Article I. INTRODUCTION GENERALE
Section 1.01 Cadre général et
justification
La problématique des changements climatiques est
devenue une préoccupation majeure de la communauté internationale
pour ses nombreuses implications sur l'avenir de l'environnement global. Les
risques liés au réchauffement planétaire
n'épargnent aucun continent et affectent tous les secteurs de la vie
économique et sociale des populations. Ces modifications du climat ou
changements climatiques désignent une variation statistiquement
significative de l'état moyen du climat ou de sa variabilité sur
de longues périodes (généralement, pendant des
décennies ou plus). Les changements climatiques peuvent être dus
à des processus internes naturels, à des forçages
externes, ou à des changements persistants d'origine anthropique qui
affectent la composition de l'atmosphère. Les impacts des changements
climatiques affectent les secteurs agricoles, forestiers,
énergétiques, les établissements humains et autres
conditions de vie des populations.
L'un des facteurs les plus dynamiques et les plus puissants de
l'environnement actuel est la modification des températures terrestres
du fait de l'effet de serre. L'effet de serre repose sur le principe selon
lequel, le rayonnement qui nous vient du soleil parvient à
pénétrer dans l'atmosphère pour être
réfléchi ou émis par la surface terrestre libérant
ainsi une chaleur qui maintient les températures moyennes globales
à 15° C au lieu de -18° C en l'absence de ce
réchauffement naturel. Ainsi, l'effet de serre à proprement
parler est un phénomène essentiel pour que la vie se
développe sur terre. Sans ces gaz les températures globales sur
terre seraient si basses que la vie y serait impossible. Ainsi, le
problème du réchauffement planétaire est une question de
seuil due à la perturbation du bilan radiatif global.
Le processus de l'effet de serre repose sur l'équilibre
entre le rayonnement issu du Soleil et la restitution de la chaleur par
l'émission terrestre. En effet, une fois absorbé par le sol, le
rayonnement se transforme en chaleur et est renvoyé sous forme de
rayonnement infrarouge à travers la restitution nocturne. Si
l'atmosphère est transparente pour une bonne partie des rayonnements
visibles, elle présente une forte capacité d'absorption du
rayonnement infrarouge du fait de la présence de certains gaz qui ont la
propriété d'absorber ces grandes longueurs d'onde ; ces gaz sont
appelés gaz à effet de serre (GES). Parmi ces gaz on note H2O,
CO2, CH4, O3, CFC, etc., qui retiennent cette chaleur restituée par la
terre et entraîne ainsi une augmentation sensible et progressive des
températures terrestres émises. Ainsi, l'augmentation de ces gaz,
notamment le CO2 et le CH4 provoquent un réchauffement global qui
affecte actuellement l'environnement.
Le Quatrième Rapport d'Evaluation (QRE) du Groupe
Intergouvernemental pour l'Etude du Climat (GIEC) souligne que 11 sur les 12
dernières années (1995-2006) figurent parmi les années les
plus chaudes depuis 1850 ; date à laquelle ont débuté les
relevés instrumentaux de la température à la surface du
globe (IPCC, 2008). Dans le Troisième Rapport d'Evaluation (TRE, 2003),
on estimait l'augmentation moyenne globale de la température de 0,6
°C (#177;0,2 °C) entre 1901 et 2000, et la valeur établie pour
1906-2005 atteint 0,74 °C (#177;0,3 °C). Les températures ont
augmenté presque partout dans le monde, quoique de manière plus
sensible aux latitudes élevées de l'hémisphère
Nord. Par ailleurs, les terres émergées se sont
réchauffées plus rapidement que les océans.
Cet état des lieux montre que l'action de l'Homme, par
une industrialisation croissante et consommatrice d'énergie, par une
exploitation démesurée des ressources naturelles, a fini de
compromettre l'environnement mondial. Cependant, les modifications du climat
sont non linéaires et discontinues (variabilité climatique) avec
néanmoins une tendance générale qui révèle
dans certaines zones semi-arides d'Afrique une hausse des températures
et une diminution des précipitations. Les manifestations des changements
climatiques sont nombreuses ; les plus manifestes étant
l'élévation du niveau des mers, les événements
climatiques extremes, la destruction de la couche d'ozone et la perturbation
des écosystèmes naturelles.
