Partie II: Le web 2.0 et l'information juridique.
Le web 2.0 a non seulement facilité l'accès
à l'information juridique et à son actualité, mais a
également et surtout libéralisé et
démocratisé sa diffusion et son partage. Avec lui, tous les
individus dont tout naturellement les auteurs de l`édition peuvent
diffuser, partager, échanger, librement et gratuitement des informations
juridiques, et en débattre de façon quasi instantanée.
Il est un espace de totale liberté et
gratuité, qui parce qu'il permet de lever certains des obstacles
engendrés par la diffusion des informations juridiques par le truchement
des éditeurs, a dans les premiers temps et dans sa première
manifestation: le blog, suscité un engouement majeur chez les juristes.
Au point que certains aient pu y voir un vecteur de
transformation de la doctrine131(*) et que ce soit posée la question de savoir
s'il n'en viendrait pas à concurrencer ou compléter les revues
des éditeurs juridiques et à intégrer le
« paysage éditorial juridique
français »132(*).
Quatre ans plus tard, malgré toutes ces promesses de
succès, le bilan à tirer semble bien loin de l'enthousiasme qui a
présidé à l'émergence des blogs...
Les juristes-blogueurs se seraient, dit-on,
épuisés...
« La "prédiction" qu'ont faites mes
collègues Rolin et Houtcieff l'a été dans une
période d'effervescence dans la "prise de plume électronique" et
l'émission d'opinions. Quatre années plus tard, on se rend compte
que cette période de bouillonnement est passée, les auteurs
s'étant épuisés - à commencer par
Frédéric et Dimitri »
Echanges de mails avec le professeur Cedric
Manara.
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Et les attentions, elles, se seraient reportées
vers d'autres applications web 2.0, sans que l'on puisse cette fois clairement
distinguer la part des juristes séduits de celle qui ne l`est
pas.
I) Le blog de juriste ou l'exemple le plus abouti
d' « intégration des outils web 2.0 au
« paysage éditorial juridique français »133(*).
De tous les outils du web 2.0, le blog est celui qui a le
plus suscité la controverse et les critiques.
Sans doute son antériorité -il est le
premier outil web 2.0 à avoir émergé- n'y est pas
étrangère, mais cela semble avant tout tenir à cette
très grande similitude qu'il présente avec les
revues des maisons d'édition juridiques : il est comme elles une
tribune d'expression susceptible de toucher un large public et, qui
ajoutée à la gratuité, l'instantanéité et
à la grande liberté qui l'entourent, en a immédiatement
fait une alternative attrayante.
Pour autant, à l'heure du bilan, il semble, que
l'impact réel des blogs sur l'accès et la diffusion des
informations juridiques n'ait pas été à la hauteur des
espérances qu'ils ont pu susciter.
A) Le blog ; une alternative aux revues des
éditeurs juridiques ?
On a parfois tendance à l'oublier, mais les
éditeurs juridiques sont avant tout des entreprises qui cherchent par
leurs ventes à faire du profit.
Et dans l'édition, le chiffre, ce qui fait vendre: ce
sont « les signatures »134(*), les « opinions [qui font]
autorité ». « Celles, dans la très grande
majorité des cas, de professeurs de droit, de magistrats, de hauts
fonctionnaires, [et] d'avocats » dont la notoriété
acquise avec l`âge semble faire échec aux prédications de
Corneille135(*).
Les autres et les jeunes auteurs éprouvent eux ainsi
beaucoup de mal à se faire entendre, s'exprimer et être
publiés.
Et ce, d'autant plus que les principaux supports et espaces de
liberté; ceux qui permettent aux auteurs de se démarquer les uns
des autres, de marquer leurs empreintes et de pleinement révéler
leur potentialités: les revues, sont également les principaux
vecteurs et véhicules des marques des éditeurs, que ces derniers
ne peuvent bien évidemment confier à n'importe qui.
Aussi parce que les blogs ont paru pouvoir nourrir les besoins
des auteurs rejetés de l'édition et également satisfaire
aux envies de liberté des auteurs publiés136(*), leurs avantages par rapport
aux revues ont fait l'objet de nombreux éloges de ceux que leur
principal détracteur : Félix Rome, a qualifié de
« zélateurs de la doctrine
virtuelle »137(*).
a) Une alternative attrayante aux revues.
Créer un blog est facile et à la portée
de tous138(*), mais ce
n`était pas là pour les zélateurs de la doctrine virtuelle
son seul avantage...
Les blogs recélaient pour eux de potentialités
qui en faisaient de véritables concurrents des revues des
éditeurs juridiques.
1. Leur gratuité et leur capacité
à capter les auteurs des revues :
Contrairement aux produits de l'édition juridique
traditionnelle, « l'accès aux blogs et leur diffusion se font
sans bourse délier »139(*).
