Mémoire de maîtrise
Université Paul Valéry (Montpellier-3).
Département de musique Octobre 2003
Damlen Vaqulé
Sexe, contestation, drogue et rock'n'roll
Introduction
Le but de ce mémoire est de réunir une
réflexion portant aussi bien sur le plan sociologique que musicologique
sur les bouleversements réalisés à partir du mouvement
contre-culturel des années 1960. Il existe de nombreux ouvrages portant
sur ce sujet mais il n'en existe pas qui puisse réunir à la fois
une approche sociologique et une analyse musicologique de façon
équivalente. En effet, certaines études analysent de
manière sociologique le rock mais elles sont menées par
des sociologues et non par des musicologues notamment Art into Pop de
Simon Frith et Howard Horne ainsi que Popular Music & Society de
Brian Longhurst. D'autres établissent un historique de ce mouvement
musical comme The Space Between the Notes : Rock and the
counter-Culture de Sheila Whiteley. Parmi tous les ouvrages
consultés, le seul qui se rapproche du but de ce mémoire est
Sixties Rock de Michael Hicks qui est à la fois une analyse
musicologique de divers courants du rock des années 1960, comme
le rock psychédélique par exemple, tout en s'appuyant
sur des faits historiques. Ce travail de recherche n'a pas l'intention
d'établir quelconque nouvelle conception sociologique ou quelconque
notion inédite sur le rock. Ce présent mémoire
recherche à insérer le phénomène rock dans son
univers contre-culturel luimême issu d'une crise sociale ressentie par la
jeunesse. En d'autre termes, il s'agit de réhabiliter le rock
dans son contexte social et historique à travers une étude
sociologique de la société des Trente Glorieuses tout en ayant
à l'esprit les désirs de la jeunesse désireuse de changer
une société. Non pas que cette dernière soit
marquée par quelconque crise économique, loin de là, mais
elle étouffe les aspirations de ces jeunes malgré un contexte
économique et social excellent.
Mon intérêt s'était tout d'abord
porté sur la période 1965-1971 pour plusieurs raisons. La
première de ces deux dates correspond à l'apparition du
rock psychédélique, musique que j'affectionne tout
particulièrement. La seconde
représentait pour ma part la fin des années 1960
avec la mort de Jim Morrison, l'une des personnalités les plus
représentatives de ce mouvement musical. Mais plus j'avançais
dans ma recherche, plus un historique du mouvement contreculturel et du
rock me paraissait indispensable. Il n'est pas surprenant qu'une
grande partie des mes travaux se penchent sur cette période-ci.
Le premier chapitre définit tout d'abord les Trente
Glorieuses au travers de la société française puis porte
une analyse durkheimienne de cette dernière. Le second
s'intéresse sur l'historique de la contre-culture ainsi que sur celui de
la contestation américaine. Le troisième chapitre établit
l'évolution du phénomène rock au travers de son
histoire, de son idéologie ainsi que de son application sociologique. Le
dernier chapitre se penche plus en profondeur sur le rock
psychédélique de la période 1965-1971.
Je tiens à remercier mon directeur de recherche, Makis
Solomos, pour sa patience et ses précieux conseils. Sans lui, ce
mémoire n'aurait jamais vu le jour puisqu'il m'a donné l'envie de
m'intéresser tout d'abord aux Beatles puis à explorer la
société des années 1960 ainsi que le rock
psychédélique, comme quoi les cours d'histoire des musiques
populaires de seconde année de musicologie suscite parfois des vocations
pouvant aboutir sur un travail utile.
J'espère que vous trouverez dans ce mémoire assez
d'intérêts. Bonne lecture à tous.
Chapitre 1. Etude sociologique et économique des
Trente Glorieuses
A. Les Trente Glorieuses1
Entre 1945 et 1973 les pays industrialisés ont connu
une forte croissance aussi bien au niveau économique que
démographique. L'économiste français Jean Fourastié
parle alors de Trente Glorieuses pour définir de manière forte la
croissance miraculeuse effectuée en un laps de temps assez court, de la
fin de la seconde guerre mondiale au premier choc pétrolier. Ce
phénomène ne s'applique qu'aux pays industrialisés et plus
particulièrement à la France, aux Etats-Unis et à
l'Angleterre. Nous sommes à l'apogée du plein-emploi et de la
standardisation, autrement dit le travail à la chaîne
connaît sa productivité la plus grande. Dans de telles conditions,
le prix des biens de consommation durable baissent ce qui favorise une forte
hausse du pouvoir d'achat ainsi qu'une une démocratisation de leur
acquisition. Par conséquent la part du budget réservée
à l'alimentation diminue tandis que celle destinée aux biens de
consommation durables augmente. Les foyers peuvent désormais
s'équiper de ces produits et pratiquer des loisirs qui n'étaient
jusque-là réservés qu'à des
privilégiés. La télévision, le lave-linge et le
réfrigérateur entrent dans les couches les plus vastes de la
société. L'accélération des progrès
techniques est un autre facteur à la mise en place de la
société de consommation. En effet, plus il y a d'innovations et
plus le consommateur est tenté d'acheter. Il en résulte un
nouveau mode de consommation non plus basé sur l'utilité
première de l'objet mais sur son aspect, ses formes et surtout les
nouvelles possibilités techniques qu'il apporte. Ainsi la
société de consommation apparaît en créant ses
propres règles. Les biens de consommation durables ne sont pas une
nécessité de vitale
1 Les statistiques suivantes sont issues de l'ouvrage
suivant : BOUSQUET Gilles, Apogée et déclin de la
modernité, Regard sur les années 60, Paris,
L'Harmattan, 1993, pp. 81-97 ; RYDER Judith SILVER Harold, Modern English
Society, History and Structure, 1850-1970, Londres, Methurn & Co,
1970, p. 159.
mais il apparaît vital de l'obtenir afin de ne pas se
démarquer du reste de la société et de se sentir à
la pointe de la technologie et de l'innovation technique. Avant les Trente
Glorieuses, les biens de consommations restaient dans une optique vitale pour
son utilisateur.
1. Etude démographique
Cette période connaît une forte croissance
démographique. En effet, la France compte 52 millions d'habitants en
1975 contre 40,5 millions en 1946 ce qui indique une croissance naturelle de
28,4% sur toute la période. Entre 1901 et 1946 celle-ci égale les
1,25% et entraîne un gain de 500 000 habitants en 45 ans. Du point de vue
démographique, la croissance spectaculaire engendrée entre 1945
et 1975 est égale à celle entre 1801 et 1945. En trente
années, l'augmentation de la population française est comparable
à celle effectuée pendant un siècle et demi auparavant.
Dès 1943 le taux de natalité français
augmente. Il passe de 13,1% à 15,7% soit une augmentation de 2,6 points
ce qui assure le renouvellement des générations. La Grande
Bretagne connaît une évolution tout aussi spectaculaire. Son taux
de natalité passe de 15,8% en 1931 à 17,7% en 1968. En 1945 la
fécondité de la France augmente de manière brusque. Le
taux de natalité français est de 20% entre 1946 et 1951 tandis
qu'il ne s'élève qu'à 15% entre 1935 et 1945. Il redescend
ensuite à 18% entre 1954 et 1964 puis baisse sensiblement jusqu'en 1975.
L'Angleterre connaît une situation similaire puisque elle-même
atteint un pic de son taux de natalité en 1947 de 20,5%. La France
obtient plus de 800 000 naissances par an pendant les Trente Glorieuses. Une
telle recrudescence des naissances reste sans précédent dans
l'histoire si bien que ce phénomène fut baptisé Baby
Boom.
Au sortir de la première guerre mondiale les
décès dépassent les naissances. Entre 1914 et 1945 le taux
de mortalité était de 16% en France. Dans
les années 1960 il n'égale plus que les 11%.
Ceci est du à un meilleur accès aux soins, aux progrès de
l'industrie pharmaceutique, à une meilleure hygiène et une
alimentation plus variée. La mortalité infantile française
passe de 40% au début des années 1950 à 14% au
début des années 1970. L'espérance de vie est l'un des
facteurs démographiques les plus révélateurs et
impressionnants du progrès de la science. En effet, les hommes pouvaient
espérer vivre 61,9 ans et les femmes 67 ans en 1946 sur le territoire
français. En 1975 ces mêmes hommes peuvent prétendre
atteindre en moyenne l'âge de 69 ans tandis que les Françaises
peuvent vivre en moyenne jusqu'à 77 ans. En 15 ans, les hommes ont
gagné 8,5 ans de moyenne de vie tandis que les femmes vivent en moyenne
10 ans de plus. Le taux de mortalité anglais est en régression
lui aussi. Il passe de 13,4% en 1951 à 12,4% en 1968 chez les hommes
tandis qu'il baisse de 11,8% à 11,3% chez les femmes dans la même
période.
2. Travail et urbanisation
La répartition du travail dans les trois secteurs
d'activité (primaire, secondaire et tertiaire) est corrélative
à un nouveau mode de vie. La France connaît un assez fort exode
rural durant les Trente Glorieuses. Ceci va influencer la répartition de
la population active française dans le choix de leur profession.
L'agriculture connaît alors une baisse considérable. En 1946, la
France comptait 7,4 millions de travailleurs agricoles (agriculteurs et
ouvriers agricoles). En 1975, il n'en reste plus que 2 millions. Le secteur
primaire enregistre une baisse de près de 73% de son effectif en 15 ans.
Cela ne veut pas dire que la production issue de l'agriculture est en baisse.
Bien au contraire elle s'est accrue comme le souligne Gilles Bousquet : «
En 1700, 10 agriculteurs moyens nourrissaient fort mal 17 personnes ; en 1846,
25 seulement encore, mais un peu moins mal ; de 1846 à 1946, 55, en
1975, 263. Le gain de 1846 à
1946 est de 1 à 2,2 ; de 1946 à 1975, il est de
1 à 4,8 »2. Ce gain de production est du à la
mécanisation de l'agriculture qui est la conséquence de la
seconde révolution industrielle. De ce fait, les tâches les plus
rudes physiquement sont secondées par les machines ce qui permet un gain
de temps et une meilleure productivité. Mais durant la période
1945-1975, l'augmentation de la population est inférieure à celle
des actifs en France du moins. Autrement dit, une baisse du taux
d'activité apparaît sur deux niveaux. Il y a tout d'abord une
hausse du taux de scolarisation et un prolongement des études
corrélatifs à un meilleur niveau de vie. En second lieu, la part
de personnes âgées est en progression par rapport à la
croissance naturelle. La part des personnes adultes en âge de travailler
devient assez réduite par rapport à l'ensemble de la population.
De ce fait, le recours à l'immigration devient l'un des moyens afin de
combler cette pénurie de main-d'oeuvre. Cette situation de plein-emploi
favorise une meilleure rémunération, un plus grand pouvoir
d'achat et un niveau de vie plus élevé.
En 1954, le nombre de personnes travaillant dans le secteur
primaire en France était de 7,4 millions. En 1968, ce dernier ne compte
plus que 3 millions d'actifs. En 14 années, la France a perdu 4,4
millions d'agriculteurs et d'ouvriers agricoles tandis que sa population est en
augmentation. Pour avoir une idée de la proportion d'agriculteurs par
rapport à l'ensemble de la population active, une personne sur quatre
travaille la terre en 1954 tandis qu'en 1968 il n'en reste plus qu'une sur
sept. Concernant les Trente Glorieuses, 30% des actifs se situent dans le
primaire en 1946 tandis qu'ils ne sont plus que 10%
en 1975. Cela génère une perte de 200% des
agriculteurs en 15 ans. Mais oüsont passés ces actifs
?
Sur sept agriculteurs ayant quitté le secteur primaire,
deux seulement se sont recyclés dans l'industrie. Les cinq autres se
sont convertis dans le secteur tertiaire. Par ailleurs, il y a autant de femmes
que d'hommes qui quittent la
2 Ibid, p.87.
terre. Sur 25 femmes perdues par le primaire, trois seulement
vont dans le secondaire et 22 dans le tertiaire.
La part des personnes appartenant au tertiaire par rapport
à la population active était de 32% en 1946. En 1975, 51% des
actifs travaillent dans le tertiaire. En trente ans le tertiaire a
progressé de 59,4%. Entre 1962 et 1975, sur 3,7 millions d'emplois
nouveaux, 2,8 se sont créés dans le tertiaire. Le nombre de
paysans, de commerçants et d'artisans a baissé. En 1975, les
employés, les salariés de la fonction publique et autres cadres
moyens représentent 44% de la population active. De nouvelles couches
sociales apparaissent ainsi et se développent dans une nouvelle
catégorie : les classes moyennes.
La tertiarisation de la société est
corrélative à l'urbanisation de celle-ci. Il est donc
évident que l'on a assisté à un exode rural durant les
Trente Glorieuses. En effet, les services qui emploient les travailleurs
désirant s'intégrer dans le secteur tertiaire se trouvent dans
les villes. Les actifs provenant de l'agriculture et recyclés dans le
tertiaire quittent les campagnes afin d'être plus proches de leur lieu
d'activité. Il en résulte un contraste entre la vie rurale
jugée alors arriérée et la modernité des villes. De
ce fait, une nouvelle ruralité apparaît. Les villages deviennent
peu à peu des lieux de repos où les citadins y recherchent un
meilleur cadre de vie. On peut parler ainsi d'urbanisation rurale. En 1946, 90%
des habitants vivants en zone rurale sont nés dans leur propre village.
En 1975, 55% des ruraux sont nés hors de leur village d'accueil. Ce
phénomène d'exode rural est surtout applicable à la
France. En effet, l'Angleterre a connu elle aussi un transfert de population
des campagnes vers les villes mais vers 1850 avec la seconde révolution
industrielle. En 1851, la population était à moitié
urbaine. A la fin des années 1960, 75% des Anglais vivent dans des
villes de plus de 500 milliers d'habitants. La moitié de ces derniers
vivent dans sept conurbations majeures : le Grand Londres, le sud-est du
Lancashire, les Midlands de l'ouest,
Central Clydeside, Merseyside et Tyneside. Le quart de la
population britannique demeure à Londres et dans les Home Counties.
B. Les Trente Glorieuses selon une vision
durkheimienne
Faisons dès à présent une approche
sociologique des Trente Glorieuses à travers une vision durkheimienne.
Emile Durkheim, sociologue français né en 1858 et
décédé en 1917, s'est penché sur la
différenciation entre les sociétés traditionnelles et
industrielles. Il distingue ces deux types de société à
travers les relations établies entre l'individu et l'ensemble de la
société. Nous pouvons en conclure deux types de relations : la
solidarité mécanique et la solidarité
organique3.
La solidarité mécanique est une
solidarité par similitudes c'est-à-dire que les individus
appartiennent à une même collectivité. Ils ont les
mêmes sentiments, la même façon de penser, la même
religion et les mêmes valeurs. Par conséquent l'individu est la
copie conforme de l'autre. La collectivité prime donc sur
l'individualité. La conscience collective, c'est à dire «
l'ensemble des croyances et des sentiments communs à la moyenne des
membres d'une société et formant un système qui a sa vie
propre »4, écrase la conscience individuelle. Les
interdits sociaux, souvent dictés par des codes moraux
corrélatifs à la religion, proviennent du groupe et non de
l'individu. Ainsi nous nous retrouvons devant une interprétation du bien
et du mal assez subjective comme nous pouvons le constater dans les
sociétés féodales et traditionnelles dont l'illustration
la plus significative reste l'Inquisition.
Mais prenons un exemple pour bien comprendre ces
dernières. Un village de 100 habitants tout au plus, isolé
géographiquement. L'ensemble de la population travaille dans
l'agriculture afin de subvenir à leurs besoins, ce qui
3 ARON Raymond, Les étapes de la
pensée sociologique, Paris, Gallimard, 1967, pp. 319-330.
4 CAPUL Jean-Yves GARNIER Olivier, Dictionnaire
d'économie et de sciences sociales, Paris, Hatier, 1996, pp.
420-421.
confère donc une supplémentarité des
professions et des individualités. Les enfants ne poursuivent pas
d'études supérieures trop onéreuses pour le revenu
familial et reprennent en règle générale le métier
de leurs parents. Cela permet d'avoir un revenu de plus ainsi qu'une main
supplémentaire. Les personnes vivant dans ce village se marient entre
elles et acceptent mal les « étrangers » (toute personne
provenant d'un autre lieu que ce soit d'un autre village ou d'un autre pays).
C'est l'exemple type de la vie rurale en France avant 1945. L'illustration la
plus frappante du point de vue de la mentalité qui règne dans ces
villages se devine dans les films de Marcel Pagnol car ils sont bien souvent le
reflet de l'atmosphère rurale et contiennent une dimension sociologique
assez intéressante. L'un des thèmes privilégié chez
Marcel Pagnol est l'illégitimité parentale que l'on peut tout
aussi bien retrouver dans La Trilogie Marseillaise que dans La
Fille du Puisatier ou encore dans Angèle. Jusqu'à
une période assez récente, il était mal vu de concevoir un
enfant hors mariage. Marcel Pagnol montre bien le poids de la
société sur l'individu. Prenons La Fille du Puisatier
par exemple. Ce film datant de 1945 raconte l'histoire d'une jeune fille qui a
succombé aux avances d'un jeune aviateur présumé disparu
lors de la seconde guerre mondiale. Sa famille la rejette parce qu'elle attend
un enfant illégitime. Ceci est pour moi l'exemple même de la
réalisation de l'individu à travers le regard des autres et des
valeurs sociales. Ce qui est assez frappant dans ce longmétrage, c'est
le déchirement sentimental de cette famille restreinte à des
normes subjectives de la société. En effet, l'individu est
jugé sur ses attitudes par rapport aux codes issus de la morale
elle-même liée à la religion. S'il ne pratique pas la
même religion que ses semblables il est très vite exclu du groupe
et de la société. Le droit répressif écrase alors
l'individu qui n'a comme solution que de se fondre dans le moule social
où toute visite des chemins de traverse est à proscrire. Avec le
film Manon des Sources datant de 1952, Marcel Pagnol nous montre la
bêtise d'un assez fort ethnocentrisme ancré dans l'esprit rural
avant 1945 dû à un manque d'ouverture et de communication avec le
reste du
monde. Les Trente Glorieuses ont permit de développer
la communication que ce soit part le biais de la démocratisation des
loisirs (automobile, télévision, tourisme) que par
l'amélioration des infrastructures (réseau routier et
autoroutier).
Par contre la solidarité organique s'applique
aux sociétés urbaines telles que nous les connaissons
actuellement. Elle repose essentiellement sur la complémentarité
des individus, que cela soit sur le plan professionnel que culturel. Cela
permet une circulation des échanges, aussi bien financiers que
culturels, plus importante que dans une société de type
traditionnel. Chacun occupe une place unique dans la société et
contribue à son bon fonctionnement. Par conséquent, la
différenciation des individus se fait par analogie.
L'individualité prime sur la conscience collective et les infractions
sont alors sanctionnées dans un but de restitution ou de
réparation. L'interprétation du bien et du mal ne se fait plus
à partir de préjugés moraux mais suivant s'il y a atteinte
à la vie publique ou à la société. Le droit
répressif fait alors place au droit restitutif dont la fonction
première n'est pas de sanctionner mais de porter réparation
à ce qui a été détérioré, ce qui
confère à une notion du mal beaucoup plus objective.
Seulement l'évolution sociale qu'a
entraînée la croissance effectuée entre 1945 et 1975 ne
s'est pas fait ressentir au niveau de l'ethos. En effet, la vie domestique
devenait moins contraignante grâce à la démocratisation des
biens électroménagers et des loisirs mais les mentalités
n'évoluaient guère. La société était encore
régie par des sous-entendus suivant les attitudes et les comportements
de chacun. Ainsi les Rolling Stones furent mal vus dès le début
de leur carrière à l'aube des années 1960. Le seul fait
d'avoir des cheveux longs, de ne porter ni costume de scène ni cravate
leur valurent des critiques aussi bien dans les médias que dans la rue.
Quelques petites anecdotes illustrent bien l'ambiance qui régnait
à cette époque. Un jeune collégien écossais
âgé de 14 ans
se fait renvoyer de son école parce qu'il porte la
même coupe de cheveux que les Rolling Stones. Cet exemple reflète
ce qui fait la force du rock et plus précisément de ses
interprètes : une identification se met en place encouragée par
la commercialisation et par le caractère non conventionnel de ces jeunes
gens. Les cheveux longs font pâlir les coiffeurs car ils imaginent une
réduction de leur clientèle si les choses évoluent dans ce
sens. Mais les Rolling Stones ne sont pas les seuls en ligne de mire. Les
premiers furent les Beatles qui concurrencent cette corporation en se coupant
eux-même les cheveux et en arborant une nuque non dégagée
à une époque où l'on venait dans les échoppes deux
fois par mois pour se dégager les oreilles et la nuque. Le
président de la Fédération nationale des coiffeurs de
Grande Bretagne, Wallace Scowcroft, est si intrigué de l'identification
faite par les adolescents au travers de ces groupes qu'il passe une annonce
publicitaire dans le Daily Mirror : « Mr. Wallace Scowcroft,
President of the National Federation of Hairdressers, offered a free haircut to
the next number one group or solist in the pop chart. »5
(NdT : « M. Wallace Scowcroft, président de la
fédération nationale des coiffeurs, offre une coupe de cheveux
gratuite au prochain groupe ou chanteur numéro un du hit-parade.
»).
Une inadéquation entre l'évolution
économique et sociale et le changement des mentalités s'est fait
vivement ressentir particulièrement chez les adolescents entre 1965 et
1971. En France l'événement majeur de ce désaccord
idéologique est perceptible lors des manifestations de Mai 1968. Ce fait
reste unique dans notre société parce que c'est pour moi ce qui a
permis de basculer d'un mode de pensée du type solidarité
mécanique à un ethos de type solidarité
organique. La société en ce temps-là connaissait une
perpétuelle mutation effectuée par une jeunesse désireuse
de balayer des normes et des valeurs sociales poussiéreuses et non
conformes à un nouveau mode de vie. Reprenons
5 BON François, Rolling Stones, une
biographie, Paris, Fayard, 2002, p. 259.
la société telle quelle était dans nos
villages français d'avant-guerre. Les habitants avaient à peu
près tous le même statut professionnel et social. Seuls trois
personnalités sortaient du lot : le maire, l'instituteur et le
prêtre. Leur statut était au-dessus de la masse parce qu'à
eux trois ils représentaient à la fois le pouvoir et
l'autorité. Le maire était le garant du pouvoir politique,
l'instituteur celui de l'éducation et de la morale tandis que le
prêtre s'occupait de faire régner l'ordre moral. Les jeunes
contestataires de Mai 1968 s'attaquent à ces trois ordres du point de
vue de leur fonction sociale. En effet, ils s'en prennent au pouvoir politique,
et par conséquent le plus élevé symboliquement à
savoir le Président de la République qui était en ce
temps-là Charles de Gaulle, à l'éducation à travers
l'éducation nationale et l'agitation des mouvements dans les
lycées et les universités. De ce qui est de l'atteinte à
la morale, elle s'inscrit dans un processus de libéralisation des moeurs
de par la révolution sexuelle et l'usage de produits illicites et de par
un échappatoire à la société de consommation. Cette
abnégation des nouvelles normes urbaines a pour conséquence une
nouvelle conception du mode de vie par une approche communautaire. La jeunesse
occidentale de cette époque veut croire en de nouvelles valeurs telles
que la fraternité et la paix. Une notion de respect en découle de
manière tout à fait inédite puisque ces jeunes gens ne se
préoccupent plus que de respecter autrui. Le sort de la planète
au niveau écologique les turlupinent à l'heure où le
conflit vietnamien fait rage parmi les populations civiles et dévaste
les forets asiatiques tout comme la pollution s'installe dans les grandes
villes mettant en danger l'être humain et la planète. Les
adolescents forment ainsi un groupe social à part entière avec un
pouvoir d'achat assez conséquent et un niveau de réflexion assez
élevé.
Hormis Emile Durkheim, certains sociologues parvinrent
à établir une différenciation entre les
sociétés traditionnelles et les sociétés
industrielles. Ferdinand Tönnies (1855-1936) ne parle pas de
solidarité mécanique et de
solidarité organique mais de
gemeinschaft (NdT : communauté) et de gesellschaft
(NdT : association). « La communauté est un ensemble de personnes
fondé sur "le sentiment d'appartenance subjectif "»6. A
l'inverse l'association ressemble à un regroupement partiel de la
population dont les membres ont peu d'affinités les uns par rapport aux
autres. Ferdinand Tönnies situe sa réflexion dans une sorte
d'affectivité et de nostalgie qui lui permet de donner la
préférence aux sociétés traditionnelles.
