Universi~l de Ouagadougou
Annee academique 1997 -- 1998
Faculte des Langues, des Lettres, des Arts, des
Sciences Humaines et Sociales
Departement de Philosophie -- Psychologie Filiere :
Philosophie
Theme :
MORALE ET POLITIQUE CHEZ KANT :
LE REPUBLICANISME COMME FONDEMENT DE LA RESPONSABILITE MORALE EN
POLITIQUE
Mémoire de Maitrise de Philosophie présenté
par : SAHIROU TCHIDA MOUSSA
Sous la direction de :
M. TRAORE ETIENNE, Maitre-assistant de
philosophie
Septembre 1998
TABLE DES MATIERES
DEDICACE...............................................................................................................................
4 REMERCIEMENTS................................................................................................................
5 INTRODUCTION....................................................................................................................
6
PREMIERE PARTIE :RAPPEL DES POINTS DES DEBATS
PHILOSOPHIQUES SUR LA PROBLEMATIQUE DU RAPPORT ENTRE
MORALE ET POLITIQUE
................................................................................................
|
|
10
|
CHAPITRE I : RAPPORTS DE DISJONCTION
..............................................................
|
|
11
|
DU TOTALITARISME : L'ABSOLUTISME DE HOBBES
.................................
|
|
12
|
DE LA LOGIQUE DE L'ETAT CHEZ MACHIAVEL
.........................................
|
|
14
|
DE L'ASSUJETTISSEMENT A LA CITOYENNETE
.............
|
.............................
|
1 8
|
De la source de l'exercice de la souverainete.
..............................................................
|
|
19
|
Du respect et de la garantie des libertes politiques
.......................................................
|
|
20
|
Le choix des gouvernants
.............................................................................................
|
|
20
|
CHAPITRE II : RAPPORT DE CONJONCTION
.............................................................
|
|
22
|
DE LA DEMOCRATIE LIBERALE CHEZ
ROUSSEAU.....................................
|
|
23
|
DE LA DEMOCRATIE LIBERALE CHEZ
ROUSSEAU.....................................
|
|
23
|
LES PRINCIPES FONDATEURS DES INSTITUTIONS
.....................................
|
|
25
|
De la souverainete du peuple
........................................................................................
|
|
25
|
Dusuffrage universel
....................................................................................................
|
|
26
|
De la separation des pouvoirs
.......................................................................................
|
|
27
|
LES CONDITIONS MORALES DE LA DEMOCRATIE
.....................................
|
|
2
|
Du respect d'autrui : l'esprit de
tolerance.......................................
|
.............................28
|
Dela loyaute
.................................................................................................................
|
|
29
|
La loyaute au niveau des citoyens comme gouvernes
..............................................
|
|
29
|
La loyaute au niveau des responsables d'institutions comme
gouvernants ..............
|
30
|
DEUXIEME PARTIE : L'APPORT DE KANT POUR UNE AUTRE LECTURE
DES RAPPORTS ENTRE LA MORALE ET LA POLITIQUE
................................ 31
CHAPITRE I : DU REPUBLICANISME COMME CONDITION D'UN
ACCORD POSSIBLE ENTRE MMORALE ET POLITIQUE
........................................................... 32
RAPPORT ENTRE LI BERTE INTERNE ET LI BERTE EXTERNE OU
L'AFFIRMATION DU CITOYEN COMME SUJET MORAL.
........................... 33
DE L'AUTORITE DE LA LOI MORALE A LA RIGUEUR DE LA
LOI
JURIDIQUE................................................................................................................
36
DE LA LI BERTE DE PRESSE COMME CONDITION D'EMERGENCE
D'UNE OPINION PUBLIQUE MORALISATRICE
.............................................. 40
CHAPITRE II : DE LA DOCTRINE DU DROIT COMME PROCESSUS DE
MORALISATION DE L'AGIR HUMAIN
..........................................................................
44
DE L'INTERDEPENDANCE ENTRE LE PRIVE ET LE PUBLIC SOUS
L'ANGLE D'UNE TOTALITE FONCTIONNELLE. 44
LE JUSTE ET LE BIEN, LA COMPLEMENTARITE DANS LA
DIFFERENCE
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
46
TROISIEME PARTIE :QUEL INTERET POUR LA PHILOSOPHIE DE
KANT AUJOURD'HUI 50
CHAPITRE I : LA CONCEPTION KANTIENNE DES RELATIONS
INTERNATIONALES 51
DU RESPECT DE LA SOUVERAINETE DES ETATS ET DES
PEUPLES
SELONKANT.
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
51
LA MEDIATION DE L'UNIVERSEL DANS LES RAPPORTS DES ETATS
COMME CONDITION DE LA PAIX MONDIALE 54
DE LA PROMOTION DES RELATIONS ECONOMIQUES, UNE SOLUTION
POUR LA PAIX ENTRE LES ETATS. 5
CHAPITRE II : L'ETAT DE DROIT ET LA RESPONSABILLITE
MORALE EN POLITIQU 61
L'ETAT DE DROIT DANS LA PERSPECTIVE KANTIENNE : UNE
APPROCHE ETHIQUE 61
EXIGENCE MORALE ET ACTION POLITIQUE CHEZ L'HOMME
D'ETAT
~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~~
64
CONCLUSION 6
IBLIOGRAPHIE 72
DEDICACE
Nous dédions ce mémoire a tous ceux qui a travers
le monde, luttent inlassablement pour la sauvegarde de la démocratie et
pour le respect des droits fondamentaux et inaliénables de la personne
humaine.
REMERCIEMENTS
Nous remercions et félicitons notre directeur de
mémoire, Monsieur TRAORE Etienne pour sa constante disponibilité,
sa clairvoyance et son esprit critique, qui nous ont permis de réaliser
ce travail.
Nous remercions aussi notre pere Sahirou Tchida, notre
regrettée mere Fatima Ibrahim et notre tante Hadjia Habsatou Ibrahim,
qui ont guidé nos premiers pas vers l'école et pour nous avoir
apporté le soutien matériel et moral nécessaire pour etre
là oil nous sommes actuellement.
Nous ne saurions non plus oublier tous les autres parents,
freres et sceurs, amis et connaissances qui, a un moment ou a un autre, nous
ont appuyé dans notre parcours scolaire et universitaire.
Enfin, nos remerciements vont a l'endroit de tous les
enseignants qui, du primaire a l'université en passant par le
secondaire, nous ont transmis les connaissances nécessaires pour notre
formation intellectuelle et morale.
INTRODUCTION
Au regard de la vie politique en Afrique, sans que cela ne
soit generalise a toutes les nations, nous constatons que la politique est
consideree comme un incessant travail de conquête et de gestion de
pouvoir politique. Elle est a ce titre, le lieu des luttes sans merci, le lieu
ou tous les coups sont permis, elle constitue un moyen d'enrichissement sur le
dos des paisibles contribuables. Et dans certaines contrees, la gestion du
pouvoir politique engendre la creation des foyers de tension, animes par des
conflits fratricides, faisant d'innombrables victimes innocentes, des refugies
et exiles ayant tout perdu a cause de la folie et de l'orgueil individuel des
politiciens.
Par rapport donc a cette situation, qui est l'expression d'un
veritable manquement au devoir, d'une inconsequence et d'une irresponsabilite
de ceux qui ont en charge la destinee des peuples, un retour a la raison et aux
valeurs morales s'impose. Cela permettra une certaine humanisation de
l'exercice du pouvoir politique, un assainissement du clivage politique afin
que la politique reste et demeure au service de l'homme pour la realisation de
son epanouissement materiel et spirituel.
Telles sont donc les motivations qui nous ont conduit au choix
de ce theme pour qu'enfin nous ayons une pratique politique a « visage
humain ». Il sera donc question pour nous de jeter le pont entre la morale
qui recherche le bien et la politique qui vise l'organisation de la cite en vue
de l'epanouissement de tous. A cet effet, l'accent sera mis sur la notion de
responsabilite du citoyen au sens large du terme a la lumiere des concepts de
liberte et de devoir, chers a l'eminent philosophe de l'Aufklariing, Emmanuel
Kant.
En se referant aux objets de la morale et de la politique
definis precedemment, nous constatons que, de par leur finalite, elles ne sont
pas veritablement antinomiques. Mais, la question de leurs interactions
engendre des divergences quant a la nature du systeme politique compatible avec
la morale.
Il se trouve aussi que ces divergences resultent de la
conception que les uns et les autres ont de la nature humaine : si d'aucuns la
considèrent mauvaise, d'autres la jugent bonne. En l'occurrence, nous
pouvons nous referer respectivement ici a Hobbes et a Rousseau. Le premier fait
de l'homme un être naturellement mechant, soumis a des instincts
irresistibles et incompatibles avec l'idee de liberte. Par contre, pour
Rousseau, l'homme est ne bon et est capable d'elevation d'esprit et de sagesse
et sait concilier ses interêts personnels avec l'interêt
general.
De ces positions antagoniques, decoulent le pacte de
soumission de Hobbes et celui d'association de Rousseau qui sont respectivement
les fondements originels du totalitarisme et de la democratie comme doctrines
politiques. Le totalitarisme est la conception politique selon laquelle les
hommes sont soumis a toute puissance des instances sociales et politiques qui
exercent un controle autoritaire sur les personnes et les activites des
individus au mepris de leurs droits individuels. Quant a la democratie, elle
est la doctrine politique qui prone l'exercice de la souverainete par le
peuple, c'est-A-dire l'ensemble des citoyens, au moyen principalement du
suffrage universel. Elle exprime donc la volonte generale des citoyens qui sont
a la fois auteurs et sujets des lois.
Mais la difference de fond qui existe entre ces deux doctrines
reside dans le respect des libertes individuelles et collectives et des droits
essentiels de la personne humaine. C'est a ce niveau que toute la problematique
du rapport entre la morale et la politique prend son sens, car c'est en
fonction de la nature du statut des individus dans une communaute politique
donnee (citoyens ou sujets) et en fonction du mode de leur participation a la
gestion de la chose publique que l'on peut voir en quoi un système
politique peut faire des hommes des citoyens pleinement responsables.
En effet, le domaine du politique est celui de l'action
publique dans le double sens de l'Etat vers les citoyens et des citoyens vers
l'Etat ; de l'action publique des citoyens entre eux dans leur gestion de la
chose publique. Ainsi pour HANS JONAS, la Respublica est "l'objet de la
responsabilite qui, dans une Republique est potentiellement l'affaire de tous,
mais qui n'est actuelle qu'à l'interieur des limites qu'impose
l'observation des obligations generales du citoyen"1. En d'autres
termes, la chose publique etant un bien commun a tous les citoyens, nous sommes
tenus a ceuvrer pour sa sauvegarde, sans que cela nous soit impose par une
force exterieure etant entendu que nous sommes conscients de notre devoir de
l'entourer de toute notre affection.
La chose publique est ainsi le domaine de mediation entre
gouvernants et gouvernes, elle est ce par quoi les droits et devoirs de chacun
sont determines en vue d'une gestion juste et equitable. Or, une telle gestion
ne saurait s'effectuer que dans un climat de paix et de serenite entre
citoyens, dans un esprit de concorde et de cohesion sociale et dans un espace
de libertes qui donne a chacun l'opportunite de participer pleinement a la
bonne marche des affaires publiques.
