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Acteurs et interactions autour des ressources halieutiques du Parc National de la Salonga. Cas de l'exploitation de la rivière Luilaka en RDC

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par Billy Kambala Luadia Tshikengela
Université catholique de Louvain - Master complémentaire en développement environnement et sociétés 2009
  

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Chapitre 1 CADRE THEORIQUE ET CONCEPTUEL

Le présent chapitre présente les concepts retenus lors de la lecture de la littérature sur le foncier, la biodiversité, la gestion et la conservation des ressources naturelles. Au travers de ces concepts, l?on peut comprendre et expliquer la situation des populations riveraines du territoire de Monkoto vis-à-vis des ressources halieutiques du parc national de la Salonga, en RDC.

Comme on le sait, on rencontre une multitude de définitions autour d?un phénomène donné, chacune d?elles privilégiant, soit un aspect, soit un élément de l?ensemble d?une situation donnée, la bonne définition restant toutefois celle qui est conforme à la nature de la réalité étudiée et qui ne convient qu?à elle seule54.

En ce qui me concerne, les notions suivantes: gestion foncière, biodiversité et développement durable, protection de l?environnement, gestion et conservation des ressources naturelles, développement local et pratiques populaires, ont davantage attiré mon attention et constituent un support théorique et conceptuel à la compréhension du sujet sous étude.

1.1. Aperçu historique du foncier congolais

La terre constitue un bien que l?on ne peut déplacer ni faire disparaître. Elle porte en son sein des ressources exploitées par les hommes, résultant de leur travail ou disponibles à l?état naturel. De ce fait, la relation de l?homme au foncier est avant tout un rapport entre les hommes, entre passé et présent, fait de négociations, d?accords et parfois de conflits.

En Afrique, les conflits fonciers sont multiples entre les populations d?éleveurs et d?agriculteurs, entre les populations autochtones et allogènes, souvent entre l?Etat et les chefs coutumiers, parfois avec des répercussions sur la géopolitique de certaines régions. Souvent ces tensions sont analysées comme des conflits ethniques alors qu?elles relèvent de conflits d?usage sur les terres; l?exemple le plus marquant étant celui de la région des Grands Lacs.

54 MULAMBA T. 2003. Phénomène enfants de rue à Kinshasa. Expression de l'atomisation de la solidarité traditionnelle africaine, mémoire de D.E.S. en Anthropologie, Université de Kinshasa

M. Cubrilo.et C. Goislard C. soulignent bien que « Les affrontements des dernières années de l'Afrique des grands lacs ne peuvent pas être analysés sous le seul angle des rivalités interethniques. La dimension foncière paraît constituer un élément explicatif important55 ».

Les migrations qui ont eu lieu suite aux conflits et aux massacres dans cette région très instable de l?Afrique, entre le Rwanda, l?Ouganda, le Burundi et la RD Congo, sont également à la base des graves tensions autour de l?accès à la terre56.

En Afrique, c?est le pouvoir politique qui est l?acteur foncier principal. Les Etats ont été mis en place dès l?implantation européenne pendant l?époque coloniale et ont hérité du droit européen le rôle juridique et l?organisation des pouvoirs politiques. Alors que depuis longtemps, le foncier africain était marqué par des formes collectives de propriétés, interdépendantes de l?organisation sociale57.

Ce qu?il faut savoir ici, c?est que la terre était perçue différemment de la conception des Etats coloniaux: en effet, dans la gestion traditionnelle, la terre n?appartenait pas à l?homme; mais c?est plutôt l?homme qui appartenait à la terre, cette dernière étant considérée comme une propriété collective.

Le droit coutumier n?est pas capable de faire face au phénomène d?individualisation des terres, de leur appropriation et de la prise de conscience de leur valeur marchande. C. Blanc, en abordant le foncier rural, montre qu?un arbre planté traditionnellement est propriété personnelle du planteur et que la terre reste propriété des ancêtres ou de leurs représentants58.

