Valentin Boragno
M1 Lettres modernes
Mémoire dirigé par Mme Catherine Brun
Université Paris III
La scatologie dans la trilogie beckettienne
Juin 2006
Introduction. LA FLEUR ET LE FUMIER
D'abord il y a la matière. Un cliché
littéraire voudrait que par la médiation de l'artiste la
matière ignoble pût se transformer en matière noble, comme
la fleur naît du fumier. Nombreux furent les écrivains
attirés par la laideur de l'excrément. La théorie
littéraire de Proust fait appel à une métaphore qui
convoque cette figure répugnante: "L'écrivain, vois-tu, est une
étrange abeille qui tire indifféremment son miel, des fleurs et
des excréments. Ce qui compte seul est la qualité du miel." dit
Proust. 1(*) C'est pourquoi
comme le note Gury, "La Recherche décline tous les cas de
figure du caca2(*)". Cette
image présuppose un schéma dialectique ascensionnel de la
création littéraire. L'écrivain est celui qui
réussit à élever l'esprit à partir de la
matière, à passer du bas au haut. L'excrément est alors
l'objet du défi majeur relevé par un écrivain alchimiste:
comment faire une oeuvre avec de la merde ? C'est la premier point commun
entre l'excrément et la littérature: sa
matérialité, la merde.
Et puis il y a le verbe, l'acte-même qui n'est pas merde
mais qui est "chier". On chie des histoires, on est pris de diarrhées
verbales, de « dysenterie de paroles » comme disait
Goncourt. La merde alors acquiert un statut différent. Elle devient le
résultat d'une production interne, et acquiert par là-même
une valeur, proche de la perle ou du nouveau né. Le même Goncourt
dit de Huysmans qu'il écrit par "petites chiades". Une lettre de la
mère de Marcel Proust à son fils pourrait emblématiser
cette figure. Proust aimait écrire aux toilettes pendant qu'il chiait.
Pour l'inciter à venir dans une maison de vacances, elle fait valoir ce
double argument : "T'ai-je dit que nous avons ici des closets avec planche
à écrire comme ceux de la maison - mais ce qu'ils ont de plus
c'est la lumière électrique s'allumant pour éclairer nos
oeuvres et s'éteignant après."3(*) "Eclairer nos oeuvres", le texte et la merde. Pas pour
dire que le texte est bon à mettre aux cabinets, mais pour dire
finalement que la merde est semblable à ce qui est mis en vers, qu'elle
est aussi une oeuvre. La merde dans cette comparaison ne contamine pas le
texte, elle est embellie par lui. C'est la conception noble de la scatologie,
qui est d'essence paradoxale, voire carnavalesque. Le bas se renverse avec le
haut, grâce à un mouvement unique , qui est celui de la
production. Il est le dénominateur commun aux comparant et
comparé. Et finalement l'objet disparaît derrière le
mouvement-même, la matière disparaît derrière le
verbe. C'est une scatologie joyeuse et positive. A la rigueur, plus on chie,
plus l'on est riche de perles.
Telles ne sont pas les scatologies de Beckett. Molloy a des
abeilles, mais elle meurent et leur miel est désséché :
"On les avait laissées dehors tout l'hiver, on avait enlevé leur
miel, on ne leur avait pas donné de sucre."4(*) Mahood a des roses, mais elles
ne s'éloignent pas de la matière ignoble. Elles lui poussent sous
le cul. Parmi les roses, il reste dans la merde : "On m'a parlé de
roses. Je finirai par en sentir, c'est comme ça que ça se passe.
Ensuite, ils mettront l'accent sur les épines. Quelle prodigieuse
variété. Celles-ci il va falloir qu'on vienne me les enfoncer,
comme à ce pauvre Jésus. Non, moi je n'ai besoin de personne,
elles se mettront à me pousser sous le cul, toutes seules, un jour que
j'aurais l'impression de planer au-dessus de ma condition. Une jatte
d'épines, et l'air embaumé. Mais n'anticipons pas. Je laisse
encore à désirer, je n'ai aucun métier, aucun. Tenez, je
ne sais pas encore me déplacer, ni localement, par rapport à moi,
ni globalement, par rapport à la merde."5(*) Ces roses poussent « toutes
seules », comme par un passage obligé littéraire, mais
en aucun cas de manière naturel. Elles ne proviennent pas d'une
métamorphose. Le fumier ne fait rien pousser, il ne fait que
décomposer le chapeau de Macmann: "Et elle [Moll] reparut peu de temps
après, tenant du bout des doigts le chapeau en question, qu'elle avait
été chercher peut-être dans dans le tas d'ordures au fond
du jardin, car tout savoir demande trop de temps, car frangé de fumier
il avait l'air en pleine décomposition." (p.141, Malone meurt).
Roses et fumier n'ont rien à voir. Le cycle de la matière est
comme bloqué.
L'évacuation ne suffit pas à produire des
"oeuvres". Bien plus, si l'on file la métaphore littéraire de la
création scatologico-artistique, l'artiste ne produit jamais
réellement d'oeuvres. Il ne fait qu'éliminer, éliminer des
scories qui ne sont pas lui, qui l'empêchent d'accéder à
une pureté. C'est là une scatologie négative. Plus on
chie, en quelque sorte, moins on est pauvre. Plus on écrit, plus on
s'est débarrassé. Mais aucune de ces oeuvres ne se suffit
à elle-même. Il ne faut alors garder toute la répugnance
primaire que suscite l'excrément. Là seulement, cette chose est
réellement sale, ignoble, et jamais valorisée au contact de cette
comparaison. "Chier des histoires", c'est réellement faire de la merde,
dégoûtante, dont l'auteur ne souhaite surtout pas qu'elles
plaisent. La convocation régulière de la merde permet ainsi de
dessiner un tableau réellement "négatif", de l'être, de
l'homme, et de la littérature.
1. BECKETT PURISTE
L'année de la parution de l'Innommable, un philosophe
s'est intéressé au problème de la scatologie. Il s'agit de
Gaston Bachelard. Une approche comparative de sa scatologie et de celle de
Beckett permettra d'entrer en contact ave cette dernière. Il n'y a pas
chez Beckett de valeur de la transformation ou de la
regénération. Le cliché de la fleur et du fumier est
considéré comme l'emblème de la valeur chez Bachelard.
"L'antithèse de la fleur et du fumier est agissante aussi bien dans le
règne des images que dans le règne des idées. En fait
c'est la preuve que nous touchons à des images
premières."6(*) Ces
images premières puisent leur force dans leur dynamisme matériel.
La thèse bachelardienne présuppose une énergie de la
matière, une sorte de vie des choses. Elle a certes l'attrait de casser
les systèmes, rigides, imputés aux philosophes et aux critiques
présomptueux, pour valoriser les détails matériels des
choses aussi bien que du texte. Il faut s'intéresser au singulier et au
petit. "Dès qu'on accepte ces images de valorisation ambivalente, mille
petites notations perdues dans des textes sincères prennent
vie."7(*) Ecrit en 1949, le
texte de Bachelard recoupe certains aspects de la révolte
littéraire becketienne.
1.1. CHIER SUR LA PENSEE, chier sur les
clichés
Beckett brandit la merde comme Bachelard brandit ces
matières molles pour assouplir les idées "dures". Les
systèmes sont des préjugés qui polluent l'esprit de
l'écrivain. La merde, ou l'interjection "merde", s'oppose aux
pensées binaires: "Les oui et les non c'est autre chose, ils me
reviendront à mesure que je progresserai, et la façon de chier
dessus, tôt ou tard, comme un oiseau, sans en oublier un seul.8(*)». La merde supposée
de l'oiseau rappelle les paroles du perroquet de Jackson « Ces trois
premiers mots (nihil in intellectu), l'oiseau les prononçait bien, mais
la célèbre restriction ne passait pas, on n'entendait que couah
couah couah.9(*) »
La reprise parodique de la formulation d'Aristote traduite par Thomas "Nihil in
intellectu nisi quod prius fuerit in sensu" [Il n'est rien dans l'intellect qui
ne soit passé auparavant par les sens.], tronquée en
« nihil in intellectu », soit « rien dans la
tête », traduit ce refus de la pensée et ce
dégoût pour les maximes et "les oui et les non". Ces oui et ces
non constituent l'esprit de système dénoncé par
L'Innommable qui désire le balayer : "Ce qu'il faut
éviter, je ne sais pourquoi, c'est l'esprit de système. Gens avec
choses, gens sans choses, choses sans gens, peu importe, je compte pouvoir
balayer tout ça en très peu de temps."10(*) Et cette affirmation est une
des rares qu'on puisse tenir pour dénuée d'ironie. Beckett chie
réellement, c'est-à-dire agressivement, sur ce qu'il appelle la
"pensée": "achevons notre pensée avant de chier dessus. Car si je
suis Mahood, je suis Worm aussi. Plof. Ou si je ne suis pas encore Worm, je le
serai, en n'étant plus Mahood. Plof."11(*) Non que ces textes soient dénuées de
sens, et qu'ils cherchent avant tout l'absurde. Chier sur la pensée,
c'est plutôt chier sur les clichés, sur ce qui a été
déjà pensé, sur les mises en abîme
éculées de la figure de l'écrivain qui avoue les
fondements autobiographiques de ses personnages, sur les discours
éculés sur la perte d'identité, sur la
réversibilité des identités. Tout ce enfin qui manque de
naturel.
Beckett doit sentir poindre dans son dos la figure scolaire,
académique, conformiste, du professeur qu'il était, ou, pire,
celle des "khâgneux" qu'il a fréquentés. Beckett chie sur
ses propres paroles quand il les sent émaner de la bouche du sens
commun, même cultivé, sur ces "propos de khâgneux": "Oui
maintenant que que j'ai oublié qui est Worm, comment il est, où
il est, ce qu'il fait, je vais me mettre à l'être. Tout
plutôt que ces propos de khâgneux."12(*) "Se mettre à l'être", Mahood
évoque-t-il ici la partie obligée sur "l'être et
l'existence" des dissertations khâgneuses, ou bien pense-t-il, lui,
devenir Worm, auquel cas il ne ferait que répéter ses propos du
passage précédent, et désespéremment tourner en
rond ? Il ne fait que recracher les "cours sur l'amour, sur l'intelligence
précieux, précieux" et qui ont contribué au "bourrage de
crâne"13(*). A
plusieurs reprises le personnage narrateur se moque de sa propre
stupidité déguisée sous l'attitude de pensée.
Mahood adopte la fausse posture du penseur lorsqu'il s'auto-glorifie : "comme
je raisonne bien"14(*). La
pensée n'est qu'une suggestion de passe-temps parmi tant d'autres: "Si
je réfléchissais, en attendant qu'il se produise quelque chose
d'intelligible ? Allons une fois n'est pas coutume."15(*) Bref, il y a ce désir
de s'éloigner d'une métaphysique de café-philo, et de
chier dessus. La haine du scolaire se dirige aussi contre l'institution
littéraire conservatrice telle que la critique littétaire du
Times: "Et pendant l'hiver je l'enveloppais sous mon manteau, de
bandelettes de papier journal, et je ne m'en dépouillais qu'au
réveil de la terre, le vrai, en avril. Le Supplément
littéraire du Times était excellent à cet effet, d'une
solidité et non-porosité à toute épreuve car les
pets ne le déchiraient pas." 16(*)
Cet aspect anti-khâgneux semble parfois
négligé par la critique beckettiennne qui insiste beaucoup sur la
force conceptuelle du discours beckettien quitte à en faire un
métaphysicien. Armé d'un lourd jargon, Thomas Trezise par
exemple, ne s'expose-t-il pas aux chiades post-mortem d'un Beckett trahi
lorsqu'il peut formuler: "L'origine de la trilogie, la temporalité de la
signification, dépossède le temps historique de la
première personne, et repose sur l'impersonnalité
pré-originaire de la première personne elle-même."17(*) A cet égard, Beckett
semble rejoindre Bachelard dans sa volonté de rénover le langage,
dans une visée poétique, vers une métaphysique plus
"naturelle". "Un peu de métaphysique nous éloigne de la nature,
beaucoup de métaphysique nous en rapproche."18(*) Car se rapprocher de la
nature c'est forcément accepter de surmonter nos dégoûts et
d'aller vers des objets qui, pour repoussants qu'ils puissent paraître,
ont, malgré tout, une valeur: "la précarité est un des
caractères fondamentaux des valeurs... Toute valeur littéraire
peut alors être rejetée par un censeur délicat avec des
mines de dégoût... Toute valeur côtoie son
anti-valeur... » 19(*).
1.2. MAIA, MERDE : chier sur la vie
Il y a donc chez Beckett ce côté Bachelardien de
l'anti-conformisme assumé, de la haine de la pensée
systématique et du cliché. Et la scatologie remplit cette
fonction à la fois provocatrice et corrosive de rejet du
déjà-lu et d'aspiration à la nouveauté. Mais
Beckett et Bachelard pour avoir un ennemi visiblement proche, en ont-ils pour
autant un combat identique ? Beckett veut-il se rapprocher de cette nature
aristotélicienne, qui est celle du principe dynamique qui fait venir
à l'être ?
Il y a aussi des aspects rigoureusement anti-bachelardiens
chez Beckett. Certes, il hait le passé et le rigide, mais ce n'est que
pour mieux haïr la transformation, la nouveauté et la
énération. Beckett hait réellement la merde, et la terre.
Celles-ci ne proposent pas de nouvelles valeurs. Il y a déconstruction,
mais sans reconstruction. Chier sur la pensée, c'est aussi, et
peut-être même dans une plus large mesure, renoncer à la
nouveauté intellectuelle, à la pensée vive, et pas
uniquement à la pensée morte. Beckett leur dit aussi "merde"
à ces figures topiques du renouveau émanant de la
création, qu'il s'agisse de l'amour d'où naît la vie: "Et
si je me raconte, et puis l'autre qui est mon petit, et que je mangerai comme
j'ai mangé les autres, c'est comme toujours par besoin d'amour, merde
alors, je ne m'attendais pas à ça, d'homoncule, je ne peux
m'arrêter."20(*)
qu'il s'agisse du mois favori de l'amour et de la reverdie: "...je me crois
parvenu à ce qu'on appelle le mois de mai, je ne sais pourquoi, je veux
dire pourquoi je m'y crois parvenu, car mai vient de Maia, merde, ça
aussi je l'ai retenu déesse de la croissance et de l'abondance, oui, je
me crois arrivé dans la saison de la croissance et de
l'abondance..."21(*) Ici
le "merde" placé en apposition à Maia suggère ou bien une
parodie de définition étymologique, ou bien une interjection de
dégoût à la pensée de cete déesse de la
croissance. La fille du géant Atlas, figure tellurique, reste empreinte
de son origine matérielle. Elle échappe elle aussi à la
dialectique de la fleur et du fumier. Qu'il s'agisse enfin, de la
transformation intérieure du "moi", de l'éclosion
intérieure. Le "devenir soi" qui est le projet-même de
l'existentialisme est lui aussi l'objet d'une malédiction scatologique:
"Oyez, oyez, j'étais comme eux, avant d'être comme moi, merde
alors, voilà une vacherie dont je ne reviendrais pas de sitôt,
c'est bon, c'est bon, l'assaut est donné, debout le mort aux fourches
spermatozoïdes."22(*)
Amour, devenir et génération n'apportent rien de nouveau.
La haine de la pensée morte n'a pas chez Beckett les
mêmes causes que chez Bachelard. En puriste, Beckett affirme
l'impossibilité de penser l'être: "Le premier scrupule du
philosophe qui invite à méditer sur le Pur et l'Impur consiste
à demanteler l'incompatibilité de l'être et de la
conscience d'être. »23(*) Comme chez Aristote, le mouvement ne vaut rien par
rapport à l'acte qu'il vise. L'ultime réalité est le vide,
le silence, dont par définition on ne peut pas parler: "Le silence, un
mot sous le silence, ça c'est le pire, parler du silence..." 24(*)
1.3. Purisme
Le vide est satisfaisant. C'est la profusion qui est
dégoutante, ainsi que son évacuation-même. Il faut balayer
toute menace de pollution, notamment l'espoir, ces "enfantins espoirs" qui
viennent polluer le vide: "Oui, je les laissais croître et s'amonceler en
moi, briller et s'orner de mille détails charmants, et puis je les
balayais d'un grand coup de balai dégoûté, je m'en
nettoyais et je regardais avec satisfaction le vide qu'ils allaient polluer."
25(*)
- L'INDIFFERENCE
Les personnages de Beckett ne sont pas abouliques. Ils
voudraient bien l'être mais ils ne le sont pas. Ils veulent quelque
chose. Malone veut le naufrage qu'il n'obtiendra jamais: "Je veux être
là un peu avant le plongeon, rabattre sur moi une dernière fois
la chère vieille écoutille, dire adieu aux soutes où j'ai
vécu, sombrer avec mon refuge."26(*). Ce grand plongeon n'est jamais loin de lui, il
demeure suspendu comme un "au-delà", par dessus le mouvement des mots et
des images. Cet au-delà, c'est l'indifférence: "Mots et images
tourbillonnent dans ma tête, surgissent inépuisables et se
poursuivent, se fondent, se déchirent. Mais au-delà de ce tumulte
le calme est grand, et l'indifférence." 27(*) Certes, Dieu semble mort chez Beckett. Mais il y a
bien un au-delà qui persiste, un au-delà parfait , immobile, et
pur, au-delà du temps et au-delà de l'espace.
- Le temps
Il ne s'agit donc pas de retrouver le temps, comme chez
Proust, et par suite l'espace, mais de l'abolir. Ce qu'aime Beckett chez
Proust, c'est la pulvérisation de l'être par le temps, le vide qui
en découle. Beckett lit la Recherche comme un champ de
ruine"28(*): "le temps
n'est pas retrouvé, il est aboli"29(*) "Son matériau pulvérisé par le
temps, oblitéré par l'habitude, mutilé par les rouages de
la mémoire, il le communique comme il peut par miettes et par
débris."30(*)
Précisément, chez Beckett, si le temps persiste, en miettes,
insatisfaisant, et insuffisant, c'est que Dieu n'est pas tout à fait
mort, et que Lui aussi est passé aux rouages des cycles terrestres de la
génération et de la destruction. Le temps reste et s'affirme,
dans toute sa saleté, parce que Worm garde l'image,
altérée elle aussi, d'un Dieu : "Il commençait à
lui trottiner la notion de temps, à Worm, dans sa caboche
grinçante, devant ce ponctuel débris de l'image de
l'éternel, qu'il n'y aurait rien à redire."31(*). Pas étonnant aussi que
ce dieu soit "évacué" comme le reste, au même titre que les
"saloperies" qui hantent l'esprit du narrateur. Il ne faut donc pas dramatiser
le désespoir beckettien qui est certes total: "Sinon ce serait à
désespérer de tout. Mais c'est à désespérer
de tout."32(*), pas plus
qu'il ne faut le dévaloriser. Seul le désespoir permet d'affirmer
la valeur du vide parfait, et du néant. D'autre part il ne faut pas
à l'inverse, valoriser les tentatives d'évacuation de la
matière impure en ce monde. Celle-ci reste impure. Beckett n'aime pas la
merde. C'est justement parce qu'il ne l'aime pas qu'il la compare au monde,
à l'homme et à l'écriture.
