COURS : PROBLEMES POLITIQUES
CONTEMPORAINS
Pr. Babally SALL
EXPOSE : SOCIETE CIVILE ET POUVOIR POLITIQUE EN
AFRIQUE
Exposé présenté par :
Amadou Moctar DIALLO, le 11 mars 2009
Introduction
La société civile a vu un développement
exponentiel dans les démocraties occidentales. Elle fait partie de ces
concepts transposés dans les jeunes démocraties africaines
où elle est a fait sa grande apparition dans les années
90 période à laquelle, la majorité des paix
africains se sont payé « le luxe de la
démocratie ». Traditionnellement la
société dite civile (vie civile) est opposée à la
société politique (vie politique) donc à l'Etat tel que
prônait par Hegel en 1821 dans Les principes de la philosophie du
droit.
On peut tenter de la définir comme étant
l'ensemble des rapports, des interactions (d'ordres divers) et des actions qui
se passent dans une société donnée et en dehors de l'Etat.
Pour Gramsci considéré comme de la société civile,
celle-ci, concerne l'idéologie sous tous ses aspects ainsi que les
institutions qui la créent et la diffusent Ainsi, partant de cette
définition, la société civile englobe des individus
regroupés sous forme de familles, d'associations, de syndicats ou
d'organisations non gouvernementales qui ont une certaine autonomie
fonctionnelle et budgétaire par rapport au pouvoir politique.
Cependant en Afrique, la société civile comme le
montre bien Mamadou Hady DEME1(*) est dans un état embryonnaire mais
n'empêche, elle est entrain de jouer un rôle important dans des
différents domaine de la vie sociale.
La société civile ayant pour but de contribuer
à améliorer la vie des populations par la promotion de valeurs
universelles (la démocratie, les droits de l'homme, la paix,...) et la
réduction de tout facteur pouvant entraver le bien être de ces
populations (pauvreté, non scolarisation, pandémie,...) ;
l'Etat ayant aussi pour vocation de satisfaire ces mêmes attentes, il
s'en suit donc entre le pouvoir politique et l'Etat il y'a forcément des
interactions. Quelle est la nature de ces rapports ? Y'a une subordination
entre la société civile et le pouvoir politique ? La
société civile est-elle bien outillée pour faire face au
pouvoir politique ?
Pour répondre à ces interrogations, il convient
d'abord d'expliquer les facteurs qui ont aidé à faire
émerger une société civile africaine (I) avant
d'étudier ses rapports avec le pouvoir politique (II).
I- L'émergence d'une société
civile africaine à côté du pouvoir politique
Cette émergence est fille de deux facteurs
majeures : le processus démocratique (A) mais aussi la crise de
l'Etat (B).
A- Une résultante du processus de
démocratisation
La société civile en tant qu'espace
d'épanouissement et d'expression des citoyens ne peut rayonner que dans
un environnement plus ou moins démocratique. Le continent africain a vu
l'émergence de sa société civile -sous sa forme moderne-
qu'avec le processus de démocratisation entamée dans les
années 90. Ce processus suppose l'ouverture et l'acception de la
contradiction et une transparence dans la gestion des affaires publiques.
Ainsi, des investigations et des débats contradictoires sur cette
gestion sont sans doute un aspect de cette démocratisation. Mais aussi,
il garantie la liberté d'association et de manifestation.
En effet, la société civile offre aux citoyens
un cadre de participation à la vie de la cité. Avec elle, les
affaires de celle-ci ne sont plus discutées simplement dans le cadre des
partis politiques ou des institutions étatiques. Ainsi, la
démocratie importée a amené avec elle la
société civile. Cependant, l'efficacité ou le rayonnement
de celle-ci dépend surtout du degré d'éducation et de
citoyenneté des populations. Or, nous savons que le continent africain
est frappé par un taux d'analphabètes (au sens occidental du
terme) très élevé. Ce qui constitue une limite à
ses actions. Car la population est censé constituer cette
société civile. Donc plus cette population est bien armée
intellectuellement, plus on assiste à une société civile
puissante capable de faire face à ses défis. Comme le montre
bien Mamadou Hady Dème «Point de départ de la
participation des citoyens à la vie politique, le mouvement de la
société civile constitue le fondement de la démocratie,
tandis qu'en Afrique et au Sénégal la gestion du pouvoir
politique reste à la seule appréciation des politiques. Les
populations à la base sont quant à elles, réduites en
simples observatrices de l'activité politique, à la limite
passives. Dans ces pays où la société civile est encore
embryonnaire, la présence des citoyens sur le champ politique n'est
remarquable que durant les périodes
électorales »2(*). Et la présente campagne électorale
locale démontre bien cette assertion. En outre, l'émergence de la
société civile africaine a été favorisée par
la crise de l'Etat africain.
