Ce travail de fin d'étude traite du respect de la
pudeur en milieu hospitalier. Inculqué dès le début de la
formation dans les écoles d'infirmières, j'ai souhaité
approfondir ce sujet sous différentes dimensions : historiques,
sociales, culturelles et physio-psychologiques.
Quiconque a été hospitalisé sait que
certains soins ou examens conduisent à exposer au regard d'autrui les
"parties honteuses" de notre corps. Nous allons voir que les personnes sont
différemment sensibles au fait de les exposer.
Dans ma pratique, je me suis interrogée sur le sens de
la pudeur. J'ai essayé d'avoir un esprit critique en améliorant
mon savoir-faire, mon savoirêtre dans ma pratique, pour une meilleure
prise en charge du patient et de son entourage.
Au fil de mes recherches, de mes observations, j'ai pu
découvrir qu'il n'y avait pas une, mais d'infinies formes de pudeur.
Elles varient selon la société à laquelle nous
appartenons, nos valeurs, nos croyances, notre vécu et surtout selon la
singularité de chacun.
De nombreuses questions me sont venues à l'esprit.
Qu'est-ce que la pudeur ? Ce sentiment a-il toujours existé ?
S'exprime-t-elle de la même manière dans toutes les civilisations
et quels sont leurs codes sociaux ? Quand les lieux protecteurs de la pudeur
sont-ils apparus ?
Si nous remontons à la mémoire de l'Homme, les
Evangiles en témoignent. Déjà, la Génèse
enseigne que la pudeur est liée au regard de l'autre et à la
proximité d'autrui, avec Adam et Eve qui se cachent lorsqu'ils
découvrent leur nudité. Pour Jeanne d'Arc (1430), son impudeur
réside dans le port de sa tenue masculine car pour l'époque il
est scandaleux de gommer la différenciation sexuelle voulue par Dieu.
Dans certains musées, on rencontre encore des
statuettes de diagnostic qu'utilisaient les Chinoises pour converser avec leur
médecin. Plutôt que de nommer ou de désigner l'endroit qui
les faisait souffrir, elles préféraient le montrer sur une de ces
figurines qui avaient soin d'exposer toutes les parties du corps.
Les prémices de la pudeur actuelle apparaissent dans
les monastères : distance minimale obligatoire entre les lits. Les
chaises percées (Montauban) sont transportées dans les chambres.
Ce n'est qu'au XIXème siècle que nous
voyons les premières salles de bain et les toilettes
privées. Puis, au lendemain de la seconde guerre mondiale, les
pensionnats et les couvents enseignent aux demoiselles de faire leur toilette
intime dans l'obscurité. En s'inventant des lieux d'intimité, la
pudeur s'est détachée du regard extérieur.
Enfin, le Code Napoléon et la loi de 1891 ont introduit
l'outrage à la pudeur. Ce code est toujours d'actualité. Le
naturisme est accepté en lieu privé. D'autres domaines de «
nudité partagée ou dévoilée » sont apparus
dans la même tolérance : les vestiaires sportifs et les
hôpitaux. Dans ce dernier cas, c'est au soignant de donner et de
faire respecter les limites.
Pendant mes différents stages pratiques, j'ai
constaté qu'en général la pudeur est respectée,
cependant, il est parfois difficile de la mettre en oeuvre, faute de moyens.
Elle apparaît « évidente » pour les soignants qui
travaillent en technique, mais aussi pour les visiteurs qui n'hésitent
pas à sortir de la chambre dès l'arrivée du soignant.
Pour approfondir ce thème, nous allons voir, dans un
premier temps, une situation vécue au début de ma formation,
suivie d'une problématique qui s'en dégage.
Dans un second temps, nous allons définir ce qu'est la
pudeur au regard de cette situation et les raisons pour lesquelles le soignant
doit agir à l'abri des regards. Celles-ci vont nous amener à
réfléchir sur les incidences du non-respect de la pudeur sur la
personne malade et de ces manifestations physiques.
Aussi, pour mieux comprendre l'incidence du non-respect de la
pudeur sur l'image corporelle, j'ai choisi d'analyser la situation de Mme G
selon la pyramide de Maslow.