Il apparait ainsi, au regard de ce qui precède, sans
anticiper sur la conclusion generale que le totalitarisme, ne considerant pas
l'homme dans la plenitude de son humanite, ne reconnaissant pas a l'homme la
possibilite de
1
Hans Jonas. Le principe de Responsabilite. Ed CERF 1991,
p.19
jouir consequemment de sa liberte et concevant la politique
comme simple rapport de commandement a obeissance, ne saurait realiser la
relation entre morale et politique. Autrement dit, il ne peut favoriser
l'accord entre les principes pratiques d'une action bonne avec la gestion des
affaires publiques.
Il decoule pour Hobbes et Machiavel, les principaux
theoriciens du totalitarisme en general et de l'absolutisme en particulier, que
les fins justifient les moyens en tant que ces fins ne sont rien d'autres que
les interets particuliers du souverain en ce qui concerne la sauvegarde et la
conservation de son pouvoir. Par contre la democratie, en reconnaissant
l'individu comme capable d'elevation d'esprit et de sagesse, par la liberte
qu'elle promeut, retablit celui-ci dans la plenitude de sa personne et lui
donne l'opportunite de faire preuve d'objectivite et de responsabilite dans les
actes qu'il pose.
La democratie, reposant sur cette approche republicaine de
l'Etat, est avant tout "un consensus moral, voire un acte de foi"2
auquel on souscrit parce qu'on croit aux valeurs universelles de liberte,
d'egalite et de justice qu'elle proclame. Il resulte de ce fait que la
democratie, en reconnaissant au citoyen la pleine jouissance de ses droits et
de sa liberte, realise toute proportion gardee, l'accord entre morale et
politique.
Dans le cadre d'un Etat de droit, administre et gere par des
citoyens responsables, conscients de leurs devoirs civiques, le pouvoir
politique ne saurait s'affirmer comme oppresseur en ce sens que "le citoyen n'a
d'abord de rapports qu'avec sa conscience et la morale, s'il oublie, il a ce
rapport avec la loi ; s'il meprise la loi, il n'est plus citoyen : la commence
son rapport avec le pouvoir"3.
Par consequent, le citoyen en tant qu'etre raisonnable ne peut
s'epanouir que dans un regime democratique qui lui offre les possibilites de
son affirmation, en tant qu'etre moral, agissant independamment de toute
contrainte exterieure, agissant sous l'autorite de sa volonte autonome.
La liberte n'est pas la faculte de faire n'importe quoi, mais
le pouvoir d'ordonner ses penchants en s'arrachant a la causalite mecanique des
choses pour devenir des centres d'initiatives. Cela semble delicat quand on se
situe dans le contexte d'un gouvernement totalitaire oil comme le souligne
Hobbes "la puissance souveraine a raison même de sa generation, est
puissance de centralisation et d'unification, si bien que dans l'espace et le
temps, rien n'est laisse aux initiatives privees"4. Or, si chacun
dans la sphere de ses competences
2 Hans Jonas, op. Cit. p.19
3 Saint Just, L'esprit de la revolution, ed 101
8, 1963, p 146.
4 Hobbes, Le citoyen, Flammarion 1963, p 42.
ne jouit d'une certaine liberte d'action, gage d'engagement
responsable du citoyen vis-à-vis de ses obligations envers l'Etat, il ne
peut y avoir eclosion d'initiatives.
Face a l'Etat, nul n'est plus que l'autre et chaque citoyen
doit mettre tout son pouvoir en vue du bien general et du salut de la chose
publique. Par un retour a Kant donc, nous estimons que l'imperatif categorique
peut constituer de nos jours le fondement ethique ou moral du politique. Nous
sommes en effet, tous tenus d'agir en tant que citoyens, en nous eloignant
autant que faire se peut de toute idee d'interet egoiste pour ne considerer que
l'interet general.
A cet egard, seul le respect strict de nos devoirs
vis-à-vis de l'Etat et de nos concitoyens, determine veritablement le
sens de responsabilite. Nous devons nous convaincre avec Hallowell que : "le
citoyen est celui qui place ses actes sous l'autorite de sa conscience et
n'obeit qu'a la loi non comme un ordre venant de l'exterieur, mais comme
l'expression du meilleur de lui-meme, qui le pousse a agir en accord avec la
loi dont sa raison a reconnu la necessite."5
Pour y parvenir, l'agir humain, dans le contexte politique
devrait etre subsume a des maximes, comme celle que propose Hans Jonas en
s'inspirant de Kant et qui s'enonce en ces termes : "agis de facon que les
effets de tes actes soient compatibles avec la permanence d'une vie
authentiquement humaine sur terre"6.
Ce travail que nous nous proposons de realiser s'articulera
autour de trois axes essentiels : le premier traite d'un rappel des debats
philosophiques sur le rapport entre politique et moral a la lumière du
totalitarisme et de la democratie ; le second traitera de la pensee morale et
politique de Kant, pour en degager son rapport specifique dans le debat ;
enfin,, le troisième axe cernera l'actualite possible des idees
kantiennes en faisant ressortir dans la pratique politique, la notion de
responsabilite, comme expression du libre engagement de chacun a respecter ses
devoirs et a ceuvrer en vue du salut de la chose publique dans une
atmosphère de paix, de quietude social et de respect mutuel.
5 John Hallowell, Fondements de la democratie, ed
Nouveaux Horizons 1970, p 105.
6 Hans Jonas, op cit, p.30
PREMIERE PARTIE :
RAPPEL DES POINTS DES DEBATS PHILOSOPHIQUES SUR
LA PROBLEMATIQUE DU RAPPORT ENTRE MORALE ET POLITIQUE
CHAPITRE I : RAPPORTS DE DISJONCTION
Il fut un moment dans l'histoire de l'humanite ou l'exercice
du pouvoir politique reposait sur l'idee que l'homme, dans son essence, n'etait
que peche et la societe des hommes devenait ainsi une societe qu'il s'agissait
de contraindre pour faire regner l'ordre, la paix et la securite. Le
XVI5me siècle fut particulierement une epoque ou cette
conviction etait largement partagee. En effet, soulignons que c'est au cours de
ce siècle que s'elabore la doctrine de l'absolutisme qui se definit par
l'affirmation d'une souverainete monarchique sans limite et sans controle, ne
reconnaissant aux sujets que le droit d'obeir.
A cette periode lA, la politique restait ideologiquement sous
la dependance de la religion chretienne ou "le roi est en ce monde sans loi et
peut a son gre faire bien ou mal et ne rendra de compte qu'a Dieu
seul"7. Les theoriciens et les defenseurs de ce systeme, parmi les
quels on peut citer Machiavel et Luther, estimaient que c'est dans l'Etat le
plus autoritaire que l'individu connaissait son plus fort developpement, car il
y trouvait a la fois son interêt et son bonheur, son plaisir et son
bien-être.
Cependant, dans les faits, la realisation de ces fins nobles
pêche par l'usage des moyens, qui, au contraire, supposent la negation
pure et simple des droits fondamentaux de la personne humaine et de ce qu'il y
a d'essentiel en elle, la liberte. Elle est, pouvons nous dire, la fin de
l'Etat et est inseparable du bonheur de l'homme. L'homme ne peut en effet,
realiser son bonheur s'il n'a pas pleinement conscience de sa liberte et n'en
jouit pas pleinement dans son existence. Or l'absolutisme qu'il soit theorique
ou laic, en cultivant la crainte et la peur dans l'esprit des citoyens, ne se
pose pas comme le garant de leurs libertes politiques et civiques.
A cet effet, en considerant que "la liberte politique dans un
citoyen est cette transparence d'esprit qui provient de l'opinion que chacun a
de sa siirete ; et pour qu'on ait cette liberte, il faut que le gouvernement
soit tel qu'un citoyen ne puisse pas craindre un autre citoyen" 8,
il y a lieu de dire, au regard de la violence qui caracterise l'absolutisme et
de l'interêt secondaire qu'il affiche pour la dignite de la personne
humaine, que celui-ci depouille la politique de toute dimension morale.
Il s'agit d'une conviction que nous allons essayer de defendre
en nous appuyant d'une part sur le totalitarisme en general et l'absolutisme de
Hobbes en particulier, et d'autre part, sur la logique de l'Etat chez
Machiavel. Enfin,
7 Extrait de Obedience of christian man de
William Tryndale traducteur en anglais du nouveau testament
8 Montesquieu, Euvres completes, Seuil 1964, p
5 86.
comme consequence de tout cela, nous parlerons de
l'assujettissement total du citoyen, auquel est deniee la qualite de personne,
au sens noble du terme.
1. DU TOTALITARISME : L'A BSOLUTISME DE HOBBES
Nous entendons par totalitarisme, cette conception politique
selon laquelle les hommes doivent etre soumis a la toute puissance des
instances sociales et politiques qui exercent un controle total sur les
personnes et leurs activites. En d'autres termes, il se base notamment sur
l'existence d'un parti unique ou sur la fusion des pouvoirs executif,
legislatif et judiciaire en vue de la constitution d'un pouvoir dit fort. Le
totalitarisme se traduit pertinemment dans une serie de pratiques politiques
que l'on qualifie couramment par differents termes : dictature, despotisme,
cesarisme, theocratie, absolutisme, autocratie etc.
D'aucuns considerent le regime totalitaire comme le seul, a
meme de garantir au citoyen le bien-etre et de le proteger contre l'insecurite
et les abus de toutes sortes. L'argument qui milite en faveur d'un tel systeme
politique est que l'homme laisse a lui-meme, c'est-à-dire en liberte,
n'est pas apte a assurer l'ordre et la paix dans la societe. Il va falloir
alors placer un gouvernement auquel tous les pouvoirs seront delegues et qui
aura un droit de contrainte absolu sur l'ensemble des citoyens. C'est
effectivement ce que pense Hobbes en proposant un absolutisme monarchique. Pour
lui, en dehors d'un pouvoir fort, les hommes vivent en rivalite, defiants les
uns vis-à-vis des autres dans un etat de suspicion, sinon de guerre.
La conviction de Hobbes vient du fait que, contemporain de la
revolution anglaise du XVII5me siècle et des consequences
desastreuses de la vacance des pouvoirs qui s'en sont suivis, il apparait a ses
yeux qu'"aussi longtemps que les hommes vivent sous un pouvoir commun, qui les
tienne tous en respect, ils sont dans cette condition qu'on nomme guerre et que
cette guerre est guerre de chacun contre tous"9.
Pour Hobbes, comme pour d'autres penseurs ayant theorise sur
l'origine de l'Etat, la premiere cause de l'existence d'une societe politique
est le besoin naturel de securite. En effet, selon lui, "le motif et le but de
celui qui renonce a son droit ou le transfere ne sont que la securite de sa
propre personne dans sa vie et dans les moyens de la preserver"10.
Cependant, au regard de l'etat de guerre permanente oil vivent les hommes, la
solution pour Hobbes reside dans la creation d'un pouvoir fort, capable
d'inspirer l'effroi et d'unifier les volontes dans leur soumission au
souverain. Celui-ci donc, se substituant aux droits et pouvoirs individuels,
sera le pouvoir absolu.
9 Hobbes, Le Leviathan, Flammarion, 19 80,
Chap. XII p.152
10 Hobbes, Le Citoyen, Flammarion, Paris 19 82,
p 173
Hobbes estime a cet effet que "les actions des hommes en vue
de leur paix et de leur concorde repose sur le bon gouvernement de leurs
opinions"11. Il developpe a ce niveau un certain pessimisme sur la
nature humaine dont il pense que l'egoisme et les instincts irresistibles sont
source de passion individuelle donnant lieu a des luttes incessantes et
cruelles.