L'évaluation des impacts de ces changements climatiques
doit être basée sur une approche intégrée du fait de
leurs dimensions multisectoriel, multidisciplinaire, et multi institutionnel,
(Adejuwon et al., 2001). Il faut alors éviter les formes
d'évaluation formelle en se basant sur une série
d'hypothèses plus explicite que l'approche unilatérale
traditionnellement admise. Puisqu'il s'agit de questions complexes, il faut
tenir compte à la fois de la complexité structurelle (nombre
d'éléments en jeu) mais aussi de la complexité
auto-organisationnelle (les rétroactions et réactions du
système). Il est donc important de comprendre la nature de ce
phénomène dans sa dynamique et ses différentes dimensions
en rapport avec les modes de vie actuels fortement dépendants des
ressources naturelles. An Afrique, l'impact des changements climatiques
affectent plusieurs secteurs de productions et affectent directement les
populations dites vulnérables.
Au Sénégal, les modes de vies des populations
locales sont essentiellement basés sur le profit et les services qu'on
peut tirer des ressources naturelles. Les changements climatiques affectent par
conséquent les bases du développement durable, constituant ainsi
un facteur central dans l'appauvrissement des populations locales.
Conscient de la gravité du risque et ses implications
sur la vie des populations, la communauté des chercheurs a, à
partir des années 1980, attiré l'attention sur la
variabilité climatique observée depuis des décennies. Les
premières initiatives prises par les Nations Unies pour prendre en
compte cette menace est la mise en place d'un Groupe International d'Experts
pour l'Etude Climat (GIEC ou IPCC) en 1988. Le mandat de cette structure
était de coordonner les recherches scientifiques pour donner des preuves
des hypothèses et incertitudes liées au changement climatique.
Les résultats obtenus ont imposé l'urgence d'une décision
au niveau international pour réduire les émissions de gaz nocifs.
La conférence de Rio en 1992 a donné naissance entre autres
à la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques
(CCNUCC), consolidée lors de la Troisième Conférence des
Partis (COP3) par la signature du Protocole de Kyoto en 1997.
Dans la mise en ~uvre de la CCNUCC, l'Afrique est
comptée parmi les zones où la végétation naturelle
peut contribuer à une émission de carbone par des processus de
dégradation (feux de brousse, déforestation, érosion) ; ou
de séquestration si des activités sont menées en termes de
reforestation et de reconstitution des terres dégradées. Cette
perception a entraîné une attention particulière sur les
capacités de fixation de carbone par les forêts et les savanes
tropicales d'Afrique. Des études récentes sont menées pour
documenter les capacités des sols et de la végétation des
zones de savane comme puits de carbone et leur possible contribution à
l'atténuation du changement climatique (Tiessen et al., 1998;
Fearnside, 2000; Gifford et Howden, 2001; San-Jose et
al., 2001; San Jose, 2001; Woomer et al., 2001; Manlay et
al., 2002; Thenkabail et al., 2002; Ardo et Olsson,
2003; Feral et al., 2003; Archer et al., 2004; Li et al.,
2004; Dezzeo et Chacon, 2005; Mbow, 2005).
Depuis son approbation par la Conférence des Nations
Unies sur l'Environnement et le Développement (CNUED) tenue à Rio
en 1992, la Convention n'a pu avoir un caractère opérationnel
qu'avec le Protocole de Kyoto de 1997 qui a inscrit entre autres
mécanismes de flexibilité celui appelé Mécanisme de
Développement Propre (MDP). Ce mécanisme est le seul qui
interpelle directement les pays en voie de développement. Le MDP devrait
être à la fois un instrument juridique et un cadre d'action pour
promouvoir le développement durable. Le MDP nécessite d'une part
une réduction des émissions de gaz par des alternatives
techniques non consommatrices d'énergie, d'autre part par la promotion
de la fixation de certains gaz par des puits naturels pour résorber le
surplus et ramener les taux de gaz net de l'atmosphère au minimum
acceptable. Les orientations de ce MDP au niveau des écosystèmes
de savanes consistent à promouvoir des puits substantiels de carbone par
la foresterie et la restauration des écosystèmes
dégradés (Aukland et al., 2002).