Ensuite, toujours au regard de ma situation, j'ai
élargi mon travail d'étude à différentes
conceptions de la pudeur dans le monde, du point de vue psychologique,
sociologique, culturel et anthropologique. Ceci dans un objectif d'une
meilleure prise en charge des autres patients et de leur singularité
dans ma future profession.
Enfin, nous allons voir l'évolution des comportements
de la pudeur familiale et la nécessité de la présence des
proches auprès du malade lors de l'hospitalisation tout en ne perdant
pas de vue le respect de sa pudeur.
En avril 2002, Mme G., est hospitalisée en chambre
double dans un service de chirurgie orthopédique pour une
arthroplastie1. Elle souffrait de coxarthrose2 depuis une
dixaine d'années. Elle n'a pas d'autre antécédent
médical.
C'est une femme de 60 ans, de nationalité
française, elle est mariée, a quatre enfants (adultes et ne
vivant plus au foyer) et sept petits enfants.
Madame G. vit avec son époux dans un pavillon de plein
pied en Touraine. Elle est femme au foyer, catholique, non pratiquante. C'est
une femme réservée, discrête, parlant peu avec une voix
douce. Depuis son hospitalisation, elle est anxieuse quant à son
devenir.
A J5 de son intervention, dans l'après-midi, Madame G.
appelle le personnel soignant à l'aide de sa sonnette, pour l'aider
à se mobiliser et lui apporter un peu de confort. En effet, elle est
alitée et vient de terminer ses exercices d'arthromoteur pour sa
rééducation post-intervention (15 minutes/jour).
Dans un faux mouvement, elle a renversé de l'eau dans
son lit et sur sa chemise de nuit. De plus, lors de notre soin, elle se plaint
de douleurs lombaires du fait de son décubitus dorsal prolongé,
et son point d'appui sacré est endolori.
Avant de quitter sa chambre, nous la réinstallerons
confortablement dans son lit.
A notre arrivée, son époux est assis à
ses côtés. Depuis son hospitalisation, il est très
présent. Ce jour, sa voisine de chambre n'a pas de visite.
Madame G. nous demande donc de lui apporter notre aide
à se changer du fait de ses difficultés à se mobiliser.
Par conséquent, je demande à son époux de bien vouloir
sortir quelques instants dans le couloir, afin que nous puissions effectuer le
soin.
En effet, ma collègue et moi-même, toutes deux
étudiantes infirmières en première année, premier
stage, l'aiderons à se mobiliser, changer sa tenue (retirer sa chemise
de nuit mouillée), ses draps pour son confort, mais aussi pour
éviter toute altération de l'état cutané
(macération). Nous lui effleurerons la région lombo-sacrée
afin de prévenir des escarres.
De plus, à ce stade opératoire, Mme G. est
algique du fait de ses récents exercices d'arthromoteur et de son
alitement prolongé. Il relève du rôle propre de
l'infirmière de mettre en place des actions d'évaluation de la
douleur (EVA), de son anxiété, d'en référer au
médecin et de le transmettre à l'équipe.3
Mme G. étant à J5 d'une pose de prothèse
de hanche, elle risque une luxation de la hanche. Cette intervention
nécessite une éducation à la mobilité et une
période d'adaptation. Dans cette optique, nous devons lui reformuler les
consignes pour prévenir ce risque4: mettre un coussin entre
ses cuisses pour se tourner, mobiliser le bassin dans son ensemble, la jambe
doit suivre le mouvement, maintenue par le coussin.
Il est important d'établir une relation de confiance
avec elle pour lui permettre d'être plus à l'aise et d'exprimer
son ressenti, son vécu et ses craintes au regard de ce qui
précède. Cette relation de confiance permet d'améliorer la
communication. Mme G. est dans une chambre à deux lits (l'autre est
aussi occupé).