- Le vide
Le vide n'est pas forcément "absurdité" ou
"désespoir", comme le note R.N. Coe dans son Beckett : "Par
élimination progressive de ce qui est, il devient possible de deviner
l'ultime réalité, qui précisément n'est
pas."33(*)
L'évacuation de l'être s'apparente au processus bouddhiste ou
taoïste du "zen", qui est amour du néant. Telle est la thèse
reprise par Paul Foster dans Beckett and Zen.34(*) A cette différence
près qu'il n'y a pas chez Beckett de satisfaction de
l'évacuation. Elle ne se suffit pas à elle-même. Pour les
Chinois, comme chez les agriculteurs d'antan, l'"excrétion" est
affublée d'une valeur positive.35(*) Lao-Tseu parle souvent de "Voie", de chemin, de
trajet. Ici, le trajet se fait dans la douleur, parce qu'il ne fait qu'affirmer
la présence de ce qui est et l'impossibilité de ce qui n'est pas.
L'amour du néant beckettien n'est jamais comblé.
En cela, Beckett est davantage un "puriste", au sens que lui
donne Vladimir Jankélévitch, qu'un taoïste. Ne serait-ce que
parce qu'il écrit, il ne peut pas ou ne veut pas accèder au
"nirvana" du silence et de l'indifférence. Le puriste ne peut vivre sa
purification que dans la douleur. "Le purisme déprécie la
purification puisqu'il implique la préexistence d'une pureté
originaire et prénatale qu'il s'agit simplement de rétablir. Ce
qui importe n'est donc pas le processus purifiant ni la
réintégration elle-même, mais l'intégrité
initiale à restaurer."36(*)
- Beckett puriste
Au contraire, il y a de l'être et de là
naît le problème. Ce qu'on appelle l'absurde, n'est pas la
désertion de l'être dans l'étant, pour paraphraser
Heidegger. C'est au contraire la permanence de ce même être qui
fait prendre conscience de l'absurde: "Pourquoi y a-t-il de l'être et non
pas plutot rien?" est la vraie question de l'absurde. C'est l'être qui
pose problème, et qui fait souffrir. Ce sont les choses
matérielles qui sont là: les "absurdes lumières"37(*), l'"absurdité d'un
jardin sans roses"38(*).
Mais c'est aussi les mouvements incompréhensibles du narrateur, "ses
absurdes tribulations"39(*). Et c'est enfin, sa présence même qui ne
se démontre que par l'absurde, c'est-à-dire par
l'impossibilité du non-être dans un monde qui est : "par l'absurde
me convaincre d'être"40(*). Bref, le véritable mystère n'est pas
ce qui est autour de lui, avec son cortège d'insuffisances, puisqu'il
est relégué au titre d'absurde. Le véritable
mystère, et le désir profond de Beckett, sont la suppression de
cet être. Beckett ne se complaît pas dans la fange. Il n'accepte
pas le désordre et la saleté. Il est un
irrémédiable "puriste": "La purification puriste repose sur le
mythe d'un temps intégralement réversible, c'est-à-dire
intemporel."41(*) Il est
celui qui aspire à retourner au non-être, à
l'impersonnalité pré-originaire42(*). Dès lors, la scatologie se voit refuser le
statut rabelaisien d'affirmation d'une force vitale et de transgression d'un
tabou. Elle reste le discours horrible, le discours sale et honteux. Car aussi
sales que soient les scènes représentées, il n'y a pas,
chez Beckett, d'amour du sale, comme chez Bataille. Bataille aime le sale:
"J'aimais ce que l'on tient pour "sale"."43(*). Beckett, lui, ne fait que vider de la matière
impure, et qui reste impure, sans jamais arriver au Pur.
1.4- REPUGNANCE
Si bien que Beckett reste judéo-chrétien. Il
conserve toute la force du dégoût de son propre corps. Il est plus
proche de Moïse disant : "Maudit sera le fruit de tes
entrailles."44(*), que de
Lie -Tseu dans le Traité du vide parfait affirmant le
nécessaire accord avec la voie de la Nature. "J''avançais
à quatre pattes en chiant tripes et boyaux et en entonnant des
malédictions"45(*).
Le corps est dégoûtant. Si Moran se livre avec son fils à
des plaisanteries scatologiques à visée pédagogique, c'est
pour aiguiller son jeune esprit vers le dégoût du corps et de ses
fonctions: "J'aiguillais son jeune esprit vers une voie des plus
fécondes, celle de l'horreur de son corps et de ses fonctions."46(*) Les blagues scatologiques ne
viennnent pas purifier la merde de sa saleté. Au contraire, elles
viennent pourir le monde qu'elles convoquent, sous l'apparente
légèreté de la dérision. Lorsque Macmann, le
« boueux qui s'ignore », entasse toutes les immondices sur
la voie publique, ce n'est pas par naïveté: "De sorte qu'en fin de
journée, tout le long du secteur qui lui avait été
confié, on voyait les pelures d'orange et de banane, mégots,
papiers innommables, crottes de chien et de cheval et autres immondices,
concentrés avec soin le long des trottoirs ou ramenés avec
diligence vers le haut de la chaussée, dans le but apparemment
d'inspirer aux passants le plus de dégoût possible et de provoquer
le plus d'accidents, dont des mortels par glissade."47(*) Macmann n'est pas un enfant
demeuré au stade anal. Il ne joue pas. Mais c'est pour "inspirer aux
passants le plus de dégoût possible". Même les crottes de
chien et de cheval restent dégoûtantes. Elles restent nocives, au
point même qu'elles peuvent faire chuter des passants, et susciter des
accidents mortels. Que la tonalité comique de ces gags
stéréotypés ne vienne pas affadir la puissance d'aversion
que représente l'excrément dans la vie courante. Beckett ne
cherche pas à le domestiquer, ou à produire un renversement
carnavalesque, visant à dire: les fonctions naturelles ne sont pas moins
dégoûtantes que le reste. Fuyez, censeurs timides,
chrétiens contempteur du corps, bourgeois puritains qui vous
dégoûtez d'un rien, comme le fait Bachelard dans son analyse de la
merde. Ici il n'y a pas de valeur à cette contre-valeur. C'est
réellement sale. Et cette saleté vient contaminer le reste du
monde. La merde envahit le monde non pour être banalisée, mais
pour affirmer la puanteur du monde.
- Réticences
Beckett est d'ailleurs plutôt timide à ce sujet.
Nombreuses sont les réticences à parler de la merde. Hormis le
cas de Moran et son fils, les personnages entre eux ne sont pas des scatologues
loquaces. Aucun long plaidoyer pour la qualité d'un torchecul afin de
faire rire son interlocuteur. Molloy avec sa mère n'est pas Gargantua
avec Pantagruel : "Je crois qu'elle faisait sous elle et sa petite et sa
grande commission, mais une sorte de pudeur nous faisait éviter ce sujet
au cours de nos entretiens, et je ne pus jamais en acquérir la
certitude."48(*)
Même envers son lecteur, Molloy, qui est pourtant un clochard repoussant,
vient souligner la répugnance que lui inspire ses propres pets : "Que
voulez-vous, le gaz me sort du fondement à propos de tout et de rien,
je suis donc obligé d'y faire allusion de temps en temps, malgré
la répugnance que cela m'inspire. »49(*) Finalement Moran refuse de
parler de ses affections intestinales: "Mais je devenais la proie d'autres
affections, ce n'est pas le mot, intestinales pour la plupart. Je n'ai plus
envie de les communiquer, je le regrette, ça aurait fait un joli
morceau."50(*) Il peut
entamer un long développement sur son trou du cul, prêt à
se le sentir. Mais il ne le fait pas sans rappeler que c'est un "point faible",
une "tare", ou "un "orifice honteux": "Je m'excuse de revenir encore sur cet
orifice honteux, c'est ma muse qui le veut."51(*) Le passage n'est d'ailleurs comique que si l'on
accepte de considérer l'orifice comme honteux. Car s'il était
déculpabilisé, et en quelque sorte "naturalisé", le
lecteur ne rirait pas. Nous ne rions pas chez Bataille ou chez Sade de tous les
anus exhibés. C'est parce qu'il est présenté comme honteux
par le personnage qui s'en moque qu'il devient objet de rire. Comme si ces
derniers auteurs aimaient trop le corps humain pour qu'il fût comique,
comme si le ridicule jeté au corps était l'apanage des puristes.
Mais, dira-t-on, Molloy aime son trou du cul. Il s'en prend
à ceux qui "affectent de le mépriser". Il est pour lui le
"véritable portail de l'être". Pourquoi Molloy l'être
capable d'une sorte de pudeur et de répugnance, en vient-il à
admirer cette tare ? De même que son propriétaire est
répugné par le monde qui l'entoure, de même son trou du cul
fait preuve d'une "répugnance" à l'égard de
l'extérieur et de l'intérieur. "Presque tout lui répugne
qui lui vient du dehors et pour ce qui lui arrive du dedans on ne peut pas dire
qu'il se mette particulièrement en frais non plus. Ne sont-ce pas
là des choses significatives?"52(*) L'objet le plus répugnant qui soit est
respectable parce qu'il est lui-même répugné. Ce n'est donc
pas la transgression du tabou qui anime Beckett. Freud le définit en
effet comme un "acte prohibé vers lequel l'inconscient est poussé
par une tendance très forte."53(*) Aucune tendance très forte ne pousse Molloy
à se sentir le trou du cul. Celui-ci est froid, et sale, et ne peut,
à l'extrème rigueur, n'attirer que parce qu'il trouve le reste du
monde encore plus sale et froid. C'est ce mouvement vers la raréfaction
de l'excrétion que l'étude de la scatologie permet d'exhumer.
2. CHIER: DE LA COURANTE A L'UREMIE
2.1 La fuite
- DEBORDEMENTS
Moran est guetté par deux maladies
opposée : l'urémie et la dysenterie. D'une part
l'évacuation est impossible. De l'autre, le maintien normal des aliments
dans le corps est impossible. La dysenterie qui frappe Moran lors de ses
"affections intestinales" est "sanguinolente" : "Plié en deux, de ma
main libre me comprimant le ventre, j'avançais, en poussant de temps en
temps un rugissement de détresse et de triomphe. Certaines mousses que
je mangeais devait y être pour quelque chose. Moi, si je me mettais dans
le crâne de me présenter ponctuellement au lieu du supplice, la
dysenterie sanguinolente ne m'en empêcherait pas, j'avançais
à quatre pattes en chiant tripes et boyaux et en entonnant des
malédictions. Je vous l'ai dit, ce sont mes frères qui m'auront
eu."54(*) Comme dans
l'urémie, le sang se mélange alors à l'excrément,
mais cette fois à l'extérieur du corps. Le pénitent a
déjà entamé son supplice avant d'arriver au "lieu de
supplice". Le lieu du supplice serait-il justement la "Madone de Shit" tel que
l'affirmera plus tard Moran au fermier rubicond55(*) ? La merde serait en même temps la torture
du personnage mais aussi son Salut, s'il en est un. Certes Moran se moque du
fermier et de ses sentiments "d'éleveur de vache". Mais arrivant en
"marmelade", il pourrait faire croire qu'effectivement il est un pélerin
dévoué à la merde.
La mère de Molloy fait sous elle, comme le feu chien de
Lousse: "Car Teddy était vieux, aveugle, sourd, perclus de rhumatismes,
et faisait sous lui à chaque instant, jour et nuit, aussi bien dans la
maison que dans le jardin."56(*) Le fils de Moran a aussi des colliques57(*). Mahood enfin a la "courante":
"Naissez chers amis naissez, rentrez-moi dans le fondement, vous verrez s'il
fait bon s'y tordre, ce ne sera pas long, j'ai la courante."58(*) Malone incapable de pisser,
est en même temps incapable de se retenir "Je le revois, calmé
enfin, s'essuyer les yeux et la bouche, et moi, les yeux baissés,
m'attrister sur une petite marre que l'urine, ayant traversé mon
pantalon de part en part, avait formé à mes pieds."59(*) Par tous ses orifices, le
corps beckettien se liquéfie, y compris par les pores de la peau, et par
ses intestins. L'impossible expulsion relève donc du même
problème que les courantes ou les fuites urinaires. Le corps se
liquéfie, à l'intérieur et à l'extérieur. La
peau n'est plus une frontière.
Ce sont les vêtements qui sont censés remplir
cette fonction. Les "débordements" viennent salir les caleçons
censées les retenir: "Et j'oubliais alors que mon fils serait à
mes côtés, s'agitant, se plaignant, réclamant à
manger, à dormir, salissant son caleçon."60(*) Quant à ceux du
père, ils viennent "pourrir" les caleçons : "Je dus
également me séparer de mes caleçons (deux). Ils avaient
pourri, au contact de mes débordements."61(*) Malone, lui, ne fait pas mention de ses habits, mais
s'apprête, à une échelle plus grande, à salir son
lit. Lorsque son vase est hors de sa portée: "Je vais sans doute
être obligé de faire dans le lit, comme lorsque j'étais
bébé."62(*)
Il y a en effet une sorte de régression à un stade infantile
où le corps de l'enfant n'a pas encore bien consience de ses propres
imites. Comme le dit Cyrille Harpet, chez l'enfant "le travail organique
interne se déploie vers l'extérieur: le corps n'est point enclos,
il est comme perméable et poreux, livre ses productions."63(*) La sortie de ce stade est
capitale pour la constitution d'une identité propre. Ce n'est qu'en
apprenant à se retenir, que l'enfant acquiert une notion du temps, et de
son emploi. "La demande de retenir fonde un désir d'expulser, dont
l'enjeu est la satisfaction à heure fixe d'une attente de l'autre, dans
une discipline du besoin."64(*) Molloy précisément se laisse aller
à « certaines façons de faire relevant de la seule
commodité du corps, tels le doigt dans le nez, la main sous les
couilles, le mouchage sans mouchoir et la pissade
ambulante »65(*). Il ne devient jamais un adulte capable de se
retenir."La castration anale vise à déprendre des collages
à la matière et à la destruction pour faire quelque chose
de culturellement vivant où se développent les aptitudes,
l'intelligence, et l'initiative de l'enfant, de son esprit et de ses mains...
C'est la castration anale qui permet l'obtention d'une maîtrise
adéquate et humanisante de la motricité."66(*) Or c'est
précisément la motricité, l'initiative, la vie que Beckett
cherche à abandonner. Fasciné par l'abolition du temps, il
emprunte le chemin inverse de l'éducation infantile, et retourne au
stade anal, où dedans et dehors, avant et après ne font qu'un.
- Une fuite du sens ?
Métaphoriquement, ces coulées de la
matière peuvent faire allusion à une fuite du sens - à
supposer que l'image du sens la plus adéquate soit quelque chose de
dure. Cette thèse ferait alors de la scatologie l'un des moteurs
essentiels de l'absurde. Ainsi la formule M. Bernard s'appuyant sur d'autres
textes de Beckett: "La remontée de l'illimité des profondeurs
produit "un croulement languide, un effondrement
général"67(*), un bouleversement de la représentation qui
prend l'aspect d'une coulée physique coexistente à la fuite du
sens, un "quaqua de toutes parts."68(*) La coulée métaphorise l'abandon de
l'espoir ou de Dieu, ou comme le dit Borréli "un sentiment de
déréliction". "La déréliction désigne avec
plus de pertinence le sentiment latent, lancinant, confus de solitude et de
délaissement, dont souffrent tous les héros de Beckett."
69(*)
Fuite du sens, fuite de Dieu, la fuite excrémentielle
pourrait plus simplement faire écho à la parole sans fin. La
coulée est aussi et surtout verbale. C'est la parole qui sort sans
pouvoir s'arrêter, comme le texte de L'Innommable qui de la
vingtième page à la fin, tel un liquide, coule en un et un seul
paragraphe. Mais ce sont aussi les paroles des autres qui viennent polluer et
inonder le narrateur : « D'une seule coulée la
vérité enfin sur moi me ravagera, sous la réserve toujours
qu'ils ne se remettent pas à bafouiller."70(*) La diarrhée verbale de
l'un ne fait que répondre à celle de l'autre. C'est pourquoi, le
silence tant désiré est celui des noyés: "En fin de
compte, c'est la fin, la fin du compte, c'est le silence, le vrai, pas celui
où je macère, jusqu'à la bouche, jusqu'à l'oreille,
qui me recouvre, qui me découvre, qui respire avec moi, comme un chat
avec une souris, le vrai, celui des noyés..." 71(*) Immergé sous la
matière infâme gît le silence.
2. 2. Constipation
- UN TOUT PETIT PETEUR
L'anus que renifle Molloy n'est valorisé que pour sa
fermeture. En cela il est un modèle scatologique. Le petit
Poméranien au début de Molloy est un constipé en
bonne santé : "Le petit chien suivait bien mal, à la façon
des poméraniens, s'arrêtait, faisait de longues girations,
laissait tomber, je veux dire abandonnait, puis recommençait un peu plus
loin. La constipation chez les poméraniens est signe de bonne
santé."72(*)
Peut-être Molloy se livre-t-il à une moquerie
déguisée envers la bonne société britannique, le
poméranien étant, depuis son adoption par la reine Victoria, le
chien à la mode de cette société guindée et
constipée.73(*)
Mais la constipation n'est pas dénoncée comme telle ailleurs.
Beckett n'est pas le bon vivant, aux fonctions organiques suractivées,
prompt à se moquer de la frilosité existentielle des
"coincés". Le personnage beckettien n'est pas un gros chieur, pas un
gros péteur. Molloy n'est qu'un "tout petit péteur"74(*). Sa mère a beau faire
sous elle: " cela devait être bien peu de choses, quelques crottes de
bique parcimonieusement arrosées tous les deux ou trois jours."75(*)
Mahood ne produit que des "misérables
excréments"76(*),
et projette de chier comme un oiseau77(*). Beckett affuble tous ses personnages de la tare de
la constipation. Malone ne se croit plus capable de chier : "Car mon cul,
par exemple, [...] s'il se mettait à chier à l'heure qu'il est,
ce qui m'étonnerait, je crois vraiment qu'on verrait les copeaux sortir
en Australie. "78(*). Il
s'en explique par la suite. L'absence d'évacuation est certes dûe
à une pathologie constipante. Malone à ce titre pense avoir des
laxatifs parmi ses possessions: "Ca me rappelle que j'avais parmi mes
possessions une petite fiole non étiquetée avec quelques
comprimés dedans. Laxatifs? Sédatifs? Je ne sais
plus »79(*)
- Jeûnes
Mais plus simplement, il ne chie plus parce qu'il ne mange
plus. La réduction des évacuations s'inscrit dans une chute
généralisée du métabolisme. Malone ne
défèque plus, parce qu'il ne mange plus. "Si jamais j'arrive
à le remplir, je les viderai tous les deux sur le plancher mais il y a
peu de chances. Ne mangeant plus rien je m'intoxique moins et mes
évacuations se raréfient..."80(*) Cette absence d'appétit est innée est
Molloy : « Quelle chose extraordinaire que mon appétit.
