CHAPITRE 5 : PERCEPTIONS PAYSANNES DE L'EVOLUTION DU
CLIMAT DANS LA ZONE D'ETUDE, IDENTIFICATION DES INDICATEURS DES CHANGEMENTS
CLIMATIQUES ET ANALYSE DES TENDANCES CLIMATIQUES
Les changements climatiques sont perçus localement par
les producteurs. Mais cette perception et les explications qui y sont
liées diffèrent selon les réalités des populations
locales. Dans ce chapitre, les perceptions des modifications survenues au
niveau des paramètres climatiques tels que : les précipitations,
la température, les vents et les crues seront présentées
aux primes abords. Ensuite, les données climatiques seront confronter
avec ces différentes perceptions locales.
5.1. Perceptions socio-anthropologiques de
l'évolution du climat dans les deux villages d'étude
Convaincus des modifications du climat de leur milieu local,
les perceptions des populations d'Adjohoun et de Dangbo sont surtout
basées sur des indicateurs tels que les changements dans les saisons
pluvieuses, les changements thermiques, solaires, du vent et des crues
annuelles du fleuve Ouémé dans la vallée.
5.1.1. Perception paysannes des changements
pluviométriques
Les changements pluviométriques constituent le premier
élément de perception des changements climatiques au niveau des
producteurs de notre zone d'étude. En effet, la longue tradition de
l'interaction des populations locales avec leur environnement a
consolidé leur connaissance du climat, connaissance construite sur
certains concepts fondamentaux aux travers desquels les évolutions
pluviométriques sont observées. L'encadré 1
présente les manifestations et les modifications liées à
ces concepts traduisant la perception collective des producteurs de nos deux
villages d'enquête.
Encadré 1: Bilan des concepts clés
liés aux saisons pluvieuses et des changements
caractéristiques
> Zundji : Autrefois, cette pluie tombait
à la fin de l'harmattan entre fin Janvier et 10 février au plus
tard. Comme son nom l'indique, c'est la pluie « dji » de la
brousse ou forêt « zun ». On ne s'en sert pas pour
cultiver. Elle tombe au plus deux fois dans la période indiquée
et c'est elle qui fait régénérer les herbes
asséchés par la grande saison sèche ou brûlés
par les feux de brousse.
Mais de nos jours, précisément à partir
de douze à quinze années déjà, cette pluie a
tendance à disparaître. Elle ne vient que très rarement
certaines années et cela vers le début du mois de Mars.
Autrefois, c'est l'arrivée de cette pluie qui annonce le début de
la préparation des champs en l'occurrence des activités de
défrichage et de sarclage pour la grande saison pluvieuse. Mais depuis
plusieurs années déjà, ces travaux précèdent
toujours le « Zundji » les rares fois où elle vient
désormais.
> Ayitchiossin : Comme son nom l'indique, c'est
l'eau « sin » qui mouille « tchio » la
terre « ayi ». Avant les modifications observées
depuis 1990, cette pluie tombait deux à trois fois entre le 10 et le 25
Mars. En la mouillant, c'est cette pluie qui sert à éteindre la
chaleur de la terre. Elle refroidit la terre et c'est avec elle que les paysans
démarraient le labour de leur champs pour la confection des billons.
Elle permettait de faire le manioc et l'arachide en semis précoce. On ne
faisait jamais du maïs avec le « Ayitchiossin ».
Mais depuis plus de quinze ans déjà cette pluie
n'arrive plus jamais avant le début du mois d'Avril. On n'arrive plus
à la distinguer des pluies du début de la grande saison
pluvieuse.
> Xwuédjikun : cela signifie les pluies de
l'année. Ce nom s'explique surtout par le fait que ce sont ces pluies
qui marquent le début de la grande saison agricole. C'est avec ces
pluies qu'on faisait surtout le maïs compte tenu de la courte durée
de la petite saison pluvieuse (voir « Zodjikun »). Autrefois
ces pluies s'installent réellement à partir du 15 Avril et
correspondait à la période de semis du maïs qui
s'étendait autrefois jusqu'au 20-25 Mai pour les paysans retardataires.
Ces pluies tombaient régulièrement c'est-à-dire sur tout
le long de cette période (15 Avril - 25 Mai) ; ce qui permettait les
semis échelonnés sur la période. Ces pluies terminaient
généralement vers le 15 Juillet.
Mais de nos jours ces pluies ont connues d'importantes
modifications dans leurs régimes. Ainsi, depuis 12 à 15
années le « Xwédjikun » à tendance
à ne plus s'installer réellement à partir du 15 Avril.
Elle vient tardivement et s'installe en tombant très abondamment
à intervalle de jour très rapproché. Ensuite, elle coupe
sur 10-15 jours voir 20 jours certaines années avant de recommencer
à nouveau. Cette nouvelle tendance ne permet plus les semis
échelonnés dans le temps comme par le passé tel que
décrit ci-dessus.
