CHAPITRE II :
Modèles allométriques
Ce chapitre porte sur le développement de
modèles allométriques propres aux savanes soudaniennes et
soudano-guinéennes. Le choix de cette orientation s'explique par les
limites constatées lors de la revue bibliographique et à travers
l'application des méthodes connues et couramment utilisées
jusqu'ici pour les savanes. C'est ainsi que nous présentons dans ce
chapitre la démarche utilisée et les modèles mis au point.
L'analyse s'appuie sur les données collectées dans des
Forêts Classées représentatives des savanes soudaniennes et
soudanoguinéennes du Sénégal que sont Patako,
Wélor, Ouli, Bala, Kantora et Mampaye.
II.1. L'importance des modèles
allométriques
L'allométrie d'un arbre comme ses dimensions
structurales se définit par différentes mesures et leurs
relations avec la masse ou le volume des individus (Lehtonen, 2005). Les
techniques allométriques permettent de générer ainsi la
biomasse des individus ligneux en se basant sur des mensurations de
paramètres dendrologiques sur l'individu. L'allométrie est une
vieille technique forestière et constitue les premiers types de
modèles statistiques permettant de générer des
informations quantitatives sans détruire a posteriori les individus. Le
terme générique utilisé à cet effet est
«l'approche non destructive» par opposition à celle dite
<<destructive>> qui a justement permis d'élaborer ces
modèles allométriques.
L'évaluation du potentiel ligneux des formations
forestières constitue un important domaine de recherche pour des besoins
de gestion des ressources forestières ligneuses. L'intérêt
à estimer le tonnage de bois dans une forêt donnée a
été le plus souvent connecté à des besoins
commerciaux ou de satisfaction des besoins des populations en bois. Cependant,
l'estimation des réserves de bois n'a eu à cibler que les
espèces qui ont une grande valeur marchande, énergétique
ou esthétique (Brown, 1997). Cette situation a longtemps prévalu,
depuis la période coloniale avec la réalisation de plans
d'aménagements forestiers destinés à l'exploitation des
formations forestières basée sur une bonne connaissance du
potentiel ligneux. Ainsi, l'évaluation du «volume marchand»
des forêts tropicales avait pour objectif d'estimer la partie `utile' de
l'arbre. A ce titre, les forestiers ont pu établir des relations
mathématiques simples entre des paramètres mesurés sur
l'arbre (diamètre du tronc ou sa circonférence, hauteur totale de
l'arbre, hauteurs de découpe et longueurs de billons) et le volume de
bois exploitable.
Le cubage des arbres présente un intérêt
économique permettant d'évaluer le volume commercialisable sur
une essence ou un groupe d'espèces. Il s'agit des tarifs de cubages
classiques. Les formules utilisées sont très différentes
mais utilisent toutes des mesures de tronc et de hauteur des individus.
L'équation générique utilisée est de la forme V=
kCb (k et b sont les tarifs de cubage, C est la mesure du tronc).
Des équations logarithmiques ou cubiques ont servi à
établir de telles relations entre les mesures sur l'arbre et le volume
de bois <<utile>>.
Les paramètres mesurés (lors des inventaires
forestiers) sont dès lors utilisés pour établir de telles
équations afin de calculer des volumes individuels des arbres. C'est
avec l'ajustement de ces équations aux données observées
qu'il a été possible d'établir des tables de cubage qui
expriment le volume de bois fort correspondant au volume de la tige
jusqu'à une certaine
circonférence (Rondeux, 1993). Le reste de la biomasse
de l'arbre constitué par le feuillage et les petites branches n'est pas
pris en compte. L'élaboration de tables de cubage nécessite une
approche de récolte de biomasse sur un échantillon
d'espèces de tailles différentes. Les modèles permettent
par la suite d'évaluer la phytomasse exploitable sans passer par ces
méthodes destructives.
Il apparaît alors, que ces tarifs de cubage
négligent le plus souvent la phytomasse totale des arbres et ne portent
que sur le volume de bois exploitable de certaines espèces
ciblées et n'ont été développés que pour
quelques formations végétales notamment forestières.
L'utilisation de ces équations donne ainsi une indication limitée
dans le cadre d'une étude de la biomasse ligneuse totale pour estimer le
stock total de carbone.
L'approche par tarif de cubage a une limite pour les
aménagistes dans la planification de l'exploitation forestière
pour les autres usages, comme le bois de feu par exemple qui peut être
satisfait notamment avec les petites branches. Partant de ce constat, de
nombreuses études ont été entreprises pour établir
des relations mathématiques simples entre données d'inventaire de
la végétation et biomasse totale des ligneux. Ces
équations mathématiques sont des régressions simples
(linéaires, exponentielles, logarithmiques, polynomiales), qui
permettent de dérouler une approche non destructive aboutissant à
l'estimation de la biomasse totale à partir de paramètres
mesurés sur les arbres et leur poids total. Ces relations ont un double
intérêt : d'abord, elles permettent de mieux calibrer les plans
d'aménagement en tenant compte de tout le potentiel ligneux ; ensuite
elles facilitent, dans le contexte actuel des changements climatiques,
l'estimation du stock de carbone en partant de la connaissance de la biomasse
totale. Le potentiel de stockage de carbone est central au rôle que
l'Afrique doit jouer par la réduction de la déforestation
(changements d'affectation des terres) mais aussi l'effort de reforestation qui
devient une contribution positive dans la séquestration du carbone.