Afin de bien exploiter les ressources naturelles et assurer l?expansion du capitalisme, l?Etat a procédé à des modifications de gestion des terres dites traditionnelles ou coutumières, d?où sa maîtrise du foncier. Localement le domaine foncier était géré par les sociétés présentes sur des terres qu?elles considéraient légitimement comme leurs propriétés. Méprisée par les administrations coloniales, cette gestion coutumière a été réorganisée et modifiée par une éviction pour assurer la domination de l?Etat sur les ressources naturelles et les populations locales59.

55 CUBRILO M., GOISLARD C. (1998). Association pour la promotion des recherches et études foncières en Afrique. Bibliographie et lexique du foncier en Afrique noire, Paris, p5

56 BOURGEOIS U. (2009). Une gestion des terres conflictuelle: du monopole foncier de l'Etat à la gestion locale des Mongo Territoire de Basankusu, RD Congo, Université d?Orléans.

57 BOURGEOIS U. 2009.Op.cit.

58 BLANC C., 1981. Le foncier rural. Ministère de l?Agriculture, Côte d?Ivoire, 76 p

59 Aux yeux des colons, cette gestion semblait primitive dans ce contexte où c?est la civilisation qui était signe de modernité ou de nouveauté.

Pour les africains, cet affaiblissement du droit coutumier qui n?est pas réellement relayé par le droit moderne est une preuve de la dépossession de leur droit coutumier par l?Etat, lequel droit repose sur une propriété collective du sol: le sol étant sacré et inaliénable. L?exploitant n?avait souvent qu?un droit d?usage du sol60.

Le problème foncier actuel est le fruit d?un affrontement entre des logiques différentes de sociétés. A la conception réductrice de la valeur de la terre à un bien individuel, s?oppose souvent une conception communautaire plus ancienne mais vivace61. Qu?en est-il de la RDC en matière de la gestion foncière?

Les conflits de terre au Congo datent de la colonisation. En effet, une analyse d?exploitation et de prolétarisation de la paysannerie congolaise pendant la colonisation montre l?expropriation des terres des collectivités rurales par le pouvoir colonial et les résistances opposées par la paysannerie dans de nombreuses régions62.

Il est intéressant de noter qu?avant même la constitution de l?EIC, il existait au Congo deux types de terre: d?une part, les terres occupées par les autochtones (communautés locales) et régies par la coutume et, d?autre part, celles occupées par les allogènes (commerçants portugais, hollandais, anglais), en vertu des contrats passés avec les chefs de terres indigènes63.

Pendant l?Etat Indépendant du Congo, une ordonnance fut promulguée le 1er juillet 1885, selon laquelle, à partir de la proclamation de l?EIC, aucun contrat ni convention passé avec les indigènes pour l?occupation, à un titre quelconque, de parties du sol ne sera reconnu par le gouvernement, ni protégé par lui64. Dans le premier temps, l?EIC reconnut trois sortes de terres:

Les terres occupées par les autochtones à titre collectif ou individuel et conformément à leurs pratiques traditionnelles (agriculture extensive et nomadisme, habitation.). Ces terres furent soumises à la coutume.

60 DUPUY B., 1998. Bases pour une Sylviculture en forêt dense tropicale humide africaine, Série FORAFRI, Document n°4, CIRADForêt, France.

61 Le ROY E., 1991. « L?appropriation des systèmes de production » In: L?appropriation de la terre en Afrique noire, Collection Economique et Développement. Paris, France, Ed. Karthala, p.27-35

62 MERLIER M. (1962) Le Congo de la colonisation belge à l'indépendance, Maspero, Paris (réédition par l?Harmattan, Paris, 1992).

63 SÉRAPHIN MATSHITSHI (2006). Présentation de la Problématique du Foncier de la RD Congo. Promotion de la bonne gouvernance et gestion foncière, 5è Conférence régionale de Fédération des Ingénieurs Géomètres- Topographes, Accra, Ghana, 8-11 mars 2006.

64 NOBIRABO MUSAFIRI P. 2008 «Dépossession des droits fonciers des autochtones en RDC: perspectives historiques et d'avenir» in Les droits fonciers et les peuples des foréts d?Afrique, Forest Peoples Programme, Royaume-Uni.

