PREMIÈRE PARTIE : CADRAGE THEORIQUE ET
APPROCHE METHODOLOGIQUE DE L'ETUDE
CHAPITRE 1 : PROBLEMATIQUE ET CADRE CONCEPTUEL
1- Contexte de la recherche et question de
départ
Développeur, conseiller agricole et rural de
profession, thème de mémoire de master en développement et
gestion de projets ne saurait plus intéressant pour moi que celui ayant
trait aux rapports entre exploitations agricoles familiales et projets
d'agrocarburants. La première raison tient du fait que l'essor des
agrocarburants dans les pays du sud devient une matière à
réfléchir. La seconde procède de la curiosité du
développeur qui a toujours envie d'en savoir plus sur la perception d'un
phénomène global par les « acteurs d'en bas
».
Sur le plan global, les alternatives aux réserves
fossiles qui s'épuisent dans un horizon prévisible, l'adaptation
aux changements climatiques et le respect du Protocole de Kyoto1 sur
les émissions de gaz à effet de serre sont autant
d'éléments qui sont évoqués pour justifier la mise
en oeuvre des projets d'agrocarburants dans les pays du sud
particulièrement. Dès lors, en attendant la fin de «
l'or noir2 » prédite dans 40 ans par les
spécialistes, c'est la ruée vers « l'or vert3
». D'une part, les pays développés, dans le souci de
perpétuer le modèle dominant du développement, cherchent
à contrôler la production, la transformation et la distribution
de
1 Détails donnés plus loin dans le texte
2 Jargon désignant le pétrole
3 Jargon désignant les agrocarburants
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Mémoire Master Amadiane DIALLO
cette nouvelle énergie. D'autre part, les pays du sud,
au nom du paradigme de développement durable, sont emportés de
gré ou de force dans cette dynamique pour continuer à jouer leur
rôle traditionnel de pourvoyeur de matières premières pour
les pays occidentaux. La carte agricole mondiale change ainsi de visage car il
faut aménager d'autres espaces pour cultiver les agrocarburants ou les
substituer tout bonnement à d'autres cultures fussent-elles
vivrières. Les institutions internationales balisent le chemin en
taillant sur mesure des accords, des traités, voire des directives
favorables à la mise en oeuvre de mégaprojets d'agrocarburants.
Elles tiennent de nouveaux discours du même registre que celui-ci : "
De grandes superficies de terre inexploitées pourraient être mises
en cultures. Quelques 1,6 milliards d'hectares pourraient s'ajouter au 1,4
milliard de terre actuellement cultivée. Plus de la moitié des
terres supplémentaires disponibles se trouve en Afrique et en
Amérique Latine. La plupart des terres disponibles dont la pertinence
serait la plus élevée pour la production de cultures sur surface
non irriguée se trouverait dans ces régions. »
(OCDE/FAO, 2009). Ainsi, l'idée d'une Révolution verte
pour l'Afrique prend forme. Elle se matérialise à travers la
mise en valeur des terres supposées inexploitées avec des
investissements fonciers à grandes échelles. C'est ce qui est
convenu d'appeler les " Land-grabbing ou accaparement des
terres.» (Rapport FAO-OCDE, 2009). Avec toutes ces dispositions
favorables, les multinationales s'activent dans l'acquisition de terres pour
l'installation de monocultures d'agrocarburants afin de se positionner sur le
marché de fourniture d'énergie verte aux grandes
métropoles du monde occidental.