Je l'avais très petit, je mangeais comme un
oiseau... »81(*). De même les fous de l'asile ne mangent plus :
"Son vase était vide, tandis que dans sa gamelle sa soupe de la veille
était prise....Lemuel vida la gamelle dans son seau vide et de son seau
plein la remplit de soupe fraîche."82(*) La digestion se fait en quelque sorte à
l'extérieur du corps. De même Mahood s'amuse à vider un
vase plein dans un vase vide. Et c'est ici que le lecteur risque le
contre-sens. La chute du métabolisme ne se solde pas par un empirement,
mais par une amélioration de l'état moral du personnage. En
réduisant au possible son propre mouvement vital, le personnage
s'approche du vide, comme ces yogi capables du jeûner des mois durant. La
douleur physique peut provoquer un "contentement". Ainsi Moran, qui lui aussi
jeûne dans la forêt, se plaît à se rapprocher de la
perte de connaissance: "Et tout en souffrant un peu de crampes à
l'estomac et de ballonnements je me sentais extraordinairement content, content
de moi, exalté presque, enchanté de mon personnage. Et je me
disais, Je vais bientôt perdre connaissance tout à fait, ce n'est
plus qu'une question de temps."83(*) Si loufoque cette affirmation semble-t-elle, elle est
ici dénuée d'ironie. La fin de l'évacuation signe la fin
de la vie, et du malheur. Le parcours de Moran qui est celui d'une quête
de soi-même et d'un cheminement vers l'écriture, est aussi celui
qui mène au jeûne. Le Moran initial en visite chez le prêtre
ne pense qu'à manger : "Je n'aspirais plus qu' une seule chose, regagner
mon domicile et m'empiffrer de stew."84(*) Le Moran final est un véritable ascète
: "Et je devenais de plus en plus faible et content. Depuis plusieurs jours, je
ne mangeais plus rien." 85(*). Il faut insister sur ce "contentement", deux fois
répété. Paradoxalement, moins on vit plus on est
satisfait.
- UREMIE
Il n'y a pas plus de gros pisseur que de gros chieur, chez
Beckett. Rares sont ceux qui arrivent même à pisser. Pas de longs
jets, pas même d'éjaculation. Le sexe de Molloy, comme tout son
corps, est suintant. "Et le gland. Santa Maria. Je vais vous dire une chose, je
ne pisse plus, parole d'honneur. Mais mon prépuce, sat verbum, suinte
l'urine, jour et nuit, enfin je crois que c'est de l'urine, ça sent le
rognon... Ma sueur également, et je ne fais que suer, a une odeur
bizarre. Et je croie que ma salive, toujours abondante, en charrie aussi. Ah je
m'en débarrasse, de mes déchets, ce n'est pas à moi que
l'urémie fermera les yeux."86(*) Comment comprendre cette dernière phrase?
D'une part il affirme se débarrasser de ses déchets, de l'autre
il est incapable d'uriner et guetté par l'urémie. C'est que le
corps devient lui-même déchet. En suintant, il devient
lui-même ce mélange d'eau et de chair, de liquide et de solide. En
fait il ne débarrasse pas de ses déchets, il devient
déchet. L'urémie qui, est une intoxication dûe à
l'accumulation d'urine dans le sang, guette également Malone. Lui non
plus ne pisse presque plus : "le bout du sexe... par où doit passer
encore un peu de pisse de temps en temps, sinon je serais mort
d'urémie."87(*) Au
moment où l'urine se mélangera au sang, où les
différentes matières se fonderont l'une à l'autre, alors
le personnage pourra retourner à l'état indistinct de la
matière.
Les besoins naturels suscitent des douleurs dans des parties,
extérieures à l'appareil digestif. Moran est saisi par une
violente douleur au genoux à l'instant précis où son fils
a la diarrhée: "Car je l'avais ressentie dans ma salle de bain, alors
que je faisais le lavement à mon fils."88(*) Elle le réattaque ensuite dans les bois
à l'instant où il est réveillé par un besoin
naturel. "Car m'étant réveillé à nouveau vers
l'aube, cette fois sous l'effet d'un besoin naturel et la verge en
légère érection pour plus de vraisemblance, je ne pus me
lever."89(*) Comme si les
fonctions oraniques venaient non ps libérer, mais appuyer à
d'autres zones douloureuses, comme si les problèmes intestinaux venaient
s'étendre à l'ensemble du corps.
2.3- LE TROU COMME DE LA MERDE
- LE TROU
C'est dans un trou que s'achève L'Innommable.
Le calme "pré-originaire" auquel atteint Mahood règne dans un
lieu qu'il décrit d'abord comme semblable à de la "fange"."Mais
quel calme, à part le discours, pas un souffle, ça ne veut rien
dire, c'est louche, le calme qui précède la vie, tout de
même, depuis le temps c'est comme de la fange, ce qu'on y est bien,
serait bien, sans ce bruit, c'est la vie qui veut rentrer, non qui veut qu'il
sorte..."90(*) Le silence
est donc troublé par la permanence du discours, donc de la vie. Puis le
narrateur rectifie sa description. Les trous ne sont pas comme de la fange,
mais comme de la "glaise": "Alors ils y ont fixé leurs lampes, dans les
trous, leurs longues lampes, pour les empêcher de se former tout seuls,
c'est comme de la glaise..." Le calme est perturbé par un
deuxième élément qui s'ajoute au bruit de la parole, c'est
la lumière: "... ils y ont introduit leurs puissantes lampes,
allumées, braquées sur le dedans, pour qu'il les croie toujours
là, malgré le silence, ou pour qu'il croie que le gris est vrai
ou pour qu'il continue à souffrir, bien qu'ils ne soient plus là
, car il ne souffre pas que du bruit, il souffre du gris aussi, de la
lumière, il le faut,..." Et c'est alors que la description du trou subit
sa dernière rectification. Ils deviennent "comme de la merde" : "s'il
fallait boucher les trous ou les laisser se boucher tout seuls, c'est comme de
la merde, voilà enfin, le voilà enfin, le mot juste, il suffit de
chercher, il suffit de se tromper, on finit par trouver, c'est une question
d'élimination."91(*) L'élimination renvoie d'abord à la
méthode qui consiste à barrer les solutions fausses pour arriver
à la vraie. Mais c'est aussi, par syllepse, l'élimination, qui
s'oppose à la nutrition, qui s'intègre au "système de
nutrition et d'élimination"92(*) de Malone. Dans les deux cas, la merde est finalement
le mot juste.
Edmond Jabès interprète le passage en un sens
religieux. A aucun moment il est vrai Beckett n'ancre ce trou dans la
matérialité de la terre, de la fange ou de la merde. "Le trou de
Worms n'est pas dans la terre... Déchirant le mot "terre", ce n'est pas
la terre, "dans" la terre ou encore "de" la terre, Beckett dit que c'est
"comme" de la merde, pas de la merde mais comme de la merde."93(*) Ce lieu n'est pas
réellement terrestre. Il est bien une sorte de paradis ou d'enfer, qui
ne présente pas de détails suffisants pour que le lecteur puisse
choisir. "L'Innommable encore dans les dernières pages,
maintient l'indétermination de ce lieu: "Drôle d'Enfer quand
même, c'est peut-être le paradis, c'est peut-être la terre."
Il pourrait certes s'agir d'un purgatoire à la Dante, hypothèse
d'autant plus tentante que le trou du Purgatoire de Saint Patrick se situe en
Irlande. Mais la voix n'est qu'une voix pénible dépouillée
de sacré. Bref "si l'Enfer et le Paradis sont évoqués,
jamais Beckett dans L'Innommable ne désigne explicitement le
Purgatoire. Il n'y a pas de feu, que de la fumée, et Worms à la
différence du chevalier Owein qui brava le trou du Purgatoire de Saint
Patrick n'écoute pas la voix de ceux qui intercèdent pour les
vivants et pour les morts.94(*) » La merde aurait une fonction
herméneutique. Elle serait signe de quelque chose.
Cette interprétation est confirmée par
l'attitude de Madeleine à l'égard des excréments de
Mahood. "Mahood n'existe que parce qu'une Madeleine, tous les dimanches,
débarrasse sa jarre de ses misérables excréments, preuve
suffisante de sa "présence réelle"."95(*) Madeleine prend Mahood pour un
dieu : elle "l'élève sur un socle", le "festonne de
lampions". Le zèle dont elle redouble à son égard est de
quelqu'un qui perd la foi.": "Disons-le net, cette femme est en train de perdre
la foi, en moi."96(*) Au
début, Madeleine idolâtre Mahood comme les Rois Mages adorent le
Christ. Les Rois Mages aussi ont immolé les langes du Christ.97(*) Madeleine serait une sorte de
"stercationniste", c'est-à-dire qu'elle pense que les symboles
eucaristiques peuvent être sujets à la digestion et à
toutes ses suites de même que les autres nourritures corporelles."
Pourquoi alors perd-elle la foi?Comment alors comprendre ce lieu qui est "comme
de la merde", mais qui n'en est pas, et qui finalement n'est défini que
de manière négative , qui plus est, par comparaison avec l'objet
le plus négatif qui soit ?
Il y a bien un mystère au fond des gouffres chez
Beckett, le même que l'Irlandais admirait dans la Recherche de Proust :
"L'essence de notre être qui est stockée, ..., essence rare d'une
divinité étouffée dont la "disfazione" se noie dans les
braillements robustes d'un appétit prêt à tout
dévorer... se trouve dans le gouffre."98(*) Il y a bien dans ce gouffre un mélange
d'essence, de déhiscence (disfazione en italien), qui signifie
l'ouverture d'un organe mûr, et de merde. L'être pur (essence)
émanerait-il d'une excrémentation ? ou au contraire
serait-il par négatif le signe de la pureté de ce qui n'a pas
été excrémenté ?
- LES FOSSES
Avant de voir dans le trou un objet métaphysique, il
faut y voir des objets concrets. Le trou de Mahood rappelle en effet deux
autres types de trou, des « fosses », la fosse d'aisance et
la fosse mortuaire. Ils s'inscrivent tous trois dans une obsession de
l'engouffrement. Celle-ci n'est pas forcément désespoir, ni
déréliction. Elle peut être retour à cet état
pré-originaire où mort et naissance sont facilement
associées par Beckett. La fosse d'aisance dans laquelle la mère
de Molloy n'a pas pu avorter n'est qu'un avatar de la fosse mortuaire. "Je ne
lui en veux pas trop à ma mère. Je sais qu'elle fit tout pour ne
pas m'avoir, sauf évidemment le principal, et si elle ne réussit
jamais à me décrocher, c'est que le destin me réservait
à une autre fosse que celle d'aisance."99(*) Cette préfiguration du "elles accouchent
à cheval sur des tombes" de Godot peut expliquer l'amusement
avec lequel un Moran se compare à une merde flottante: " ma situation,
qui était plutôt celle de la merde qui attend la chasse
d'eau.100(*) »
Le trou comme de la merde serait donc une image du désir du lieu
mi-paradisiaque mi-infernale, situé a bord de l'ultime
évacuation, qu'il s'agisse de la naissance ou de la mort. La fosse
sceptique représente ce seuil, entre la vie et la mort, où seul
règne le calme. Ce lieu n'est pas exactement la mort. Il serait sinon
accessible par le suicide. Mais le suicide n'est pas l'issue
désirée. Par ce trou, Beckett exprime bien le souhait
d'être mort, mais tout en restant vivant. Ainsi le Socrate du
Phédon souhaite accéder à une
éternité dans la mort, une fois séparé de son
corps.
- LE LAC
La fin de la vie n'implique pas forcément la mort
physique. Comme les âmes des morts arrivent au lac souterrain et boueux
du Tartare101(*), Mahood
a l'impression d'arriver à un "lac souterrain" de boue. C'est dans la
boue que s'achève L'Innommable. Le désir de noyade
évoqué par Malone est déjà accompli chez Macmann
lorsque celui-ci est allongé "sans rien ressentir aux jambes sinon une
sorte de bien-être, dû peut-être à l'action de l'eau
de tourbe."102(*) Au fil
du texte, Mahood se noie dans une sorte de matière indistincte, un
mélange de dur et de liquide : "curieux ce mélange de dur et de
liquide, plus le même, ou alors je me suis trompé
d'endroit..."103(*) ; "mélange de dur et de liquide...
respire à peine ... le long baiser de l'eau morte et de la
boue"104(*). Ce corps
entre dur et liquide est lui-même en proie à la
liquéfaction. Mahood sent comme sa propre main rentrer dans son ventre.
Privé des évacuations, le corps pourrit de l'intérieur.
3. FAIRE CHIER
3.1 - Une anthropologie du chieur
- L'âme en pet
Socrate démontre l'immortalité de l'âme.
Beckett la transforme en du vent et en flatulences. Il subvertit le motif du
« pneuma anima », objet noble, en reprenant le vieux motif
folklorique de "l'âme en pet", pour reprendre l'expression de Claude
Gaignebet. Le souffle qui était symbole de la vivacité et de la
légérèté devient celui de la lourdeur et de la
folie. "L'âme en pet est une caractéristique des fous tels qu'ils
sont représentés dans le folklore", écrit
Gaignebet105(*). Le pet
est pourtant le corrélaire de la tempête. Le trop plein
éprouvé par le narrateur se manifeste sous la forme d'une
tempête intra-cranienne. Mais celle-ci n'a rien de sublime. Malone, qui
connaît soit en fiction soit en réalité plusieurs
tempêtes, ressent du vent dans sa tête: "je n'ai jamais eu dans
l'idée que du vent" 106(*). Le vent c'est bien sûr le manque de
consistance mais c'est surtout la présence obstinée de la vie,
l'inquiétude. La tempête sous le crâne n'est pas
l'expression d'un dilemne hugolien ou d'une expérience extrème,
c'est la vie acharnée et désorganisée : "Une sorte d'air y
circule et quand tout se tait je l'entends qui se jette contre les cloisons qui
le rejettent naturellement...vagues...assauts...bruits de grève
aérienne...tempête.107(*) " Ce n'est pas une déploration d'un
état physiologique à un instant donné, mais plutôt
un constat ontologique. La vie, l'existence sont comme de l'air dans une
conduite. Ainsi Molloy avoue-t-il "[Cette période de ma vie] me faisait
penser à de l'air dans une conduite d'eau."108(*) Puis il compare son
"existence" à des bulles sortant d'un pis :"Mais ce n'est pas la
peine que je prolonge le récit de cette tranche de ma, mon, de mon
existence, car elle n'a pas de signfication à mon sens. C'est un pis sur
lequel j'ai beau tirer, il n'en sort que des bulles et des
postillons."109(*)
L'absence de signification de ces énoncés ne doit pas faire
oublier la prégnance de la conception judéo-chrétienne de
la vie dont elles sont chargées: "Souviens-toi que ma vie est un
souffle." (Job, 7:7).
Cette tradition pour être réinvestie n'en est pas
moins mise à mal. Le narrateur de L'Innommable subvertit la
théorie du souffle vital, pneuma anima, en la transformant en pet. Le
souffle divin n'entre ni ne sort plus par la bouche mais par l'anus. "Mahood,
j'ai connu un médecin qui soutenait que le souffle suprême, au
point de vue strictement scientifique, ne pouvait sortir que par le fondement,
et que c'est à ce dernier orifice que la famille devrait
présenter le miroir, avant d'ouvrir le testament."110(*) Expression étrange,
le fondement désigne systématiquement l'anus, déjà
dans Molloy, "Que voulez-vous, le gaz me sort du fondement à
propos de tout et de rien, je suis donc obligé d'y faire allusion de
temps en temps, malgré la répugnance que cela
m'inspire."111(*) Ici
encore, lié au pet, le fondement de l'être humain se confirme
être l'anus, précisément par sa fonction de porte du
souffle. Dans L'Innommable : " Naissez chers amis naissez,
rentrez-moi dans le fondement, vous verrez s'il fait bon s'y tordre, ce ne sera
pas long, j'ai la courante."112(*) Bref, le pet illustre la dérision de
l'ontologie chez Beckett. Lui n'en crée pas de nouvelle. Il ne
prétend pas que l'âme soit flatulence. Le pet n'a qu'une fonction
dévastatrice. Il détruit sans rien poser à
côté. C'est pourquoi l'on peut lire ces passages comme
sincèrement comiques. Ils ne recèlent pas de nouvelles fondations
métaphysiques qui légitimeraient d'atténuer le comique au
profit d'une interprétation sérieuse. Le pet est
omniprésent dans Molloy. Un des premiers personnages
apparaît "Rêvant et pétant comme le font tant de citadins,
quand il faisait beau".113(*) Molloy compte ses pets à la journée.
Lisons ici davantage la preuve de son désoeuvrement que de
l'ébauche d'une nouvelle oeuvre. Le passage est entièrement
drôle parce qu'il nie sans rien poser: " Un jour je les comptai. Trois
cent quinze pets en dix-neuf heures, soit une moyenne de plus de seize pets
l'heure. Après tout ce n'est pas énorme. Quatre pets tous les
quarts d'heure. Ce n'est rien. Pas même un pet toutes les quatre minutes.
Ce n'est pas croyable. Allons, allons, je ne suis qu'un tout petit
péteur, j'ai eu tort d'en parler. Extraordinaire comme les
mathématiques vous aident à vous connaître." 114(*)
L'âme en pet chez Beckett n'est donc pas l'occasion
d'une nouvelle ontologie, telle que l'histoire folklorique de cette croyance
pourrait le faire penser. Selon Gaignebet en effet, la scatologie n'est pas
purement réactive et provocatrice à l'encontre de la tradition
biblique. Déjà les Pythagoriciens l'avaient
développée, et donc : "La théorie de l'âme en pet
est primitive et ne s'est pas développée en opposition à
celle du souffle buccal, mais en quelque sorte parallèlement."115(*) Chez Beckett, il semble que
si. C'est une moquerie, un sarcasme nihiliste.
