, du savoir-faire au fil des années prestées.
Ces deux logiques influencent le travail de prise en charge et se superposent
à l'organigramme présenté en début de travail,
rendant ce dernier plus complexe et mettant à mal le critère
d'interchangeabilité du personnel (en effet, une personne ne vaut plus
l'autre), caractéristique d'une bureaucratie mécaniste (Mintzberg
1998). Les coulisses offrent également un lieu de brouillage de
fonctions : dans le local de pause, la hiérarchie officielle n'a plus
lieu d'être et la coordination (qui parle, qui se lève) s'effectue
alors par ajustement mutuel (Mintzberg 1998), laissant place à une forme
de domination informelle des plus âgées sur les
nouvelles.
Dans le chapitre suivant, je présente une
partie du personnel oublié dans la hiérarchie officielle de la
prise en charge : les aides-ménagères. Entre mise à
l'écart et mise en avant, ces personnes participent tout autant à
la prise en charge des personnes âgées, comme le sont par exemple
les imprimeurs dans le monde de l'art de Becker (1988).
94 Attention, je ne dis pas que toutes les anciennes
prennent des places de leader informels ni que toutes les nouvelles sont
effacées. Joelle, aide-logistique travaillant depuis 8 mois, ose
s'imposer devant les autres et se fait également entendre. Cependant
elle occupe également une place proche des portes de sortie.
105
CHAPITRE 9 :
ÉLARGIR LE MONDE : UN PERSONNAGE AMBIGU
«Les ménagères n'ont rien à
voir avec nous, elles ont leur chef directe qui est Mme Moreau ; d'ailleurs on
différencie toujours l'équipe nursing avec l'équipe du
nettoyage » (Paola, infirmière)
Ce témoignage reflète bien, il me
semble, la philosophie générale de la maison envers les
aides-ménagères : elles sont à l'écart.
Souvenez-vous le schéma de la structure de la maison (cf. chapitre 5),
l'équipe d'entretien occupe une place extérieure à la
ligne hiérarchique principale et possède une structure beaucoup
plus aplatie : un chef, Mme Moreau, et sous elle, tous les membres du
personnel, égaux. Pourtant, ces derniers sont parfois les seules
personnes que les résidents, résidant dans les ailes MR,
indépendants et ne nécessitant aucune aide extérieure,
côtoient. Les aides-ménagères peuvent alors prendre une
place importante dans leur vie (cf. chapitre 8). Enfin, ces aides,
contrairement au personnel de soins, ne connaissent ni la gradation de la
personne sur l'échelle de Katz, ni ses problèmes médicaux.
Contrairement à l'assistante sociale, elles ne connaissent ni les
antécédents de la personne, ni ses difficultés
financières, ni les raisons pour lesquelles le résident est
arrivé en maison de repos et de soins. Elles ne connaissent en
vérité que le nom de la personne, le reste dépend du
degré d'intimité qu'elles nouent avec le résident. Place
extérieure au niveau de la structure versus donc place centrale dans la
vie de certains résidents. Attardons-nous sur ce constat et les
conséquences qui en découlent pour la prise en charge de la
personne âgée.
9.1 Mi dedans, mi dehors : une place paradoxale
Lorsque, face au personnel soignant m'affirmant que
tous les résidents reçoivent au moins une visite de «
surveillance » par jour (cf. chapitre 7), je demande mais qu'en est-il
alors des résidents indépendants ne recevant pas vos visites ?
:
«mais il y a les aides-ménagères
hein ! Elles nous rapportent les nouvelles des uns et des autres... » (Mme
Oste, inf. chef) ; « on reçoit les rapports des aides
ménagères si elles ont trouvé une pilule ou si il y a
quelque chose d'anormal... » (Pauline, inf.) ; « les
aides-ménagères viennent nous prévenir lorsqu'elles
trouvent un médicament par terre ou quoi... elles viennent le rapporter
au bureau de soin, ou alors elles le disent à quelqu'un qui vient nous
le dire » (Mathilde, A-S).
106
Il y a donc une sorte de délégation
officielle du rôle de surveillance des résidents vers les
aides-ménagères, pourtant il n'existe pas de réunion
réunissant personnel nursing et d'entretien, ni de local de pause commun
(cf. chapitre 5), comment l'information se transmet-elle alors ? Par canaux
informels. Or, quand Christelle se rend au local de soins rapporter une
information, « tu sais c'qu'ils me répondent ? « Qu'est-ce que
tu veux qu'on foute avec ça ?! » et j'me fais remballer ! Alors
maintenant, merci hein, j'les jette directement moi [les cachets] et j'le
signale plus !». Pourtant lors de son entrée dans la maison (il y a
20 ans), elle trouvait important de reléguer cette information. Mais
« C'est rare qu'on m'écoute ! Très très rare ! Tout
dépend de l'humeur de la personne à qui j'en parle !
».
Sandra elle, travaillant depuis 8 mois (art. 60),
ramasse régulièrement des pilules mais « pour être
honnête avec vous, je n'en ai encore jamais parlé... », elle
les jette n'osant pas les rendre aux résidents. Mireille par contre ne
semble pas y porter grande attention, et à ma question, Vous faites
quoi si vous trouvez des médicaments par terre ?, de me
répondre, « ben rien... et puis j'ai jamais connu ça moi...
».
Cependant, Isabelle, 17 ans de service, prend le
contre pied : si Jeanne, Sandra, Christelle jettent les médicaments car
« on ne sait pas à qui ils sont ! » (Christelle) et « de
toute manière, ils ne les prendraient pas si ils me voyaient les
ramasser par terre » (Jeanne), Isabelle elle, les rend à la
personne « car souvent, elle oublie hein, elles ont la tête ailleurs
! », ou le pose sur la table de nuit de manière visible. Si elle
constate quelque chose d'anormal, un comportement agressif, un tiroir rempli de
médicaments (la personne ne les prenait plus et « c'est vrai, elle
n'allait pas bien ! »), elle en réfère à Mme Moreau,
ou, mais plus rarement, au personnel de soins. Par contre, si elle trouve du
sang par terre, « les infirmières doivent être au courant
alors ! », elle ne juge pas nécessaire de transmettre
l'information.
Au niveau de la lingerie également, si l'une
des deux responsables trouve du sang sur les vêtements, elle lave du
mieux qu'elle peut certes mais ne transmet pas l'information suivant le
même raisonnement : le personnel doit alors être au courant.
Pourtant, les résidents indépendants peuvent gérer leur
linge seuls, soit sans contrôle du personnel nursing.
On le voit, d'un côté dans les discours
du personnel soignant, les aides-ménagères sont essentielles pour
mettre en pratique leur vision du bien-être ; mais de l'autre, ces
aides-ménagères ne transmettent pas les informations. Rapide
petit retour sur cette situation, pourquoi l'information ne se transmet-elle
pas ?
95 Retenir les informations, se déplacer au local
de soins, expliquer, se faire remballer, et au final jeter le
cachet
96 Auteur notamment de Social Behavior. Its
elementary forms (1961).
107
Tout d'abord, en plus des difficultés de
communication propres à toute organisation bureaucratique, notamment
toute organisation divisée en service (Mintzberg 1998), les tâches
des ménagères sont, à l'instar des autres fonctions,
définies précisément. Pour rappel, elles ne peuvent
nettoyer qu'en surface, « enlever les traces et les odeurs »
(Christelle). Une fois semaine, elles voient leurs tâches élargies
et prennent en charge le grand nettoyage, notamment « l'hygiène des
tiroirs ». Elles n'ont pas la responsabilité de ranger les
pièces ni de ramasser les objets au sol (que ce soit les langes ou les
excréments de résidents). Elles ne peuvent avoir avec les
résidents que des contacts verbaux ; tout contact physique leur est
proscrit. Certaines aides-ménagères, comme Sandra et Mireille, se
contentent de ce qui leur est demandé, ceci étant d'ailleurs une
conséquence de la division du travail : la concentration sur sa propre
tâche, au détriment des buts généraux de
l'organisation (Mintzberg 1998). Il faut noter que ces deux personnes
répondent de l'article 60, et travaillent donc dans la maison pour une
courte durée, ce qui réduit, je suppose, l'attachement à
l'organisation et le désir de participer aux objectifs
généraux de cette dernière.
Christelle et Jeanne, anciennes dans la maison,
trouvent important de participer au bien-être des résidents en
transmettant les informations recueillies au personnel adéquat. Elles se
disent attachées aux personnes âgées, un peu trop
peut-être, selon Jeanne (cf. Encadré 12 : Vers la
participation). Cependant, lassées des « on ne peut rien faire
avec ça hein ! » illustrant l'échec de communication, elles
ont appris à ne plus rapporter l'information. Cette démarche
coûte cher pour peu de résultats95, répondant
alors à la loi de Georges Homans96: « il y a interaction
entre deux individus dans la mesure où celle-ci implique un
échange d'avantages. Une interaction trop coûteuse pour une des
deux parties a [...] peu de chances de perdurer » (dans Lallement 2007 :
179). Par expérience, elles se sont disciplinées au rôle
attendu d'elles, reflétant de nouveau l'idée de dressage des
corps, dont le personnel soignant tient la tête.
Enfin Isabelle, « malgré » ses 17
ans de carrière, continue à transmettre certaines informations.
Elle n'évoque aucun échec de communication et trouve qu'il lui
incombe de participer au bien-être des résidents : « vous
savez, je suis avec eux toute la journée ! Je les c onnait ! Et je sais
quand ils vont pas bien, alors je dois le dire je trouve... ».
La différence d'implantation spatiale de ces
personnes pourrait amener un élément d'explication : Christelle
travaille au 3ème étage, Jeanne au
2ème et Isabelle au 1er étage et au
sous-sol. Or, Mme Moreau possède son bureau également au sous-sol
de la maison. Ainsi, les
108
deux premières se voient reléguer
l'information au bureau de soins tandis qu'Isabelle peut se rendre directement
chez sa chef de service, peut-être plus à l'écoute de son
personnel que ne l'est le personnel soignant ?
9.2 Soupape de sécurité
Cette trentaine de personnel d'entretien se trouvant
hors de la ligne hiérarchique et n'ayant qu'une unique
supérieure, me semblent jouir de plus de libertés dans leur
rapport à la personne âgée. À l'inverse des
équipe nursing où les chefs travaillent au sein de
l'équipe, permettant un contrôle constant, Mme Moreau
possède son bureau à l'entresol. Ainsi, « il peut y avoir
plus de libertés dans la structure aplatie où l'existence de
contacts relativement distants entre le supérieur et ses
subordonnés force ces derniers à réussir ou à
évaluer par eux-mêmes » (Mintzberg 1998 : 140).
Ayant suivi Christelle et Jeanne dans leurs services,
j'ai constaté entre elles et les résidents une certaine
connivence : critique commune du personnel nursing, du directeur, des
médecins, bref, ils se défoulent ensemble dans une organisation
où peu de place est laissée à ce genre de conversations
(cf. effet panoptique, chapitre 8). Ainsi Mme Dem. explique en longueur la
négligence de la soignante venue l'habiller le matin même,
Christelle la soutient entièrement : « de toute manière, y
en a aucune qu'est correcte avec les résidents ! »; Mr Ro. s'en
prend lui au médecin qu'il juge incompétent face à sa
douleur, Jeanne lui répond que ici les vieux remèdes, ils n'y
pensent même pas et que cela est fort malheureux de ne penser que par les
médicaments ; Mr D. et Christelle s'insurgent ensemble contre le
gaspillage de nourriture dans la maison ; etc. Ces moments de
défoulement répondent en quelque sorte à la situation
décrite par Hannah Arendt (1969) : dans un régime bureaucratique,
« une tyrannie sans tyran [...] dominée par l'Anonyme, on ne trouve
plus personne pour crier ses revendications» (Busino 1993 : 111). Les
résidents alors s'exprimeraient avec ceux qui les écoutent,
même si impuissants, les aides-ménagères, élaborant
ainsi le « texte caché » si cher à James Scott (2008),
tenu secret des « dominants » (ici, les soignants).
