Les contraintes de l'action humanitaire dans les situations de conflits armés: cas de la Côte d'Ivoire( Télécharger le fichier original )par Trazié Gabriel LOROUX BI Université de Cocody- Abidjan - Diplôme d'études supérieures spécialisées en droits de l'homme 2006 |
B : Le manque de professionnalisme etde responsabilité des médias
Tous les observateurs ont constaté que les médias ivoiriens manquent, dans l'ensemble, de professionnalisme. Les manquements « ... à l'éthique et à la déontologie professionnelles sont monnaie courante dans le pays. Plusieurs titres n'hésitent pas à publier des articles à caractère raciste et xénophobe, mettant en danger la sécurité de nombreuses personnes, aussi bien civiles, humanitaires que politiques. Ces médias jettent constamment de l'huile sur le feu en publiant des éditoriaux incendiaires et des articles va-t'en-guerre »198(*). Et ceci s'explique par plusieurs raisons : le manque de moyens financiers, de formation et de contrôle. Le manque de professionnalisme s'explique aussi par des lacunes au niveau de la formation. Le pluralisme des médias instauré en 1990 a entraîné une explosion du nombre de titres et donc de journalistes. En conséquence, ceux-ci ont dû se former sur le tas. Ils n'ont pas eu de formation de base en journalisme et ont souvent un niveau de connaissances générales bas et très douteux. L'une des conséquences de ces faiblesses est la pratique quotidienne de la rumeur et la recherche de sensationnel. Certains journaux se nourrissent des rumeurs et s'efforcent de l'alimenter. La presse serait, par exemple, « la cause de 75 % de la psychose d'un coup d'Etat en Côte d'Ivoire »199(*). Les conséquences de ce manque de professionnalisme et de responsabilité ne seront pas toutes à égrener tant les violations sont légions. Les évènements de novembre 2004 ont largement servi d'exemple. Après les « attaques de l'Hôtel Ivoire », les médias nationaux ont relayé l'information selon laquelle, la France par le biais des actes des soldats de la Force licorne, procéderait au renversement du regime politique et à une autre forme de colonisation. Cette information n'a pas manqué de faire naître un regain de sentiment anti-français. Tout le volet humanitaire de la Licorne en cours s'est trouvé compromis. Les conséquences se sont étalées aux organisations humanitaires à Abidjan et à l'ouest du pays. Elles ont été accusées d'être de connivence, ce qui a valu la destruction de leurs différents sites, laissant ainsi la masse appelant assistance à son propre sort sans vivres ni médicaments. C'est dommage et regrettable que le pouvoir fédérateur des médias ait été transformé en pouvoir destructeur. Le problème de la presse est tellement préoccupant que dans un de ses discours le Président de la République Laurent Gbagbo affirmait en mai 2001 : « J'ai une solution pour tout, mais rien pour la presse... ». On aurait pensé que l'existence des organes de régulation aurait permis de résorber le problème, mais hélas. En effet la Côte d'Ivoire s'est dotée d'un certain nombre d'organe de régulation à l'effet de remédier à cette tare. La Commission nationale de la presse (CNP) a été crée pour le respect certaines dispositions légales, la création d'un journal, sa propriété, ses ressources et son pluralisme. L'observatoire de la liberté de la presse, de l'éthique et de la déontologie (OLPED) sert à renforcer le Code de déontologie des journalistes, assurer le respect d'une certaine éthique professionnelle, la liberté de presse, la sécurité des journalistes et la professionnalisation de la presse. Le Conseil national de la communication audiovisuelle (CNCA) assure l'égalité de traitement des différentes tendances politiques dans les médias, durant les périodes électorales surtout200(*). On peut le constater les instances de régulation des médias n'ont donc pas de réel pouvoir de sanction, ce qui a conduit à un échec. Un changement de stratégie semble porter fruit en ce moment. Les dirigeants ivoiriens, sous la pression des dénonciations internationales (Reporter Sans Frontière, ONU, etc.), ont mis le problème de la presse au centre de leurs priorités, dans le cadre des politiques de restauration de la paix, de projets post-conflit. Cette prise de conscience s'est manifestée lors de la table ronde de Marcoussis et dans la réponse du nouveau gouvernement ivoirien à l'appel de l'OLPED201(*). Se fondant sur la condamnation par l'ONU et à Marcoussis des incitations à la haine de certains médias ivoiriens, l'OLPED va demander au gouvernement de réconciliation nationale de reprendre l'économie générale du régime de presse, de renforcer les autorités de régulation et de favoriser l'indépendance financière des médias. Ce qui est fait depuis 2003 par l'adoption de nouveaux statuts et de nouvelles lois réglementant les médias. Le gouvernement dirigé par le Premier ministre Seydou Diarra s'était engagé sur cette voie. Cela est perceptible dans son discours « ... II est incontestable que la presse et les médias ont joué un rôle primordial dans la crise qui, depuis de longues années, a couvé, puis a fini par exploser dans notre pays. Quant à nos amis de la presse privée, je souhaite voir votre cahier des charges s'ennoblir d'une nouvelle obligation : celle de quitter les sentiers de la presse qui divise pour emprunter ceux de la presse qui réconcilie... A cet égard, le gouvernement favorisera l'éclosion d'une presse nouvelle, financièrement indépendante et bénéficiant du soutien des partenaires de développement internationaux... »202(*).Nous nous réjouissons de la prise de conscience à ce niveau, avec l'espoir que les médias internationaux changerons de fusil d'épaule. * 198 Dans cet article de Reporters sans frontières, du 16/01/ 2003, il a été question de fustiger l'élan génocidaire que prenaient les médias ivoiriens dans la couverture de la crise. * 199 Rapport de Reporters sans frontières sur la crise ivoirienne en 2002 * 200 La lettre de l'IDDH n°13, janvier- février- mars 2007 p6 * 201 Voir communiqué de l'OLPED du 14 janvier 2003 * 202 Discours du Premier ministre Seydou Diarra, lors du deuxième Conseil des ministres du gouvernement ivoirien de réconciliation, le 20 janvier 2003 |
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