- MOI ET L'AUTRE MERDE
Beckett n'est pas un tendre. Il déteste l'homme et
n'entend pas lui faire de cadeau. Il ne veut pas lui faire des merdes qui
"fleure[nt] l'Arabie116(*)". Il lui offre tout ce qu'il peut faire de pire. Ses
personnages ont conscience de la bassesse de leur statut sur terre. Comme Job
cité par Pascal, écrasé sur son tas de fumier ou de
cendre, comme Job qui élève cette plainte:
"Quand je me laverais dans la neige,
Quand je purifierais mes mains avec du savon,
Tu me plongerais dans la fange
Et mes vêtements m'auraient en horreur." (Job,
9: 30, 31)
comme lui, ils sont des délégués de la
misère de l'homme. Mahood se présente comme une fange: "...il
n'y a jamais eu que moi ici, jamais, toujours, moi, personne, vieille fange
à brasser éternellement, maintenant c'est de la fange, tout
à l'heure c'était de la poussière, il a dû
pleuvoir."117(*) Molloy
se dit être une merde. Il n'évoque en effet avec affection son
trou du cul uniquement pour sa "dignité dûe à ses allures
de trait d'union entre moi et l'autre merde."118(*) D'ailleurs, ses papiers d'identité ne sont
autre qu'un bout papier journal hygiénique. L'autre merde est l'Autre,
moi est le Même : Autre et Même sont de la merde. Entre eux
les personnages se traitent de « fumier » : "Laisse-moi
réfléchir fumier."119(*) dit Lemuel, dans une insulte comique qui met en lien
le fumier et la pensée. La plupart ne prend même pas le soin de
chier sur son prochain. L'indifférence et l'oubli sont plus fort que cet
affront. Ce sont les chiens qui par délégation viennent pisser
sur la maison de Mahood : "Serait-ce par pudeur, par crainte de causer de la
peine, qu'on affecte d'ignorer mon existence? Mais c'est là une
délicatesse de sentiment qu'on peut difficilement attribuer aux chiens
qui viennent pisser contre ma demeure, sans avoir l'air de se douter qu'il y a
de la peau et des os là-dedans." 120(*)
Par quoi le même et l'autre pourraient-ils alors
communiquer, si ce n'est par des merdes ? Entre Beckett et le lecteur, il
n'est même pas besoin de dire merde à la manière d'un
Diderot. Beckett ne nous "pardonnera jamais". Pourquoi aussi nous offrirait-il
des fleurs?
3.2. UN MONDE DE MERDE: SE FAIRE CHIER
- FAIRE CHIER, SE FAIRE CHIER
La psychanalyse distingue deux moments dans la phase anale :
"les impulsions sadiques et anales (faire chier), suivi de tendances amicales
envers l'objet (faire est chier)"121(*). Tout se passe comme si les personnages ne passaient
pas le premier cap. Ils continuent à évoluer dans un monde de
merde agressif et sans amitié. Même Gaber, le collègue de
Moran, qui étant son égal pourrait être son ami, entretient
des relations déplaisantes avec lui. C'est lui qui vient le tirer de son
confort. Et réciproquement, Moran le fait chier : "Moran, dit-il, vous
commencez à me faire sérieusement chier."122(*) Le monde de Beckett est un
monde qui ne finit jamais de faire chier. Molloy se délasse en
actionnant sa corne de vélo, seule chose qui ne le fait pas trop chier :
"Actionner cette corne était pour moi un vrai plaisir, une
volupté presque. J'irai plus loin, je dirai que si je devais dresser un
palmarès des choses qui ne m'ont pas trop fait chier au cours de mon
interminable existence, l'acte de corner y occuperait une place
honorable."123(*) Toutes
les disciplines scolaires qu'il a étudiées l'ont fait chier :
"Ensuite c'est avec l'anthropologie que je me fis brièvement chier et
avec les autres disciplines, telle la psychiatrie, qui s'y rattachent, s'en
détachent, et s'y rattachent à nouveau, selon les
dernières découvertes."124(*) D'une manière générale,
l'humanité fait chier Molloy: "Maintenant ils me font chier les
pourrissants, au même titre que les verts et les pas mûrs."
125(*)
- ENTRE VASE ET GAMELLE
La vie humaine se structure autour de deux pôles:
l'alimentation et l'élimination. "Vase, gamelle, voilà les
pôles."126(*)
Nourriture et excrément sont les deux versants d'un même objet:
"Quand mon vase de nuit est plein, je le mets à côté du
plat."127(*) L'unique
rapport au monde est ce transit mécanique et routinier. Ces gestes
constituent le "nécessaire" d'une journée.
Métaphoriquement, ils sont désignés par le remplissage de
la gamelle et sa vidange. L'homme est comme cette gamelle, d'autant plus
absurde que la digestion se fait comme à l'extérieur du corps
humain. A l'asile de fous, Lemuel, le sadique responsable de les maintenir en
vie, est celui qui fait le "nécessaire": "Sa soupe, visitée sans
doute goutte à goutte, était passé telle quelle dans le
vase. Anxieusement il [le fou anglais] regarda Lemuel faire le
nécessaire, vider et remplir"128(*) . Lemuel est un personnage intéressant. Il
est d'une part le grand « responsable » des massacres de la
fin de Malone meurt qui s'achève dans l'"enchevêtrement
des corps grisâtres" en ces termes : « Lemuel c'est le
responsable.129(*)" De
l'autre, il est d'origine aryenne : "Je m'appelle Lemuel quoique de
parents probablement aryens."130(*) Ecrit au lendemain de la Guerre, le roman pourrait
être le récit d'une horreur semblable à celles
perpétrées par les Nazis. A ceci près que Lemuel n'est pas
un bourreau de profession, il n'apporte pas la mort : c'est un infirmier,
il apporte la vie. Le grand crime ne consiste plus à apporter la mort
mais à apporter la vie La vie dans ses asiles, ou dans n'importe quel
lieu où l'on mène cette vie de fous, serait alors à
l'image de la vie dans les camps de concentration. Dans les camps existaient
une mécanique mortifère, ici on pourrait parler d'une
mécanique « vitifère ». Tout est
réglé et nécessaire pour que ça transite. Dans
Molloy, on trouve déjà cette mécanique chez
Lousse, en dépit des formes de courtoisie qu'elle y met. Dans cette
maison aux murs enceints, l'évacuation est prévue,
encadrée et jamais "laissée au hasard": "Je trouvai sur une
chaise un vase de nuit blanc avec un rouleau de papier hygiénique
dedans. On ne laissait rien au hasard."131(*) Il n'y a pas réellement d'ennemis au
héros, le héros n'en étant pas un. Personne n'est
réellement responsable. La misérable nécessité qui
régit les fonctions du corps humain est un état de fait. Elle
n'en est elle-même pas plus nécessaire. Absurdité du manger
pour cracher une journée après, absurdité du manger pour
mourir après, absurdité du "restaurant à côté
de l'abbattoir"132(*).
Beckett est encore moins gros mangeur133(*) que gros chieur.
D'une part la bouche absorbe, de l'autre l'anus expulse. Le
rapport au vase emblématise le rapport avec ce monde qui entre dans le
corps, sans en faire partie. A qui appartient le vase? La métonymie de
contenant à contenu permet-elle à l'usager de se
l'approprier ? C'est par ailleurs le seul objet dur qui reste parmi ces
matières molles fluctuantes. Alors le vase représenterait-il un
quelconque repère ontologique pour un individu qui n'est que
traversé par l'extérieur ? Il est certain que le vase
constitue la "place" d'un personnage. Chacun a "son" vase. Et quand un
personnage prend le "vase" de l'autre , il prend sa place: "J'ai pris la place
de ma mère. Je fais dans son vase."134(*) Il n'est en rien fixé à un
propriétaire déterminé. Cette possession est illusoire.
Les vases semblent être à lui, mais ils ne sont pas à
Malone : "Les vases ne semblent pas être à moi j'en ai seulement
la jouissance. Ils rentrent bien dans la définition de ce qui est
à moi mais ils ne sont pas à moi. C'est peut-être la
définition qui est mauvaise. Ils ont chacun deux anses en face l'une de
l'autre, dépassant le bord, ce qui me permet de les manoeuvrer en y
glissant mon bâton, de les soulever et de les déposer. Tout a
été prévu. Ou c'est un heureux hasard. Il ne me sera donc
pas difficle de les renverser, si j'y suis acculé, et d'attendre qu'ils
se vident le temps qu'il faudra. Parler de mes vases m'a ravigoté un
peu. Ils ne sont pas à moi, mais je dis mes vases, comme je dis mon lit,
ma fenêtre, comme je dis moi."135(*). Non seulement ils ne sont pas lui, ils ne sont pas
à lui, mais ils renseignent sur son rapport à lui. Non seulement
les expulsions ne suffisent pour s'approprier une chose qui les recueille en
dépit des apparences, mais elles sont à l'image de l'être
même de l'expulseur. "Je dis mes vases ,... comme je dis moi" ne signifie
pas que le moi est comme de la merde, mais qu'il est aussi peu à
lui-même, que le possessif est aussi peu légitime, dans son cas,
qu'il l'est pour le vase. Ainsi le vase renseigne autant sur le rapport au
monde que sur le rapport au moi. Et ce ne sont pas paroles de
khâgneux.
Les vases sont à l'image de l'homme. C'est cette image
que Beckett exploitera dans son théâtre en représentant
certains personnages dans des vases. Dans la trilogie quant à elle, on
assiste à un refermement de l'espace autour du narrateur. Molloy se
promène dans un pays qui est certes déjà marqué par
la merde mais qui reste ouvert. Malone est dans son lit, "au sommier
creusé comme une auge"136(*) et dans lequel il s'aprète à
déféquer: "Je vais sans doute être obligé de faire
dans le lit, comme lorsque j'étais bébé."137(*) La distance entre le corps
et ses excréments se réduit. La peau est prête à
devenir parois de jarre. Dans L'Innommable, on se présente
comme un homme pot: "Moi-même j'ai été bâclé
de façon scandaleuse, ils doivent commencer à s'en rendre compte,
moi de qui tout dépendeloque, mieux encore, autour de qui, beaucoup
mieux, autour de qui, homme pot, tout tourne, à vide, mais si, ne
protestez pas, tout tourne, c'est une tête, je suis dans une tête,
quelle illumination, psssit, aussitôt arrosée. 138(*)" Tout tourne autour du pot,
c'est-à-dire que le rapport au monde reste bloqué et
stérile. L'homme est auto-centré, mais il l'est sur de la merde.
Car même si le pot est dans une tête, la tête est lieu
« qui contient le plus de saloperies 139(*)», et qui se pisse sur
elle-même : « psssit, aussitôt
arrosée ».
- D'UNE MERDE A L'AUTRE
On pourrait penser que la vie de merde est casanière et
routinière. Mais le voyage ne permet pas d'échapper à la
merde. Se déplacer, papilloner, c'est changer de merde. "Mais on change
de merde. Et si toutes les merdes se ressemblent, ce qui n'est pas vrai,
ça ne fait rien, ça fait du bien de changer de merde, d'aller
dans une merde un peu plus loin, de temps en temps, de papilloner quoi, comme
si l'on était éphémère."140(*) La diversité
apparente des lieux n'implique pas une différence de valeurs entre eux.
Molloy peut bien partir de sa ville natale de Shit, il y est toujours : "Moi,
par exemple, je vivais, et à bien y réfléchir, vis
toujours, à Shit, chef-lieu de Shitba. Et le soir, quand je me
promenais, histoire de prendre le frais, en dehors de Shit, c'est le frais de
Shitbaba que je prenais et nul autre."141(*) On pourrait croire que la ville est la seule
polluée. Mais même ses pourtours, les "terres y
affférentes", gardent un nom scatologique, Baba en français
désignant le postérieur. Les villes entre elles ne valent pas
mieux les unes que les autres. Bally, nom de la ville voisine de Shit, est en
anglais un adjectif très dépréciatif voisin de "bloody",
et traduisible par "de merde". La ville où Jacques est censé
acheter la bicyclette s'appelle Hole, "le trou, le trou du cul". L'enfant
lui-même qui est un as en géographie apprend à son
père que "Condom est arrosé par la Baïse"142(*). Et le père de
poursuivre: "Bon tu vas te rendre tout de suite à Hole..."143(*) Malone quant à lui
poursuit ces allusions à des lieux aux noms scatologiques, mais en en
soulignant encore davantage l'ambiguïté : "Et je me dis aussi que
depuis le dernier contrôle de mes possessions il est passé de
l'eau sous Butt Bridge, dans les deux sens. Car j'ai assez péri dans
cette chambre pour savoir que des choses en sortent et que d'autres y rentrent
par je ne sais quelle agence."144(*) La toponimie scatologique devient
polysémiques. Les "deux sens" ce sont d'abord les directions
opposées dans lesquelles peut couler la rivière ou la merde, mais
ce sont aussi les deux significations que peut prendre le nom "Butt Bridge".
Beckett lie donc à ce motif vulgaire une syllepse de sens dont la
lourdeur lui procure un amusement manifeste. C'est un jeu de mots mauvais et
médiocre. D'une certaine manière, Beckett traite aussi mal la
langue qu'il traite l'espace. Le mauvais jeu de mots frappe aussi la madone de
Shit, emblème mythologique du territoire qu'elle protège et
elle-même comparée à un colombin, lors du dialogue avec le
fermier : "Un pélerinage, dis-je, poursuivant mon avantage. Il me
demanda où. La partie était gagnée. A la madone de Shit,
dis-je. La madone de Shit, dit-il, comme s'il connaissait Shit comme sa poche
et qu'il n'y existait point de madone. Mais où n'existe-t-il pas de
madone ? Elle-même, dis-je. La noire ? dit-il pour m'éprouver.
Elle n'est pas noire que je sache, dis-je. Un autre se serait
démonté. Pas moi. Je les connaissais, les points faibles de mes
campagnards." 145(*)"La
noire" peut certes désigner la madone "noire", ce qui en terre
irlandaise semble improbable, ou alors une merde noire. Le "point faible" peut
certes désigner les failles intellectuelles du campagnard, mais le mot
désigne également dans la terminologie de Molloy la zone
anale : "Car tant que j'étais resté au bord de la mer mes points
faibles, tout en augmentant de faiblesse, comme s'il fallait s'y attendre, n'en
augmentaient qu'insensiblement. De sorte que je me sentais en peine d'affirmer,
en me sentant le trou du cul par exemple, Tiens, il va beaucoup plus mal
qu'hier, on ne dirait plus le même trou."146(*) Une fois de plus le jeu de
mots beckettien aussi discret que de mauvais goût vient empester et
pourrir la langue de sa médiocrité. Ainsi l'espace est
frappé dans son intégrité du sceau du bas corporel.
L'onomastique illustre bien que Molloy ne fait que "changer de merde".
Les personnages ont aussi des noms scatalogiques. Le jeune
héros de Malone meurt s'appelle Saposcat. "Saposcat" vient du
latin sapiens, « sage » et du grec skatos, « la
merde ». Toujours avec ironie, Beckett allie la sagesse à la
merde, dans l'espoir de pourir l'un au contact des débordements de
l'autre. Le nom scatologique ne répond pas à un programme
narratif mûrement élaboré. Il est plutôt l'expression
d'une désinvolture à l'égard de cette tâche
traditionnelle du romancier. Beckett trouve ses noms parmi les derniers choix.
Même pour sa mère, Molloy qui ne se souvient d'aucun nom ne se
formalise pas de l'appeler Comtesse Caca: "D'ailleurs pour moi la question ne
se posait pas, à l'époque où je suis en train de me
faufiler, je veux dire la question de l'appeler Ma, Mag ou la comtesse Caca,
car il y avait une éternité qu'elle était sourde comme un
pot. Je crois qu'elle faisait sous elle et sa petite et sa grande commission,
mais une sorte de pudeur nous faisait éviter ce sujet au cours de nos
entretiens, et je ne pus jamais en acquérir la certitude. Du reste cela
devait être bien peu de choses, quelques crottes de bique
parcimonieusement arrosées tous les deux ou trois jours."147(*) Ici encore le "car elle
était sourde comme un pot" peut expliquer que le nom est superflu
à son égard. Mais comment ne pas penser aussi au pot de chambre
dont Molloy vient de nous parler, ce qui expliquerait le nom de Comtesse Caca
ainsi que le développement scatologique qui s'ensuit. Cette expression,
Beckett l'a certainement empruntée au Charlus de Proust qui s'exclame :
" Que vous alliez faire pipi chez La Comtesse Caca, ou caca chez la Comtesse
Pipi, c'est la même chose"148(*). Chez Proust, la scatologie est
reléguée aux personnages subalternes, au "dernier cercle de
Dante" pour reprendre l'expression de Swann149(*). Chez Beckett, elle est assumée par le
narrateur lui-même. Le nom n'est pas seulement choisi par hasard parmi
les plus laids.
3.3- Cadeaux empoisonnés : FAIRE CHIER
Molloy appelle ses histoires d'anus ses « affaires
de fondement ». Ce mot pourrait à nouveau faire penser
à un renversement de perspective ontologique. Il pourrait apporter un
nouveau point de vue, même burlesque, en même en même temps
qu'il en démonterait un autre. C'est l'interprétation que font
certains psychanalystes, comme Dolto, des pulsions anales, à la fois
porteuses de destruction et de création. "Faire prend ainsi la double
connotation de donner et d'emmerder. L'esprit d'enfance des poètes,
rappelle Françoise Dolto, leur permet d'exprimer le fond des choses. De
fait il s'agit bien d'une affaire de fondement."150(*) Il n'y a pas cette double
connotation chez Beckett. Faire, c'est emmerder, à la limite, mais ce
n'est pas donner.
- Le don du torche-cul
Voyons avec quel plaisir Molloy subvertit
précisément cette image du don. Dans la scène de l'agent,
il donne un torche-cul en guise de papier d'identité. Il n'y a pas de
cadeau. Beckett ne fait pas cadeau à personne. Il faut se garder de
céder à une interprétation sublimante de la scatologie. Le
torche-cul reste quelque chose d'infiniment sale. Certes la théorie
psychanalystique d'Abraham formule que "L'excrément serait ainsi le
premier cadeau offert par l'enfant à celle qui prend soin de
lui."151(*) Mais la
scène du don de Molloy n'est qu'une blague, qu'une affreuse blague sans
aucun cadeau à l'arrière plan. Pour la simple raison, que Beckett
n'est pas un enfant. Il n'est pas innocent et naïf. Il n'est pas ce Molloy
débile qui affirme: "Or les seuls papiers que je porte sur moi, c'est un
peu de papier journal, pour m'essuyer, vous comprenez, chaque fois quand je
vais à la garde-robe, non mais j'aime être en mesure de le faire
le cas échéant. Cela est naturel, il me semble. Affolé je
sortis ce papier de ma poche et le lui mis sous le nez. Le temps était
au beau. Nous prîmes par des petites rues ensoleillées, peu
passantes, moi sautillant entre mes béquilles, lui poussant
délicatement ma bicyclette de sa main gantée de blanc."152(*) Ce passage hilarant n'a de
valeur que par sa capacité destructrice de la figure de l'ordre, du
cliché de l'atteinte à la figure de l'ordre, du lyrisme
printannier, de la fausse confidence autbiographique. Cette scatologie est
décapante. Il ne faut pas trahir cet usage corrosif de la merde chez
Beckett, pour en faire une fleur de vertu, une fleur de littérature ou
une fleur de rhétorique critique.