La pensee politique de Hobbes est un requisitoire contre
l'idee aristotelicienne de la destination de l'homme a etre et a demeurer un
etre social et politique. Elle constitue dans un certain sens une
demystification de l'homme, car elle lui denie toute faculte de faire bon usage
de sa liberte, en tombant presque dans l'animalite par l'usage incontrole de la
violence a chaque fois que ses interets sont mis en cause. En considerant
l'homme a l'Etat de nature comme un "loup pour homme", Hobbes annonce le primat
des instincts gregaires sur la raison qui devait en principe constituer le
signe distinct de l'humanite.
Le passage de l'etat de nature a l'etat social que propose
Hobbes, devrait traduire d'une certaine facon, le processus d'humanisation du
citoyen, en ce sens que le pacte social par lequel il aliene ses droits, ses
pouvoirs et sa liberte au souverain, constitue pour lui une voie de
socialisation et de rationalisation de ses desirs. Alors, s'instaure un systeme
de gouvernement ou le souverain gouverne selon sa volonte, le citoyen n'ayant
pas de voix deliberative, n'est reduit qu'a la simple soumission.
Pourtant, la liberte pour un citoyen est ce qui lui donne la
possibilite de choix et d'initiative ; elle est ce par quoi sa responsabilite
peut etre pleinement engagee. En deniant la liberte au citoyen, Hobbes fait de
lui un etre degage de toute responsabilite car, tout ce qu'il fera, releve de
la volonte du souverain. C'est dire ici qu'un homme sans liberte est un homme
sans devoir, car le devoir suppose avant tout un engagement librement consenti
et qu'on est tenu de respecter quelles que soient les circonstances.
Il va sans dire alors que les citoyens soumis a l'autorite du
souverain, n'ayant pas l'initiative de l'action -- ce droit etant devolu au
souverain uniquement -- sont exempts de toute obligation, comme le soulignait
Hobbes luimeme en affirmant que "la personne etant otee de la nature des
choses, il ne peut point naitre d'obligation qui la regarde"12.
En s'appuyant sur l'omnipotence de l'Etat incarne par le seul
souverain, l'absolutisme monarchique de Hobbes et le totalitarisme de maniere
generale, eloigne la politique de sa mission principale, celle de realiser les
ideaux de
11 Hobbes, Le citoyen, Flammarion, Paris 19 82,
p 94.
12 Hobbes, Le citoyen, Flammarion 1962, p
173.
justice, de liberte, d'egalite, d'equite parmi les hommes. Le
cours de l'histoire a montre q'aucun regime totalitaire, tant au niveau des
democraties populaires des pays communistes, que des dictatures africaines et
asiatiques n'a eleve ces ideaux au rang des valeurs a appliquer et a respecter
effectivement.
Dans les regimes totalitaires, la societe ne fonctionnant pas
sur les principes du droit, le souverain est le maitre absolu regnant selon le
droit de la force et non selon la force du droit. Le juste et l'injuste sont
ainsi subordonnes au seul jugement du souverain. Celui-ci, suivant sa volonte
et son temperament, peut ainsi decreter une chose permise ou defendue parce
qu'il considere comme celui qui sait mieux que les citoyens ce qui est bon pour
eux.
La majorite d'hommes d'Etat, parvenue au pouvoir par la
revolution ou les coups de force, ont la conviction que la force du pouvoir
central est le seul moyen efficace de niveler les conflits d'interêts et
d'instaurer par consequent la paix civile, la justice sociale, de realiser
l'unite nationale et de maintenir l'ordre et la securite. Dans cette
perspective, le citoyen apparait comme irresponsable et inconscient, a qui on
doit imposer du dehors des mesures qui feront son bonheur et sa fierte. Cela
constitue un pretexte essentiel pour violer les libertes fondamentales et les
droits de l'homme.
En somme, au regard de ce qui precede et en considerant la
morale comme l'ensemble des regles pratiques en vue du bien et la politique
comme une science de l'organisation de la cite en vue du bon gouvernement des
hommes sur la base des ideaux de paix, de justice, de liberte, d'egalite et du
respect des droits fondamentaux de la personne humaine, l'on est tente de dire
que le totalitarisme en general et l'absolutisme monarchique de Hobbes en
particulier constituent des exemples de la disjonction entre morale et
politique. Cela apparait beaucoup plus clairement, lorsqu'on sait que beaucoup
de dirigeants dans ces types de regime ont tres souvent cherche a appliquer
Machiavel sans parfois l'avoir jamais lu. Ils se sont notamment inspires des
methodes, des techniques qu'il conseillait au prince pour que celui-ci
preserve, conserve et consolide son pouvoir exclusif, en maintenant le peuple
principalement dans la peur et la crainte permanentes.
2. DE LA LOGIQUE DE L'ETAT CHEZ MACHIAVEL
Comme Hobbes en ecrivant le Leviathan, c'est aussi
l'amertume et la desolation devant la degenerescence de son pays qui ont
conduit Machiavel a rediger le Prince. A travers cette oeuvre, il s'agit
pour lui de proposer une logique politique qui permette a l'Italie de surmonter
le desordre ne des incessantes guerres intestines qui l'ont secouee. Il y a
lieu de rappeler ici qu'à l'aube du capitalisme industriel, l'Italie
imposait a ses voisins europeens sa
suprématie commerciale. Son rayonnement économique
lui attirait de plus en plus la convoitise des pays comme la France, l'Espagne
et la Suisse.
Au plan militaire, l'Italie était en proie a des
guerres intestines et ne comptait qu'une multitude des petits Etats rivaux,
toujours entrain de se faire et de se défaire. Cette situation
fragilisera du coup la puissance militaire du pays, ce qui favorisera son
invasion a plusieurs reprises par les trois pays précités. C'est
d'ailleurs ce qui a fait dire a Machiavel que "l'Italie a été
connue par Charles, pillée par Louis, violée par Ferdinand et
déshonorée par les suisses"13. C'est donc
excédé par la barbarie des hommes et surtout les exactions que
subissait son pays, que Machiavel souhaita l'arrivée d'un prince,
capable de débarrasser l'Italie du pillage et de l'anarchie, de la
libérer de ses envahisseurs, afin d'en restaurer et maintenir l'ordre et
l'unité.
La déconfiture de l'Italie amena Machiavel a
préconiser l'instauration d'un régime fort en vue de discipliner
les hommes. Ainsi, bien qu'il souligna que l'histoire est le lieu d'un
mouvement qui porte les Etats vers la liberté et la démocratie,
cela n'était pas encore possible dans le cas particulier de l'Italie qui
vivait un grand désordre et oil, seule une main princière devrait
préalablement ramener l'ordre et l'unité.
A partir de ce moment, Machiavel proposa une nouvelle vocation
de l'Etat qui consiste non pas a restaurer l'ordre pour le salut exclusif des
citoyens, mais pour le salut du prince en le renforcant dans l'exercice du
pouvoir. Pour Machiavel, il n'y a de droit que celui qu'une force est capable
d'imposer. C'est la force qui décide en politique alors que la morale
demeure presque impuissante. La conduite des affaires politiques exige du
prince un comportement contraire a la vertu.
Suivant la logique Machiavélique, dans la conduite des
affaires de l'Etat, c'est la réussite de l'action politique qui compte
et pour y parvenir tous les moyens sont bons et nécessaires. La
réussite est donc le premier critere d'évaluation. La bonne
politique est celle qui réussit a maintenir l'autorité de l'Etat
quels que soient les moyens utilisés. Comme on le constate, c'est
l'efficacité que Machiavel vise en politique et il n'y a de mauvais
politicien ou de mauvais prince que celui qui ne peut pas faire aboutir ses
actions.
Il apparait chez Machiavel que rien n'a plus d'importance que
le salut du souverain. Le peuple est relégué au second plan comme
s'il n'a pas droit a la protection. Et le paradoxe vient justement du fait que
dans le commerce entre Etat et citoyens, ce n'est pas le souverain qui
sécurise le peuple, mais plutôt
13 Machiavel, Euvres Completes, Gallimard et
952, ch. xvi p 322.
c'est lui qui se protege contre le peuple, comme si ce dernier
est son ennemi. Le comble vient du fait que Machiavel n'hesite pas a prescrire
l'usage de la violence pour maintenir le pouvoir du prince. Il soutient
qu'avoir le pouvoir c'est contrôler une situation a son avantage et la
force souvent est le moyen le mieux indique. Est bonne, une violence qui
detruit l'adversaire une fois pour toutes ; est mauvaise la violence qui se
repète, et devient alors une terreur continue.
Dans le langage politique de Machiavel, nous constatons que
les notions de liberte, de justice, d'egalite sont quasi inexistantes alors
qu'elles constituent les valeurs essentielles pour toute politique qui se donne
une dimension morale. Machiavel fonde ainsi sa politique en la debarrassant des
considerations morales. Ce refus total d'introduire la morale en politique
traduit comme on l'a dejà dit ce realisme politique de Machiavel. Il
preconise la pratique politique plutot conforme aux realites effectives qu'aux
ideaux : "il m'a paru plus pertinent de nous conformer a la verite effective de
la chose qu'aux imaginations qu'on s'en fait. En effet, il y a si loin de la
façon dont on vit a celle dont on devrait vivre, que celui qui laisse ce
qui se fait pour ce qui se devrait faire, apprend plutot a se detruire qu'a se
preserver"14.
Une autre caracteristique de la pensee politique de Machiavel
qui caresse aussi une certaine amoralite dans la conduite des affaires de
l'Etat, c'est la duplicite dont peut faire preuve le prince en fonction des
circonstances. En effet, Machiavel developpe une dialectique de l'etre et du
paraitre par laquelle le prince doit revetir, selon le besoin, un comportement
humain ou animal. Il demande ainsi a l'homme d'Etat d'être centaure (le
cas echeant) c'est-A-dire cet animal mythique qui possede a la fois une partie
humaine et une autre animale.
Il faut donc aussi savoir faire la bête pour maintenir
son pouvoir, savoir ne pas tenir a ses promesses, savoir s'eloigner du bien et
"entrer dans le mal". Il confere donc a l'apparence une grande importance, car
elle joue beaucoup sur l'imagination des foules. Machiavel souligne que
"l'universalite des hommes se repait de l'apparence comme de la realite,
souvent l'apparence les frappe meme plus que la realite"15. Il
ajoute aussi que la societe des hommes est une societe de spectacle "tout le
monde voit bien ce que tu sembles, mais bien peu ont le sentiment de ce que tu
es."16
La leçon essentielle a tirer de cette duplicite, c'est
l'incitation qui est faite au prince de se servir souvent du mensonge. Il
estime en effet, que le mensonge vaut plus souvent mieux que la fidelite a la
parole donnee. Il fait remarquer a ce
14 Machiavel, Euvres Completes, Gallimard 1952,
p 332.
15 Machiavel, op cit p 343.
16 Ibidem, p 34 8.
niveau que beaucoup de princes s'en étaient bien
tirés non pas en faisant de la loyauté leur base de conduite,
mais en faisant peu cas de cette fidélité et en s'imposant aux
hommes par la ruse. A propos justement de la ruse, il estime que pour
s'élever d'une condition médiocre a la grandeur, elle est plus
nécessaire que la force, mais que ruse et force doivent par principe
etre complémentaires. C'est en cela qu'il définissait la vertu
comme la promptitude a savoir se servir de la force et de la ruse.
