INTRODUCTION
Le questionnement sur le commencement ou l'origine du monde et
de tout ce qu'il renferme a toujours été une quête
constante et ardue de toute la réflexion philosophique. Depuis
l'Antiquité jusqu'à nos jours en passant par le Moyen Âge
(Cf. Thomas d'Aquin) et l'époque Moderne (Cf. Descartes), la recherche
d'un principe fondateur de tout ce qui existe reste toujours à
considérer comme l'un des projets originels de la philosophie1(*). Et chaque époque a sa
manière propre à elle de rester fidèle à ce projet
philosophique. Ainsi, dans l'Antiquité gréco-romaine, Aristote et
Plotin demeurent deux figures incontournables dans cette entreprise à
cause de leur grande influence dans la quête d'un Absolu qui serait
source et principe de tout ce qui existe. En effet, tous les deux voulaient
retrouver de façon rationnelle la cause, la vraie source, mieux encore
le principe (áñ÷ç) de l'existence du monde. Et, ils
ne voulaient que rendre intelligible la source de toute chose
particulièrement celle du monde. Mais bien avant eux d'autres
philosophes avaient posé le même problème et essayé
d'y répondre chacun à sa manière. D'où cet
étonnement : « Pourquoi y a-t-il quelque chose
plutôt que rien ?»2(*) qui a été le point de départ de
toute réflexion philosophique.
Certes, les Milésiens, autrement appelés
physiologues, se serviront de la matière sensible pour rendre
compte de la genèse du monde. Il s'agira soit de l'eau, de la terre, du
feu, de l'air ou de l'indéterminé. Puis, de Pythagore à
Platon, en passant par Héraclite et Parménide, on observera une
certaine évolution dans la manière de concevoir cette origine du
monde. Ici, le principe premier cesse d'être totalement du sensible, mais
culmine plutôt vers une pensée beaucoup plus rationnelle.
Par exemple chez Héraclite, c'est le logos3(*), c'est-à-dire le
Verbe transcendant qui gouverne tout à travers tout. Mais chez
Pythagore, il devient le nombre car, pour lui, tout était
considéré comme nombre. En effet, tous les pythagoriciens
étaient convaincus que la notion de matière ne suffirait pas pour
expliquer l'existence du monde. D'où leur précepte fondamental
stipulant que tout l'univers est harmonie et nombre. Ainsi, pour eux, le
principe premier renferme en lui tous les nombres. Et tous ces nombres, en
raison de leur relation entre eux, structurent le monde de façon
harmonieuse. Chez Platon, cette origine va correspondre à l'Idée
du Bien. Bref, à une réalité intelligible au lieu de ce
qui est sensible. Ensuite, chez les Stoïciens et les Epicuriens4(*), le monde sera
considéré comme un Tout parfait, ordonné par le
Créateur et dont les lois proviennent de la raison. Toutefois, il
devient un grand être unique constitué de quatre
éléments principaux - l'air, l'eau, la terre et le feu - pour les
stoïciens, alors que les épicuriens, inspirés des atomistes,
affirmaient déjà que tout ce qui existe dans le monde
découle du hasard et de la nécessité.
Quant à Aristote, après avoir établi
l'objet de la philosophie première5(*), il pose ce qu'il appelle le Premier moteur
comme principe premier de toute chose, c'est-à-dire
« quelque chose qui meut sans être mû, quelque chose
d'éternel, qui est substance et qui est en acte »6(*). Par contre, à
l'arrivée de Plotin, ce principe premier se ramène à l'Un
qui est au-delà de toute détermination selon l'expression de J.
Moreau7(*), et qui, selon
Plotin lui-même, engendre toutes les autres réalités de
même nature que lui. Il s'agit ici de l'Intellect et de l'Âme du
monde. Pourquoi Plotin préfère-t-il l'Un contrairement à
Aristote pour désigner le principe ineffable de toutes choses ? Et
alors, quel est le rôle principal de ce principe premier dans le
processus de la connaissance du monde ? Sans toutefois nous
éloigner de la recherche de l'Absolu chez Plotin, notre travail se veut
une analyse comparative de la pensée d'Aristote et celle de Plotin. Nous
voulons ainsi mettre en relief quelques motivations ayant poussé Plotin
à vouloir dépasser le Premier moteur d'Aristote et d'en montrer
certaines influences du point de vue tant théorique que pratique.
Pour ce faire, notre travail s'articulera autour de trois
points essentiels. En premier lieu, il sera question de montrer, à
partir des textes aristotéliciens, comment Aristote arrive à
poser le Premier moteur comme principe du monde ainsi que son rôle dans
l'étude de l'être. Puis, nous aborderons Plotin pour qui
l'étude de l'Un aboutit à une découverte
véritablement mystique. Enfin, une approche critique nous amènera
à apprécier la perfection de la connaissance philosophique de nos
auteurs et leur apport tout en dégageant les points de convergences et
de divergences.
CHAPITRE I : LE PREMIER MOTEUR :
ARISTOTE VERS L'ABSOLU
Rompant avec la tradition mythologique et avec
l'idéalisme platonicien, Aristote construit son oeuvre sur une forte
organisation de la pensée et de l'action. C'est cette oeuvre qui va
faire de lui un des fondateurs de la philosophie occidentale. En effet, d'un
esprit scientifique et très ouvert aux sciences de la nature telles que
la physique et la biologie, Aristote pose l'idée de la nature comme une
réalité portant en soi le principe du mouvement, puisque cette
nature est le principe même du mouvement ou du changement8(*). Ainsi, partant de cette
réalité du changement, Aristote s'efforce de l'expliquer. Mais il
n'a pas été ni le premier ni le seul à parler du
mouvement, puisqu'une telle conception se distingue déjà de
celles de ses prédécesseurs entre autres Anaxagore, Anaximandre,
Empédocle et Démocrite9(*). Cependant, par prudence, lui va se rendre compte,
dans l'explication des causes du mouvement les unes par les autres, qu'il faut
bien s'arrêter quelque part, car « on irait donc à
l'infini »10(*).
I.1. La notion du mouvement chez
Aristote
Par mouvement, Aristote envisage diverses
définitions : Premièrement, le mouvement est pour lui le
changement quantitatif tel que la croissance, puis il est aussi un changement
qualitatif à la manière des couleurs par exemple ; ensuite,
le mouvement se définit chez Aristote comme un changement de lieu,
c'est-à-dire un déplacement11(*). Cette dernière définition constitue le
véritable mouvement selon la conception la plus répandue. Et,
enfin, le mouvement dont il est question dans l'oeuvre d'Aristote est
également une transition continue entre deux extrêmes d'une
substance dont l'un doit être la privation de l'autre12(*). Il n'est donc pas le
remplacement pur, simple et complet d'une chose par une autre qui lui est
contraire. A cet effet, il est obligatoirement nécessaire que quelque
chose demeure après que n'importe quel mouvement ait eu lieu. Ce quelque
chose, cette matière restant intacte suite à un changement,
Aristote l'appelle le substrat qui, nécessairement
« change du contraire au contraire, puisque ce ne sont pas les
contraires eux-mêmes qui se transforment l'un dans
l'autre »13(*). En fait, pour Aristote, ce substrat ou
cette matière est aussi cause et principe du mouvement14(*).
Dès lors, appliqué à la théorie du
mouvement proprement dit, ce substrat devient l'acte puisque tel qu'il
se présente, il ne peut en aucun cas être en puissance. Il est
plutôt différent de la matière qui le porte en elle, car
« la matière qui change doit être en
puissance »15(*). Pour Aristote, est en puissance quelque
chose qui peut d'un moment à l'autre prendre d'autres formes suivant les
dix catégories de l'être que sont la substance, la qualité,
la quantité, la position, la possession, la passion, le temps, la
relation, l'action et le lieu16(*). Mais, en tant qu'il est substrat, cette
substance demeure et devient le responsable principal de tout mouvement, de
tout changement qui s'opère dans l'Univers selon la cosmologie
aristotélicienne. Mais alors, de quelle nature est cette substance? Pour
accéder à celle-ci, Aristote a dû partir d'une étude
des notions plus ou moins complexes à détailler : le temps,
le mouvement ainsi que les notions de puissance et d'acte.
D'une part, ayant défini le temps comme étant la
détermination du mouvement, Aristote affirmait déjà que
l'éternité du temps coïncide absolument avec celle du
mouvement17(*). Ainsi,
pour que cette éternité puisse être mieux comprise, il
établit l'existence d'une cause première,
génératrice d'un mouvement qui soit éternel. Et, si cette
cause est capable d'engendrer ce qui est éternel, c'est qu'elle doit
être éternelle. C'est donc cette cause, cette substance qui ne
change pas qu'Aristote qualifie de substance éternelle et immobile en
opposition à d'autres substances qui sont sensibles ou
physiques18(*). D'autre
part, partant de la théorie de l'acte et de la puissance, Aristote
conçoit le mouvement comme « tout changement [qui]
s'effectue de l'Etre en puissance à l'Etre en
acte »19(*), et il pense que pour qu'il y ait un mouvement qui
soit éternel, « il faut donc qu'il existe un principe tel que
sa substance même soit acte »20(*).
C'est pourquoi, après avoir circonscrit sa physique
dans une perspective finaliste de la nature où le changement n'est
compris que comme l'acte de ce qui est en puissance en toute chose, Aristote se
rend compte également qu'il existe au moins un être premier qui
soit en acte et duquel prennent source tous les mouvements du monde21(*). Ainsi, ses recherches lui
obligent de postuler un Etre premier au-delà de toutes les
réalités sensibles, et puisque pour qu'il y ait un mouvement, il
faut qu'il y ait nécessairement un moteur qui le produit et ainsi de
suite. Aristote précise qu'« il faut donc
s'arrêter »22(*) de peur qu'on aille jusqu'à l'infini. C'est
ainsi qu'il pose le Premier moteur, source de tous les mouvements. Mais
qu'est-ce que ce Premier moteur dans la philosophie d'Aristote ? Quel est
son rôle dans l'étude de l'être ou du mouvement ? Ces
questionnements nous amènent à la conception métaphysique
d'Aristote. Il est question ici de montrer en quoi consiste ce Premier moteur
en rapport avec les causes du mouvement par lesquelles Aristote tentera
d'expliquer l'origine du monde en général et celle de
l'être en particulier.