J'ai tenté d'analyser s'il y avait une
différence de contact entre les résidents résidant dans
les ailes non-médicalisées et ceux résidant dans les ailes
médicalisées. J'imaginais que peut-être les
aides-ménagères prendraient plus de liberté dans les
premières zones, loin du local infirmier et donc du regard du personnel
soignant (cf. chapitre 5). Je n'ai malheureusement pas eu le temps
d'investiguer cette question. Christelle, m'affirma cependant
109
qu'elle se comportait partout de la même
façon, personnel nursing ou non. Je continue néanmoins à
penser que, sous les potentiels regard et écoute du personnel soignant,
les aides-ménagères surveillent plus leurs gestes et leur
langage, mais je ne peux ici que supposer.
Revenons aux actes observés. Face au pied
douloureux de Mr Ro., Jeanne lui propose deux capsules de javel avec lesquelles
il fera un bain de pieds97 : « mais fais le ce soir hein, parce
que s'ils te voient avec ça, moi j'vais pas passer un bon moment hein...
» lui dit-elle. Il promet qu'il le fera devant le journal
télévisé de 19h30. Christelle elle, ne se prive pas pour
ouvrir tiroirs et armoires, ni pour jeter gants de toilette usés,
coupe-ongles, savons, shampoings, etc. choses qu'elle devrait laisser à
l'initiative du personnel nursing.
Je remarque toutefois que les résidents ne
sont pas toujours contents de ces prises d'initiative. Ainsi Mr De. s'insurge
contre le fait que son aide-ménagère lui retire ses restes de
nourriture qu'il garde précieusement dans sa chambre pour remplacer
lorsque le repas du jour ne lui plaît pas. Et vous ne pouvez pas leur
dire que vous aimeriez garder ça ? «C'est inutile, elles n'en
font qu'à leur tête ! ». Plus tard, lorsque j'accompagne
Christelle, nous passons dans la chambre de Mr De. Et, jetant un pot de
confiture ouvert, elle me dit : « ah il n'aime pas hein ça ! Je
sais bien ! Il va m'en vouloir encore... mais bon, moi je peux pas laisser
ça là hein ! C'est dégueulasse !! ». Tension ici
entre le respect de la vie privée et les contraintes
d'hygiène.
Les aides-ménagères rencontrées
semblent apprécier le rapport avec les résidents car si elles
symbolisent la soupape de ceux-ci, ils sont la leur également : «
Quand je suis ici, avec eux, j'me sens bien ! C'est mon valium comme j'dis
toujours ! » (Christelle) ; « Moi j'aime travailler avec des
personnes âgées, plus qu'avec des enfants par exemple, ici ils
sont calmes, ils sont paisibles... » (Isabelle). Ces ruptures avec le
temps traditionnel, avec le temps extérieur, Foucault les appelle «
hétérochronies » (2004 : 17). Face à une
hiérarchie sociale les plaçant au dernier échelon, les
aides-ménagères trouvent satisfaction dans la relation avec les
résidents. Pourtant, et ce, au même titre que le personnel de
soins, le personnel d'entretien doit apprendre à garder une distance
affective avec les personnes âgées : « Ici, je le dis
toujours, il faut avoir un coeur de pierre ! » (Christelle). Jeanne, elle,
s'est jurée de ne plus jamais s'attacher à un/une
résident(e) car elle en a trop souffert auparavant. Et pourtant,
aujourd'hui, elle continue de rendre visite à une vieille dame,
isolée... je sais que je devrais pas, mais c'est plus fort que moi,
et je m'attends encore à souffrir ! laisse-t-elle entendre. Cette
stratégie de survie au sein de l'organisation (connivence avec les
résidents) est donc à double tranchant.
97 L'eau de javel aurait des propriétés
curatives et désinfectantes selon Mr Ro. et Jeanne.
110
9.3 Une transgression sélective
Que ce soit Jeanne ou Christelle, toutes deux
transgressent les règles dans l'intérêt du résident.
Il y a deux ans, Christelle a relevé une résidente, ne pouvant
pas se résoudre à la laisser à terre. De même, ayant
du mal à refuser de l'eau à une personne, il lui est
déjà arrivé de lui donner à boire, le personnel
nursing ne se présentant pas directement. Pourtant, si un
résident a besoin d'un pull, d'un verre d'eau, de se laver les mains,
tombe, veut manger, etc. l'aide-ménagère doit faire appel
à une aide-logistique ou une soignante.
Néanmoins,, si Christelle accepte de
transgresser les règles pour ce qui lui semble juste, brandit ces
dernières quand il s'agit de se faire respecter du personnel nursing.
Elle me raconte que si les soignants n'évacuent pas les pampers sales
des chambres et si personne ne se présente alors qu'elle appelle, alors
elle lance ces derniers au milieu du couloir principal : « si ma chef
arrive à ce moment là, moi j'explique qui faut pas se foutre de
ma tête hein ! ». Même constat pour les excréments de
résidents au sol, c'est aux soignants de ramasser le plus gros,
l'aide-ménagère ne fait que peaufiner le travail. Christelle a
fait un jour une scène devant un tas d'excréments, elle a
crié aux soignants que ce n'est pas sa tâche ! Sa chef s'en est
mêlée et lui donna raison. Habituée à ces
situations, Christelle apprend également aux nouveaux
aides-ménagers à ne pas se laisser avoir, ne pas se laisser
attribuer des tâches qui ne leur incombent pas : « ils [le personnel
nursing] essaient d'avoir les jeunes en leur disant de nettoyer à leur
place, mais moi ça je les préviens les jeunes ! Et je les
défends ! ».
Encadré 14 : Les techniques de
délégation (2) - Le « sale-boulot
».
Si il existe une délégation de
l'écoute et de la conversation (cf. encadré 7), il existe
également une délégation du « sale-boulot »
intra ou inter-fonctions, vers notamment les
aides-ménagères et les stagiaires. À l'inverse des
aides-ménagères qui peuvent faire valoir leurs droits et refuser
d'effectuer une tâche, les stagiaires, cotés à la fin de
leur stage, ont tout intérêt à accepter le travail qu'on
leur donne. Ainsi Christelle, aide-ménagère, me raconte que
lorsqu'il y a des défécations de résident au sol, du vomi
dans les draps, etc. bref, des « tâches jugées ennuyeuses,
rebutantes ou indignes » (Becker 1988 : 37), l'équipe nursing
envoie facilement un/une stagiaire98.
J'ai également observé une
aide-soignante assez âgée (donc ayant connu les années de
gloire des aides-soignantes -- « le monde à l'envers ») exiger
d'un stagiaire infirmier de faire le tour des chambres, prendre les commandes
des boissons et des morceaux de tartes, aller les chercher à la
cafeteria et se charger de la distribution, tâche réservée
aux aides-logistiques. A décharge de la soignante, il faut avouer que ce
stagiaire n'était pas des plus motivés et suscitait assez souvent
l'énervement de l'équipe en coulisses...
|
|
98 Becker reprend ici les idées de Everett
Hughes, 1971. The Sociological Eye. Chicago : Aldine, pp
311-315.
111
Ces situations peuvent être
éclairées par les théories de Michel Crozier qui «
défini[t] le pouvoir en terme « relationnel »: on n'a pas de
pouvoir hors de relations avec autrui, et ce que l'on appelle pouvoir, c'est
une relation dans laquelle les « termes de l'échange » vous
sont favorables » (1994). Les soignantes auraient donc du pouvoir sur les
stagiaires : elles tirent avantage de l'échange malgré le fait
que ces stagiaires viennent pour apprendre les gestes infirmiers et se
positionnent « au-dessus » des aides-soignantes.
On le voit, au niveau de l'organisation du travail,
cette aide-ménagère, et je suppose la plupart d'entre elles, mais
à des degrés divers de révolte, font valoir leurs droits.
Christelle ne veut pas se voir attribuer les tâches ingrates, elle ne
veut pas que son travail devienne le « boulot-fourre-tout », un
boulot de « renfort » (Becker 1988), reprenant tout ce qu'on laisse
derrière, c'est-à-dire les tâches résiduelles. Elle
utilise ici la division du travail pour revaloriser son métier, pour se
réaffirmer et, si possible, enfoncer le personnel nursing :
«Moi ma salle de bain, elle est propre, le reste
je m'en fou ! » dit-elle en déplaçant les chariots de cette
pièce vers le couloir, « j'aimerais que le directeur il vienne et
il voit ça et alors j'lui dirais « ah mais monsieur, moi ça
c'est pas ma tâche ! C'est elles qui mettent ça n'importe
où ! » (Christelle).
Ce comportement serait typique des divergences
d'intérêt au sein d'un monde. Becker note qu'un employé
« engagé pour [...] une fonction précise, à laquelle
il consacre tout son temps, [... peut devenir] si fier, si jaloux de son
travail qu'il peut, par un comportement typiquement corporatiste, contrarier le
processus d'ensemble [...]. Du moment qu'il a accompli correctement sa
tâche, le reste lui importe peu » (1988 : 102).
Les aides-ménagères99
opèrent donc une transgression sélective des règles.
Ainsi, « les règles n'ont pas le statut universel, à tout
moment, elles requièrent un jugement par rapport à leur
application à tel ou tel cas » (Strauss 1992b : 94). En coulisses
(entendu ici, les chambres des résidents), les transgressions sont
fréquentes alors que sur la scène publique, ces mêmes
règles sont mises en avant et défendues scrupuleusement. Les
aides-ménagères jouent donc entre mise à distance de la
division du travail et mise en avant de cette dernière. Ces
transgressions doivent toutefois rester inconnues de la direction, il s'agit de
fautes professionnelles (même si on peut imaginer que le directeur et la
chef d'entretien ne soient pas dupes et se doutent bien des arrangements entre
résidents et personnel d'entretien) et du personnel nursing, cela
mettrait à mal leur crédibilité !
99 Parler aux noms « des »
aides-ménagères est osé puisque je n'ai rencontré
que peu d'entre elles. Je n'avance donc pas que ces comportements soient
communs à tous les membres du groupe. Les « article 60 »,
présents pour une courte durée et exprimant peut-être moins
leurs revendications, forment déjà une variation.
Avant de passer à la discussion finale, je
vous propose de comprendre en détail les données ici
présentées par la description de ma méthodologie
d'enquête et de recherche.
112
Ces situations de délégation de travail
par les soignants (« stratégie offensive ») et la
non-acceptation de ce travail (« stratégie défensive »)
répondent à ce que Michel Crozier et Erhard Friedber
décrivent concernant le comportement de l'acteur dans une organisation
:
« Son comportement [de l'acteur] pourra et devra
s'analyser comme l'expression d'une stratégie rationnelle visant
à utiliser son pouvoir au mieux pour accroître ses "gains",
à travers sa participation à l'organisation. En d'autres termes,
il tentera à tout instant de mettre à profit sa marge de
liberté pour négocier sa "participation", en s'efforçant
de "manipuler" ses partenaires et l'organisation dans son ensemble de telle
sorte que cette participation soit payante pour lui. La mise en oeuvre de
telles stratégies comportera toujours deux aspects contradictoires et
complémentaires. En effet, chaque acteur s'efforcera
simultanément de contraindre les autres membres de l'organisation pour
satisfaire ses propres exigences (stratégie offensive) et
d'échapper à leur contrainte par la protection
systématique de sa propre marge de liberté et de manoeuvre
(stratégie défensive) » (Crozier et Friedberg 1977 : 79 --
80)
***
Si pour Pascale Molinier (2013) les « voix
étouffées » s'illustrent dans la personne de
l'aide-soignante, sur mon terrain, ces voix non-entendues se sont
révélées être les aides-ménagères. En
effet, aides-soignantes et infirmières travaillant main dans la main,
c'est avec ces aides-ménagères que la distance se fait plus
ressentir, à l'instar des observations de Michel Castra en soins
palliatifs (2003 : 184). Ces aides-ménagères, ne connaissant rien
de la personne âgée (ni degré de dépendance, ni
situation financière, etc.), permettent à cette dernière
de se construire une identité différente de celle de
véhiculée par le personnel nursing, lui permettent
d'échapper au monde de la maison de repos et de créer un «
espace autre » (Foucault 2004) où un rapport plus égal prend
forme : deux être humains, inconnus l'un de l'autre, apprennent à
se c onnaitre. Ce rapport égalitaire, amené notamment par leur
place officielle dans l'organigramme (extérieure et structure aplatie),
permet à l'un comme à l'autre d'évacuer tension et
énervement et de trouver un équilibre au sein de
l'établissement. Par ce dernier chapitre mettant en avant le rôle
des aides-ménagères dans la prise en charge des résidents,
j'espère redonner valeur et importance à ces personnes,
participant ainsi au « repeuplement du monde » (Henni on 1993) de la
prise en charge des personnes âgées dans cette maison de repos et
de soins.