- L'ECOEURANTE BÊTISE
La merde est un objet de vengeance, au même titre que
l'est l'histoire qu'il crée pour nous. Il se venge en prêtant
à des personnages ses propres paroles comme autant de cadeaux
empoisonnés."...je leur prêterai des propos qu'on ne donnerait pas
à un chien, une oreille, une bouche, avec quelques débris
d'entendement au milieu, je me vengerai, quelques crottes d'entendement, ils
verront ce que c'est, je leur foutrai un oeil quelque part dans le tas, comme
ça au jugé, des fois qu'il pourrait s'égarer quelque chose
devant, je m'assiérai dessus et je leur chierai des histoires, des
photos, des dossiers, des sites, des lumières, des dieux, des prochains,
toute la vie de tous les jours, en gueulant, Naissez chers amis naissez,
rentrez-moi dans le fondement, vous verrez s'il fait bon si tordre, ce ne sera
pas long, j'ai la courante."153(*) Tout ce qu'il produira, les pages écrites,
mais aussi les choses écrites, sera une merde puante. Chier des
histoires n'est pas qu'une tournure plaisante, c'est une agression. Beckett
agit comme certains animaux dont la libération de déchets est la
principale arme. Bachelard citant Buffon affirme : "On trouverait facilement
chez certains névrosés une agression par l'ordure qui rappelle
certaines conduites animales. Buffon a cité de nombreux exemples
d'animaux qui dans leur fuite, répandent une urine nauséabonde,
voire des excréments dont la puanteur leur sert de moyen de
défense contre leurs ennemis."154(*) Les personnages se donnent ainsi des merdes entre
eux, comme Molloy à l'agent, mais c'est également le narrateur
qui chie des immondices à son lecteur. Difficile de comprendre la
métaphore, loursqu'un texte qui court sur une page blanche en
caractères propres et réguliers semble là pour le plasir
de l'oeil. On pourrait l'exprimer malgré de la manière suivante.
La teneur polémique du texte tient en sa "bêtise", sa bêtise
insondable sans restriction, sans arrière pensée,
écoeurante d'indifférence à l'égard de la
supposée intelligence du lecteur: "c'est comme ça que je les
écoeurerai à la fin, par ma bêtise"155(*) Et l'affirmation n'est pas
seulement théorique. Montrer son cul c'est montrer sa connerie : "Elle
est si con, la lune. Ca doit être son cul qu'elle nous montre
toujours."156(*)
L'Innommable ne se prive pas pas de dire des bêtises
réellement écoeurantes: "Je suis peut-être un sperme qui
sèche, dans les draps d'un gamin, c'est long, il faut tout envisager, il
ne faut pas avoir peur de dire une bêtise."157(*) La connerie est le non sens
cul: "Et je suis à nouveau je ne dirais pas seul, non, ce n'est pas mon
genre, mais, comment dire, je ne sais pas, rendu à moi, non, je ne me
suis jamais quitté, libre, voilà, je ne sais pas ce que ça
veut dire mais c'est le mot que j'entends employer, libre de quoi faire, de ne
rien faire, de savoir, mais quoi, les lois de la conscience peut-être, de
ma conscience, que par exemple l'eau monte à mesure qu'on s'y enfonce et
qu'on ferait mieux, enfin aussi bien, d'effacer les textes que de noircir les
marges, de les boucher jusqu'à ce que tout soit blanc et lisse et que la
connerie prenne enfin son vrai visage, un non-sens cul et sans
issue."158(*) L'oeuvre
est sale, puante, mais pas d'une saleté baudelairienne ou même
bataillienne. Elle est volontairement médiocre. Beckett fait le
même emploi de la merde que l'artiste peintre Jacques Lizerne. Celui-ci
qui se définit comme un "artiste de la médiocrité" peint
avec de la merde, non pas pour transfigurer le laid en beau, mais
volontairement rester dans le laid et le sale. Son regret après chaque
création est de ne pas avoir été assez médiocre.
159(*)
- Insultes
Le lecteur ne peut recevoir le texte que comme une insulte. Il
est dans la position de Lousse devant son perroquet qui l'assène
d'obscénités. Là où le lecteur attendait du beau ,
du "pretty", il recevra des grots mots.: "Elle avait un perroquet, très
joli, toutes les couleurs les plus appréciés. Je le comprenais
mieux que sa maitresse. Je ne veux pas dire que je le comprenais mieux qu'elle
le comprenait, je veux dire que je le comprenais mieux que je la comprenais
elle. Il disait de temps en temps, Putain de conasse de merde de chiaison. Il
avait dû appartenir à une famille française avant
d'appartenir à Lousse. (...) Lousse essayait de lui faire dire, Pretty
Polly! Je crois que c'était trop tard. Il écoutait la tête
de côté, réfléchissait, puis disait, Putain de
conasse de chiaison de merde."160(*) Volontairement laborieuse, cette phrase de Molloy
qui peine à aligner deux pensées à la suite, est aussi
désinvolte pour le lecteur que les mots du perroquet ne le sont pour sa
maîtresse. Bachelard insistait sur l'importance des insultes
scatologiques, liés à des mécanismes psychiques primitifs
: "En travaillant dans cette zone psychologique inférieure, le
psychologue comprendrait mieux certains aspects scatologiques des injures
humaines."161(*) Il y a
du caca là on l'on attend le beau. Ces oiseaux clichéiques aux
couleurs flamboyantes sont à l'image du "cacatois" auquel
L'Innommable identifie ses yeux, fenêtres de l'âme : "A
bien y réfléchir, ce gris est légèrement
rosé comme le plumage de certains oiseaux, dont le cacatois je
crois."162(*) Le
"cacatois" est une petite voile carrée, le "cacatoès" ou le
"kakatoès" est un oiseau grimpeur aux couleurs vives. Visiblement,
Beckett errone volontairement cette orthographe pour obtenir un nom d'oiseau
plus suggestif: le "caca toi". Il se dissimule derrière ces animaux
parleurs comiques pour indirectement lâcher ces merdes. C'est là
un procédé habituel de la scatologie enfantine. "Le perroquet est
un personnage favori des histoires d'enfants... A une obscénité
anale, correspondrait une hypocrisie et un déguisement de la
parole."163(*) En
même temps qu'il la déguise le perroquet propose une parole
modèle, à laquelle Molloy adhère totalement. Molloy
comprend mieux le merde que le pretty. D'une manière
générale, il comprend mieux le "français" que l'anglais.
Lousse parle en anglais maniéré, abstrait. Le perroquet qui a
"appartenu à une famille française" a un parler concret. C'est
là précisément ce que Beckett aime dans la langue
française, et la raison pour laquelle il écrit pour la
première fois un roman en français. "L'anglais est tué par
l'abstraction" affirme-t-il164(*). A voir les titres et le style de certains
critiques beckettiens anglais, comme ce Structures, dimensions, et
textualité de B. Fitch, on comprend que l'affirmation de l'auteur
ne se cantonne pas à son époque. Bref, Beckett
préfère le "putain de connasse de chiaison de merde".
- L'AUTRE EN BOUILLIE
Il y a dans ces cadeaux et paroles fangeuses l'expression de
quelques pulsions sadiques, ou de pulsions anales-sadiques. C'est là un
poncif que de voir dans un poème une volonté de subversion. Faire
quelque chose, y compris un poème, c'est chier ou emmerder. Ainsi Aragon
théorise-t-il l'importance de ces pulsions: "La pulsion anale illustre
le début du Traité du style d'Aragon : "Faire en
français, veut dire chier", écrit Aragon »165(*). Pour comprendre que la
merde n'est pas seulement un objet fait pour dégoûter les enfants
sortis de leur phase anale, il faut voir le lien fort qu'elle entretient avec
les pulsions sadiques. Faire veut dire chier et chier veut dire tuer ou se
tuer. Le mot-valise "défungeons d'abord"166(*), composé de
"défunt" et de "fange", suggère cette parenté. Beckett a
lu Sade, et s'est même vu proposer une traduction de ses oeuvres
complètes en 1938167(*). Donner à l'autre une merde, c'est lui
renvoyer une image de lui-même comme être à mourir, comme
être en décomposition. "La répugnance aux matières
corporelles déchues tiennent à cette hantise d'habiter un corps
que l'on sait promis à la dissolution. Tout organisme vivant est du fait
de sa simple existence un déchet potentiel, un cadavre en
puissance."168(*) Les
pulsions anales sadiques suscitent le désir de réduire l'autre en
bouillie, ou de l'écrabouiller, même si les psychanalystes
prennent le soin de distinguer ces deux verbes : "Il nous faut distinguer
l'écrabouillage, comme expression des pulsions orales agressives, de la
réduction en bouillie et du battre, qui est une expression des pulsions
anales sadiques."169(*)
Molloy-Moran réduit le visiteur du soir en bouillie : "Mais un peu plus
tard... je le trouvais étendu par terre, la tête en
bouillie."170(*) Le
visiteur qui sera vitime de ses coups est lui-même animé de
sentiments hostiles. C'est lui aussi un "genre d'emmerdeur"171(*). Molloy est, il est vrai,
lui aussi victime des désirs de destruction de la société.
Ainsi, après avoir écrasé le chien Teddy, il est la cible
d'une bande de justiciers qui veulent le mettre en hachis : « et
on s'appliquait déjà à me mettre en hachis lorsque la dame
intervint.172(*) » si espère-t-il que le fermier
rencontré à la fin de son périple éprouve un
plaisir malin à l'aider: "Rendre ce petit service à un
pélerin en marmelade, vous avouerez que c'est tentant."173(*) Lui aussi est en
décomposition par l'effet de son voyage. Malone aussi se livre à
l'écrabouillage du crâne de ses congénères :
"Combien de personnes ai-je tué en les frappant sur la tête ou en
y foutant le feu. Pris ainsi au dépourvu je n'en vois plus que
quatre"174(*) . Dans le
processus sadique de la dégradation de l'autre, la merde joue un
rôle bien connu. Cyrille Harpet étudie le rapport imposé
aux prisonniers des camps de concentration à leur propre
excrément : "Dans le cas des camps de concentration, il s'agit d'amener
les individus détenus à se répudier eux-mêmes... Le
déchet excrémentiel n'est point l'objet d'une épreuve
d'affirmation de soi, de valorisation des forces vitales et organiques. Il
devient un indice au jour le jour des forces en perdition , d'un
affaiblissement. Il est l'indice non seulement des manques endurés mais
aussi des humiliations en présence des bourreaux."175(*)
- FAIRE CHIER SON FILS
On peut réduire l'autre à un état fangeux
en lui donnant de la fange, c'est-à-dire en chiant sur lui. Mais,
au-delà de l'insulte, ce n'est pas le pire châtiment. Le pire
c'est de le faire naître comme fange. Beckett emprunte aux enfants leur
théorie cloacale de la naissance. Faire naître c'est chier, c'est
faire souffrir, c'est faire mourir déjà. Le père n'est
là que pour mieux tuer ou faire chier ses personnages. Le thème
de la cruauté paternelle court dans les trois romans, mais il est mis en
scène dans Molloy, lors de la scène des lavements. Moran
fait chier son fils Jacques au sens propre : " As-tu chié, mon enfant?
dis-je tendrement. J'ai essayé, dit-il. Tu as envie? dis-je. Oui,
dit-il. Mais rien ne sort, dis-je. Non, dit-il. Un peu de vent, dis-je. Oui,
dit-il. Il me souvint soudain du cigare du père Ambroise. Je l'allumai.
Nous allons voir ça, dis-je, en me levant. Nous montâmes à
l'étage. Je lui fis un lavement à l'eau salée. Il se
débattit mais pas longtemps, je retirai la canule. Essaie de le garder,
dis-je, ne reste pas assis sur le pot, couche-toi à plat ventre. Nous
étions dans la salle de bains. Il se coucha sur les carreaux son gros
cul à l'air. Laisse-le bien pénétrer, dis-je. Quelle
journée. Je regardai la cendre de mon cigare. (...) Un bruit de vidange
me ramena à des soucis moins élevés. Il se releva tout
tremblant. Nous nous penchâmes ensemble sur le pot qu'après un
long moment je pris par l'anse et fis pencher de côté et d'autre.
Quelques copeaux filandreux nageaient dans le liquide jaunâtre. Comment
veux-tu chier quand tu n'as rien dans le ventre?"176(*) Par la trivialité du
sujet de discussion, par l'abondance des propositions incises qui signalent que
malgré tout Moran essaie de mettre en forme ce dialogue, et par l'effet
de masse typographique, l'échange entre le père et le fils est
dénaturé. La "tendresse" paternelle est parodiée. Moran
humilie son fils au sens étymologique , c'est-à-dire qu'il le met
au sol.
- L'image du CIGARE
Comment interpréter l'attention subitement
portée par le père à son cigare? Cet objet est important.
Il parcourt Molloy et intervient de manière
privilégiée dans les scènes scatologiques. Le
propriétaire du poméranien constipé ôte son cigare
de la bouche lorsqu'il saisit son chien : "La constipation chez les
Poméraniens est signe de bonne santé. A un moment donné,
préétabli si vous voulez, moi je veux bien, le monsieur revint
sur ses pas, prit le petit chien dans ses bras, ôta le cigare de sa
bouche et plongea son visage dans la toison orangée."177(*) L'homme disparaît
ensuite avec son cigare, lequel est désigné par une
périphrase : "Il disparut la chose fumante à la main"178(*). Dans la deuxième
partie, le cigare de Moran offert par le Père Ambroise179(*) est l'objet d'une longue
digression, lorsqu'il est retrouvé loin de la ville de Shit : "Mon
cigare s'était éteint sans que j'y eusse pris garde. Je le
secouais et le mis dans ma poche, avec l'intention de le jeter dans le
cendrier, ou dans la corbeille à papier, plus tard. Mais le lendemain,
loin de Shit, je le retrouvai dans ma poche et ma foi non sans satisfaction.
Car je pus encore en tirer quelques bouffées. Découvrir le cigare
froid entre mes dents, le cracher, le chercher dans l'obscurité, le
ramasser, me demander ce qu'il convenait d'en faire, en secouer la cendre et le
mettre dans ma poche, me représenter le cendrier et la corbeille
à papier, ce n'était là que les principaux relais d'un
processus que je fis durer un quart d'heure au moins."180(*) Quel intérêt de
chercher un cigare dans l'obscurité puis de le ramasser ? Quel plaisir
à se représenter durant un quart d'heure le cendrier et la
corbeille à papier alors que ces objets ne sont ni spectaculaires ni
comiques ? Ces objets reviennent plus loin dans l'esprit du narrateur, toujours
en objets virtuels et imaginés. Le cigare est à nouveau perdu
puis retrouvé et enfin jeté, ni dans la corbeille ni dans un
cendrier mais par terre : "Le premier jour, je trouvai le mégot du
cigare du père Ambroise. Non seulement je ne l'avais pas jeté
dans le cendrier, dans la corbeille à papier, mais je l'avais mis dans
ma poche en changeant de costume. Cela s'était passé à mon
insu. Je le regardai avec étonnement, l'allumai, en tirai quelques
bouffées, le jetai. Ce fut le fait marquant de cette première
journée."181(*)
Le "mégot" en anglais se dit "butt", mot qui signifie également
"cul". Beckett joue ailleurs avec ce xénisme en évoquant Butt
Bridge, le Pont du cul182(*). Le cigare est d'ailleurs répertorié
comme symbole obscène. Il peut désigner la merde, comme dans
l'expression "avoir le cigare aux lèvres"183(*), mais il peut aussi
désigner le pénis en français comme en anglais dans des
expressions comme "avaler la fumée" ou "swallow the smoke" où la
fumée prend le sens de "foutre"184(*). Quel que soit le référent du symbole,
si c'en est effectivement un, la métaphore présenterait une
certaine cohérence. Le plaisir éprouvé par le père
à côté de son fils le cul a l'air pourrait suggérer
l'expression d'une sodomie symbolique, excitée elle-même par
l'évocation de la merde de l'enfant : "il me souvint alors du cigare"
intervient juste après le dialogue scatologique. La corbeille à
papiers pourrait ressembler à une cuvette remplie de papiers
hygiéniques, les mêmes que Molloy conserve
précisément dans sa poche.
Le cendrier semble également métaphoriser un objet
coriace à l'interprétation. Pourquoi Molloy éprouve-t-il
un coup au coeur à la vue d'une mouche au-dessus de son cendrier
précisément au moment où il affirme : "Mais par moments il
me semblait que je n'en étais plus très loins [de Molloy], que je
m'en approchais comme la grève de la vague qui s'enfle et blanchit,
figure peu appropriée à ma situation, qui était
plutôt celle de la merde qui attend la chasse d'eau. Et je note ici le
petit coup au coeur que j'eus une fois, chez moi, lorsqu'une mouche, volant bas
au-dessus de mon cendrier, y souleva un peu de cendre du souffle de ses
ailes."185(*) Les
mouches volent plutôt au-dessus des bouses que des cendriers : "Les
mouches répondent de moi si l'on veut mais jusqu'à quel point? Ne
se poseraient-elles pas avec autant d'appétit sur une bouse de vache
?"186(*) . Alors
pourquoi sont-elles ainsi liées à la cendre ? La cendre peut
être une image du fumier, sachant que le tas de "fumier" sur lequel on a
l'habitude de représenter Job n'est en fait dans la Bible qu'un tas de
cendre : "Et Job prit un tesson pour se gratter et s'assit la
cendre. » (Job, 2:8) Il y a donc là une métaphore
extrèmement dense et difficile à expliquer. Cigare et cedrier
sont liés à la merde, laquelle figure le plus souvent dans leur
"co-texte"que dans leur contexte. L'interprétation n'en est que plus
corsée. La fumée qui s'en dégage rappelle de cet univers
de cendre conjuguée à la mention des "charniers"187(*) et à celle des "fours
à gaz" de chez Molloy, concorderait avec la lecture de Ludovic Janvier
selon laquelle l'image de la Shoah hante l'oeuvre de Beckett. Quoi qu'il en
soit, cet excursus permet d'affirmer qu'il y a dans le geste du père
l'expression d'une pulsion inavouée, et qui pourrait s'apparenter
à une pulsion anale sadique.
3.4- NAITRE PAR LE TROU DU CUL
- Théorie cloacale de la naissance
La pulsion de mort des pères à l'égard de
leurs enfants peut s'expliquer par cette théorie. Malone se
présente comme le père d'une longue progéniture s'achevant
avec Macmann, son « dernier188(*) ». Ses enfants, c'est-à-dire ses
personnages, sont faits à son image, de même les créatures
terrestres sont à l'image de Dieu : "Oui, j'essaierai de faire, pour
tenir dans mes bras, une petite créature à mon image, quoi qu'on
dise."189(*) Mais
à la différence du Dieu chrétien, Malone n'est pas Amour
envers eux, mais plutôt père dénaturé et
anthropophage: "et si je me raconte, et puis l'autre qui est mon petit, et que
j'ai mangé comme j'ai mangé les autres."190(*) Il évoque le plaisir
paternel de la destruction de l'enfant: "Arriver...à celui qui
m'attendait toujours..., qui me prenait dans ses bras..., et que j'ai fait
souffrir."191(*) Ses
personnages, images de lui-même, sont portés à la
pédophilie incestueuse tel le Gros Louis192(*). Ce sont surtout ses propres
personnages, y compris lui-même soi-disant Malone, que le narrateur tue
en se tuant lui-même : "A ce moment [de mon décès]
c'en sera fait des Murphy, Mercier, Molloy, Moran, et autres Malone."193(*), "Moll. Je vais la
tuer."194(*) Ainsi
personnages et narrateur donnent la vie et la mort à leurs enfants.