Les terres en possession des non-indigènes: tous les contrats y afférents datant d?avant le 1er juillet 1885 furent reconnus valables. Ces terres furent enregistrées et soumises à la législation de l?Etat.

Le reste des terres, constitué de terres vacantes, forma le domaine de l?état et une partie constitua le domaine privé. Alors que pour des sociétés locales, la culture itinérante avec jachère longue et les zones de chasse indispensable à l?équilibre alimentaire exigeaient de vastes territoires en apparence non occupés65.

A la cession de l?EIC à la Belgique, cette dernière s?est engagée à respecter les fondations existantes au Congo, ainsi que les droits acquis légalement reconnus à des tiers, indigènes et colons européens66.

Après l?indépendance, le régime foncier est marqué par deux périodes essentielles: ? Le maintien du régime foncier colonial (1960-1973)

Aux termes de l?article 2 de la loi fondamentale congolaise du 19 mai 1960 relative aux structures du Congo, les lois, les décrets et les ordonnances législatives, leurs mesures d?exécution ainsi que toutes les dispositions réglementaires existantes au 30 juin 1960, resteront en vigueur tant qu?ils n?auront pas été expressément abrogés. Cette disposition a pratiquement reconduit le régime foncier hérité de la colonie belge67.

Une fois accédé à la souveraineté internationale, le Congo s?est doté d?une loi aux répercussions multiples et d?une importance considérable. Il s?agit de l?ordonnance-loi n° 66- 343 du 7 juin 1966, dite loi Bakajika68, « assurant à la République Démocratique du Congo la plénitude de ses droits de propriété sur son domaine et la pleine souveraineté dans la concession des droits fonciers, forestiers et miniers sur toute l?étendue de son territoire ».

Certes, la loi Bakajika annulait toutes les cessions et concessions successivement accordées
par l?état indépendant du Congo, par la colonie belge et par tous les pouvoirs concédants

65 PEEMANS J.P. (1973) Le rôle de l'Etat dans la formation du capital au Congo pendant la période coloniale, Institut d?Etude des Pays en développement, Louvain-la-Neuve.

66 SÉRAPHIN MATSHITSHI, 2006. Op. Cit.

67 SENDWE P. 2003 Loi Fondamentale Belge du 19 mai 1960 relative aux structures du Congo, Académia Bruylant

68 L?ordonnance-loi n° 66-343 du 7juin 1966 tire son nom de « loi Bakajika » du député qui en a pris l?initiative en rédigeant le projet initial.

avant le 30 juin 196069. C?est ainsi que l?état congolais s?est vu reconnaître le droit de reprise des droits fonciers, forestiers et miniers cédés et concédés avant le 30 juin 1960; ceci même dans le cas de droits de propriété dont les tiers (personnes physiques ou morales) étaient devenus titulaires ou exerçaient des droits subjectifs en participation avec l?Etat70.


· La rupture de l?actuel régime avec le régime colonial

L?actuelle loi foncière en vigueur au Congo a été promulguée par le Président de la république le 20 juillet 1973 sous le n° 73-021 portant régime général des biens, régime foncier et immobilier, et régime de süreté, dont l?article 53 décrétait que « le sol est la propriété exclusive, inaliénable et imprescriptible de l?Etat ». Elle a été modifiée et complétée par la loi n° 80-008 du 18 juillet 1980 en abolissant en conséquence l?appropriation privative du sol71.

Cette loi a introduit la domanialisation (récupération) de toutes les terres par l?Etat congolais. Cependant, elle promet de régler la question des terres des communautés autochtones (communautés traditionnelles) par la voie de l?ordonnance présidentielle72.

Chose étonnante, jusqu?à ce jour l?ordonnance présidentielle n?est toujours pas promulguée pour sanctionner les droits de propriété foncière des communautés autochtones en République Démocratique du Congo. En outre, la loi foncière indique clairement que « les terres occupées par les communautés locales deviennent, à partir de l?entrée en vigueur de la présente loi, des terres domaniales »73.