Herbert Spencer (1820-1903) distingue ces deux types de
société en les termes d'« homogénéité
indéterminée et cohérente » et d' «
hétérogénéité déterminée et
incohérente ». Lui aussi se positionne dans une perception peu
glorieuse des sociétés industrielles7.
6 CAPUL Jean-Yves GARNIER Olivier, op. cit.,
p. 411.
7 RYDER Judith SILVER Harold, op. cit., p.
160.
Chapitre 2. Jeunesse et idéologie des
années 1960
Après avoir étudié d'un point de vie
sociologique les Trente Glorieuses en France, nous allons nous pencher sur la
mise en place d'une conscience collective chez les jeunes des années
1960 puis leurs revendications sur une terre propice à un changement des
mentalités à savoir les Etats-Unis. En effet, l'Américain
moyen guide sa vie au travers de normes et de valeurs qui découlent
directement de la religion chrétienne sous une certaine forme de
puritanisme qui l'interdit de quitter le droit chemin. La société
britannique connaît une amélioration des conditions de vie ainsi
qu'un ensemble de mesures sociales innovantes et en avance sur leur temps qui
calme les ardeurs contestataires des jeunes anglais grâce à
l'arrivée au pouvoir du parti travailliste en 1964. En effet, la
contraception est acceptée par la loi dès les années 1930.
L'avortement est autorisé en 1967 à la condition qu'il soit
effectué dans les six mois après la conception et qu'il soit
attesté par deux médecins chargés d'examiner la
nécessité de l'opération, remboursée au même
titre que toute intervention médicale. De plus, les relations
homosexuelles entre adultes consentants ne préfigurent plus un
délit aux yeux de la loi britannique cette même année. Le
divorce est accepté par la loi dès 1968 puis par l'église
anglicane en 19718.
A. Mise en place d'une conscience collective9
Le baby-boom et la mise en place de la
société de consommation a eut pour effet une contestation de ce
mode de vie dès les années 1950. Les adolescents dont
l'importance du nombre était sans pareil dans l'histoire, fournissaient
à cette dernière un grand potentiel de consommateurs.
Cependant
8 Ces informations sur les mesures sociales prises par
le gouvernement britannique sont tirées de l'ouvrage suivant : MARX
Rolland, L'Angleterre de 1945 à nos jours, Paris, Armand
Collin, 1996, pp. 114-115.
9 Voici quelques ouvrages qui ont inspiré cette
partie : DISTER Alain, L'âge du rock, Paris Gallimard, 1992, 152
pages ; Bandes et regroupements de jeunes en Angleterre depuis 1950 :
sociabilités musicales et composantes politiques, in
http://perso.club-internet.fr/bmflemon/sociabilites.htm,
consulté en juillet 2003 ; Historique, in
http://www.chez.com/originalskinheads/historique.html,
consulté en juillet 2003.
certains de ces adolescents dont le niveau d'étude et
de réflexion n'allaient que grandissant, pensaient que cette
société dont les normes dataient d'un autre temps aliénait
l'individu aussi bien au niveau du travail que dans ses choix de consommation.
Ces deux éléments font partie intégrante du capitalisme
qui impose ses règles au détriment des êtres humains.
1. Les beatniks ou l'émergence d'une
contre-culture10
Certains adolescents épris d'une soif
inaltérable de découverte trouvent en la personne de Jack Kerouac
un maître à pensée dès les années 1950. Cet
écrivain né en 1922 a influencé toute une
génération de par son chef d'oeuvre Sur La Route
publié en 1957. Cet ouvrage est un manifeste pour tous les
beatniks. En effet, ce mouvement est le premier à adopter un
mode de vie autre que l'American way of life. Ils sont la
résultante d'un double traumatisme social : la Grande Dépression
qui a touché les Etats-Unis pendant les années 1930 et le
maccarthysme du début des années 1950. Le premier traumatisme a
cessé à la fin de la seconde guerre mondiale laissant place
à une société américaine prospère
s'installant dans le confort domestique. Le deuxième fut une blessure de
la démocratie américaine. Entre 1950 et 1954, une
véritable chasse aux sorcières fit des ravages à travers
tout ce pays. La paranoïa de l'invasion communiste eut pour
conséquence une remise en question de la liberté de pensée
accompagnée d'une épuration dans tous les milieux. De ce fait,
certaines personnes suspectes d'obtenir quelques pensées d'influence
communiste furent incarcérées, parfois exécutées ou
durent s'exiler. Cette période donne un autre visage de la
démocratie américaine. En effet, le pays de l'Oncle Sam est l'une
des premières démocraties que l'histoire ait compté. Cette
censure de la pensée a remis en question la notion de liberté de
pensée au profit
10 Cette partie est très largement
inspirée de l'ouvrage suivant : VIDAL Jean-Noël, Jack Kerouac
et les « Beatniks », in
http://www.polytechnique.fr/eleves/binets/xpassion/numeros/xpnumero29/xpnum29pdfsi/kerouac29.pdf,
consulté en avril 2003.
d'un conformisme idéologique moralisé par
l'Etat. « Les beatniks sont probablement les premiers rebelles de
ce siècle. Ils refusent la société en prônant un
idéal anticonformiste. Ils se placent en marge de la
société, mais sans vouloir la renverser ou en modifier
profondément les institutions. »11 Le terme
beatnik provient de l'adjectif beat qui signifie
épuisé, abattu moralement et physiquement. Ce terme fut
employé pour la première fois par Jack Kerouac en 1948 alors
qu'il s'adressait à son ami Clellon Holmes : «So I guess you
might say we're a beat generation.»12 (NdT : « Donc
je pense que tu peux dire que tu es une génération
épuisée. »). Par la suite, ce dernier a écrit un
article dans le New York Times Magazine intitulé The Beat
Generation. Ce dernier définit l'esprit beat en ces mots :
«It involves a sort of nakedness of mind, and, ultimately, of soul, a
feeling of being reduced to the bedrock of
consciousness.»13 (NdT : « Cela implique une sorte de
nudité de l'esprit, et, finalement, de l'âme, un sentiment
d'être réduit au lit de pierre de la conscience. »). Ces
jeunes rebelles apparaissent dans les années 1940 et restent
présents jusqu'à l'aube des années 1960. Ils sont en
règle générale issus des tranches de la population les
plus défavorisées. Ce sont les premiers à user des
substances illicites comme la marijuana à l'instar des musiciens de
jazz. Le thème du voyage ou plutôt du vagabondage est
omniprésent chez ces rebelles. Leur manière de voyager est un
échappatoire à la routine que connaissent des millions
d'Américains dont la vie se partage entre famille et travail. Partir,
toujours partir qu'importe la destination. Cette dernière n'est pas la
principale préoccupation de ces aventuriers en quête d'une «
perle rare ». L'art qui reflète le mieux ce genre de vivre reste le
cinéma, suivi par la littérature, avec des films comme La
Fureur De Vivre, Rebel Without A Cause ou encore Graine De
Violence dans lequel les spectateurs peuvent entendre l'un des premiers
succès
11 Ibid, pp. 5-6.
12 Propos rapporté du site suivant : The
psychedelic 60's, in
http://www.lib.virginia.edu/speccol/exhibits/sixties/beatsny.html,
consulté en avril 2003.
13 Idem.
du rock'n'roll à savoir Rock Around The
Clock du groupe Bill Halley and His Comets. Les beatniks aiment
le jazz et la folk-music même s'ils sont à l'origine d'un
nouveau style musical : le rock'n'roll. Certains écrivains
ainsi que quelques acteurs ont adopté ce mode de vie particulier. Parmi
les écrivains nous retrouvons Jack Kerouac bien sûr mais aussi
Allen Ginsberg et de William Burroughs. Dans le milieu du cinéma, une
nouvelle génération d'acteurs tels que Marlon Brando ou encore
James Dean optent pour une image moins conventionnelle. Ce dernier est
l'exemple même de ce nouveau mode de vie avec une
accélération de l'existence. Il est devenu le premier mythe de
cette jeunesse voulant vivre toujours plus vite au détriment de la
longévité. Quant à Marlon Brando, le bout de la route
l'amena vivre chez les indiens afin d'échapper à la
société de consommation et au capitalisme très
présent aux Etats-Unis.
Le Royaume Uni eut son lot de jeunes rebelles par la
présence des teddy boys. Ces derniers apparaissent vers
1955-1956 dans les quartiers populaires de la banlieue londonienne et sont
issus pour la majorité des classes laborieuses
non-spécialisées. Leur culture repose essentiellement sur le
cinéma américain, ce dernier très fortement lié
à la génération beatnik, et à une toute
nouvelle musique créée au pays de l'Oncle Sam, le
rock'n'roll mais aussi au jazz américain mis en valeur par des
célébrités locales comme Chris Barber ainsi qu'un style
musical appelé le skiffle, un dérivé de la
folk-music américaine (qui sera très présent dans
le répertoire des Quarry Men, futurs Beatles). Ce
phénomène de bande est lié fortement au
rock'n'roll naissant. Bien que leur univers culturel tourne autour des
Etats-Unis, ces rebelles revendiquent leur appartenance à la
société britannique par leur façon de se vêtir
(costume édouardien). Ce phénomène est dû à
une volonté de se démarquer du reste de la société
et de ses congénères, d'où un phénomène
très fort de bandes s'est instauré avec une rivalité
accrue entre elles-même allant jusqu'à l'affrontement physique.
2. Mods, hippies et yippies
Les années 1960 connurent des mouvements plus ou moins
rebelles vis à vis de la société. Cette décennie
fut marquée par une accélération dans le processus
évolutif des mentalités, ce qui a été
marqués par les différents courants de la jeunesse. Bien que les
années 1940 et 1950 aient connu un seul groupe rebelle au travers des
beatniks (ainsi que leurs confrères britanniques teddy
boys) les années 1960 multiplièrent les communautés
juvéniles.
Les mods et les rockers apparaissent tous
deux vers 1963-1964 et sont en constante opposition. Ces premiers doivent leur
appellation à cause de leur goût pour le modern-jazz,
genre très populaire en Angleterre grâce à des figures
très présentes sur la scène londonienne comme Alexis
Korner et Cyril B. Davis et leur formation, The Blues Incorporated,
qui sera par ailleurs une institution formatrice pour beaucoup de musiciens
célèbres en devenir comme les Rolling Stones, Eric Clapton ou
encore Jimmy Page. Les mods sont issus des classes laborieuses et des
classes moyennes les plus basses. La plupart de ces jeunes sont
âgés entre 15 et 18 ans et vivent dans le centre des grandes
villes. Concentrés dans les art schools, ils adoptent des
tenues à la française souvent onéreuses, les
scooters italiens ainsi qu'un air faussement détaché. Ce
sont des adeptes de l'existentialisme de Jean-Paul Sartre et du cinéma
français et italien. Leurs lieux de rencontres sont les clubs musicaux,
la rue et les coffee bars. Ils revendiquent l'usage de certaines
substances illicites, notamment les amphétamines leur permettant de
tenir la danse lors de longs week-ends, mais aussi l'alcool et le cannabis.
Leurs groupes musicaux de prédilection sont les Beatles, les Rolling
Stones mais surtout les Who. Ils ne possèdent pas de message politique
sinon de mourir avant de devenir « vieux » ( devenir un adulte
responsable). Les rockers quant à eux portent blousons noirs,
rouflaquettes, sont coiffés d'une banane et conduisent des grosses
cylindrées. Ils proviennent des
classes laborieuses prolétarisées et habitent la
périphérie des grandes villes. Ils traînent dans les gares,
les coffee bars et la rue et ont le même âge que les
mods. Leur préférence musicale se porte sur les grandes
figures du rock'n'roll américain des années 1950 ainsi
que le cinéma issu des beatniks.
Parmi les mods, certains adoptent des attitudes plus
radicales avec une violence accentuée. Ces hards mods,
vêtus de jeans, de boots et de chemises, apparaissent
dès 1964 et seront à l'origine d'un autre mouvement, les
skinheads en 1968 qui conservent le goût des tenues exclusives,
des scooters et de la musique, en l'occurrence le ska, et
proviennent des classes populaires les plus défavorisées. En
1967, les adolescents issus des classes populaires noires britanniques venant
de la Jamaïque adoptèrent le même comportement vestimentaire
que les mods. Ils constituèrent ainsi ce qui fut nommé
rude boys et sont à l'origine de la musique ska.
Les hippies apparaissent aux alentours de 1965 dans
la baie de San Francisco et apportent un nouveau mouvement culturel, à
savoir le rock psychédélique. Le terme même de
hippie fut employé pour la première fois cette
même année dans le journal local de San Francisco intitulé
Examiner en se référant à l'argot hip
qui désigne à la fois une rythmique jazzistique et le fumeur de
haschisch. La plupart provient des classes moyennes et du monde estudiantin.
Tout comme les beatniks, le thème du voyage est très
important dans la culture hippie. Ce dernier ne représente plus
un échappatoire à la société de consommation mais
se définit comme une extension de la conscience. Les communautés
ne sont pas structurées au niveau de l'effectif et viennent ainsi
quelques compagnons de passage. L'une des plus connues et des plus grande au
niveau de son effectif reste Haight-Ashbury dans la baie de San Francisco.
L'idéologie hippie repose sur l'amour et la paix
(«peace and love» est l'un des slogans hippies les
plus connu) ainsi que sur une entière confiance entre chaque individu.
Ces jeunes contestataires revendiquent de nouvelles relations humaines en
prônant la liberté sexuelle, l'abolition de la
propriété privée dans tous les
domaines, le partage, la consommation de produits illicites (en
particulier le LSD et le haschisch) ainsi qu'un profond respect à
l'environnement et un intérêt pour les philosophies orientales
(principalement la religion bouddhiste et
hindouiste). Ce mouvement connaît un certain
succès en Angleterre d'oücertains slogans comme
«haight is love» (NdT : « haight est amour ») ou
encore
«make love not war» (NdT : « faites
l'amour, pas la guerre ») vont alimenter la scène
américaine. Certains groupes musicaux appartenant plutôt à
l'image mods s'insèrent dans ce mouvement comme les Beatles
avec leur album conceptuellement précurseur Sergent Pepper Lonely
Hearts Club Band ou les Rolling Stones de manière spontanée
au travers de leur unique album psychédélique intitulé
Their Satanic Majesties Request, tous deux parut en 1967. Les
yippies détiennent la même idéologie que les
hippies à la différence qu'ils s'impliquent plus
activement à la politique. Ce terme est issu des initiales du
groupuscule politique Youth International Party (NdT : Parti
International Jeune) qui sera très présent lors de la
contestation contre la guerre du Vietnam. Le mouvement hippie reste
dans l'opinion publique le plus célèbre et le plus
représentatif des années 1960. Il s'étend tout d'abord du
milieu de cette décennie jusqu'à l'année 1972 avec son
apogée entre 1967 (qui marque une hégémonie aussi bien
quantitative que qualitative des productions de rock
psychédélique) et 1969 qui frappe le glas des années 1960.
Cette année-ci, les Rolling Stones créèrent un festival en
Californie en réponse à celui de Woodstock à Altamont. Le
6 décembre un jeune spectateur Noir, Meredith Hunter, fut
assassiné d'un coup de poignard par un hells angel14
(NdT : ange des enfers) employé pour assurer la sécurité
tandis que les Rolling Stones interprétaient leur célèbre
Sympathy For The Devil. Durant toute la soirée, les hells
angels ivres persécutèrent aussi bien le public que les
artistes sur scène. S'en était fini de la paix et de l'amour, de
l'idéologie hippie et de cette sorte
14 groupuscule né à la fin des
années 1950, proche des beatniks dans leur attitude et leur
goût musical, se baladant sur le territoire américain toujours en
bandes organisées et prônant la violence comme acte
contreculturel.
d'insouciance ambiante qui régnait lors du festival de
Woodstock quatre mois plus tôt.
B. Le temps de la contestation15
Durant les années 1960, quatre groupes contestataires
virent le jour : les Noirs militant pour l'obtention de leurs droits civiques
(autrement appelés The Civil Right Movement), les
étudiants désireux de jouer un rôle politique sur leur
campus et ainsi instaurer un Student Power, les féministes du
Women's Lib voulant mettre un terme à la discrimination
sexuelle au même titre que le Gay Power et enfin les
minorités ethniques comme les Indiens, les Chicanos ou les Portoricains
espérant une reconnaissance de leur différence dans un
melting-pot qui semble être à leurs yeux qu'une salad
bowl (NdT : « boule de salade ») dans laquelle les
ingrédients ne se mélangent pas. La révolution
contre-culturelle, dont les adeptes proviennent de divers horizons, est le
reflet culturel de la contestation en prenant le contre-pied de la culture
établie.
1. Qu'est-ce que contester ?
« Le sentiment contestataire apparaît lorsque le
sujet est confronté à un contexte politique,
socio-économique ou culturel qu'il ressent comme oppressant et/ou
contraire aux idées et aux idéaux que le contestataire en devenir
se fait de la société dans laquelle il souhaite
s'épanouir. Pour ce sujet, la contestation devient un ensemble complexe
d'attitudes dont le point commun est le refus catégorique de l'ordre
établi et de tout ce qu'il représente à ses yeux.
Confronté à un système étatique qu'il juge rigide,
intransigeant et aliénant, le contestataire souhaite affirmer les droits
des individus et des groupes plus ou moins organisés en prônant
une révolution spontanée, quasi instinctive, fondée sur
l'action directe. »16
15 Cette partie se réfère à
l'ouvrage suivant : ROBERT Frédéric, L'Amérique
contestataire des années soixante, Paris, Ellipses, 1999, 90
pages.
16 Ibid, p. 4.
Cette définition que nous fournit
Frédéric Robert de la contestation des années 1960 est
riche de renseignements. Elle paraît peu en accord avec la vieille
gauche, mouvement politico-syndical à caractère marxiste
dont la théorisation des luttes sociales prime sur l'action directe, qui
favorise la théorie suivie de l'action. Les contestataires des
années 1960 sont coupés des aspirations du monde populaire parce
que leurs causes sont éloignées de celles qui animaient le monde
syndical. En effet, nous ne sommes plus en ce temps-là dans une
confrontation de classes sociales, le prolétariat contre la classe
dominante, mais dans une lutte pour sortir l'individu de l'aliénation de
la société. Cette contestation n'a plus pour but
d'améliorer les conditions de vie des ouvriers mais de changer l'ordre
social. La nature des deux forces divergentes a changé. Il n'y a plus
deux groupes d'individus en conflit mais un groupe contre le reste de la
société, sinon du contexte social dans lequel il est
emprisonné. Les causes revendiquées ne servent plus les
intérêts d'un groupe plus ou moins restreint d'individus mais
l'ensemble de la société comme la défense de
l'environnement ou encore la liberté sexuelle.
Les contestataires renouvellent leur mode d'action.
Jusque-là, la grève et la manifestation étaient les seules
actions permettant la diffusion des revendications. La première de ces
nouvelles actions est le sit-in. Ce terme anglophone signifie «
s'asseoir ». Le premier eut lieu le premier février 1960. Quatre
jeunes Noirs de l'université locale North Agricultura and Technical
College s'opposèrent de manière non-violente au comportement
raciste que leur avait réservé l'un des serveurs d'un restaurant
de Woolworth. En effet, cette personne refusa de les servir et leur pria de
quitter les lieux. Les quatre victimes de cette discrimination raciale
décidèrent de rester assis sans attaques physiques ni verbales.
Ils remettent en question les fondements de la vie politique et sociale par
leur contestation de la ségrégation raciale. Par
solidarité avec leurs camarades, des étudiants blancs vinrent
s'asseoir dans le restaurant afin de donner une image symbolique d'une
coalition inter-raciale. A partir de cet
événement, de nombreuses actions directes et
massives eurent lieu dans de nombreuses villes du sud et du nord des Etats-Unis
comme dans le Dakota du Nord, l'Illinois ou encore l'Indiana avec la
participation d'étudiants blancs. Ceci est la preuve qu'une
solidarité fraternelle se met en place et que les jeunes veulent mettre
un terme à l'une des pires conventions de leur pays.
Le teach-in (NdT : apprendre) est un autre moyen de
contestation possible. Cela consiste à rassembler étudiants et
enseignants désirants débattre sur des problèmes
liés à l'actualité comme la ségrégation
raciale, la politique adoptée par Washington ou encore la guerre du
Vietnam. La prise de parole est libre, sans différenciation entre
étudiants et enseignants, chacun pouvant s'exprimer à
l'égal de son voisin. Le premier teach-in eut lieu à
l'Université du Michigan le 24 novembre 1965. Il débuta à
20h, finit à 8h le lendemain matin et rassembla 3000 étudiants.
Les sujets portaient sur la guerre du Vietnam. L'initiative de ce grand
débat fut prise par le corps enseignant qui avait soutenu la candidature
de Lyndon Baines Johnson afin de décréter si une grève au
sein de l'université pouvait toucher le gouvernement à propos de
la poursuite des hostilités en Asie. Parallèlement à ce
débat, les participants discutèrent sur les raisons, les enjeux
et l'évolution des combats. Ce genre de réflexion eut un franc
succès lors de cette première. De nombreux établissements
universitaires mirent en place de pareils rassemblements principalement
axés sur le conflit vietnamien comme l'Université de Columbia le
25 mars de cette même année, l'Université du Wisconsin le
premier avril, celles de Rutgers et de l'Oregon le 23 avril, celle de
Washington le 15 mai et celle de Berkeley les 21 et 22 mai.
Le sit-in et le teach-in restent des
manifestations relativement statiques se faisant principalement dans la
sphère universitaire tandis que les marches permettent d'attirer des
personnes d'horizons divers ne faisant pas partie de l'environnement
étudiant par leur action dans la rue. L'une des plus
célèbres marche, intitulée March on Washington to End
the War in Vietnam, fut organisée par le mouvement Students for
a Democratic Society (NdT : Etudiants
pour une Société Démocratique) le 17
avril 1965. Cette manifestation était dirigée contre le
gouvernement incapable, aux yeux des contestataires, de stopper le conflit et
de retirer les troupes depuis la décision du Président datant du
7 février qui prévoit de bombarder le Vietnam du Nord. La SDS
(Students for a Democratic Society) eut le soutien de mouvements
pacifistes comme le National Committee for a Sane Nuclear Policy (NdT
: Comité National pour une Politique Nucléaire Saine), et
d'organisations noires comme Student Nonviolent Coordinating Committee
(NdT : Comité Etudiant Coordinateur Non-violent) ou Southern
Christian Leadership Conference (NdT : Direction de la Conférence
Chrétienne du Sud). Cette marche réunit plus de 25 000 personnes
défilant dans la capitale fédérale jusqu'à Capitol
Hill. Elle permit à l'opinion publique américaine de rendre
compte de l'étendue de la contestation envers la guerre du Vietnam.
Cette Marche sur Washington connut un immense impact grâce à la
couverture médiatique qui permit la contestation d'entrer dans les
foyers américains les plus éloignés de Washington.
D'autres marches suivirent comme celle du 26 mars 1966 organisée par le
National Mobilization Committee (NdT : Comité National de
Mobilisation), mouvement à caractère pacifiste, appelée la
Spring Mobilization March (NdT : Marche de Mobilisation du Printemps)
à New York sur la Cinquième Avenue. 22 000 participants se
rendirent à l'entrée principale de Central Park afin de
démontrer que la vie ne pouvait pas être paisible sur l'une des
principales avenues de la « Grosse Pomme » alors que des concitoyens
américains se font tuer de l'autre côté du globe, dans la
jungle vietnamienne.
Plus les hostilités s'intensifiaient, plus les
contestataires durcissaient leurs actions. Par exemple en Californie les
actions directes atteignent une amplitude élevée sur
l'échelle de Richter de la contestation. Des contestataires californiens
barrèrent l'accès des volontaires prêts au combat sous la
bannière étoilée au centre de recrutement militaire
d'Oakland durant une semaine. Cela résulta à une confrontation
violente entre pacifistes et forces de l'ordre ainsi que de
nombreuses arrestations. De ce fait, afin de maintenir le bon
fonctionnement de la circulation des volontaires, l'Etat de Californie
transporta les nouveaux conscrits en bus sous escorte de policiers
motorisés. Cela suscite un échec pour les contestataires parce
qu'ils ont été incapables de faire changer d'avis au moindre
volontaire. Les marches en faveur de l'arrêt des combats en Asie du
Sud-Est pouvaient se terminer en burn-ins (NdT : brûler) aussi
bien que les sit-ins pouvaient finir en sleep-ins (NdT :
dormir). L'un des burn-ins les plus célèbres reste
l'image des contestataires provoquant le gouvernement en brûlant leur
carte de conscription. Ce geste fut formellement interdit par la loi datant
d'août 1965 selon laquelle toute personne prise en flagrant délit
était immédiatement emprisonnée pour cinq ans suivie d'une
amende de 10 000 dollars.