Machiavel préconise tous les moyens qui peuvent
permettre au prince d'atteindre les fins qu'il vise. Il justifie cette approche
par le fait que les princes ne peuvent pas etre scrutés devant un
tribunal. Il préconise a cet effet, que "le prince songe uniquement a
conserver sa vie et son Etat ; s'il y parvient tous les moyens qu'il aura pris
seront jugés honorables et loués par tout le
monde."17
C'est la recherche d'un Etat fort qui pousse Machiavel a
investir son prince des responsabilités exceptionnelles, a le situer au
dessus du commun des mortels et a l'autoriser a entrer dans la voie du mal si
nécessaire. Convaincu que seule l'extreme rigueur du pouvoir politique
peut écarter de l'Etat le spectre du désordre, Machiavel fait
table rase de toutes les considérations morales. A ce égard, on
est tenté encore de s'interroger, si on fait la politique pour le bien
du peuple ou si seulement on fait la politique parce qu'on a soif du pouvoir,
soif de gouverner, soif des privileges et des honneurs qui s'y rattachent1
8. Dans ce cas, rien d'autre alors n'a d'importance que la conquete,
l'exercice et la préservation du pouvoir.
En définitive, au regard de ce qui précede et
pour apprécier brievement la pensée politique de Machiavel, nous
allons nous en tenir a la réflexion de Raymond Aron qui affirmait que :
"Machiavel, penseur politique a dit et répété avec une
absolue franchise, qu'il fallait voir la réalité telle qu'elle
est, non telle que l'on voudrait qu'elle fQt. En ce sens
élémentaire, il proclame ce que les uns appellent
réalisme, les autres cynismes, les autres esprits scientifiques. A
certaines époques et dans certaines circonstances, l'esprit
scientifique, s'il se comporte ou érige l'emploi des moyens efficaces
pour atteindre certains objectifs, aboutit a un certain cynisme. La
rationalité dans le choix des moyens, déduites de l'observation
sans préjugé des consécutions causales, ne garantit pas
plus la moralité des moyens que celle des fins."19
17 Ibidem, P 34 8.
1 8 Spinoza "Machiavel n'a fait que montrer de quels
moyens un prince omnipotent dirigé par son appétit de domination
doit user pour se rétablir et maintenir son pouvoir" du Traité
d'autorité politique, ch. v & 7 p 137, Flammarion 1977.
19 Raymond Aron Machiavel et Marx, in Revue "Centre
joint" n°4 été 1971.
3. DE L'ASSUJETTISSEMENT A LA CITOYENNETE
L'analyse precedemment faite sur l'absolutisme monarchique de
Hobbes laisse entrevoir que la doctrine du totalitarisme fait de l'homme en
tant qu'"être politique" un sujet plutot qu'un citoyen. Nous entendons
par citoyen, tout individu reconnu juridiquement comme membre d'une communaute
politique donnee, jouissant de tous ses droits et auquel incombent aussi des
devoirs dans les limites des charges qui sont les siennes. Il s'agit alors
d'une personne etablie dans sa dignite et dans la plenitude de ses facultes a
participer activement a la gestion des affaires publiques.
Le statut du citoyen se trouve donc lie a la constitution
republicaine, comme regime fonde sur le droit en tant qu'expression de la
volonte generale. Il s'agit donc d'un regime ou la souverainete appartient au
peuple comme ensemble du corps politique constitue de tous les citoyens
jouissant de la faculte deliberative sur toutes les questions relatives a la
vie publique.
L'Etat republicain peut ainsi fonder un regime democratique
qui repose sur la responsabilite des citoyens contrairement aux regimes
totalitaires ou la responsabilite repose sur le seul monarque. C'est a ce
niveau qu'on peut situer toute la difference conceptuelle qui existe entre
citoyen et sujet. Le premier est un acteur sur la scène politique de sa
communaute ou il joue son role en toute liberte et en toute responsabilite,
tandis que le second est un passif, car soumis a la volonte du monarque a qui
il doit obeissance et devouement sans aucune garantie de ses droits.
Historiquement, la conscience d'être citoyen est apparue
pendant la revolution francaise et elle traduisait la volonte de sortir de
l'ancien regime monarchique base sur l'assujettissement du peuple. Aussi, quand
on parle de sujet, c'est souvent en reference a un monarque ou a un souverain
detenant le pouvoir absolu et auquel tous les membres de la communaute sont
statutairement soumis.
Hobbes definit les sujets en ces termes : "je nomme sujets de
celui qui exerce la souverainete tous les citoyens d'une même ville et
même les compagnies qui composent une personne civile sous
ordonnee."20 En d'autres termes, Hobbes designe par sujet, toute
personne statutairement appelee a rendre toute sorte d'obeissance a un
monarque. Mais au dela, de cette definition du sujet par Hobbes, trois
conditions particulières permettent de determiner le statut politique
des personnes comme citoyens ou sujets dans un regime donne. Il
20 Hobbes, Le citoyen, G. Flammarion, 1992.
s'agit notamment de la source de l'exercice de souverainete, du
respect et des garanties des libertes politiques et du mode de choix des
gouvernements.
3.1 De la source de l'exercice de la souverainete.
La reconnaissance d'un regime politique comme totalitaire ou
democratique repose en grande partie, mais non exclusivement sur les conditions
d'exercice de la souverainete. En effet, le regime totalitaire ou despotique se
caracterise par le fait que la souverainete est detenue et exercee par un
individu en la personne du monarque. Entre ses mains sont concentres tous les
pouvoirs et aucune autre volonte ne peut s'opposer a la sienne. Or, dans un
regime democratique, la detention et l'exercice de la souverainete sont devolus
au peuple dont la volonte est au dessus de toute autre volonte particuliere. Il
s'en suit ainsi dans le premier cas, que le peuple est constitue de sujets
comme personnes qui dependent de la volonte absolue du monarque. Dans le
deuxieme cas, le peuple est constitue des citoyens comme personnes qui ne
dependent que d'eux-memes a travers leur volonte exprimee. Dans le premier cas,
la source de la souverainete reside dans le monarque, dans le cas, elle repose
sur la volonte generale des citoyens.
La souverainete populaire reconnue comme "inalienable" par
Rousseau fonde la legitimite du pouvoir politique. C'est donc le passage de la
source de la souverainete du monarque au peuple qui marque la fin de
l'assujettissement et le commencement de la citoyennete. Le peuple se liberant
du joug et de la tyrannie d'un seul, se donne l'opportunite de participer
librement a la prise en charge de son propre destin, s'investir resolument dans
la vie publique. C'est dans le meme esprit de responsabilite qu'Alain Tourraine
concoit la citoyennete : "c'est dans la participation a l'ceuvre commune du
corps social que l'individu se forme, domine ses passions et ses interets,
devient capable d'agir rationnellement". Or, une telle conception ne cadre
nullement avec un systeme ou le peuple n'a aucune initiative.
En effet, dans ce système le peuple reste et demeure
soumis aux initiatives unilaterales du monarque dont les actes politiques
visent parfois a soigner plutôt son image et sa grandeur que le
bien-être du peuple. Par contre, dans le regime democratique, les hommes
sont plutôt responsabilises comme citoyens jouissant des droits de
s'autogouverner. C'est donc la question de la libre participation des hommes a
la conduite des affaires de la cite qui oppose fondamentalement les doctrines
d'essence totalitaire et la democratie : le premier cas de non participation
les reduits en sujets ; le deuxième de participation en fait des
citoyens.
C'est le lieu donc d'insister sur le respect et la garantie des
libertes politiques.
3.2 Du respect et de la garantie des libertes
politiques
Depuis l'antiquite grecque, le citoyen se definissait comme
une personne libre qui participait aux decisions politiques de la cite, a la
legislation et a l'administration de la justice, bref aux fonctions publiques.
Il s'opposait ainsi aux travailleurs et aux esclaves qui etaient consideres
comme alienes, car dependants d'autres citoyens. Meme si nous assimilons le
sujet d'un monarque a l'esclave, il apparait tout de meme qu'ils partagent un
point commun, la privation de la liberte. Or, il n'y a de citoyen que celui qui
constitue en luimeme un centre d'initiatives qui se definit comme une personne
autonome, independante et souveraine, capable de decider librement de ses
actions, dans le respect de la legalite.
En tout etat de cause, la liberte est une condition de
l'exercice de la souverainete du peuple, car celle-ci ne peut s'affirmer
veritablement que lorsque les citoyens jouissent de la plus grande liberte.
Elle constitue le noyau central de la citoyennete et meme la qualite premiere
de l'humaine nature. Comme le souligne Hegel : "la liberte pour tous est la
condition constitutive de la nouvelle societe pour autant qu'elle a comme sujet
les particuliers consideres dans l'egalite de leur nature affectee des besoins
et liberes aussi de toutes les institutions qui les limitent politiquement ou
juridiquement."21
Cependant, pour que les institutions ne limitent pas
politiquement ou juridiquement les prerogatives des citoyens, il faudrait que
ces derniers prennent une part active essentielle dans le choix des
gouvernants.
3.3 Le choix des gouvernants
Le libre choix des gouvernants par les gouvernes eux-memes
c'est-A-dire les citoyens, constitue donc la troisieme condition de la
citoyennete. L'attribut fondamental du citoyen c'est d'être electeur et
eligible, autrement dit, qu'il ait le droit de participer au choix des
dirigeants comme il peut egalement se presenter comme candidat aux elections.
Ce droit lui est expressement reconnu par toute la constitution republicaine
s'inspirant de la declaration universelle des droits de l'homme et du citoyen
de 17 89.
Le libre choix des gouvernants est une prerogative considerable
dont jouit le citoyen en ce sens qu'elle exprime d'une part la manifestation de
sa
21 Joachim Rittler, Hegel et la revolution f,
ed Bauchesne, p 55.
souveraine volonte et d'autre part aussi, elle consacre sa
responsabilite politique dans la conduite des affaires de la cite. C'est donc
par le libre choix des gouvernants par les gouvernes a intervalles reguliers
que se definit le mecanisme institutionnel de democratie. Ce mecanisme ouvre
egalement la voie a un dialogue constructif entre les dirigeants et les diriges
quant au partage des charges et de la responsabilite en ce qui concerne la
gestion collegiale et concert~e de la chose publique.
Ainsi, par le libre choix des gouvernants, les citoyens
échappent en principe a la tyrannie, puisqu'ils agissent ainsi par
eux-mêmes et pour euxmêmes. C'est cela qui est principalement
recherché dans les regimes de type démocratiques dont Rousseau
fut l'un des grands défenseurs. L'auteur du contrat social
faisait confiance aux vertus du regime démocratique, le plus favorable
d'après lui a l'élévation morale des citoyens.
CHAPITRE II : RAPPORT DE CONJONCTION
Traditionnellement definie comme pouvoir du peuple, la
democratie comme pratique et theorie politiques, a connu une lente evolution a
travers les siecles. La premiere forme de la pratique democratique au sens de
technique de la conduite des affaires de l'Etat par le peuple lui-meme fut
rencontree dans la Grece antique. En effet, la Grece consideree comme "berceau
de la liberte politique" avait pratique la democratie au sens du pouvoir du
peuple par la mise en place d'une assemblee souveraine denommee ecclesia, qui
presidait a la definition des orientations generales de la politique de la
cite. Il s'agissait alors du type de democratie directe qui consistait a reunir
a l'agora le peuple pour debattre de preoccupations de la cite, proceder a la
designation des dirigeants et au vote des lois. Cependant, cette democratie
athenienne fonctionnait sur une base elitiste, c'est-A-dire que les categories
sociales les plus nombreuses, notamment les femmes, les meteques et les
esclaves etant exclus du jeu politique : elles n'etaient ni electrices, ni
eligibles.