Dans sa chambre, nous sommes cinq: Mme G, son époux, sa
voisine de chambre et deux étudiantes infirmières. Nous ne
pouvons emmener Mme G. dans le cabinet de toilette. Ce soin se déroulera
donc au lit. Sa voisine est également alitée, dans
l'impossibilité de se déplacer. Je demande donc à M. G. de
« bien vouloir sortir » pendant le soin. Celui-ci acquiesce et se
lève pour nous laisser, ma collègue et moi-même
auprès de sa femme.
Madame G. saisit l'occasion pour demander à son
époux de lui rapporter des revues de la librairie du
rez-de-chaussée de l'hôpital.
Lors de notre soin présenté plus haut, la
patiente nous demande également de lui donner le bassin.
Plus tard, dans le couloir, ma collègue me dit
être très étonnée de ma requête auprès
de M. G. Elle estime qu'en tant qu'époux, mariés depuis 35 ans,
il connaît bien sa femme et que c'est plutôt indécent de lui
demander de nous laisser seules avec elle
3 Décret du 11 février 2002, articles
1,2,3,5 Annexe III et IV.
4 Décret du 11 février 2002, articles
1,2,3,5 Annexe III et IV.
Lorsque je me suis retrouvée devant cette situation, je
me suis interrogée sur mon attitude. Je me suis demandée pourquoi
j'avais effectivement demandé à ce mari de sortir : sur quelles
convictions, quels critères me suis-je appuyée ?
Etait-ce uniquement parce qu'on me l'a enseigné
à l'IFSI, ou plutôt parce que, moi-même, à la place
de Mme G, j'aurais aimé que l'on fasse sortir mon époux, ou bien
encore, est-ce mon éducation, mes valeurs qui ont influencé ma
décision.
Dans une optique professionnelle, j'ai décidé
d'analyser cette situation de soin qui renvoie comme tout un chacun à
son propre vécu, au regard du problème suivant :
Comment l'infirmière peut-elle respecter et
faire respecter la pudeur en tenant compte de la singularité
socio-culturelle du patient, des lois qui légifèrent sa
profession et des protocoles établis ?
Doit-elle systématiquement demander à
l'entourage proche de sortir ou doit-elle demander au patient ce qu'il souhaite
? Mme G. aurait peut-être été embarrassée d'avoir
à prendre elle-même la décision.
1 - LA PUDEUR.
Afin de traiter ce problème, il m'a parut important de
définir ce qu'est la pudeur :
« Discrétion, retenue qui empêche de
dire ou de faire ce qui peut blesser la décence (...). Réserve de
quelqu'un qui évite de choquer, de gêner moralement,(...).
Délicatesse. »5
Dans notre situation, cette première définition
s'adresse au soignant à qui il revient la décence et la
conscience professionnelle de ne pas choquer le patient en n'appliquant pas de
mesures en vue de la respecter dans sa pudeur.
Pendant le soin, nous avons communiqué, essayant ma
collègue et moimême d'établir une relation de confiance.
Nous étions à son écoute et disponibles. Dans
l'intimité, il nous a été permis d'instaurer un climat
propice aux échanges et donc induit une meilleure prise en charge. Cette
qualité de relation peut optimiser les effets du soin pour une meilleure
connaissance d'elle-même et de son corps.
A la fin de ce soin, Mme G. semblait plus détendue,
plus ouverte au dialogue. Elle était moins anxieuse, souriait et
semblait satisfaite du soin prodigué.
L'environnement instauré dans le respect de la pudeur
lors d'un soin est donc primordial pour son bon déroulement.
Cette première définition de la pudeur
s'applique aussi M. G. qui a fait preuve de délicatesse : il s'est
éloigné, s'est éclipsé pour la décence de
son épouse, pour ne pas la blesser. Il s'est abstenu de gêner
cette intimité féminine.
Autre définition :
« Sentiment de gêne qu'éprouve une personne
à se montrer nue ».6 Cette deuxième
définition exprime bien les conséquences profondes
psychiques de la personne, mal à l'aise à exhiber
son corps, dénudé à autrui. Pour toutes ces raisons,
« Le soignant doit agir à chaque fois qu'il le
peut à l'abri des regards, la personne ne doit pas se retrouver nue ; la
découvrir au fur et à mesure avec son accord
».7
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