Par la suite, les contestataires voulurent mettre l'accent sur
l'aspect convivial, amical et fraternel de ces rassemblements, outre les
sit-ins, teach-ins et autres marches, par l'apparition du
human be-in (NdT : être humain). Le premier eut lieu au Golden
Gate Park dans la baie de San Francisco en janvier 1967, mieux connu sous le
nom de Gathering of the Tribes (NdT : Réunion des Tribus)
où 20 000 personnes virent les performances des groupes pionniers
d'acid-rock comme Country Joe and the Fish, Moby Grape, The Quiksilver
Messenger Service ou encore The Steve Miller Band, Jefferson Airplane et
Grateful Dead. Ce genre de manifestation a pour objectif de rassembler le plus
de contestataires issus de divers mouvements en un endroit donné. Lors
de l'événement cité ci-dessus, les participants se
réunirent pour débattre sur la politique et consommer du LSD.
Cette première manifestation de human be-in est suivie quelques
mois plus tard par le festival de Monterey, du 16 au 18 juin sous l'initiative
de Lou Adler et Alan Pariser afin d'apporter un écho médiatique
que le Gathering of the Tribes n'a pas eu. L'événement
le plus important de cette année 1967 reste The Summer Of Love
où un demi-millions de hippies occupèrent la baie de San
Francisco dans une explosion de LSD, de fraternité,
d'amour et de musique. Dans un même ordre d'idée,
le festival de Woodstock dans l'Etat de New York reste l'exemple le plus
significatif et le plus symbolique de cette forme de contestation. Du 15 au 17
août 1969, 500 000 spectateurs répondirent présent à
l'appel. L'objectif de ce festival était de créer une
Woodstock Nation (NdT : Nation Woodstock) selon la formule d'Abbie
Hoffman, personnage emblématique de la contre-culture dans laquelle des
valeurs comme l'amour, la paix et la fraternité devaient régner
sans partage. Woodstock reste le symbole de la paix et de la fraternité
grâce au calme qui y régna. Malgré le nombre de
participants, aucun incident ne fut répertorié si bien que le
magazine New York Times rend hommage à la citoyenneté des jeunes
américains dans son numéro du 19 août. Ces regroupements
non-violents sont très importants à mes yeux. Ils symbolisent la
solidarité d'une génération qui veut changer les
règles sociales par leur attitude non-conventionnelle face à
l'ordre établi. Les human be-ins semblent prendre le
contre-pied des valeurs américaines dominantes comme le
matérialisme, la course au succès et à l'argent ou encore
le caractère impersonnel de la société.
L'action directe est donc polymorphe. Le contestataire est mis
en avant ce qui lui permet de prendre sa destinée en main. Il remplit de
ce fait trois statuts sociaux en même temps : il est à la fois
organisateur, acteur et spectateur de son propre avenir à travers une
fonction de transformateur social.
3. Students for a Democratic Society et ses origines
idéologiques
Le comportement des contestataires des années 1960 a
été imaginé par l'écrivain David Thoreau dans un
ouvrage intitulé Civil Disobedience publié en 1849 qui
devint un véritable guide de la contestation. Selon Patrick J.
Dougharty17, 63% environ des contestataires avaient
lu ce penseur, personnage essentiel du transcendantalisme, courant
littéraire opposé à l'ordre établi et au
matérialisme rabaissant et banalisant l'homme d'après les adeptes
de ce mouvement. Ce dernier mettait l'être humain en valeur de par la
croyance en une parcelle de divinité en chacun de nous. David Thoreau
pensait que l'individu doit apprendre à obéir à ses
propres règles et non à celles imposées par un
gouvernement « injuste ». Son ouvrage cité ci-dessus
débute par une formule qui resta célèbre : «That
government is best which governs least.» (NdT : « Ce
gouvernement est meilleur en gouvernant le moindre possible. »). Cela
indique que moins le gouvernement dicte des lois se référant
à l'individu même, mieux cela est. Cette vision des choses pousse
celui qui l'adopte à penser que le meilleur des cas serait pour le
respect de l'individu une absence de gouvernement. Mais David Thoreau poursuit
en ces termes : «That government is best which governs no at
all.» (NdT : « Ce gouvernement est meilleur en gouvernant que
pas du tout. »). Il ne préconise pas du tout l'anarchie. Il est
donc préférable que l'Etat ait un meilleur gouvernement que pas
du tout d'où sa formule : «Let every man make known what kind
of government would command his respect, and that will be one step toward
obtaining it.» (NdT : « Laissons chaque homme faire savoir
quelle sorte de gouvernement pourrait commander son respect, et cela sera un
pas de plus pour l'obtention de cela. »). L'individu doit donc être
capable de connaître sa façon d'agir quelles que soient les
circonstances sans se sentir obligé de respecter les lois d'autant plus
que certaines peuvent paraître « injustes ». L'individu doit
faire un choix devant trois possibilités : obéir à ces
lois, obéir tout en essayant de les changer ou bien les transgresser
dans les plus brefs délais en ayant parfaitement conscience des risques
encourus. Une fois que la contestation est mise en place par rapport à
un nouveau projet législatif, le gouvernement ne doit pas s'en prendre
aux
17 La statistique qui suit a été
rapportée par Frédéric Robert de l'ouvrage suivant :
DOUGHARTY Patrick J., The American Left, New York, Bantam, 1972, pp.
136-139.
contestataires mais à lui-même parce qu'il est
responsable de la promulgation des lois. De ce fait, si l'Etat est «
corrompu » dans ses choix ou dans ses décisions, la
désobéissance civile apparaît comme un ultime recours. Les
contestataires des années 1960 ont tous adopté cette solution.
L'une des figures emblématiques de la contestation Noire, le pasteur
Martin Luther King, s'efforça de mettre en application les principes de
David Thoreau. Les deux hommes divergent seulement sur l'objectivité de
la désobéissance civile. Pour Martin Luther King, cette
dernière permettait à la société une prise de
conscience tandis que chez David Thoreau, la désobéissance se
fait à titre individuel. Pour Martin Luther King, l'individu doit
franchir quatre étapes avant de devenir contestataire :
«Collection of the facts to determine whether injustices exist,
negociation, self-purification and action.»18 (NdT :
« Collection des faits afin de déterminer quelles injustices
existent, négociation, auto-purification et action. »). Il s'agit
donc d'une méthode progressive fondée sur le questionnement
intérieur permettant d'exprimer le mal-être au grand jour.
D'après Martin Luther King, la désobéissance civile est
étroitement liée à l'action directe concrète. La
revendication peut être verbale mais elle reste malgré tout
physique dans la mesure où le comportement corporel du manifestant
devient à la fois l'expression du malaise et le remède,
prêt à encaisser les attaques physiques ou morales de l'ordre
établi. Le contestataire possède une parfaite connaissance des
risques et est donc prêt à les encourir pour lui-même et
pour ses camarades. Selon Martin Luther King, il existe deux sortes de lois :
les justes et les injustes. Ces dernières sont
arbitraires et impersonnelles. Elles servent les intérêts d'une
minorité, que cette dernière ne respecte pas toujours, et entrave
l'épanouissement de l'être humain, ce qui est contraire à
l'esprit divin. Seules ces lois dites injustes doivent être
transgressées par les contestataires selon les voeux du pasteur :
«I would be the first to
18 Frédéric Robert a extrait cette
citation de la célèbre Letter from Birmingham Jail,
lettre écrite par Martin Luther King dans une prison de Birmingham.
advocate obeying just laws. One has not only a legal but
moral responsability to obey just laws. Conversely, one has a moral
responsibility to disobey unjust laws.»19 (NdT : « Je
veux être le premier à défendre l'obéissance des
lois justes. Chacun n'a pas qu'une responsabilité seulement
légale mais aussi morale d'obéir aux lois justes. Par contre,
chacun a une responsabilité morale que de désobéir
à des lois injustes. »). Une loi juste se rapproche de la loi
divine car elle permet d'élever l'âme de celui qui la respecte
tandis que la loi injuste avilisse et asservit l'homme.
La nouvelle gauche disparaît en 1969
après la désintégration de l'association Students for
a Democratic Society. Cette nouvelle gauche n'est pas un
mouvement à proprement parler. Elle correspond plutôt à une
étiquette regroupant plusieurs mouvements contestataires en
désaccord avec la politique menée par le gouvernement
américain. Ses adeptes formaient ce qui était plus
communément nommé The Movement (NdT : Le Mouvement.)
Cette nouvelle gauche se démarquait de l'ancienne gauche
et de sa vision binaire du monde. En effet, l'idée de passé
et de présent était révolue ainsi que le bipartisme. Ses
précurseurs furent Charles Wright Mills, Paul Goodman et Herbert Marcuse
pour qui la tension sociale provenait de diverses origines, aussi bien dans le
monde du travail que par rapport à certaines minorités
assujetties. Elle se démarque surtout sur le fait que toute
théorie politique est à proscrire car cette dernière est
synonyme de perte de temps nécessaire à la mis en place de
l'action directe. Ses adeptes sont plus jeunes que ceux de l'ancienne
gauche, pour la plupart des idéalistes qui réagissaient aux
phénomènes sociaux pensant façonner un monde meilleur. Le
vocable nouvelle gauche est issu de la Grande Bretagne dans les
années 1950 par des jeunes socialistes désireux de donner une
nouvelle impulsion au Parti Travailliste. En 1960, il créèrent
une revue intitulée The New Left Review qui connut un vif
succès sur les campus américains. L'apparition de la nouvelle
gauche correspond avec celle de la Students for a Democratic
19 Idem.
Society (SDS), si bien que plusieurs historiens et
sociologues spécialistes des années 1960 pensent que cela ne fait
qu'un seul block. Ce dernier mouvement est le successeur de la Student
League for Industrial Society (NdT : Ligue Etudiante pour la
Société Industrielle). Le SDS apparaît en janvier 1960 et
lutte contre la pauvreté, le chômage, le racisme,
l'impérialisme américain, la politique étrangère
menée par Washington et pour l'adoption des droits civiques sous la
direction de Tom Hayden et de Al Haber. Leur première
préoccupation fut de recruter des militants afin d'obtenir une base
dynamique et active. Dès lors, ce mouvement veut donner une image de
détermination et de solidification. Ses projets furent publiés
dans deux manifestes : The Port Huron Statement en 1962 et America
and the New Left Era l'année suivante. Ce premier manifeste
dénonçait une faible implication directe des individus aux prises
de décision aussi bien au niveau national qu'international.
L'université était présentée comme une institution
formatrice qui semblait être l'endroit idéal pour condamner cette
société et offrant une éducation qui se
concrétiserait dans la vie quotidienne répondant aux exigences
estudiantines, chacun étant capable d'influencer les décisions
prises par le gouvernement. La communauté intellectuelle cherchait des
parades en essayant d'introduire de nouvelles relations entre institutions et
population qui deviendrait plus libre et plus autonome par une participation
à l'élaboration des codes régissant la vie de la nation.
Le deuxième manifeste quant à lui est une critique plus radicale
des institutions libérales en soulignant l'impact de la
révolution technologique et de la croissance démographique sur la
société. Il dénonce la pauvreté ambiante et les
mesures prises par John Fitzgerald Kennedy qui se montre peu favorable aux
réformes. Ce manifeste s'intéresse plus aux problèmes
sociaux tandis que le premier prône une politique de gestion collective
permettant le bien-être matériel de tout être humain. Le but
de ces deux manifestes est de faire prendre conscience aux étudiants de
leur rôle social. Le principal objectif du SDS est d'arriver à une
démocratie de participation dans laquelle l'être humain pourvu
d'un minimum d'intelligence et de sensibilité
participerait à la vie politique, économique et sociale. Cette
participation démocratique devait toucher les ghettos et les
universités. Les membres du SDS pensaient que l'université devait
remplir un rôle plus important par rapport à l'insertion des
jeunes dans la vie active. Pour cela, les étudiants devraient suivre une
formation pratique permettant l'amélioration des rouages de la
société puisqu'ils ont en main les connaissances
théoriques nécessaires. Le SDS mit en place un projet
nommé ERAP (Economic Research and Action Program, traduisible
par Programme d'Action et de Recherche Economique) qui fut lancé par
Richard Flacks et consistant à envoyer les étudiants dans les
quartiers défavorisés permettant un soutien moral à toute
personne exclue du rêve américain, à savoir ceux qui vivent
dans la misère et la communauté Noire. Pour ce dernier, la
contestation devait se vivre sur le terrain. En 1965, la nouvelle
gauche était présente sur le quart des campus
américains et comptait 200 000 membres (dont les étudiants
représentaient que 4%) et 12 000 militants. Elle applique les principes
issus de ses manifestes jusqu'en juin 1967. Le mois suivant, Carl Oglesby prend
la tête du SDS devenant ainsi plus radical en raison des
hostilités croissantes au Vietnam. De célèbres
manifestations en furent l'illustration la plus voyante comme Stop the
Draft Week (NdT : Stoppez la Semaine de Recrutement) en octobre 1967 ou
encore Ten Days of Resistance (NdT : Dix Jours de Résistance)
en avril 1968. Ce dernier eut pour conséquence la quasi-paralysie du
système universitaire américain. Autre fait marquant, le 24 avril
1968, le SDS appela au soulèvement des étudiants de
l'Université de Columbia afin de protester contre la construction d'un
gymnase qui expropriait de nombreuses familles Noires résidant à
Harlem. Le campus fut bloqué durant une semaine entière et la
police dû intervenir. 7000 manifestants pour la plupart issus du monde
universitaire furent mis en détention et une centaine fut
blessée. Cela conduit à une grève des étudiants
contre ces mesures répressives durant deux mois. Le lot des manifestants
était réparti en deux groupes : d'un côté les
modérés et de l'autre
les révolutionnaires menés par Mark Rudd qui
préconisait la destruction de l'université ainsi que la
révolution à la place de la démocratie de participation. A
la fin de 1968, le SDS a perdu de son influence à cause de ses
divergences stratégiques. Une scission officielle fut établie
lors de la convention du SDS de juin 1969. Deux groupes en furent
constitués :
- The Revolutionary Youth Movement 1 dit The
Weatherman en hommage à l'un des vers de la chanson de Bob Dylan
intitulée Subterranean Homesick Blues disant «You
don't need a weatherman to know which way the wind blows» (NdT :
« Tu n'as pas besoin de météorologiste pour savoir dans quel
sens tourne le vent ») sous la direction de Mark Rudd désireux
d'une collaboration avec le mouvement Noir ainsi que d'une mise en place d'une
aide aux pays du Tiers-Monde.
- The Revolutionary Youth Movement 2 dit The Mad
Dogs dirigé par Carl Davidson dont le principal objectif
était de militer contre la guerre au Vietnam. Cette radicalisation du
SDS s'est fait sentir en décembre 1969 lorsque certains adeptes
Weathermen commirent des actions terroristes en visant de leurs bombes
des juges et des policiers qui représentent l'ordre établi. L'une
des ultimes actions du SDS fut nommée The Days of Rage (NdT :
Les Jours de Rage) en octobre 1969 lors desquels les participants
cherchèrent la confrontation physique avec les forces de l'ordre. Mais
cette action fut peu suivie par ses militants et donna une image néfaste
du mouvement. En novembre 1970, les Weathermen mirent un terme
à leurs exactions après le décès de l'un des leurs
lors d'un attentat à la bombe le 6 mars de la même année
à Greenwich Village. Le mouvement Weathermen disparaît
officiellement trois ans plus tard et marque la chute du dernier bastion de la
contestation estudiantine américaine.
La situation économique des Etats-Unis des
années 1960 est plutôt positive malgré la contestation : la
pauvreté régresse, les femmes deviennent de plus en plus
indépendantes grâce à une meilleure insertion dans la vie
active, le racisme ambiant a tendance à s'atténuer, une nouvelle
classe moyenne Noire
entre dans la sphère socio-économique due
à une augmentation des salaires plus rapide que celle des Blancs ce qui
leur permet de suivre des études supérieures puisque les
universités sont à présent ouvertes à la
communauté Noire. Les années 1960 sont synonymes de
réformes sociales importantes aux Etats-Unis sous l'impulsion du
Président Lyndon Baines Johnson : les écoles privées et
les écoles publiques se partagent de manière équitable le
même budget équivalant à 1 300 000 dollars en 1965,
adoption de Medicare en juillet de la même année
prévoyant le remboursement des frais médicaux pour les
Américains âgés de plus de 65 ans au travers de leur
assurance maladie, disparition du système des quotas par
nationalité pesant sur les immigrés, adoption par le
Congrès de la loi sur les droits civiques le 6 août
196520. Cela dit, malgré une situation économique et
sociale favorable, les jeunes diplômés commencèrent
à éprouver un certain malaise, surtout ceux qui accèdent
au niveau collège américain et ceux qui vont en
terminale dès la fin de cette décennie. En effet, la contestation
est née d'une déception qui apparaîtra de plus en plus
présente et persiste de nos jours. La démocratisation des
études supérieures, reflet de l'amélioration du niveau de
vie général, a entraîné une chute de la valeur des
diplômes à cause d'une demande inférieure à l'offre.
Ceci est dû à une inadéquation entre le niveau
d'étude obtenu et les qualifications demandées dans le monde du
travail. Ce décalage entre la carrière voulue et la
réalité du monde de l'emploi suscite chez les jeunes une forte
déception, si bien que la sociologue Françoise MuelDreyfus
qualifie cette jeunesse de la fin des années 1960 de
génération abusée.21
C. Solidarité, contestation et
contre-culture
Malgré les différentes fractions de la jeunesse
durant les années 1960 (mods, hippies) apparaît
une dimension de solidarité internationale d'une
20 Ces mesures sociales ont été
recueillies de l'ouvrage suivant : LACOUR-GAYET Robert, L'Amérique
contemporaine, De Kennedy à Reagan, Paris, Fayard, 1982, pp.
172-180.
21 Cette analyse socio-économique a
été tirée de l'ouvrage suivant : MIGNON Patrick HENNION
Antoine, Rock, De l'histoire au Mythe, Paris, Anthropos, collection
Vibrations, 1991, p. 55.
jeunesse unie pour changer l'ordre social :
«Throughout the West (as well as in Japan and parts of Latin America),
it is the young (qualified as perhaps only a minority of the university campus
population) who find themselves cast as the only effective radical opposition
within their society.»22 (NdT : « A travers l'Ouest
(aussi bien au Japon que dans certaines parties de l'Amérique Latine),
c'est la jeunesse (qualifiée comme peut-être seulement une
minorité de la population des campus) qui trouve elle-même la
classe comme la seule opposition radicale effective envers leur
société. »). Leur revendication s'effectue à travers
une volonté de se démarquer du reste de la société
de par une attitude vestimentaire et culturelle inédite et non conforme
aux exigences de l'ordre établi. «From Berlin to Berkeley, from
Zurich to Notting Hill, Movement members exchange a gut solidarity, sharing
common aspirations, inspirations, strategy, style mood and vocabulary. Long
hair is the declaration of independence, pop music their esperanto and they
puff pot in their peace pipe.»23 (NdT : « De Berlin
à Berkeley, de Zurich à Notting Hill, les membres du Mouvement
échangent une même solidarité, partageant des aspirations,
des inspirations communes, une stratégie, un style vestimentaire et un
vocabulaire commun. Les cheveux longs sont leur déclaration
d'indépendance, la musique populaire leur espéranto et ils fument
dans leur peace pipe. »). Cette solidarité juvénile
apparaît corrélative au mouvement hippie dont nous avons
vu précédemment les caractéristiques idéologiques.
Selon Joel Fort24 la plupart des jeunes ne luttent pas pour
instaurer un changement social et apparaissent comme leurs aînés,
résignés et acceptant leur statut. Malgré une attention
considérable apportée à la nouvelle gauche qui
figure la jeunesse américaine, cette dernière n'en
représente pas plus de quelques dizaines de milliers issus de divers
groupes comme le Student for a Democratic Society, des associations
militantes contre la
22 WHITELEY Seila, The Space Between the Notes :
Rock and the counter-Culture, London and New York, Routledge, 1992,p.
2.
23 Ibid, p. 3.
24 Ibid, pp. 61-62. Cette analyse a
été rapportée par l'auteur de l'ouvrage suivant : FORT
Joel, The Pleasure Seekers : The Drug Crisis, Youth and Society, Grove
Press, New York, 1969, p. 210.
guerre au Vietnam, des défenseurs des droits des
étudiants ainsi que certains hippies et yippies pour
les plus modérés mais aussi des groupes plus radicaux comme les
Black Panthers et les Bérets Bruns. «There is a much
larger group of our young who [...] express their underlying discontent with
the status quo by their involvement in folk-rock. American pop culture today is
probably for the first time determinated by youth who, with folk-rock,
acid-rock, raga-rock, light shows, posters art and psychedelic scene in
general, have determined the cultural values for the society» (NdT :
« Il y a un large groupe de notre jeunesse qui [...] exprime son
mécontentement sous-jacent avec le statut quo par son dévouement
dans le folk-rock. La culture populaire américaine actuelle est
probablement pour la première fois déterminée par la
jeunesse qui, avec le folk-rock, l'acid-rock, le
raga-rock, les jeux de lumières, les posters d'art et la
scène psychédélique en général, ont
déterminés les valeurs culturelles pour la société.
»). Selon Richard Middleton et Jill Muncie : «The fight was not
on the level of the political system but that of personal freedom : the freedom
to experience and enjoy.»25 (NdT : « Le combat ne se
portait pas au niveau du système politique mais sur celui de la
liberté personnelle : la liberté d'expérimenter et
d'aimer. »). L'été 1967 marque un tournant dans la
contreculture britannique. En effet, cette dernière marque une
recrudescence des adhérents affiliés à ce mouvement mais
plus que tout, les Beatles affirment leur sympathie envers la contre-culture de
par la sortie le premier juin de cette même année de leur
album-concept à caractère psychédélique
intitulé Sergent Pepper Lonely Hearts Club Band en arborant des
tenues issues du folklore hippie tandis que ces derniers
présentaient une attitude conventionnelle jusqu'à
présent.
Les années 1960 sont à mes yeux une
époque où la solidarité est la particularité
première qui lie les adolescents. Durant la seconde moitié de
cette décennie, l'expérimentation commune était la
règle. Cette solidarité permettait aux adolescents de consolider
leur appartenance à une catégorie sociale
25 Ibid, p. 62.
nouvellement reconnue dont les membres
disséminés pouvaient fusionner non pas à la pour
défendre un intérêt individuel et ponctuel mais pour
s'attaquer à des normes et des valeurs qui ne sont plus en phase avec
les conditions sociales du moment. Le nombre permettait une assise de leurs
revendications qui ne s'imposaient pas nécessairement sur un terrain
particulier mais pouvaient se prévaloir dans la vie quotidienne de par
l'attitude et la façon de se vêtir. Ainsi les garçons se
démarquent de leurs aînés par le port des cheveux longs et
les filles par celui du pantalon. Il en résulte le début d'une
remise en cause des codes régis selon le sexe. En inversant ces codes
vestimentaires, les jeunes aspirent à de nouvelles relations sociales
entre sexes opposés basés sur un respect mutuel en tant
qu'être à part entière libre de choisir selon ses
désirs aussi bien dans sa vie privée que dans ses aspirations
pour son propre avenir. L'égalisation des sexes s'instaure peu à
peu en corrélation à une liberté sexuelle grandissante.
Pour s'attaquer à des telles normes aussi anciennes que
l'humanité, le nombre est primordial.
L'importance du nombre, de la quantité des
sympathisants donne un certain écho à ces revendications. Ces
dernières sont acceptées de chaque adolescent qui veut faire
partie de l'aventure vers un changement social. Cette notion de
collectivité est très présente durant la fin des
années 1960 jusqu'à en définir un nouveau mode de vie au
travers des communautés hippies. Ceci est visible jusque dans
les milieux artistiques contre-culturels de cette époque. Les
années 1960 sont marqués par la réussite des groupes de
rock, c'est à dire la renommée de formations populaires
dans lesquelles tous les membres sont connus du public. Ceci est assez
différent de nos jours puisque l'interprète se trouve
projeté à la lumière tandis que les musiciens deviennent
des éléments interchangeables anonymes. Durant les années
1960, le parcours souvent sinueux, quelquefois sans issue, vers la
réussite est commun à l'ensemble du groupe dans lequel chaque
membre est égal à l'autre. Tout se fait communément chez
les adolescents comme l'exploration des paradis artificiels, l'écoute
des
derniers disques parus quand bien même ce genre
d'occupations peut se faire seul. Cette sorte de solidarité provient
pour ma part d'un refus de ces jeunes à l'individualisation de la
société. Les communautés hippies restent
l'exemple le plus significatif de cette fraternité qui n'a jamais
été égalée depuis lors.
