La figure du père dans "Quelques adieux " de Marie Laberge. Discours de l'implicite et stratégies narratives( Télécharger le fichier original )par Massiva AIT OUARAB Université d'Alger - Licence de français 2011 |
II. Les traits physiques et moraux des pèresDans Quelques Adieux, la figure du père est omniprésente, nous la repérons à travers le comportement des personnages suivants : François, Anne et Elisabeth, mais aussi par le biais de certains personnages, tels que Jacques Langlois, ami et collègue de François, et Jérôme, l'amant d'Elisabeth, dans la deuxième partie du roman. Ces derniers ont des enfants et assument leur rôle de père, cependant, dans notre travail, nous allons nous attarder sur les pères des amants (François et Anne) et sur celui de la veuve trompée (Elisabeth). Notre analyse comportera trois sous parties : La première sera consacrée aux caractéristiques du père de François, la deuxième au père d'Anne et la troisième au père d'Elisabeth. 1. Le père de FrançoisLe personnage du père apparaît dans la première partie du roman et plus exactement dans le chapitre deux intitulé Le Refus. Nous y trouvons une description physique peu précise, même si elle nous est donnée à deux périodes différentes le passé et le présent. L'écrivaine commence par décrire le physique du père de François en convoquant sa mémoire, celle de l'enfance. Mais celle-ci, ne garde que le souvenir « d'un homme vu de dos, sa boite à lunch dans une main, sa casquette de chauffeur d'autobus sur la tête, qui s'éloignait doucement. »197(*). Sur le plan de la description physique, c'est tout ce que François enregistre comme image du passé. Nous constatons que l'éloignement et l'absence, sont des sentiments latents, chez François, le fait de garder l'image d'un père, mais de dos explique sa non disponibilité et son manque de présence auprès du protagoniste. Nous remarquons, également, qu'il y a un désir chez François, de dépasser son père. Ce besoin « (...) vient du fait qu'il ne perçoit aucun écho dans le regard de son père, et il ne peut pas se sentir exister réellement et obtenir sa légitimité »198(*). Si, François ne prend pas l'initiative de transcender socialement et psychiquement son père, c'est-à-dire, tenter d'avoir un meilleur statut, d'un point de vue social, et ne pas reproduire le même schéma affectif, d'un point de vue familial, il risque de se sentir manipulé par l'autorité d'un père absent :
« Le petit dernier (François) s'était finalement distingué et était devenu professeur de littérature. Ce qui ne signifiait pas rien pour le fils d'un chauffeur d'autobus. »199(*) Ce qui confère tant de pouvoir à un père, même absent, c'est la place qu'il a au sein de la société, selon Gwénaëlle Gautier de l'Université de Lille : « Les pères continuent de représenter l'autorité, le pilier qui ne doit pas s'effondrer et qui doit coûte que coûte préserver l'équilibre et l'harmonie du foyer, (...). Mais ce que les enfants recherchent avant tout c'est la reconnaissance de leur être, ils doivent se sentir exister dans le regard de leur père.» 200(*) Pour François, la reconnaissancen'est pas au rendez-vous, ayant connu l'absence physique et donc morale de son père, il ne peut prétendre à un épanouissement affectif et voire même social, c'est-à-dire que le manque affectif a engendré chez le protagoniste, un refus catégorique de la paternité : « François ne voulait pas d'enfant, François ne voulait pas discuter, il s'était même fâché sérieusement à ce sujet là. (...). Il ne voulait pas avoir un enfant qui compliquerait tout (...) »201(*) Ce refus, ce choix est le résultat d'une enfance effacée. François « n'arrivait plus à se rappeler son père »202(*) et ce handicap le pousse à se demander « si on pouvait vraiment ne glaner que ce souvenir et se sentir un enfant normal. La pauvreté affective de son enfance l'effrayait toujours, non parce qu'il la ressentait avec angoisse, mais parce qu'il la mesurait aux multiples souvenirs d'Elisabeth »203(*). Le comportement qu'il a adopté, et qui est de remplir le vide affectif qu'il a connu, et de le mesurer aux souvenirs d'enfance dont dispose Elisabeth, va lui permettre de vivre sa vie de couple avec un semblant d'harmonie, jusqu'au jour où Anne Morissette fera surface et le déstabilisera, et également lorsqu'il apprendra la mort de son père. Ces événements vont transformer le protagoniste, et faire ressurgir de lui une enfance vidée de toute substance affective.