Autrefois, c'est à partir de fin Mai jusqu'au 25 Juin
que les paysans de la zone installaient le niébé. Mais la
nouvelle tendance caractérisée par la coupure précoce de
cette pluie cause de grandes difficultés pour la réussite de la
culture du niébé. Les paysans enregistrent des pertes importantes
de récolte de ce fait.
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> Amandji xèkuado : c'est une pluie qui
annonçait autrefois la fin du << Xwédjikun ».
Comme son nom l'indique c'est la pluie de la feuille << amandji
» et l'oiseau est mort dans le nid << xèkuado
». C'est une pluie légère et fine qui tombait sur cinq
à sept jours d'affilés (dans la journée comme dans la
nuit) ce qui empêchait même les oiseaux de pouvoir sortir pour
s'alimenter et ils mouraient de faim emprisonnés par cette pluie dans
leur nid. Le préfixe << amandji » tient sa logique
du fait que c'était une pluie qui permettait la feuillaison des arbres
qui avaient commencé par faner avec le manque d'eau de la fin du
<<Xwédjikun ». C'est cette pluie qui permettait au
niébé de boucler sa phase de feuillaison pour entrer dans la
phase de floraison de son cycle végétatif. C'était une
pluie qui tombait entre le 10 et le 20 Juillet.
Mais avec les modifications des saisons pluvieuses, cette
pluie tend à disparaître. Elle vient très rarement
certaines années.
> Todji: cela signifie la pluie << dji
» du fleuve << to ». C'est une pluie qui vient
suite à l'arrivée de la crue du fleuve Ouémé entre
fin Juin et début Juillet. Autrefois, cette pluie s'installait à
partir de mi Juillet et se poursuit jusqu'à mi Août.
C'était une pluie fine qui permettait au niébé de bien
murir. De part son intensité cette pluie donnait lieu à de faible
ruissellement.
Mais avec les modifications actuelles, cette pluie a tendance
à être rare. L'arrivée de la crue dans la vallée ne
s'accompagne plus automatiquement de l'installation de cette pluie. Et quand
elle vient ; son intensité est si faible qu'elle ne donne plus lieu au
ruissellement d'eau sur le sol qui le caractérisait autrefois. Cette
pluie n'est plus régulièrement répartie dans le temps sur
toute la période mi-Juillet, mi-Août, avec la tendance actuelle,
ce qui ajouté aux perturbations observées dans la fin du
régime du << Xwédjikun » occasionne
d'importantes pertes de récolte de niébé pour la plupart
des paysans
> Zodjikun : c'est une appellation
attribuée aux pluies de deuxième saison de culture dans la zone
d'étude et signifie la pluie du feu (Chaleur). L'appellation signifie
que c'est une pluie qui survient après une période de fort
ensoleillement notamment la saison sèche. Le << Zodjikun
» s'installait régulièrement autrefois à partir
du 15 Septembre pour se poursuivre jusqu'à mi Novembre. Autrefois, cette
répartition régulière sur toute cette période
laissait le temps aux paysans de faire le labour de leur champ pour la
confection de billons avec les premières pluies du << Zodjikun
».
Mais, actuellement, le << Zodjikun » ne
laisse plus le temps de labour aux paysans avant de connaître des poches
de sécheresse. Beaucoup de paysans optent désormais de plus en
plus pour le labour à sec afin de pouvoir commencer les semis dès
les toutes premières pluies qui servaient avant à faire le
labour.
Source : Données d'enquête
Août-Octobre 2009
Les informations contenues dans l'encadré 1 montrent
que les populations locales de nos villages d'enquête ont observé
sur la base d'indicateurs liés au déroulement de leurs
activités agricoles de profonds bouleversements des rythmes des saisons
pluvieuses
enregistrées autrefois dans leur milieu. Ces
perceptions collectives des modifications pluvieuses ont été
spécifiées par les perceptions individuelles au niveau des
exploitations enquêtées. Le tableau 9 présente la
synthèse des perceptions paysannes des changements
pluviométriques vécus par les CE des exploitations
enquêtées.
Tableau 9: Synthèse sur les perceptions paysannes
des changements pluviométriques
Changements pluviométriques
enregistrés
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Indicateurs locaux :
manifestations/conséquences
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Démarrage tardif
et/ou mauvaise
répartition des pluies pendant les saisons des
pluies
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Grande saison pluvieuse
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Pour la totalité des CE des exploitations
enquêtées, la grande saison pluvieuse ne commence plus
régulièrement en Avril pendant les quinze (15) dernières
années comme autrefois. Actuellement, les opérations de semis
précoce d'arachide et de manioc ne sont plus possibles en Mars comme par
le passé.
