B) Le marché constitué par les
particuliers: dire ou réalité ?
L'édition juridique revendique un second
marché qui serait constitué par les individus, particuliers ou
« ignorants.95(*)
Il serait un marché grand public avec des
produits dits de « vulgarisation juridique »96(*).
Toutefois, si leurs sites et plaquettes affichent
parfois, des produits à destination des particuliers, ce marché
est pour l'essentiel peu couvert par les éditeurs juridiques qui
semblent peu enclin à prendre en charge les besoins des particuliers.
a) Des besoins réels et exprimés difficiles
à appréhender.
Pour André Dunes, « la
nécessité de s'informer [« des
professionnels »] est évidente ».97(*)
Est-ce à dire qu'elle ne le serait pas pour les
particuliers...?
On pourrait à première vue penser que oui.
Les particuliers sont absents des plaquettes et des sites
des maisons d'éditions que l'on connait98(*) Et si certains produits leur sont destinés, la
difficulté que l'on éprouve à les identifier contraste
inexorablement avec la très grande visibilité des produits du
premier marché.
Cependant à s'attacher de plus près à
l'offre des éditeurs et aux besoins des particuliers, on remarque que
leurs besoins sont bien réels et exprimés et que le refus de leur
prise en charge tient en réalité aux difficultés que
celle-ci soulève.
a-1) Une prise en charge délicate :
Il est « malaisé » aux
éditeurs d`« atteindre » et d' « informer
utilement» les particuliers.
Seraient en cause :
· Leurs « visions déformantes du
droit »99(*):
une conception du droit, véhiculée par les séries
américaines « fondé[es] [...] sur la
représentation populaire [qui] heurte[nt] la réalité
française d'une justice déléguée aux
professionnels. »100(*)
« Il existe [...] un écart
considérable et croissant entre le rituel judiciaire tel qu'il se
déroule en France et les représentations que nous nous faisons de
l'art de juger.
Les valeurs et les procédures les mieux connues de tous
sont originaires de la culture juridique et politique américaine,
véhiculées par la littérature populaire, le cinéma,
les séries télévisées ou l'actualité
même qui offre périodiquement aux Etats-Unis le spectacle de
procédures fleuves. [...]
Comment, et pourquoi cette appropriation d'une culture
autre est-elle possible et porteuse d'effets ? [« Le problème
est en France que le spectacle est peu visité
directement»] Hormis les professionnels, les
Français ne sont officiellement juges que lorsqu'ils sont appelés
à faire partie d'un jury d'assises, expérience d'autant plus
marquante qu'exceptionnelle, touchant une infime minorité de citoyens
dont les leçons sont peu transmises ou transmissibles si ce n'est par
quelques grands textes comme les Souvenirs d'assises d'André Gide
(1912). La justice américaine est à l'inverse éminemment
populaire, au civil comme au pénal, des juridictions les plus
ténues et localisées jusqu'aux échelons
élevés de la décision judiciaire. Tout le
monde, ou presque, a été, est ou sera juré. »
« La qualité des décisions de
justice », Etudes réunies par Pascal Mbongo.
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· Leur qualité de récepteur passif et
d'ignorant.
Combien de particuliers possèdent un code civil ou
consulte régulièrement Legifrance ? Dans mon entourage et mon
voisinage aucun.
Les particuliers ne semblent pas aller à la recherche
des informations juridiques. Ce dont témoigne l'usage qu'ils font des
forums.
* 95 André Dunes,
opus précité.
* 96 Compte rendu de la
journée d`étude « Du papier à Internet,
l'évolution de l'édition juridique française : quel impact
pour les bibliothèques ? » ;« On peut cependant
distinguer deux types de marché pour l'édition juridique : un
marché professionnel constitué des étudiants, des
enseignants et des professionnels du droit (avocats, avoués,
notaires...), et le marché des non-juristes, auxquels sont
destinés les produits de vulgarisation ; ces deux marchés
distincts déterminent une offre et une demande très
spécifiques. »
* 97 André
Dunes,opus précité.
* 98 Les maisons
« historiques », celles pour lesquelles « la
réversibilité de l`équation »
éditeur=droit, droit=éditeur se vérifie.
* 99 André Dunes
précité.
* 100Partant du
« constat que de nombreux citoyens français avaient des
repères sur la justice provenant plutôt du système
américain que du leur et que ces repères n'ont pu venir que de
ces fictions télévisuelles », Barbara Villez chercheuse
au CNRS et professeur à l'universitaire a entamé des recherches
qui ont abouti à un ouvrage publié en 2005 et intitulé
« Séries télé : visions de la
justice ». (Presses Universitaires de France)
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