1. Les penseurs de la contre-culture26
Afin de définir la pensée américaine des
années 1960, Daniel Royot utilise les termes de déclin
et de fragmentation. En effet, il existe une rupture entre ceux qui
pensaient modifier la société sur le devant de la scène
politique et ceux qui remettaient en question l'American Way of Life
de par leurs agissements dans la vie quotidienne, définissant
même la contre-culture. Deux auteurs sont alors très liés
à ce mouvement : Theodore Roszak avec son ouvrage intitulé
The Making of a Counter-Culture (Reflexions on the Technocratic Society and
Its Youthful Opposition) ainsi que Charles Reich avec The Greening of
America, tous deux parut en 1970. Ce premier définit la
société américaine par le terme de technocratie,
phase terminale de la société industrielle. Ce terme fut
déjà utilisé par Paul Goodman dans Growing Up
Absurd. Selon Theodore Roszak, la société étant
devenue hautement modernisée et rationalisée se concentrait sur
une efficacité grandissante. Afin d'obtenir un rendement et une
productivité élevée, il est nécessaire que cette
dernière possède une maind'oeuvre importante et docile. Charles
Reich partage ce même aspect à la seule différence qu'il
n'emploie pas le terme de technocratie mais celui de corporate state
(NdT : Etat organisé). Selon lui, les Etats-Unis sont comparables
à une grande entreprise dont le gouvernement dirige les objectifs
économiques à caractère capitaliste au profit de la
majorité qui n'a d'autre alternative que de se plier. La loi du
marché devient alors supérieure aux droits des citoyens. La
technique asservissait ainsi l'homme dans un but de meilleure
rentabilité.
26 Cette partie est très fortement
inspirée de l'ouvrage suivant : ROBERT Frédéric, op.
cit., pp. 61-66.
L'utilisation des ordinateurs par exemple ne servait donc
qu'à une meilleure compétitivité malgré une
réduction du personnel éventuelle.
Comme nous l'avons vu précédemment, les jeunes
s'opposent aux principes américains traditionnels tels que la
réussite, le profit, la compétition, principes qui
définissent à eux seul à la fois le capitalisme ainsi que
les valeurs de l'Américain moyen. La contre-culture prend le contre-pied
d'une sorte d'intellectualisme prescrivant à l'individu de se
réaliser pleinement. Les adeptes de cette dernière, comme les
beatniks par exemple, porte un intérêt majeur à
l'instant-tout, principe épicurien par excellence d'où
les sens devaient s'éveiller. De ce fait, les contestataires portent
leur action sur deux terrains : sur le plan politique et sur le plan culturel.
En effet, la culture conventionnelle qui leur avait été
imposée leur paraissait étrangère puisqu'elle est synonyme
d'aliénation. Leurs aînés paraissaient comme des rouages
à tout moment éjectables d'un système paternaliste leur
dictant une ligne de conduite à adopter. Cette remise en cause ne
s'effectue pas uniquement sur le plan politique et social mais elle tente de
s'en prendre à l'armature socio-économique de cette nouvelle
société, la société de consommation. En effet, la
société était comparable à une machine
accélérant sans cesse son allure entraînant avec elle les
individus dans une course effrénée. Afin de reprendre le
contrôle de la machine, les contestataires mirent en place une nouvelle
culture en adéquation avec les besoins des jeunes. Selon Mario Savio et
les adeptes de la nouvelle gauche, la société
aliénait l'individu et le façonnait selon ses besoins. Ces
derniers imaginèrent des modèles de société plus ou
moins utopistes dans lesquels les relations humaines seraient plus
égalitaires, plus libres et dont la concurrence et la course à la
réussite seraient exclus.
Selon Charles Reich, le système universitaire
américain aliénerait les jeunes. En effet, il les enrôle
dans un premier temps, puis les conditionne et les uniformise afin de rentrer
dans le moule social. L'étudiant doit suivre la même ligne de
conduite sans changer de direction. Mario Savio épouse les idées
de
Theodore Roszak et de Charles Reich parce qu'il pensait lui
aussi que l'université était l'un des vassaux de la technocratie.
En 1964, son discours intitulé An End to History
considérait le travail comme aliénant et inintéressant et
devait être remplacé par des fonctions artisanales plus en accord
avec les voeux et les aptitudes de chacun. Le travail est de ce fait
présenté comme une dépersonnalisation de l'individu au
lieu d'être un épanouissement car ce dernier ne pouvait
directement bénéficier du fruit de ses efforts. Le réseau
familial était lui aussi sujet à controverse. Il apparaissait
à ses yeux trop rigide et trop strict, éloigné de toute
affectivité. Les relations entre individus selon Mario Savio devaient
être remplacées par un mode de vie communautaire basé sur
l'entraide, la fraternité et un règlement moins restrictif,
valeurs contraire au modèle américain puisque les Etats-Unis sont
considéré à cette époque comme le pays
anti-communautaire par excellence.
Les contestataires étudiants pensaient que la
confrontation envers la société de consommation était
possible au travers des religions orientales afin de s'éloigner de toute
obsession matérialiste. Des personnalités comme Allen Ginsberg ou
Timothy Leary affirmaient que l'être humain pouvait s'épanouir au
travers des religions venues d'Orient et percevaient l'intérêt
porté par les communautés hippies à la magie
noire et au bouddhisme Zen. Ces pratiques pouvaient être
considérées comme un antidote à la société
industrielle mais aussi un moyen de se confronter contre l'univers
conventionnel parental. Theodore Roszak connaît une grande
popularité chez les jeunes grâce à une pensée qui
allait dans leur sens lorsqu'il dénonçait l'organisation
scientifique rigide de la société entravant
l'épanouissement du corps, de la sensualité et des sentiments
afin d'être en pleine osmose avec la réalité
extérieure. Deux penseurs affiliés à la contre-culture
sont très importants pour Theodore Roszak : Herbert Marcuse et Paul
Goodman. Ce premier lui paraissait quelquefois trop matérialiste pour
mener à bien des expériences visionnaires pertinentes. Herbert
Marcuse reprochait aux hippies leur comportement excentrique qui
pouvait leur prévaloir
une sorte d'incrédibilité aux yeux du reste de
la société mais il était convaincu que certains avaient le
pouvoir de créer une société meilleure aux antipodes des
valeurs conventionnelles fondées sur une appréciation plus forte
de l'individu et de la liberté. Selon Theodore Roszak, Paul Goodman
représentait à la perfection l'utopie contre-culturelle. Selon ce
dernier, la révolution contre-culturelle permettait de transformer le
comportement et la conscience des individus et de réorganiser la
société en de petites communautés. Pour cela, le
changement devait être progressif et non-violent mais surtout selon le
bon gré de chacun. Paul Goodman, contrairement à Herbert Marcuse,
approuvait les hippies dans leur façon anticonformiste de se
vêtir, de penser et de vivre. Charles Reich pensait de même. Selon
lui, les jeunes avaient pris conscience de leur conditionnement éducatif
qu'ils avaient reçu. Ils remettent en question de façon
introspective leur passé et se demandent si une vie différente
leur aurait été meilleure. Il comprenait leur désarroi
face à la pauvreté dans un pays aussi riche, aux industries
polluantes destructrices (comme par exemple la Dow Chemical productrice du
napalm servant à l'effort de guerre au Vietnam) et à la course
vers l'argent du monde des affaires. Charles Reich pensait que la
révolution contre-culturelle ne devait pas trouver son origine dans le
contexte social mais dans la conscience de chaque individu. D'après lui,
les actions menées par les étudiants visant les hauts dignitaires
de l'Etat ne pouvaient être couronnées de succès puisque
cela représentait une occasion à l'ordre établi
d'illustrer son autorité et ainsi de rehausser le pouvoir des grandes
industries afin de faire régresser les contestataires. L'Etat aurait
alors moins de pouvoir sur l'individu lorsque ce dernier aurait la
possibilité de mener une existence de manière autonome et
pourrait participer à la conception des lois qui régissent la
société. Pour cela, l'individu doit adopter un nouveau mode de
vie qui laisserait libre cours à ses souhaits. Cela pourrait donner un
panel des possibilités existentielles aux classes sociales les plus
aisées qui n'oseraient se plier à de tels modes de vie par pur
conformisme. Selon Charles Reich, cette révolution contre-culturelle
ne
peut aboutir que si cette nouvelle conscience individualiste
prime sur l'Etat. Ce théoricien possède une vision optimiste de
la contestation. Il ne voit pas une bande d'adolescents capricieux
désirant renverser la société mais un mouvement salvateur
qui tente d'ébranler les fondations du pays.
2. Contre-culture et médiatisation27
Afin de diffuser ses idées et l'état de ses
actions, les partisans de la contreculture mettent en place différents
moyens de communication, à savoir au travers de la musique et de la
presse clandestine.
Dans un premier temps, le rock et la musique
populaire des années 1960 constituent à eux seul l'expression la
plus directe de la contestation, jusqu'à en être
considérés comme une sorte de religion. Cette forme d'expression
reste la plus diffusée durant cette période grâce en
particulier à l'apparition du 45 tours en 1948, à l'essor des
stations radiophoniques au lendemain de la seconde guerre mondiale mais surtout
à la commercialisation des transistors à piles portatifs en 1964
permettant une écoute en n'importe quel lieu et en n'importe quel
moment. L'archétype du chanteur contestataire par excellence se trouve
en la personne de Bob Dylan avec des chansons comme I Shall Be Free,
l'une des préférées des contestataires, dans laquelle il
exprime la claustrophobie dans laquelle la société l'enferme. Par
ailleurs, Bob Dylan s'inspirait de l'actualité découlant des
contestataires noirs comme dans la chanson intitulée Oxford
Town dans laquelle est évoquée la difficulté
d'intégration des étudiants noirs dans les universités
américaines et fait référence à James Meredith
(première personne de couleur ayant accès à
l'Université du Mississipi en 1962). Bob Dylan sait parfois adopter une
attitude plus radicale contre l'ordre établi lorsqu'en 1964 il
enregistre Times, They Are A-Changing dans laquelle la critique des
politiciens véreux et du Congrès est violente. Cette
dernière montre la voie ouverte du
27 Ibid, pp. 67-75.
changement social et elle est ainsi diffusée lors de
grands rassemblements contestataires. La chanson préférée
des contestataires de la côte Ouest, proches de la communauté
hippie Haight-Ashbury de San Francisco, reste Mr Tambourine
Man dans laquelle le rythme obsédant de la vie
interprété musicalement conduit à explorer les paradis
artificiels afin d'échapper à l'oppression de la vie quotidienne.
En 1965, il fait scandale de par sa Ballad Of A Thin Man dans laquelle
il présente un homme indifférent au conflit vietnamien sous le
patronyme de Mr Jones pouvant être assimilé à la
personne de Lyndon Baines Johnson, nouvellement promu Président des
Etats-Unis : Something is happening here / But you don't know what it is /
Do you, Mister Jones ? (NdT : Quelquechose se passe en ce lieu / Mais vous
ne savez pas de quoi il s'agit / N'est-ce pas, Monsieur Jones ?). Selon
l'auteur lui-même, ce mystérieux Mr Jones ne vise personne en
particulier mais représente une mosaïque d'archétypes
sociaux. Les contestataires étudiants de l'Université de Berkeley
n'hésitent pas à surnommer Clark Kerr, président de
l'Université de Californie, du nom de ce personnage dans le journal
universitaire Berkeley Barb du 8 juin 1965. Des groupes de
rock à scandale comme les Rolling Stones font écho dans
le milieu contestataire avec des titres comme Satisfaction, 19th
Nervous Breakdown ou encore Sister Morphine évoquant les
incertitudes de l'avenir des jeunes incapables de s'exprimer dans une
société aliénante les conduisant soit au suicide soit
à l'univers des drogues. Le titre Street Fighting Man du
même groupe reste la chanson la plus contestataire de cette formation. En
effet, elle évoque la violence armée présente dans les
rues ainsi que les souffrances existentielles de la jeunesse. Cette ode
à la révolte date de 1968, année de toutes les
manifestations contestataires (révoltes des campus aux Etats-Unis, Mai
1968 en France), correspondant si bien au climat de l'époque que les
étudiants de Berkeley la consacrent chanson de l'année.
La chanson A Hard Day's Night des Beatles datant de 1964 se
défini comme une critique de l'oppression de la société
tandis que leur All You Need Is Love de 1967 est
considéré comme
l'hymne antimilitariste par excellence ainsi qu'une ode
à l'amour et la fraternité. Les contestataires
appréciaient des artistes comme Jimi Hendrix, Janis Joplin, Joan Baez,
The Grateful Dead, Jefferson Airplane, Country Joe and the Fish, autrement dit
des formations appartenant au mouvement psychédélique ou à
la scène folk. Musique et contestation allaient de pair. Pour
illustrer l'importance des musiques populaires à la fin des
années 1960, 23 millions de jeunes Américains ont ainsi
dépensé 40 milliards de dollars dans l'achat de substances
illicites, de disques de rock ou de billets de concerts en 1968.
Joseph P. Drakoulias fait paraître un article dans le Berkeley
Barb du 7 janvier 1969 évaluant à environ 482 dollars la
dépense effectuée par l'Américain moyen dans le domaine
musical contre près de 52 dollars destinés à l'achat de
drogues en tous genres en 1968 uniquement. Son échantillonnage s'appuie
sur 1001 contestataires représentatifs selon lui du Mouvement.
La publication des journaux clandestins dits undergrounds
correspond à une prise de conscience des contestataires de la
manipulation par les massmédias d'une information qui perdait de son
objectivité. Le nombre de création de tels périodiques
était proportionnel à l'ampleur que prenait le mouvement
contestataire. Entre 1965 et 1970, plus de 4 000 journaux parurent, parfois
pour une seule édition et furent lus par plus de 15 millions
d'Américains. La presse clandestine est née en 1955 avec la
parution du Village Voice qui se faisait l'écho de la
communauté de Greenwich Village sous l'éditorialiste Norman
Mailer. Son contenu est sa prestation ne faisait pas de lui un journal à
proprement parler underground à cause de son conventionnalisme.
Par ailleurs, le Realist de Paul Krassner est un autre
périodique apparu dans les années 1950. De 600 exemplaires en
1958 il est tiré à près de 100 000 dix ans plus tard. Ces
deux journaux sont issus des milieux de gauche et portent une critique
satirique envers les institutions. Ce dernier adopte un comportement plus
engagé en 1964 en adoptant un langage hippie plus rêche
et incluant des articles à caractère dadaïste. Cette presse
underground était principalement financée par la
publicité
à cause du coût important des frais d'impression.
Le Berkeley Barb est fondé en 1965 par un ancien
étudiant en sociologie de l'Université de Californie, Mark Scheer
dont les collaborateurs proviennent du milieu estudiantin. Imprimé
à près de 100 000 exemplaires, ce journal pouvait facturer
jusqu'à 500 dollars une page de publicité contenant les
informations les plus variées : adresse des magasins de vêtements
en vogue, lieux où se procurer des substances illicites, dates des
concerts à venir des groupes de rock. L'idée de
créer un tel journal est né du fait que cet ancien
étudiant ne cessait de faire des allers-retours entre son domicile et sa
faculté afin de se tenir au courant des dernières nouvelles. La
création d'un moyen de communication était nécessaire
à la diffusion de la vie étudiante de Berkeley. Ainsi, le
Berkeley Barb devint le porte-parole du campus et de toute une
génération. Ce dernier possède même une rubrique
informant sans tabous sur les problèmes sexuels en tout genre (maladies
sexuellement transmissibles, effets de certaines substances sur les
performances sexuelles), tenue par le docteur Hip Pocrates (jeu de mots
basé sur l'adjectif hip se référant aux
hippies et sur le serment d'Hippocrate). L'un des
événements majeurs que ce journal couvrit reste l'épisode
du People's Park en 1969. Ce terrain fut subtilisé par les
étudiants à leur université afin de créer un espace
de fraternité malgré le refus de cette dernière. Le
périodique prit fait et cause pour les étudiants en les incitant
à la mobilisation afin de construire le seul havre de paix
présent au sein du campus. Divers journaux de ce même genre
apparurent comme le Vietnam GI ou encore GI Voice qui comme
leur nom l'indique se spécialisent dans la guerre du Vietnam. Screw
et The New York Review of Sex quant à eux se
préoccupent principalement des questions sur le sexe. Parmi les journaux
les plus populaires, nous trouvons l'East Village Other de New York,
très apprécié dans les milieux les plus
défavorisés de la côte Est. Ce dernier employait des
collages de bandes dessinées à caractère satirique et
pornographique tandis que ses journalistes adoptaient un langage direct et
incisif afin de se démarquer de la presse traditionnelle. Sur la
côte opposée, The San Francisco Oracle se fait
l'écho de la
communauté hippie d'Haight-Ashbury. Son
impression en couleurs tentait de recréer les visions possibles sous
emprise de LSD. Entre 1965 et 1968, chaque grande ville américaine
possède son journal clandestin. La presse underground a connu
un accueil mitigé. Pour certains, ce n'était qu'un ramassis
d'images pornographiques, révolutionnaires ou hippies. Pour
d'autres, elle représentait la seule presse totalement libre à
oser s'élever contre le gouvernement et l'ordre établi. A partir
de 1968, cette presse connut un essoufflement. Cette même année,
le San Francisco Oracle disparut à cause d'un déficit
financier, le Berkeley Barb se mis en grève en raison d'un
désaccord entre Mark Scheer et ses collaborateurs qui voulaient
instaurer au sein même du journal un démocratie de
participation dans le choix des sujets à traiter tandis que le
Los Angeles Free Press dut verser une amende de 43 000 dollars pour
avoir divulgué l'identité ainsi que le domicile des membres de la
brigade des stupéfiants de Californie.
Le mouvement contre-culturel s'éteint au début
des années 1970 en raison principalement de la récession
économique et du ralentissement des hostilités au Vietnam. La
France a connu une telle révolte de la jeunesse lors de
évènements de Mai 1968 mais ces derniers ne touchaient pas
uniquement les étudiants mais tous les secteurs d'activité. Cette
révolution n'est restée qu'au stade idéologique et ne
s'est pas concrétisée matériellement. La révolution
contre-culturelle ne s'est pas réalisée à cause de la
difficulté du but à atteindre, à savoir changer des normes
et des valeurs sociales aussi vieilles que l'humanité. Ce mouvement est
plutôt resté très présent sur un plan artistique et
en particulier au niveau musical.
Chapitre 3. Histoire du rock
A. Le rock'n'roll : naissance et mutation28
Le rock'n'roll est un mouvement artistique survenu en
réponse à la seconde guerre mondiale. En effet, ce tragique
évènement occulta les esprits de par l'atrocité du
génocide causé à la communauté européenne
juive mais aussi de par la suprématie militaire des Etats-Unis qui
possèdent la bombe atomique et peuvent détruire une région
du globe à tout moment. Cette période fut marquée de
l'empreinte de la crainte, des restrictions ainsi que d'une
détérioration de la confiance entre êtres humains. De plus,
ce conflit tua près de 50 millions de personnes dont plus de la
moitié était composée de civils. Dès le lendemain
de ce dernier, les populations touchées par cette terreur
éprouvèrent une envie soudaine de se divertir et de
connaître un mode de vie contraire à celui qui leur avait
été imposé lors de l'occupation allemande. Ainsi, le jazz
connu un réel intérêt, notamment sur la rive gauche
parisienne qui devint en peu de temps un lieu de pèlerinage pour tous
les amateurs de pulsations ternaires. Cependant, le jazz était entre
temps devenu une musique qui s'est complexifiée voire devenir savante et
quitter ainsi son origine populaire. L'apparition du be-bop à
l'initiative entre autres de Charlie Parker au milieu des années 1940
expédièrent le monde jazzistique en un milieu fermé dans
lequel le public doit avant tout avoir une oreille aguerrie de ces structures
harmoniques complexes, de cette pulsation rapide et des métriques
parfois difficiles à ressentir. D'un autre côté, des
figures comme Frank Sinatra ou encore Bing Crosby proposèrent des
chansons dont l'influence jazzistique est indéniable mais se rapprochant
d'un certain sentimentalisme de par leurs sujets (ce ne sont en effet
principalement que des chansons d'amour) et de par leur variabilité
pulsionnelle (afin de respecter un certain sentimentalisme dans la
manière de chanter). Cependant un
28 Voici les ouvrages qui m'ont permi d'établir
cet historique : Unis vers délires blues, in
http://delires.blues.free.fr/avis.htm,
consulté en septembre 2003 ; Histoire, in
http://isuisse.ifrance.com/dynamicdandies/index
fichiers/club/histoire.htm, consulté en septembre 2003.
mouvement prend de plus en plus d'ampleur chez les jeunes
désireux de posséder leur propre identité musicale. Le
rythm'n'blues connaît alors un intérêt majeur chez
les adolescents américains au travers du moyen de diffusion le plus
populaire du pays de l'Oncle Sam à savoir les ondes radiophoniques qui
ouvrent leurs portes au blues dès 1948. Le premier à
étendre radiophoniquement sa musique est John Lee « Sonny Boy
» Williamson. Ce dernier fut l'un des pionniers du Chicago blues
au même titre que Big Bill Broonzy. Durant les années 1930 et
1940, ces deux musiciens vont répandre leur blues à
travers tout le pays. John Lee « Sonny Boy » Williamson impose la
formation qui deviendra par la suite celle dite « classique » du
rock à savoir basse, batterie, guitare et harmonica. Il est
sitôt suivi de B.B. King qui animera la même année sa propre
émission de radio dédiée au blues ainsi que par
Muddy Waters, figure emblématique chez les futures stars du
rock comme les Rolling Stones. Le terme rythm'n'blues fut
inventé par le magazine musical Billboard en 1949. Cette musique plait
pour sa structure simplifiée (utilisation de la grille blues
dont les douze mesures s'articulent autours des degrés I, IV et V), pour
sa durée (de deux à trois minutes environs tandis que les
sessions jazzistiques peuvent s'étaler sur plusieurs minutes) mais aussi
pour une approche du blues plus optimiste. Mais une
personnalité se démarque du lot. Cette dernière n'est
autre que Chuck Berry. Ses riffs simplifiés sur des paroles
évoquant un certain érotisme ainsi qu'une gestuelle
inédite à caractère sensuelle pour l'époque (comme
son fameux « pas de canard ») permirent à cet ancien coiffeur
du Missouri d'échelonner les marches vers un succès certain.
Quelques années plus tard, au début des années 1960, il
devient un père spirituel pour tout guitariste en herbe. Ainsi de
futures vedettes du rock and roll comme les Beatles ou les Rolling
Stones ont fait leur apprentissage sur les chansons du maître et
commencerons leur carrière professionnelle en reproduisant ses accords
sur bandes magnétiques, ce qui confèrera à Chuck Berry
lui-même de nombreux droits d'auteur ainsi qu'une certaine reconnaissance
en Angleterre quand bien même ce dernier passe ses
journées en prison. Chuck Berry est bien souvent
présenté comme le père du rock'n'roll, ce qui est
vrai pour son approche musicale. Mais le rock'n'roll est aux Blancs ce
que le rythm'n'blues reste aux Noirs. Devant un tel engouement des
jeunes Blancs américains, les producteurs ainsi que les majors
(grandes maisons de disques) s'intéressèrent de plus en plus au
rythm'n'blues qui représente à leurs yeux un potentiel
commercial sans précédent. Le premier blanc à reprendre un
morceau de rythm'n'blues noir est Bill Halley avec son Crazy Man
Crazy en 1953. Ce n'est pas la première fois qu'un Blanc
interprète une musique Noire. Le jazz en est la preuve vivante. Mais le
rythm'n'blues apparaît comme une musique peu recommandable pour
la jeunesse à cause de sa rythmique rapide et obsédante ainsi que
l'âpreté de ses lignes guitaristiques. En effet, les personnes de
couleur sont plus ou moins marginalisées aux Etats-Unis. Au vu d'un tel
engouement de cette musique par le public blanc, les producteurs comprirent
qu'il fallait que les Blancs aient leur propre rythm'n'blues. Le
rock'n'roll est diffusé dès 1951 à l'initiative
de disc jockey tels que Alan Freed, dont la paternité du terme
rock'n'roll lui revient, et connaît une audience grandissante.
Le rock'n'roll devient un mode de vie, de penser, de façon
d'être. Ceci ne s'est plus vu depuis le romantisme allemand du
XIXème siècle. Ce qui diffère entre ce dernier
mouvement artistique et cette musique afro-américaine, c'est que cette
dernière s'adresse en priorité aux adolescents dont le pouvoir
d'achat grandissant intéresse toute une sphère économique.