113
CHAPITRE 10 :
MÉTHODOLOGIE SUIVIE
Je m'attache en cette fin de
mémoire100 à décrire quelques traits importants
du terrain permettant la contextualisation des données
récoltées. « Dans une démarche réflexive, [les
travaux] pourront analyser le contexte de la recherche ; la façon de
négocier son accès au terrain ; les difficultés
d'accès à l'information ou les stratégies d'encliquage ou
d'instrumentalisation ; les risques que prend parfois le chercheur et ceux
qu'il peut faire prendre à ses différents interlocuteurs ; les
questions de protection des informations et des informateurs et de
propriété des données ; la confrontation des discours et
des savoirs sur l'objet ; la façon dont l'anthropologue influe sur son
objet et dont, en retour, il est lui-même influencé par son
positionnement particulier ; la manière dont ces relations
d'enquête influent sur les stratégies d'écriture et de
publication, en termes de confidentialité, protection des sources, etc.
» (APAD 2013). Voici mon « récit des conditions
d'enquête » (Bizeul 1998) !
10.1 Une entrée négociée et
« enc~iguée »
Tout d'abord, quelle technique d'approche ? J'ai
contacté la maison par e-mail fin juillet, ayant au préalable
passé en revue toutes les maisons de repos et de soins de la ville de
Bruxelles (inforhomes-asbl.be), sélectionné les maisons
ayant un assez grand nombre de résidents (au moins 50 résidents)
et se trouvant dans un endroit accessible de mon domicile. Je regardais
également les infrastructures proposées et éliminais les
maisons sans activité organisée. Je me suis directement
présentée comme étudiante en anthropologie, attirée
par les questions sur la vieillesse et ayant besoin d'un terrain
d'investigation pour mon mémoire.
J'ai été agréablement surprise
de la facilité avec laquelle je suis entrée sur ce terrain :
dès le départ, le directeur était enclin à me
laisser observer l'organisation de « sa » maison. Il m'a toutefois
interdit d'aborder le sujet de la mort (touchant à l'euthanasie), sujet
politique et trop sensible selon lui. Cela a d'ailleurs amené une
discussion tendue : le mot « fin de vie »,
100Certains me reprocheront ce choix et me diront
qu'une méthodologie se place en début de travail afin de
permettre au lecteur de contextualiser les données dès le
départ. Cela se défend. Dans ce travail toutefois, j'ai
préféré annoncer dans les grandes lignes ma position sur
le terrain dans l'introduction et placer cette méthodologie
détaillée en fin de travail, afin de faire plonger le lecteur
directement après l'introduction au coeur du sujet de mémoire. De
plus, un tel chapitre en fin de travail permet, me semble-t-il, la
sensibilisation du lecteur au terrain étant effectuée, de mieux
comprendre les choix méthodologiques effectués.
114
utilisé dans mon projet de mémoire pour
parler de « vieillesse », signifiait pour lui « patients
palliatifs » alors qu'il signifiait « vieillesse » pour moi. Ce
malentendu réglé, la maison m'était ouverte, tous les
jours de la semaine, à toute heure. Je m'y suis rendue les mois
d'octobre et novembre 2012 puis, ayant demandé de prolonger mon
observation, les mois de février et mars 2013, à raison d'en
moyenne 2 visites par semaine.
Sophie Caratini montre bien que la présence du
chercheur sur le terrain est le fruit de négociations. Les armes pour se
faire accepter selon elle, sont : la séduction ; la
nécessité de prouver le but scientifique de la recherche aux
autorités locales ; et celle de tenir ces autorités au courant
des actions de l'anthropologue (2004 : 41-44). Dans mon cas, les trois
techniques ont été utilisées : je suis une fille cherchant
à être acceptée, à bien me faire voir, face à
Mr Marc, homme, 37 ans. La séduction a joué. J'ai fourni une
lettre de recommandation de mon promoteur et j'informais de temps à
autre ce directeur de mes avancées (j'y reviens
ci-après).
Mes observations n'ont cependant pas
été « gratuites », Mr Marc (c'est-à-dire le
CPAS, cf. chapitre 3) a de mes contacts avec les résidents pour
connaître l'avis de ces derniers sur la maison, touchant ici à la
question plus large de l'instrumentalisation du chercheur et du
«prix» des données101. Ceci a permis d'introduire
un rapport de réciprocité que je trouvais d'abord juste mais par
la suite encombrant. Juste d'abord. Sophie Caratini note que «
parfois pour se libérer de cette sensation de dette, [le chercheur ...]
rend de multiples services » (2004 : 23) et se détache alors de la
« position de débiteur ». De plus, ces questions, «
faciles » à poser (demandant des réponses claires et
précises des résidents), m'ont permis parfois d'instaurer un
rapport de confidence avec le résident. Encombrant ensuite.
Ceci m'a demandé un travail supplémentaire de tri des
données, qui, au final, n'a pas eu l'impact attendu (le directeur n'a
pas semblé y porter beaucoup d'importance lors de ma
présentation).
Cette entrée « par la grande porte »
(avec l'accord du directeur) me coûta également cher sur le
terrain, et ce, auprès du personnel de soins. Daniel Bizeul (1998) parle
des difficultés d'investiguer un terrain « en conflit », bien
que dans mon cas, le conflit ne soit ni violent ni fort apparent, certaines
tensions existent entre différents groupes, dont entre le directeur et
le personnel. Lors de mes premières observations au sein du personnel,
aux questionnements sur ma présence dans l'établissement, je
répondais que oui oui, le directeur est au courant, il m'a
donné son accord. Ainsi, mon entrée fit écho à
la situation d' « encliquage » décrite par Olivier de Sardan
:
101Que le prix soit matériel (monétaire)
ou immatériel (informations en échange).
De ce « danger », le directeur en était
conscient. Il désirait me remettre « sur la bonne
115
«L'insertion du chercheur dans une
société ne se fait jamais avec la société dans son
ensemble, mais à travers des groupes particuliers. Il s'insère
dans certains réseaux et pas d'autres. C'est ce que nous appellerons
« encliquage » (...). Le chercheur peut toujours être
assimilé, souvent malgré lui, mais parfois avec sa
complicité, à une « clique » ou une « faction
» locale, ce qui lui offre un double inconvénient. D'un
côté, il risque de se faire trop l'écho de sa « clique
» adoptive et d'en reprendre les points de vue. De l'autre, il risque de
se voir fermer les portes des autres « cliques » locales. »
(2003 : 93 -- 94)
Et de fait, par la suite, j'ai senti la
réticence du personnel à me parler, le recours aux discours
« tout faits », l'utilisation de termes officiels, etc. Je n'avais
alors pas accès aux réelles pratiques, peut-être moins
avouables. Dans ces moments, je me voyais appliquée un rôle de
« délatrice », un rôle d'espionne accédant «
aux coulisses », susceptible de divulguer des « informations
destructrices en public », ici la direction (Goffman 1973a). Une
aide-soignante, Catherine, me fit particulièrement sentir que ma
présence la gênait : elle ne m'adressa la parole qu'après
un mois de participation aux pauses d'équipe, et ce après m'avoir
demandé : « Tu t'entends bien avec le directeur toi ? »
Non non, je le connais pas hein ! « ah d'accord... parce que lui
et moi, on n'est pas copains hein (les autres rigolent et confirment) ! Il
faudrait pas que t'aille lui raconter c'que j'dis ! ». Ce n'est qu'au fil
du temps et ce, au sein d'une même équipe (du second), que ma
présence a été acceptée et que les personnes ont
osé « se lâcher » un peu, me racontant des anecdotes,
des histoires cachées, etc. Ceci confirme la théorie de Goffman
(1973a) sur la « loyauté dramaturgique ». Selon celle-ci, les
individus renforcent leur rôle officiel devant des personnes inconnues,
et laissent tomber leur masque devant des personnes connues. La
légitimation officielle de ma présence (l'accord du directeur) a
donc été ce que je nomme, une « délégitimati
on pratique » (ma présence, au début, n'était pas la
bienvenue au sein de l'équipe. Par la suite, nous nous entendions
bien!).
Dès le départ, le directeur me demande
de lui faire part de mes observations, et ce, après chaque venue dans
l'établissement. Je représentais sûrement pour lui, un
« danger » :
« Le chercheur, tout comme il en serait d'un
journaliste ou d'un contrôleur de l'État, représente un
danger. D'abord, il constitue «un élément relativement
incontrôlable au sein d'un système par ailleurs extrêmement
contrôlé», ainsi que le remarque Spencer (1973, p. 93) [...].
Ensuite, il va s'intéresser à des aspects qui contredisent
l'image officielle, il va être témoin ou être mis au courant
d'actes illégaux, de pratiques condamnables, de conflits de diverses
sortes, il va entendre des propos susceptibles de provoquer des remous à
l'intérieur et de susciter l'indignation à l'extérieur.
»
(Bizeul 1998 : 758).
116
voie », m'expliquer le pourquoi de tel choix, de
telle situation, ayant peur que, sans c onnaitre les impératifs et les
contraintes institutionnels, je ne comprenne pas ou que j'interprète mal
les situations observées et ne présente une mauvaise image de la
maison. Comment gérer cette situation où l'un des camps cherche
à « encliquer », à imposer sa vision de la situation au
chercheur ? Ma solution fut de ne pas raconter tout au directeur,
d'éviter les rencontres et surtout de plutôt poser des
questions au lieu d'y répondre. Néanmoins, j'ai senti
qu'il me trouvait cachotière, qu'il se méfiait de moi sur la
fin... Ceci, je pense, a été la cause de la
détérioration de nos relations en fin de terrain, alors que je
m'éloignais de son emprise.
De manière générale, face aux
différentes personnes, je me présentais toujours comme
étudiante. Devant les externes, je n'ai rencontré aucune
difficulté à parler de sciences sociales. Cependant, devant une
personne âgée, ne comprenant pas le sens du mot «
anthropologie », je disais faire un « stage » dans la maison,
où je me chargeais de comprendre le fonctionnement de la maison de repos
et de c onnaitre leur avis sur cela. Selon le degré de
compréhension de la personne, j'ajoutais parfois des explications sur ma
thématique de recherche. Face à certains membres du personnel,
les mêmes difficultés de non-compréhension sont apparues.
J'expliquais alors que j'étudiais les relations sociales et la
coordination des personnes dans un milieu fermé (ici
l'établissement). Bref, j'adaptais mon discours en fonction de la
personne qui me faisait face.
Si au départ le directeur me chargea, à
ma demande, de distribuer aux résidents de petites cartes (concernant la
journée internationale des personnes âgées -- 1er octobre),
je n'ai par la suite, plus pris aucun rôle « officiel ». Je
suis toujours restée volante, à part, extérieure à
chaque groupe, position offrant ses avantages et ses inconvénients :
avantages car je n'avais de ce fait, aucune obligation d'heure, de jour, de
tâche et je voyageais entre les groupes en réduisant les risques
d' « encliquage ». Inconvénients car je n'ai alors jamais
réellement ressenti, vécu, la vie d'un groupe. Néanmoins,
mon sujet de mémoire étant la négociation de la prise en
charge, impliquant par définition plusieurs acteurs, cette position m'a
permis d'entendre « les différents sons de cloche », comme le
prône Anselm Strauss : « la vision du monde interacti onniste, sa
définition de la vie sociale comme action collective engagent le
chercheur à prendre en compte le point de vue et les actions de tous les
acteurs » (1992b : 58). J'ai ainsi pu participer à
différentes tâches : une journée passée avec
Joëlle, aide-logistique ; quelques après-midi avec Christelle ou
Jeanne, aides-ménagères ; aide à la distribution des repas
dans le secteur 2 ; alimenter des résidents dépendants toujours
dans ce secteur deux et ce, à plusieurs reprises ; participation et aide
à l'ergothérapeute dans les activités ; etc.
