1.2- Le système foncier sénégalais
Au Sénégal, les terres sont divisées en
trois domaines :
? Le domaine de l'Etat qui comprend le domaine public et le
domaine privé qui sont les biens et droits immobiliers appartenant
à l'Etat.
? Le domaine des particuliers qui constitue les terres
immatriculées au nom des particuliers.
? Le domaine national qui, selon l'article premier de la loi
n° 64-46 du 17 juin 1964, constitue " toutes les terres non
classées dans le domaine public, non immatriculées et dont la
propriété n'a pas été transcrite à la
Conservation des hypothèques à la date d'entrée en vigueur
de la présente loi. Ne font pas non plus partie de plein droit du
domaine national, les terres qui, à cette même date, font l'objet
d'une procédure d'immatriculation au nom d'une personne autre que
l'Etat. » Il occupe plus de 90% des terres du
Sénégal.
Cette loi sur le domaine national fait la particularité
du système foncier sénégalais. C'est " un droit de
synthèse original poursuivant deux objectifs essentiels: la
socialisation de la propriété foncière plus conforme
à la tradition négro-africaine et le développement
économique du pays ». (SIDIBÉ A.S., 1997). Le
Président SENGHOR14 affirmait qu'il s'agissait " de
revenir du droit romain au droit négro-africain, de la conception
bourgeoise de la propriété foncière à la conception
socialiste qui est celle de l'Afrique Noire traditionnelle ».
14 Premier président du Sénégal
de 1960 à 1980
Les terres du domaine national sont classées en quatre
zones :
? zones urbaines situées dans les territoires communaux et
qui servent pour l'habitat en milieu urbain. La création de zones
touristiques est possible dans cet espace.
? zones classées à vocation forestière ou
de protection, qui ont fait l'objet d'un classement suivant une
réglementation particulière ; les terres de ces espaces
protégés sont considérées comme une réserve
foncière permanente et prévues spécialement pour assurer
la protection de l'environnement. Sauf déclassement, les
activités économiques sont interdites dans cet espace.
? zones de terroirs qui correspondent, en principe, aux terres
régulièrement exploitées pour l'agriculture, l'habitat
rural, l'élevage et le parcours du bétail. Ce sont les zones les
plus importantes aussi bien en superficie qu'en enjeux.
? zones pionnières qui sont des zones d'action
spéciales non encore aménagées. Il n'existe pratiquement
plus de zones pionnières au Sénégal depuis que celles du
Delta du fleuve (au Nord du pays) ont été reversées dans
les zones de terroirs. (SOW A. A, 2011).
La nature juridique du domaine national est assez originale
car les terres y afférentes ne font pas l'objet d'une
propriété individuelle. Au contraire, la législation
s'inspire de la propriété de tenure collective du système
négro-africain reconnaissant aux individus de simples droits d'usage sur
la terre. En effet, l'article 2 de la loi de 1964 précise que l'Etat
« détient les terres du domaine national en vue d'assurer leur
utilisation et leur mise en valeur rationnelles, conformément aux plans
de développement et aux programmes d'aménagement ».
Donc, il est clair que le domaine national est la propriété de la
nation et l'Etat en est simplement le détenteur car « la
détention n'est pas la propriété ». Selon
Amsatou S. SIDIBE (1997), « en réalité, l'Etat est
substitué au chef de terre traditionnel. Il devient le
"maître de la terre", remplaçant ainsi les
anciens "lamanes"15. »
Dans le cadre de la décentralisation, l'Etat, en tant
que détenteur des terres du domaine national, a transféré
les compétences de gestion aux collectivités locales.
Néanmoins, l'Etat, à travers ses services
déconcentrés, exerce un contrôle en vue d'assurer
l'intérêt général et d'aider au bon fonctionnement
des nouveaux organes chargés de l'affectation ou la
désaffectation des terres.
Les terres du Domaine national ne peuvent être
cédées par l'État qu'à la condition de leur
immatriculation au préalable. Malgré la longue procédure
administrative, des terres du Domaine national peuvent être
immatriculées et entrer ainsi dans le domaine privé de l'Etat.