I. 2. Le Premier moteur et son
rôle dans la philosophie première
Tout au long de son étude sur l'être, Aristote
s'est senti obligé de poser l'existence du Premier moteur à
partir des réalités sensibles. Il va aussi se demander comment
peut-on atteindre cette substance éternelle et immobile qui est un
être méta-sensible. Pour ce faire, Aristote va d'abord
étudier le mouvement, puis la substance qui produit ce mouvement. Il
distingue ainsi trois sortes de substances : « L'une est
sensible, et elle se divise en substance éternelle et en substance
corruptible [...]. L'autre substance est immobile »23(*). C'est par l'étude de
cette substance immobile qu'il arrive à des orientations
métaphysiques.
I. 2.1. La nature du Premier
moteur
Pour Aristote, c'est par nécessité qu'il existe
une substance éternelle et immobile, capable de mouvoir tout ce qui se
meut24(*). Cette substance
n'est rien d'autre que le Premier moteur. Contrairement à d'autres
moteurs, le Premier moteur que postule Aristote n'exerce aucune poussée
mécanique sur quoi que ce soit. Il est plutôt la fin que
désire tout ce qui existe. C'est pourquoi il en a fait non seulement la
cause finale du mouvement, mais aussi l'objet du désir, celui de l'amour
également, car « la cause finale meut comme objet de
l'amour »25(*).
Ainsi, comme objet de l'amour, le Premier moteur dont il est question ici est
assimilable à un Dieu26(*), à un Etre suprême, la cause et la fin
de tout ce qui est en mouvement. Dès lors, Aristote va toujours le
considérer comme une substance dont le mouvement n'a point de
commencement ni de fin contrairement à d'autres moteurs ou substances
sensibles. Cette substance ainsi posée peut être définie
comme un être en acte pur, puisque « ce qui est à la
fois mobile et moteur n'est qu'un terme intermédiaire, on doit supposer
un extrême qui soit moteur sans être mobile, être
éternel, substance et acte pur »27(*). A cet effet, Aristote la
réaffirme comme principe premier, origine de tout mouvement. En elle, le
mouvement est éternel car, « il est impossible que le
mouvement ait commencé ou qu'il finisse, car il est, disons-nous,
éternel »28(*). Par conséquent, cette substance se suffit
d'elle-même et elle remplit, suivant la théorie de la
causalité, les mêmes fonctions et les mêmes
caractéristiques que la cause efficiente. Mais comme principe premier,
elle devient également la cause finale de tout mouvement.
Cependant, Aristote ne se limite pas par là. Aussi,
fait-il de cette substance éternelle et immobile l'objet de la
philosophie première (ou théologie). Ce n'est que dans ce
contexte que le Premier moteur soit mieux compris comme cause finale parce
qu'assimilé à dieu. En effet, le dieu d'Aristote meut comme cause
finale. Cette dernière ne s'oppose pas au Premier moteur qui est le
principe premier dans l'hiérarchie des êtres. Il s'agit pour
autant d'un principe pour la physique même s'il est un être
métaphysique29(*).
Mais il ne faudra jamais confondre ce dieu aristotélicien au Dieu
d'amour des chrétiens, car comme moteur lointain, le Premier moteur ne
reste qu'un « idéal immobile vers lequel s'épuisent
les mouvements réguliers des sphères célestes,
l'alternance des saisons, le cycle biologique des générations,
les vicissitudes de l'action et du travail des hommes »30(*). Il est plutôt une
substance séparée du monde sensible et fermée à
tout ce qui lui est extérieur. Pourtant, toutes les autres substances ne
peuvent être conçues que par rapport à elle, car elle reste
la première dans l'hiérarchie. C'est pour cela qu'en empruntant
l'expression de l'Iliade, Aristote est convaincu que
« le commandement de plusieurs n'est pas bon : qu'il n'y ait
qu'un seul chef »31(*).
Le Premier moteur peut être aussi dit Pensée
souveraine ou Pensée de la pensée dans la mesure où il
pense « ce qui est le meilleur par soi »32(*). Autant qu'il est ainsi
considéré, le Premier moteur devient également un
être intelligiblement désirable. C'est ce que nous avons
réaffirmé plus haut en le faisant avec Aristote la cause finale
et l'objet d'amour. Mais comme Pensée souveraine ou divine, le Premier
moteur est plutôt considéré comme un être
séparé du monde changeant, puisque celui-ci ternirait sa propre
pensée et cette relation l'amènerait à l'imperfection. Or,
tel qu'il a été conçu par Aristote, le Premier moteur
devrait demeurer parfait. Pour cela, il est l'objet de sa pensée. Dans
cette perspective, J. Simon affirme que si Parménide ne parlait que de
Dieu, Aristote parle de Dieu et du monde, mais que si ce monde ne soit point,
son Dieu serait ce qu'il est33(*). Ainsi donc, le Dieu d'Aristote reste pour lui
l'être le plus parfait, le plus achevé du monde,
c'est-à-dire un absolu : principe ultime et fondateur de tout ce
qui est en mouvement. Et, bien qu'il soit séparé du monde
changeant ou ignorant toute vie biologique, le Premier moteur demeure
nécessaire à toute vie et c'est pour cela qu'il est
principe34(*).
I.2.2. La philosophie
première comme étude de l'Etre
Par philosophie première, Aristote n'entendait pas
seulement l'étude de l'être en général, mais il y
comprenait avant tout le discours sur un Etre bien particulier ou sur l'Etre
suprême auquel il donne le nom du Premier moteur tel que nous l'avons
déjà présenté plus haut. C'est ce discours qui nous
est connu sous le nom de théologie. C'est pourquoi cette philosophie
première devient le propre du philosophe car, elle est
« la science [...] de l'être en tant
qu'être »35(*). Dans l'ensemble, cette nouvelle science qu'invente
Aristote aura pour but de déterminer
l'ïõóéá c'est-à-dire la substance et de
défendre ses causes et ses principes premiers. Pour lui, est philosophe
ou sage, « celui qui est capable de connaître les choses
difficiles et malaisément accessibles à la connaissance
humaine »36(*), choses qui ont leur fin en elles-mêmes et dont
le savoir est plus exact. Et par sagesse, il entend : « Une
science qui a pour objet certaines causes et certains
principes »37(*). C'est aussi une science du connaissable par
excellence, car « le suprême connaissable ce sont les
premiers principes et les premières causes [...],c'est grâce aux
principes et à partir des principes que tout le reste est connu, et non
pas, inversement, les principes, par les autres choses qui en
dépendent »38(*). Pour dire tout simplement que le Stagirite a
été beaucoup préoccupé par la recherche des
principes en général et du premier principe en particulier. C'est
cette recherche qui le conduit à l'étude de l'être,
considérée ici comme philosophie première.
Cependant, par rapport à cette philosophie
première, on constaterait une certaine ambiguïté dans cette
conception aristotélicienne, car les deux sciences regroupées
dans la Métaphysique ont été souvent confondues.
Pourtant, affirme P. Aubenque, « la science de l'être en
tant qu'être se distingue de toutes les autres par son
universalité, alors que la théologie s'impose par sa
primauté, c'est-à-dire la particularité éminente de
son objet »39(*).
I.2.3. Le rôle du premier
moteur dans la philosophie première
Ayant posé et reconnu l'existence d'une substance
éternelle et immobile, Aristote la réaffirme sans doute comme
principe le plus divin et comme la substance permanente dans la mesure
où « il est donc évident qu'elle
pense ce qu'il y a de plus divin et de plus digne, et qu'elle ne
change pas d'objet, car ce serait un changement vers le pire, et une pareille
chose serait déjà un mouvement »40(*). Ainsi, le Premier moteur dont
il est question dans la pensée aristotélicienne correspond de
façon tangible aux caractéristiques d'un Absolu qui est, soit la
« substance permanente et intelligible dont procède toute
autre réalité intelligible ou sensible »41(*), soit
l' « acte initial qui engage le mouvement de
développement de tout ce qui existe »42(*). Il est donc évident
qu'il soit aussi « le premier des
êtres »43(*) comme l'affirme Aristote. C'est pourquoi il devient
le point de départ et le point d'aboutissement de toute connaissance et
de toute recherche. Ainsi, parmi les rôles que joue ce Premier moteur, le
plus éminent est celui de déterminer les autres substances et
leurs causes. Car, s'il y a une philosophie première dont l'objet est la
recherche du Principe premier, il y a également une philosophie seconde
qui déterminera à son tour les autres principes44(*). C'est celle qu'Aristote
reconnaît comme la Physique. A cet effet, M. Crubellier affirme lui aussi
que la « connaissance du premier terme de la série est
censée de contribuer à la connaissance des termes
suivants »45(*) ; de même, le Premier moteur en tant que
fondement de toutes choses, permet de les connaître.
En outre, l'étude du mouvement en général
et du Premier moteur en particulier a permis à Aristote et à ses
successeurs d'éviter la régression à l'infini. Puisque,
sans ce Principe premier, éternel et immobile, il y aurait
« principe de principe à
l'infini »46(*). Cependant, avec Plotin, la grande partie des
considérations de la métaphysique d'Aristote sera mise en cause.
En effet, Plotin tentera de dépasser la conception du Premier moteur en
proposant un autre principe, l'Un qui, pour lui, est au-delà de
l'intelligible et de l'intelligence (Pensée de la pensée)
d'Aristote.