Ces terres sont celles que ces communautés habitent, cultivent ou exploitent d?une manière quelconque, individuelle ou collective, conformément aux coutumes et usages locaux74.

Alors qu?à l?époque du Congo-belge, l?organisation des populations était marquée par des
traditions. Ces dernières jouaient un rôle très fort dans l?organisation des rapports sociaux, des

69 L?ordonnance-loi n° 66-343 du 7 juin 1966 dite «loi Bakajika», a été complétée par une ordonnance d?exécution invitant les bénéficiaires à introduire des nouvelles demandes dans un délai déterminé. Les terres (fonds) n?ayant fait l?objet

d?aucune demande ont été déclarées «biens abandonnés» par le ministre de plan de l?époque, en vertu d?un texte qui lui en donnait le pouvoir.

70 NOBIRABO MUSAFIRI P. 2008, Op. Cit.

71 Ordonnance-loi n° 73-021 du 20 juillet 1973, publiée au journal officiel de la République du 1er Avril 1974.

72 L?article 389 de la méme loi foncière stipule que «Les droits de jouissance régulièrement acquis sur ces terres seront réglés par une ordonnance du président de la République».

73 Article 387 de la loi n°73-21 du 20 juillet 1973

74 Article 388 de la loi foncière de 1973

rapports avec la terre, avec la religion, ~ Le village était considéré comme l?unité politique dominante, et chaque village était indépendant75.

La grande majorité du pays est rurale. Le droit d?Etat est principalement efficace en zone urbaine, contrairement aux campagnes et aux forêts où la propriété des terres est gérée par les populations locales elles-mêmes. Le foncier est donc géré localement sans trop d?interférences avec l?Etat76.

La gestion foncière telle qu?elle est pratiquée par l?Etat en milieu urbain est parfois en opposition avec une gestion foncière locale complexe. Entre un système foncier hérité du droit européen « droit écrit » et une gestion marquée par des pratiques foncières anciennes et orales, il existe des divergences. Cette situation paradoxale suscite souvent des conflits entre l?Etat congolais et les communautés autochtones quant à la propriété et donc à la cession des terres.

En général la gestion des espaces forestiers en RDC et dans et autour du PNS en particulier, est handicapée par la superposition de deux logiques foncières: il y a opposition entre régime légitime mais considéré comme illégal, le régime « coutumier » et un régime de droit moderne, instauré par l?Etat et toujours contesté par les populations autochtones.

Selon les autorités de l?Etat, « le sol et le sous-sol appartiennent à l?Etat ». Et pour les villageois, la forêt leur appartient, ils déclarent très souvent: « la forêt est le passé de nos ancêtres et l?avenir de nos enfants », étant donné que les forêts constituent pour les populations locales un réservoir vital d?où elles tirent l?essentiel des éléments contribuant à leur subsistance, matériaux de construction et pharmacopée.

Et pourtant, le principal texte légal qui régit la gestion des ressources forestières en RDC est la loi 011/2002 portant code forestier promulguée en août 2002 qui a succédé à une réglementation coloniale (décret) datant du 11/04/194977.Ce code forestier de 2002 s?inscrit « dans la logique des principes modernes de gestion des ressources forestières et des conventions internationales en matière de l?environnement ».

Son objectif était de créer un cadre légal qui permet, à la fois, à la forêt de remplir en équilibre ses fonctions écologiques et sociales, à l?administration forestière de contribuer substantiellement

75 IBAÑEZ DE IBERO C. (1913). La mise en valeur du Congo belge, étude de géographie coloniale. Paris, Recueil Sirey, p.75.

76 BOURGEOIS U.; 2009 Op.cit.

77 Présidence de la République, Loi N°011/2002 du 29 Août 2002 portant CODE FORESTIER, Journal Officiel-Numéro spécial 6, Novembre 2002.

au développement national et aux populations riveraines de participer activement à la gestion des forêts pour pouvoir en tirer un bénéfice légitime78.

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"Qui vit sans folie n'est pas si sage qu'il croit."   La Rochefoucault