B- Et de la crise de l'Etat-nation
La théorie de l'Etat Nation longtemps mis en branle ne
laisse aucune place à d'autres acteurs non étatiques. En effet,
selon cette théorie, seuls les Etats investis de la souveraineté
du peuple ou de la nation ont le droit de représenter ceux-ci et de
parler en leur nom. Mais avec la crise de l'Etat-nation, de nouveaux acteurs
émergent. Ainsi, l'Etat n'a plus le monopole des décisions et des
politiques à l'intérieur de son territoire. C'est pourquoi,
aujourd'hui on voit la présence des OSC dans tous les domaines notamment
à travers des organisations non gouvernementales. Le
Sénégal semble être un terrain de prédilection des
ONG. Cependant, la société civile ne se réduit pas aux ONG
même si ces dernières se sont appropriées durant
exclusivement le terme au cours de cette dernière décennie. Dans
la famille de la société civile, nous pouvons y mettre tous les
mouvements associatifs, syndicaux, religieux, estudiantins, et selon même
la conception gramscienne, les partis politiques d'opposition car étant
hors du démembrement de l'Etat et de son appareil, etc.
En effet, la mondialisation qui a atténuée la
capacité d'intervention de l'Etat a favorisé l'émergence
des organisations de la société civile. De nos jours, beaucoup de
bailleurs de fonds contournent les Etats Nations pour coopérer avec les
ONG surtout spécialisées dans les domaines qui font l'objet de
financement. L'aide au développement qui a connu des changements ces
dernières années dans sa façon d'être
accordée en est une illustration. Ces pourquoi, on retrouve une
multiplicité d'ONG dans le domaine du développement surtout
à la base, socle du développement durable tel que prônait
par les institutions internationales de Bretton Woods. Cependant cette
très grande importance (qui rime avec puissance) accordée
à ces acteurs étatique faisant d'eux «les enfants
gâtés »3(*) influence leur rapport avec l'Etat.
II- Les rapports variables entre société
civile et pouvoir politique
A- La société civile, un contre pouvoir au
pouvoir politique :
Avant de se payer « le luxe de la
démocratie », le système politique africain est
marqué par le parti unique, synonyme de pensée unique qui
« se contrôle » lui-même. Cependant,
le processus de démocratisation a favorisé d'autres acteurs qui
se sont constitués progressivement comme des contres pouvoir hors du
cadre institutionnels. Car les assemblées parlementaires (les partis
d'opposition) qui devaient normalement joué ce jeux se trouvent
limité par l'organisation du système politique lui-même.
Ainsi, les (OSC) joue aujourd'hui un rôle de sentinelle sur beaucoup de
questions allant du respect de l'Etat de droit aux questions de
développement. D'ailleurs dans l'histoire, les mouvements contestataires
ont pris leur source dans les mouvements de la société civile. On
peut citer l'exemple de la révolution de mai 68 avec le mouvement
estudiantin qui a plongé beaucoup de pays (surtout les jeunes africains
qui venait d'accéder à l'indépendance) dans une
instabilité politique sans précédente. Dans certain pays
comme le Burkina Faso ou le Sénégal, le mouvement étudiant
a su étrangler le pouvoir politique. Au Burkina par exemple,
l'Association nationale des étudiants burkinabé (ANEB), section
nationale de l'Union générale des étudiants
burkinabé (UGEB) a organisé au printemps 1997 une grève
houleuse que le Pr. Augustin Loada qualifie comme étant « la
plus longue grève de l'histoire du mouvement
étudiant »4(*) burkinabé. Cette même situation s'est
posée au Sénégal avec les grèves étudiantes
de 1988 et de 1993 qui ont conduit respectivement à une année
blanche et à une année invalide. Ces tensions souvent
teintées de soubresauts politiques sont des moments
d'instabilités sociopolitiques que le pouvoir essaye malheureusement de
gérer par la répression et la division avec son corollaire, la
corruption. D'ailleurs on note une nouveauté dans la
société civile selon le Pr. TESSY BAKARY5(*) avec « des «
mouvements aux groupes de soutien » à des candidats aux
élections présidentielles. Quelques-unes de ces organisations qui
s'inscrivent dans la durée fonctionnent sur le modèle des «
Political Action Committees » (PAC) et procèdent à la
levée des fonds pour les campagnes électorales et procurent des
services à des électeurs (photos et démarches
administratives pour l'obtention des cartes d'électeur, par
exemple) ».