CHAPITRE II : L'UN OU L'ABSOLU : LA DÉCOUVERTE DU
PRINCIPE PREMIER CHEZ PLOTIN
Après avoir exposé dans le premier chapitre la
théorie aristotélicienne du Premier moteur, nous voulons dans le
présent chapitre montrer en quoi consiste le dépassement de cette
théorie tel qu'il a été conçu par Plotin.
Néoplatonicien par excellence, Plotin était très
attaché à la pensée grecque. Il vivait en outre dans une
vie intensément mystique marquée en grande partie par des traits
du pythagorisme. Il semblait avoir honte d'être dans un corps. Il aurait
même déclaré dans les derniers moments de sa vie à
un ami, son disciple et médecin Eustochius : « Je suis
actuellement occupé à renvoyer à la divinité ce
qu'il y a en moi de divin »47(*). C'est pourquoi sa pensée a apporté un
élan mystique particulier dans l'histoire de la philosophie. L'une de
ses premières préoccupations philosophiques est de
découvrir le principe de toutes choses ainsi que leur fin
première. Mais, pour lui, la réalité véritable
reste une vie spirituelle unique qui part du monde sensible pour aboutir
à un principe premier. Mais, selon lui, ce principe ne peut non plus
rester en lui-même, il a plutôt besoin de s'étendre, allant
de l'indivisible, jusqu' à ses effets qui parviennent à leur tour
au dernier des êtres sensibles48(*).
En effet, tout l'univers lui apparaît comme une
série de trois formes de réalité (l'Un, l'Intellect divin
et l'Âme) connues sous le nom d'Hypostases et dont chacune
dépend hiérarchiquement de la précédente. Parmi ces
dernières, c'est l'Un qui nous intéresse car, étant
supérieur à toutes les autres, il se révèle comme
source absolue de toutes choses. Selon Plotin, l'Un engendre à la fois
l'Intellect divin et l'Âme. Pourtant, cet Intellect fait penser à
l'Idée platonicienne et à la "Pensée qui se
pense" d'Aristote. Mais alors, s'il en est ainsi, pourquoi Plotin va-t-il
encore postuler un autre principe au-delà de cet Intellect divin ?
Et, en quoi ce principe est-il premier ? Il est question pour nous de
présenter la nature de ce principe et son rôle dans la
connaissance ainsi que le rapport que Plotin établisse entre le monde
sensible et son principe premier qu'est l'Un ou le Bien.
II.1.
L'Un et son rôle dans la connaissance : l'ascension de l'âme vers
l'Un
Considérer l'Un comme principe premier chez Plotin nous
semble une entreprise d'une grande envergure, car ce principe tel qu'il a
été pensé par ce néoplatonicien parait d'abord
comme n'ayant pas de nature. Or, partant des autres réalités dont
il est principe, Plotin arrive à concevoir sa propre nature avant d'en
préciser son rôle. Pour lui, le Premier moteur proposé par
Aristote comme principe premier et cause de toutes choses ne correspond pas
à la nature même du principe puisqu'il s'avère
composé. Il faut plutôt trouver un autre principe qui soit une
réalité absolument première et simple. Plotin est donc
convaincu que c'est le Bien ou le premier principe qu'il faut trouver et
propose dans sa doctrine quelques moyens et méthodes pour y
arriver49(*). Mais de
quelle nature est-t-elle exactement cette réalité? Et quelle
est son importance vis-à-vis des autres formes de réalité,
mais surtout en ce qui concerne la connaissance de l'homme et celle du
monde ?
II.
1.1. La nature de l'Un
Dans la philosophie de Plotin, l'Un ou le
Bien comme premier principe n'est ni la totalité des êtres ni
l'intelligence ni l'être, car : « Le principe n'est
pas l'ensemble des êtres, mais tous les êtres viennent de
lui ; il n'est pas tous les êtres ; il n'est aucun d'eux, afin
qu'il puisse les engendrer tous ; il n'est pas une multiplicité,
afin d'être le principe de la
multiplicité »50(*). Ainsi, de part sa nature, il est
générateur de tout ce qui existe et en plus de cela,
« il faut qu'il soit principe et, par conséquent, qu'il
soit antérieur à toutes choses, afin que tout vienne après
lui »51(*).
Quoiqu'il ait du mal à nommer un tel principe et à le
reconnaître, Plotin précise cependant : « En
réalité aucun nom ne lui convient ; pourtant, puisqu'il faut
le nommer, il convient de l'appeler l'Un, mais non pas en ce sens qu'il soit
une chose qui a ensuite l'attribut de l'un. Il est d'ailleurs bien difficile de
le connaître de cette manière, et on le connaît mieux par
son produit qui est l'être »52(*).
C'est pourquoi, en décidant de le reconnaître
ainsi, Plotin pense que ce principe premier devra être d'une nature aussi
bien simple que séparé. Ces dernières
caractéristiques nous sont également connues à travers
Platon et Aristote. Par conséquent, comme l'affirmera L. Jerphagnon,
Plotin ne s'écarte pas radicalement de ces derniers : De la
conception de Platon, il lui reste l'idée selon laquelle
« la source du monde des Idées, c'est
l'Un-Bien »53(*), mais il se démarque pour ainsi dire de la
conception aristotélicienne selon laquelle le principe premier (le
Premier moteur ou l'Intellect divin) est considéré comme la
"Pensée qui se pense", puisque pour Plotin :
« L'être qui pense est double ; il se pense
lui-même ; il y a donc un défaut en lui parce son bien ne
consiste pas à exister, mais à penser »54(*). A cet effet,
l'originalité de Plotin est d'avoir fait de l'Un un principe puissant,
illimité, indépendant, bref, un principe qui est autarcique,
c'est-à-dire qui doit être nécessairement un et
autosuffisant55(*). Mais
pour mieux le concevoir, Plotin lui confère quelques exigences dont deux
principales sont la simplicité et la supériorité.
Concernant la simplicité de l'Un, il convient de
souligner avec Plotin que, contrairement à l'Intellect,
« si le Bien est simple et sans besoin, il n'a pas besoin de la
pensée »56(*). Et c'est justement « l'Un qui est
simple et qui est le principe de toutes choses »57(*), ajoute-t-il. C'est de
là que l'on aperçoit mieux l'identité que Plotin se permet
d'établir entre le Bien et l'Un comme le témoigne
également le titre de l'Ennéade VI 9 [9] "Sur le Bien ou
l'Un".
Quant à la supériorité de l'Un comme
principe premier, Plotin déclare que « rien ne doit
être avant lui »58(*). C'est pourquoi il doit demeurer le Premier et
être « identique, même si d'autres uns viennent de
lui »59(*).
Ainsi, il devient le « principe de l'être et
supérieur même à l'essence »60(*). Rappelons-nous
également que les termes être, essence et réalité
semblent signifier la même chose chez Plotin61(*). Conçu donc de cette
façon, l'Un ou le Bien plotinien devient en quelque sorte la
« la puissance productive de la vie sage et intellectuelle ;
de lui viennent la vie et l'intelligence, puisqu'il est principe de l'essence
et de l'être ; et il l'est parce qu'il est
Un... »62(*). Autrement dit, « il est la puissance
de tout »63(*) ; sans lui, aucune chose n'existerait.
A ces deux principales exigences de l'Un plotinien comme
premier principe, l'on pourrait volontiers ajouter une troisième comme
le précise Sylvain Roux lorsqu'il affirme :
« L'appeler principe, c'est donc le caractériser par
rapport à nous, c'est-à-dire par rapport aux choses dont il est
principe, et non le qualifier par ce qu'il est. C'est l'appréhender par
ses effets et non par sa nature »64(*). Par conséquent, la
troisième exigence qui n'est pas loin de deux autres
précédemment citées devient le rattachement de l'Un aux
choses dont il est principe. C'est de là également que Plotin le
fait un être supérieur et source de toutes choses, bref la cause
de ces choses. Cependant, pour mieux saisir la nature propre de l'Un par
rapport à d'autres hypostases, il a plu à Plotin d'emprunter une
analogie partant d'un double rapport entre la lumière et le
soleil, et entre le soleil et la lune : « On peut comparer
le Premier à la lumière, l'être qui vient après lui
au soleil, et le troisième à la lune qui reçoit sa
lumière du soleil »65(*). C'est donc cette lumière (premier principe ou
l'Un), bien qu'elle soit simple, « qui donne à
l'intelligence le pouvoir d'être ce qu'elle est »66(*).
En effet, pour Plotin, autant que l'Un est au-dessus de toutes
choses, autant il est au-delà de l'"Idée du Bien" de Platon et de
la "Pensée qui se pense" d'Aristote. Puisque, en tant que principe,
aucune chose ne peut lui être attribuée :
« Certes, ce principe n'est rien, rien de ce dont il est le
principe ; certes, rien ne peut être affirmé de lui, ni
l'être, ni la substance, ni la vie ; mais c'est qu'il est
supérieur à tout cela »67(*), cependant toutes choses
viennent de lui. C'est ainsi que pour Plotin l'Un reste toujours le principe
hautement absolu et simple, et il demeure pour ainsi dire un principe
absolument libre et indépendant de tout. A cet effet, Plotin affirme
aisément : « Seul l'Un doit être tel qu'il
n'ait besoin de lui-même ni d'autre chose. Il ne cherche aucune
assistance ni pour être, ni pour être bien, ni pour occuper sa
place ; étant cause d'autres choses, il ne tient pas d'elles son
être »68(*). Aussi, va-t-il affirmer que l'Un est
indépendant de toute pensée, car il n'a pas besoin de penser
puisque : « Avant de penser, il serait ignorant, et il
aurait besoin de pensée pour se connaître, lui qui se suffit
absolument à lui-même ! »69(*). C'est donc en remplissant
toutes ces conditions précédentes que l'Un devient pleinement le
principe premier et la cause première de tout ce qui pense et de tout ce
qui existe.