Une frénésie consumériste égale à celle de
leurs parents s'empare de ces jeunes personnes qui arborent perfectos et
T-shirts façon Marlon Brando au volant des Thunderbirds ou des Corvettes
semblables à celles des vedettes hollywoodiennes. Mais la saison phare
de ce mouvement musical reste 1954-1955, saison qui correspond à
l'apogée du rock'n'roll de par le nombre de classiques
(Rock Around The Clock de Bill Halley and his Comets, souvent
considéré comme l'un des premiers tubes de l'histoire du
rock'n'roll) mais aussi par l'émergence de nouveau talents
(Chuck Berry connaît le succès en ce temps-là tout comme le
jeune Elvis
Presley, le Blanc qui chante comme un Noir, et son titre phare
intitulé That's Allright Mama). Selon moi, le
rock'n'roll est né avec l'avènement du King. Non pas que
je sois un inconditionnel de ce chanteur, mais le rock'n'roll est une
imitation du rythm'n'blues par les Blancs teinté de
sonorités country à but commercial. De ce fait, Elvis
Presley en est la preuve la plus perceptible (aussi bien dans sa manière
de chanter que dans sa gestuelle). Mais le rock'n'roll ne se limite
pas qu'au rythm'n'blues de Chicago. Il existe encore quatre autres
styles durant cette décennie comme les groupes de rock'n'roll
du nord (dont Bill Halley est le plus célèbre
représentant), le blues dansant de la New Orleans, le
rockabilly ou country rock de Memphis
(représenté par Elvis Presley) ou encore les groupes vocaux de
rock'n'roll comme les Platters. En cette fin de décennie, le
rock'n'roll perd de son authenticité, de son insolence, parfois
même de son dynamisme. L'année fatidique est 1958. Little Richard
se tourne vers la religion, Elvis semble plus conventionnel après avoir
effectué son service militaire tandis que Chuck Berry est deux ans plus
tard incarcéré pour avoir été pris à bord
d'une Cadillac (un Noir au volant d'une grosse voiture paraît en ce
temps-là très suspect aux yeux des autorités
américaines) en compagnie d'une fille âgée de 14 ans. De
plus, certaines gloires du rock'n'roll comme Buddy Holly, Eddy Cochran
ou encore Richie Valens périrent dans des accidents dont Gene Vincent,
miraculeux rescapé, fut sérieusement amoché. Une certaine
malédiction semble frapper ces artistes de plein fouet. Certaines
gloires du rock'n'roll se tournent vers d'autres courants musicaux
comme Jerry Lee Lewis qui se convertit à la country. De plus,
l'establishment américain voit revenir certaines valeurs quand
dans l'arrière pays l'on voit brûler des disques et que l'on
appelle à boycotter les stations radiophoniques diffusant de la musique
noire ou du rock'n'roll. La plupart des rockers se sont
rangés ou sont décédés. L'establishment
propose de pales copies de standards aseptisées dont les thèmes
sont inoffensifs aux désirs des adolescents.
B. Du rock'n'roll au rock and roll : l'émergence
de la Grande
Bretagne
Mais le rock'n' roll ne fut pas une musique
uniquement diffusée sur le sol américain. Dès 1956, ce
dernier connaît un vif succès sur le vieux continent grâce
notamment au film Graine de violence dont le titre phare est Rock
Around The Clock de Bill Halley mais aussi aux premiers films d'Elvis
Presley comme King Creole ou encore Jailhouse Rock. La France
et l'Angleterre font un accueil assez enthousiaste à ce courant musical.
Pourquoi ces deux pays accueillent cette culture étrangère ? Nous
sommes dans les années 1960 en pleine crise entre les Etats-Unis et le
block soviétique, ce qui stoppe toute culture américaine aux
frontières des pays d'Europe de l'Est. De plus, certains pays sont sous
le joug d'une dictature bien souvent liée à un certain
archaïsme comme en Espagne ou encore au Portugal, ce qui exclus toute
connaissance des nouveaux modes d'expression. Entre autre, la France
connaît une relation particulière avec les Etats-Unis. Au
lendemain de la seconde guerre mondiale, les Américains donnent à
ce pays dévasté par les bombardements une aide qui a pour but de
reconstruire les infrastructures au travers du plan Marshall.
Parallèlement à cela, les Etats-Unis exportèrent leur
cinéma, leur musique, en somme une culture basée sur le commerce
d'autant plus que les Américains sont omniprésents en Europe
grâce au déploiement de bases militaires de l'OTAN sur l'ensemble
du vieux continent. Les produits américains fascinent en ce
temps-là les Européens qui ont connu six longues années de
privations et dont l'Amérique reste un symbole de liberté
d'où un fort désir d'appropriation et d'identification se fait
alors ressentir notamment chez les adolescents. En Grande Bretagne, un
engouement certain s'empare des jeunes britanniques lors des tournées de
Fats Domino, de Little Richard ou de Gene Vincent. Ceci est dû à
un fond prolétarien présent dans la société
anglaise ouvert à une culture chargée de signes de
rébellion et possédant une forte identité. De plus
l'Angleterre possède une culture musicale populaire assez pauvre se
limitant à quelques styles
folkloriques du XIXème siècle que peu
de personnes ont essayé de prolonger à cause d'un faible
intérêt du public. L'Angleterre est très liée aux
Etats-Unis. En effet, ces deux pays parlent une même langue mais leur
histoire se rejoint. Il ne faut pas oublier que les premiers colons qui
s'installèrent en Amérique provenaient de la Grande Bretagne. De
plus, les Etats-Unis furent une colonie anglaise avant de proclamer leur
indépendance à la fin du XVIIIème
siècle. Certains artistes français comme Johnny Hallyday ou
encore les Chaussettes Noires firent connaître le rock'n'roll au
travers de reprises dont les paroles furent francisées et parfois
aseptisées dès le début des années 1960. De plus,
l'esprit rebelle des rockers français est éteint par
l'embrigadement militaire pour cause de guerre d'Algérie.
De ce fait, l'Angleterre pris le relais au
rock'n'roll américain, lequel se confondant parfois à
une sorte de musique de variété dont les paroles ont perdu de
leur mordant. Les premiers rockers anglais sont des copies conformes
des artistes américains. Ainsi Tommy Steele imite Elvis et Gene Vincent
tout comme Billy Fury, Martin Wilde ou encore Rory Storme (qui a fait
débuter sur scène Richard Starkey, futur Ringo Starr et batteur
des Beatles). Mais une personnalité sort du lot parmi cette multitude de
formations électriques. Il s'agit de Cliff Richard et de ses fameux
Shadows. Son style est inspiré de la période Parker d'Elvis et il
adopte l'attitude détendue des rockers blancs américains
tout en faisant attention à ne pas effacer la prestation instrumentale
de ses accompagnateurs menés par le guitariste Hank Marvin. Pour
anecdote, certains futurs guitar-heroes anglais comme Brian May,
guitariste du groupe Queen, ou encore Jeff Beck eurent la
révélation en découvrant les performances du guitariste
des Shadows. Hank Marvin, sosie de Buddy Holly, impose un nouveau style de
guitare électrique plus brillant, plus propre, dont la sonorité
se distingue en jouant sur le tremolo, l'écho et la résonance.
S'en est alors fini du rock'n'roll américain qui cède
peu à peu la place au rock and roll anglais et cela à
partir de 1958. Leurs chansons remportent un succès énorme en
Grande
Bretagne comme Apache (1960) ou encore Kon
Tiki qui attirent ainsi l'attention d'un public parfois resté
réticent à l'égard de cette musique
afro-américaine.
Mais il faut attendre l'année 1962 et l'explosion du
phénomène Beatles pour que la Grande Bretagne connaisse une
véritable identité dans le monde du rock. Ces derniers
prônent une image prolétaire avec un certain sens de l'humour,
image qui sera par la suite assez illusoire puisqu'ils acceptent et se fondent
dans tout ce qu'ils dénoncent (la richesse et le luxe). Leur impact est
plus visuel et social que musical. Ils apparaissent en effet comme des
êtres spirituels doués d'une certaine intelligence en plus ou
moins accord avec les conventions sociales. Leur apparence se rapproche plus du
britannique moyen propre sur lui que celle du rocker à l'oeil
mauvais. Cette voie ouverte par les Beatles à une culture de gauche est
sitôt suivie par une autre formation, les Rolling Stones. Ces derniers
représentent le contre-pied des Beatles par leur attitude
anti-conformiste. En effet, ils portent des cheveux longs quand les Beatles ont
leur « coupe au bol » et adopte une attitude égoïste,
méprisante et sexuellement provocante. Tandis que les Beatles appuient
leur musique sur le rock'n'roll américain et sur la
variété, les Rolling Stones puisent dans le
rythm'n'blues de Chicago, le blues et la soul,
influences qui leur confère une musique plus dure et plus rêche.
La recette des Rolling Stones est de mêler une musique issue du
boogie-blues de Chuck Berry, de Bo Diddley et de Muddy Waters ainsi
que de la soul de Salomon Burke et de Don Covay à des paroles
à message en ajoutant un soupçon de non-respect des normes et des
valeurs sociales. Ceci a pour effet de laisser croire que les Rolling Stones ne
se soucient de leur image publique ce qui leur donne une sorte de naturel. Mick
Jagger, chanteur en titre de ces mauvais garçons, associe la
sensualité des débuts d'Elvis Presley à la gestuelle
scénique de James Brown. L'esprit de rébellion des Rolling Stones
influence. Ainsi la formation intitulée The Who a accès à
la célébrité en 1965 et adopte des paroles à double
tranchant sur une guitare enragée de leur meneur Pete Townshend.
L'originalité de ce groupe est aussi
due à la voix de leur chanteur Roger Daltey dont le
timbre blasé ressemble à celui d'un vieux routier. Des images de
révolte sont perceptibles dans des titres comme My Generation.
Puis le groupe se tourne vers des sujets plus baroques comme dans
Substitute (où apparaît un tambourin traité au
style Motown), I'm a boy (chanson dans laquelle un garçon est
traité par sa mère comme une fille) mais aussi Happy
Jack (où un excentrisme provincial en découle) et
Pictures Of Lily (marqué par un certain fétichisme). Peu
après les Rolling Stones, apparait un groupe assez innovant, les
Yardbirds, dont la carrière est divisible en deux parties. Ils sont
d'abords les dignes descendants des Rollings Stones. En effet, ils se
produisent dans un premier temps dans les clubs londoniens comme le Crawdaddy
Club, tenu par leur manager Giorgio Gomelsky qui fut celui des Rolling
Stones, ou encore le Marquee. Leur originalité lors de cette
première phase est due à l'apparition du premier
guitar-hero anglais qui n'est d'autre qu'Eric Clapton. La
deuxième phase est marquée par une approche musicale
inédite pour l'époque. En 1964, ils enregistrent For Your
Love dont la particularité est une extension de l'instrumentation.
Dans ce titre, les bongos prédominent tandis qu'ils sont
étouffés par le tintement des guitares et du clavecin. S'en est
fini du rock and roll anglais. Place au rock. Le
départ d'Eric Clapton permit au groupe d'engager un guitariste
nommé Jeff Beck dont les sonorités déformées vont
être mises en avant comme dans Still I'm Sad, Shapes Of
Things ou encore Over, Under, Sideways, Down. Il en
découle une nouvelle conception de l'enregistrement qui sera par la
suite très vite reprise par les Beatles dans leur album intitulé
Revolver. A partir de 1965-1966, le rock anglais s'exporte
partout dans le monde, même aux Etats-Unis, au travers de tournées
de plus en plus importantes. Les disques anglais se vendent par millions au
pays de l'Oncle Sam en cette période grâce au soutien des
journalistes et des animateurs de radio FM qui présente cette musique
anglaise comme de l'art. Les groupes anglais disposent de managers puissants
pouvant les orienter aussi bien juridiquement que financièrement.
Cela dit, l'esprit d'aventure présent sur les disques
anglais entre 1964 et 1966 s'estompe peu à peu par crainte que le public
ne suive pas. De ce fait toute une génération d'artistes se
tourne vers les origines de leur musique, à savoir le skiffle
et le rock'n'roll. A ce moment-là, un large éventail de
styles inonde le marché dont les disques anglais sont très
présents.
L'avènement des Beatles et des Rolling Stones eut pour
effet une plus grande écoute du point de vue quantitatif de la musique.
Les disques se vendaient de plus en plus et de plus en plus fréquemment
avec un intérêt porté sur la pop et sur le
rock'n'roll. Les artistes britanniques surent adapter le
rock'n'roll à leur propre culture, tout comme les
Français l'ont effectué au travers de la vague
yéyé en adaptant la grille blues à des
paroles aseptisées. Ces derniers sont assez proches d'une tradition qui
les relie à la chanson française à texte grâce
à un travail plus conséquent sur le texte que leurs homologues
anglais ou américains tout en effaçant le côté
tapageur et insolent du rock'n'roll. A la fin des années 1960,
le rock anglais des Beatles s'est si éloigné des rythmes
fougueux du rock'n'roll pionnier qu'il ouvre une voie toute
tracée vers une musique populaire plus conventionnelle, voire plus
commerciale, à savoir la pop music.
C. Etude sociologique du rock29
Selon Perry Anderson, le rock apparaît lors
d'une période postmoderne définie par l'embourgeoisement des
individus. L'après guerre est marquée d'après ce dernier
par une abolition de l'ordre semi-aristocratique ou agraire. Ceci est dû
par une américanisation de l'Europe au travers de ses choix
économiques. En effet, l'arrivée en force du fordisme ainsi que
la production et la consommation de productions de masse aligne le
système économique européen sur le modèle
américain. Cette société postmoderne correspond ainsi
29 Voici l' ouvrage qui a été utile
à l'élaboration de cette partie : LONGHURST Brian, Popular
Music & Society, Cambridge, Polity Press, 1995, p. 278.
avec la mise en place du capitalisme. Le rock
apparaît avec l'avènement des industries de communication
multinationales, l'intégration de plusieurs formes de médias, le
développement des nouvelles technologies, la signification de l'imagerie
ainsi que la fusion entre les théories artistiques et les techniques
commerciales30. Richard Middleton va dans le même sens en
précisant toutefois que le rock est issu des classes
ouvrières devenant ainsi des mouvances significatives dans la
création musicale.
D'autre part, la signification du rock aux yeux de
Simon Frith et d'Angela Mc Robbie sur la représentation de la
sexualité est marquée par la domination masculine de l'industrie
musicale. Le rock représente donc la masculinité de la
musique populaire contemporaine. Il est vrai qu'il existe deux conceptions de
ce dernier assez différentes : le cock rock et le
teenybop. Ce premier correspond à l'expression explicite, crue
et parfois agressive de la sexualité masculine. L'un des groupes
passés maîtres dans ce genre précis reste les Rolling
Stones qui adoptent une attitude dominatrice et vantarde, cherchant à
rappeler à leur public leur prouesse et leur contrôle. Ils
correspondent à l'image du chevalier servant brisant les hôtels et
les groupies. Sur le plan musical, ce genre repose sur une franchise sexuelle
du rythm'n'blues à laquelle est ajoutée une image
masculine crue portée sur la dureté, le contrôle et la
virtuosité. Le teenybop quant à lui est plus
apprécié par les filles. Les idoles de ce dernier
présentent une image basée sur la pitié de soi, la
vulnérabilité et le besoin. La sexualité masculine y est
synonyme de désir ardent portant uniquement sur des insinuations sur
l'interaction sexuelle. Ces deux analyses tendent à valoriser le
cock rock plutôt que le teenybop. De plus le public
féminin est très réceptif à ce premier.
L'illustration la plus explicite se trouve dans les foules constituées
de filles s'égosillant lors des prestations des Rolling Stones qui sont
pourtant l'un des groupes les plus machistes de leur génération.
Le fait est que d'après moi
30 Cette analyse sociologique de Perry Anderson a
été tirée des ouvrages suivants : FRITH Simon, HORNE
Howard, Art into Pop, Londres, Routledge, 1997, pp. 4-5 ; MIGNON
Patrick HENNION Antoine, op. cit., pp. 53- 62.
l'arrogance sexuelle dégagée par Mick Jagger est
perçue par la gent féminine comme une sorte de séduction
dominatrice et sauvage. Plus leurs chansons sont outrageantes envers le public
féminin, plus les filles se jettent au cou du chanteur. Le rock
est souvent lié à la révolution sexuelle. Pour moi, la
libéralisation de la sexualité s'est effectuée au travers
de l'affirmation d'un certain machisme corrélatif à l'apparition
du rock. L'image sexuellement dominatrice du jeune Elvis Presley eut
pour conséquence de percevoir les premières scènes
d'hystérie dues à une foule criarde de jeunes filles. De plus les
rockers les plus connus du public restent exclusivement des hommes, ce
qui conforte le rock dans une image masculine. De par la suite, Simon
Frith et Angela Mc Robbie étudient ensuite les
spécificités du public. Les consommateurs de cock rock,
représentés surtout par des garçons, adoptent un
comportement actif et collectif. Ils essaient de copier leurs artistes
préférés en apprenant à jouer de la guitare et en
formant des groupes de rock. De ce fait, ils s'identifient de
manière directe à leurs idoles. De leur côté, les
filles écoutant du teenybop restent relativement passives et
individuelles. Elles écoutent souvent seules les disques, à
l'inverse des garçons, et aspirent à être chanteuses ce qui
reste une démarche qui exclut le groupe. Ces deux penseurs pensent que
les idoles du teenybop peuvent être utilisées de
différentes façons par leur public féminin à
travers notamment une sorte d'appropriation collective de résistance
face aux normes scolaires. Le déclin du rock'n'roll est alors
corrélé à une sorte de féminisation de la musique.
Selon Peter Wicke, « la nature essentielle de l'expérience
rock ne consiste pas à décoder la musique comme une
structure de sens » rigoureuse mais plutôt à insérer
sa propre signification dans l'expérience sensuelle de la
musique31.
Comme nous l'avons vu dans le chapitre
précédent, les jeunes sont répertoriés dans une
quasi-classe sociale : l'adolescence. Selon Paul Yonnet, les facteurs sociaux
permettant la construction de celle-ci sont la mixité et
31 Ce propos a été issu de : MIGNON
Patrick HENNION Antoine, op. cit., p. 42.
l'allongement des apprentissages scolaires ainsi qu'une
entrée plus tardive dans la vie active. De ce fait, les adolescents se
seraient emparés de cet espace-temps en refusant les formes
traditionnelles de la politique et de la politisation. Selon les auteurs,
« le rock sera leur véritable conscience de classe, comme
l'illustre l'état d'indépendance physique et morale de la
jeunesse dans les pays où cette musique demeure interdite et son
écoute criminalisée »32. D'après Paul
Yonnet, le rock représente une « stratégie
d'ascension sociale du groupe adolescent » s'émancipant à
travers une « dépolitisation active » devenant ainsi une
« ethnie internationale »33.
D. Idéologie du rock34
Mais les sociologues ne sont pas les seules personnes à
analyser la société. Les artistes rock sont les premiers
à critiquer de manière corrosive et vigoureuse la
société entre 1967 et 1971.
L'urbanité de cette musique apparaît jusque dans
les textes comme dans Citadel des Rolling Stones en 1967 : « Les
drapeaux qui claquent sont des billets d'un dollar [...], des gens
vociférant volent si vite dans leurs voitures de métal brillant,
à travers des forêts d'acier et de verre ». Cette description
froide de la vie urbaine déshumanisée condamne le citoyen en
proie au stress à un usage purement fonctionnel
(métro-boulot-dodo). Les Kinks de leur côté
dénoncent la laideur de l'architecture répétitive des
quartiers populaires dans des chansons comme Dead End Street et
Second Hand Car Spiv.
Les nouvelles technologies sont pointées du doigt avec
une certaine méfiance. Ces dernières sont synonymes
d'aliénation de l'homme et de dépersonnalisation de l'individu.
Ceci est apparent dans certaines chansons plus ou moins prémonitoires
comme 2000 Man des Rolling Stones datant de 1967 (« Mon nom est
un nombre, un morceau de pellicule plastique. J'ai une
32 Ibid, p. 53.
33 Idem.
34 Les propos suivants sont issus de l'ouvrage suivant
: MIGNON Patrick HENNION Antoine, op. cit., pp. 42-53.
amourette avec un ordinateur de rencontre ») ou encore
20th Century Man des Kinks (« C'est l'aire de la
machine, un cauchemar mécanique, le merveilleux monde de la technologie
: napalm, bombes à hydrogène, guerre biologique »).
La contestation du cadre de vie paraît inférieure
à la description caustique et désabusée des relations
sociales. Ces dernières révèlent une artificialité
ainsi qu'une agressivité grandissante. La violence est l'un des premiers
leitmotivs du rock. Cette dernière s'appuie sur des
faits concrets, liés à l'actualité des années 1960
comme la guerre au Vietnam ou encore la question irlandaise. La guerre est
dénoncée par les artistes comme une boucherie absurde et
monstrueuse menée par une bande de mégalomanes. Ainsi, Give
Peace A Chance ainsi que All You Need Is Love des Beatles ou
encore Imagine de John Lennon appellent à la paix et à
la réconciliation entre les peuples. Mais la violence peu à peu
s'installe dans le cadre de vie quotidien. De ce fait, Peace Frog
(1970) des Doors dénonce les abus des forces de l'ordre : « Il y a
du sang dans les rues. J'en ai jusqu'aux chevilles, j'en ai jusqu'aux genoux.
Du sang dans les rues de la ville de Chicago, du sang qui monte, il me suit
». L'insécurité générée par le cadre
urbain est elle aussi dénoncée. Une sorte d'agressivité
non conforme à la normalité semble déteindre sur toutes
les relations sociales. Ainsi, Jimi Hendrix dans If Six Was Nine
(1967) expose cette dernière : « De petits cols durs conservateurs
s'agitent dans la rue et pointent leur index de plastique vers moi. Ils
voudraient voir ma race disparaître. Je vais hisser mes couleurs dingues
en vagues. Au diable, homme d'affaires, tu peux t'habiller comme moi ».
Les Who tiennent un même discours dans leur chanson intitulée
My Generation (1965) : « Les gens veulent nous descendre juste
parce que nous sommes là. Ce qu'ils font paraît horriblement froid
».
Les rockers dénoncent l'artificialité
ainsi que l'hypocrisie qui s'installent dans la société.
L'adjectif plastic apparaît dans certaines chansons afin de
définir l'artificialité du monde ainsi que son état
influençable. Ce phénomène est dû à une
frénésie consumériste liée à l'augmentation
du pouvoir d'achat. Ainsi
Satisfaction des Rolling Stones est une satire de la
publicité tandis que Maid Of Bond de David Bowie dénonce
la course aux biens de consommation ainsi que les symboles qui
représentent le statut social. Dans un même ordre d'esprit, la
futilité médiatique est critiquée par les Beatles dans
A Day In The Life (1967). Crazy Miranda (1969) de Jefferson
Airplane dénonce la crédulité du public face aux
médias : « Elle croit tout ce qu'elle lit, que cela vienne d'un
bord ou de l'autre, presse underground ou une de Time Life ».
L'artificialité de la société est quant à elle
dénoncée dans The Substitute (1970) des Who : « Tu
crois que nous allons bien ensemble. Mais je suis un ersatz d'un autre gars.
J'ai l'air grand mais j'ai des tallons hauts [...] j'ai l'air jeune, mais en
fait je suis antidaté. J'ai l'air tout blanc mais mon père
était noir. Mon superbe habit est fait de toile de sac ». Le
rock remet tout en question en adoptant une humeur iconoclaste et
anti-institutionnelle face aux symboles et aux incarnations de l'ordre
établi comme le patriotisme, la religion et la politique. De ce contexte
apparaît des chansons invitant à la révolte comme
Revolution (1968) des Beatles ou encore Street Fighting Man
des Rolling Stones (1968). Certains groupes affirment leur engagement
politique, bien souvent à gauche d'ailleurs, comme les MC5 aux
Etats-Unis ou encore Komintern et Barricade en France. Mais le rock,
dont les idéologies politiques représentent des pièges et
des perversions, veut se dégager de toute contrainte. Selon Simon Frith,
il ne s'agit pas dans le rock « de commenter la vie des gens mais
leurs échappatoires »35. Ceci représente une
revanche de l'imaginaire face à une organisation matérialiste du
réel. Afin de clarifier cette notion, il faut donc prendre ses
rêves pour des réalités souvent sous l'influence de
produits illicites. L'ailleurs intérieur renvoie au mysticisme, à
la spiritualité qui est souvent inspirée de la culture orientale.
Une quantité d'artistes revendiquent cette influence au travers de la
musique comme par exemple les Beatles dans Within Without You
(1967).
35 Ibid, p. 47.
L'évocation d'autres temps ou d'autres lieux laisse
parfois entrevoir ce que pourrait être une vie plus riche. L'enfance est
l'un des premiers territoires de l'imaginaire car elle renvoie à un
bonheur possible ainsi qu'à une innocence qui représente une
indétermination gratifiante entre le réel et l'imaginaire et dont
la spontanéité n'est pas dégradée par
l'éducation. De ce fait, Jimi Hendrix évoque un univers de
fées et de magiciens digne de Tolkien dans Dolly Dager (1970).