Aussi, leur gratuité est très vite apparue comme
un atout majeur susceptible de séduire à la fois les auteurs et
les publics de l'édition :
· Les auteurs de l'édition qui
parce qu'ils « ont besoin [d'être publiés] pour se faire
un nom et progresser dans leur carrière » écrivent pour
les revues « sans être payés » ou
pour des rémunérations très faibles et sont ainsi exclus
des profits que réalisent les maisons d'édition juridiques,
pourtant, essentiellement assis sur eux: la valeur ajoutée140(*) qui justifie le coût
élevé des produits des éditeurs juridiques est
« fonction de la richesse d[es] contenus »141(*)elle-même fonction de
la compétence des auteurs.
Ainsi, pour les « zélateurs de la doctrine
virtuelle », les tribunes gratuites et faciles à
élaborer d'audience a priori équivalentes à celles des
revues, que semblaient constituer les blogs ne pouvaient que détourner
les auteurs de l'édition qui faute d'y trouver un intérêt
financier n'auraient aucune raison de s'y maintenir.
· Les publics de l'édition qui
au bénéfice de cette fuite des auteurs, pourraient trouver dans
les blogs des contenus équivalents à ceux de l`«
édition juridique » et n'auraient plus aucune raison de
continuer de rémunérer, cher de surcroît, les
éditeurs pour une information qui leur serait mise à disposition
gratuitement par une « doctrine virtuelle ».
2. Leur réactivité.
Le blog a fait émergé
l'éventualité d'« une doctrine
instantanée » qui réagirait aux actualités
juridiques « quasiment en temps réel», « là
où une revue classique fait patienter, des jours, des semaines ou des
trimestres »142(*).
3. « La liberté qui
irrigue » leur « conception »143(*).
« Les blogs offrent » aux
auteurs « une totale liberté de formats et de
sujets ». Ils sont des espaces de liberté qui contrastent avec
la grande rigidité des revues. De là, est née
l'idée que les auteurs de l`édition « ne [pourraient]
qu'apprécier n'être soumis à d'autres contraintes que
celles qu'ils fixe [raient] eux-mêmes. »144(*)
Dans les revues, il leur faut, en effet, sans cesse
composer avec les exigences [...] des éditeurs »145(*):
· Respecter les délais, qui leur sont
impartis :
Si le blogueur blogue quand il veut, les revues sont des
périodiques qui paraissent à des intervalles réguliers et
sont soumis à des contraintes de temps.
· Répondre « aux exigences
scientifiques de la revue »:
Si les « zélateurs » comme
les détracteurs de « la doctrine virtuelle »
s`accordaient à dire que la censure des comités des lectures et
des conseils scientifiques était quasi inexistante, les auteurs n'en
sont pas moins soumis à des exigences de fond.
Leurs articles doivent s`inscrire dans la « ligne
éditoriale [des] revue[s] », « dans la
thématique [des] numéro[s] »146(*) et sont, de plus, soumis au
contrôle des éditeurs qui parce qu'ils assument la
responsabilité des écrits se posent en « gardien[s]
vigilant[s] du langage juridique », imposent
« l'objectivité et la neutralité du
discours » et censurent « les critiques
exagérées et les opinions sectaires ».
· Respecter les contraintes « d'ordre
quantitatifs »:
Le style n'est pas la seule contrainte à peser sur les
auteurs, leurs articles doivent également respecter les dimensions
imposées par les éditeurs147(*).
4. Son ouverture.
On l'a vu, la confiance et le succès des revues
juridiques reposent en partie sur l'assise des auteurs qui écrivent pour
elles et, qui pour les éditeurs « ne s'acquiert qu'avec
l'âge. »
Aussi, bien que conscients que « les auteurs
augmentent en nombre, comme progresse le[ur] besoin de
communiquer »148(*), ceux-ci les sélectionnent essentiellement
« par le notoire » et n'ouvrent leurs tribunes aux
« jeunes enseignants » et aux « praticiens, dont
« l'accès à la première publication demeure
[...] délicat », que par « souci
d'efficacité »149(*) et au prix d'un renforcement de leurs exigences et
emprises.150(*)
Ainsi parce que les revues juridiques sont
réservées à une élite de juristes essentiellement
agrégés, l'ouverture du blog qui donne la parole aux
« étudiants novices, [aux] doctorants en herbe, [aux] juristes
sans titres universitaires » et même « [aux] parfait
anonymes »151(*)s'est présenté comme « une
chance et une opportunité »152(*) pour les rejetés de
l'édition qui auraient, dès lors, pu se consacrer à leurs
écrits et à leurs carrières, sans avoir à
s'inquiéter de la question de savoir s'il serait accorder « un
moindre égard »153(*) à un article rédigé par un
anonyme.