II.1.2. Le rôle de l'Un dans la connaissance
Après avoir situé le principe premier dans son
contexte conceptuel, il convient maintenant de préciser son importance
dans le processus de la connaissance. Un processus qui nous est souvent
donné dans les Ennéades sous forme d'une vie mystique,
puisque pour Plotin, cette vie consiste en une connaissance aussi mystique qui,
au regard d'E. Bréhier, est une « expérience claire
et vivante qui satisfait l'aspiration à l'unité,
c'est-à-dire l'aspiration fondamentale de la
raison »70(*). Mais, si le principe dans sa simplicité et sa
supériorité n'a rien besoin pour son existence, comment
participe-t-il à cette connaissance ?
Dans ses écrits, les Ennéades (ou
Traités), Plotin s'efforce de retrouver pour toutes choses ce
qui constitue leur principe premier ainsi que leur fin première. A ce
juste titre, il prétend abolir, mieux encore dépasser tous ses
prédécesseurs entre autres Platon, Aristote et les
Stoïciens. A lui seul, il est convaincu que la découverte du
principe de toutes choses est le but propre de toute recherche philosophique,
et en même temps l'accomplissement de la destinée de chaque
être. C'est pourquoi il pense que la connaissance de ce principe - qu'il
a appelé le Bien, l'Un ou le Premier - consiste à s'élever
graduellement vers ce principe.
En interprétant la pensée de Plotin, E.
Bréhier définit le néoplatonisme comme « une
méthode pour accéder à une réalité
intelligible et une construction ou description de cette
réalité »71(*). Il ne s'agit pas pour autant de pouvoir expliquer le
sensible comme certains pourraient l'imaginer, mais de « passer
d'une région où la connaissance et le bonheur sont impossibles
à une région où ils sont
possibles »72(*). Cependant, ce qui semble étonnant dans cette
entreprise néoplatonicienne, c'est que le principe recherché ne
connaît pas le sensible et tout ce qu'il renferme alors qu'il en est le
principe. Il faut au contraire que ce monde connaisse pour sa part la
réalité intelligible qui est son Bien suprême.
Pour y accéder, Plotin précise qu'il faut
nécessairement passer par l'Intellect qui est la toute première
réalité qui vient tout juste après le Bien et c'est de
là que procède également l'Âme. En effet, bien que
le problème de l'absolu semble moins important dans sa pensée, la
doctrine de Plotin est restée la description d'un dynamisme de
l'Âme dont la constitution dérive de sa conversion vers
l'unité de laquelle elle procède. C'est cette unité que
nous avons voulu de rendre compte puisque nous avons aperçu l'importance
d'un être un et simple qui garantit et fonde l'unité de tout
être. A cet effet, comme le commente J. Trouillard, la relation qui unit
chaque être au principe plotinien est le point central de la
préoccupation de Plotin, d'où sa tendance de rebâtir toute
son oeuvre à la relation dieu - homme73(*). Mais également, Plotin conçoit
l'Intellect comme étant la vraie image du Bien parce qu'il le pense et
en même temps il meut vers lui tout en le désirant. Ainsi, parce
que « penser c'est mouvoir vers le Bien et le
désirer »74(*), le désir engendre la
pensée et, puisque tout être désire le Bien, il se pense
lui-même. Voilà pourquoi Plotin avait réfuté la
théorie aristotélicienne du principe selon laquelle le Premier
moteur est considéré comme la "Pensée qui se
pense" comme nous l'avons si bien souligné auparavant (Cf.
II.1.1).
Toutefois, pour exprimer le rôle du principe qui ne
pense point chez Plotin, nous ne pouvons que reproduire ce commentaire de S.
Roux à propos :
Plotin renverse donc complètement la perspective
aristotélicienne. Ce n'est pas le Principe qui pense, qui tient sa
dignité et son excellence du fait de penser, mais c'est la pensée
qui a besoin d'un principe, parce qu'elle est, dans sa nature, recherche du
Principe. Il serait donc absurde de prétendre que le Bien (le Principe)
pense, car il faudrait qu'il y ait, au-dessus de lui, un principe, qui
justifierait qu'il pense, et l'on tomberait dans une régression à
l'infini. [...]. Le Principe ne peut pas penser, non par manque ou privation,
mais parce que cette absence est plutôt un signe de sa
supériorité : il n'y a pas de manque (ni de "plein")
dans le Principe. La plénitude de la pensée serait encore pour
lui synonyme de finitude. [...] le néant et l'absence d'activité
sont un signe de supériorité. L'Un est au-delà de la
pensée, il est plus et mieux qu'une pensée. Seuls les êtres
"inférieurs" ont quelque chose à accomplir, comme une tâche
à laquelle ils ne peuvent échapper et dont ils sont prisonniers.
Le Principe est libre de toute tâche et de toute nature : il n'est
même pas prisonnier d'une nature qui serait de penser, il n'a pas
à faire ce qu'il doit faire75(*).
Par conséquent, contrairement à Platon et
Aristote, le principe que Plotin découvre reste au-delà de toute
réalité et de toute connaissance. Aux vues de J.- Fr. Pradeau,
c'est « un principe ineffable, et absolument simple, cause de
toutes choses mais distinct d'elles, supérieur à elles mais
pourtant éternellement accessible à chacune
d'elles »76(*). C'est pourquoi, chez Plotin, le monopole de la
pensée est d'abord accordé à l'Intellect, puis à
l'âme du monde par laquelle le monde sensible participe à la
contemplation du monde intelligible. De ce fait, puisque l'Intellect ne peut
pas être pour un seul individu, il comprend toutes choses à la
fois, et certaines provenant de la contemplation ont pour fin la
connaissance.
Pourtant, pour sa part, Plotin pense que la véritable
connaissance c'est s'appliquer à la contemplation de l'univers et
à la communion avec le Principe suprême. Aussi, dans cette
contemplation, la connaissance du monde et la connaissance de soi
demeurent-elles indissociables. C'est pour cela que Plotin affirme :
En ce qui nous concerne, que nous exerçons une
certaine action dans l'univers ; non seulement nous subissons de la part
des autres tout ce que notre corps peut subir, mais, en outre, nous
introduisons dans l'univers l'autre partie de notre nature, qui est
l'âme. Nous sommes en contact avec chaque être extérieur par
l'élément qui, en nous, est du même genre que cet
être ; ainsi par nos âmes et par leurs dispositions nous
prenons contact ou plutôt nous avons contact avec la série des
êtres qui nous suivent dans la région des démons, et, avec
ceux qui sont au-delà d'eux. Il n'y a donc pas moyen qu'on ignore ce que
nous sommes77(*).
De tout ce qui précède, force est de constater
que pour accéder à la réalité intelligible, Plotin
part du fait que les Hypostases procèdent les unes
après les autres et que celles qui sont inférieures aspirent
toujours à s'unir à celles qui leur sont
supérieures jusqu'à l'unité plus parfaite. C'est ce que
précise E. Bréhier en ces termes : « Chez
Plotin, chaque hypostase n'est qu'une contraction, une unification toujours
plus haute que le monde, jusqu'à l'unité
absolue »78(*). C'est cette unité qui, bien que n'ayant
aucune forme en elle-même, produit et donne sens à toutes les
formes qui existent, car toute autre chose n'a de forme qu'en la contemplant.
Plotin lui-même le dit très bien : « C'est par
l'Un que tous les êtres ont l'existence, [...]. Quel être
existerait, s'il n'était un ? Séparés de
l'unité, les êtres n'existent pas »79(*). C'est à ce juste titre
qu'il faut que chaque chose, en vue de se retrouver elle-même tout en
recouvrant sa propre réalité, retrouve d'abord en soi la trace du
premier principe, absolu et ineffable, principe de l'unité parfaite.
II.2.
L'idée de l'existence du monde et son principe premier : Une
découverte mystique
Tout en recherchant à aboutir à un principe
universel, immuable et ineffable, Plotin s'est aussi préoccupé de
l'existence du monde sensible (ou de l'univers) dont les mouvements sont
régis par l'Âme universelle. Cependant, pour lui, c'est
l'Intellect qui gouverne véritablement cet univers, car l'Âme,
« est une image de l'intelligence [...], l'activité selon
laquelle l'intelligence émet la vie pour faire subsister les autres
êtres »80(*). Plotin conçoit pour ainsi dire que
l'Âme procède de l'Intellect et que de cette Âme
découlent des âmes individuelles. Elle a pour fonction une double
tâche à savoir : l'organisation ou l'ordre du monde sensible
ainsi que sa production.
Somme toute, la question que l'on peut se poser ici est de
savoir pourquoi, outre le principe universel qu'est l'Un, Plotin fait
intervenir d'autres hypostases pour pouvoir arriver à la conception de
l'existence du monde sensible. Rappelons tout simplement qu'en vertu de sa
nature, ce principe prôné par Plotin produit nécessairement
toutes les autres choses aussi bien intelligibles que sensibles par la
procession. C'est également de cette procession que le Bien
suprême engendre d'autres êtres de même nature que lui
même si ceux-là sont moindres par rapport à lui.
Parlant donc de la procession, E. Bréhier commente la
pensée de Plotin et affirme : « Le terme procession
indique [chez Plotin] la manière dont les formes de la
réalité dépendent les unes des autres ; l'idée
qu'il évoque est comparable par sa généralité et
son importance historique à l'idée actuelle
d'évolution »81(*). En outre, la procession se comprend chez Plotin
comme une vie permanente, allant du premier au dernier par une succession
d'engendrements et de conversions. De ce fait, chaque chose devient l'image de
ce qui est Premier, non pas parce qu'elle est première, mais seulement
parce que le Premier reste en toute chose pour lui donner l'existence. Il
revient donc à chaque chose de reconnaître ce Premier comme son
propre principe. Ainsi, si l'Un est Premier, l'Intellect est deuxième
dans la mesure où, dérivant de l'Un, il acquiert de ce Premier sa
noble nature d'être à la fois intelligence et
intelligible82(*) ;
et l'Âme devient troisième puisque s'arrachant de cette
dualité de l'Intellect, elle se temporalise et gouverne ce qui est
sensible. Mais une autre question qu'on peut se poser ici est de savoir comment
la doctrine sous-entendue de trois hypostases et celle de la procession
suffisent-elles pour expliquer l'origine du monde sensible.