117
10.2 Différents groupes, différents
territoires, différentes approches
«L'identité que le chercheur se voit
d'entrée de jeu attribuée repose pour une part sur des
caractères immédiatement perceptibles comme le sexe, le type
racial, l'âge apparent, la qualité physique. Elle induit sur ses
interlocuteurs des attentes et des réactions plus ou moins
stéréotypées, qui orientent en retour son mode de
présence » (Bizeul 1998 : 754)
Quel ne fut pas mon désarroi face à une
population importante (+1- 240 personnes) mais surtout très
hétérogène (cf. les 4 premiers chapitres) ! Comment alors
aborder cette dernière ? Olivier de Sardan apporte une première
réponse à ma situation. L'auteur prône la méthode
ECRIS - Enquête Collective Rapide d'Identification des conflits et des
groupes Stratégiques -, où il considère le paysage social
comme une « arène » : « un lieu de confrontations
concrètes d'acteurs sociaux en interaction autour d'enjeux communs
» (2003 : 24). Toutefois, dans mon cas ethnographique, il ne s'agit pas de
conflits au sens fort mais plutôt de négociations. J'ai donc
opéré une première division, classant la population en
trois groupes distincts sociologiquement : les résidents ; le personnel
; les « électrons libres », pour la plupart, des «
externes ». Comme le remarque Caratini, la pratique du terrain est un
« ensemble de relations qu'il faut établir avec des inconnus sur
leur propre territoire » (2004 : 22), j'ai utilisé
différentes approches pour appréhender ces divers «
territoires », en fonction notamment, de mes « caractères
immédiatement perceptibles ».
· Le groupe « Résidents ». La
moyenne d'âge de ce groupe monte à 82-83 ans (d'après les
chiffres de la direction). La limite d'âge pour entrer en maison de repos
(en Belgique) est de 60 ans et une maison de repos belge ne peut accepter que
10% de résidents en dessous de cette limite. Sur mon terrain, je n'ai
interrogé qu'une personne de 58 ans. Il faut toutefois se rendre compte
que ces jeunes personnes sont arrivées « pour une bonne raison
» (Mme Tulipe, assistante sociale) et ne s'apparentent pas à une
personne de 58 ans à l'extérieur de l'établissement. Ces
jeunes ne constituent donc spécialement une source d'informations
«plus fiable » qu'une personne de 90 ans.
Mes répondants officiels (entretiens seul
à seul, parfois sur rendez-vous, avec dictaphone, dans leur chambre) se
divisent entre 7 femmes et 7 hommes. Ceci n'est pas représentatif du
sexe-ratio de la population de la maison de repos qui, comme beaucoup d'autres,
comprend plus de femmes que d'hommes. Ces répondants sont pour la
plupart d'origine belge et dépendent du CPAS. Un problème
rencontré avec ces personnes âgées en général
a été leur perte de mémoire et donc l'oubli constant du
pourquoi de ma présence.
102Entendez bien que je ne séduis pas
les personnes âgées au sens fort, mais que mes
caractéristiques physiques (blonde, blanche, jeune) m'ont fait
directement appréciée par les résidents.
118
Néanmoins, les personnes étant
habituées à voir défiler du monde et ayant envie de
parler, cette perte de mémoire n'a pas entravé mes recherches.
J'ai d'ailleurs été étonnée de la facilité
avec laquelle certains me parlaient de problèmes intimes, de
problèmes avec le personnel, sans se soucier de savoir qui
j'étais. Dans ce groupe, le fait d'être une fille, belge, à
l'allure classique, leur rappelant peut-être l'une ou l'autre
petite-fille, semble avoir joué en ma faveur. Et le directeur me l'avait
annoncé au départ, les résidents ne verraient selon lui,
aucun inconvénient à parler « à une jeune fille
blonde » (Mr Marc).Ces personnes ne demandaient pas un degré
confiance important, la séduction a donc
suffi102.
Dans mon cas, ce qui a dicté mes choix de
répondants a été évidemment le degré de
capacité des personnes à pouvoir me répondre. Tant pour la
phase exploratoire que celle d'observation (Quivy et Van Campenhoudt : 2006),
j'ai utilisé la technique « boule de neige » (via des conseils
du personnel ou de résidents) pour rencontrer des personnes
cohérentes et « s ondables ». J'ai également
participé aux activités proposées par
l'ergothérapeute ainsi qu'au conseil des résidents (1fois/3mois),
ce qui m'a donné un aperçu des personnes cohérentes,
sachant parler de manière compréhensible. Néanmoins, et je
reprends l'expression d'Isabelle Mallon (2005), seules ont accepté de
converser, les personnes ayant un « moi acceptable ». Ainsi, certains
m'ont refusé la conversation, se trouvant trop vieux, ou plus assez en
forme. Malgré mon avis contraire, considérant la personne comme
tout à fait capable de répondre, j'acceptais ces refus. Situation
qui illustre, comme dans toute ethnographie, la dépendance du chercheur
face à ses interlocuteurs (Bizeul 1998 ; Caratini 2004).
· Le groupe « Personnel ». Les
personnes rencontrées, maj oritairement des femmes, se situent entre 25
et 50 ans. J'ai récolté les témoignages complets
(entretiens seul à seul, avec dictaphone et questions précises)
de 7 femmes et 1 homme. Comme je le disais, et comme me l'a confirmé Guy
Lebeer, le personnel de soins (les membres du personnel d'entretien
rencontrés étant plus francs), se réfugient souvent
derrière le règlement, reprennent les mots officiels pour
expliquer les situations. Il s'agirait d'une caractéristique du milieu
médical.
Ainsi récolter de vive voix des
réponses concrètes concernant leur pratique réelle m'a
été assez ardu ! La technique prônée par Quivy et
Van Campenhoudt (2006) de poser le moins de questions possibles et/ou les plus
larges possibles afin de laisser l'individu exprimer sa réalité,
n'a ici pas été efficace. D'abord je pense que le personnel avait
peur que ces informations ne parviennent au directeur ; ensuite ces personnes
ne parlant parfois pas bien
103Ici, participation au sens faible : je suivais une
femme d'entretien dans sa tournée de nettoyage, entrant avec elle dans
les chambres, mais sans moi-même faire l'acte de nettoyer.
119
français, reprenaient les mots exacts que l'on
retrouve dans le règlement d'ordre intérieur ; enfin, parler de
leurs pratiques à une jeune universitaire belge, venant enquêter
sur leur territoire pouvait paraitre violent, d'où un désir de
préservation...Pour Olivier de Sardan (2003), il peut aussi s'agir du
biais de « désirabilité sociale » : se montrer
irréprochable dans sa pratique. Ma porte de sortie alors, sous les
conseils de mon lecteur Mr Guy Lebeer, a été de poser des
questions les plus concrètes possibles et de sans cesse leur demander
d'exemplifier.
Je le disais, le personnel provient principalement de
l'étranger, avec une majorité de personnes africaines et
marocaines. Dans ce contexte, moi, blonde, blanche, universitaire
démarquait quelque peu. Je me suis surprise à modifier ma
façon de parler, à adopter un langage plus « populaire
», des intonations différentes, afin de moins faire tâche et
de me « fondre » dans la conversation... Mon profil a ici joué
en ma défaveur.
· Le groupe « électrons libres
» : groupe très hétérogène reprenant le
directeur, la chef nursing, l'assistante sociale, l'ergothérapeute, le
médecin, la psychologue, l'animatrice, les 'cinés, les personnes
à l'administration, etc., plus indépendants par rapport à
la maison. Citons qu'ils sont pour la plupart belges, aux alentours de 40 ans
(26 ans pour la psychologue et 63 ans pour le docteur Tudor) ayant suivi des
études, parlant bien français, et plus aptes à comprendre
mes questions plus abstraites. Des trois groupes, c'est de celui-ci dont je me
suis sentie socialement la plus proche. Ils ont vite compris ma position et
parfois même, comme l'ergothérapeute, m'expliquaient leur point de
vue sans même que je ne leur demande, essayant ainsi de m'aider dans ma
recherche. J'ai principalement conversé avec le docteur Tudor, avec
lequel une certaine amitié s'est nouée, et avec le directeur,
j'ai plutôt observé ou parlé de façon informelle
avec les autres « électrons ».
10.3 Oui mais concrètement ?
Les données mises en avant dans ce
mémoire proviennent donc d'entretiens semi-directifs, illustrant les
« observations indirectes » (Quivy et Van Campenhoudt : 2006), de
conversations plus informelles (en groupe, lors d'activités, dans les
couloirs, etc.) et de mes observations, dites « observations directes
» (idem : 2006), lors de ma participation aux
repas ou au nettoyage des chambres103, bref de mon observation
générale de la vie en maison de repos et de soins. J'ai
également tenté de récolter des réponses par
questionnaires auprès du personnel nursing mais cette tentative fut peu
fructueuse : sur 25 questionnaires distribués (en
120
main propre, avec explications pers
onnalisées104 !), je n'en ai reçu que 3 en retour,
dont 2 inutilisables vu la brièveté des réponses (Oui
ou Non). Je me base également sur les documents officiels,
dits « compléments d'exploration » (idem : 2006)
fournis par le directeur (voir littérature citée) ainsi que la
répartition « locale » des tâches par étage
(entre les ailes).
J'ai profité du climat chaleureux d'une
équipe (2ème étage) pour passer mes
journées à leurs côtés et profiter ainsi de leurs
conversations. Cela a été ma solution face à cet
établissement fragmenté tant spatialement que temporellement. Il
a fallu néanmoins du temps pour qu'elles me fassent confiance, qu'elles
laissent leur rôle de soignantes « dans le couloir
».
J'ai assisté aux réunions plus formelles
: conseil des résidents, rapports du matin et réunions
interdisciplinaires. Je « zonais » également près des
lieux publics (cafétéria, restaurant) pour me faire voir des
résidents et les habituer à mon visage, c'était
également une occasion d'observer le quotidien de la maison. Par contre,
je n'ai pas participé aux soins techniques en tant que tel, ne voulant
pas déranger les résidents et m'immiscer dans leur
intimité, même, si le personnel n'y aurait sûrement vu aucun
inconvénient...
Cependant,
l'hétérogénéité de cette population et
l'importante division des tâches liées au « care »,
impliquent n'avoir que quelques entretiens par fonction. Ceci pourrait
être vu comme une lacune car les données alors ne proviennent pas
d'un échantillon représentatif de la fonction en question. Ainsi
je n'ai côtoyé réellement qu'une aide-logistique,
Joëlle, et deux aides-ménagères, Jeanne et Christelle, peu
de gens par rapport à la fonction d'aide-soignante, bien plus
représentée105! De plus, dans le groupe des «
électrons libres », chaque personne incarne une fonction
particulière et toutes ces personnes participent à la prise en
charge de la personne âgée. J'ai alors suivi le conseil de mon
promoteur, Marc Lenaerts, et n'ai véritablement pris en compte que les
personnes importantes pour les résidents interrogés, les
personnes qu'ils considèrent faisant partie de leur monde. Ainsi, une
personne comme l'assistante sociale, Mme Tulipe, peut-être importante
pour d'autres, n'est pas revenue dans les discours de mes répondants et
se voit donc quelque peu évincée de ce
mémoire...
10.4 Et théoriquement ?
Contrairement à la démarche de Quivy et
Van Campenhoudt (2006), démarche plutôt déductive divisant
la recherche en trois étapes (la rupture avec les fausses
évidences, la
104C'est-à-dire en demandant à la personne
si elle avait envie de répondre et en expliquant bien que cela
était important pour moi. La plupart des personnes ont répondu
qu'elles s'engageaient à le faire.