Mais, la democratie comme doctrine politique s'etait
progressivement affirmee avec des theories comme Spinoza, Locke, Montesquieu et
Rousseau entre le XVII& et le XVIII& siecle2222. Leur pensee
politique est une sorte de denonciation et de refus de la pratique de la
politique absolutiste de l'ere medievale ou l'exercice du pouvoir politique
appartenait conjointement a la noblesse et clerge chretien. Ces auteurs
soutiennent alors que le meilleur regime, c'est la democratie. Elle concilie
l'autorite politique et la liberte du citoyen par le biais de la separation des
pouvoirs, des consultations regulieres de la volonte populaire, le respect des
droits et libertes des individus, etc. Toutefois, la mise en pratique de ces
differentes theories n'a veritablement commence a se concretiser qu'avec les
revolutions americaines et francaises. Mais, c'est la revolution francaise qui
a le plus eu d'echo a travers le monde, parce qu'elle a consacre le triomphe
des ideaux republicains par le renversement violent et spectaculaire de la
monarchie de l'epoque. Elle a eleve la liberte du citoyen au rang du droit
fondamental et par lA, elle confera a l'homme le pouvoir de se realiser par
lui-meme.
La revolution francaise offrira a l'humanite la declaration
universelle des droits de l'homme et du citoyen dont les references
essentielles sont, entre autres, la liberte, l'egalite, la justice, la
souverainete populaire. Cette declaration, faut-il le souligner reprend en ses
nombreux articles, quelques passages essentiels du contrat social de Rousseau
sur la liberte, l'egalite et la souverainete des citoyens. Il en est ainsi, de
l'article I qui stipule que "les hommes naissent et
22 · i
Je fats allusion ici aux wuvres ci-après : Traite de
l'autorite politique (Spinoza), Traite sur le gvt civil (Locke)
et L'esprit
des lois (Montesquieu).
demeurent libres et egaux en droits"23, de
l'article II qui stipule que "le principe de toute souverainete reside
essentiellement dans la nation"24, de l'article IV qui affirme que :
"la loi est l'expression de la volonte generale"25, etc. Il apparait
de ce fait que Jean Jacques Rousseau a eu une influence certaine sur les
acteurs de la revolution française, notamment au niveau de la
constituante. C'est en cela qu'il est considere comme un des pionniers de la
democratie liberale, laquelle (depuis le XVIIIi5me siècle),
faisant du bonheur commun la fin de l'action politique, concilie dans ses
fondements la morale et la politique, etablit des fins ethiques a l'action
politique.
1. DE LA DEMOCRATIE LLI BERALE CHEZ ROUSSEAU
Rousseau represente dans l'histoire de la pensee politique
l'antithese de Hobbes sur la nature et la legitimite du pouvoir politique. Ils
conviennent tous les deux, qu'avant la constitution de l'etat social, les
hommes auraient vecus dans un etat de nature ou etat d'inorganisation a cet
etat de nature.
Ainsi, pour Rousseau dans l'etat de nature, il y avait un
equilibre entre les besoins des hommes et leur satisfaction, parce que dans cet
etat, tout etait en abondance et il n'y avait pas de propriete privee. Dans cet
etat, l'homme etait un etre physiquement fort, resistant, moralement innocent,
car ignorant le mal. Il etait habite par le sentiment de pitie et pour toutes
ces raisons, il etait "libre, bon et heureux". C'est ce que Rousseau qualifie
comme une sorte d'enfance heureuse de l'humanite. Mais, cet etat de nature
disparaitra au profit d'une premiere forme de socialisation qualifiee de
"mauvaise socialisation".
Cet etat serait marque par l'apparition de la propriete
privee, qui engendra d'ailleurs la mefiance et les conflits entre les hommes.
Il s'instaura alors une situation non viable ou les interets egoistes se
brisaient les uns contre les autres, malgre les multiples lois et reglements
que les Etats adoptaient pour instaurer l'ordre. La situation allant en
s'empirant, l'Etat a son tour devint mefiant vis-a-vis des citoyens qu'il
tendait d'ailleurs a brider davantage. C'est en ce moment que la necessite de
trouver une nouvelle forme de societe s'imposa. Il s'agissait d'une societe ou
la nature raisonnable et libre de l'homme soit respectee tout en tenant compte
du besoin historiquement incontournable de l'organisation sociale. Tel fut
l'objet essentiel du contrat social de Rousseau.
C'est donc a partir de ce moment que Rousseau s'attela a chercher
cette forme d'association par laquelle "chacun s'unissant a tous n'obeisse qu'a
lui-
23 F.M Walkins, L'ere des ideologies :"les
revolutions francaise et americaine offraient la liberte non pas a une seule
nation mais a toute l'humanite" Nouveaux Horizons, p 89.
24
Rousseau Du Contrat social, ed sociales 19 80, p12.
25 Ibidem.
meme et reste aussi libre qu'auparavant"26. Il
trouva la solution en ce que chacun aliene sa liberte, non pas au profit d'un
seul (monarchie) ni de plusieurs (aristocratie) mais de tous (la democratie).
Cette alienation de la liberte de chacun au profit de tous, s'effectue a
travers un contrat social par lequel l'homme se reconcilie avec sa propre
nature d'être libre et fonde l'etat social. L'Etat issu de ce contrat
social devint l'incarnation de la volonte generale, "un corps collectif et
moral". Avec cet etat, chaque citoyen accepte de faire un exercice civilise de
sa liberte en echange d'une garantie de cette meme liberte.
Le contrat social reposera sur la soumission a la loi dictee
par chaque citoyen au travers de la volonte generale definie comme lieu de
rencontre des volontes individuelles, altruistes, celles orientees par la
raison et visant le bien commun. Des lors, l'individu ne peut protester contre
une decision prise par la collectivite a laquelle il a des l'origine fait
remise de son independance individualiste. Il s'agit donc de l'Etat contractuel
qui protege les libertes individuelles contre les abus d'autrui. Soulignons a
ce niveau, que l'Etat ne tire sa legitimite que du respect de la volonte
generale et pour etre efficace, il doit se donner les institutions necessaires
pour recueillir cette volonte. A cet effet, Rousseau louait la democratie
directe a l'image des ecclesias grecques ou des cantons suisses, oil les
citoyens exprimaient directement a travers des debats publiques leur volonte.
Il s'agit la pour Rousseau, de la meilleure forme de democratie au detriment de
la democratie representative ou parlementaire.
L'important ici, c'est qu'au-delA du choix de forme, la
democratie realise A l'oppose du totalitarisme, la reconciliation de l'Etat et
du citoyen. Elle offre, en plus une vision plus optimiste de la nature humaine.
Elle croit notamment en la capacite de l'homme a realiser le bien public. Par
ailleurs, Rousseau croit en la faculte de l'homme a vivre en paix avec ses
semblables selon les normes ethiques et rationnelles : "c'est l'homme agissant
selon les règles morales consultant sa raison et non plus son
instinct"27 qui est le citoyen en democratie. Le but de la
democratie vise a une forme de gouvernement oil l'Etat exerce son autorite dans
le respect des libertes des citoyens tout en garantissant a chacun les
mêmes droits fondamentaux. La democratie tant a valoriser la tolerance,
preconiser le respect de la liberte individuelle et prevenir toute politique
arbitraire par la separation des pouvoirs et le recours aux consultations
electorales.
L'investiture du pouvoir a laquelle procède le peuple
est le fait d'un contrat : chacun dans ses rapports avec l'autre et avec le
pouvoir, accepte la limitation de certains de ses droits propres et reconnait
chez autrui et dans le pouvoir les droits correspondants. Si les citoyens ne se
reconnaissent plus dans
26 26. J.J. ROUSSEAU, op cit, p.21
27 J.J. ROUSSEAU, op cit, p 21.
le pouvoir parce que celui-ci ne reflète plus leur
volonte, ils seront tentes de suspendre leur confiance a ce pouvoir lui Ctant
ainsi toute legitimite.
Le contrat suppose donc des engagements et des devoirs
auxquels les uns et les autres ont souscrit et qui doivent etre respectes, meme
si c'est a l'encontre de certains interets personnels.
La morale commence là oii l'autorite du devoir s'impose
a tous et que chacun etant conscient de ce fait s'efforce de la respecter. En
tout etat de cause, la democratie comme aboutissement d'un contrat originel ne
saurait remplir toutes ses promesses de liberte, d'egalite et de justice, que
lorsque des institutions idoines fonctionnent regulièrement.
2. LES PRINCIPES FONDATEURS DES INSTITUTIONS
DEMOCRATIQUES
La democratie se caracterise par un certain nombre de
principes fondateurs qui rendent harmonieux le fonctionnement des institutions
et qui rapprochent au mieux les gouvernants des gouvernes. Parmi ces principes,
nous retenons essentiellement trois. Il s'agit de la souverainete du peuple, du
suffrage universel et de la separation des pouvoirs.
2.1 De la souverainete du peuple
La democratie selon Spinoza est "l'union de tous les hommes
qui detiennent collegialement, comme un tout organise, un droit souverain sur
tout ce qui est effectivement en leur pouvoir"2 8. Il apparait ainsi
que la democratie trouve son essence dans la reconnaissance prealable de la
souverainete comme pouvoir absolu du peuple et seule source de la legitimite du
pouvoir. La souverainete est "invisible et inalienable" affirme Rousseau en
tant qu'elle est l'exercice de la volonte generale et cette volonte generale
est celle du peuple.
La souverainete ne demeure pas seulement un concept, car comme
pouvoir absolu, le peuple l'exerce effectivement par le biais des consultations
electorales et referendaires notamment. La democratie athenienne bien
qu'elitiste et discriminatoire en ecartant les femmes, les metèques et
les esclaves, n'en est pas moins une reference historique en ce qui concerne
l'exercice reel de la souverainete par le peuple lui-meme. En effet, la
souverainete dans la democratie athenienne fut devolue a une assemblee ou
ecclesia qui comprenait tous les citoyens libres sans distinction de richesse,
d'honneur et de profession.
2 8 Spinoza, Traite de l'autorite politique,
Gallimard 197 8, p 36.
Les citoyens libres dans la Grece antique étaient
ceux-la qui ne faisaient pas du travail manuel, qui ne dépendaient pas
socialement et statutairement d'autres personnes. Cette assemblée
souveraine lors de ses assises (au moins quarante fois par an) présidait
a l'installation de tous les organes politiques, administratifs et juridiques
nécessaires a la gestion de la cité.
Dans l'esprit des athéniens, la souveraineté
comme pouvoir absolu ne saurait être confiée a un seul homme, ni a
un groupe particulier d'individus, mais a une multitude de personnes avec une
multitude de mains, une multitude de pieds, avec beaucoup d'organes et
présentant de nombreuses qualités morales et intellectuelles.
A la différence de la démocratie
athénienne, la démocratie moderne se présente comme une
sorte d'exercice par procuration de la souveraineté, en ce sens que le
peuple confere ses pouvoirs a un parlement. Celui-ci au nom du peuple qui l'a
mandaté, légifere et controle l'action gouvernementale.