Le parent est un maître sadique qui réduit le
fils esclave au statut de merde. Naître c'est être chié.
L'enfant n'est que le déchet du parent. "Parler de bicyclette et de
cornes quel repos. Malheureusement ce n'est de pas cela qu'il s'agit mais de
celle qui me donna le jour, par le trou du cul si j'ai bonne mémoire.
Premier emmerdement."195(*) Cette image a été
étudiée par Freud et Abraham. Elle s'inscrit dans la
"théorie cloacale de la naissance" que Freud définit ainsi : "La
théorie cloacale des enfants consiste à soutenir que l'enfant
naît de l'intestin comme un caca : "La défécation est le
modèle de l'acte de naissance" écrit Freud."196(*) Sachant Beckett
imprégné de la représentation chrétienne de la
fange comme il est, comment alors la naissance pourrait-elle alors être
autre chose qu'un inconvénient pour reprendre le mot de Cioran?
Naître est le mal absolu. La merde qu'est le bébé est bien
l'objet le plus misérable et le plus noir qu'on puisse imaginer. La
déesse Merde est la déesse de l'enfantement. Ainsi Molloy
prétend aller prier la madone de Shit, la madone des femmes enceintes :
" C'est à elle que je dois d'avoir perdu mon fils, dis-je, mais d'avoir
conservé la maman... C'est la madone des femmes enceintes, dis-je, des
femmes mariées enceintes, et j'ai juré de me traîner
misérablement jusqu'à sa niche, pour lui exprimer ma
reconnaissance."197(*)
L'enfant naît comme une merde et sous le signe de la merde.
Le théorie cloacale est inspiré de l'observation
des poules. C'est du cloaque de la poule que sort l'oeuf nouveau-né. Or
la poule est un des animaux importants du bestiaire, pourtant très
pauvre, de la trilogie. Moran est très inquiet au sujet d'une de ces
poules. Avant de partir, il en parle au père Ambroise : "Et moi
pour ne pas être en reste, je l'informai que mes poules me donnaient
beaucoup de soucis, et en particulier ma poule grise, qui ne voulait plus ni
pondre ni couver et qui depuis plus d'un mois restait assise du matin jusqu'au
soir, le cul dans la poussière. Comme Job, haha, dit-il. Moi aussi je
fis haha."198(*) Le
prêtre fait allusion au passage déjà cité du livre
de Job: "Et Job prit un tesson pour se gratter et s'assit sur la cendre. (Job,
2:8)
" La guérison de la poule est peut-être la seule
obsession de Moran. Elle consisterait à quitter le tas de cendre, et
peut-être à quitter le statut misérable de l'homme. Cette
misère est physique puisque la maladie de de la poule renvoie à
la constipation humaine. Mais elle est aussi morale puisque elle peut aussi
renvoyer à la stérilité créatrice. L'auteur
n'arrive plus à donner naissance. Parmi les grandes questions
métaphysiques que Moran se pose à son retour, il mentionne son
inquiétude intacte pour la poule grise: "11° Qu'étaient
devenues mes poules, mes abeilles? Ma poule grise vivait-elle
toujours?"199(*) Il y a
forcément un double sens derrière le mot
« poule », qui en dit "plus":"Je dirai que je pensais
beaucoup à mes poules, plus qu'à mes poules, et Dieu sait si je
pensais à mes poules."200(*) A son retour, "Mes poules étaient mortes
aussi. Seulement elles, on les avait tuées autrement, sauf la grise
peut-être."201(*)
La poule grise semble aussi immortelle qu'irréelle. Elle franchit le
seuil du livre puisque dans Malone meurt, même Malone en parle:
"c'était une poule grise, toujours la même
peut-être."202(*)
Faut-il y voir le spectre gris de la création à la fois immonde,
puisque cloacale, et occasionnellement stérile qui court d'une oeuvre
à l'autre ?
Donner la naissance, c'est faire du mal. Ainsi le narrateur
vante-t-il les mérites de l'adulte sans enfant qu'est Macmann : "Entre
lui et ses hommes sévères et graves, à barbe d'abord,
à moustache ensuite, il y avait cette différence que sa semence
à lui n'a jamais fait de mal à personne."203(*) Le bien, du moins le
meilleur qu'il puisse souhaiter, est de se rêver à l'état
pré-natal." Oui, voilà, je suis un vieux foetus à
présent, chenu et impotent, ma mère n'en peut plus, je l'ai
pourrie, elle est morte, elle va accoucher par voie de gangrène, papa
aussi peut-être est de la fête, je déboucherai vagissant en
plein ossuaire, d'ailleurs je ne vagirai point, pas la peine."204(*) Comme Job, Malone
souhaiterait ne jamais avoir été expulsé sur son tas de
fumier. Comme Job, il pourrait crier:
"Pourquoi m'as-tu fait sortir du sein de ma mère?
Je serais mort, et aucun oeil ne m'aurait vu ;
Je serais comme si je n'avais pas existé,
Et j'aurais passé du ventre de ma mère au
sépulcre." (Job, 10: 18, 19)
- LA SCIURE
Le caractère merdique des personnages n'est pas
seulement dû à leur éthos intrinsèque. Il
résulte aussi d'un rapport dégradant à leur auteur dont
ils ne sont que le déchet. Les personnages aux noms scatologiques le
portent bien. Bien plus, ils sont à l'image de l'ensemble du personnel
romanesque de la trilogie et même d'avant : celle du déchet.
Le narrateur de Molloy et celui de L'Innommable
évoquent leurs créations antérieures sous deux
métaphores ayant trait au déchet organique : la tourbe et la
sciure. D'une part ils constituent une "tourbe" dans l'esprit de Molloy :
"Quelle tourbe dans ma tête, quelle galerie de crevés. Murphy,
Watt, Yerk, Mercier et tant d'autres.205(*)" La tourbe signifie d'abord d'une manière
péjorative la foule. Mais c'est aussi une matière spongieuse
résultant de la décomposition de certains végétaux.
Déchets d'êtres vivants, les personnages sont des morts. Ils n'ont
pas le droit à la naissance par voie imaginaire que pourrait leur
conférer l'illusion référentielle.
La deuxième métaphore éloquente, fournie
par Malone, est celle de la sciure ou des copeaux : "Quand j'y pense au temps
que j'ai perdu avec ces paquets de sciure, à commencer par Murphy, qui
n'était pas le premier, alors que je m'avais, moi, à domicile,
sous la main...206(*)".
La sciure est le résidu de bois dans lequel les animaux de compagnie
font leurs besoins. Elle est double déchet, déchet industriel et
déchet organique. Mahood qui vit dans la sciure offre une image de
l'écrivain qui baigne dans ses personnages insatisfaisants et qu'il lui
faut évacuer. C'est pourquoi une dame s'occupe de la changer
régulièrement. "Me débarasserait-elle [Madeleine] de mes
misérables excréments tous les dimanches,... changerait-elle ma
sciure, répandrait-elle du sel sur ma tête malade, j'espère
que je n' oublie rien, si je n'étais pas là ? 207(*)" La sciure est un
agrégat de copeaux. Or les copeaux désignent à d'autres
moments du texte explicitement la merde, mais sous sa forme la plus maladive et
malsaine. Dans Molloy: "Quelques copeaux filandreux nageaient dans le
liquide jaunâtre. Comment veux-tu chier quand tu n'as rien dans le ventre
? 208(*)" Le copeau
est reste d'être lui-même bon à jeter. Il est éternel
déchet. Les paquets de sciure que constituent les personnages
évoquent donc leur caractère foncièrement négatif.
Les personnages sont des déchets de l'auteur, et non pas des perles. Et
ces déchets ne deviendront jamais perles. La merde qui les entoure dans
leurs lits ou dans leurs vases leur interdit toute grandeur romanesque. Ils
sont condamnés à mourir dans leur propre merde. Montaigne
déjà notait avec humour le ridicule de cette mort absurde
à la fin de ses Essais: "Arius et Léon, retirés
de la dispute pour douleur de ventre à la garde-robe, tous deux y
rendirent subitement l'âme." (Montaigne, "Qu'il faut sobrement se
mêler des ordonnances divines.") Et dix ans après
L'Innommable, le héros français qu'était le
général de Gaulle disait à Chaban Delmas après
l'attentat manqué de Pont-sur-Seine en septembre 1961: "C'aurait
été une belle mort. Ca vaut tout de même mieux que de
mourir d'une attaque aux cabinets." (255). C'est précisément ce
qui arrive aux personnages beckettiens. Pire, ils sont privés d'une
belle mort, mais en connaissance de cause: il n'y a pas de belle mort. La
merde est l'image de cette impossibilité.
4. Une poétique de L'ELIMINATION
4.1- Oralité et analité : LES MOTS
PAR LE TROU DU CUL
Depuis la psychanalyse , le lien entre oralité et
analité est devenu un poncif. Selon Joël Clerget, le lien est
organique, l'activité orale interagissant avec l'activité anale :
"L'analité est subordonnée à l'oralité dans la
mesure où la déglutition et l'ingestion engendrent au niveau de
l'estomac une stase digestive et, sur le trajet intestinal, une circulation qui
aboutit à l'activité sphinctérienne anale."209(*) D'ailleurs, à
l'état embryologique, anus et bouche seraient inversées: "Karl
Abraham rappelait que l'anus embryologiquement, correspond à la bouche
originaire ayant migré pour aller jusqu'à
l'extrémité de l'intestin."210(*) Cette parenté organique imprègne
fortement notre imaginaire puisque nos habitus langagiers fontionnent selon le
schéma de l'assimilation et de la déjection : "Toute la
scolarité primaire se fait avec le jeu des pulsions anales et orales.
Apprendre est une métaphore de l'assimilation." 211(*)
- LA PORTE
Beckett confond volontairement l'anus et la bouche. La
plaisanterie faite par Moran à son fils joue de cette parenté:
"Comme il s'éloignait, ayant sans doute compris l'essentiel, j'ajoutai
avec jovialité, Tu sais dans quelle bouche le mettre? Puis Moran
d'ajouter: "... Mais j'avais mal tourné ma phrase, j'aurais dû
dire plutôt, Ne te trompe pas d'entrée. C'est en scrutant de plus
près le plat du berger que j'eus ce repentir"212(*) Le plat du berger est le
plat du pauvre. En quoi la vue du plat du berger oblige-t-elle à
considérer l'anus comme une entrée davantage que comme une
bouche? L'anus est une sortie, pas une entrée. Et pourtant, chez
Beckett, l'anus est davantage entrée que ne l'est la bouche parce que le
corps ne fait pas qu'expulser de la merde, il ingère également.
L'anus est une porte qui fonctionne dans les deux sens : "On le
méconnait, à mon avis, ce petit trou, on l'appelle celui du cul
et on affecte de le mépriser. Mais ne serait-il pas plutôt le
portail de l'être dont la célèbre bouche ne serait que
l'entrée de service ?213(*) » La porte est un objet
particulièrement intéressant : "la porte, c'est la porte qui
m'intéresse"214(*). Une porte est un trou par lequel on entre et on
sort, le choix du verbe dépendant du côté où l'on se
place. Les Français disent d'un comédien qu'il "entre" sur
scène. Les Espagnols diront qu'il "sort". Entrée et sortie
dépendent du point de vue adopté.
- Le mot entrant
Le mot est intrusion de l'altérité au sein du
corps. Il vient détruire l'harmonie. Il est un étranger qui vient
remplacer le soi : "je suis en mots...je suis tous ces flocons... Je suis tous
ces mots, tous ces étrangers, cette poussière de verbe, sans fond
où se poser, sans ciel où se dissiper..."215(*). Ecrire avec des mots est
une réexpulsion agressive. Michaux parle aussi de cette agression
extérieure que sont la nutrition et la compréhension : "La boule
donc perdit sa perfection.
La perfection perdue, vient la nutrition , viennent la
nutrition et la compréhension. A l'âge de sept ans, il apprit
l'alphabet et mangea."216(*) L'Innommable vit cette intrusion des mots,
qui représentent la culture au sens large. Mais il conserve l'espoir de
les "faire siens": "Il sait que ce sont des mots, il ne sait pas si ce ne sont
pas les siens, c'est ainsi que ça commence, personne ne s'est jamais
arrêté en si bonne voie, un jour il les fera siens, se croyant
seul, loin de tous, hors de portée de toute voix, et il viendra au jour
dont ils lui parlent."217(*) Comme de la nourriture, la langue est faite pour
être ingérée puis recrachée avec plus pour donner un
résultat plus ou moins personnel : la parole.
- Le mot sortant
La parole sortante n'est jamais inventée :
« On n'invente rien, on croit inventer, s'échapper, on ne fait
que balbutier sa leçon, des bribes d'un pensum appris et
oublié...218(*) » Comme la bouche, comme Butt Bridge,
l'anus fonctionne "dans les deux sens": "Et je me dis que depuis le dernier
contrôle de mes possessions il est passé de l'eau sous Butt
Bridge, dans les deux sens."219(*) Le narrateur peut ingérer de
l'excrément : "...tenez voici le rapport sanitaire... à nourrir
avec précaution, d'excréments..."220(*), mais celle-ci est
métaphore d'autres choses : des mots ou des personnages. Comme le dit R.
Ballalai à propos des descriptions physiques en général
chez Beckett, certains personnages rappellent ceux de Jérome Bosch:
"Dans son ensemble en ce qui concerne les descriptions physiques, l'oeuvre se
présente comme un grand tableau peint à la manière de
Bosch et où se concrétisent en images aberrantes les oppositions
et les paradoxes."221(*)
Un détail de L'enfer, panneau droit du Triptyque du Jardin des
Délices, présente en effet un personnage damné qui
tente d'introduire une flûte à bec dans son anus. Le monde essaie
de s'ingérer au sein du corps par les orifices les plus
hermétiques à qui "tout répugne"222(*). Il risque alors de
s'aliéner au monde. Mais cette entrée n'est pas uniquement
présentée comme une mort. Elle peut aussi être naissance
inversée. Reprenant la théorie cloacale énoncée
plus haut, L'Innommable fait naître ses personnages par le trou
du cul, mais dans le sens de l'entrée : "Naissez chers amis naissez,
rentrez-moi dans le fondement, vous verrez s'il fait bon si tordre, ce ne sera
pas long, j'ai la courante."223(*) Le corps n'est pas un lieu d'accouchement ni
même de maturation. C'est un être sensible changeant au sens
platonicien, voué à sa propre corruption mais aussi à
l'impossible acquisition durable des choses. Il n'y a pas d'enrichissement
hexogène. La naissance est aussitôt recrachée dans la
collique. L'apprentissage n'est pas plus noble que l'ignoble expulsion.
L'Innommable accepte cet état de fait et en fait même son
programme narratif. Il ne sera qu'une machine à ingérer des mots,
par l'oreille ou par l'anus ce qui revient au même, et à les
ressortir après. L'écriture est le symétrique oral d'une
processus anal. Elle n'est que l'excrétion de ce que le monde a
déjà excrété en nous-mêmes. "Tels
reçus, par l'oreille, ou hurlés dans l'anus, à travers un
cornet, tels je les redonnerai, les mots, par la bouche, dans toute leur
pureté, et dans le même ordre, autant que possible."224(*) Non seulement il n'y a pas
de création, c'est-à-dire d'être à partir du non
être, mais il n'y a pas plus de production, c'est-à-dire de nouvel
être. Le résultat de l'écriture est un innommable, chose
ineffable mais surtout repoussante. Aussi lorsque Cyrille Harpet regrette que
"pour le commun, le déchet est devenu "non sens", l'"insensé",
l'"ineffable", l"'innommable" »225(*), elle inclut Beckett dans ce commun. En suscitant
chez son fils le dégoût de son propre corps, Moran suscite aussi
en lui le dégoût de son propre langage.
4.2- CHIER SA LANGUE
- CHIER SA LANGUE
Dégoûtant tant qu'il est étranger, le
langage est fait pour être recraché. Beckett donne l'impression de
vouloir "chier sa langue" au sens figuré, comme cet inconnu le fait au
sens propre : "Mais tout ça n'était rien à
côté du visage qui ressemblait vaguement, j'ai le regret de le
dire, au mien, en moins fin naturellement, même petite moustache
ratée, mêmes petits yeux de furet, même paraphimosis du nez,
et une bouche mince et rouge, comme congestionnée à force de
vouloir chier sa langue."226(*) . Cette petite bouche rouge et congestionnée
est une nouvelle figure anale de la bouche, une bouche constipée qui
n'arrive pas à expulser les horreurs qu'elle rumine. Les mots ne sortent
pas comme un feu d'artifice, ils sortent mal et d'une manière
stérile. Comme on chie sa langue, on
« éjacule » aussi des paroles. Certains personnages
féminins de Malone meurt se livrent à ces séances
de masturbation orale, lorsque parlant toutes seules, elles "éjaculent"
des mots. Mme Louis est pris par des crises de folie où gestes et
paroles se bousculent : "Mais cette pantomime et ces éjaculations
n'étaient à l'intention d'aucun vivant." de Mme Louis 227(*). Dans le cas de Mme
Saposcat, on lui attribuerait le verbe « éjaculer »
exactement comme le verbe "dire" : "Agenouillée le soir, dans
sa chemise de nuit, elle éjaculait, mais sans bruit, car son mari
l'aurait désaprouvé, Qu'il soit reçu ! Qu'il soit
reçu ! Même sans mention !"228(*) Ici encore, l'éjaculation du verbe
s'apparente à l'expression d'un tabou. Elle se pratique seul, comme le
narrateur de L'Innommable qui "se croyant seul, espère qu'il
les fera siens". Il y a donc une pratique secrète et obscène du
langage qui s'apparente à une vidange de mots.