105Voir la liste des interlocuteurs en annexe
1.
121
construction du cadre théorique de
référence et l'expérimentation sur le terrain), j'aborde
dans ce mémoire la démarche d'Anselm Strauss, qu'il nomme «
grounded theory » (1992b). Ainsi, le processus de recherche sera
non-linéaire et amènera des allers-retours entre la collecte de
données, le codage et la rédaction de notes. C'est cette
démarche que j'ai suivie, modifiant mon sujet de recherche en fonction
de ce qui m'a frappé sur le terrain et par la suite,
redéfinissant sans cesse les questions et les points à observer.
Il faut également noter que ce travail n'est valable que pour un
endroit, à un moment précis, les informations avancées ici
n'ont pas la prétention d'aller au-delà.
***
Pour résumer ma démarche donc, face
à cette large population, j'ai divisé en groupes
stratégiques et ai développé des stratégies
d'approches différentes selon ces derniers : l'effet «boule de
neige» au sein du groupe de résidents, à l'instar de la
technique d'Isabelle Mallon (2005), évitant ainsi les personnes à
la mémoire dégradée ; le choix de personnes sympathiques
et ouvertes au sein du personnel ; le choix d'un lieu spécifique pour
mes observations (second étage), méthodologie faisant écho
à celle d'Erving Goffman (1968). Cela me permet d'éviter la
situation où « à force de trop vouloir enlacer, on enlace
mal », décrite par mon lecteur, Mr Lebeer.
A ceux qui clameront que je n'ai pas fait de «
vrai » terrain anthropologique, qu'une maison de repos reste un terrain
facile car proche, « at home », je répondrai que certes cette
population n'a pas été compliquée à aborder,
notamment par le partage d'une langue similaire mais que néanmoins,
«l'altérité est partout, et d'abord dans le rapport entre
les sexes et les générations, donc en soi » (Caratini 2004 :
29). De plus, comme Fatima Outtara (2004 : 636) note, « les conditions
méthodologiques et épistémologiques de la description dans
un contexte de proximité culturelle au milieu » sont rarement ni
développées ni mises en avant, contrairement à celles des
terrains dits « exotiques ». Mathieu Hilgers, dans un cours
d'anthropologie du proche à l'ULB (2010-2011), montre d'ailleurs bien
les débats tournant autour de la question de l'étude du proche.
La principale difficulté à observer un tel terrain s'illustre
paradoxalement dans le partage d'une même culture, du même langage,
des mêmes catégories de pensée. En effet, il faut arriver
à déconstruire le phénomène « escamoté
et occulté par la métaphorisation » (Drulhe et
Clément 1998), démolir ces concepts acquis, « allant de soi
», ce qui n'est pas chose facile ! J'ai ainsi tenté dans ce
mémoire, de reprendre au maximum les termes émics, de ne porter
aucun jugement de valeur, de retracer un
122
historique de la prise en charge, bref, de
tâcher de me détacher de mes présupposés.
Néanmoins, comme je le mentionnais dans l'introduction, le choix de ce
terrain découle de mon attachement, mon attirance pour les personnes
âgées. Influencée par des écrits de révolte
tels que On achève bien nos vieux, de Jean-Charles Escribano
(2007) ou Lettre à la vieillesse en occident, de Michèle
Mdonna Dsbazeille (2004), dénonçant la mauvaise prise en charge
de la personne âgée dans notre société, je
m'attendais à me voir « prendre parti » pour les
résidents face à un personnel indifférent et standardisant
la prise en charge. Il n'en a pourtant pas été ainsi. Si au
départ, je dois avouer avoir été choquée par le
comportement du personnel envers les résidents (non-écoute,
non-attention, non-réponses, etc.), au fil des mes contacts avec ce
milieu, je me suis prise d'admiration et de respect pour le personnel de la
maison, effectuant un travail formidable, difficile et peu valorisé.
Peut-être que le lecteur a senti cette prise à parti involontaire
dans la lecture...
Premières notes de terrain :
« On les force à prendre des
médicaments sans leur donner d'explication ! On laisse des personnes
seules, face à un mur, criant, appelant « au secours » !! On
les laisse assises après le repas dans l'espace commun... elles s'y
endorment ! Et elles restent jusque au moins 14h ! Le personnel s'en rend-il
compte ?? » (notes de terrain 02/10/2012)
« ! CHOC ! le personnel est si peu investi !!!
Ils sont plutôt à rire entre eux au lieu de s'occuper des
personnes encore assises à table ! Ils parlent fort pour se faire
comprendre de l'autre côté de la pièce ! Comme si les
personnes âgées n'étaient pas là !! » (notes de
terrain 06/10/2012)
En guise de conclusion je m'appuie sur les
réflexions de Daniel Bizeul et confirme que le chercheur n'est jamais
« maître des relations engagées » (1998 : 751). Strauss
(1997) note également cette dépendance au bon-vouloir des
individus, caractéristique propre à toute science sur l'homme.
Ainsi, en fonction du type de profil, du groupe de personnes, auquel le
chercheur fait face, ce dernier doit modifier ses angles d'approches, ses
« stratégies » pour réussir à récolter
les informations qu'il désire. De plus dans un « terrain
marqué par l'antagonisme entre groupes » (Bizeul 1998 : 756), je me
voyais parfois soupçonnée d'être de connivence avec la
direction ; de ce fait, j'essayais, du côté du personnel, de ne
citer le nom du directeur que rarement, pour éviter de me faire passer
pour « délatrice ». à l'instar de l'approche
développée par Howard Becker (1988), j'ai tenté de rester
la plus fidèle possible aux situations observées, de mettre en
avant dans ce travail « des acteurs réels dans des
123
situations réelles » (Menger 1988 : 13),
tenté également de retranscrire le plus honnêtement
possible les conversations entendues. Ceci répond à la condition
posée par Strauss pour se valoir d'une bonne recherche : les individus
étudiés peuvent alors se reconnaître dans mon travail
(1992b : 144). Ma grande interrogation reste maintenant celle-ci : doit-on
rendre une copie de notre mémoire aux membres du terrain qui nous l'ont
demandé ? Si pas, n'est-ce pas une rupture de réciprocité
? Si bien, alors comment écrire sans blesser les gens ? Et ce
mémoire décrivant les écarts, les libertés du
personnel et des résidents, ne donne-t-il pas les clés pour un
plus grand contrôle de la part de la direction ? N'est-ce pas au final
trahir mes interlocuteurs principaux (pour lesquels, il faut l'avouer,
j'éprouve beaucoup de sympathie et de reconnaissance) que de faire
parvenir ce travail à Mr Marc ?
124
Revenons aux deux approches que proposent Crozier et
Friedberg (1977). La première, ici la seconde facette de l'horlogerie,
concerne les « appuis conventionnels de l'action au
DISCUSSIONS CONCLUSIVES
Ou : L'histoire dont ils sont les
héros.
«Une organisation ne peut être
analysée comme l'ensemble transparent que beaucoup de ses dirigeants
voudraient qu'elle soit [...]. Organisation évoque avant tout un
ensemble de rouages compliqués, mais parfaitement agencés. Cette
horlogerie semble admirable tant qu'on l'examine seulement sous l'angle du
résultat à obtenir : le produit qui tombe en bout de
chaîne. Elle change en revanche radicalement de signification si on
découvre que ces rouages sont constitués par des hommes »
(Crozier et Friedberg 1977 : 35-38).
Si comme le proposent les auteurs ci-dessus, ce
mémoire se consacre d'abord à l'horlogerie officielle,
c'est-à-dire la structure organisationnelle de l'établissement,
et ensuite à l'horlogerie « de terrain », c'est-à-dire
les négociations, stratégies d'acteurs quotidiennes, j'y ajoute
une troisième facette : le processus historique et les « facteurs
de contingences » (Mintzberg 1998) qui ont amené la maison de repos
et de soins à adopter une telle structure et à accueillir une
telle population. Cela répond à l'idée qu'un « monde
» contemporain reprend également tout ce qui a été
fait avant, jusqu'à « celui qui a eu l'idée » (Becker
1988 : 28).
Ainsi, premièrement, l'histoire de
l'établissement mise en lien avec des processus socio-historiques plus
généraux (Henni on 1993 ; Bois 2002 ; Genard 2009 ; Feller 2005 ;
etc.) ; deuxièmement, l'évolution du règlement en
parallèle avec le mouvement d'humanisation des institutions et la
suppression de la violence physique (Elias 1973) au profit d'une discipline
normalisatrice (Foucault 1975), faisant ainsi émerger les notions de
« civilité », « d'intérêt
général » au sein de l'établissement ;
troisièmement, les implications d'être une maison de repos et de
soins publique, impliquant notamment un contrôle externe par le CPAS qui,
à l'instar de l'état dans la réalisation d'oeuvres d'art,
«participe au réseau de coopération [... en ce qu'il] limite
la marge de manoeuvre des [acteurs...] en soutenant directement ou
indirectement les activités qu'il approuve » (Becker 1988 : 206),
et ce, par, entre autre, le règlement d'ordre intérieur et la
convention proposés par la COCOM ; et quatrièmement, les
conséquences sociales qu'implique une implantation sur le sol
bruxellois, forment cette facette supplémentaire nécessaire pour
la compréhension de l'horlogerie actuelle.
125
repos », « c'est-à-dire l'ensemble
des ressources qui permettent d'élaborer une communauté,
même minimale, de perspectives pour coordonner des actions » (D
odier 1993 : 65-66). Ces appuis s'illustrent ici par les documents officiels,
connus des acteurs, le « socle commun » (B oltanski et
Thévenot 1991 dans Dodier 1993), cadrant alors les formes que prennent
leurs actions et comportements, de façon formelle comme informelle
(Strauss 1992). Il s'agit par exemple de l'organigramme représentant la
hiérarchie décisionnelle officielle, des profils de fonction, du
règlement d'ordre intérieur, du but officiel d'une MRS,
etc.
La structure de l'établissement se voit ici
qualifiée de « bureaucratie professionnelle », coordonnant
alors ses activités par la standardisation des qualifications et
comprenant également un volet mécaniste, qui lui, recourt
à la standardisation des procédés de travail pour assurer
la coordination entre acteurs (Mintzberg 1998). À celles-ci s'ajoutent
des mécanismes d'ajustement mutuel, tant prévus qu'informels, et
une supervision directe dans le groupe nursing, même si les chefs
infirmiers ne s'en prévalent pas. Ces deux types de bureaucraties
amènent ce que Thompson nomme des « bureaupathol ogies »
(1961) : lenteur du système, problèmes de communication,
concentration sur les moyens, difficulté à prendre en charge les
demandes non-routinières, manque d'adaptation, manque de motivation,
etc. (Mintzberg 1998). Charles Perrow montre que même un hôpital
peut ressembler à une chaîne de montage et tire les conclusions
suivantes face à un service gynécologique : « Pour la
mère, la naissance est unique, mais pour le médecin et le reste
du personnel, il s'agit d'un travail répété plusieurs fois
par jour » (1970 : 74). Ainsi, une caractéristique de la
bureaucratie professionnelle serait de classer et ranger les clients « en
catégories parce que traiter chaque cas comme un cas unique imposant une
analyse complète exigerait d'énormes ressources »
(idem : 58).
Face à ces « bureaupathol ogies »,
à la « gangrène administrative » (de Hennezel 2004),
à l'homogénéisation de la prise en charge, et à la
hiérarchie décisionnelle, les acteurs en jeu, tant membres du
personnel que résidents, élaborent différentes formes de
réponses, allant parfois, pour le personnel, à l'encontre
même de règles légales. Selon Peter Blau (1955), ces
réponses (individuelles ou collectives mais en tout cas imprévues
dans le schéma organisationnel de base) forment pourtant le
système de règles informelles inévitable et
nécessaire à tout fonctionnement d'organisation bureaucratique.