En fait, par ces deux théories, c'est l'âme qui
engendre le monde sensible. Et l'on penserait ainsi que cette âme venant
d'en-haut par la procession et qui est à l'origine du monde sensible est
sujette au sensible. Mais ce n'est pas le cas car, même si elle est
productrice du monde sensible, l'Âme n'a rien de sensible en
elle-même. Par contre, son ascension vers le principe le dépouille
de tout ce qui est susceptible de troubler la pureté de sa nature.
Seulement, elle demeure l'intermédiaire entre ce qui est intelligible et
ce qui ne l'est pas. C'est pourquoi Plotin affirme :
Il y a deux natures, la nature intelligible et la nature
sensible ; il est mieux pour l'âme d'être dans l'intelligible,
mais il est nécessaire, avec la nature qu'elle a, qu'elle participe
à l'être sensible ; il ne faut pas s'irriter contre elle, si
elle n'est pas un être supérieur en toutes choses : c'est
qu'elle occupe dans les êtres un rang intermédiaire ; elle a
une portion d'elle-même qui est divine ; mais placée à
l'extrémité des êtres intelligibles et aux confins de la
nature sensible, elle lui donne quelque chose d'elle-même83(*).
Toutefois, la conception de l'existence du monde chez Plotin
est un dépassement de ce que pensaient les stoïciens à ce
sujet. Pour ces derniers, l'univers était conçu comme un
organisme vivant régi par une Raison universelle84(*). A leur suite, Plotin
conçoit le monde comme un être organisé et ordonné
et dont les parties aspirent par le biais de l'Âme universelle à
un seul principe qui constitue leur unité. A cet effet, il
déclare : « Cet univers est un animal unique qui
contient en lui tous les animaux ; il a une âme unique qui va dans
toutes ses parties, dans la mesure où les êtres qui sont en lui
sont ses parties ; or tout être dans toute la région sensible
est une partie de l'univers »85(*). Mais, son admiration à l'endroit des
Stoïciens va le pousser plus loin dans la mesure où lui se
préoccupe également de l'origine du monde. Ainsi, s'appuyant sur
la théorie de l'éternité du monde d'Aristote, Plotin pense
que le monde, bien qu'il soit dérivé de l'Intellect, est aussi
éternel, car le fait d'être engendré ne signifierait pas
avoir été commencé dans le temps, mais plutôt avoir
été dérivé86(*).
En effet, étant la pensée qui se pense,
l'Intellect ne peut sortir de lui-même pour produire et engendrer ce qui
est sensible comme le monde. Plotin pense plutôt qu'il revient à
l'intelligence dérivée, c'est-à-dire à l'Âme,
de produire le monde sensible. Ainsi, outre sa fonction organisatrice,
l'Âme acquiert selon Plotin la tâche de produire ce qui est
sensible. Mais, cette activité productrice de l'Âme ne peut
s'être réalisée qu'en fonction de la contemplation de ce
qui est au-delà d'elle. Ainsi, jouant d'intermédiaire entre
l'intelligible et le sensible, l'Âme demeure à leur limite,
puisque « les choses divines s'arrêtent à
l'âme »87(*). Pourtant, puisque toutes choses aspirent au Bien
suprême, l'Âme ne peut être le principe de ce monde sensible
même si elle en est la productrice. Pour Plotin, au contraire, le monde
sensible, n'existant pas pour lui-même, devient une apparence pour cette
Âme qui se reflète néanmoins en lui.
Ainsi, comme le souligne J. Laurent, « la
construction du monde [...] est l'oeuvre des réalités divines en
tant qu'elles sont associées et elles-mêmes unifiées.
L'âme procède de l'être [Intellect] qui se convertit
indéfectiblement vers l'Un »88(*). Il est donc clair que le
monde ne procède pas directement de l'Âme, mais celle-ci ne peut
l'engendrer qu'en contemplant l'Intellect dont elle procède. Pour ainsi
dire avec J. Moreau que ce monde ne résulte nullement de la perfection
de l'Âme, mais plutôt de son imperfection, car :
Aussi, ne pouvant étreindre son objet, le contenir
en elle, est-elle toujours inassouvie ; sa contemplation imparfaite se
traduit en désir d'engendrer. Mais elle n'engendre pas
d'elle-même, par une fécondité comparable à celle de
l'Un ou de l'Intellect ; elle engendre, au contraire, parce qu'elle est
insatisfaite ; comme elle ne réussit pas à contenir
l'intelligible, elle s'efforce d'en produire une image à sa
portée ; cette image, c'est le monde sensible. Mais elle n'engendre
qu'en vertu de son effort pour contempler l'intelligible89(*).
De ce fait, il n'existe, chez Plotin, aucun autre principe
premier en dehors de l'Un qu'il propose. Premier principe, il est aussi le
principe d'unité cosmique qui confère chaque chose à sa
place en fonction de la hiérarchie ou de la procession. Par cette
dernière, toutes choses participent ainsi à l'unité de
leur principe premier. Et comme l'affirme E. Bréhier, le moteur de cette
procession n'est rien d'autre qu'une vie spirituelle qui s'épand
continuellement, et c'est de là également que la conception
métaphysique de Plotin rejoigne son expérience intime de la vie
spirituelle90(*).
Enfin de compte, la démarche de Plotin à la
découverte d'un être ultime, un principe premier s'achève,
d'une part, dans une certaine critique très originale et personnelle
contre la conception aristotélicienne de l'Intellect divin, et d'autre
part, elle constitue un dépassement de la dualité d'un dyade
platonicien. Toutefois, comme nous l'avons déjà exposé au
début de ce chapitre, Plotin rencontre au cours de cette entreprise une
grande difficulté lorsqu'il veut nommer le principe retrouvé. En
fait, pour lui, ce principe n'est ni une chose ni un être susceptible
d'être pensé ou dit, il est plutôt indicible, ineffable et
inintelligible. Mais, comme principe, il faut qu'il soit non seulement
nommé, mais aussi que chaque chose chemine vers lui soit à partir
des choses d'ici-bas, soit à partir de l'Intellect.
Voilà donc pourquoi, en pensant l'existence du monde,
Plotin ne s'est jamais éloigné de sa théorie des
hypostases selon laquelle il aboutit également à la
découverte du premier principe. Et comme le témoigne le
Traité 10 (V, 1), Plotin ne prétend nullement exposer
des théories extrêmement nouvelles. En revanche, s'enracinant dans
la tradition grecque, surtout par la lecture commentée des oeuvres
platoniciennes, il élabore sa propre pensée. Son
originalité consiste essentiellement en une vision mystique dans la
mesure où sa réflexion se base sur l'âme et sa
destinée. Dès lors, n'agissant que par les sens pour engendrer le
monde sensible, l'âme doit également se purifier en vue de
redécouvrir aussitôt ce qu'il a de plus profond en
elle-même, c'est-à-dire sa parenté radicale avec
l'Intellect divin et l'Un universel.
CHAPITRE III : APPROCHE CRITIQUE :
ARISTOTE ET PLOTIN, LE TRIOMPHE DE LA PENSÉE ANTIQUE
Affirmer ou considérer Aristote et Plotin comme deux
figures triomphantes ou bien emblématiques de la pensée antique,
c'est d'abord affirmer que leur système philosophique constitue un vaste
ensemble de connaissances de cette grande époque. Il va sans dire, en
effet, qu'ils se sont efforcés de résoudre des problèmes
qui s'imposaient en procédant par une méthode savante et à
l'aide de leur observation ainsi que de leur raisonnement discursif. Mais, si
l'on ne tient compte que de Plotin, celui-ci a le mérite d'avoir
fusionné la doctrine de Platon à celle d'Aristote et d'avoir
allié à la doctrine de la Grèce antique l'idée de
la mystique orientale.
Par la critique d'Aristote, Plotin s'est beaucoup
montré fidèle à la pensée platonicienne. Il semble
commencer précisément sa propre pensée là où
Platon s'était arrêté. Ainsi, à l'instar de celui-ci
qui avait écrit à l'entrée de son école :
« Que nul n'entre ici s'il n'est
géomètre »91(*), Plotin, comme un éminent penseur et
interprète des doctrines qui lui sont antérieures, aurait
écrit : « Que nul n'entre s'il ne possède la
philosophie antique »92(*). Toutefois, sans nous attarder sur des faits
historiques, le présent chapitre veut mettre en évidence quelques
mérites, influences et considérations aussi bien convergentes que
divergentes des théories d'Aristote et de Plotin en ce qui concerne leur
recherche du premier principe.
III.1. Du monde physique au monde
intelligible
Qu'il s'agisse de la pensée d'Aristote ou de celle de
Plotin, on aperçoit dans leur entreprise un mouvement allant du monde
physique au monde intelligible. Cependant, les modes de raisonnement qu'ils
empruntent ne sont pas du tout les mêmes. Convaincu du fait que la fin de
toute quête philosophique est la connaissance des causes
premières, Aristote veut saisir la nature de cette connaissance. Ainsi,
partant des réalités sensibles, il établit la
théorie des quatre causes qui sont en quelque sorte des matériaux
lui permettant de postuler un être premier, cause et fin de toutes les
autres. Aristote pense que tout ce qui meut est mû par quelque chose qui
lui est supérieur dans l'ordre de la connaissance. Aussi constate-t-il
qu'on ne peut aller jusqu'à l'infini93(*). Il pose pour ainsi dire le Premier moteur.
Par ailleurs, Aristote met en cause la théorie
fondamentale de son maître qu'il accuse d'avoir séparé les
Idées et pense que le désir de connaître se
manifeste d'abord par le plaisir de la perception sensible. Pour lui, la vraie
connaissance n'est pas celle du particulier, plutôt celle de l'universel.