Ainsi, parmi les nombreuses initiatives prises, celle
consistant à réduire les dégagements de gaz carbonique a
retenu l'attention de plusieurs chercheurs et décideurs. C'est à
la COP7 de Marrakech en 2001 que la question de la séquestration du
carbone a été officiellement reconnue comme une option pertinente
pour atténuer le taux de carbone dans l'atmosphère. A partir des
estimations fournies par la recherche, il a été montré que
cette séquestration pourrait contribuer à une réduction de
25 % de carbone si des mécanismes efficaces étaient mis en ~uvre.
Cependant, compte tenu du fait que les pays industrialisés sont
responsables de 80 % des émissions de gaz carbonique, la voie de la
réduction par les mécanismes de flexibilité du Protocole
de Kyoto, est devenue une pierre angulaire et un enjeu de la
géopolitique environnementale actuelle. Pour les pays en voie de
développement, le principal défi réside dans le
contrôle des échanges de carbone entre le couvert
végétal et l'atmosphère. La végétation en
général est impliquée dans ce mécanisme à
deux titres (Riedacker, 2004) :
· d'une part, la photosynthèse qui conduit à
une fixation de CO2 fait de la végétation un important puits de
carbone, mais la décomposition de la matière organique en
libère.
· d'autre part, les processus de dégradation des
terres comme la déforestation et la désertification modifient le
bilan de carbone.
Il faut toutefois noter que 40 % des émissions totales
de carbone sont absorbées par la végétation terrestre
(Campagna, 1996; Ciesla, 1997; Lippke et al., 2003)
et ~50 % de la végétation forestière est constituée
de carbone (Brown, 1997). Ainsi le `puits
manquant'1 qui constituent un espoir de
réduction significative des gaz à effet de serre se trouverait au
niveau de la végétation terrestre. Cependant, dans les savanes
tropicales les quantités de carbone contenues dans le sol sont
supérieures à celles de la végétation selon
plusieurs études (Elberling et al., 2002; Ringius,
2002; Touré et al., 2002; Bartel et al., 2004;
Dumanski et al., 2004; Evrendilek et al., 2004; Wander et
Nissen., 2004; Zhao et al., 2004; Vagen et al.,
2005; Nsabimana et al., 2008). Mais du fait de l'absence de
données sur la végétation, les estimations sur leur
contenu en carbone demeurent approximatives et restent à être
complétées par des mesures quantitatives in situ.
Les travaux existants portent cependant pour la plupart sur
les stocks de carbone du sol. Ce dessein scientifique est lié au fait
que les sols tropicaux présentent des stocks de carbone
supérieurs à ceux de la biomasse végétale. Il faut
toutefois noter que l'équilibre de ces sols et le maintien durable de
leur capacité de séquestration de carbone passe par une bonne
1 Lorsqu'on fait le bilan des émissions, absorptions de
carbone par les activités humaines (combustion de carbone fossile,
déforestation et reforestation) et des absorptions par les
océans, on n'obtient pas ce qui s'accumule chaque année dans
l'atmosphère. Il manque un "puits", qui serait responsable de
l'absorption du reliquat.
conservation de l'élément protecteur majeur
qu'est la végétation subséquente et qui constitue le
début du cycle du carbone à travers la photosynthèse. Il
est important alors d'orienter la recherche sur les principaux facteurs
structurants de la dynamique écologique de ces savanes pour mieux cerner
les atouts et les contraintes pour une plus grande séquestration du
carbone atmosphérique.