Cependant, cette délégation de la souveraineté ne signifie
ni l'aliénation de celle-ci, ni la subordination du peuple au pouvoir
politique, car la souveraineté appartient au peuple.
A ce titre, tout doit partir de lui, et tout doit lui revenir,
car les institutions et les hommes qui les animent sont des serviteurs. Tout
régime politique est passager, mais le peuple dans sa puissance
souveraine est perpétuel. Comme tel, il peut être
considéré comme une autorité morale, car les gouvernants
sont tenus de prendre en compte ses opinions, ses jugements, ses attentes au
risque de subir sa sanction. Le peuple n'est pas cette masse anonyme
d'individus, mais il est une conscience, celle contenant les buts et les
intérêts de tous les citoyens. C'est donc, en tant que conscience
unifiée de l'ensemble du corps social, que le peuple exerce sa
souveraineté et exprime sa volonté par le biais du suffrage
universel.
2.2 Du suffrage universel
Le suffrage universel est un droit de vote accordé a
tous les citoyens remplissant les conditions légales. Il est, au
demeurant, basé sur l'idée d'égalité fondamentale
des hommes. Par le suffrage universel, les citoyens dans des conditions
égales pour tous expriment donc leur souveraineté, par le choix
des responsables politiques. Le suffrage universel constitue fondamentalement
un moyen pour le peuple de sanctionner positivement ou négativement les
hommes politiques ayant exercé un mandat électif ou
exécutif. Le suffrage universel est indissociable de la logique
démocratique, car il est la condition sine qua non de l'alternance et
aucun régime ne peut prétendre être réellement
démocratique
lorsque les citoyens ne peuvent exercer librement et dans la
transparence leur droit de vote.
Par le suffrage universel, ce qui est recherche c'est
l'expression de la volonte generale, car pour Rousseau "quand on propose une
loi a l'assemblee du peuple, ce qu'on demande n'est pas precisement s'ils
approuvent la proposition ou s'ils la rejettent, mais si elle est conforme ou
non a la volonte generale, qui est la leur"29. Le suffrage universel
est par consequent un mode d'expression, par le quel le peuple se prononce sur
ce qui est conforme ou non a sa volonte.
Ainsi, c'est a partir de l'expression du suffrage universel
que certaines institutions republicaines sont mises en place, notamment
l'executif et le legislatif, objets d'une autre preoccupation dans la bonne
marche du systeme democratique en ce qui concerne leur fonctionnement
separe.
2.3 De la separation des pouvoirs
L'objectif de la separation des pouvoirs est d'eviter
l'arbitraire du pouvoir par accumulation des fonctions politiques. C'est en
prevision de cela que Montesquieu affirmait que : "lorsque dans la meme
personne ou dans la meme magistrature, la puissance legislatrice reunie a la
puissance executrice, il n'y a point de liberte ; parce qu'on peut craindre que
le meme monarque ou le meme senat fasse des lois tyranniques pour les executer
tyranniquement"30.
Le principe de la separation des pouvoirs est l'une des
particularites du regime democratique, par rapport a d'autres regimes oii la
totalite des pouvoirs est concentree entre les mains du seul pouvoir executif
ou son equivalent. Mais la separation des pouvoirs n'implique en realite qu'une
difference de fonction entre le legislatif, l'executif et le judiciaire ;
chacun d'eux a des obligations et des droits qui lui sont propres. Ils ne
fonctionnent pas en vase clos, ni de facon isolee, mais sont dans une
interrelation constante qui prend la forme d'une interdependance dans la
complementarite.
Ainsi, le rapport que le pouvoir executif doit avoir avec le
pouvoir legislatif sous le regard vigilant du pouvoir judiciaire, c'est de
veiller a ce que la liberte des citoyens soit preservee, de meme que leurs
interêts materiels et moraux dans le cadre de la loi. Lorsqu'il y a
separation et equilibre entre les differents pouvoirs, l'appareil d'Etat
connait un meilleur fonctionnement et la gestion de la chose publique peut etre
plus harmonieuse. Il se trouve ainsi que toutes les philosophies politiques
democratiques assignent comme but final au pouvoir, la creation et
l'elargissement des conditions de la liberte.
29 J.J. ROUSSEAU Du Contrat Social, ed sociales
19 80, p 172.
30 Montesquieu, De l'esprit des lois, Gallimard
1961, chap. vi.
Cependant, force est de constater que la démocratie en
plus de sa réalité institutionnelle exige ce que Montesquieu
appelle vertu, qui est l'effort de dépassement permanent pour
réaliser l'intéret public, respecter les lois. Il s'en suit que
la démocratie suppose aussi un certain nombre de valeurs morales telles
que le respect d'autrui, la loyauté, le sens du devoir qui sont
nécessaires aux citoyens. Nous allons a présent préciser
leur contenu.
3. LES CONDITIONS MORALES DE LA DEMOCRATIE
La démocratie constitue un modèle politique
universellement applicable, car chargé des valeurs universelles comme
celles de liberté, d'égalité, de justice,
d'équité, du respect de la dignité humaine etc. Elle est
le regne de la raison. Etant toujours un processus inachevé, la
démocratie a besoin des hommes vertueux, des hommes capables de
transcender leurs égoismes, des hommes respectueux de la
légalité, de leurs concitoyens et enfin des hommes animés
de bonne volonté au sens kantien du terme.
En un sens chacun d'entre nous doit se conduire en homme de
devoir, quelqu'un qui s'oblige envers lui-meme et envers les autres. Et le
premier devoir que nous avons envers les autres, c'est d'abord de les respecter
dans leur personne et dans leur dignité, c'est aussi nous conduire en
citoyens loyaux, respectueux de la communauté et de ses lois et
reglements :
1.1 Du respect d'autrui : l'esprit de tolérance
La démocratie pour reprendre les termes de Tourraine
"n'est possible que si chacun reconnait a l'autre comme soi-meme, une
combinaison d'universalisme et de particularisme"31. Autrement dit,
la démocratie doit reconnaitre a chaque composante sociale les memes
droits et les memes devoirs au-dela de toute autre considération
liée a l'appartenance a une communauté politique, religieuse,
ethnique, etc. : nul ne doit etre exclu du jeu politique.
L'esprit démocratique est, par ailleurs, incompatible
avec la non reconnaissance et le non respect des différences
spécifiques liées au sexe, au culte, a la culture, a la langue,
etc. La démocratie tend a favoriser une sorte de synthese des
particularités, pour créer une certaine unité dans la
diversité. Cela passe par un esprit de tolérance entre les
différentes communautés politiques, entre les différents
groupes d'intérêts en vue du consensus nécessaire a la paix
civile et a l'épanouissement de tous.
31 Alain Tourraine, Qu'est-ce la
démocratie, Fayard 1994, p 9.
Le respect de l'autre commence necessairement par sa
reconnaissance comme egal a soi en droits et en dignite. Cette reconnaissance
mutuelle est une condition indispensable et meme prealable a une vie politique
democratique.
En somme, la democratie constitue ainsi une maniere
d'être et de savoir vivre ensemble, avec nos differences, afin d'edifier
un monde de plus en plus ouvert a la plus grande diversite possible des
citoyens.
1.2. De la loyaute
Synonyme de droiture, de fidelite, la loyaute est la vertu de
celui qui, en toute circonstance, a l'egard de soi-meme comme a l'egard
d'autrui, se conduit en homme honnete. Elle se traduit par le respect d'un
contrat auquel on souscrit et elle est aussi source de confiance entre
differentes volontes particulieres. La loyaute suppose aussi une resistance a
ses inclinations egocentriques.
La loyaute concerne egalement l'action publique, l'action
institutionnelle notamment. Elle est donc un principe moral qui doit nous
guider dans notre vie aussi bien privee que publique. Nous aurons ainsi a
analyser la portee de ce concept et au niveau des citoyens et au niveau des
responsables d'institutions.
1.2.1 La loyaute au niveau des citoyens comme
gouvernes
Dans un systeme democratique, la loyaute est avant tout une
fidelite envers la legalite republicaine et a l'egard de l'Etat comme forme
consciente de la vie en commun des hommes. La democratie n'etant pas un regime
de force ou de terreur, il est celui qui fait confiance a la volonte
raisonnable du citoyen et a son sens du devoir. Cette volonte peut etre
identifiee au patriotisme qui grandit chez le citoyen le sens du devoir et du
respect des institutions.
La loyaute chez le citoyen est un atout, elle englobe ses
rapports avec l'Etat et avec ses concitoyens. Elle est ce par quoi, on peut
reconnaitre un homme de bonne moralite. Un citoyen loyal est celui qui sait
mettre l'inter:t general au dessus de ses inter:ts particuliers. A l'egard de
ses concitoyens, "il les reconnaitra comme des êtres moraux et qui le
reconnaitront comme tel, ceux envers lesquels il devra, pourra et voudra
observer une loyaute, non d'obeissance forcee a des lois qu'il n'approuve pas,
ne comprend pas, ne vit pas, mais une loyaute d'amitie et de confiance
raisonnables"32.
32 Eric Weil, Philosophie politique, J Vrin,
Paris 1974, p 251.
1.2.2 La loyaute au niveau des responsables
d'institutions comme gouvernants
A ce niveau, la loyaute se traduit par le fait que les
responsables d'institutions politiques (legislatifs, executif et judiciaire) et
l'administration oeuvrent dans le sens de l'interêt public. Ces
responsables loyaux doivent ainsi donner l'exemple de la droiture et de la
fidelite dans la gestion des affaires publiques et dans le respect des
engagements pris.
Le gouvernement est l'artisan de la vie politique, economique
et culturelle. Lorsqu'il manque de loyaute, il ne peut remplir convenablement
son role, et c'est tout l'edifice etatique qui peut s'ecrouler. Sa
responsabilite etant enorme, sa loyaute est indispensable pour un meilleur
epanouissement materiel et spirituel de tous les citoyens. En plus de
l'executif, la bonne foi est une necessite qui s'impose a toute la classe
politique, a tous ceux qui ont en charge la gestion de la chose publique.
A tous les niveaux, la democratie exige une culture de la
loyaute qui permette a chaque acteur politique de jouer son role dans le
respect strict de la volonte generale et de la loi fondamentale.
En definitive, on retiendra que la bonne foi des gouvernants
dans la gestion transparente des affaires de l'Etat, la fidelite des juges au
serment prête, l'honnêtete des parlementaires dans leur role
legislatif et du contr8le de l'action gouvernementale et l'impartialite de la
societe civile dans le jeu politique, sont quelques exigences fondamentales
pour une vie politique et democratique saine. C'est pour ce type d'exigences
que Kant voit en democratie (archetype de la constitution republicaine) le lieu
de l'affirmation de l'homme comme fin. Cela nous améne a aborder la
pensee politique Kantienne dans la perspective d'une mise en evidence possible
des rapports specifiques du politique a l'ethique.
DEUXIEME PARTIE :
L'APPORT DE KANT POUR UNE AUTRE LECTURE DES RAPPORTS
ENTRE LA MORALE ET LA POLITIQUE
CHAPITRE I : DU REPU BLICANISME COMME CONDITION D'UN
ACCORD POSSIBLE ENTRE MMORALE ET POLITIQUE
La pensee politique de Kant est manifestement l'une des plus
exigeantes dans l'histoire des idees politiques en ce qui concerne la
consideration accordee au respect des libertes et droits de l'homme, et aux
valeurs morales d'une maniere generale. Sa preference pour une constitution
republicaine s'explique par le fait qu'elle soit compatible avec la liberte, la
soumission de tous a une legislation commune et enfin avec le droit d'egalite
devolu a tous.