Cependant, la plupart de ces essais d'estimation de la
biomasse totale des arbres ont été menés en dehors des
savanes africaines. Les chercheurs ont surtout travaillé dans des
écosystèmes tempérés ou dans les forêts
tropicales de l'Amérique du Sud (San Jose et al, 1998;
Moura-Costa et Stuart, 1999; Nelson et al., 1999; Clark et Clark,
2000; Keller et al., 2001; Brown, 2002; Fleurant et al., 2004
; Zianis et Mencuccini, 2004; Brown, 2005). La FAO au travers de la
synthèse de Brown (1997), a permis une systématisation des
méthodes existantes. Cette étude est largement utilisée
à l'heure actuelle pour estimer la biomasse des savanes africaines, avec
le risque lié aux biais non connus qu'on ne peut éviter qu'en
élaborant un modèle pour les zones étudiées.
Sur e plan pratique, l'analyse des stocks de carbone ligneux
passe nécessairement par l'estimation de la biomasse sur pied. La
biomasse ligneuse sur pied exprime la masse de matière vivante des
arbres. La masse du bois est déterminée soit par simple
pesée, soit par multiplication de son volume par sa «masse
volumique», ou masse par unité de volume exprimée en
kg/m3. La masse brute est influencée par la densité du
bois, par son degré d'humidité et éventuellement par
l'importance (épaisseur) de l'écorce. L'estimation de la masse
sèche est plus complexe, puisque la densité du bois varie en
fonction de sa teneur en eau. La densité du bois est assimilable
à sa masse à l'état humide par unité de volume
(Rondeux, 1993). Celle-ci concerne les troncs des arbres et les ensembles
constitués des branches, des feuilles et des souches. Les
méthodes d'estimation indirecte sont envisageables en ce sens qu'elles
sont non destructives et sont basées sur l'utilisation
d'équations mathématiques ou des tables exprimant la biomasse en
fonction de caractéristiques facilement mesurables comme le
diamètre à 1,3 m du sol et la hauteur totale. Les modèles
les plus utilisés se présentent généralement sous
forme de relations statistiques.
Du fait de l'intérêt grandissant dans
l'estimation des stocks de carbone des formations forestières, des
techniques spatiales (la télédétection) ont
été testées. Elles ont permis d'estimer les
éléments de structures d'une formation, souvent lourds et longs
à collecter sur le terrain. Puisque les écosystèmes de
savane sont souvent hétérogènes, des difficultés
sont notées dans les choix d'échantillonnage et la mise en
pratique des inventaires. Ainsi, l'estimation de certains paramètres
à partir des données spatiales devient très attractive
dans l'estimation de la biomasse de la végétation naturelle. Mais
les techniques proposées à ce jour sont assez complexes et
difficiles à opérationnaliser. Brown (1997); Brown et
al. (2005) proposent un système imageur multispectral en trois
dimensions, alors que plusieurs autres auteurs ont testé la technologie
LIDAR et du RADAR plus utilisée dans le domaine de l'altimétrie
topographique pour analyser la structure verticale des formations ligneuses et
d'en déduire des stocks de carbone à partir des volumes
générés sur les données en trois dimensions (3D).
Le LIDAR, le RADAR et les techniques de photogrammétrie numérique
stéréoscopiques (Télédétection 3D) ont
été proposés par Awaya et al. (2004); St-Onge
et al. (2004) et Proisy (1999), pour collecter des données sur
la hauteur et la densité des formations forestières. Avec le
développement de la Très Haute Résolution, des tests
d'estimation de la biomasse ont été réalisés
à partir des données IKONOS par Thenkabail et al. (2002)
puis par Awaya et al. (2004) pour estimer la biomasse de plantations
de palmiers à huile au Bénin et au Nigéria ou des
formations de sapin au Japon. Ces techniques sont limitées par la
lourdeur des opérations de collecte de données (complexe) et le
niveau de couverture des images qui nécessite de longs processus
techniques pour arriver à des
résultats, souvent pas directement exploitables sur la
structure de la végétation. Il faut aussinoter que les
techniques de télédétection ne permettent de distinguer,
de façon précise, les différentes espèces des
formations étudiées.
D'autres essais, purement statistiques ont été
faits, notamment avec le modèle mathématique proposé par
Fleurant et al. (2004), pour la description des caractères
morphométriques en partant des théories fractales. La
théorie fractale permet de faire une segmentation hiérarchique
des différentes parties de l'arbre (inspiré du concept de
Stralher, utilisé en hydrologie). Elle fournit alors des outils pour
l'analyse quantitative de la structure complexe des arbres. La validation de
ces types de modèles est loin de prouver qu'on puisse se passer des
données de terrain.
Les données dendrométriques issues des
inventaires de la végétation ligneuse constituent pour l'instant
la méthode la plus éprouvée pour estimer la biomasse de la
végétation ligneuse. Ces inventaires sont faits dans chaque pays
pour répondre aux besoins de la caractérisation du potentiel
forestier, de l'analyse de la biodiversité des forêts et de la
conception de plans d'aménagement pour une gestion durable des
ressources ligneuses. Les données d'inventaire sont mises à
profit pour estimer les quantités de biomasse totale des formations
dominantes. La biomasse est calculée pour chaque sujet ligneux par des
équations qui incluent le plus souvent le diamètre de l'individu
et parfois la hauteur.
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