Les tentatives récentes de prédiction des
changements climatiques en relation avec l'évolution du couvert
végétal fournissent des scénarios divergents. L'analyse
proposée par Sitch et al., (2008) montre une tendance à
l'augmentation des températures en Afrique de l'Ouest, mais une grande
divergence dans la prédiction des précipitations. Ces deux
paramètres centraux à l'analyse de la variabilité
climatique ont des impacts sur la dynamique de la végétation. Il
est donc important d'opérer un suivi plus détaillé et
continu des savanes en Afrique de l'Ouest en relation avec la
variabilité climatique.
Les savanes ont été étudiées
beaucoup plus au en Amérique du Sud et en Australie, mais les
caractéristiques de ces savanes sont différentes de celles de
l'Afrique de l'Ouest. Aussi est-il difficile de tirer des conclusions et de
fonder des théories solides sur l'état et la dynamique du carbone
de ces écosystèmes sans compléter le tableau avec
l'étude des savanes Africaines.
Au Sénégal, on a observé une forte
dégradation de la végétation liée à de
nombreux facteurs naturels et anthropiques. La variabilité de la
pluviométrie est un élément important dans ce processus,
mais il est essentiel de considérer les facteurs humains comme
l'exploitation du bois, la dynamique des espaces agraires, les feux de brousse,
etc. Les conséquences directes et indirectes de cette dégradation
de la végétation ligneuse sur le bilan du carbone sont peu
connues. Cependant, il est certain que la réduction de la
dégradation de la végétation ligneuse pourrait contribuer,
à travers une gestion durable des ressources naturelles, d'une part
à réduire la quantité de carbone libérée par
la décomposition de la matière organique et d'autre part à
l'augmentation de la capacité de séquestration du carbone
atmosphérique par la végétation naturelle
régénérée. L'une des recommandations de IPCC
répond de cette nécessité de mener des activités de
reboisement pour améliorer le taux de fixation de carbone dans les zones
où il possible d'en faire (IPCC, 1996; 2000).
Ainsi, la CCNUCC, à travers les MDP du Protocole de
Kyoto a, pendant ces dernières années, suscité un grand
enthousiasme auprès des pays semi arides qui y voient une
possibilité d'améliorer l'environnement à travers une
augmentation des surfaces forestières tout en bénéficiant
des crédits de carbone mis en place à travers des instruments
financiers internationaux.
Pour tirer le meilleur profit de ce marché, il faut
cependant se soumettre à une comptabilité précise des
stocks et des processus qui influencent le bilan du carbone. C'est à ce
niveau que se posent plusieurs problèmes pour l'Afrique. Les
écosystèmes de savanes ne sont pas connus sous l'angle du
carbone. Les études forestières sont plutôt conduites sous
l'angle du potentiel ligneux pour le commerce du bois, de la qualité des
sols et de la biodiversité. Il est important de mentionner qu'un grand
nombre de résultats d'analyse écologiques ou botaniques peuvent
être réutilisés dans l'analyse du carbone. Les
données d'inventaire, les processus de dégradation,
l'érosion de la biodiversité, les prélèvements
annuels, les espèces ciblées par l'exploitation sont en effet
autant de données utiles dans l'étude du carbone.
Ce travail, mené dans la moitié sud du
Sénégal, intègre des données secondaires et des
données biophysiques sur le suivi de la végétation
ligneuse qui ont permis d'estimer les stocks et la dynamique du carbone dans
les savanes soudaniennes et soudano-guinéennes du Sénégal.
Nous partons ainsi de l'exemple de six (6) Forêts Classées
représentatives de ces écosystèmes pour mener les
analyses. Il s'agit des Forêts Classées de Bala, Kantora, Mampaye,
Ouli, Patako et Wélor. Ces sites sont caractérisés par la
présence de savanes soudaniennes et soudano-guinéennes qui ont
été inventoriées dans le cadre du projet ENRECA, DAN
N° 104. Dan. 8L/203-DANIDA et les travaux de (Sambou, 2004)
livrent des informations précieuses sur leur état. Pour les
aspects humains un glissement en milieu de terroir entre Kaffrine et Koungheul
a permis d'appréhender les impacts de la dégradation
forestière sur la vulnérabilité des populations locales et
la dynamique du carbone en milieu agricole.
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