15 Nom donné au maître traditionnel de la
terre
34
Mémoire Master Amadiane DIALLO
Les terres des zones de terroir sont affectées aux
populations ou membres des communautés rurales par un conseil rural,
sous le contrôle de l'autorité étatique. Les conditions
d'affectation et de désaffectation des terres du domaine national sont
fixées par décret et sont essentiellement de deux sortes.
La première, héritée du droit
traditionnel négro-africain, est relative à l'appartenance
à la collectivité qui va servir de titre juridique à
l'exploitation des terres. Ainsi, dans les terroirs, l'affectation peut
être décidée en faveur soit d'un membre de la
communauté rurale, soit de plusieurs membres regroupés en
association ou coopérative. Dès lors, les étrangers
à savoir ceux qui sont extérieur à la collectivité
n'ont pas droit à ces terres de terroirs. Mais, dans la pratique,
beaucoup d'étrangers non-résidents des collectivités
locales arrivent à occuper des terres affectées.
La seconde condition de l'affectation des terres du domaine
national est l'exigence d'une mise en valeur des terres en question. La terre
est affectée à ceux qui la travaillent personnellement et
matériellement.
Les motifs habituels de désaffectation sont : le
décès de l'occupant personne physique ou la dissolution du
groupement bénéficiaire, la demande de l'affectataire
lui-même, le constat d'insuffisance, d'absence ou de cessation de la mise
en valeur. Il est aussi prévu la désaffectation pour motifs
d'intérêt général mais dans ce cas, l'affectataire
dépouillé de sa parcelle en reçoit une autre
équivalente à titre de compensation.
L'affectation d'une terre dans le cadre du domaine national ne
procure aux bénéficiaires qu'un droit d'usage sur la terre. Cette
affectation ne permet donc pas de possibilités de garantie au niveau des
banques qui demandent un titre de propriété. Le droit de
propriété a des niveaux de jouissance différents qui
passent par l'usus (le droit d'utiliser le bien), le fructus (la
possibilité de fructifier le bien) et l'abusus, qui est le degré
le plus absolu de la jouissance d'un bien.
Ainsi, la configuration actuelle du domaine national est, en
principe, non propice à l'accaparement de terres pour les agrocarburants
à moins que l'Etat, par complicité, diligente les
procédures d'immatriculation de terres à l'insu des populations
locales et au profit d'entreprises privées.
Face à cette contrainte dissuasive pour les
investisseurs privés, des pressions sont exercées au sommet de
l'Etat pour le vote et la promulgation d'une réforme du système
foncier plus favorable. Les résistances des mouvements paysans
justifient la prudence des autorités
politiques qui ont retardé le processus de mis en place
de cette réforme sans y renoncer. C'est ce qui explique d'ailleurs son
extirpation de la loi d'orientation agro-sylvo-pastorale qui stipule dans son
Article premier que " La politique conduite par l'Etat dans le domaine du
développement agro-sylvo-pastoral est marquée par le retrait
progressif de l'Etat et est conforme aux principes de recentrage de ses
missions sur des fonctions régaliennes, de poursuite de la politique de
décentralisation, d'amélioration du cadre et des conditions de
vie en milieu rural, ainsi que de création d'un environnement propice
aux investissements privés en milieu rural. »
Dès lors, le Sénégal va inexorablement
vers une réforme de son système foncier par une privatisation de
certaines terres du domaine national pour favoriser la transaction
foncière et le développement de l' « agrobusiness ».
Pour y arriver, les défenseurs de cette thèse disent vouloir une
plus grande intégration des agriculteurs dans le marché en
accédant à des terres avec des titres de propriété
qui leurs garantissent des prêts auprès des banques afin que les
transactions (location, vente, prêts, gage etc.) puissent les aider
à trouver les financements nécessaires à leurs
activités agricoles. (SOW A.A., 2011)
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