- VIDANGES
La vidange est nécessaire pour survivre car le plein
est menace. Le plein est tension interne, comme le dit Cyrille Harpet. "La
vidange concerne les différents modes d'expulsion des matières
liquides ou solides qui entraînent une tension interne."229(*) Moran est saisi par un
dégoût paralysant lorsqu'il se rend compte que ses mains sont
pleines de terre: "J'avais les mains pleines d'herbe et de terre que j'avais
arrachées à mon insu, que j'arrachais toujours. Je
déracinais littéralement. Je m'arrêtai de le faire, oui,
à l'instant où je compris ce que j'avais fait, ce que je faisais,
une chose si vilaine, j'y mis fin, j'ouvris les mains, elles furent
bientôt vides."230(*) Il y a beaucoup de choses à vider chez
Beckett : les intestins du fils malade dont le bruit de "vidange" sort le
père de ses rêveries, mais aussi des personnages entiers, comme
Mahood dans son bain : "Mahood demeurera... pour pouvoir se croire dans le
bain, c'est-à-dire promis à la vidange" 231(*) Mahood souhaite la vidange,
elle est libératrice. De même que la merde qu'est Moran est proche
de la chasse d'eau. Au-delà de cette vidange générale, on
vide surtout des têtes. C'est d'abord la tête de Malone qui est
vidée, y compris de sa propre conscience. "Dans ma tête je suppose
tout glissait et se vidait comme à travers des vannes, jusqu'à ce
que finalement il ne restât plus rien, ni de Malone, ni de
l'autre."232(*) La
vidange de la tête est urgente car c'est elle qui contient le plus de
"saloperies" : "Mais la partie qu'il se frappait le plus volontiers, avec
ce même marteau, c'était la tête, et cela se conçoit
car c'est une partie osseuse aussi, et sensible et facile à atteindre,
et c'est là-dedans qu'il y a toutes les saloperies et les pourritures,
alors on tape dessus plus volontiers que sur la jambe qui ne vous a rien fait,
c'est humain."233(*)
L'ouvrage s'achève d'ailleurs par la formule mise en évidence
typographique: "Glouglous de vidange"234(*). Le bruit de glouglou intervient aussi lorsque la
pluie lave Macmann comme une lessiveuse: "La pluie lui pilonnait le dos avec un
bruit de tambour d'abord, mais bientôt de lessive, comme lorsqu'on fait
danser le linge dans la lessiveuse, avec un bruit de glouglous et de succion."
235(*) On vide, on
lessive parce qu'il y a quelque chose à laver.
- PURGE
Vider, c'est alors purger. Et la vidange s'apparente à
une purge. La vie est une peine à purger, au sens propre du terme: "je
purge mal ma peine, comme un cochon"236(*). Cette catharsis ne peut s'effectuer
entièrement. Kelly Anspaugh parle d'un Beckett "partiellement
purgé"237(*),
expression elle-même employée par Beckett dans son essai sur
Joyce. La purgation physique est elle-même difficile, mais avec un
lavement Moran parvient malgré tout à faire sortir les copeaux
filandreux des intestins du fils. La purgation morale ou plutôt verbale
s'avère encore plus dure. Aussi le champ de la vidange se concentre-t-il
précisément sur la bouche : "Evoquer aux moments difficiles,
où le découragement menace de se faire sentir, l'image d'une
grande bouche idiote, rouge, lippue, baveuse, au secret, se vidant
inlassablement, avec un bruit de lessive et de gros baisers, des mots qui
l'obstruent."238(*) Les
efforts du purgateur doivent se focaliser sur cette bouche uniquement. On ne
doit plus entendre que les bruits de bouche pour parvenir à une vidange,
comme Worm: "Le seul bruit que Worm ait eu est celui des bouches, mots, rots,
rires, succions, postillons et glouglous divers."239(*)
- GLOUGLOUS DE VIDANGE
Le glouglou correspond au bruit de vidange mais aussi au
gloussement : "Tout en gémissant, je rirai, c'est comme ça que
ça finira, par des gloussements, glouglou..."240(*) Il est le bruit de
l'évacuation de la chose sale, mais aussi de la parole sale, du rire
honteux et non affirmé qu'on laisse sortir malgré tout par
faiblesse. Ainsi du corps physique à la bouche en passant par
l'être entier, la vidange ne fait qu'éliminer des déchets
de plus en plus discrets, mais de plus en plus embarrassants. Bien plus, ce
mouvement du corps à la bouche fait penser que l'excrément n'est
pas le seul objet de vidange, qu'il est d'autres objets à expulser
d'urgence. "Il est vrai que les expulsions les plus massives et les plus
préoccupantes sont issues du processus de la digestion et sont donc
rattachés à l'excrément essentiellement. Mais ceci ne
saurait suffire pour alléguer l'idée que le produit de la
digestion demeure l'archétype du déchet."241(*) Et en particulier le mot. La
"dysenterie de paroles" pour reprendre l'expression de Goncourt est alors une
réponse physiologique à une menace obsessionnelle de
l'envahissement par les mots d'autrui. Comme le dit J. Clerget :
"L'obsessionnel peut réagir à cette menace sous la forme de stase
et d'accumulation, de rancoeur et de colère, de voeux de mort et de
haine explosant soudainement comme une vidange, une diarrhée verbale ou
d'autre nature."242(*)
Il faut vomir cette petite voix étrangère qui reste
coincée en travers de la gorge : "... la même petite voix, elle
reste dans la gorge, revoilà la gorge, revoilà la bouche, elle
remplit l'oreille, puis je rends, quelqu'un rend, quelqu'un se remet à
rendre..."243(*). La
vidange de la bouche permettrait de libérer de cette voix
aliénante.
4.3- NOUS REVOILA DANS LA MERDE
On pourrait penser à propos du traitement de la vidange
ce que Véronique Vedrenne formule à propos du traitement du corps
dans le théâtre. Véronique Védrenne dans "Mise en
forme de l'informe" distingue trois phases dans le théâtre de
Beckett. Le premier théâtre, celui de Godot, se
caractérise par la présence sur scène de corps
déformés par l'âge et la souffrance.244(*) Le théâtre des
années 1960, celui de Va-et-vient, vont bien plus loin dans la
représentation d'un corps sans forme, d'un corps informe. Enfin Beckett
mettra en scène ce sujet de l'informe pour donner un corps à
l'informe, comme dans Solo (1979) ou dans Quoi où
(1984). Il y aurait un travail du déchet qui permettrait d'abstraire le
mal en se libérant de la matière sale qu'est le corps. Ainsi, les
mots expulsés, initialement informes, pourraient produire une forme. Et
le mouvement allant de la vidange du corps à celle de la bouche pourrait
faire penser à cette abstraction réussie. Il y a certes
libération ou délivrance : "Dans ma tête je suppose tout
glissait et se vidait comme à travers des vannes, jusqu'à ce que
finalement il ne restât plus rien, ni de Malone, ni de l'autre. Et qui
plus est je suivais fort bien les diverses phases de cette délivrance et
ne m'étonnais point de la voir tantôt ralentir et tantôt
accélérer son allure, tant les raisons m'étaient claires
pour lesquelles les choses ne pouvaient pas se passer autrement."245(*) Mais une fois de plus, cette
purgation n'est que partielle. Même expulsé par autant d'histoires
cathartiques, le déchet reste dans les parages. Quelle que soit
l'histoire, racontée ou entendue, on reste dans la merde: "On m'en a
raconté [des histoires], toujours bonnes, toujours bonnes, pendant un
moment. De toute façon nous revoilà dans la merde."246(*) L'histoire ne permet pas
d'échapper à la merde. A l'inverse, on peut essayer de
s'accrocher à un mot, au lieu de les laisser filer. On peut prendre une
"résolution". Mais de l'extérieur ou de l'intérieur, la
merde menace à nouveau : "Mes résolutions avaient ceci de
particulier, qu'à peine prises il survenait un incident incompatible
avec leur mise en oeuvre. [...] Mais à vrai dire (à vrai dire!)
je n'ai jamais été particulièrement résolu, je veux
dire à prendre des résolutions, mais plutôt disposé
à foncer tête baissée dans la merde, sans savoir qui chiait
contre qui ni quel côté j'avais intérêt à me
planquer."247(*)
Finalement Molloy n'est même pas résolu à sortir de la
merde. La question du « comment en sortir ? » n'en est
même pas une. Foncer dans la merde symbolise l'abandon de tout projet. On
n'échappe pas à ses propres mots, à ceux des autres, pas
à sa propre merde, ni à celle des autres. En fait la vidange
n'est qu'une illusion. Elle fait partie des « jeux de con248(*) » auquel Molloy se
livre, comme le transfert de cailloux d'une poche à l'autre, et Malone
et L'Innommable d'un vase à l'autre. Vider, remplir, vider,
remplir. Le personnage beckettien est l'anti-Hercule dans des écuries
d'Augias restées intactes. Il n'y a pas d'épopée de la
purification. Beckett n'est pas un "Homère de la vidange" comme le dit
Proust à propos de Zola249(*). La vidange n'est pas une solution. Elle n'est
qu'un passe-temps dont il vaut mieux ne pas prendre toute la dimension
d'absurdité: " ...ils s'arrangeraient pour que je ne puisse
soupçonner les deux récipients, celui à vider et celui
à remplir, de n'en faire qu'un seul, ce serait de l'eau, de l'eau, avec
mon dé j'irais la puiser dans un réservoir et j'irais la verser
dans un autre, ou il y en aurait quatre, ou cent, dont une moitié
à vider, l'autre à remplir, numérotés, les pairs
à vider, les impairs à remplir..."250(*). La trilogie s'achève
sur ce constat d'échec. L'espace reste bouché. Le jeu
littéraire n'est qu'une illusion d'espace dégagé: "user de
l'espace avec la même désinvolture, comme s'il n'était pas
bouché de toutes parts, à quelques pouces, c'est
déjà pas mal, quelques pouces, me donner de l'air quoi, me donner
de l'air, où tirer la langue, l'avoir tirée, et la tirer encore."
251(*) Chier sa langue
ne va jamais plus loin que la tirer : on n'évacue jamais totalement
les mots.
Conclusion : l'oeuvre comme merde
Bakhtine oppose la structure rabelaisienne de l'espace-temps
à la structure dantesque. Alors que le monde de Dante est
vertical252(*), avec
Rabelais, "c'est le triomphe de la nouvelle horizontale du mouvement en avant
dans l'espace et le temps réels."253(*) La scatologie rabelaisienne est empreinte de cette
structure. Le bas rabelaisien au lieu de rester comme au Moyen-âge le
fond de l'univers, le mal et la souillure, acquiert comme au carnaval une
nouvelle valeur: celle de l'humanité assumée comme telle, qui
prend son destin en main. "Le bas est le véritable avenir de
l'humanité."254(*) Et d'une certaine manière, la laideur
infernal de la merde devient paradisiaque. "A la vérité,
plutôt qu'à l'enfer c'est au paradis que nous sommes conduits."
255(*)
Analysant l'épisode du Torche-cul du Quart
livre, Bakhtine conclut que loin d'être salis par la merde, "les
objets ressuscitent à la lumière de leur nouvel emploi
rabaissant."256(*)
Beckett rompt avec cette tradition rabelaisienne humaniste. Le bas est
réellement le bas. L'enfer est réellement l'enfer.
L'humanité occupe réellement le bas de l'univers. Et le fait que
le haut n'existe plus n'engendre pas de bouleversement de repère. Le bas
reste le bas. Disons que les personnages sont des clowns et pas des bouffons de
carnaval. Et le burlesque de ces épisodes est plus clownesque que
carnavalesque. Il n'y a pas de fierté d'être un homme
plongé dans sa souillure. Job, Dante, Beckett, telle est la filiation
que permet de confirmer l'étude de la scatologie.
La scatologie ne pose pas de valeurs, aucune. Mais alors
elle-même, et par extention le livre-même, ne valent rien. Pourquoi
lire Beckett ? pourquoi étudier Beckett ?
S'intéresserait-on dans la rue à un objet répugnant et
délaissé de tous ? Cette question nous semble superflue
parce que nous ne prenons pas assez au sérieux le nihilisme de Beckett.
Rien ne vaut, ne signifie pas : le monde ne vaut rien, sauf la
littérature. Prenons le nihislisme au pied de la lettre. La
littérature ne vaut rien, peut-être encore moins que le reste. Et
pourtant nous la lisons. Et pourtant cette absence de valeur est pour nous la
valeur. Nous ne nous en sortirons pas en disant que la valeur est en creux du
texte, c'est-à-dire qu'il faut la trouver dans le non-dit, car Beckett
dit tout ce qu'il a à dire, en l'occurrence que rien ne vaut. Mais
ceci : elle est dans le négatif du texte. La valeur c'est le tout
moins le texte, et si le texte est bon, s'il dit tout, alors la valeur est le
rien. Là est le « silence » auquel Beckett aspire.
Elle est ce qui reste quand le texte est sorti. L'oeuvre est bonne à
jeter. Mais il reste tout ce qui n'est elle. C'est là qu'est la valeur,
dans ce qui n'a pas été fait. Nous voyons trop la valeur sous un
angle existentialiste : l'être c'est le faire. Il faut renverser
cette perspective avec Beckett. La valeur, mais il ne le dira jamais, ne pourra
pas le dire, et nous devons faire ce travail dégradant à sa
place, c'est ce qu'on ne fait pas, ce qu'on ne dit pas. Les mots sont autant de
morceaux d'être, lâchés pour se vider. Alors imaginons, ce
que peut être la valeur de Beckett à la parution de sa
trilogie : celle d'un homme sortant de ses cabinets, se disant « j'ai
chié tout ce que j'ai pu ». Et nous critiques, nous fouillons
sa merde, et cherchons, désespérément et contre toute
évidence, à y trouver de la valeur. C'était qu'il fallait
regarder ailleurs. Lorsque Marcel Mauss disait que « ce qu'il y a de
plus important à étudier dans une société ce sont
les tas d'ordure257(*) », il ne disait pas que l'homme
était une ordure, mais que par l'ordure on pouvait connaître
l'homme. Il en va de même avec le texte beckettien, il est un
détritus de l'âme, mais il permet de connaître l'âme,
disons l'âme, même si bien sûr le mot, tout mot, sera
inexact, car déjà craché et recraché, mais d'une
âme qui cherche, envers et contre tout, à être un peu plus
pur.
La littérature de Beckett ne vaut rien. La scatologie
chez Beckett est fondamentalement un discours négatif et jamais
libérateur. Plus qu'un objet sale et repoussant, elle englobe l'ensemble
des tares, des points faibles. Elle est symbole du négatif en
général tel que l'entrevoit Beckett : "Car tant que
j'étais resté au bord de la mer mes points faibles, tout en
augmentant de faiblesse, comme s'il fallait s'y attendre, n'en augmentaient
qu'insensiblement. De sorte que je me sentais en peine d'affirmer, en me
sentant le trou du cul par exemple, Tiens, il va beaucoup plus mal qu'hier, on
ne dirait plus le même trou. Je m'excuse de revenir encore sur cet
orifice honteux, c'est ma muse qui le veut. Peut-être faut-il y voir
moins la tare qui est nommée que le symbole de celles que je tais,
dignité due peut-être à sa centralité et à
ses allures de trait d'union entre moi et l'autre merde. On le
méconnaît, à mon avis, ce petit trou, on l'appelle celui du
cul et on affecte de le mépriser. Mais ne serait-il pas plutôt le
portail de l'être dont la célèbre bouche ne serait que
l'entrée de service? Rien n'y pénètre, ou si peu, qui ne
soit rejeté sur-le-champ, ou peu s'en faut. Presque tout lui
répugne qui lui vient du dehors et pour ce qui lui arrive du dedans on
ne peut pas dire qu'il se mette particulièrement en frais non plus. Ne
sont-ce pas là des choses significatives? L'histoire en
jugera."258(*) Nous
jugeons. Le véritable Innommable est ce petit trou.
Table des matières
La scatologie dans la trilogie beckettienne
................................................1
Introduction : la fleur et le fumier
...........................................................2
Première partie : Beckett puriste
............................................................4
Chapitre premier : Chier sur la pensée, chier sur les
clichés .............................4
Chapitre deuxième : Maia merde, chier sur la vie
.........................................6
Chapitre troisième : Purisme
.................................................................7
Chapitre quatrième :
Répugnance............................................................9
Deuxième partie : De la courante à
l'urémie : chier.......................................11
Chapitre premier : La
fuite....................................................................11
Chapitre deuxième : La
constipation.........................................................13
Chapitre troisième : Le trou comme de la
merde..........................................15
Troisième partie : Faire
chier.................................................................18
Chapitre premier : Une anthropologie du
chieur...........................................18
Chapitre deuxième : Un monde de merde : se faire
chier.................................20
Chapitre troisième : Cadeaux
empoisonnés : faire chier...................................24
Chapitre quatrième : Naître par le trou du
cul...............................................30
Quatrième partie : Une poétique de
l'élimination..........................................34
Chapitre premier : Oralité et
analité..........................................................34
Chapitre deuxième : Chier sa
langue.........................................................36
Chapitre troisième : Nous revoilà dans la
merde............................................38
Conclusion : L'oeuvre comme
merde.........................................................40
Table des
matières...............................................................................42
Bibliographie.....................................................................................43
Bibliographie
1) La trilogie beckettienne
BECKETT Samuel, Molloy, éd. de Minuit, Paris,
1951.
BECKETT Samuel, Malone meurt, éd. de Minuit,
Paris, 1951.
BECKETT Samuel, L'innommable, éd. de Minuit,
Paris, 1953.
2) Sur la question de la scatologie
BAKHTIN, Mikhaïl, L'oeuvre de François
Rabelais et la culture populaire du Moyen-Age et sous la Renaissance,
Gallimard, 1976.
BERTOLONI, Gérard, Art et déchet : le
déchet matière d'artiste, Le polygraphe, Angers, 2002.
BERTOLONI, Gérard, (et alii) Déchets
d'oeuvre : la littérature et le déchet, Le polygraphe,
Angers,1992.
BOURKE Gregory, Les rites scatologiques,
Préface de Sigmund Freud, édition française établie
par Dominique Laporte, Philosophie d'aujourd'hui, PUF, 1981.
CLERGET, Joël, La pulsion et ses tours : la
voix, le sein, les fèces, le regard, Presses universitaires de
Lyon, 2000.
COLIN, Jean-Paul, Le dico du cul, P. Belfond, La vie
des mots, 1990.
|
CUSSON, Martin Nicolas, Ode à la merde avec des
notes, [s.n.], Montpellier, 1807.
|
DELVOYE, Wim, Cloaca, Exposition, Anvers, Muhka,
2000.
DUPONT DUPONT (Pseud..), D'où vient la
merde ?: Conte épineux, Ed. Qu'osé-je, 1985.
FEIXAS, Jean, Pipi caca popo : histoire anecdotique
de la scatologie, Liber, 1996.
GAIGNEBET Claude, Le folklore obscène des
enfants, Maisonneuve et Larose, Paris, 1980.
GANIM, Russel, Fecal matters in early modern literature
and art: studies in scatology, éditions Jeff Persels et Russel
Ganim, Londres, 2004.
GROSSMANN, Evelyne, « Le Corps de
l'informe », Textuel n°42, 2002.
GURY, Christian, Charlus (1860-1951) ou Aux sources de la
scatologie et de l'obscénité chez Proust, Kimé,
2004.
KRAMER, Reinhold, Scatology and civility in the
English-Canadian novel, University of Toronto Press, Toronto, 1997.
KYUNG-HYUN, Kim, Le statut et la fonction de la scatologie
chez Rabelais - Trois déchets de l'homme : excrément, mot,
rire, Atelier national de Reproduction des Thèses, 1999.
LAPORTE, Dominique, Histoire de la merde, C.
Bourgeois, 2003.
LOPEZ AUSTIN, Alfredo, Una vieja historia de la
mierda, Ediciones Toledo, 1988.
MONESTIER, Martin, Histoire et bizarreries sociales des
excréments des origines à nos jours , Le Cherche midi,
1997.