La deuxième étape de l'écriture de M. Laberge, est de solliciter la mémoire adulte de François : il s'agit de recourir aux images de la figure du père dans la vie, non pas passée mais présente, du personnage principal. Une fois adulte, François tente de rattraper le temps perdu avec son père, mais celui-ci « rangé dans une place de vieux, (...) n'en finissait plus de dégringoler (...) et de baver, gâteux et de s'accrocher à lui (François) en l'appelant par d'autres noms (...) »204(*). Cette déchéance physique provoque la colère de François, car il se sent incapable de rattraper son enfance et ne peut pas recevoir un quelconque témoignage affectif. Les visites de François à son père se faisaient rares, mais elles avaient un objectif : racheter le passé. Voyant que ce n'était pas possible, à cause de l'état physique et mental du père, le protagoniste « souhaitait furieusement sa mort et se sentait égoïste et vil de ce désir »205(*). Nous constatons qu'à travers ce processus de renouement, la narratrice « pourrait nous donner des renseignements sur les sentiments profonds de la figure paternelle. Or ce n'est pratiquement jamais le cas et le père conserve ainsi sa part de mystère. Le lecteur comme le personnage principal doivent se faire leur propre opinion. »206(*). Nous avons repéré un passage dans Quelques Adieux, où les rôles des personnages sont inversés : « Le vieux, en effet, s'amusait plutôt bien dans son inconscience béate : il triturait continuellement des bouts de plastiques coloré avec des ficelles et des fils de fer. Il pouvait faire cela durant des heures, concentrant toute son attention sur ses précieuses constructions. Le seul éclair d'intérêt que traversait son regard délavé était celui qui brillait à la vue du cadeau apporté par François : toujours des formes de plastique coloré pour enfant, toujours applaudies comme une nouveauté. Sitôt le cadeau ouvert, François pouvait disparaître ou souffrir en silence à regarder son père raboudiner avec ferveur ses jouets, lui ne s'en souciait plus. Plus rien n'existait pour le vieux (...) »207(*) Cette description expose une relation père/enfant. Cependant, dans ce passage c'est François qui joue le rôle du père, et son père celui de l'enfant. Ce changement de rôle est l'expression d'une attention inconsciente, portée sur l'image de la relation Père/Enfant. En d'autres termes, François se comporte comme un père avec son père, et celui-ci à cause de sa vieillesse, se comporte comme un enfant. A travers ce système affectif inversé, le fils tente de donner, inconsciemment, l'exemple de ce qu'un père doit faire, en espérant qu'il y ait une prise de conscience et peut être même réconciliation, avec son père. Or, ce dernier ne possède plus la capacité de réfléchir, et François en est conscient et « démoli, pétri de honte et de remords »208(*). Ainsi, nous pouvons dire que la figure du père, chez François, garde une part de mystère qui la rend inaccessible, non seulement au personnage principal qui après de vaines tentatives pour retrouver son père échoue, mais aussi au lecteur qui ne perçoit, sur le plan narratif, aucun sentiment ou explication, quant au comportement du père. Après les caractéristiques physiques et morales du père de François, nous passons à celles du père d'Anne, afin de mieux saisir la dimension signifiante de la figure paternelle. * 197 -M. Laberge, Quelques Adieux, Boréal, 1992, p. 110. * 198 -Gwénaëlle Gautier, La figure du père dans la collection Médium, mai 2000, Université de Lille III, p.3. In http://jeunet.univ-lille3.fr/article.php3?id_article=859 (site consulté le samedi 16 juin 2007 à 22h). * 199 -M. Laberge, Quelques Adieux, Boréal, 1992, p. 111- 112. * 200- Gwénaëlle Gautier, La figure du père dans la collection Médium, mai 2000, Université de Lille III, p.5. In http://jeunet.univ-lille3.fr/article.php3?id_article=859 (site consulté le samedi 16 juin 2007 à 22h). * 201 -M. Laberge, Quelques Adieux, Boréal, 1992, p. 363-364. * 202Idem, p.110. * 203 -Ibid, p. 110. * 204 -Ibidem, p. 109. * 205- Ibidem, p.109. * 206 - Gwénaëlle Gautier, La figure du père dans la collection Médium, mai 2000, Université de Lille III, p.5. In http://jeunet.univ-lille3.fr/article.php3?id_article=859 (site consulté le samedi 16 juin 2007 à 22h). * 207 - M. Laberge, Quelques Adieux, Boréal, 1992, p. 109-110. * 208M. Laberge, Quelques Adieux, Boréal, 1992, p. 109. |
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