Par conséquent, c'est à partir des réalités
sensibles comme la matière qu'il arrive à poser une substance
pure, première et immobile comme principe de tout mouvement et de
l'intelligibilité de l'être. Mais en posant le problème de
l'être, Aristote n'a qu'un objectif : comprendre les
réalités intelligibles comme le Premier moteur à partir
des réalités du monde sensible. C'est ici que nous comprenons
mieux la démarche aristotélicienne qui consiste à remonter
des causes physiques pour parvenir à la cause première, immobile
et intelligible.
Quant à Plotin, issu de l'école d'Alexandrie, il
va placer l'Un au-dessus de toute détermination comme principe de toute
chose afin d'en faire sortir la multiplicité de l'univers. Mais il
pensait déterminer la perfection de ce principe en l'éloignant
des choses dont il est principe et en le séparant pour ainsi dire de cet
univers par deux autres intermédiaires intelligibles, l'Intellect divin
et l'Âme. Le principe dont il est question chez Plotin n'admet aucune
détermination particulière puisqu'en tant qu'un principe
absolument simple, il est hors même de toute connaissance94(*). Et comme le remarque
Bousquet, pour Plotin, « la connaissance n'est pas le dernier
bien, mais dépend d'un au-delà de l'être et de
l'intelligence »95(*). Pour poser ce qui est au-delà de toutes
choses, Plotin a dû emprunter deux voies essentielles comme le
précise M.- D. Philippe96(*) : La première est une voie
intérieure qui consiste en une conversion de l'Âme vers le
principe ; elle fait penser à l'expérience mystique, car de
cette conversion, l'Âme s'unit totalement à l'Un. La seconde voie
qui est extérieure a pour base l'admiration de la beauté, de la
grandeur et de l'ordre du monde ; elle fait ainsi penser à la
justification du discours sur l'Un comme l'affirmait déjà Plotin
en ces termes : « - Comment alors parler de lui ? -
Nous pouvons parler de lui, mais non pas l'exprimer lui-même. Nous
n'avons de lui ni connaissance ni pensée - [...]. Nous disons ce qu'il
n'est pas ; nous ne disons pas ce qu'il est. Nous parlerons de lui en
partant des choses qui lui sont inférieures »97(*). Toutefois, Plotin se
démarque largement de la théorie aristotélicienne de la
constitution du monde physique. Car, chez lui, c'est d'abord l'Âme qui,
éternellement, fait venir le monde à l'être, à
l'Intellect divin98(*), et
l'être dont il est question ici n'est pas seulement intelligible,
puisqu'existant sur le mode de ce qui peut être saisi par la raison
humaine, il devient également intelligence99(*).
Ayant donc retrouvé son principe ultime et sa nature
même, l'âme ne s'arrête par là, mais elle doit
toujours se diriger vers le principe. Ainsi, pour Plotin, tout comme pour
Platon, le vrai bonheur des âmes particulières consistera en un
éternel retour vers le principe. C'est de là qu'elles peuvent
devenir semblables à leur principe. Cette démarche allant du
sensible pour s'achever au principe ultime devient justement la fonction de la
philosophie en tant que projet de la quête de la vérité.
Force est de constater déjà que la même conception ainsi
que la même démarche se retrouvent également chez
Aristote100(*). Mais,
les considérations de Plotin constituent un dépassement de la
conception d'Aristote pour qui, le bonheur consiste en un seul mouvement.
Pourtant, chez Plotin, il y a nécessité pour une âme ayant
atteint son bonheur de redescendre pour exercer dans l'organisation de
l'univers physique101(*).
III.2. La perfection de la
connaissance dans la pensée d'Aristote
et de Plotin
Avec Aristote et Plotin, la pensée antique aboutit
à une certaine perfection voire une pertinence éclatante de la
connaissance philosophique. En effet, leur système de pensée
à permis de ressaisir et de développer davantage tout le projet
philosophique de l'Antiquité102(*). Avec Aristote, on est passé du
« polemos » et de la fluidité
d'Héraclite à la découverte du Premier moteur en tant que
principe unique et ultime de toute connaissance. Son désir de tout
savoir lui oblige de postuler non seulement à une position de
stabilité dans l'ordre de la connaissance, mais également celle
du connaissable : « Le suprême connaissable ce sont
les premiers principes et les premières causes car c'est grâce aux
principes et à partir des principes que tout le reste est connu, et non
pas inversement »103(*). Dès lors, il s'agit pour lui de remonter la
série des causes et des principes jusqu' à la cause suprême
et ultime qui les fonde.
L'on constate déjà que cette doctrine
aristotélicienne a constitué, dans le contexte qui est le sien,
un système de pensée solide et concret que la
postérité (le néoplatonisme et le thomisme surtout) s'en
servira pour mieux comprendre la réalité de l'univers physique et
intelligible. Cependant, Aristote ne se limite pas seulement à la
métaphysique et à la physique, mais sa pensée
philosophique comprend à la fois la logique, la biologie, la
psychologie, la cosmologie, la politique ainsi que l'éthique ou la
morale.
Au sujet de la pensée de Plotin, J. Laurent dans son
introduction à la Deuxième Ennéade affirme qu'elle
est « une synthèse qui suppose l'ensemble de la pensée
antique, mais qui a cependant une unité et une originalité
suffisantes pour être étudiée pour
elle-même »104(*). Par ailleurs, outre ses propres enseignements, la
doctrine de Plotin est élaborée à partir des doctrines de
son maître Platon repensées à la lumière des
concepts aristotéliciens. Dans ce sens, J. Brun remarque que :
« Plotin est pénétré des idées
d'Aristote, de celles des stoïciens et surtout de la pensée de
Platon, [...] il n'en demeure pas moins qu'il n'a pas subi ces influences mais
qu'il les a choisies et que les Ennéades constituent une oeuvre d'une
originalité et d'une importance indubitables »105(*). Cette pensée doit
être rangée parmi les plus importantes qu'a connues l'histoire de
la philosophie en générale et celle de la philosophie de la
Grèce antique en particulier. Elle s'y présente comme une
« description ou une élucidation d'un dynamisme : celui
de l'esprit, constitué par sa conversion vers l'unité, dont il
procède »106(*).
En montrant que l'Un est la réalité toute
première, suprême et absolue parce qu'il est la source de toute
chose, Plotin fait également de lui une réalité
supérieure aux formes qu'il engendre. En tant que principe, il impose
à la pensée discursive ces formes, leurs distinctions et leurs
catégories. Remarquons que cette façon de penser prépare
la voie à l'idéalisme de l'époque moderne après
avoir traversé les doctrines du Moyen Âge. Aussi faut-t-il
souligner que la doctrine plotinienne de l'Un se déploie à
travers la morale, la physique et la psychologie dans la mesure où elle
s'ouvre sur la définition de l'homme avant de s'achever sur cet Un comme
principe absolu. Parce qu'il est absolu, l'Un devient à la fois le point
de départ de toute connaissance et son point d'aboutissement, il exige
une conversion qualitative de toutes les facultés de la connaissance
humaine. Cette sagesse qui influence presque toute l'histoire de la philosophie
fait de Plotin le père du néoplatonisme. Même s'il puise
abondamment aux sources platonicienne et péripatéticienne, son
propre apport consiste en un dépassement de celles-ci sans toutefois les
trahir.
Il a su ressaisir, approfondir, fixer et interpréter
certaines intuitions admirables de la philosophie de la Grèce antique. A
cet effet, le nouveau courant philosophique qu'il initie - le
néoplatonisme - constitue, à travers les
Ennéades, une synthèse d'une importance capitale de la
pensée grecque. De cette manière, Plotin devient un
exégète éminent des philosophies anciennes. Mais un
rôle lui est attribué de façon particulière :
celui d'avoir imprégné d'un mysticisme cet intellectualisme. Par
ailleurs, on le qualifiera d'un « grand métaphysicien
parmi les philosophes anciens [...], le plus grand de tous ceux que
connaît l'histoire de la philosophie »107(*), puisqu'il est le fondateur
d'une métaphysique originale et intemporelle. Et c'est de telles
appréciations qui conduiront à faire de lui « le
vrai précurseur de l'idéalisme moderne »108(*).
III.3. Convergences et divergences
Bien que Plotin doive quelques considérations à
Aristote, il se démarque considérablement de lui. Si
déjà la métaphysique du Stagirite repose sur une vision du
monde selon laquelle le principe premier est un acte pur, la pensée qui
se pense et l'objet du désir, il invite ses interlocuteurs et ses
lecteurs à s'efforcer de devenir semblables à ce principe
moyennant la contemplation109(*). Au contraire, Plotin se déclare non comme un
détenteur d'une doctrine quelconque, mais comme un homme qui se veut
d'abord initiateur d'une vie nouvelle ou d'une activité d'un plus haut
degré de la vie110(*).
III.3.1. Les convergences
a)
L'objectif commun et la même source d'inspiration
Chez Aristote, tout comme chez Plotin, la recherche du premier
principe occupe une place privilégiée sous forme d'une
volonté commune de saisir la réalité aussi bien
intelligible que sensible. Ce principe ainsi découvert est unique et
premier dans la série des êtres. De lui dépendent toutes
choses et elles s'y rattachent nécessairement. Mais cette conception
n'est pas le monopole d'Aristote et de Plotin puisqu'elle était
déjà dans le projet de leurs prédécesseurs
notamment Platon. On comprend donc pourquoi ils tirent leurs propres
réflexions dans la pensée de Platon, soit pour s'y opposer, soit
pour prolonger ses positions. Ici, c'est Plotin qui, puisqu'il discute et
critique largement la conception d'Aristote, reste beaucoup fidèle
à la pensée de Platon, d'où l'école
néoplatonicienne dont il est l'initiateur.
b) La
transcendance du principe et l'idée du désir
S'il y a encore d'autres ressemblances dans l'entreprise de la
recherche du principe absolu chez Aristote et chez Plotin, c'est d'abord la
transcendance du principe par rapport aux choses qui dépendent de lui,
puis le désir qu'il suscite dans ces choses. En abordant donc le
problème de savoir comment les choses se rattachent à leur
principe, ils tirent des conclusions selon lesquelles l'exigence de ce principe
aboutit d'abord à la nécessité de poser sa
supériorité. Puis, puisqu'il est supérieur aux choses qui
dépendent et viennent de lui, le principe attire pour ainsi dire toutes
choses vers lui. Pour Aristote, séparé du monde qu'il contribue
à mettre en mouvement, le Premier moteur est cause de ce mouvement en
raison du désir qu'il suscite dans le monde111(*). Bien que la démarche
soit toute autre, Plotin n'affirme pas le contraire. D'une part, toutes les
choses tendent vers le principe, vers le Bien. Ce « Bien
lui-même ne doit viser à rien et ne rien
désirer »112(*) puisqu'il est le désirable par excellence.