Sans cette « vie clandestine » (Goffman 1968), l'organisation
deviendrait inopérante. Je montre d'ailleurs comment les « chefs
» (notamment la directrice nursing) comptent sur cette vie
parallèle et attendent du personnel qu'il « sache » quoi faire
devant des situations anomiques, escomptant une prise d'initiative de ces
derniers, prise d'initiative qui, au détour, devient faute
professionnelle s'il
126
existe une quelconque manière officielle et
standardisée de répondre à la situation.
Ainsi donc, entre mise à profit de la division
du travail, contournement des règles officielles, court-circuit de la
hiérarchie, initiative personnelle, profit de l'absence de
face-à-face (Busino 1993), profit de la situation de « flux
régulés » (Mintzberg 1998), etc., chacun tente
d'aménager ce que j'appellerai ses « techniques de survie »,
prenant parfois la forme de « petits scandales » (Goffman 1968). Ceci
découlerait en partie d'un certain « désir inné
d'autonomie et d'indépendance [...] provoquant une réaction aux
lois imposées » (Scott 2008 : 124 -- 125), mais également
d'un désir de parvenir à ses fins, de rester cohérent avec
son vécu antérieur, malgré les contraintes
institutionnelles propres à l'établissement observé et
à toute vie en collectivité ainsi que en « institution
totale » (Goffman 1968).
La seconde approche, troisième facette donc, se
concentrant alors sur ces rouages internes de l'horlogerie, ces actions
concrètes, ces « ressources qui n'existent que sous une forme
animée, actualisées dans les actes humains » (D odier 1993 :
80), je l'ai nommée, reprenant la notion d'Anselm Strauss (1992b), le
« contexte proche ». Cette entrée dans l'action illustre la
coordination interne et propre aux acteurs, afin soit d'assurer le
bien-être du résident pris en charge (but officiel), soit
d'assurer leur propre équilibre entre « culture importée
» (G offman 1968 : 55) et culture imposée
(institutionnelle) et d'atteindre ainsi leurs objectifs personnels (but
officieux). Cette coordination « de terrain » se traduit, au niveau
du personnel, par la gestion des affinités et du savoir-faire de chacun
(sur la scène publique) et par une forme de leadership informel (en
coulisses). Au niveau des résidents, j'ai montré les nombreuses
stratégies d' « adaptations secondaires » qui, en permettant
« d'obtenir des satisfactions interdites ou bien des satisfactions
autorisées par des moyens défendus » (Goffman 1968 : 99),
permettent aux uns et aux autres de continuer leur vie antérieure
malgré le passage en institution et un mode de vie standardisé,
segmenté (spatialement, fonctionnellement et temporellement) et
contraignant (règles de vie en collectivité). Évidemment,
des frustrations subsistent et subsisteront toujours suite aux
impératifs de la vie en collectivité et du travail en
équipe, mais il semble que les personnes tentent au moins d'adoucir les
conséquences de ces frustrations sur leur quotidien.
Ainsi, par la mise en avant de ces trois facettes, de
ces trois approches de la MRS « Les Capucines », ce travail permet
d'« accéder aux différentes modalités par lesquelles
les personnes établissent, dans le moment présent, un lien entre
leur expérience personnelle, les traces du passé livrées
par l'environnement et leurs horizons d'attente » (D odier 1993 :
68).
127
Cependant, tout serait trop beau si la coordination
s'établissait sans heurt, sans tension et en totale compréhension
des attentes, des désirs, des uns et des autres. En effet, «
l'engagement simultané dans la même forme de coordination [...]
n'est alors qu'un cas particulier de coordination » (Dodier 1993 : 74) et
Olivier Moeschler d'ajouter : « Il n'y a pas de bons ou de
méchants. Il n'y a que des protagonistes [...] qui se battent parfois
pour le premier rôle, avec leurs desseins et leurs stratégies,
leurs réussites et leurs échecs » (2011 : 20). Ces tensions
inter-individus, je les ai comprises comme résultant de tensions entre
trois lieux spécifiques, sous-tendant chacun une philosophie propre,
trois « types idéaux », prônant trois «
coordonnées anthropologiques » (Genard 2009) différentes en
quelque sorte, c'est-à-dire, trois façons de représenter
l'humain, dans ce cas ci, le résident. De ces trois visions du
résidents, découlent diverses visions de ce qui est bon
pour lui, différentes visions du « care » (Molinier 2013)
entendu comme la recherche de ce que l'autre a besoin pour se sentir
bien (Tronto 2000). Ces trois pôles, que sont les soins
palliatifs -véhiculant notamment les idées de confort et de
qualité de vie-, l'hôpital -idées de «
santéisme » (Aïach 1998) et de prévention- et le
domicile -idées d'autonomie et de vie privée-, formant « la
» prise en charge, « articule[nt] entre eux des êtres dans une
totalité englobante, autosuffisante et exclusive » (Dodier 1993 :
74) qu'est ici l'établissement. Les tensions entre ces trois lieux
s'illustrent dans de nombreux aspects de l'établissement : architecture,
fonctionnement d'équipe, activités, rapport aux résidents,
etc. Ainsi, face à ces différentes visions du résident, le
personnel de la maison (tout confondu) se trouve être, à l'instar
du personnel de soins à domicile, « des « intervenants »
qui sont là pour « agir » en s'efforçant de tenir
ensemble des objectifs qui ne sont pas toujours conciliables » (Henni on
et Vidal-Naquet 2012 : 94)
Selon qu'ils se placent d'un côté ou
l'autre pourtant, tous les acteurs oeuvrent autour du même objectif
déclaré : le bien-être des résidents,
formant alors l' « activité primaire » (Strauss 1992b) du
monde, l' « objet frontière » (Baszanger 1995),
présenté dans ce mémoire. Cependant, confronter ce terme
« bien-être » au terrain, mettre en avant son «
épaisseur pragmatique » (Dodier 1993), révèle qu'il
prend acte de façon bien différentes selon les acteurs, selon
leur vision de l'homme : entre rétention d'informations, stimulation,
conversation, surveillance et repos, le bien-être se voit
tiraillé, chacun transférant ce qu'il pense être la
bonne pratique sur des résidents, aux attentes et histoires
personnelles variées.
B oltanski et Thévenot (1991) expliquent ces
tensions, ces « disputes » (Dodier 1993), par l'appartenance à
différentes « cités », différents «
modèles de justice » malgré le partage de
références communes, malgré l'appartenance à un
même « monde », expression qui, « ne
128
l'oublions pas, est simplement une façon de
désigner les personnes qui participent couramment à la
réalisation [de la prise en charge des résidents dans cet
établissement] » (Becker 1988 : 175). On peut ainsi voir dans cet
maison de repos et de soins le côtoiement de « cités »
à la fois marchande (illustrée par le personnel salarié et
les rivalités entre foncti ons106), civique
(pluridisciplinarité, autonomie décisionnelle des
résidents, intérêt général, entraide), et
domestique (cadre dit « familial », bienveillant mais aussi
hiérarchique). À cela s'ajoutent les émotions, les liens
affectifs, et ce, plutôt dans les coulisses, voire une « cité
de l'opinion » dans les coulisses du personnel du secteur 2 (prise de
parole, mise en scène, « grande-gueules »). Cette
différence de régime entre la scène et les coulisses
répond au postulat de l' «
hétérogénéité interne de l'action »
où les personnes « traversent des scènes successives, dans
lesquelles elles changent de régime, que ce soit sous la pression des
dispositifs rencontrés, sous celle des autres personnes, ou en fonction
de leurs orientations intérieures » (Dodier 1993 : 75).
Les solutions apportées pour assurer la
coordination, la « synchronie interactionnelle » (Cosnier 1993 : 18),
au quotidien, sur la scène publique, de ces différents mondes
sociaux, de ces différentes cités s'avèrent être
d'une part, je l'ai dis, la régulation du travail, au sein du personnel,
par la standardisation des qualifications et des procédés de
travail (néanmoins renégociées entre acteurs), et d'autre
part, une forme de dressage des corps, dont le personnel soignant « donne
le ton » (Goffman 1973a). Cette dernière technique illustre un
résultat d'observation assez intéressant. Michel Crozier (1964)
propose d'analyser une organisation en terme de pouvoir, pouvoir qui serait
relationnel, et qui ne se situerait pas où l'on croit
(c'est-à-dire en haut de la hiérarchie). Le pouvoir,
dit-il, « c'est une relation dans laquelle les « termes de
l'échange » vous sont favorables » (1994). Dans cette
ethnographie, je montre qu'un certain pouvoir revient aux mains des
aides-logistiques, laissant planer le doute sur leur présence
quotidienne et sur leur motivation au travail, mais également aux mains
du personnel soignant que sont les infirmières et les aides-soignantes.
Ces dernières en effet sont en contact continuel avec les
résidents et « contrôlent » le type et la profondeur des
relations engagées avec ces derniers. J'ai montré, à
l'instar de Jacques Cosnier, que cette mise à distance, illustrait une
« attitude défensive et autoprotectrice », et Cosnier
d'ajouter « [...] avec évidemment en conséquences des
difficultés d'écoute des patients... » (1993 : 20)
d'où les techniques de délégation, ou « bystander
effect », également présentées. À cela
s'ajoute, en plus de dicter les
106Typ ologie présentée par GROOTAERS
D., 2007. « Schématisation des principaux éléments de
la typologie des sept « mondes de la justification » d'après
Boltanski L., Thévenot L., De la justification. Les économies
de la grandeur (Paris, Gallimard, 1991) ; B oltanski L., Chiapello E.,
Le nouvel esprit du capitalisme, (Paris, Gallimard, 1999, p. 155-208)
» META, Atelier d'histoire et de projets pour
l'éducation.
129
comportements de ces résidents, le
contrôle des comportements des aides-ménagères, et il
arrive également à ce personnel (ici les infirmières) de
« gagner le médecin à leur cause ». Enfin, le
directeur, Mr Marc, me confie être totalement soumis à ces femmes,
qui « pour une raison ou l'autre » prennent des jours de congé
qu'il ne peut pas refuser vu leurs explications (enfants malades, enceintes,
parents malades, etc.). Ces personnes semblent donc illustrer la figure du
groupe « dominant » dans la maison.
Face aux aides-ménagères et aux
résidents, le personnel de soin possède donc une sorte de pouvoir
disciplinaire, qui ne punit par réellement mais dresse les corps
(Foucault 1975), illustrant un engagement « asymétrique »
où « une grande incertitude règne alors, du point de vue de
la personne qui ne maîtrise pas cette forme de coordination » (D
odier 1993 : 79). Ce pouvoir est renforcé, dans le cas des
résidents, par le sentiment que « tout se sait », faisant
écho au dispositif panoptique. Aides-ménagères et
résidents, semblant tous deux avoir intériorisé le
comportement adéquat en présence du personnel de soin, se
réunissent parfois pour protester silencieusement contre ces «
dominants », ils créent alors ensemble le « texte caché
» (Scott 2008), leur permettant de trouver un équilibre, un sens,
au sein de l'institution. Les résidents, face à cette mise
à distance du personnel soignant, apprennent également à
rechercher leurs « personnes de coeur » parmi les autres membres du
personnel, dont les « électrons libres », ayant la
possibilité d'établir une distance physique (en effet, leur
travail n'est pas continuel, contrairement au « care »). Ces derniers
se voient parfois attribuer des sentiments plus forts qu'ils n'éprouvent
envers les résidents, amenant alors la déception de
ces-derniers.
« Parler de l'organisation d'un monde [...] c'est
une autre façon de parler de la distribution des savoirs et de leur
rôle dans l'action collective » nous dit Becker (1988 : 88). Il
s'agit également de parler de la distribution du pouvoir comme je viens
de montrer. J'ai tenté dans ce mémoire d'élargir le monde
étudié, en y intégrant des acteurs oubliés : parmi
d'autres, les aides d'entretien, les secrétaires et les personnes «
du bureau » (administration). En effet, ces personnes ne semblent pas
recevoir de crédit sur la scène extérieure, il n'en est
fait, par exemple, aucune allusion dans le dépliant publicitaire de la
maison, comme si seul le personnel médico-social « savait »
comment prendre en charge et donc avait l'autorisation, la
légitimité de le faire. Dans ce travail, je « repeuple
» (Hennion 1993) ce monde en y intégrant des acteurs qui n'ont
certes pas le même « savoir » que celui du personnel
médico-social, mais qui entrent toutefois pleinement dans l'«
épaisseur collective » (Menger 1988 : 12) de la prise en charge de
la MRS observée.