Des groupes comme Genesis ou Ange évoque des épopées
héroïques. Nous pouvons ainsi parler de machicoulis rock.
Par exemple Time Tables (1971) de Genesis est assez explicite dans ce
domaine : « Une solide table de hêtre raconte l'histoire d'une
époque où les rois et reines buvaient du vin dans des gobelets
d'or. Et les braves menaient leurs dames hors des salles vers la
fraîcheur des ombrages. Un temps de valeur où naissaient des
légendes. Une époque où l'honneur valait plus pour un
homme que sa vie ». Il en résulte donc une forme de nostalgie ainsi
qu'une négation de la modernité. Sont ainsi mis en avant la
beauté, l'harmonie, le courage moral et physique, ainsi qu'une forte
personnalisation des rapports sociaux. Les références aux
mythologies vikings retracent des époques pré-industrielles et
pré-capitalistes selon lesquelles la destinée sociale ne doit
qu'aux mérites personnels. La nature devient alors une incarnation
absolue du vrai surtout quand celle-ci apparaît vierge, loin de toute
présence humaine. Cette nature est évoquée dans Cirrus
Mirror (1969) et Echoes (1971) du groupe Pink Floyd.
La vraie vie peut trouver sa signification au travers du
voyage. Les hoboes, sorte de routards se rapprochant du modèle
beatnik, font partie du patrimoine américain si bien que Jimi
Hendrix leur rend hommage de par son Highway Chile : « Il porte
sa guitare ficelée dans le dos [...]. Il est parti de chez lui à
17 ans, le reste du monde il va le découvrir [...]. C'est une pierre qui
roule pour amasser sa mousse ». Dans cet exemple, la route
représente le moyen de fuir ainsi que la découverte de diverses
formes de vies sociales et d'expériences affectives. La
communauté des voyageurs est perçue par les rockers
comme une
micro-société heureuse et ludique, comme le
souligne la chanson des Beatles intitulée Yellow Submarine.
Le monde peut être vu à la manière d'un
spectacle dont l'objet est la connaissance ou la quête spirituelle sans
pour autant imposer les coûts de l'intégration. Le rock
voit dans l'installation rurale une matérialisation d'une vie
alternative ainsi qu'un échappatoire à la vie urbaine comme le
souligne Gonna Run de Ten Years After. La campagne représente
alors le contact avec la nature ainsi que de nouvelles formes d'organisation du
travail et de la vie domestique dans une utopie communautaire.
L'apparition du rock coïncide avec une nouvelle
conception du domaine amoureux face à l'ordre social. A la fin des
années 1960, les artistes font barrage à la pression du mode de
vie dominant en développant un climat d'affection communautaire
marqué par l'épanouissement d'une sexualité
libérée éloignée de la conception éternelle
de l'amour et du bonheur individuel. Ainsi des chansons comme All You Need
Is Love ou encore With A Little Help From My Friend des Beatles,
datant de 1967, témoignent de la spontanéité et de la
chaleur d'une affectivité non réprimée face à la
froideur des rapports sociaux nés de la logique mercantile. Selon Grace
Slick du Jefferson Airplane : « peu importe les paroles ou qui les chante,
ce sont toujours les mêmes. Elles disent soyez libres, libres en amour,
libres en sexe »36. Cette sexualité
libérée apparaît aussi bien dans les textes que sur
scène, sans entrave ni péché. Les rockers
adoptent un vocabulaire direct et évocateur. Le jeu de scène de
Jimi Hendrix, de Mick Jagger et de Jim Morrison est marqué à la
fois de séduction et d'émotion sexuelle, si bien que ce dernier
s'autoproclame de « politicien érotique ». La
libération des potentialités du corps ainsi que l'énergie
du désir est vécue comme une pratique de subversion.
La fête est la dernière traduction de cette
« politique existentielle ». Elle évoque à la fois le
voyage (comme dans The Magical Mystery Tour des Beatles),
36 Ibid, p. 51. Ces propos proviennent du
magazine Time du 23 juin 1967.
le sentiment communautaire et l'expression de la
sexualité. Le concert, ou le festival, crée un espace
d'extériorité sociale, comme une sorte de bulle
protégée de l'ordre établi, et produit la fusion des
émotions collectives engendrant la communauté tout en sollicitant
les sens et en faisant communier les mythes et les symboles de par la mise en
scène.
E. Sex and drugs and rock'n'roll37
Dès le début, le rock'n'roll affiche
une image peu en accord avec les normes et les valeurs sociales. En un premier
temps, le sexe est devenu le principal leitmotiv de ce genre
artistique. Le déhanchement subjectif du jeune Elvis Presley suffisait
à provoquer aussi bien les cris admiratifs de son public, dont la
plupart est composée de filles, que les foudres de
l'establishment. Par ailleurs, certaines chansons durant les
années 1960 sont censurées de par le contenu de leurs paroles.
Ainsi Let's Spend The Night Together des Rolling Stones doit devenir
à la demande des producteur du Ed Sullivan Show Let's Spend Some
Time Together lors de leur passage à l'émission en janvier
1967. Le chanteur Mick Jagger trouve la parade afin de ne rien changer aux
paroles en adoptant une prononciation mal articulée. Mais ce
procédé n'est pas nouveau. Ainsi, les Rolling Stones
utilisèrent cette façon de parler sur leur succès
Satisfaction en 1965 afin d'éviter toute protestation des
autorités. Mais le rocker qui a la plus mauvaise image
auprès de l'establishment reste Jim Morrison, chanteur et
auteur des Doors. Ce dernier fut arrêté dix fois entre 1963 et
1969 pour divers motifs (conduite en état
d'ébriété, prestation obscène et impudique,
etc).
A la fin des années 1960, des campagnes contre le
rock virent le jour. Ces dernières furent pour la plupart
l'initiative des stations de radio. En mai 1967, un employé de
l'entreprise radiophonique Mc Lendon Corp's avertit son patron des dangers du
rock après avoir écouté le contenu des paroles de
Let's Spend The
37 Cette partie a été influencé
par l'ouvrage suivant : BENETOLLO Anne, Rock et Politique, Censure,
Opposition, Intégration, Paris, L'Harmattan, 1999, pp. 95-147.
Night Together, titre que possédait sa fille
alors âgée de neuf ans. Une campagne contre les paroles
outrageantes se mit aussitôt en place. Des articles parurent dans les
journaux alertant la multiplication des paroles à caractère
sexuel. Mc Lendon lui-même invite les diffuseurs à revoir leur
programmation. Ce dernier montre l'exemple à suivre en supprimant les
passages de Penny Lane des Beatles, de Candy Man des Nitty
Gritty Dirt ainsi que ceux de Sock It To Me de Mitch Ryder and The
Detroit Wheels de ses six stations radiophoniques. Mais les diffuseurs
hertziens ne sont pas les seuls à censurer le rock. Les maisons
de disque font parfois office de censeur auprès des artistes. Ainsi,
Janis Joplin dut changer le titre de son album Sex, Dope And Cheap
Thrills en Cheap Thrills en 1968. L'année
précédente, le label EMI refusa de commercialiser le premier
album de John Lennon et de Yoko Ono intitulé Two Virgins parce
qu'ils apparaissaient nus sur la pochette.
Le sexe n'est pas le seul élément montré
du doigt chez les rockers. L'usage de substances illicites qu'affirme
certaines personnalités du monde du rock est montré du
doigt par les autorités. De plus, l'avènement du
phénomène hippie met en avant l'exploration des paradis
artificiels. Ces derniers permettent à l'individu de se connaître
soi-même ainsi qu'un plus grand respect aux autres. De plus, certains
penseurs affiliés à la contre-culture comme Allen Ginsberg, Ken
Kesey ou encore Jack Kerouac encouragent à la consommation de ces
substances. En réaction à l'augmentation fulgurante de la
consommation de drogues, le Président Johnson exige un contrôle
redoublé du FBI sur le trafic et l'usage des stupéfiants le 2
mars 1966. Il est vrai que les saisies de marijuana effectuée par la
police new-yorkaise ont été multipliées par 17. Entre 1965
et 1966, l'usage de substances illicites a augmenté de 140 % en
Californie, touchant principalement les collèges ainsi que les
universités. Dans cette même période, plus de 15 % des
usagers de LSD sont étudiants dans la ville de Los Angeles. Certaines
chansons se réfèrent par allusions aux drogues comme
Happiness Is A War Gun des Beatles (« J'ai besoin d'un fixe /
Parce que je suis
en train de descendre ») ou encore You Got Me
Floatin de Jimi Hendrix (« Oui tu me fais voler tout autour /
Toujours en haut, tu ne me laisseras jamais descendre / Et je t'embrasse quand
ça me plaît / Tu me fais voler [...] »). Ce dernier exemple
peut prévaloir d'évoquer les sensations ressenties lors d'un vol
en avion et ne pas correspondre aux allusions d'un éventuel
trip. A partir du milieu des années 1960, certaines stations de
radio interdisent la diffusion de chansons dont les paroles évoqueraient
les drogues. De ce fait, les textes dans lesquels des mots comme
stoned, high et trip figurent étaient
suspectes de contenir un message qui valorise l'utilisation de drogues. Ainsi,
Rainy Day Woman de Bob Dylan fut interdite de diffusion pour deux
raisons. La première est que le texte se réfère à
la drogue en général : « mais si j'étais toi je ne me
sentirais pas si seul / Tout le monde doit se défoncer ». La
seconde raison est que le titre lui-même est le nom donné à
la cigarette de marijuana. Pour contrecarrer cette censure, les artistes jouent
sur des références ambiguës. Par exemple, Eight Miles
High des Byrds peut être entendu comme l'évocation d'un
voyage en avion à Londres sans que cela ne renvoie à quelconque
substance illégale : « Tu planes à dix kilomètres /
Et quand tu atterris / Tu t'aperçois / Que tu es plus étranger
». Afin de faciliter le travail des programmateurs des maisons
radiophoniques, Bill Gavin crée un guide sous le nom Gavin Report
répertoriant toutes les chansons portant sur les drogues. Ce classement
fut utilisé par plus de 10 000 stations radiophoniques sur le sol
américain. Quelquefois les revendications des groupes de rock
aux sujets des substances illicites sont claires comme dans la chanson Take
A Whiff des Byrds (« Renifle un coup, renifle un coup avec moi [...]
/ J'ai rejoint la rue Centrale par la Quatrième Rue / Pour trouver de la
bonne cocaïne). De plus certains artistes ne cachent plus leur goût
prononcé pour les substances illicites comme Mick Jagger et Keith
Richards qui furent souvent arrêtés pour détention et usage
de stupéfiants. Les chansons portées sur les drogues devenaient
un tel problème que le Président Nixon ainsi que son
vice-président Spiro Agnew donnèrent une conférence
à caractère plus
informatif que répressif en décembre 1969. Ces
deux personnalités politiques proclamèrent Timothy Leary, ancien
professeur d'Harvard qui se fait l'apôtre du LSD, comme l'homme le plus
dangereux des Etats-Unis. Cela dit, certaines chansons dénoncent les
effets négatifs de certaines substances comme Amphetamine Annie
de Canned Heat (« Ton esprit peut penser qu'il vole / Grâce à
ces petites pilules / Mais tu devrais savoir qu'il meurt / Parce que [...]
l'amphétamine tue ! » ou encore The Pusher (NdT : Le
Dealer) de Steppenwolf (« tu sais j'ai vu beaucoup de gens aller et venir
/ Avec des pierres tombales dans les yeux / Mais le dealer s'en fiche / Que tu
sois mort ou vivant / Si j'étais le Président de ce pays / je
déclarerais la guerre totale au dealer / Au diable le dealer »).
Cette paranoïa du contenu des paroles des chansons par rapport à
certaines substances suscite parfois des erreurs. Lucy In The Sky With
Diamonds des Beatles est souvent montrée comme le symbole de
l'évocation du LSD. Or ce mythe est erroné. Le fait que les
initiales forme le nom de cette substance est un simple hasard. Cette chanson
fut écrite par John Lennon en 1967 à partir de l'un des dessins
de son fils Julian qui avait imaginé une sorte de fée
nommée Lucy volant dans un ciel constellé de
cristaux38.
Cette louange des substances illicites est due au fait que la
dangerosité de ces produits (tels que le LSD, la cocaïne et
l'héroïne) est méconnue. Il faut attendre la toute fin des
années 1960 pour constater les premiers décès sous
overdoses. L'image de la drogue noircit en 1970-1971, période
marquée par la disparition de trois personnalités du
rock sous l'emprise de la drogue, à savoir Janis Joplin, Jimi
Hendrix et Jim Morrison, évènements qui annoncent la fin des
années 1960, une décennie définie par un sorte
d'insouciance.
38 Cette explication de John Lennon a
été rapportée de l'ouvrage suivant : THE BEATLES, The
Beatles Anthology, traduction de Philippe Paringaux, Paris, Seuil, 2000,
p. 242.
Chapitre 4. Le LSD et le rock
psychédélique39
A. Le LSD et son évolution
idéologique
Le LSD (abréviation de l'allemand Lyserg Säure
Diäthylamid), connu sous le nom d'acide lysergique, a
été inventé en 1938 par le professeur suisse Albert
Hoffmann. Cette substance, obtenue à partir de l'ergot de seigle, devait
au départ être un stimulant moyen. Par accident son
créateur en avala et ressentit aussitôt les effets :
- Perte de la notion de temps : les secondes deviennent des
heures tandis que les heures deviennent des secondes.
- Perte de la sensation de soi.
- Hallucinations.
Le terme « psychédélique » fut
créé par un psychiatre du New Jersey en 1957 afin de
définir les effets que l'individu ressent sous acide. Cet adjectif
provient d'une association de deux mots d'origine grecque :
psukhê qui signifie « âme » et
délo qui signifie « révéler ». Dans
cette fin des années 1950, la presse de manière
générale présente le LSD comme un produit miraculeux
permettant de soigner les malades mentaux. «[LSD] has rescued many
drug addicts, alcoholics, and neurotics from their private hells - and hold
promise for curing tomorrow's mental ills.»40 (NdT: «
[Le LSD] a sauvé certains toxicomanes, certains alcooliques et certains
névrosés de leurs enfers privés et tient la promesse de
guérir les malades mentaux de demain. »). Le LSD n'est pas
perçu comme une drogue mais comme un calmant extraordinaire bien que ses
effets hallucinogènes soient connus. Sa réputation de
psychothérapeutique miracle continue jusqu'au début des
années 1960 si bien que la majeure partie des magazines en ce
temps-là loue ses propriétés bienfaitrices. Deux romans
best-
39 Ce chapitre a été très
influencé de l'ouvrage suivant : HICKS Michael, Sixties Rock,
University of Illinois, University of Illinois Press 1999, pp. 58-73.
40 Ibid, p. 59.
sellers font un éloge à l'acide
lysergique : Myself and I de Constance A. Newland parut en 1963 et
Exploring Inner Space de Jane Dunlap publié en 1961.
A partir du milieu des années 1960 l'image du LSD
change dans l'opinion publique. En effet, les journaux relatent des faits
divers dans lesquels l'acide est directement mis en cause. Le public
connaît enfin les effets non désirés du produit comme les
bad trips ou plus simplement les névroses qui peuvent
entraîner des suicides. 1966 marque un tournant aux Etats-Unis par
rapport à la légitimité de la libre circulation du LSD. Un
seul événement41 est à l'origine de ce
tournant. En avril 1966, Stephen Kessler âgé de 30 ans, ancien
étudiant en médecine, est arrêté à Brooklyn
après avoir étranglé puis tué sa belle-mère.
Le prévenu a reconnu être sous acide depuis trois jours. Depuis
cette affaire le danger psychotique de l'acide lysergique est connu de
l'opinion publique ainsi que du gouvernement fédéral. Ce dernier
adopte la même année une loi interdisant l'usage et la
distribution du LSD-25. Les laboratoires Sandoz qui commercialisent et sont
à l'origine de ce produit rappellent tous les fournisseurs.
Malgré cela, les psychiatres affirment en 1966 perdre tout
contrôle sur la circulation du LSD lors d'une conférence
internationale à Berkeley. L'acide lysergique est de ce fait devenu le
marché de réseaux clandestins et souterrains au même titre
que le haschisch, la cocaïne ou l'héroïne. Les dealers savent
fabriquer ce produit dans leur cuisine pour inonder le marché.
Cela dit, dès 1965 le LSD inspire les milieux
artistiques et intellectuels. Le professeur Timothy Leary, professeur à
l'Université d'Harvard, est le pape du LSD. Sa vie commence d'une
manière des plus conventionnelles. Après avoir
fréquenté les écoles catholiques, il s'inscrit à
l'académie militaire de Westpoint puis s'engage dans l'armée lors
de la seconde guerre mondiale. Après l'obtention d'un doctorat de
psychologie, il enseigne à l'université de Harvard et entreprend
des expériences psychédéliques dès 1960 avec des
champignons
41 L'événement qui suit a
été rapporté de l'ouvrage suivant : BENETOLLO Anne, op
.cit., p. 142.
hallucinogènes appelés psylocibine lors d'un
voyage au Mexique. Il conclura cette expérience par ces termes : :
« En quatre heures, j'avais plus appris sur le fonctionnement de l'esprit
qu'en quinze ans de pratique professionnelle »42. George
Harrison, lors de sa première expérience
psychédélique au LSD, en conclut de manière semblable :
« Les questions et les réponses se fondaient les unes dans les
autres. Une illumination se produit à l'intérieur de soi : en dix
minutes, j'ai vécu milles ans. Mon cerveau, ma perception et ma
conscience étaient projetés si loin que la seule façon
dont je pouvais tenter de le décrire était de me comparer
à un astronaute sur la Lune, ou bien dans son vaisseau spatial,
regardant le Terre derrière lui. »43. A partir de ce
moment là, Timothy Leary est persuadé que l'utilisation des
substances hallucinogènes et psychédéliques permet une
optimisation des fonctions intellectuelles de l'être humain ainsi qu'une
ouverture à la conscience et à la perception. Une fois de retour
aux EtatsUnis, il se fait l'apôtre de l'acide en découvrant le
LSD-25. Ce puissant hallucinogène est alors utilisé par la CIA
comme arme chimique. Cette dernière compte se servir de ce stimulant
afin de contrôler les individus à l'aube d'un coup d'Etat sur
l'île cubaine. Bien que le LSD soit en libre circulation et ne soit pas
interdit en 1963, Timothy Leary se fait renvoyer cette année là
de la prestigieuse université dans laquelle il enseignait parce qu'il
incitait ses étudiants à expérimenter l'acide et ainsi
ouvrir leur conscience. A ce moment-là, il se fond dans le milieu
contre-culturel en épousant les principes beats puis
hippies dont il partage l'opposition à la guerre au Vietnam.
Dans cette fin des années 1960, il enregistre avec Jimi Hendrix. Les
Moody Blues l'immortalisent avec la chanson Legend Of A Mind. Timothy
Leary publie son premier ouvrage en 1964 intitulé tout simplement
L'Expérience Psychédélique. En 1965, il est
à l'origine avec l'écrivain Ken Kesey entre autre, nommé
pour l'occasion Merry Pranksters (NdT: Les Joyeux Farceurs), d'un
rassemblement dans la baie de San
42 BRIONI Bruno, Timothy Leary parmi les
étoiles, in
www.6bears.com/leary.html,
consulté en mars 2003.
43 THE BEATLES, op. cit., p. 179.
Francisco appelé Acid Test sous le nom
Psychedelic Symphony (NdT : Symphonie Psychédélique).
Les participants de cette expérience ouverte à tous jouent de
leur instrument de musique sous acide. Timothy Leary propose aux artistes la
mise en place d'un art hallucinatoire. Il incite ces derniers à prendre
du LSD afin de les conduire « into a kaleidoscopic flow of direct
energy - swirling patterns of capillary coiling.» 44 (NdT
: « dans un kaléidoscopique flot d'énergie directe - en
remuant les modèles des tourbillons capillaires. »). Puis l'artiste
a besoin d'avoir « access to energy-transforming machines which
duplicate the capillary flow.» (NdT : « accès aux
machines transformant l'énergie qui duplique le flot capillaire »)
dans le but de communiquer son hallucination. A partir de là, un nouveau
courant lié au rock se met en place : le rock
psychédélique. Ce courant permet à l'énergie
provenant du passé et du présent de la musique populaire de se
transformer tout en essayant de dupliquer le flot capillaire en
liquéfiant certains paramètres soniques.
B. Qu'est-ce que le rock psychédélique
?
Il existe une ambiguïté entre le rock
psychédélique et le rock progressif. La terminologie
anglaise regroupe ces deux courants sous une même désignation :
progressive rock. Pour ma part, le rock
psychédélique est assez différent du rock
progressif. Le rock psychédélique est une tendance
apparue en 1965 sur la côte ouest californienne en réaction
à l'interdiction du LSD. Peu de temps après, ce courant musical
fit des émules en Angleterre. Les musiciens intégrés
à ce courant revendiquent dans leurs textes ou dans leur musique une
nouvelle conscience ainsi qu'une nouvelle façon de ressentir les
évènements grâce au LSD ou à d'autres produits
illicites mais ne s'inspirent pas toujours de la musique savante ou de la
musique extra-européenne. Cependant il est vrai que le rock
psychédélique s'inspire d'autres musiques comme la musique
indienne ou la musique symphonique. En effet, l'extrait Within Without
You provenant de
44 HICKS Michael, op. cit., 1999, p. 70.
l'album Sergent Pepper Lonely Hearts Club Band des
Beatles a une instrumentation typiquement issue de la culture indienne et ne
contient aucun instrument rock. Mais ceci n'est qu'un prétexte
pour créer une musique dite « planante ». Le titre A Day
In The Life du même album comporte une montée, aussi bien au
niveau des hauteurs de manière atonale que de l'intensité sonore,
faite par un orchestre symphonique mais celui-ci n'a ni une écriture ni
une harmonisation classique et ne sert seulement que pour relier deux parties
différentes d'une même chanson. Certaines formations de
rock psychédélique s'inspirent d'autres courants
musicaux et s'en inspirent seulement. Par exemple, les membres du groupe The
Doors45 s'inspirent du jazz pour créer leur propre style
musical mais n'écrivent pas dans un style jazzistique. Le cabaret est
utilisé par ces formation afin de donner une touche rétro ou une
ambiance de casino comme l'extrait On With The Show tiré du
seul album psychédélique des Rolling Stones Their Satanic
Majesties Request parut en 1967. Cette même année marque
l'apogée du courant psychédélique de par la parution
d'album tels que Sergent Pepper Lonely Hearts Club Band des Beatles,
Their Satanic Majesties Request des Rolling Stones ou encore Nico
& The Velvet Underground du Velvet Underground ainsi que
l'avènement de manifestations issues du folklore hippie telles
que le festival de Monterey, The Summer of Love et le Gathering of
the Tribes.
Ce courant du rock est toutefois assez innovant
puisque les musiciens tentent de sortir du carcan de la grille blues
et de l'instrumentation presque devenue trop classique du rock
(guitare - basse - batterie) pour explorer d'autres sonorités et
rechercher de nouveaux enchaînements harmoniques. Par exemple, l'extrait
intitulé I Am The Walruss issu de l'album The Magical
Mystery Tour des Beatles possède une harmonisation assez atypique
puisque nous avons une
45 Le nom de cette formation provient du titre d'un
ouvrage parut en 1954 d'Adlous Huxley, The Doors Of Perception.
L'auteur y décrivit ses réactions par rapport à la prise
de mescaline, produit hallucinogène. Le livre connut un grand
succès à la fin des années 1960 lorsque le rock
psychédélique était à son apogée.
grille ainsi construite : siM - laM - solM - faM - miM en
introduction puis laM - la7 - doM - réM pour chaque couplet.
Le rock progressif naît en même temps que
le rock psychédélique mais tient une approche
différente. De nouvelles figures apparaissent dans l'univers
rock entre 1966 et 1967 au faciès assez particulier. Des
formations comme Frank Zappa and the Mothers of Invention, Pink Floyd ou encore
Genesis font irruption et imposent leur propre style. La qualité de
leurs oeuvres tient plus d'une conception quasi savante du rock en le
complexifiant aussi bien au niveau structurel, harmonique et instrumental qu'au
niveau imaginaire et textuel. Déroutant pour les uns, fascinant pour les
autres, cette musique ne laisse pas indifférent. Ces artistes
détournent le rock de sa fonction originelle par une sorte de
sophistication. En effet, ce dernier a connu le succès à ses
débuts grâce à sa simplicité, à ses riffs
incisifs et à la mise en place d'une pulsation rapide et permanente
tout au long de la chanson. Le rock progressif délaisse les
mesures à quatre temps pour des mesures beaucoup plus complexes, une
harmonisation beaucoup plus recherchée et une orchestration riche et
variée, mêlant instruments électriques, instruments
électroniques et instruments acoustiques issus de la musique savante
dans des oeuvres composées elles-même de différentes
métriques et de différentes tonalités. Nous pouvons
différencier quelques styles de rock progressif46
dans la période qui nous concerne :
- Le rock symphonique avec des groupes comme Genesis ou
Yes dont la
musique classique est l'une des influences. Une dimension
orchestrale se
dégage de leurs compositions.