D'autre part, du fait que toutes ces choses dépendent et viennent du
Bien ou de l'Un, ce dernier ne cesse de garder son caractère
transcendantal et il demeure omniprésent dans toutes choses.
Bref, chez Aristote tout comme chez Plotin, le principe absolu
dont il est question demeure supérieur à toutes choses et il
reste le principe de tout désir et de tout bonheur. En effet, ce
principe absolu est ce dont toutes choses désirent et cherchent à
rejoindre pour être vraiment ce qu'elles sont à la seule
différence que chez Plotin le principe doive être
nécessairement assimilé au générateur des
êtres qui le désirent puisqu'il les engendre tous. Il cesse donc
d'être seulement cause finale, mais il devient aussi une cause
émanatrice dans la mesure où ce qui est engendré devra
rester en contact avec son générateur.
III.3.2. Les divergences : Du principe intelligible au principe ineffable
L'une des grandes critiques que Plotin adresse à
Aristote, c'est d'avoir voulu tout dire et expliquer allant d'un principe
à un autre jusqu'au Premier moteur compris à la fois comme acte
pur et pensée qui se pense. Or, selon Plotin, il n'est de principe
absolu que ce qui est simple et autosuffisant. En effet, selon Plotin,
l'unité essentielle du principe premier est incompatible à l'acte
de penser car, en vertu de sa supériorité et de sa
simplicité, le principe n'a rien besoin pour son existence ; il se
suffit à lui-même113(*). Et, son caractère absolu l'oblige
d'être nécessairement ineffable, voire inintelligible. En tant
qu'une réalité toute simple, l'Un transcende toutes les autres
réalités. « Puisqu'il est donc au delà de
l'être, il est au-delà de l'acte, de l'intelligence de la
pensée. [...], c'est la chose à laquelle tout est suspendu, mais
qui n'est suspendu à rien ; il est ainsi la réalité
à laquelle tout aspire »114(*). C'est pourquoi il ne peut
ni être pensé, ni être dit, mais il s'impose à nous
comme un absolu ineffable115(*). Si Plotin parvient à le dire et le
désigner, c'est à partir des choses qu'il engendre et qui lui
sont inférieures116(*), c'est-à-dire à travers un discours
dit anagogique.
Somme toute, bien qu'elles ne fassent pas toujours
l'unanimité, les positions diversifiées d'Aristote et de Plotin
en matière de la recherche du premier principe restent riches en contenu
et donnent lieu de réaffirmer leur grande influence sur la
postérité philosophique.
CONCLUSION
L'étude de la recherche du premier principe dans la
pensée d'Aristote et de Plotin qui a été l'objet de notre
investigation tout au long de ce travail nous a permis de comprendre comment
l'unité provient-elle de la multiplicité. Notre travail se
voulait une analyse philosophique et comparative des points de vue d'Aristote
et ceux de Plotin au sujet de ce qui serait l'élément premier
dans l'ordre des choses. Ceci nous a conduit à la mise en relief des
motivations de Plotin qui ont accompagné sa critique du Premier moteur
d'Aristote dans la recherche du premier principe.
Dans un premier moment, nous nous sommes attardés
à expliciter la conception du Premier moteur d'Aristote. Avec lui, nous
constatons que c'est à partir de l'idée du mouvement qu'il faudra
poser l'existence d'un être premier qu'il nomme le "Premier
moteur" en vertu de son immobilité. Mais pour lui, cet être
premier dans l'ordre de la connaissance est non seulement une substance
immobile et éternelle, il est également une pensée qui ne
pense qu'à ses propres idées qui sont intelligibles. A cet effet,
ce Premier moteur devient une substance séparée du monde
sensible, mais il demeure nécessaire à toute la vie puisque le
bonheur de l'homme consiste à le contempler.
Dans la seconde partie, il a été question
d'étudier le premier principe chez Plotin qu'est l'Un. Dans ce chapitre,
l'accent est mis sur la critique plotinienne du Premier moteur d'Aristote.
Convaincu du fait que tout ce qui pense est déjà composé,
Plotin s'attaque à la "pensée qui se pense" d'Aristote.
Pour lui, il n'est de principe que ce qui est absolument simple,
c'est-à-dire ce qui n'a rien besoin pour sa propre existence. Et, pour
juger insuffisante cette théorie aristotélicienne du Premier
moteur, Plotin s'est inscrit dans une problématique de la procession du
multiple à partir d'un principe unique, simple et autosuffisant.
Contrairement à cette théorie d'Aristote, la recherche du
principe chez Plotin aboutit à un principe universel voire absolu,
puisqu'il est à la fois cause génératrice et finale, ce
dont tout provient et ce que tout désire. En plus, c'est en raison de
son indétermination qu'il est nécessairement origine de toutes
les réalités. Il les engendre toutes par l'intermédiaire
de deux réalités divines ou intelligibles que sont l'Intellect
divin et l'Âme.
Outre sa critique d'Aristote, Plotin s'attache au premier
principe en vue de ramener toutes choses vers l'unité. Il pense que le
meilleur moyen pour y parvenir reste le détachement de l'âme
à tout ce qui est susceptible d'être sensible. De même
qu'Aristote, Plotin propose pour ainsi dire la contemplation comme moyen
d'accéder au premier principe. Mais, chez lui, cette contemplation ne
consiste pas seulement en l'ascension de l'âme, mais beaucoup plus en un
éternel retour vers le principe. Plotin fait de cette contemplation le
but propre de l'activité philosophique comme découverte du
principe et l'accomplissement de la destinée de tout être.
La troisième partie de notre travail a consisté
en une appréciation critique de l'entreprise de nos deux auteurs. Il
s'agissait, d'une part, de faire ressortir des éléments
permettant d'affirmer la pertinence philosophique de leur système de
pensée et conduisant ainsi à leur influence vis-à-vis de
la postérité. Tout compte fait, il ressort que ce système
a contribué à mieux comprendre et à rendre intelligible
l'activité de la recherche du principe premier et unique, une recherche
initiée dès l'Antiquité grecque. D'autre part, nous avons
remarqué et présenté quelques points de convergences et de
divergences au sujet de cette recherche. Par conséquent, c'est ici que
nous apercevons non seulement le dépassement qu'opère Plotin par
rapport à Aristote, mais aussi comment la recherche d'un tel principe
s'est toujours imposée comme l'exigence de tout projet philosophique.
Enfin de compte, nous avons pu comprendre que le
dépassement du Premier moteur comme premier principe entrepris par
Plotin au cours de sa recherche de l'absolu a été une grande
rénovation dans le projet philosophique de la Grèce antique.
Toutefois, comme tout système de connaissance, la théorie de
Plotin a connu aussi ses difficultés qui témoignent qu'une telle
démarche ne peut se réduire à un système
dogmatique. La théorie plotinienne de l'Un comme principe unique et
premier ne saurait donc pas être exhaustive, elle reste plutôt une
recherche que la philosophie grecque a léguée à la
postérité.
BIBLIOGRAPHIE
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LALANDE A., Vocabulaire technique et critique de la
philosophie, Paris, PUF, 1999.
TABLES DE MATIERES
INTRODUCTION
1
CHAPITRE I : LE PREMIER MOTEUR : ARISTOTE
VERS L'ABSOLU
3
I.1. La notion du mouvement chez Aristote
3
I. 2. Le Premier moteur et son rôle dans la
philosophie première
5
I. 2.1. La nature du Premier moteur
5
I.2.2. La philosophie première comme
étude de l'Etre
7
I.2.3. Le rôle du premier moteur dans la
philosophie première
8
CHAPITRE II : L'UN OU L'ABSOLU : LA
DÉCOUVERTE DU PRINCIPE PREMIER CHEZ PLOTIN
10
II.1. L'Un et son rôle dans la connaissance :
l'ascension de l'âme vers l'Un
11
II. 1.1. La nature de l'Un
11
II.1.2. Le rôle de l'Un dans la
connaissance
14
II.2. L'idée de l'existence du monde et son
principe premier : Une découverte mystique
17
CHAPITRE III : APPROCHE CRITIQUE :
ARISTOTE ET PLOTIN, LE TRIOMPHE DE LA PENSÉE ANTIQUE
21
III.1. Du monde physique au monde intelligible
21
III.2. La perfection de la connaissance dans
la pensée d'Aristote et de Plotin
23
III.3. Convergences et divergences
25
III.3.1. Les convergences
25
III.3.2. Les divergences : Du principe
intelligible au principe ineffable
27
CONCLUSION
28
BIBLIOGRAPHIE
30
TABLES DE MATIERES
32
* 1 S. ROUX, La recherche du
principe chez Platon, Aristote et Plotin, Paris, Vrin, 2004.