130
J'ai tenté donc de comprendre « la version
définitive » (Becker 1988 » de la prise en charge, sa
concrétisation, sa structure, son « épaisseur pragmatique
» (D odier 1993). Comment, en d'autres termes, un « monde social
» prend forme, prend vie, alliant passé, présent, et
aspirations futures. « La » réponse me semble s'illustrer sous
forme de schéma où tous les éléments contribuent
à l'activité primaire : assurer le bien-être des
résidents.
Épaisseur du monde observes
Schéma où chaque élément,
tant matériel qu'immatériel, influence l'« ici et maintenant
», le tout s'ordonnant d'une manière exclusive, formant l' «
ordre négocié » de la prise en charge dans cet
établissement spécifique. Cet ordre se négocie entre
acteurs, chacun tentant « à tout instant de mettre à profit
sa marge de liberté pour négocier sa participation, en
s'efforçant de manipuler ses partenaires et l'organisation dans son
ensemble de telle sorte que cette participation soit payante pour lui »
(Crozier et Friedberg, 1977 : 90). Les soignants, les résidents, les
aides-ménagères, les aides-logistiques, les électrons
libres, etc., tous les acteurs en jeu tente de trouver leur propre
équilibre dans la maison, selon la place qu'ils occupent et via
différentes stratégies. La personne peut y voir « la preuve
importante qu'[elle] est encore son propre maître et qu'[elle] dispose
d'un certain pouvoir sur son milieu » (Goffman 1968 : 99). Ainsi, l'ordre
négocié de la maison de repos et de soins observée peut
s'apparenter à une forme de jeu de rôle : l'acteur devient le
personnage qui fait preuve d'auto-réflexivité et de
créativité, mettant à mal l'image d'une organisation
bureaucratique rigide et paralysante ; le
131
principe du jeu est de laisser ces acteurs
créer l'histoire au fur et à mesure, en faisant leur choix parmi
les options proposées et ce, à chaque situation ; la partie se
déroule à l'intérieur du bâtiment ; le nombre de
joueurs varie dans le temps et l'espace, allant de 50 à 100 personnes ;
le but affiché est de garantir le bien-être des personnes
âgées ; et le but recherché, de trouver un équilibre
de vie / de travail au sein de l'établissement. L'astuce, car il y a
toujours une astuce aux jeux de société, est d'établir un
plan, entendu ici, un organigramme (Règles du jeu inspirées de
Planet'Anim : Jeu et activités sportives).
Ainsi, si « l'interaction est guidée par
des règles, des normes et des obligations [...], ses résultats ne
sont pas considérés comme toujours ou entièrement
prévisibles » (Strauss 1992b : 18). Les acteurs créent
l'histoire, ils en sont les héros. Toutefois, il faut préciser
ici que si ce mémoire s'attache aux formes d'arrangement, aux
contournements, aux prises d'initiatives, cette « vie clandestine »
reste peu visible. Sa mise en avant dans ce travail laisse à penser que
les négociations forment la part principale de l'organisation de la
maison, or, les acteurs semblent tout d'abord respecter les règles
formelles. Les ajustements s'y ajoutent par la suite.
Entre « domicilati on » - illustrée
sur la scène extérieure par la domiciliation et sur la
scène intérieure par l'appropriation des espaces privés
(les « marqueurs »), par la promesse du respect de la vie
privée, d'autonomie, etc.-, « palliativati on » -
illustrée sur la scène extérieure par l'obligation pour
les MRS d'introduire une « fonction palliative » dans la maison et
sur la scène intérieure par la garantie de confort, de
liberté, par la garantie d'un personnel au service des
résidents, etc. - , « hospitalisation » - illustrée sur
la scène publique par une autorisation à traiter des cas de plus
en plus difficiles et techniques en MRS et sur la scène
intérieure, par une architecture dite « hospitalière »,
par l'utilisation du terme « patient », par un certain «
santéisme » --, la maison de repos et de soins se voit
balancée.
Aller au-delà de « ces grands partages
», tel a été l'objectif de ce travail. J'ai ici tenté
de « suivre les acteurs » (Dodier 1993), de rendre compte comment ces
derniers « forment un monde » (M oliner 2013), « tiennent
ensemble » (Hennion et Vidal-Naquet 2012) ; se coordonnent et s'ajustent
(Mintzberg 1998 ; Dodier 1993) ; coopèrent (Becker 1988) ; s'entraident,
entrent en conflit, etc.. afin de créer, malgré la tension entre
salariés et « reclus » que je crois inhérente à
tout établissement de soins (les premiers considérant
l'institution comme lieu de travail, les seconds, comme lieu de vie), et
malgré un beau melting-pot d'acteurs, un établissement, un monde,
qui fonctionne «pas si mal que ça hein ! » (Mr
Marc.).
132
LISTE DES ENCADRES
Encadré 1 : Le travail des résidents
24
Encadré 2 : L'entraide (1) 31
Encadré 3 : Gérer l'exceptionnel
32
Encadré 4 : Un équilibre
déséquilibré (1) - Vers l'aliénation.
34
Encadré 5 : L'avantage des courts-circuits
41
Encadré 6 : Face à la routine
50
Encadré 7 : Les techniques de
délégation (1) - « Bystander effect »
51
Encadré 8 : La division temporelle, entre
aubaine et enfer ! 53
Encadré 9 : Tirer profit du mouvement
54
Encadré 10 : Une limitation protectrice
66
Encadré 11 : La partialité du directeur
en jeu 80
Encadré 12 : Un équilibre
déséquilibré (2) - Vers la participation.
94
Encadré 13 : L'entraide (2) 101
Encadré 14 : Les techniques de
délégation (2) - Le « sale-boulot ».
110
Premières notes de terrain 122
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138
Sites consultés
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région bruxelloise. 2010. Publié par l'Observatoire de la
Santé et du Social à Bruxelles, COCOM.
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Ville de Bruxelles.
http://www.bruxelles.be/artdet.cfm/5425.
Mai à juillet 2013. WEBSENIOR. www.websenior.be/. Avril à
juillet 2013.
Documents internes
Répartition des tâches interne au secteur 2.
Affichée au le local de pause 2ème
K. Wetzelaer. Fiches de formation : les mesures de
contention. Affichées au local de pause.
Profils de fonctions (Aide-logistique, aide-soignante,
infirmière (chef)). Reçus de Paola.
Répartition horaire du personnel.
Expo 2003. Notes commentant l'exposition sur l'histoire
de la maison.
Convention entre le CPAS et les résidents 2012.
Reçus du
Règlement ordre intérieur 2012
directeur.
Organigramme interne 2008.
Organigramme externe 2009.
Répartition des chambres avec grade
d'échelle de Katz pour chaque résident.
139
ANNEXES
ANNEXE 1 : Liste des interlocuteurs cités dans
ce mémoire ainsi que mon rapport entretenu avec eux et les
modalités de récolte de données.
Par « entretien », j'entends un dialogue
semi-directif, face à face et seule à seule avec la personne, de
durée variable (entre 45 minutes et 2 heures), enregistré sur
dictaphone et retranscrit mot pour mot.
Par « conversation », j'entends un
échange d'informations plus informel, non-enregistré, parfois en
présence d'autres personnes dans la pièce, parfois au
détour d'un couloir ou d'une activité. Prise de notes fin de
journée et recomposition la plus honnête possible des
dialogues.
Par « conversation de groupe », j'entends
une discussion générale sur un thème spécifique
où plusieurs personnes prennent part, non enregistrée
également. Prise de notes et recomposition.
Par « observation », j'entends tout
simplement l'observation de la personne, sans entrer dans l'interaction, ni
dans l'activité qu'elle entreprend. Prise de notes.
Mr Marc
|
Directeur de la maison depuis 2007, juriste de
formation. Premier contact sur le terrain, il m'a permis d'y entrer. Nous avons
eu par la suite de nombreuses conversations et deux entretiens sur rendez-vous.
Mr Marc espérait que je le tienne informer après chaque passage,
chose que j'évitais.
|
Mr Moh
|
Secrétaire principal, il s'occupe de l'accueil
un jour semaine et prend un travail administratif les autres jours. Il
m'offrait un refuge (l'accueil) lors des moments plus difficiles en
début de terrain, ainsi qu'un bon point d'observation des
résidents entrant et sortant. Nous parlions de tout et de rien, il
m'apprenait le fonctionnement de la maison.
|
Valérie
|
Secrétaire d'accueil mi-semaine et ce depuis
une vingtaine d'année. Très ouverte et appréciée
des résidents ainsi que de moi-même, elle reçoit
régulièrement des résidentes, venues passer le temps et
faire la conversation. Elle illustrait également un refuge accueillant
et sympathique, je passais la voir à chaque visite.
|
Mme Redman
|
Ergothérapeute, très
appréciée dans la maison. De façon spontanée, elle
m'expliquait son travail. Nous conversions plutôt au début de ce
terrain, lors des activités, de façon informelle. Je l'ai
aidée quelque fois dans le déroulement des
activités.
|
Mme Petit
|
Directrice du personnel nursing depuis une dizaine
d'années. Assez stricte, elle s'attelle à faire respecter le
règlement. Nous avons eu une conversation en face à face, le
reste était observation (notamment lors des rapports
matinaux).
|
Mme Moreau
|
Directrice du personnel d'entretien, dite « la
chef d'entretien ». Peu de contact. Observation.
|
Mme Oste
|
Infirmière chef, secteur 2. Femme très
dynamique, très impliquée dans son équipe et fort
appréciée. Je lui dois une grande partie de ce mémoire,
m'accordant un bon nombre d'heures, elle m'a aidée à mûrir
certaines réflexions, à comprendre ce monde de la
gériatrie, inconnu au départ. Elle me laissait la suivre dans le
local de soin, dans les locaux de rangement, etc. où je l'aidais de
temps à autre (ranger les boites par exemple). Nous n'avons eu qu'un
entretien, le reste était conversations et observations.
|
Mr Valentin
|
Infirmier chef, secteur 1. Ancien gérant
d'équipe en hôpital. Moins impliqué dans son équipe,
je ne le voyais pas souvent. Nous avons eu un entretien sur la gestion du
personnel, le reste était observation.
|
140
Paola
|
Infirmière, responsable secteur 3 (en attendant
l'engagement d'une nouvelle infirmière chef), très ouverte
à la conversation. Un entretien.
|
Thérèse
|
Infirmière, secteur 2, jeune. Conversations de
groupe.
|
Patricia
|
Infirmière, secteur 2, nouvelle dans la maison,
assez timide et ne parlant pas bien français. Nous avons eu une
conversation dans le local de pause, seule à seule.
|
Marion
|
Infirmière, secteur 2, jeune. Conversations de
groupe.
|
Mathilde
|
Aide-soignante, secteur 1, ancienne infirmière
au Togo. Travaille dans la maison depuis quelques années, après
avoir travaillé dans un autre établissement de soins du CPAS. Une
des personne les plus amicales et des plus franches que j'ai
rencontrées, nous avons échangé longtemps sur des sujets
divers, sous forme de conversations, seule à seule ou de groupe. Je lui
dois énormément.
|
Aïcha
|
Aide-soignante, secteur 1, jeune maman, très
directe et franche mais ne comprenant parfois pas bien mes questions. De
nombreuses conversations dans le local de pause et eu détour de
couloirs.
|
Julie
|
Aide-soignante très jeune, secteur 2. Dans la
maison depuis quelques mois. Très douce. Ses réponses restaient
très (trop) proches des morts officiels et du règlement. Un
entretien assez formel.
|
Joséphine
|
Aide-soignante secteur 2, plus ancienne. S'impose
facilement dans les conversations. Un peu intimidée par ce personnage,
il m'a fallu 2 mois pour lui engager la conversation. Principalement
conversations de groupe.
|
Murielle
|
Aide-soignante secteur 2, plus âgée. Parle
facilement. Conversations de groupe.
|
Catherine
|
Aide-soignante secteur 2, ancienne ayant connu «
le monde à l'envers ». « Bon tu veux savoir quoi ? »
m'a-t-elle demandé après avoir compris que je n'étais pas
« du côté du directeur ». Franche et directe, elle me
raconta la difficulté du travail d'aide-soignante.
|
Nicole
|
Aide-soignante du secteur 2. Conversations de
groupe.
|
Josette
|
Aide-soignante secteur 2. Dans la maison depuis quelques
années. Conversation avec questions précises sur le
déroulement de ses journées et conversations de
groupe.
|
Cécile
|
Aide-soignante, secteur 1. Questions précises sur
l'organisation de sa journée et conversations de groupe.
|
Joëlle
|
Aide-logistique, jeune, pour un contrat de 12 mois. Je
l'ai suivie durant son service et l'ai aidée dans ses tâches de
préparation des repas, distribution et aide à l'alimentation des
résidents. Personne très franche, et peu investie dans la maison.