Cette fièvre des biocarburants qui a fini de gagner de
nombreux pays du Sud n'a pas épargné l'Afrique. Le
Sénégal aussi n'a pas échappé à cette
mouvance. En effet, des projets d'agrocarburants commencent à
s'installer dans ses zones rurales. Malgré les nombreux défis qui
se posent à son agriculture notamment l'autosuffisance alimentaire, les
enjeux d'une éventuelle résorption de son déficit
énergétique semblent plus séduire son gouvernement qui a
opté pour une politique agricole favorable aux agrocarburants. C'est
pourquoi, un Programme national biocarburants a été
lancé à côté de celui de la Grande Offensive
pour l'Agriculture, la Nourriture et l'Abondance (GOANA). Il
prévoit, entre autres, la plantation de Jatropha dans toutes les
communautés rurales du pays. A la faveur de cette orientation de
politique agricole, beaucoup d'investisseurs et de promoteurs de projets
d'agrocarburants ont investi les zones rurales. D'aucuns s'adonnent à la
monoculture d'agrocarburants en employant des ouvriers agricoles dans le
défrichage, la mise en défens et la plantation tandis que
d'autres se mobilisent à leur tour pour la mise en oeuvre de projets
d'agrocarburants de proximité en
privilégiant la satisfaction des besoins locaux en
énergie des populations rurales. Cependant, des organisations
faitières paysannes appuyées par la société civile
tirent la sonnette d'alarme sur cette situation qu'elles qualifient de
tentative de déposséder les ruraux de leur terre et d'accentuer
leur vulnérabilité.
Dès lors, en tant que agent de développement
jouissant d'une petite expérience d'appuiconseil aux agriculteurs
sénégalais dans la polyculture élevage, j'ai
été interpellé par ces dynamiques globale et locale faites
de jeu d'intérets. Je me suis demandé si les agropasteurs
sénégalais pouvaient tirer leur épingle du jeu dans ces
logiques d'acteurs complexes. J'ai suivi avec intérêt les
rebondissements des grandes négociations internationales sur les
stratégies d'atténuation et de mitigation à
déployer face aux changements climatiques. Car les résolutions
issues de cette planification du développement par les «
acteurs d'en haut » deviennent, par la force de «
l'économie monde », une voie impérative à suivre
pour les pays du sud pour etre éligibles aux différents
mécanismes d'aide. En effet, les acteurs supranationaux
adoptent un mode de coordination par le marché global entretenu par une
territorialité concurrentielle. Sous le prétexte d'une
participation instrumentale, leurs décisions sont reprises par les
dirigeants nationaux des pays en développement qui, par le biais de la
territorialité politique, l'administrent aux acteurs
infranationaux du 1èr et 2ème niveaux «
néobraudeliens » dont les agriculteurs. (AMOUGOU, 2007).
Pourtant, les logiques de mise en oeuvre des cultures d'agrocarburants
confrontées aux défis de développement agricole et rural
des pays du sud et aux réalités du terrain font apparaître
des contradictions notoires. C'est pourquoi, la pertinence de ce nouveau
modèle normatif de développement agricole et rural imposé
aux pays du Sud est une question qui mérite d'être posée.
Ainsi, beaucoup d'interrogations se font sur les rapports des projets
d'agrocarburants aux défis de développement de la paysannerie des
états pauvres du sud. Toutefois, la relative liberté
d'exploitation de ses terres dont jouit la paysannerie de beaucoup de pays de
l'Afrique subsaharienne contrairement à celle des pays de
l'Amérique latine, constitue un point fort.
Au Sénégal, certains agropasteurs sont
impliqués dans des projets d'agrocarburants de proximité. Les
relations entre ces paysans sénégalais et les projets
d'agrocarburants de proximité restent une énigme à
élucider. Pour m'inscrire dans cet exercice de compréhension, je
me suis posé une question de départ à savoir comment les
exploitations agricoles familiales arrivent à s'impliquer dans les
projets d'agrocarburants malgré tous les défis qu'elles doivent
relever. Dans le souci d'une plus grande précision, cette question de
départ a été transformée en question de recherche
en ces termes : comment, à partir de leur assolement,
des
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Mémoire Master Amadiane DIALLO
exploitations agricoles familiales parviennent-elles
à connecter les stratégies de gestion de leur système de
productions agricoles aux enjeux d'un projet de plantation de
Jatropha?
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