La constitution republicaine renferme en elle le droit public
que Kant definit comme "un systeme des lois a l'usage d'un peuple,
c'est-à-dire d'une multitude d'hommes ou d'une multitude de peuples qui,
entretenant des rapports d'influence reciproque, ont besoin pour que leur
echoit en partage, ce qui est droit, d'un Etat juridique obeissant a une
volonte qui les unifie"33.
Cette volonte unificatrice qui est la constitution
republicaine represente donc la reference juridique d'un peuple, lorsque
celui-ci decide de vivre sous une republique, c'est-à-dire une
communaute politique ou les rapports entre les membres sont fondes et regis par
des lois. Il s'agit alors des lois emanant de la volonte des citoyens et devant
donc être respectees par tous. C'est pourquoi la constitution
republicaine garantit une bonne legislation pour un peuple.
La vie politique, faut-il le souligner, est faite
essentiellement de relations humaines ; elle est un ensemble d'interactions
entre differentes consciences dans leurs diversites et particularites.
L'espace politique se trouve être le lieu de formation
et de codification des rapports entre citoyens, assignant a chacun d'eux des
droits et des devoirs publics. Ces droits et devoirs publics sont fondes sur la
recherche d'une meilleure existence assurant a tous la securite, la liberte et
l'epanouissement. Or nous percevons comment chez Kant, la liberte, la raison et
le devoir sont requis dans la vie morale.
A ce egard, la democratie comme forme agissante du
republicanisme, cesse d'être alors seulement une manière de gerer
la cite, pour être egalement plus une exigence morale en incluant les
valeurs de la liberte, de la responsabilite, du respect d'autrui et de la
recherche de la paix parmi les hommes et entre les nations. C'est en cela que
Kant peut être considere comme une reference dans l'approche des rapports
entre la morale et la politique : il nous indique pratiquement des prealables
ethiques d'une politique digne des êtres humains.
33 Kant, Euvres philosophiques, Flammarion 19
86, p 575.
1. RAPPORT ENTRE LI BERTE INTERNE ET LI BERTE EXTERNE
OU L'AFFIRMATION DU CITOYEN COMME SUJET MORAL.
Hannah Arendt affirmait que "les régimes totalitaires
ne sont pas contentés de mettre un terme a la liberté d'exprimer
ses opinions, mais ont fini par anéantir dans son principe la
spontanéité de l'homme dans tous les domaines"34. En
d'autres termes, le citoyen sous un régime totalitaire est un individu
dépouillé de la faculté de penser et de décider par
lui-même, du fait notamment de l'état de soumission dans lequel il
se trouve. Il s'agit alors d'un homme dont la pensée et l'acte sont
tributaires de la volonté d'un autre : c'est un etre
aliéné.
L'homme ainsi soumis perd le droit de décider par
lui-meme, perd tout sens d'initiative. L'autonomie dans l'action désigne
l'accomplissement d'une action par l'homme lui-meme, sans contrainte
extérieure. Elle est aussi cette faculté d'initier par soi meme
une action, parce qu'on jouit de la liberté.
Il se trouve ainsi que l'autonomie dans l'action, comme
liberté dans l'initiative de l'action, engendre souvent des conduites
nouvelles qui doivent cependant respecter une éthique acceptable par les
autres etres raisonnables. C'est en cela que la morale kantienne incluant les
concepts d'autonomie et de liberté, exige pour nos actions des maximes
qui puissent etre "érigées en lois universelles de la nature". En
d'autres termes, elles doivent etre valables et acceptables par toute autre
conscience raisonnable.
Il n'y a donc pas d'action raisonnable sans liberté et
sans autonomie de la volonté, concepts fondateurs de la morale
kantienne. Il existe deux niveaux de liberté qui se rapportent
respectivement a la regle du droit et a la regle morale. Pour Kant, le rapport
entre liberté externe et liberté interne, entre liberté
politique et autonomie du sujet moral, entre droit politique et moral, est
plutôt un rapport de complémentarité que d'exclusion. L'un
ne peut en principe contredire l'autre, car il ne peut y avoir conflit entre le
bien moral de l'homme et le bien moral de la communauté des hommes.
La pensée morale et politique de Kant, cherche donc a
concilier la morale et le droit dans la perspective de conférer a l'agir
humain un caractere éthique et sociable. Cette approche revêt tout
son sens lorsqu'on se réfère a cette maxime : "agis
extérieurement de telle sorte que le libre usage de ta volonté
puisse coexister avec la liberté de chacun suivant une loi
universelle"35.
34 Hannah Arendt, Qu'est-ce que la politique ? Seuil 1995,
pp 61-66
Mais l'applicabilite d'une telle maxime suppose d'abord que
les hommes se considerent comme egaux en dignite et egalement soumis aux
exigences du devoir. Ainsi, chacun en fonction de son statut, s'oblige a
accomplir ses devoirs sans cela ne lui soit ordonne ailleurs. Chacun doit faire
son devoir dans le poste qui lui est assigne de telle sorte que nul n'ait
uniquement l'obligation d'obeir et l'autre le droit de commander. Or, cela
n'est possible que dans le contexte ou chaque citoyen est effectivement libre
et qu'il est aussi conscient que cette liberte lui impose des devoirs,
notamment ceux d'agir promptement, au nom de l'interet general.
En effet, le citoyen comme le souligne Kant est celui qui ne
veut pas etre une simple partie de la chose publique, mais qui veut etre
egalement membre, c'est-a-dire partie agissant de son propre chef en communaute
avec les autres. Il est celui qui a le droit d'agir sur l'Etat, de participer a
son organisation et de contribuer a sa legislation. Il resulte de cela que le
citoyen ne doit obeir qu'a l'Etat et le gouvernement en tant "qu'autorite qui
exerce le pouvoir politique doit le traiter suivant les lois de son
independance personnelle, qui fait que chacun se possede lui-meme et ne depend
point de la volonte absolue d'un autre, a cote ou au dessus de
lui"36. Aussi, la citoyennete n'est pas une simple integration
sociale d'un individu dans une communaute politique donnee, elle est la
reconnaissance d'un individu comme etre libre, jouissant de tous ses droits
fondamentaux et s'acquittant de ses devoirs.
La constitution republicaine instaure une forme de
gouvernement qui responsabilise au mieux le citoyen, face a ses devoirs. A ce
titre, le citoyen doit pouvoir s'elever au-dessus de ses interets egoistes, en
faisant preuve de maitrise de soi, car comme le dit Durkheim "la maitrise de
soi, voila la premiere condition de tout pouvoir vrai, toute liberte digne de
ce nom"37.
On peut aussi dire que la constitution republicaine est un
pari sur la liberte et si nulle autre entrave n'est apportee par le pouvoir a
l'exercice des libertes individuelles, la condition humaine ne pourrait qu'etre
amelioree. Le dynamisme d'une societe, sa capacite a se hisser au rang des
nations qui prosperent sont tributaires de la liberte d'action des citoyens, de
leur engagement personnel et de leur bonne volonte. Pour ce faire, les
institutions politiques doivent creer les conditions d'un exercice effectif des
volontes autonomes des citoyens.
De ce fait, tout Etat qui se veut rationnel, digne des hommes
doit faire des citoyens, des hommes pleinement libres et par consequent
responsables. La ou
36 Kant, Euvres philosophiques, T03, Gallimard,
1976, p 5 83.
37 He, Kheim, Textes, T2 Religion, morale, anomie ed. De
minuit, Paris 1975, p 1 82.
les citoyens n'ont aucune initiative de l'action, oil toutes
les actions se realisent dans la peur et la terreur, les chances d'un
developpement durable sont hypothequees. En effet, on ne peut pretendre
realiser le bonheur d'un peuple, en traitant les citoyens comme des "enfants
mineurs qui ne peuvent distinguer ce qui est pour eux veritablement utile ou
pernicieux, de se comporter de faMon simplement passive pour attendre
uniquement du jugement du chef de l'Etat, la faMon dont ils doivent etre
heureux"3 8.
Une telle faMon de conduire les affaires de la cite est celle
comme le dit Kant, du gouvernement despotique qui denie toute liberte et tout
droit aux citoyens. L'Etat ayant pour vocation premiere de veiller a la
securite des citoyens, doit creer les conditions de leur epanouissement
materiel et spirituel en amenageant les espaces de libertes necessaires.
La citoyennete, incompatible avec un Etat de contrainte et de
privation des libertes, suppose une charge, une responsabilite pour tout
citoyen au titre de membre actif, de co-gestionnaire de la cite et des interets
de la communaute politique.
Ainsi, l'affirmation du citoyen comme sujet moral au regard de
sa responsabilite dans la gestion de la cite, se trouve partagee entre sa
liberte interne ou l'autonomie de sa volonte et sa liberte politique en ce sens
que celleci lui cree les conditions empiriques d'exprimer et d'executer sa
volonte. En d'autres termes, la liberte politique permet au citoyen de traduire
dans les faits, les deliberations de sa volonte, dans le respect des droits et
volontes des autres, dans la recherche de ce qui est bien et juste pour la
societe.
Il y a manifestement ici, une volonte de synthese de Kant, qui
tout en distinguant legalite et moralite, tente tout de meme de trouver une
solution de continuite entre l'obligation juridico-politique d'accepter la loi
et l'obligation morale d'agir par devoir. Ainsi, partant de la constitution
comme loi fondamentale, il y a comme une sorte d'unification des volontes
legislatrices des citoyens.
Par ailleurs, dans une republique oil chacun est electeur et
eligible, l'egalite politique fait qu'il n y pas de domination, de soumission
que par rapport a la loi qui fixe a chacun ses droits et ses devoirs. Aussi, si
dans la societe chacun respecte la loi, occupe effectivement la place qui lui
revient et joue le role qui lui est assigne, les chances sont grandes
d'eloigner l'arbitraire et l'injustice.
Il se trouve ainsi que dans une republique, tout tient au
respect de la loi et Kant ne manque pas de le dire lorsqu'il souligne qu'"il
faut qu'il ait dans toute communaute, une obeissance au mecanisme de la
constitution politique d'apres des lois de contrainte, mais en meme temps, un
esprit de liberte etant donne que chacun exige, en ce qui touche au devoir
universel des hommes, d'être convaincu par la raison que cette contrainte
est conforme au droit, afin de ne pas se trouver en contradiction avec
soi-meme"39.
Les citoyens sont donc tenus de se conformer a la loi
communement acceptee et c'est en cela aussi qu'il y a une dimension morale de
la vie politique. Il apparait ainsi que pour que le citoyen s'affirme comme
sujet moral, il lui faut savoir concilier ses principes pratiques avec la loi
de la communaute, qui est avant tout sienne aussi, et Eric Weil le dit ainsi :
"la morale pour etre praticable exige de moi que j'agisse selon la loi de
concrete de ma communaute"40
. L'essentiel ici est que cette loi (qualifiee de positive) ne
soit pas en contradiction avec le principe de la morale qui se fonde sur le
bien et le juste.
C'est d'ailleurs cette question que nous evoquerons en
relevant qu'il existe une certaine similitude entre l'autorite de la loi morale
et la rigueur de la loi juridique.