- Le rock planant avec des groupes comme Tangerine
Dream dont les compositions très longues sont principalement
jouées sur des claviers et dont la parenté avec le style
rock n'a à voir qu'avec les instruments.
46 Cette définition du rock progressif a
été réalisée par l'association Prog la Vie dont
voici l'adresse internet :
http://proglavie.free.fr/RockProg/DefProg1.htmhttp://proglavie.free.fr/RockProg/DefProg1.htm,
consulté en avril 2003.
Certains artistes ou formations sont inclassables comme Frank
Zappa and the Mothers of Invention, Pink Floyd ou encore King Crimson. Le
rock progressif ne s'inspire pas uniquement de l'instrumentation ou de
la couleur sonore de différentes musiques mais en étudie en
profondeur le fonctionnement afin de les intégrer pour établir
leur propre univers musical.
Afin de bien distinguer le rock progressif et le
rock psychédélique, examinons deux chansons appartenant
à chacun de ces mouvements. L'extrait de l'album The Velvet
Underground & Nico intitulé Heroin du groupe The
Velvet Underground n'a ni une structure complexe, ni une recherche harmonique
très élaborée ni, une instrumentation très riche et
reste dans un style très pop-rock. En effet, la guitare
rythmique y est très présente et martèle les temps de
manière à ce que la pulsation soit bien ressentie. Nous restons
dans une même tonalité (do# majeur) et nous tournons autour des
mêmes degrés (I, IV et V). Par contre le titre Atom Heart
Mother Suite de Pink Floyd issu de l'album du même nom est un
collage de plusieurs genres musicaux comme la musique savante (quelle soit
tonale ou atonale), le jazz et le rock, avec une harmonisation
très élaborée et une orchestration variant ensemble
symphonique et instruments provenant du rock et de la musique
populaire (guitare électrique, basse amplifiée, batterie). En
effet, l'introduction de tendance modale et harmoniquement horizontale est
jouée par un quintette de cuivre suivie par le thème
d'obédience tonale et harmoniquement vertical toujours
interprété par le quintette accompagné de la batterie et
de la basse amplifiée. Puis nous avons un passage plus intimiste qui
n'est qu'une marche harmonique jouée par la basse, un orgue
électrique et un violon puis intervient un choeur mixte à quatre
voix.
Cependant il existe une ambiguïté en la
terminologie de rock psychédélique. Selon certains
musiciens adeptes du LSD, il n'y a pas de corrélation entre la musique
et la substance : « The [psychedelic] system is
perfectly structured internally [with] no necessary
connection to anything outside itself.» (NdT : « Le
système psychédélique est parfaitement structuré
intérieurement [avec] pas nécessairement de connexion à
quelque chose extérieur à lui-même. » )47
ou encore « Drugs may have had a lot to do with the periphery ... but
not really a lot to do with the music itself.»48 (NdT :
« Les drogues ont put influencer la périphérie ... mais pas
vraiment la musique ellemême. »). Mais la plupart des musiciens des
années 1960 affirment que le LSD contribue à la mise en forme de
leur musique. La première apparition du LSD dans la musique date de 1960
avec le 45 tours du groupe surf49 Gamblers nommé Moon
Dawg sur la face A et LSD-25 en face B. La première apparition du
mot psychédélique dans une chanson remonte à 1964 avec le
duo folk newyorkais The Holy Modal Rounders et leur propre version du
titre Hesitation Blues du groupe Ledbelly. Le vers final :
«Got my psychedelic feet in my psychedelic shoes / I believe, Lordy
mama, I' got the psychedelic blues.» (NdT : « J'ai mes pieds
psychédéliques dans mes chaussures psychédéliques /
Je crois, Lordy mama, que j'ai le blues psychédélique.
»). Le style de cette chanson est du blues pur et dur. Je n'ai
pas réussi de trouver la version originale de ce blues mais une
version pirate chantée par Janis Joplin ainsi qu'une autre de Hot Tuna.
Ces deux versions diffèrent de par leur tempo et des parties
chorus seulement. L'instrumentation est des plus rudimentaire
puisqu'une guitare accompagne le chant selon une grille blues des plus
traditionnelles :
47 HICKS Michael, op. cit.,p. 58-59. Ceci
est une citation rapportée de l'ouvrage suivant : MIDDLETON Richard et
MUNCIE Jill, « Pop Culture, Pop Music and Post -War Youth : Counter -
Culture », Popular Culture, England, Open University Press, 1981,p.
87.
48 Ibid, p. 59. Cette citation est
attribuée à Barry Melton du groupe Country Joe and the Fish
souvent référencé comme une formation à
caractère psychédélique.
49 Le surf ou plus
précisément le surf rock est une musique apparue au
début des années 1960 sur la côte ouest des Etats-Unis.
L'un de ses groupes les plus représentatifs de ce mouvement est The
Beach Boys. Cette musique repose sur les mêmes principes que le
rock'n'roll, aussi bien dans l'instrumentation que dans l'utilisation
de la grille blues, mais à la différence que les sujets
traités sont plus optimistes et insouciants (voitures, filles, plage).
Le son des guitares est traité de façon plus claire et plus
scintillante avec des riffs simplifiés dans le but de distraire
au maximum en invitant à la danse.
Cette chanson ne correspond pas à l'étiquette
rock psychédélique puisqu'elle relève plus du
blues que du rock.
En 1966, le San Francisco Sound apparaît. Il est le
résultat des Acid Tests effectués sur la côte californienne
qui devient le noyau dur du psychédélisme. Un journaliste
travaillant pour la presse clandestine qualifie ce style électrique
comme étant « the first head music we've had since the end of
the Baroque.»50 (NdT : « la première musique
cérébrale que nous avions depuis la fin du Baroque. »). Ce
nouveau style musical est dérivé de la culture beat et
de la folk-music. Il s'inscrit donc dans un courant populaire et
contre-culturel.
Pourtant une figure bien connue de la musique savante va
influencer le rock psychédélique. Cette personne n'est
rien d'autre que Karleinz Stockhausen. En 1966, il est reconnu
internationalement comme un musicien d'avant-garde. C'est à cette
époque qu'il commence à dessiner des musiques méditatives
comme Aus den sieben Tagen ou encore Stimmung. Entre 1966 et
1967, il effectue plusieurs voyages à San Francisco et plus
précisément au San Francisco Tape Center, studio
réputé mondialement. Il devient une sorte de
célébrité locale et influence le son de San Francisco.
Un autre personnage musical a influencé le
rock psychédélique. Il s'agit du célèbre
saxophoniste de free-jazz John Coltrane. Le free-jazz est le
penchant atonal du monde jazzistique. L'idée d'improvisation pure et
totale devient l'élément principal de ce genre musical. Plus
aucune règle n'existe en réaction à l'appropriation des
différents styles jazzistiques par les Blancs et par l'industrie
discographique. L'influence de John Coltrane s'inscrit dans la même
lignée que celle de Karleinz Stockhausen, à savoir que le premier
a réalisé des albums aux couleurs exotiques comme My Favorite
Things en 1960 et A Love Supreme en 1964 avec mode mineur et
improvisations organiques modelées par J.Coltrane après le solo
de Ravi Shankar.
Ce mouvement peut paraître s'inscrire dans le domaine
contre-culturel puisqu'il naît en réaction à la
ségrégation raciale encore présente aux Etats-Unis. Nous
sommes dans une période où les Noirs revendiquent leur droit en
tant que
50 HICKS Michael, op. cit., 1999, p. 61.
citoyens américains à part entière. Cette
contestation connaît des mouvements plus ou moins radicaux. De grandes
personnalités appartenant à cette communauté sont sur le
devant de la scène comme Martin Luther King ou encore Malcom X. Le
premier préconise une action pacifiste et non-violente tandis que le
chef des Black Muslims, à savoir Malcom X, encourage à une action
radicale et offensive. Nous sommes au temps des émeutes entre
autorités et manifestants Noirs comme ce 11 août 1965 dans la
banlieue défavorisée de Los Angeles, appelée Watts,
où une jeune Noir surpris d'excès de vitesse fut
interpellé par la police locale. Le fautif sortit un revolver qui a
déclenché une émeute. 14 000 Gardes Nationaux furent mis
en service afin de rétablir l'ordre pendant cinq jours. C'est le temps
aussi où le Congrès américain adopte une loi le 6
août de cette même année permettant aux individus de couleur
de disposer de leurs droits civiques quelle que soit leur religion et leur
appartenance à telle ou telle communauté.
Le mouvement psychédélique apparaît au
Royaume Uni pendant le printemps 1966. Les musiciens de cette époque
commencent à s'agripper à la drogue psychédélique,
visible jusque dans leurs titres. Par exemple, Le groupe Pretty Things sort un
45 tours intitulé £. s. d. créant ainsi
l'ambiguïté entre la substance illicite et l'abréviation de
livres, shillings, pounds, divisions monétaires britanniques.
Cette chanson fait plus référence au LSD puisqu'on y trouve le
verset suivant : « I need L.S.D » (NdT : « J'ai besoin
de L.S.D. »). Les Yardbirds sorte un single en octobre de cette même
année nommé Happenings Ten Years Ago sous la
bannière de rock psychédélique. L'influence de
John Coltrane est apparente dans l'instrumentation. En effet, nous sommes dans
un mode mineur et la couleur exotique est due à la présence du
sitar.
A l'aube de l'année 1967, le journal anglais
spécialisé dans le rock Melody Maker
évoque pour la première fois le terme « psychedelic
» en faisant référence à deux nouveaux groupes
fraîchement sortis de l'anonymat : Pink
Floyd et Move. Seulement ces deux formations ne se
reconnaissent pas dans ce courant musical au niveau de leur musique. Le
rock psychédélique connaît une
ambiguïté dans sa propre esthétique. Est-ce un style musical
ou une technique particulière ? Afin de définir le style
psychédélique il faut revenir aux effets du LSD à savoir
la désynchronisation (perte de la notion de temps, perception du temps
inversée), la dépersonnalisation (perte de la notion de soi) et
la dynamisation (hallucinations, les objets solides deviennent liquides et
vice-versa) et les appliquer à la musique. La désynchronisation
peut être interprétée en musique par l'allongement du
temps, la lenteur des tempi et la répétitivité des motifs.
La dépersonnalisation de la musique peut s'effectuer en cassant les
barrières entre le musicien et l'auditeur, en se penchant sur la
perception des vibrations du son. La dynamisation du son peut être mise
en application au travers des processus électro-acoustiques
(réverbération, chorus, répartition du son
à travers les canaux panoramiques, manipulation de bandes
magnétiques), de la recherche de nouvelles formes musicales, de
nouvelles harmonies et de la recherche de nouveaux sons.
C. Dynamisation du rock psychédélique
Afin de dynamiser les formes musicales, certains groupes
musicaux comme les Doors s'imprègnent de différents styles sans
oublier les Beatles qui excellent dans ce domaine grâce à la
formation classique de leur producteur George Martin. Ces différents
courants musicaux sont pour la plupart issus du passé, du jazz des
années 1930 au répertoire populaire européen comme le
flamenco par exemple. Les musiciens développent le pont
musical51 qui devient différent de l'instrumentation de la
chanson. L'album de ces derniers intitulé Sergent Pepper Lonely
Hearts Club Band en est l'une des illustrations les plus significatives.
L'extrait A Day In The Life de l'album des Beatles cité
ci-dessus en est l'exemple même. En effet, chacune des parties de la
chanson possède la
51 Fragment parfois modulant de quelques mesures
permettant de relier deux parties dune même chanson.
même instrumentation à savoir basse, guitare,
piano, batterie, percussions. La première partie à
caractère mélodique a été créée par
John Lennon tandis que la deuxième, beaucoup plus rythmique, fut
écrite par Paul Mc Cartney. Ces deux parties sont de tonalités
différentes (sol majeur pour la première et ré majeur pour
la deuxième) et de tempi différents (la deuxième partie
étant plus vive). Le producteur George Martin eut l'idée de
créer un magma sonore atonal permettant de les relier entre elles. Il
utilisa un orchestre classique de 40 musiciens leur donnant pour seule consigne
d'effectuer un glissando de la note la plus grave de leur instrument vers la
note la plus aiguë avec un crescendo (de pianississimo à
fortississimo) de 16 mesures. La chanson For Your Love des Yardbirds
en fait de même principe. La durée des chansons devient de plus en
plus longues à tel point qu'une face entière de 33 tours est
destinée à une seule chanson. Les morceaux peuvent atteindre des
durées dépassant les dix minutes comme par exemple The
End tiré du premier album du groupe The Doors intitulé tout
simplement The Doors sorti en janvier 1967.
Dans le but de dynamiser l'harmonie les musiciens utilisent la
sixte napolitaine parmi d'autres ainsi que le principe du slide
slipping emprunté au jazz. Le titre House at Pooneil
Corners de Jefferson Airplane oscille entre les degrés I et
bII tandis que les Doors utilisent la sixte napolitaine dans The
Crystal Ship. Certains emploient des harmonies de passages plus
communément appelées harmonies pivots. Le titre Light My
Fire des Doors varie entre les accords la mineur et fa# mineur
inspirés de l'extrait intitulé Neptune de l'oeuvre
Les Planètes de Gustav Holst52. D'autres comme
Jefferson Airplane dans White Rabbit utilisent deux tonalités
(la majeur pour le refrain et le pont tandis que les couplets sont en fa
majeur) dans un pseudo flamenco dans lequel l'accord sol majeur sert à
la fois d'appoggiature et d'accord pivot. Cette polytonalité est
présente dans Casbah des Terrazzo Brothers dans lequel
l'esthétique de la mauvaise note est à noter. Jimi Hendrix
définit cette dernière de la façon
52 Cette analyse doit être attribuée
à l'ouvrage suivant : HICKS Michael, op. cit., p. 69.
suivante : «Playing the opposite notes to what you
think the notes should be [...] It's like playing wrong notes seriously, dig
?»53 (NdT : « Jouer les notes opposées
auxquelles tu penses qu'elles devraient être [...] C'est comme jouer faux
sérieusement. »).
A partir de cette description analytique du rock
psychédélique découle toute une interprétation
symbolique des processus électro-acoustiques. Par exemple la
réverbération n'a pas la même connotation dans le surf
rock que dans le rock psychédélique. Chez le
premier, cet effet évoque l'immensité des espaces
océaniques tandis que pour le deuxième il rappelle
l'immensité des espaces intérieurs. Ceci est dû à la
spécificité des sons réverbérés qui semblent
à l'auditeur à la fois proches et lointains.
Le rock exploite la technique du
tone-bending permettant de varier la hauteur sans changer de fret en
tirant sur les cordes à partir du manche de la guitare. Cependant les
musiciens utilisent une armature (une sorte de barre de fer appelée
vibrato) accrochée au chevalet de l'instrument. Cette armature est
apparue en 1929 aux banjos puis aux guitares dans les années 1940. Cette
technique est très employée par les groupes de surf rock
comme les Ventures (par exemple dans Walk Don't Run ou encore
Perfidia) afin d'embellir les riffs. Dans l'esthétique
surf rock, ceci évoque à la fois les guitares
hawaïennes mais aussi l'ondulation des vagues océaniques. Par
rapport au mouvement psychédélique cette technique peut
suggérer les inclinaisons de l'esprit au travers du trip. Jimi
Hendrix emploie cette technique de façon particulière en appuyant
à l'aide de son avant-bras sur le vibrato ce qui lui permet de se servir
de ses deux mains.
L'effet wah-wah bien connu des guitaristes devient
l'un des maniérismes du rock psychédélique. Cet
effet est apparut dans les années 1920 chez les trompettistes de jazz
qui bouchent plus ou moins leur pavillon à l'aide d'une
53 Ibid, p. 69.
coupe leur permettant d'enrichir le timbre de leur solo. Chet
Atkins adapte cette technique à la guitare en 1959 dans Boo Boo
Stick Beat en jouant des riffs harmoniques au travers d'une
pédale de volume à laquelle il remplace le circuit du volume par
un circuit de contrôle de la note. Au milieu des années 1960,
certaines sociétés commercialisent des pédales
wah-wah préfabriquées. Cet effet fut popularisé
par le groupe Cream d'Eric Clapton au travers de chansons comme Tales of
Brave Ulysses (1967) ou encore White Room (1968) mais aussi par
Jimi Hendrix et son album Electric Ladyland (1968).
Le feedback (NdT : rétroaction), autre effet
électro-acoustique tout aussi appelé larsen, est obtenu en
approchant les microphones de la guitare vers la membrane de l'amplificateur.
Il en résulte un son très aigu et strident dont
l'intensité varie selon la proximité qui se trouve entre les
micros et l'ampli. Cet effet est déjà présent en 1964 chez
les Beatles dans leur succès I Feel Fine. Trois ans plus tard,
Jimi Hendrix s'en servira dans le but de créer une sorte de fanfare
psychédélique dans Foxy Lady.
L'un des effets que le rock
psychédélique utilisera comme cliché reste le ADT
(Automatic Double Tracking qui sera plus tard nommé
phasing). Cet effet a été découvert lors d'un
incident technique : en 1959, l'ingénieur du son Larry Levine superpose
deux dubs54 sans les régler à la même
vitesse. Il en résulta un son qui ressemble à celui d'un avion en
plein vol. Cette interprétation du phasing purement
décorative est perceptible dans l'introduction de Back In URSS
des Beatles ainsi que dans Sky Pilot des Animals. Chez les Small Faces
il accompagne le texte de façon à ce que l'auditeur
interprète cet effet comme une impression générale
hallucinatoire. Dans Itchycoo Park, le phasing est
appliqué dans les deux versets suivants : «I feel inclined to
blow my mind / It's all too beautiful» (NdT : « Je sens mon
esprit s'incliner / Tout est trop magnifique. »).
54 En ce temps-là, afin de grossir le son des
instruments, le musicien devait enregistrer sa partie deux fois. Les
ingénieurs du son devaient superposer les deux bandes en les calant
à la même vitesse avant de commencer tout travail de traitement du
son.
Pour Jimi Hendrix, ce son obtenu lui semble être
«an underwater sound»55 (NdT : « un son
sous-marin. »).
Le rock psychédélique s'est largement
servi des panoramiques stéréo de façon assez
particulière. La norme stéréo est apparut dans les
années 1950. Au départ, cette dernière permettait de
réaliser des disques dans le but de restituer la position
tridimensionnelle des instruments sur scène. A la fin de cette
décennie, des ensembles percussifs enregistrèrent en
question-réponse entre chaque instrument qui sont distribués dans
les canaux panoramique. Le son dit pingpong fut ainsi
créé. Au milieu des années 1960, la plupart des groupes de
rock psychédélique utilisent la norme
stéréo non plus recréer une ambiance de concert en direct
mais de façon à balader les sons. Le son n'est plus figé
dans une certaine partie de l'espace mais semble traverser la tête de
l'auditeur de part et d'autre, comme par exemple la guitare de Jimi Hendrix
dans Voodoo Child ou encore la voix de John Lennon dans A Day In
The Life. La disposition des instruments devient tout à fait
inédite. L'écoute de l'album Sergent Pepper Lonely Hearts
Club Band des Beatles apporte une écoute assez particulière.
La disposition panoramique des instruments s'effectue de la façon,
suivante : à gauche nous trouvons la batterie, la guitare rythmique, les
claviers tandis qu'à droite se trouve la voix et la basse et parfois un
riff de guitare de temps en temps. A chaque fois que j'écoute
cet album, j'ai l'impression d'apercevoir la formation instrumentale de profil
et non de face. En effet, la batterie est répartie dans le fond de la
scène tandis qu'elle paraît tout à fait à gauche
dans cet albumci. La voix est en général située au centre
alors qu'ici elle est à droite.
Il n'y a pas que les instrumentistes qui dynamisent le timbre
de leur instrument. Les chanteurs en font de même au travers de
différents moyens, comme par l'utilisation des techniques vocales
empruntées au jazz tel que le glissando, perceptible dans la voix de
Grace Slick appartenant au groupe
55 HICKS Michael, op. cit.,p. 72.
Jefferson Airplane sur Somebody To Love (1967).
Certains chanteurs utilisent même des procédés
électro-acoustiques non plus pour embellir la voix, ce qui se fait de
façon systématique pour tous ceux qui enregistrent en studio,
mais pour lui donner une autre couleur ou une dimension d'éloignement.
Les Beatles ont commencé à étudier ces possibilités
dès 1966 avec leur chanson Tomorrow Nerver Knows dans laquelle
la voix est amplifiée au travers d'un orgue Leslie créant ainsi
un son dit whooshing (NdT : dynamique). Plus tard dans la chanson
I Am The Walruss issu de l'album The Magical Mystery Tour la
voix semble être enregistrée au travers d'un amplificateur avec
distorsion. Cette technique sera copiée par Grateful Dead. Les Rolling
Stones dans leur seul album psychédélique intitulé
Their Satanic Majesties Request, réplique côté
Stones du Sergent Pepper des Beatles, appliquent l'effet
flanger à la voix de Bill Wyman lors de l'enregistrement du
titre In Another Land. L'écho sera utilisé par Lemon
Piper dans Green Tambourine et par Big Brother and The Holding Company
dans leur chanson Light Is Faster Than Sound.
Les paroles peuvent affecter la perception de l'auditeur par
une notion de non-sens. Certaines chansons comme I Am The Wallruss des
Beatles ne sont qu'un collage de mots, respectueux des règles de
grammaires (sujet - verbe - complément), dont le sens des termes est
incohérent l'un vis à vis de l'autre. Voici les premiers versets
de cette chanson citée : « I am he as you are he as you are me
and we are all together / See how they run like pigs from a gun, see how they
fly / I'm crying / Sitting on a cornflake, waiting for the van to come /
Corporation tee-shirt, stupid bloody Tuesday /Man, you been a naughty boy, you
let your face grow long.» (NdT : « Je suis lui comme tu es lui
comme tu es moi et nous sommes tous ensemble / Regarde comme ils courent comme
des cochons devant un fusil regarde comme ils volent / Je pleure / Assis sur un
flocon de maïs en attendant la camionnette / Chemisette de la corporation
maudit mardi stupide, / Mon gars tu as été un mauvais
garçon tu fais la gueule. »).
D. Analyse à connotation
psychédélique56
Analysons à présent l'une des premières
chansons psychédélique, à savoir Strawberry Fields
Forever des Beatles écrite en 1966 par John Lennon alors qu'il
jouait dans un film sur la guerre d'Espagne intitulé How I Won The
War. Leur première chanson psychédélique, à
savoir Tomorrow Never Knows parue la même année, est
d'obédience psychédélique à travers l'utilisation
peu habituelle des effets sur la voix mais aussi par le texte en lui-même
: «Turn off your mind, relax and float downstream [...] / Surrender to
the void [...] / Listen to the colour of your dreams [...]» (NdT :
« Eteint ton esprit, relaxe-toi et flotte en aval [...] / Livre-toi au
vide [...] / Ecoute les couleurs de tes rêves [...] »). Il n'y a pas
besoin de donner une explication sur l'aspect psychédélique du
texte, les paroles elles-même sont assez explicites.
Strawberry Fields Forever contient une multitude de
connotations à la substance hallucinogène à la fois
apparentes et cachées. Au niveau de l'armature harmonique, la
tonalité n'est pas clairement définie tout au long de
l'écoute. Le seul point d'appui que l'auditeur possède reste la
cadence plagale réalisée aussi bien par les instrumentistes que
par le chanteur à chaque fin de couplet sur le mot
«forever» et confirme de ce fait la tonalité de si
bémol majeur. Le message est très fort ici. Remplaçons le
cheminement harmonique par l'état de la conscience. Ce premier est tout
à fait désordonné ce qui a pour interprétation une
absence de conscience, donc un état inconscient avec quelques flashs de
présence d'esprit représenté par la cadence plagale. Cela
signifie que les Beatles connaissent les effets hallucinogènes du LSD et
en ont par conséquent pris. Ils en consomment occasionnellement depuis
un an et commencent à s'en inspirer dans leur musique. Je ne dis pas
qu'ils enregistrent dans un état second mais s'inspirent des effets
ressentis lors des trips afin de concevoir une nouvelle approche
musicale comme le souligne Ringo Starr : « Quand on avait pris trop
56 Cette analyse doit sa paternité à
l'auteur de l'ouvrage suivant : WHITELEY Sheila, op. cit., pp.