Ainsi, on voit que cette société dite civile ne
se cantonne pas simplement dans la « sphère
civile », mais elle s'invite aussi dans le champ politique Cette
attitude s'explique bien par la théorie de « Tout est
politique », le fameux slogan de mai 68. Cette attitude de la
société civile reste cependant très controversée
aux yeux de l'opinion. Dans un dossier réalisé par Sud
Echos6(*)
intitulé « ONG et Politique :
Complémentarité ou symétrie ? » les
hommes politiques comme Yaya Mané (1er adjoint du maire de la
commune de Ziguinchor) pense qu' «il faut procéder
à une redéfinition des tâches. Car chacun doit rester dans
ses compétences » et Mamadou Konté, responsable
politique dans le parti au pouvoir renchéri en dénonçant
« l'intrusion des ONG dans l'univers politique ».
Mais de l'autre côté, cet engagement est vu simplement par un acte
citoyen, selon Ibrahima Ka, le coordinateur de l'ONG PACTE souligne avec
regret, le fait que « la présence des ONG aux
côtés des populations met souvent les autorités dans une
situation embarrassantes ». Le Collectif burkinabé
« Trop c'est Trop » qui lutte pour le respect des
valeurs démocratique et de l'Etat de droit, pose ce débat en ces
termes « Les organisations ou associations formelles
réputées « apolitiques» sont-elles interdites de
politique ou d'activités politiques ? Qu'est ce qui est politique,
qu'est-ce qui ne l'est pas ? À supposer que ces activités soient
politiques, sont-elles illégitimes ? »7(*)
Ces positions montrent bien les relations entre le/la
politique et les ONG et d'une manière générale les OSC qui
« empruntent souvent le chemin des
clichés » selon Oumar Ba, Directeur Général
de l'ONG ASACASE dans le même dossier.
Cependant malgré leurs importantes ressources humaines
et financières, qui leur permettent de contrer le pouvoir politique, la
société civile souffre de quelques limites face à ce
dernier.
B- Le pouvoir politique, une menace pour la
société civile :
Malgré la crise de l'Etat-nation, certains pouvoirs
restent toujours l'apanage du pouvoir politique. Ainsi, la première
limite de la société civile face au pouvoir politique est d'ordre
institutionnel. En effet, c'est au pouvoir politique qu'il revienne de
reconnaître toute OSC. Quelque soit leur nature, les OSC sont
organisées du point de juridique en harmonie avec le droit positif du
pays où elles sont crées. Donc il y'a pas un droit supra national
qui organise les OSC. Par exemple, Amnesty International malgré
son caractère international avec beaucoup de sections dans le monde est
régie par le droit anglais où elle a son siège. Cet
exemple est valable pour toute autre organisation. Par exemple, au
Sénégal, les ONG sous la tutelle du ministère de la Femme.
Ce qui signifie donc que ces organisations sont contraints d'exercer leur
activités en respectant du droit positif du pays où elles
mènent celle-ci. L'actualité nous apprend qu'au Soudan, le
Président Béchir a renvoyé beaucoup d'ONG dans la
région du Darfour, qui, selon lui « ne respecte pas les
lois soudanaises ».