* 2 L'une des questions
fondamentales de la métaphysique posée de façon
concrète au XVII ème par Leibniz. Elle fût aussi
le titre de l'oeuvre de Philippe Solal parue le 28 mai 2008 aux
éditions Aleas. Cette question demeure un noeud de problèmes
philosophiques ouverts et sa légitimité semble s'imposer avec
évidence alors qu'aucune réponse sensée ne peut être
apportée. (Cf.
http://www.philosophie.ens.fr, du
31 mai 2008).
* 3 Cf. HÉRACLITE, De
la nature, Frgt 50.
* 4 Rappelons-nous que les
stoïciens et les épicuriens viennent après Aristote et
Plotin. Mais avons-nous préféré de présenter leur
conception du monde avant celle d'Aristote et de Plotin dans le cadre de
montrer que la conception du monde ne s'arrête pas à eux. En
effet, la leur fait l'objet direct de notre travail.
* 5 Cette philosophie a
été considérée chez Aristote comme la
« science de l'Être en tant qu'Être »
ou la Métaphysique par un de ses commentateurs et traducteurs Andronicus
de Rhodes.
* 6 ARISTOTE,
Métaphysique Ë, 7, 1072 a, 24 -25.
* 7 Cf. J. MOREAU, Plotin
ou la gloire de la philosophie antique, Paris, Vrin, 1970, p. 13.
* 8 Cf. ARISTOTE,
Physique III, 1, 200 b 12 - 13.
* 9 Cf. ARISTOTE,
Métaphysique Ë, 2, 1069 b 20 - 24.
* 10 Ibid., 3, 1069 b
36 - 1070 a 4.
* 11 Cf. ARISTOTE, Physique
V, 1, 225 b 35 - 40
* 12 Cf. Ibid., III,
1.
* 13 ARISTOTE,
Métaphysique Ë, 2, 1069 b 6.
* 14 Cf. Ibid.,
Á, 3, 938 a 29 - 30.
* 15 Ibid.,
Ë, 2, 1069 b 14.
* 16 Cf. ARISTOTE, Physique
V, 1, 225 b 37.
* 17 Cf. ARISTOTE,
Métaphysique Ë, 6, 1071 b 8 - 11.
* 18 Ibid., 3 - 5.
* 19 Ibid., 2, 1069 b
15.
* 20 Ibid., 6, 1071 b
20.
* 21 Ibid., 19.
* 22 Ibid., 3, 1070 a
4.
* 23 Ibid., 1, 1069 a
30 - 33.
* 24 Ibid., 6, 1071 b
4.
* 25 Ibid., 7, 1072 b
3.
* 26 Ibid., 5 -
30.
* 27 Ibid., 1072 a 24
- 25.
* 28 Ibid., 6, 1071 b
6.
* 29 Cf. S. ROUX, Op.
cit., p. 143.
* 30 P. AUBENQUE in
Dictionnaires des philosophes, Paris, Albin Michel, 2001, p. 94.
* 31 ARISTOTE,
Métaphysique Ë, 10, 1076 a 4 - 5.
* 32 Ibid., 7, 1072 b
19.
* 33 Cf. Idem.
* 34 Cf. Ibid., 10 -
17.
* 35 Ibid., Ê,
3, 1060 b 31.
* 36 Ibid.,
A, 2, 982 a 9 - 10.
* 37 Ibid., 1, 982 a 2
- 3.
* 38 Ibid., 2, 982 b,
1 - 4.
* 39 P. AUBENQUE in
Dictionnaire des philosophes, Op. cit., p. 90.
* 40 ARISTOTE,
Métaphysique Ë, 9, 1074 b 26 - 28.
* 41 Encyclopédie
philosophique universelle : Les notions philosophiques. T. 1 &2.
Philosophie occidentale (Sous la dir. S. AUROUX), Paris, PUF, 1990, p.6.
* 42 Idem.
* 43 ARISTOTE,
Métaphysique Ë, 8, 1075 a 23.
* 44 Cf. S. ROUX, Op.
cit., p. 155.
* 45 Citée par
Idem.
* 46 ARISTOTE,
Métaphysique Ë, 10, 1075 b 26 - 27.
* 47 PORPHYRE, Vie de
Plotin, II, in PLOTIN, Ennéade. Trad. E. Bréhier,
Paris, Les Belles Lettres, 1924.
* 48 Cf. Enn. IV 8
[6], 6, 1 - 10.
* 49 Cf. Enn. I 3
[20], 1, 1 - 2, 1ss.
* 50 Enn. III 8 [30],
9, 40 - 44.
* 51 Enn. III 8 [30],
9, 51.
* 52 Enn. VI 9 [9], 5,
32 - 33.
* 53 L. JERPHAGNON,
Histoire de la pensée. Antiquité et Moyen Âge,
Paris, Tallandier, 1989, p. 283.
* 54 Enn. III 9 [13],
7, 4 - 5.
* 55 Cf. Enn. VI 9
[9], 6, 1 - 24.
* 56 Enn. V 6 [24], 4,
1.
* 57 Enn. VI 9 [9], 5,
26.
* 58 Enn. V 5 [32], 4,
16.
* 59 Enn. V 5
[32], 5,1.
* 60 Enn. V 5 [32],
11, 11.
* 61 Cf. Enn. V 5
[32], 5, 13 - 14.
* 62 Enn. V 5 [32],
10, 12 - 13.
* 63 Enn. III 8 [30],
10, 1.
* 64 S. ROUX, Op.
cit., p. 212.
* 65 Enn. V 6 [24], 4,
14 - 15.
* 66 Enn. V 6 [24], 4,
20.
* 67 Enn. III 8 [30],
10, 31 - 32.
* 68 Enn. VI 9 [9], 6,
25 - 28.
* 69 Enn. VI 9 [9], 6,
44 - 45.
* 70 E. BREHIER, La
philosophie de Plotin, Paris, Boivin, 1928, p. 167.
* 71 E. BREHIER, Histoire
de la philosophie, T. 1 : Antiquité et Moyen Age,
Paris, PUF, 1996, p. 397.
* 72 Idem.
* 73 J. TROUILLARD, La
purification plotinienne, Paris, PUF, 1955, p. 58.
* 74 E. BREHIER, La
philosophie de Plotin, Op. cit., p. 44.
* 75 S. ROUX, Op.
cit., pp. 238 - 239.
* 76 J.- Fr., PRADEAU,
L'imitation du principe. Plotin et la participation, Paris, Vrin,
2003, p. 13.
* 77Enn. IV 4 [28]),
45, 11 - 18.
* 78 E. BREHIER, Histoire
de la philosophie, Op. cit., p. 407.
* 79 Enn. VI 9 [9], 1,
1 - 3.
* 80 Enn. V 1 [10], 3,
7 - 9.
* 81 E. BREHIER, La
philosophie de Plotin, Op. cit., p. 35.
* 82 Enn. V 6 [24], 4,
20.
* 83 Enn. IV 8 [6], 7,
1 - 7.
* 84 Cf. E. BREHIER,
Histoire de la philosophie, Op. cit., pp. 253 - 293.
* 85 Enn. IV 4 [28],
32, 4 - 8.
* 86 Cf. Enn. III 2
[47], 1, 20 - 45.
* 87 Enn. V 1 [10], 7,
45.
* 88 J. LAURENT, Les
fondements de la nature dans la pensée de Plotin : Procession et
participation, Paris, Vrin, 1992, p. 12.
* 89 J. MOREAU, Op.
cit., pp. 113 - 114.
* 90 E. BREHIER, La
philosophie de Plotin, Op. cit., p. 44.
* 91 Chez Platon, l'importance
de la géométrie est mieux définie dans la
République VII, 526 e - 527 c.
* 92 Expression souvent
employée par Plotin, notamment en combattant les Gnostiques (Cf.
Enn. II 9 [33], 6) et par laquelle il désigne surtout
l'ensemble des doctrines grecques.
* 93 ARISTOTE,
Métaphysique Ë, 3, 1069 b - 1070 a 4.
* 94 Cf. J. TROUILLARD,
« La philosophie de l'Un » in Dictionnaire de la
philosophie, Paris, A. Michel, 2000, pp. 1874 - 1880.
* 95 Fr. BOUSQUET, L'esprit
de Plotin : l'itinéraire de l'âme ers Dieu,
Québec, Naaman, 1976, p. 20.
* 96 Cf. M. -D. PHILIPPE,
De l'être à Dieu, Paris, Téqui, 1977, pp. 180 -
195.
* 97 Enn. V 3 [49],
14, 1 - 7.
* 98 Cf. Enn. IV 8
[6].
* 99 Cf. Enn. V 5
[32], 4.
* 100 Cf. ARISTOTE,
Ethique à Nicomaque, X, 7, 1177 b 26 - 1178 a 3.
* 101 Cf. J. LAURENT, Op.
cit., p. 12.
* 102 Cf. S. ROUX, Op.
cit., pp. 323 - 327.
* 103 ARISTOTE,
Métaphysique A, 2, 981 b - 982 a 4.
* 104 PLOTIN,
Deuxième Ennéade. Trad. d'E. Bréhier, Introduction et
notes de J. Laurent, Paris, Les Belles Lettres, 2002, p. VIII
* 105 J. BRUN, Le
néoplatonisme, Paris, PUF, Coll. Que sais-je ?, 1988, p. 10.
* 106 Fr. BOUSQUET, Op.
cit., p. 19.
* 107 M. (De) GANDILLAC,
La sagesse de Plotin, Paris, Hachette, 1952, p. X.
* 108 Idem.
* 109 Cf. S. ROUX, Op.
cit., pp. 187 - 189.
* 110 Cf. Enn. IV 8
[6], 1, 1 - 10.
* 111 Cf. ARISTOTE,
Métaphysique Ë, 8, 1073 a - 1073 b 17.
* 112 Enn. I 7 [54],
1, 13.
* 113 Cf. Enn. V 3
[49], 13, 15 - 20.
* 114 Enn. I 7 [54],
1, 19 - 21.
* 115 Cf. Enn. V 3
[49], 13, 1.
* 116 Cf. Enn. V 3
[49], 14, 1 - 7.