65-72.
de substances la musique était merdique, absolument
merdique. Sur le coup on trouvait ça super, mais quand il s'agissait de
l'enregistrer le lendemain on se regardait tous et on disait : «Il va
falloir recommencer.» Ça ne fonctionnait pas pour les Beatles de
faire de la musique en étant trop défoncés. [...]
Ça allait bien d'en prendre la veille - quand on a la mémoire
créative - mais on ne pouvait pas fonctionner sous emprise.
»57. L'entrée de la voix «Let me take you down
cause I'm going to Strawberry Fields» au début de chaque
couplet atterrit sur une septième diminuée. Nous arrivons sur un
accord de labM tandis que John Lennon prononce le mot
«Fields» sur un fa naturel. Puis nous avons une variante en
triolet du thème d'arrivée («Strawberry
Fields») sur le vers suivant mais dont l'accompagnement harmonique
est éloigné de l'accord de labM puisqu'il s'agit d'un
accord de solM. Ceci a pour effet de créer de l'imprévu qui
correspond au changement de la conscience, une sensation de vague et de
rêve. Nous rencontrons par la suite une rapide progression harmonique
IV-V-VI sur le vers «And nothing to get hung about»qui
débouche sur la cadence plagale équivalente aux vers
présents au début, à savoir «Strawberry Fields
Forever». Cette fin de couplet donne une sensation d'arrivée,
de retombée et de repère. Les effets du LSD sont très
présents par ce cheminement harmonique qui symbolise
l'imprévisibilité du changement de la conscience.
La pause effectuée lors de la fin du premier vers
«Let me take you down cause I'm going to» signifie que la
conscience marque un temps d'arrêt pour changer de direction. Cette
chanson est la résultante de deux enregistrements dont on peut entendre
la différence de l'instrumentation et du timbre de la voix vers la fin
de la première minute. John Lennon hésitait à prendre
partie entre deux versions et les garda. Les ingénieurs ont calé
sur le même tempo les deux versions (la première équivalant
à la prise numéro 7 tandis que la deuxième équivaut
à la prise numéro 26) en respectant l'orchestration de chacune
d'elle. Cela traduit là aussi un virage dans le voyage intérieur.
Les quatre premières
57 THE BEATLES, op. cit.,p. 194.
mesures de l'introduction sont marquées par une
descente mélodique qui signifie que la musique peut devenir une pente
pouvant permettre l'accès à l'état d'inconscience. Il est
à noter que chaque couplet-refrain garde sa propre identité
musicale que ce soit au niveau de sa texture ou au niveau de sa couleur
sonore.
La coda de cette chanson est tout aussi bien assez
particulière. Les références psychédéliques
sont plus que jamais très fortes. Elle est composée d'un solo
fragmentaire de guitare électrique, d'un motif répétitif
au piano qui diverge tonalement des violoncelles, le tout accompagné de
percussions. Puis les flûtes entrent dans un tempo différent. La
harpe effectue ensuite un motif tandis qu'une voix prononce «crawberry
sauce». Puis les percussions ainsi que la voix disparaissent en
decrescendo ce qui indique ici aussi un détour dans la conscience. Nous
avons par la suite une mixture de couleur et de texture comprenant des sons
conventionnels dont le timbre est trafiqué.
Cette chanson évoque la beauté et les couleurs
d'un trip, la face positive d'une expansion de la conscience. Ceci est
dû à l'allure gentille mais aussi par la manipulation des timbres,
la présence de la distorsion électrique, une structure harmonique
changeante. Cela montre que l'expérience psychédélique est
kaléidoscopique et facile à réaliser selon le vers suivant
: «easy with eyes closed, misunderstanding all you see» (NdT
: « facile avec les yeux fermés, en ne comprenant pas tout ce que
tu vois »). Selon John Lennon, le trip reste personnel. Ceci est
compréhensible dans le vers suivant : «No one, I think, is in
my tree» (NdT : « personne, je pense, est dans mon arbre
»). Cette chanson à caractère nostalgique montre bien la
tendance des rockers des années 1960 à pouvoir
détourner même les choses les plus conventionnelles de leur sens
propre.
Effectuons dès à présent deux
brèves analyses. Sunshine Superman de Donovan, datant de 1966,
est une alternance lente de deux accords, ré7 et solM. Cela a pour
conséquence de créer un effet de circularité dans lequel
la sensation
de tonique est absente. Nous sommes de ce fait dans un espace
tonal différent. Ces deux accords ont une attirance vers la ligne
mélodique qui donne à l'auditeur un effet d'anti-gravité.
Cette chanson est marquée par la répétitivité de
tous les éléments qui la composent (aussi bien sa structure
formelle, qu'harmonique ou mélodique) ce qui donne une sensation
d'intemporalité. En effet l'auditeur sait à quel moment il se
trouve s'il part seulement du début. Au niveau du timbre, il est
à noter que la guitare électrique possède un son
très vibrant qui rappelle celui du sitar. Les allusions
psychédéliques de cette chanson sont claires. La structure en
forme de spirale est tout à fait nouvelle et sert à perdre
l'auditeur et remettre en question sa notion d'écoute et de
perception.
L'extrait de l'abum Are You Experienced ? de Jimi
Hendrix intitulé The Wind Cries Mary publié en 1967est
marqué par un riff très résonnant coïncidant
avec l'évocatif «and the wind whispers / cries / screams /
Mary» (NdT : « et le vent murmure / clame / hurle / Mary »)
afin de créer une compréhension innée. En effet la
résonance représente par figuralisme le vent. Tandis que
Purple Haze issu du même album évoque une
expérience acide plus puissante, cette chanson se réfère
à une drogue plus douce grâce à son allure tendre ce qui
confère une complicité entre Jimi Hendrix et le public, rendu par
l'interprétation. Le texte n'est pas à proprement chanté
mais est plutôt parlé ce qui donne une plus grande
interactivité. Les inflexions des paroles associées à une
mélodie mouvante coïncident peu avec le battement, ce qui
crée une atmosphère sereine de bienêtre qui renvoie
à la fumée de la marijuana. Les effets de cette dernière
sont dépouillés de leur côté nocif pour ne garder
qu'une relation calme et apaisée entre les individus.
Le rock psychédélique est criard,
réverbérant, contrapuntique, lent, instable harmoniquement et
juxtapositionel dans la forme. Il affecte la notion de timbre, l'articulation
et la position spatiale. Cette musique dépersonnalise et
désynchronise l'auditeur à travers des longueurs excessives, des
motifs répétitifs
et des références plus ou moins nettes au
passé. Elle emprunte des détails sonores au surf rock,
au free-jazz, à la musique concrète afin de
décrire un monde, selon Albert Hoffmann, « in constant motion,
animated, as if driven by an inner restlessness. »58 (NdT
: « en mouvement constant, animé, comme s'il était conduit
par une agitation intérieure. »).
58 HICKS Michael, op. cit., p. 73.
Conclusion
Cette étude portant sur la contestation dans les
années 1960 montre que pour la première fois de notre histoire
les jeunes occidentaux de n'importe quel pays se sont fusionnés afin de
changer les normes et les valeurs sociales. En effet, ces dernières
devenaient de plus en plus déshumanisées en raison d'une
montée de l'individualisme et de l'exploitation des ressources humaines
dans le circuit capitaliste mais aussi à cause de la non
compatibilité d'une nouvelle société dont la
solidarité optait pour un caractère organique et du jugement que
celle-ci portait et pesait sur chaque individu. La révolution
contre-culturelle véhicule une conception humaniste de l'être,
notamment dans le mouvement hippie, dans laquelle les notions de
respect, de fraternité et de solidarité sont peu en accord avec
la société.
Cette recherche s'attarde sur les relations entre les jeunes
et la société durant les années 1960 ainsi que leur remise
en cause du système au travers de la révolution
contre-culturelle. Cette dernière reverra le jour à travers la
vague punk au milieu des années 1970 mais elle est très
fortement liée à une situation économique
particulière. Ce mouvement artistique recherche une authenticité
du rock dont les idoles se sont soit tournées vers une musique
commerciale à travers la pop soit vers une version quasi
savante du rock, à savoir le rock progressif. A l'aube
du XXIème siècle, une forme de la jeunesse se
rapproche de l'idéologie contre-culturelle des années 1960, et
notamment de la culture hippie. Une remise en cause de la
mondialisation se fait sentir surtout chez des jeunes qui gardent du mouvement
hippie une certaine fraternité ainsi qu'une exaltation des
corps à travers non-plus le rock psychédélique
mais des musiques électroniques. Les communautés hippies
ont laissés le champ libre aux rave-parties qui garde cet
esprit contre-culturel tandis que l'ordre établi essaie d'endiguer plus
ou moins ouvertement ce mouvement. Les mêmes valeurs demeurent comme
l'abolition de la notion de profit (les organisateurs des rave-
parties demandent, si possible, une participation aux
frais ne leur permettant pas d'en vivre), le respect mutuel, la communion de la
musique et du corps ainsi qu'une symbolique des substances illicites.
Références bibliographiques
ARON Raymond, Les étapes de la pensée
sociologique, Paris Gallimard, 1967, pp. 319-330.
Cet ouvrage très complet reproduit les théories des
grands sociologues tels que Montesquieu, Auguste Comte, Alexis de Tocqueville,
Karl Marx, Emile Durkheim, Vilfredo Pareto et Max Weber.
Bandes et regroupements de jeunes en Angleterre depuis
1950 : sociabilités musicales et composantes politiques, in
http://perso.club-internet.fr/bmflemon/sociabilites.htm,
consulté en août 2003.
Cette page internet est une communication
présentée en juin 1997 à l'Université de
Versailles-StQuentin sur le thème sociabilités musicales et
politique. Elle présente un tableau différenciant les
rockers des mods.
BEATLES, The Beatles Anthology, traduction de Philippe
Paringaux, Paris, Seuil, 2000, pp. 142-179.
Cet ouvrage évoque la vie des Beatles racontée par
les Beatles au travers de leur musique et de la société dans
laquelle ils évoluent.
BENETOLLO Anne, Rock et Politique, Censure, Opposition,
Intégration, Paris, L'Harmattan, 1999, pp. 95-147.
Cet ouvrage retrace l'opposition qu'a connu le
phénomène rock de par l'ordre établi au travers
de sujets comme le sexe, la drogue et la violence.
BON François, Rolling Stones, une biographie,
Paris, Fayard, 2002, p. 259.
Biographie romancée des Rolling Stones.
BOUSQUET Gilles, Apogée et déclin de la
modernité, Regard sur les années 60, Paris,
L'Harmattan, 1993, pp.81-97.
Analyse sociologique des Trente Glorieuses. Dans cette partie,
l'auteur se réfère aux théories de Jean Fourastié
avec de multiples statistiques portant un appui sur ses propos.
BRIONI Bruno, Timothy Leary parmi les étoiles, in
www.6bears.com/leary.html,
consulté en mars 2003.
Cette page internet retrace de manière sommaire la vie de
Timothy Leary, apôtre du LSD.
CAPUL Jean-Yves GARNIER Olivier, Dictionnaire
d'économie et de sciences sociales, Paris, Hatier, 1996, pp.
411-421.
Ouvrage scolaire destiné aux terminales des sections
économiques reportant aussi bien des notions sociologiques
qu'économiques.
DISTER Alain, L'âge du rock, Paris Gallimard,
1992, 152 pages.
Ce livre présente tout simplement une histoire du
rock depuis ses débuts.
FRITH Simon HORNE Howard, Art into Pop, Londres,
Routledge, 1997, pp. 4-5.
Cet ouvrage étudie la contre-culture de manière
sociologique et philosophique avec une attention particulière
portée sur le mouvement punk.
HICKS Michael, Sixties Rock, University of Illinois,
University of Illinois Press 1999, pp. 58- 73.
Cet ouvrage évoque de manière très
précise le rock des années 1960 à savoir le
garage rock, le rock psychédélique ainsi que
toute un historique des effets guitaristiques et vocaux présents dans ce
courant musical.
Histoire, in
http://isuisse.ifrance.com/dynamicdandies/index_fichiers/club/histoire.htm,
consulté en septembre 2003.
Cette page internet présente une brève histoire de
la naissance du rock'n'roll.
LACOUR-GAYET Robert, L'Amérique contemporaine, De
Kennedy à Reagan, Paris, Fayard, 1982, pp. 172-180.
Cet ouvrage excessivement précis à caractère
purement historique retrace l'Amérique entre 1960 et 1980 en se penchant
un peu plus sur la politique.
Le rock progressif, in
http://proglavie.free.fr/RockProg/DefProg1.htmhttp://proglavie.free.fr/RockProg/DefProg1.ht
m, consulté en avril 2003.
Cette page internet classifie les divers genres de rock
progressif.
LONGHURST Brian, Popular Music & Society, Cambridge,
Polity Press, 1995, p. 278.
Cette ouvrage anglophone regroupe des théories
sociologiques sur l'étude du rock et de la contreculture.
MARX Rolland, L'Angleterre de 1945 à nos jours,
Paris, Armand Collin, 1996, pp. 114-115
Ouvrage sociologique et historique sur l'Angleterre des Trente
Glorieuses.
MIGNON Patrick HENNION Antoine, Rock, De l'histoire au
Mythe, Paris, Anthropos, collection Vibrations, 1991, pp. 42-62.
Cet ouvrage retrace un historique du rock.
ROBERT Frédéric, L'Amérique
contestataire des années soixante, Paris, Ellipses, 1999, 90
pages.
Petit ouvrage retraçant l'historique de la contestation
aussi bien à travers le XXème siècle avec un
regard plus précis sur les mouvements des années 1960 et
particulièrement ceux qui touchent le milieu estudiantin.
RYDER Judith SILVER Harold, Modern English Society, History
and Structure, 1850-1970, Londres, Methurn & Co, 1970, p. 159-160.
Ouvrage anglophone étudiant les populations britanniques
entre 1850 et 1970 sur un point de vue sociologique et historique.
The psychedelic 60's, in
http://www.lib.virginia.edu/speccol/exhibits/sixties/beatsny.html,
consulté en avril 2003.
Site anglophone créé par l'université de
Virginie présentant une histoire de la contre-culture.
Unis vers délires blues, in
http://delires.blues.free.fr/avis.htm,
consulté en septembre 2003.
Site présentant un tableau sommaire de l'histoire du
blues.
VIDAL Jean-Noël, Jack Kerouac et les « Beatniks
», in
http://www.polytechnique.fr/eleves/binets/xpassion/numeros/xpnumero29/xpnum29pdfsi/kero
uac29.pdf, consulté en avril 2003.
Cette documentation tirée de ce site internet
évoque de manière sociologique et historique la
génération beatnik au travers d'une biographie de Jack
Kerouac.
WHITELEY Seila, The Space Between the Notes : Rock and the
counter-Culture, London and New York, Routledge, 1992,p. 2 et pp.
65-72.
Cet ouvrage étudie la contre-culture de la fin des
années 1960, à savoir le mouvement psychédélique,
et apporte un analyse musicale au travers des connotations
psychédéliques.
Index des noms propres
A
Adler Lou · 27 Ange · 62
Atkins Chet · 81
B
Barber Chris · 19 Barricade · 61
Beatles · 4, 13, 19, 20, 22, 37, 44, 49, 53, 54, 56,
60, 61, 63, 65, 67, 70, 72, 79, 82, 83, 84, 85, 86
Beck Jeff · 53, 55 Berry Chuck · 49, 54
Big Brother and The Holding Company · 84
Bowie David · 61
Brando Marlon · 19, 50
Broonzy Big Bill · 49
Burke Salomon · 54
Burroughs William · 19
Byrds · 66
C
Canned Heat · 67
Chaussettes Noires · 53
Clapton Eric · 20, 55, 82
Cochran Eddy · 51
Coltrane John · 77, 78
Country Joe and the Fish · 27, 45, 75 Covay Don · 54
Crosby Bing · 48
D
Daltey Roger · 55 Davis Cyril B. · 20 Dean James
· 19
Domino Fats · 52 Donovan · 87
Doors · 60, 64, 72, 79, 80 Dougharty Patrick J.· 28
Drakoulias Joseph P. · 45 Durkheim Emile · 14 Dylan Bob · 34,
43, 66
F
Fourastié Jean · 5 Freed Alan · 50
Frith Simon · 57, 61 Fury Billy · 53
G
Gamblers · 75
Genesis · 62, 73
Ginsberg Allen · 19, 41, 65 Gomelsky Giorgio · 55
Goodman Paul · 31, 38, 41 Grateful Dead · 27, 45, 84
H
Haber Al · 32
Halley Bill · 19, 50, 52 Hallyday Johnny · 53
Harrison George · 70 Hayden Tom · 32
Hendrix Jimi · 44, 60, 62, 63, 66, 67, 70, 80, 81, 82, 83,
88
Hoffman Abbie · 28 Hoffmann Albert · 68, 89
Holly Buddy · 51, 53 Holmes Clellon · 18 Holst
Gustav · 80
Holy Modal Rounders · 75
Hunter Meredith · 22
J
Jagger Mick · 54, 58, 63, 64, 66
Jefferson Airplane · 27, 45, 61, 63, 80, 84 Johnson Lyndon
Baines · 25, 35, 44, 65 Joplin Janis · 44, 65, 67, 75
K
Kerouac Jack · 17, 65 Kesey Ken · 65, 70 Kessler
Stephen · 69 King Crimson · 74 Kinks · 59, 60
Komintern · 61 Korner Alexis · 20 Krassner Paul ·
45
L
Leary Timothy · 41, 67, 69, 70 Ledbelly · 75
Lemon Piper · 84
Lennon John · 60, 65, 67, 79, 83, 85, 86, 87 Levine Larry
· 82
Lewis Jerry Lee · 51
Little Richard · 51, 52
Luther King Martin · 30, 78
M
Mailer Norman · 45
Malcom X · 78
Marcuse Herbert · 31, 41
Marvin Hank · 53
May Brian · 53
Mc Cartney Paul · 80
Mc Robbie Angela · 57
MC5 · 61
Middleton Richard · 37, 57, 75
Mitch Ryder and The Detroit Wheels
· 65
Moby Grape · 27
Morrison Jim · 4, 63, 64, 67 Mothers of Invention · 73,
74
Muel-Dreyfus Françoise · 35 Muncie Jill · 37,
75
O
Oglesby Carl · 33 Ono Yoko · 65
P
Page Jimmy · 20 Pagnol Marcel · 11 Pariser Alan ·
27
Pink Floyd · 62, 73, 74, 78
Pretty Things · 78
Presley Elvis · 51, 52, 54, 58, 64
Q
Queen · 53
Quiksilver Messenger Service · 27
R
Reich Charles · 39, 40, 42 Richard Cliff · 53
Richards Keith · 66
Rolling Stones · 12, 13, 20, 22, 44, 49, 54, 56, 57, 59, 61,
64, 72, 84
Roszak Theodore · 39, 40, 41 Royot Daniel · 39
Rudd Mark · 33, 34
S
Sartre Jean-Paul · 20 Savio Mario · 40 Scheer Mark
· 46 Slick Grace · 63, 83 Spencer Herbert · 15 Starr Ringo
· 53, 85 Steele Tommy · 53 Steppenwolf · 67
Steve Miller Band · 27
Stockhausen Karlheinz · 77
Ten Years After · 63 Terrazzo Brothers · 80 Thoreau
David · 28 Tönnies Ferdinand · 14 Townshend Pete · 54
Valens Richie · 50
Velvet Underground · 72, 74 Ventures · 81
Vincent Gene · 51, 52, 53
Who · 20, 54, 60, 61
Wicke Peter · 58
Williamson John Lee « Sonny Boy » · 49 Wright
Mills Charles · 31
Yardbirds · 55, 78, 80 Yes · 73
Yonnet Paul · 58, 59
Zappa Frank · 73, 74
Waters Muddy · 49, 54
Index conceptuel
A
Acid Test · 71
acid-rock · 27, 37
ancienne gauche · 31 art schools ·
20
avortement · 16
B
beatniks · 17, 18, 19, 20, 21, 22, 40, 62
Bérets Bruns · 37 Black Panthers ·
37
blues · 48, 49, 54, 56, 72, 75, 76
burn-ins · 27
C
Civil Right Movement · 23 cocaïne · 66,
67, 69
cock rock · 57
D
Days of Rage · 34
drogues · 38, 44, 65, 66, 67, 68, 74, 75, 78, 85, 88
E
Economic Research and Action Program · 33
F
feedback · 82 folk-rock · 37
fordisme · 56
G
Gathering of the Tribes · 27, 72
gemeinschaft · 15
gesellschaft · 15 guitar-hero · 55
H
hards mods · 21
haschisch · 21, 22, 69 hells angel · 22
héroïne · 67, 69
hippies · 20, 21, 27, 35, 36, 38, 41, 44, 45, 46,
65, 70, 72, 90
human be-ins · 27
J
K
L
LSD · 22, 27, 46, 65, 67, 68, 69, 71, 74, 78, 79, 85
M
Mad Dogs · 34
marijuana · 18, 65, 88 Medicare · 35
mods · 20, 21, 22, 35
Monterey festival · 27, 72 Movement · 31
N
nouvelle gauche · 31, 36, 40
O
OTAN · 52
P
phasing · 82
plan Marshall · 52
pop music · 36, 56
presse clandestine · 43, 45, 61, 68, 69, 77
psychédélisme · 22, 37, 45, 68, 70, 71, 75,
78,
79, 81, 82, 83, 84, 85, 87
psylocibine · 70
Q
R
radio · 43, 49, 51, 55, 64, 65, 66
Revolutionary Youth Movement · 34 Revolutionary
Youth Movement 2 · 34
rock · 3, 4, 13, 16, 19, 21, 37, 38, 43, 46, 48,
52, 53, 54, 56, 57, 59, 60, 61, 62, 63, 64, 65, 67, 68, 71, 72, 73, 74, 75, 76,
77, 78, 79, 81, 82, 83, 88, 90
raga-rock · 37
rock and roll · 49, 52, 53, 55
rock progressif · 71, 73
rock psychédélique · 3, 4, 21, 68,
71, 72,
73, 74, 76, 77, 78, 79, 81, 82, 83, 89 rock'n'roll
· 19, 50, 53, 54, 56, 58, 75 rockabilly · 51
surf-rock · 75, 81, 89
rockers · 20, 51, 53, 54, 58, 60, 62, 63, 64, 65,
87
rude boys · 21 rythm'n'blues · 49,
57
S
seconde guerre mondiale · 5, 11, 17, 43,
48, 52
sexe · 38, 46, 63, 64, 65
sit-ins · 27
ska · 21
skiffle · 19, 56
skinheads · 21
sleep-ins · 27
solidarité mécanique · 10, 13, 14
solidarité organique · 10, 12, 13, 15 stéréo
(utilisation des panoramiques) · 83 Stop the Draft Week ·
33
Students for a Democratic Society ·
25, 26, 28, 31, 34
Summer of Love · 72
T
teach-ins · 25 technocratie · 39, 40
teenybop · 57
Ten Days of Resistance · 33
Trente Glorieuses · 3, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 16
U
V
Vietnam (guerre du) · 14, 22, 25, 33, 34, 36, 42, 44, 46,
47, 60, 70
W
wah-wah · 81 Weathermen · 34
Y
yippies · 20, 22, 36
Z
Table des matières
Introduction 3
Chapitre 1. Etude sociologique et économique des
Trente Glorieuses 5
A. Les Trente Glorieuses 5
1. Etude démographique 6
2. Travail et urbanisation 7
B. Les Trente Glorieuses selon une vision durkheimienne
10
Chapitre 2. Jeunesse et idéologie des
années 1960 16
A. Mise en place d'une conscience collective
16
1. Les beatniks ou l'émergence d'une
contre-culture 17
2. Mods, hippies et yippies 20
B. Le temps de la contestation 23
1. Qu'est-ce que contester ? 23
3. Students for a Democratic Society et ses origines
idéologiques 28
C. Solidarité, contestation et contre-culture
35
1. Les penseurs de la contre-culture 39
2. Contre-culture et médiatisation 43
Chapitre 3. Histoire du rock 48
A. Le rock'n'roll : naissance et mutation
48
B. Du rock'n'roll au rock and roll :
l'émergence de la Grande Bretagne 52
C. Etude sociologique du rock 56
D. Idéologie du rock 59
E. Sex and drugs and rock'n'roll 64
Chapitre 4. Le LSD et le rock
psychédélique 68
A. Le LSD et son évolution idéologique
68
B. Qu'est-ce que le rock
psychédélique ? 71
C. Dynamisation du rock
psychédélique 79
D. Analyse à connotation
psychédélique 85
Conclusion 90
Références bibliographiques
92
Index des noms propres 95
Index conceptuel 98
Table des matières 100
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