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Selon la totalité des CE des exploitations de notre
échantillon d'enquête, la petite saison pluvieuse ne commence plus
vers la fin des cérémonies du culte « Oro »
dans la dernière décade du mois d'Août comme pour la
période d'il y a plus de 15ans. Son démarrage tardif vers
début Octobre oblige les producteurs à effectuer le labour
à sec des champs afin de pouvoir réaliser les semis dès
les premières pluies qui par ailleurs sont très mal
réparties sur les jours pendant cette début de saison.
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Raccourcissement de la durée des saisons des
pluies
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Grande saison pluvieuse
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La totalité des CE des exploitations
enquêtées, ont remarqué un raccourcissement de la
durée de la grande saison pluvieuse occasionné par sa rupture
précoce et son démarrage tardif. La rupture précoce de la
saison perturbe la floraison et la maturation du niébé pendant
ces quinze (15) dernières années. Ceci occasionne très
souvent comme cette année, la perte de la totalité de la
récolte chez beaucoup de producteurs.
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Ces quinze (15) dernières années, selon la
totalité des CE des exploitations enquêtées, le
démarrage tardif des pluies de la petite saison pluvieuse beaucoup plus
importante que les ruptures précoces enregistrées est à
l'origine du raccourcissement de la durée de cette saison.
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Diminution du nombre de jours de pluies
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Grande saison pluvieuse
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Pour 97% des CE des exploitations de notre
échantillon, le nombre de jour de pluie de la grande saison pluvieuse
est en baisse au cours des quinze dernières années. Pendant les
quinze (15) dernières années, les pluies de la grande saison
pluvieuse se concentrent sur des périodes très courtes surtout en
Mai où l'on observe désormais les plus fortes hauteurs
pluviométriques plutôt qu'en Juin comme par le passé.
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Petite saison pluvieuse
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Le démarrage tardif couplé à la rupture
des pluies vers la fin de la saison entraîne la diminution du nombre de
jour de pluies pendant la petite saison pluvieuse au cours des quinze (15)
dernières années selon la totalité des CE des
exploitations enquêtées. Cette diminution du nombre de jour de
pluie perturbe le bouclage du cycle des cultures comme le maïs et le
sésame ; et l'arachide de deuxième saison est entrain
d'être progressivement abandonné pour cette cause.
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Poches de sécheresse plus nombreuses
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Grande saison pluvieuse
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Selon la totalité des CE des exploitations
enquêtées, la multiplication des ruptures de pluies au
début, et à la fin de la grande saison pluvieuse entraîne
des stress hydriques pour les cultures sources de pertes de récoltes.
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90% des CE des exploitations de notre échantillon
d'enquête, indiquent que les poches de sécheresse pendant la
petite saison pluvieuse sont devenues plus nombreuse à travers les
ruptures de pluies et concerne la période du début de la saison
(Octobre). Les fontes de semis qui en découlent occasionnent des
opérations de resemis répétitives pour les cultures de
maïs, d'arachide, et de sésame.
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Occurrence des pluies très fortes et
violentes causant des dégâts
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Grande saison pluvieuse
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92% des CE des exploitations enquêtées ont
remarqué au cours des quinze (15) dernières années une
multiplication des pluies très fortes et violentes vers la fin de la
grande saison pluvieuse occasionnant le pourrissement sur pied des
récoltes de maïs et le démolissage des maisons en terre
battue par les eaux de ruissellement violentes qu'elles provoquent.
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Pour 99% des CE des exploitations enquêtées, les
pluies enregistrées pendant la deuxième saison pluvieuse ont
plutôt tendance à être moins fortes surtout en début
de saison ; pendant les (15) quinze dernières années.
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Persistance de la sécheresse
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Grande saison sèche
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98% des CE des exploitations de notre échantillon,
indiquent qu'il a eu changement au cours des quinze (15) dernières
années dans la durée de la grande saison sèche qui se
prolonge jusqu'à fin Avril au lieu de Mars comme autrefois.
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La petite saison sèche devient de plus en plus
marquée au cours de ces quinze dernières années et
s'étend jusqu'en Octobre au lieu de mi-Septembre selon 90% des CE des
exploitations de notre échantillon d'enquête.
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Diminution des hauteurs pluviométriques
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Pour 93% des CE des exploitations enquêtées, sur
la normale de trente ans, les hauteurs pluviométriques
enregistrées ces quinze dernières années sont en baisse
progressif accentuée surtout pendant la petite saison pluvieuse.
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Source : Données d'enquête
Août-Octobre 2009
Des informations contenues dans le tableau 9, il ressort que
les deux saisons pluvieuses ont connu d'importantes modifications dans leur
déroulement au cours des quinze (15) dernières années
comparativement aux quinze (15) autres précédentes. De plus,
l'ampleur des bouleversements diffère d'une saison pluvieuse à
l'autre.
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