Le pouvoir politique n'hésite pas à user de
l'intimidation voire de sévères répressions contre les
militants de la société civile ou même d'interdire toute
manifestation de celle-ci au nom de l'ordre publique: L'exemple de la
Guinée où depuis la prise du pouvoir par le capitaine Dadis
Camara, toute manifestation est interdite car selon lui susceptibles de
« trouble à l'ordre publique » (une notion
au contour flou mais bien aimée par les préfets et sous
préfets sénégalais). Cette répression
s'étend même au cadre d'expression des organisations de la
société civile : la Presse. Au Burkina Faso par exemple, le
régime de Blaise Compaoré, allergique aux critiques n'a pas
hésité à incendier le quotidien privé
L'Observation et l'assassinat du Directeur de Publication de
l'hebdomadaire L'Indépendant, Norbert Zongo, le 13
décembre 1998 montre à quel point le pouvoir politique est
capable de franchir les barrières si il se sent menacé.
En outre, la division et le nombre important des syndicats
dans le même domaine, sont une des faiblesses de ceux-ci et
réduisent l'ampleur de leur action. Et le pouvoir politique, le plus
souvent use de cette division pour mieux les canaliser et les
discréditer. Au pays de la Téranga, les syndicalistes et les
professionnels politiques sont souvent les mêmes personnes. Ce qui fait
que les actions de beaucoup de syndicats sont dictées par des logiques
politiques. On a vu même des membres actifs du parti au pouvoir
créer leurs propres syndicats surtout dans le domaine de
l'éducation, sous prétexte que ce secteur est dominé par
des syndicats issus des partis de Gauche actuellement dans l'opposition.
Cependant, malgré ces obstacles la
société civile africaine est dans une quête permanente
d'indépendance en échappant au pouvoir politique. Cette
indépendance est facilitée par la qualité de ses membres
et de ses dirigeants issus du milieu intellectuel les plus
réputés qui ont un réseau international puissant qui fait
qu'ils sont souvent « protégés »
au-delà de leurs frontières. En outre, c'est surtout leur
autonomie financière par rapport aux Etats qui est le socle de leur
indépendance.
Aujourd'hui, la société civile africaine est
certes jeune mais dynamique. Elle s'est illustrée dans les luttes pour
la démocratie, la paix, les droits de l'homme, les questions de genre,
etc. La confiance que leur accorde les bailleurs de fonds et les institutions
internationales (par exemple à l'ONU les ONG sont admises au niveau de
conseil économique et social comme des observateurs et un service de
liaison avec ces ONG est mis sur pieds qui publie chaque année une revue
qui informe des activités de ONU avec celles-ci) font d'elles des
acteurs avec qui les Etats nations gagneraient plus à entretenir des
rapports de collaboration que des rapports conflictuels.
Amadou Moctar DIALLO
Etudiant en 2ième année de
Science Politique
2008/2009
Université Gaston Berger de Saint Louis,
Sénégal
E-mail :
amoctad1@yahoo.fr
Blogs :
http://amoctad.blogspot.com
http://amoctad.skyrock.com
* 1 Mamadou Hady DEME, Du rôle de la
société civile pour une consolidation de la démocratie
participative au Sénégal, UGB publié dans le site
memoireonline.com
* 2 Mamadou Hady Dème,
op.cit.
* 3 Kalilou SYLLA,
« LA SOCIETE CIVILE DANS LES DEMOCRATIES NAISSANTES EN AFRIQUE DE
L'OUEST : « ENFANTS GATES » OU ALTERNATIVE A L'ETAT ET AU MARCHE POUR
LE FINANCEMENT DU DEVELOPPEMENT ? CAS DES ONG EN COTE D'IVOIRE »
Codesria, West African Region Cotonou, Benin, 6-7 Septermber 2003
* 4 Augustin Loada,
« Réflexions sur la société civile en
Afrique : Le Burkina de l'après-Zongo »in Politique
africaine n° 76 - décembre 1999, p 138.
* 5 TESSY BAKARY,
« La vie politique en Afrique noire francophone entre
pesanteurs et métamorphoses »,
communication présentée au symposium international de
Bamako, tenu du 01 au 03 nov 2000, p 326.
* 6 Sud Echos
« Liberté », Bulletin d'informations du Sud
Sénégal, N° 10- 2008, pp 19- 20
* 7 Augustin Loada, op.cit. p
141.
|
|