Conversations, observations et conversations de groupe.
|
Karim
|
Aide-logistique, ouvert, dynamique et très
souriant, il ne passait pas beaucoup de temps dans le local de pause avec
l'équipe nursing mais semblait apprécié de tout le monde,
les résidents et moi-même y compris. Il était entre autre
chargé de la mobilité des résidents. Conversations de
groupe.
|
Dr. Tudor
|
Médecin principal de la maison, travaillant au
sein de l'établissement depuis 20 ans. Très ouvert.
Intéressé par l'anthropologie, nous conversions de temps à
autre sur mes observations et les réflexions que j'en tirais. J'ai
effectué deux entretiens et de nombreuses conversations. Je lui dois
beaucoup également.
|
Dr. Lemah
|
Médecin de la maison, présent un jour
semaine, je ne le voyais pas souvent. Néanmoins, ma présence aux
réunions pluridisciplinaires ne le dérangeait pas, ni mes
questions quand un terme m'échappait. Nos conversations s'arrêtent
à ces réunions.
|
Dr. Alsteen
|
Médecin de la maison que je n'ai jamais
vue.
|
Laurie
|
Psychologue, arrivée début
d'année scolaire 2012. Engagée pour sensibiliser le personnel,
elle n'arrive toujours pas à se faire une place. Nous avons
discuté à propos du fonctionnement de la maison, elle aussi
étant intéressée par ces questions.
|
141
Céline
|
Stagiaire avec qui j'ai bavardé une fois. Elle
avait peur que je ne répète ses propos donc se montrait prudente
au départ. Une fois rassurée sur ma présence, elle me
raconte ses impressions sur la prise en charge de la personne. Une conversation
seule à seule.
|
Nadia
|
Responsable animation, travaillant en binôme
avec Mme Redman, et chargée d'activités en extérieur, je
n'ai jamais vraiment parlé avec elle, juste des
observations.
|
Mme Tulippe
|
Assistante sociale. Elle m'a fait faire le tour des
chambres lors de ma première visite mais nos contacts seule à
seule se sont arrêtés là. Je la côtoyais par la suite
durant les réunions pluridisciplinaire et dans les couloirs de temps
à autres, mais elle restait principalement dans son bureau, au
3ème étage.
|
Bernadette
|
Responsable médicaments, nous nous croisions de
temps à autre au détour d'un couloir mais sans grande
conversation.
|
Sandra
|
Aide-ménagère sous article 60, personne ne
parlant pas encore bien français, elle était peu bavarde.
Principalement observation et questions précises et courtes.
|
Jeanne
|
Aide-ménagère, 20 ans de
carrière, très avenante et ouverte. Appelle tout le monde par
« chouchou ». Je l'ai suivie quelque fois dans ses
déplacements, en profitant pour converser autour de questions
très variées. Elle y répondait sans
problème.
|
Christelle
|
Aide-ménagère, 20 ans de
carrière, également très avenante et ouverte. Elle me
présenta certains résidents et acceptait que je l'accompagne dans
son travail. Personne assez révoltée contre le système de
prise en charge de la maison et contre le personnel nursing, elle m'expliqua en
longueur la guerre qu'elle menait continuellement, parfois illégalement.
Nous avons eu de nombreuses conversations.
|
Isabelle
|
Aide-ménagère, 17 ans de
carrière, personne posée et agréable à
écouter. Nous avons eu une conversation où elle m'expliqua son
indignation sur le changement de secteur. Elle répondait sans se cacher
à mes questions.
|
Albert
|
Homme d'entretien, dit « l'homme à tout
faire ». Très apprécié de tout le monde. Nous nous
croisions assez souvent, sans pour autant prendre le temps de se
parler.
|
Mireille
|
Aide-ménagère, sous article 60, peu bavarde
et peu encline à répondre à mes questions.
|
À ceux-ci s'ajoutent les personnes
observées tout au long du terrain, dont je reprends les comportements
dans ce mémoire, mais de façon plus sporadique, ne
nécessitant pas alors l'attribution d'un prénom
spécifique.
142
ANNEXE 2 : Conversation entre Mr Marc et moi-même
autour du projet de mémoire.
«Bonjour Mme Orban, [...] Vous orientez votre
mémoire vers les résidents en fin de vie, ce qui n'a pas
été expliqué durant le rendez-vous. [...].
Malheureusement, je ne peux pas répondre affirmativement à votre
question de faire des enquêtes/interviews dans le cadre de votre
mémoire "la médicalisation de la fin de vie des personnes
âgées » (mail du directeur 06/09/2012)
Je répondis qu'il y avait mauvaise
compréhension du mot « fin de vie », que dans mon sens, cela
signifiait vieillesse et non résidents palliatifs.
« Ok, j'ai bien compris votre explication. Vu que
je suis obligé d'envoyer votre projet à mes supérieurs, il
est nécessaire que vous m'envoyer une demande sans le mot "fin de vie".
Sinon, on peut avoir les mêmes confusions. Est-ce que c'est possible?
» (idem 10/09/2012)
Je lui envoyai mon projet
officiel
Et le lendemain : « J'ai envoyé votre
proposition à mon directeur-générale. Dès son
accord, nous avons besoin d'un document officiel de votre école »
(idem 11/09/2012)
Je le remerciai grandement
Une semaine plus tard : « Une petite question
concernant votre enquête. Nous sommes intéressée de savoir
comment les résidents se sentent chez nous. Tenant compte de votre
projet, je veux savoir s'il y a une possibilité d'intégrer
quelques questions dans votre projet: c.à.d.: (.. il m'explique les
questions qui les -- entendu le CPAS -- intéressent) (idem
18/09/2012) »
Ce directeur étant néerlandophone de
base, il ne maîtrise pas parfaitement l'orthographe ni la grammaire
française.
143
ANNEXE 3 : Organigrammes interne (1) et externe
(2).
(1)
ORGANIGRAM -- ORGANIGRAMME
Directeur - Directeur
Ad j u nct-Directeur - Directeur-Adjoirt
EXTE RN
RO91 - nrtzsithérapie NR)
_ _ - racina
L_--___ _ 1.:,,_,,_ D__.__-_
Directe Nursing - Directrice Nursna
|
|
|
Secretariaat Nursing -
|
|
Secrétariat Nursing (AIA)
|
|
|
Hoofdverpleegktrndige Ui -Chef Nursng U1
|
|
Hoofdv erpleeglarndige U2 -Chef NLa srrg U2
|
|
Hoafc erpleeglarndipe U3 -Chef Nursng U3
|
|
Kinesitherapie (RvT) - Kinesthérapie (MRS)
|
|
E rg otheiapier'Anirnatie - E rgothziapier Aninvation
|
|
Hoofd Logistiek - Responsable Logstique
Secretanaat Loostek
Nachtrraker- Veileurs de nuit
Administratie - Administration
Boekhouder - Comptable
Tu in man -Jardinier
Minibus
Klusjesdienst- Maintenance
Interne Linineindienst -Service du linge intern
Onder houdsploeg - Equipe Entretien
Restaurant - Restaurant
Dire r3ieseris-SecrétaFe de direction
Onthaal - Accued
Sociaal As sistente Assistante Sxciale
Fakturratie - Facb.iration
Kassa - Caisse
RUSSEL 1G67 BRLJXELLES
(2)
rVoorzitir .ai het OCM's`,' - Président du CPAS
Raad van het OCMW -Conseil du CPAS
Secretaris- eneraal -Secrétaire-Général
Département des finances
Département du personnel
Département des travaux
Département de l'action Sociale (DAS)
Dépa& ·ement de la recette
Nos partenaires exte nes
- Repas ; Les Cuisines Bruxelloises
Linge de l'établissement non-résident ; Servioe du
linge Forêt - Pharmade
- Plusieurs fournisseurs
- Les hôpitaux
- Infor-homes
(httpïfiwwirLinforharnes-asbl.be/)
Departement des Etablissements et sains médicaux
(DE5r ·1) -Directeur-Genéral
E E :--:c-
5gr. -=
_~- --__--: Y: - - -_- E _- a- - (SAPA- =_er,rice de
placement
:E -- - : - -''rue rra> - - -
-- El -
EEE
.. - =-j-ra--
ORGANIGRAr1 -- ORGAFIIGRAI.1r1E
Dr T. « oui, oui, ça va » et me
regardant « voilà, un bel exemple d'interaction hein ! » [ils
rient]
144
ANNEXE 4 : Conversation entre Mme Oste et le docteur
Tudor (20/02/2013).
Dr T. « le fameux clamp là, je l'ai
examiné, effectivement, en fait, c'est pas le tube de la
sonde
qui est abîmé...[Mme Ab. : « c'est
le clamp ! »] c'est le clamp en plastique, qui n'est plus suffisant. mais
on sait pas le retirer, il faudrait retirer la sonde pour pouvoir retirer le
clamp du tube... »
Mme Os. « oui... mais qu'est ce qu'il faut faire
alors... »
Dr T. «ben il faudrait un autre clamp...
»
Mme Os. « mais nous, on n'en a pas ici ! c'est en
gastro qu'ils ont ça. »
Dr T. « oui mais l'envoyer rien que pour un clamp...
parce que j'ai vu que un jour, enfin un
certain moment, elle a gardé sa sonde pendant 3
ans »
Mme Os. «oui ça je sais ! j'en avais
parlé avec vous et c'est ça qu'elle est restée longtemps
à l'hôpital parce que c'était tout à fait
collé à la paroi... mais là, en plus, elle est
restée plus d'un mois comme ça, on l'a changée de
côté pour pas que ça coule trop...mais il faut quand
même heu... »
Dr T. « ah vous croyez qu'il quand même faut
changer la sonde alors ? »
Mme Os. « oui, oui, quand on compare avec d'autres
patientes, leur sonde est propre hein ! »
Dr T. « mais le tuyau vous le trouvez vieux, ... ou
... ? »
Mme Os. « heu... il faut bien rincer, quand c'est
bien rincé, y a pas de problème » [...]
Dr T. « mais Colette (autre infirmière) me
dit même que il faut exercer une certaine pression
pour injecter les médicaments par-là !
»
Mme Os. « ah, ça j'ai pas senti... moi je
trouve que c'est... »
Dr T. « et on sait pas pincer autrement... ?
»
Mme Os. «mais non, mais non, elle est
couchée là, c'est du métal là [elle montre
l'endroit sur son ventre] toute la nuit et la journée...
»
Dr T. « Ah oui... b on... en fait, ce clampage
devrait rester... »
Mme Os. « oui en fait, rester ouvert quand il y a
l'eau [quand on hydrate la personne] mais une fois qu'il n'y a d'eau, il faut
fermer ! [Dr T. : « ah oui... »] mais quand elle bouge, ça
s'ouvre et alors là on trouve beaucoup de liquide gastrique, oui oui...
[Dr. T.: « ouai, c'est ça... »] mais je crois que ça ne
va pas prendre longtemps hein, l'ouverture est assez accessible, il faut une
nouvelle sonde et la mettre, ça demande pas longtemps.
»
|
|