5. Son aspect pratique et interactif.
En ce qu'il est un outil du web 2.0, le blog permet
l'échange le débat et « la discussion collective
»154(*).
Et, si tout naturellement il couvre le besoin
d'échanger et de débattre des publics du premier marché
qui n'était à l'époque que très peu couvert par les
éditeurs, il favorise également « le travail en
réseau »155(*).
On a ainsi pu y voir un vecteur de développement de
communautés de juristes essentiellement universitaires, qui auraient pu
y soumettre « à la discussion et à la
réflexion collective » « [des] versions de [leurs]
travaux et articles en cours ».
* 131 Félix Rome,
« Propos iconoclastes sur la "bloghorrée" », Recueil
Dalloz; .Jean-Baptiste Solum, « les transformations de la doctrine
juridique sous l'influence des blogs »;
Geneviève
Koubi, « Les écrans de la doctrine du droit lundi 21
juillet 2008 »; Alexandre Claudo, « Multiplication des
Blogs juridiques. Vers un déclin de la doctrine ? »
* 132 Dimitri Houtcieff et
Frédéric Rolin, « Blogs juridiques contre Edition
juridique traditionnelle concurrence ou complémentarité ?»,
Dalloz 2006.
* 133 Dimitri Houtcieff et
Frédéric Rolin, « Blogs juridiques contre Edition
juridique traditionnelle concurrence ou complémentarité ?»,
Dalloz 2006.
* 134 Pierre Seydoux,
« La vie du recueil Dalloz ».
* 135 Dans
l'édition la valeur semble bien attendre le nombre d'années.
* 136 Etre publié
par un éditeur juridique, se fait, on, l'a vu, au prix d'un certain
encadrement.
* 137 Félix Rome,
« Propos iconoclastes sur la "bloghorrée". »
* 138 « Le
« blog » est un système d'utilisation très simple qui
permet à tout néophyte de disposer de son propre site internet
pour exprimer ses opinions, donner des informations ou relater sa vie
privée.» : Guillaume Kessler, « Aspects juridiques du
blog ».
* 139 Félix Rome,
« Propos iconoclastes sur la "bloghorrée" » Recueil
Dalloz.
* 140
« L'édition juridique nous offre un cas d'école
très intéressant pour étudier la notion de "valeur
ajoutée" sur des documents publics, qui reste le critère
justifiant l'édition privée de tels
documents. »« Chaque éditeur peut puiser dans [le]
domaine public et fabriquer des produits éditoriaux nouveaux et les
vendre sur un marché transparent et pleinement
concurrentiel? » « On conçoit bien l'apport de
valeur ajoutée que constituent « les commentaires [...] et les
recueils par domaine assemblant la Loi, la jurisprudence et des documents plus
théoriques.»: Hervé Le Crosnier, L'édition
juridique : valeur ajoutée et bien public en questions.
* 141 André Dunes
précité.
* 142 Félix Rome,
précité.
* 143 Emmanuel Barthe,
« Où est la doctrine de demain ? Sur le Web ! Que font les
auteurs de demain ? Ils bloguent. »
* 144 Félix Rome,
opus précité.
* 145 Dimitri Houtcieff et
Frédéric Rolin, « Blogs juridiques contre Edition
juridique traditionnelle concurrence ou complémentarité ?»,
Dalloz 2006.
* 146 Pour que l'article
qu'un auteur soumet à une revue, soit publié, celui-ci doit
s`inscrire « dans la thématique du numéro »,
« la ligne éditoriale de la revue » et
répondre« aux exigences scientifiques de la revue». (FAQ
de la revue Jurisdoctoria »).
* 147 Ce qui renvoie
à ce qui est pour André Dunes le cinquième commandement
des éditeurs : « Les livres tu limiteras à des
dimensions bien précises ».
* 148 André
Dunes, opus précité.
* 149 André
Dunes, opus précité.
* 150 Leur
« moindre fiabilité [est] compensée par des
délais abrégés de production » et des
« conseils plus directement profitables »: André
Dunes, opus précité.
* 151 Félix Rome,
« Propos iconoclastes sur la "bloghorrée" », Recueil
Dalloz.
* 152 Dimitri Houtcieff et
Frédéric Rolin, « Blogs juridiques contre Edition
juridique traditionnelle concurrence ou complémentarité ?»,
Dalloz 2006.
* 153 Alexandre Claudo,
opus précité.
* 154 Dimitri Houtcieff
et Frédéric Rolin, opus précité.
* 155 Dimitri Houtcieff
et Frédéric Rolin, opus précité.
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