NOUDELMANN François (dir.), Le corps à
découvert, Editions S.T.H., Paris, 1992.
O'NEIL Bob, Variations scatologiques : pour une
poétique des entrailles, L'attrape-corps, Paris, 2005.
ROLLFINKE, Dieter, The call of Human nature : the role of
scatology in modern german
litterature, University of Massachusetts Press, 1986.
3) Sur Beckett
3.1) Ouvrages d'approche biographique
ANZIEU Didier, Beckett et le psychanalyste, Mentha,
Archimbaud, 1992.
|
|
ANZIEU Didier, Beckett, Archimbaud, 2004.
BARTILLAT, Christian de, Deux amis : Beckett et
Hayden, Presses du village, 2000.
KNOWLSON, James, Beckett, Solin Actes sud,
1999.
KNOWLSON, James, Damned to fame : the life of Samuel
Beckett, 1st Touchstone ed., Touchstone, 1997.
Beckett avant Beckett : essais sur le jeune Beckett :
1930-1945, P.E.N.S, 1984.
3.2) Ouvrages sur le corps chez Beckett
ANSPAUGH Kelly, "The Partially Purged. Samuel Beckett's The
Calmative as anti-comedy" in Canadian Journal of Irish Studies,
n° 22, 1996.
BALLALAI Roberto, Réduction et
désintégration dans l'oeuvre de Samuel Beckett, thèse
pour le doctorat du 3ème cycle présentée devant
l'université de Paris, 1971.
BERNARD, Michel, Samuel Beckett et son sujet, Une
apparition évanouissante, L'Harmattan, 1996.
BONNAUD, Claire, Les femmes chez Beckett, [s.n.],
Faculté des Lettres et de Sciences Humaines, Université de
Provence, 2004.
BORRELI Guy, "Beckett et le sentiment de
déréliction", in Le théâre moderne depuis la
Deuxième Guerre Mondiale, Centre National de la Recherche
Scientifique, Paris, 1967.
BRINGUIER, Thierry, Évanouissement et
vacuité : approches comparées du vide à travers
Comment c'est de Samuel Beckett et la Maison aux neuf
carrés de Shigeru Ban, [s.n.], Université Charles de
Gaulle, Lille, 2003.
CARABETSOU, Hélène, Le corps chez Artaud et
Beckett, [s.n], [s.d], Paris, 1980.
EHRHARD, Peter, Anatomie de Samuel Beckett,
Birkhäuser, 1976.
GROSSMANN, Evelyne, La Défiguration : Artaud.
Beckett. Michaux, Minuit, 2004.
|
JONES, David Houston, The body abject : self and text in
Jean Genet and Samuel Beckett, P. Lang, c2000.
UNEMOTO, Yoichi, Langage et corps - Artaud, Genet,
Beckett, [s.n.], Paris VIII, 1981.
|
Critique of Beckett criticism : a guide to research in
English, French, and German, Camden House, 1994.
3.3) Sur la trilogie
3.3.1) Sur la trilogie en général
ASTBURY, Helen, La Trilogie de Beckett au croisement des
frontières, Atelier national de Reproduction des Thèses,
2003.
FABER, Bernard, Approche sociologique du roman de Samuel
Beckett, [s.n.], 1977.
FITCH, Brian T., Dimensions, structures et
textualité dans la trilogie de Beckett, Lettres Modernes, 1977,
Paris.
FLETCHER, John, The novels of Samuel Beckett, Chatto
and Windus, London, 1972.
MARLIANGEAS, Fabienne, Dérision et subversion du
langage : une écriture de l'écart dans la trilogie romanesque de
Samuel Beckett : Molloy, Malone meurt, L'innommable,
Faculté des Lettres et Sciences Humaines, Limoges, 1996.
SHERZER, Dina, Structure de la trilogie de
Beckett : Molloy, Malone meurt, L'innommable,
Mouton, 1976.
3.3.2) Sur Molloy
DUFFY LEJUEZ, Brigitte, Les perroquets de Flaubert ou
sacrés Loulous.Une analyse des sources du perroquet d'un Coeur
simple et une étude de la réception de Flaubert chez les
auteurs irlandais en général et d'un Coeur simple chez
Elizabeth Owen (1899-1973) et Samuel Beckett, [s.n.], Paris IV, 1995.
LIM, Soo-Hyun Les figures du "double" chez Samuel
Beckett, Atelier national de Reproduction des Thèses, 2003.
SHERINGHAM, Michael, Beckett: Molloy,
Grant & Cutler, 1985.
|
Beckett, Samuel (1906-1989), Molloy
l'expulsé ; Beckett le précurseur, Union
générale d'éditions, 1959.
|
3.4) Sur les influences
3.4.1) La culture irlandaise
|
HARRINGTON, John P, The Irish Beckett, Syracuse
university press, 1991.
|
KIBERD, Declan, Inventing Ireland - The Literature of The
Modern Nation, London, Jonathan Cape ed., 1995.
O'CONNOR, Ulick, Celtic Dawn - A Portrait of The Irish
Renaissance, Dublin, Black Swan, 1991.
PEARCE, Richard, Stages of the Clown : Perspectives on
Modern Fiction from Dostoyevsky to Beckett, Southern Ill. Press, 1970.
3.4.2) La culture continentale
ADMUSSEN, Richard L., The Samuel Beckett manuscripts : a
study, G. K. Hall, c1979.
|
FERRINI, Jean-Pierre, Dante et Beckett, Hermann,
Paris, 2003.
|
|
HAAN, Tonia, Postérité du picaresque au
vingtième siècle. Sa réécriture par quelques
écrivains de la crise du sens. F. Kafka - L.F. Céline - S.
Beckett - W. Gombrowicz - V. Nabokov, [s.n], Lille, 1991.
|
|
JABES, Edmond, "L'enfer"de Dante, Fata Morgana,
1991.
REID, James H, Proust, Beckett, and narration,
Cambridge University Press, 2003.
ZURBRUGG, Nicholas, Beckett et Proust, C. Smythe :
Barnes and Noble books, 1988.
|
|
|
Intertexts in Beckett's work, Rodopi, 1994.
3.4.3) Parallèles philosophiques
MARLIANGEAS, Fabienne, Deleuze, Beckett : le délire
et le dehors de la littérature : les implications critiques d'un recours
littéraire à Deleuze, Faculté des Lettres et Sciences
Humaines, Limoges, 1997.
MONDIOT, Johan, Friedrich Nietzsche et Samuel Beckett : En
attendant le Gai Savoir, Faculté des Lettres et des Sciences
Humaines, Limoges, 1998.
3.5) Sur les questions d'écriture
BRUNO, Clément, L'oeuvre sans qualités :
rhétorique de Samuel Beckett, ed. du Seuil, 1994.
GROSSMANN, Evelyne, L'esthétique de Beckett,
Sedes, 1998.
KNOWLSON, James, Images of Beckett, Cambridge
University Press, 2003.
* 1 cité par C. Gury, in
Charlus ou aux sources de la scatologie chez Proust, p.261
* 2 Gury, p.160
* 3 Lettre de septembre 1896 de
Mme Proust à son fils, cité par Gury, p.253
* 4 Molloy, p.237
* 5 L'Innommable,
p.105
* 6 Bachelard, in La terre
ou les rêveries de la volonté, pp. 126-127
* 7 Bachelard, p.132
* 8 L'Innommable,
p.8
* 9 Malone meurt,
p.72
* 10 L'Innommable,
p.9
* 11 L'Innommable,
p.85
* 12
L'Innommable,p.103
* 13 L'Innommable ,
p.19
* 14
L'Innommable,p.200
* 15 L'Innommable,
p.90
* 16 Molloy, p.39
* 17 T. Trezise, Into the
breach : Beckett and the ends of litterature, Princeton University
Press, 1990, p.67. C'est moi qui traduis.
* 18 Bachelard, p.107
* 19 Bachelard, p.126
* 20 Malone meurt,
p.84
* 21 Malone meurt,
p.99
* 22 L'Innommable,
p.153
* 23 Françoise Schwab in
Jankélévitch V., Philosophie morale, « Le pur
et l'impur », Flammarion, 1998, Paris, p. 585.
* 24 L'Innommable,
p.194
* 25 Molloy, p.220
* 26 Malone meurt,
p.31
* 27 Malone meurt,
p.40
* 28 E.Grossmann,
L'esthétique de Beckett, Sedes, 1998, p.27
* 29 S. Beckett,
Proust, éd. de Minuit, 1990, p.87
* 30 Grossmann, 1998, p.27
* 31 L'Innommable,
p.126
* 32 L'Innommable,
p.8
* 33 R.N. Coe,
Beckett, Edinburgh, 1964, p.18
* 34 P. Foster, Beckett and
Zen, Wisdom Publications, 1989, p.65
* 35 C. Harpet, Du
déchet : philosophie des immondices, Harmattan, 1998, p.114
* 36 V.
Jankélévitch, p.657. C'est moi qui souligne.
* 37 Malone meurt,
p.140
* 38 Malone meurt,
p.21
* 39 Malone meurt,
p.82
* 40 L'Innommable,
p.99
* 41
V.Jankélévitch, p.655
* 42 T. Trezise, Into the
breach : Beckett and the ends of litterature, Princeton University
Press, 1990, p.76
* 43 Bataille, Oeuvres
brèves, Pauvert, p. 77
* 44 De, XXVIII: 18
* 45 Molloy, p.226
* 46 Molloy, p.160
* 47 Malone meurt,
p.116-7
* 48 Molloy, p.21
* 49 Molloy, p.39
* 50 Molloy, p.226
* 51 Molloy, p.107
* 52 Molloy, p.108
* 53 S. Freud, Totem et
tabou, Payot, 1972, p.12
* 54 Molloy, p.226
* 55 Molloy, p.235
* 56 Molloy, p.42
* 57 Molloy, p.162
* 58 L'Innommable,
p.155
* 59 Malone meurt,
p.72
* 60 Molloy, p.170
* 61 Molloy, p.231
* 62 Malone meurt,
p.135
* 63 Harpet, p.140
* 64 J. Clerget, La pulsion
et ses tours, Presse Universitaire de Lyon, 2000, p.122
* 65 Molloy, p.32
* 66 Françoise Dolto,
citée par Clerget, p.124
* 67 Mal vu mal dit,
pp.70-71, cité par M. Bernard, in Samuel Beckett et son sujet :
une apparition évanescente, L'Harmattan, 1996, p.5
* 68 Comment c'est,
74, cité par Bernard, p.5
* 69 G. Borréli,
"Beckett et le sentiment de déréliction", in Le
théâre moderne depuis la Deuxième Guerre Mondiale,
Centre National de la Recherche Scientifique, Paris, 1967, p.45
* 70 L'Innommable,
p.104
* 71 L'Innommable,
p.202
* 72 Molloy, p.14,
* 73 Le grand livre des
chiens, Bison Books, Londres, 1981
* 74 Molloy, p.39
* 75 Molloy, p.
21
* 76 L'Innommable,
p.94
* 77 L'Innommable,
p.8
* 78 Malone meurt,
pp.100-101
* 79 Malone meurt,
pp.135-136
* 80 Malone meurt,
p.130
* 81 Molloy, p.31
* 82 Malone meurt,
p.180
* 83 Molloy, p.221
* 84 Molloy, p.137
* 85 Molloy, p.221
* 86 Molloy, p.109
* 87 Malone meurt, p.
100
* 88 Molloy, p.188
* 89 Molloy, p.189
* 90 L'Innommable,
p.129
* 91 L'Innommable,
pp.130-131
* 92 Malone meurt,
p.75
* 93 E. Jabès,
"L'enfer"de Dante, Fata Morgana, 1991, p. 72
* 94 Jabès, p. 72
* 95 Jabès, p.70
* 96 L'Innommable,
p.94
* 97 1 Inf, III, 6, 7.
Cité par G. Bourke in Les rites scatologiques, Préface
de Sigmund Freud, édition française établie par Dominique
Laporte, Philosophie d'aujourd'hui, PUF, 1981, p.94
* 98 Proust, p.42.
* 99 Molloy, p.23
* 100 Molloy,
p.221
* 101 Platon,
Phédon, GF Flammarion, 1991, 112 a
* 102 Malone meurt,
p.108
* 103 L'Innommable
p.174
* 104 L'Innommable,
p.176
* 105 C. Gaignebet, Le
folklore obscène des enfants, Maisonneuve et Larose, Paris, 1980,
p.156
* 106Malone meurt,
p.72
* 107 Malone meurt,
p.78
* 108 Molloy, p.71
* 109 Molloy, p.74
* 110 L'Innommable,
p.93
* 111 Molloy, p.39
* 112 L'Innommable,
p.155
* 113 Molloy,
p.14
* 114 Molloy, p.
39
* 115 Gaignebet, p.156
* 116 Molloy, p.24
* 117 L'Innommable,
p. 194
* 118 Molloy, p.
108
* 119 Malone meurt,
p. 155
* 120 L'Innommable, p.91
* 121 Clerget, p.121
* 122 Molloy,
p.223
* 123 Molloy, p.19
* 124 Molloy, p.51
* 125 Molloy,
p.113
* 126 Malone meurt,
p.17
* 127 Malone meurt,
p.17
* 128 Malone meurt,
p.181
* 129 Malone meurt,
p.190
* 130 Malone meurt,
p.154
* 131 Molloy, p.50
* 132 L'Innommable,
p. 90-91
* 133 J. Knowlson,
Beckett, Solin Actes sud, 1999, p.444
* 134 Molloy, p. 7
* 135 Malone meurt,
p. 130
* 136 Malone meurt,
p.40
* 137 Malone meurt,
p. 135
* 138 L'Innommable,
p. 142
* 139 Malone meurt,
p.157
* 140 Molloy, p.
54
* 141 Molloy,
p.182
* 142 Molloy,
p.191
* 143 Molloy,
p.191
* 144 Malone meurt,
p. 127
* 145 Molloy,
p.235
* 146 Molloy, p.
108
* 147 Molloy, p.
21
* 148 M. Proust, A la
recherche du temps perdu, Pleiade, tome III, p.281
* 149 L'Innommable,
p.282-283
* 150 Clerget, p.121
* 151 Clerget, p. 121
* 152 Molloy, p.
26
* 153 L'Innommable,
p. 155
* 154 BACHELARD, Gaston,
La terre et les rêveries de la volonté, 1949, p. 109
* 155 L'Innommable,
p. 101
* 156 Molloy, p.
50
* 157 L'Innommable,
p.154
* 158 Molloy, p.
16
* 159 M. Monestier,
Histoire et bizarreries sociales des excréments des origines
à nos jours , Le Cherche midi, 1997, p.275
* 160 Molloy, p.49
* 161 Bachelard, p.111
* 162L'Innommable,
p.24
* 163 Gaignebet, p.90
* 164 Grossmann, p.114
* 165 Clerget, p.121
* 166 Malone meurt,
p.103
* 167 D. Bair, Samuel
Beckett, Fayard, 1990, p. 390
* 168 Harpet, p.102
* 169 Clerget, p. 123
* 170 Molloy,
p.206
* 171 Molloy,
p.204
* 172 Molloy, p.42
* 173 Molloy,
p.235
* 174 Malone meurt,
p.103
* 175 Harpet, p. 178
* 176 Molloy, p.
162
* 177 Molloy, p.
14
* 178 Molloy, p.
14
* 179 Molloy,
p.136
* 180 Molloy,
p.166
* 181 Molloy,
p.184
* 182 Malone meurt,
p.127
* 183 J. Jouet, Les mots
du corps dans les expressions de la langue française, Larousse,
1990, article "merde"
* 184 Dictionnaire
électronique franco-anglais
http://www.orbilat.com/Languages/French/Vocabulary/French-Uncensored.html
* 185 Molloy,
p.221
* 186 L'Innommable,
p.91
* 187
L'Innommable, p. 156
* 188 Malone meurt,
p. 190
* 189 Malone meurt,
p. 85
* 190 Malone meurt,
p.84
* 191 Malone meurt,
p. 34
* 192 Malone meurt,
p.68
* 193 Malone meurt,
p. 103
* 194 Malone meurt,
p. 171
* 195 Molloy, p.
20
* 196 Clerget, p.122
* 197 Molloy, p.
235.
* 198 Molloy,
p.138
* 199 Molloy,
p.228
* 200 Molloy , p.228
* 201 Molloy,
p.237
* 202 Malone meurt,
p. 48
* 203 Malone meurt,
p. 111
* 204 Malone meurt,
p.84
* 205 Molloy, p187
* 206 L'Innommable,
p.173
* 207 L'Innommable,
p.94
* 208 Molloy,
p.162
* 209 Clerget, p.120
* 210 Clerget, p.121
* 211 Clerget, p.123
* 212 Molloy,
p.160
* 213 Molloy,
p.108
* 214 L'Innommable,
p. 200
* 215 L'Innommable,
p.166
* 216 Plume, p.112,
Gallimard, 1963
* 217 L'Innommable,
p.113
* 218 Molloy, p.41
* 219 Malone meurt,
p.127
* 220 L'Innommable,
p.150
* 221 R. Ballalai,
Réduction et désintégration dans l'oeuvre de Samuel
Beckett, thèse pour le doctorat du 3ème cycle
présentée devant l'université de Paris, 1971, p.220
* 222 Molloy,
p.108
* 223 L'Innommable,
p. 155
* 224 L'Innommable,
p.104
* 225 Harpet, p.111
* 226 Molloy, p205
* 227 Malone meurt,
p.46
* 228 Malone meurt,
p.59
* 229 Harpet, p.138
* 230 Molloy,
p.224
* 231 L'Innommable,
p. 144
* 232 Malone meurt,
p.82
* 233 Malone meurt,
p.157
* 234 Malone meurt,
p.190
* 235 Malone meurt,
p.108
* 236 L'Innommable,
p.137
* 237 K. Anspaugh, "The
Partially Purged. Samuel Beckett's The Calmative as anti-comedy" in
Canadian Journal of Irish Studies, n° 22, 1996.
* 238 L'Innommable,
p.172
* 239 L'Innommable,
p.115
* 240 L'Innommable,
p.202
* 241 Harpet, p.130
* 242 Clerget, p.123
* 243 L'Innommable,
p.203
* 244 V. Védrenne,
in GROSSMANN, Evelyne, « Le Corps de l'informe »,
Textuel n°42, 2002, p.165
* 245Malone meurt,
p.82
* 246 Malone meurt,
p.158
* 247 Molloy,
p.41-42
* 248 Molloy, p.75
* 249 Proust, II,
p.789-790, cité par Gury, p.159
* 250 L'Innommable,
p. 184
* 251
L'Innommable, p.173
* 252 M. Bakhtine,
L'oeuvre de François Rabelais et la culture populaire du Moyen-Age
et sous la Renaissance, Gallimard, 1976, p.399
* 253 Bakhtine, p.404
* 254 Bakhtine, p.376
* 255 Bakhtine, p. 375
* 256 Bakhtine, p.371
* 257 cité par Harpet,
p.102
* 258 Molloy,
p.108
|
|