2. DE L'AUTORITE DE LA LOI MORALE A LA RIGUEUR DE LA
LOI JURIDIQUE
La loi morale comme la loi juridique s'impose a l'individu en
terme de contrainte avec cette difference essentielle que la premiere suppose
une contrainte que le sujet s'impose a lui-meme et la seconde renvoie a une
contrainte venue de l'exterieur. En d'autres termes, la loi morale decoule de
la volonte particuliere et autonome du sujet, alors que la loi juridique
(tirant son origine du droit positif) emane de la volonte du legislateur qui,
dans la Republique, est le peuple a travers ses representants. Il y a lieu
egalement de souligner que la loi morale et la loi juridique caracterisees par
une universalite formelle, nous renvoient aux concepts de morale privee et de
morale publique. Par cette derniere, nous entendons les principes et bonnes
manieres admis par tous les citoyens dans leurs relations publiques.
Comme telle, il n'y a pas de difference, entre elles mais
presentent une certaine complementarite, car le sujet moral ne vit pas en
dehors de la societe. Il ne peut donc y avoir une mise entre parentheses de la
realite sociale par celui-ci dans la mesure oil le monde qui fait irruption
dans la solitude de son :tre "l'empêche de s'apaiser dans l'oubli de la
realite commune, la realite de l'action
39 Kant, Euvres philosophiques, T03 Gallimard
196 8, p 2 83
40 Eric Weil, Philosophie politique, J Vrin 19
84.
et des conséquences"41. En effet, les
maximes du sujet moral ne prennent forme qu'à l'occasion 'actions dans
le monde des hommes. Autrement dit, même si pour le sujet moral les
conséquences de ses actions ne déterminent pas ses maximes, il
n'en demeure pas moins qu'il ne peut pas rester indifférent aux
conséquences qu'engendreront ses actions, car elles sont aussi
l'élément de mesure de validité même des maximes.
Il est donc de notre devoir de veiller a ce que les actions
que nous initions soient seulement fondées sur des maximes pouvant
être valables pour tout être raisonnable, et qu'elles soient aussi
conformes a la loi juridique, au principe de "non nuisance" a la liberté
et au bien d'autrui. Il s'agit donc du domaine du droit oil "les fins que se
propose le sujet n'impliquent pas pour être réalisées que
la liberté d'un sujet opprime celle d'un autre"42. Les lois
juridiques ne sont pas de créations ex nihilo, elles peuvent être
considérées comme la formalisation des principes du droit
naturel. Elles constituent une sorte de consensus entre les hommes qui, en
décidant de vivre ensemble, décident par le même motif
d'établir des règles de conduite auxquelles chacun devrait se
conformer pour l'harmonie et la cohésion de la communauté.
La loi juridique organise le role de chacun, fixe les
conditions d'acquisition et de conservation du "mien et du tien", elle
crée les conditions d'un agir humain a même de prendre en compte
la dignité et la liberté des autres. La loi juridique n'est donc
pas essentiellement coercitive, car elle suppose d'abord une
référence, un repère pour des individus qui ont tendance a
s'éloigner de la morale publique, en s'abandonnant a leurs inclinations
subjectives. La loi juridique constitue donc une sorte de rappel et
d'avertissement a chaque individu pour qu'il reste dans les limites de sa
nature raisonnable et évite d'attenter a la morale publique. En un mot,,
nous pouvons dire que la loi juridique a aussi un role préventif.
Par ailleurs, la place de l'homme dans la
société est celle du particulier dans l'universel, deux concepts
qui s'interprètent, s'inter définissent, et qui sont par
conséquent inclusifs : l'un ne peut se définir sans l'autre.
Ainsi, l'action de l'homme en vue de ses propres fins selon "la raison
liberté" est aussi action sur le monde. Partant de cela, il apparait
qu'il n'y a pas a proprement parler de morale exclusivement privée, car
toute opinion morale appelle autrui pour sa reconnaissance en ce sens qu'autrui
représente ici, toute la communauté des citoyens a travers la
morale publique. De ce point de vue, les maximes que je me donne ne doivent pas
être en principe tues et tenues au secret, mais portées a la
connaissance des autres pour évaluer la pertinence. Rappelons que le
maxime est le principe subjectif qu'un sujet moral se donne en vue d'une
action. La question
41 . Eric Weil, op cit p 31.
42 Kant, Métaphysique des Moeurs, Doctrine
du droit, Gallimard 19 86, p 15.
a ce niveau est de savoir si elle aura valeur objective pour
etre raisonnable, c'esta-dire, si elle peut etre erigee en loi universelle. Or,
on ne peut savoir si elle aura cette valeur objective, sans qu'elle ne soit au
prealable confronte aux opinions des autres. D'ou le principe de "publicite"
dont parle Kant et qui doit necessairement etre pris en compte dans la
definition de nos maximes. Kant souligne ainsi, que "la maxime que je n'ose
publier, sans agir contre mes propres fins, qui exige absolument le secret pour
reussir, et que ne saurais avouer publiquement sans armer tous les autres,
contre mon projet, une telle maxime ne peut devoir qu'a l'injustice dont elle
menace cette opposition infaillible et universelle dont la raison prevoit la
necessite absolue"43.
Cependant, le principe de publicite ne prend tout son sens que
dans le cadre du droit public et celui du rapport entre gouvernants et
gouvernes. En effet, les citoyens doivent etre tenus informes des lois et
decisions prises en ce qui les concerne, pour qu'ils puissent au titre de
l'opinion publique, donner leur appreciation. En ce qui concerne precisement
les lois, elles doivent faire l'objet de publicite pour qu'elle recueille
l'assentiment et l'adhesion libre de tous, afin qu'elles soient maintenues et
renforcees dans leur cadre imperatif. Toute loi qui, dans une republique, ne
recueille pas l'adhesion libre de tous, c'est-à-dire qui ne soit pas
compatible avec la volonte generale [de tous] est tyrannique, autrement dit
injuste.
Si dans la morale privee, c'est la volonte libre et autonome
du sujet qui est legislatrice, il s'en suit qu'en ce qui concerne la morale
publique, c'est la volonte unifiee de tous qui est legislatrice, car comme le
souligne Kant, "il n'y a que la volonte concordante et unifiee de tous, pour
autant que chacun pour tous et tous pour chacun decident la meme chose (...)
qui puisse etre legislatrice"44. Dans le domaine de la loi, aucun
mutisme n'est tolere, car ne dit on pas que dans une republique ou tout est
regle par les principes du droit "nul n'est sense ignorer la loi ?". Or,
peut-on effectivement connaitre et respecter la loi, si elle ne fait pas
l'objet de publicite (condition de transparence dans le processus de decision)
?
C'est donc par la publicite qu'on peut connaitre et respecter
la loi (loi juridique s'entend). La publicite participe ici au renforcement du
caract&re universel de la loi, qui doit en principe s'imposer a tous. Mais,
l'universalite n'est pas le seul point commun entre la loi morale et la loi
juridique, il y a aussi le principe d'egalite. En effet, le caract&re
universel de la loi morale et de la loi juridique dont on parle, ne peut avoir
de sens que lorsqu'on consid&re effectivement que tous les hommes sont
egaux en dignite et en droit et qu'ils soient tous capables de saisir la
substance rationnelle de la loi. Le respect de la
43 Kant, Euvres philosophiques, T3 Gallimard 19
86, p 37 8.
44 Kant, Euvres philosophiques, Gallimard 19
86, pp 57 8-579
loi morale et de la loi juridique incombe donc a tout
être raisonnable et a tout citoyen et personne ne doit se soustraire de
cette logique, dans la mesure oil, de part notre nature, nous sommes tous
libres et égaux et jouissons tous de la faculté de discerner le
bien du mal.
Ainsi, chacun d'entre nous doit pouvoir s'élever au
dessus de son individualité et exercer de manière autonome sa
volonté en vue de conférer a ses actions une valeur morale. La
maxime que je me donne comme règle pratique a ma volonté, devrait
en tout lieu être celle que se donnera un autre en toute circonstance
comme une loi universelle c'est-a-dire une règle de droit. Le droit est
corollaire de la loi, ils entretiennent une sorte de relation dialectique en ce
sens que le droit est exprimé par la loi et que la loi elle-même
se détermine par le droit. La loi découle toujours de la
nécessité de traduire expressément ce que les hommes ont
le droit de faire ou de ne pas faire. La loi est donc toujours ce par quoi les
droits des uns sont protégés contre les désirs et les
tentations des autres a les violer.
L'obéissance a la loi n'est donc pas la soumission a
une simple règle, mais c'est avant tout le respect de la dignité
de la personne humaine. C'est en cela que le respect de la loi devient un
impératif catégorique, un devoir auquel chacun d'entre nous doit
se soumettre. Il se trouve ainsi que si nous pouvons distinguer une loi
juridique d'une loi morale, force est de reconnaitre que l'obéissance
que nous devons a l'une ou a l'autre émane de notre nature d'être
libres. Kant dira a cet effet : "qu'il faut qu'il soit dans toute
communauté une obéissance au mécanisme de la constitution
politique d'après des lois de contrainte, mais en même temps un
esprit de liberté étant donné que chacun exige en ce qui
touche au devoir universel des hommes, d'être convaincu par la raison que
cette contrainte est conforme au droit afin de ne pas se trouver en
contradiction avec soi-même. L'obéissance sans l'esprit de
liberté est la cause de la naissance de toutes les
sociétés secrètes"45. Il se trouve ainsi qu'un
système de lois qui s'adresse a des personnes raisonnables afin
d'organiser leur conduite doit se préoccuper ce qu'elles peuvent faire
ou ne pas faire en tenant compte de leur liberté.
L'obéissance aux lois constitue pour chacun un devoir
qu'il s'impose a lui-même et que lui impose aussi la communauté,
parce qu'il est une partie de ce tout et qu'a ce titre il est lui-même
législateur. L'obéissance a la loi juridique ne se fonde pas a
priori sur des considérations morales, mais elle contribue a promouvoir
chez le citoyen la faculté de moraliser sa conduite, c'est a dire
qu'elle l'amène a conformer sa conduite aux valeurs du juste et du bien.
Par ailleurs, le non respect de la loi juridique et la non reconnaissance de
sa
45
Kant, Euvres philosophiques, T3 Gallimard 19 86, p 342. Op
cit, p 342
souverainete sont des delits qui peuvent concourir a la
degenerescence de l'Etat en le precipitant dans l'anarchie. La loi est le
ciment de la societe, son respect eleve la conscience individuelle, a
l'universalite. Les juristes disent a cet effet que "la loi est generale,
impersonnelle et universelle dans objet et sa portee. "
Une analyse plus approfondie des concepts de la loi juridique
et de la loi morale nous revele dans une mesure que la rigueur de l'une peut se
comprendre par l'autorite de l'autre. L'individu qui fait violence sur lui-meme
pour respecter la loi morale en lui, se voit obliger d'observer la meme rigueur
a l'egard de la loi qu'il a en partage avec les autres au nom du principe, "du
dois, donc tu peux". Ce principe implique tout simplement que la maxime que je
me donne librement ou la loi qu'on se donne tous ensemble et souverainement,
n'a ete acceptee que parce que nous pensons honnetement pouvoir l'appliquer.
De la loi morale a la loi juridique, Kant lance un appel au
sujet moral confondu en la personne du citoyen de faire "un bon usage, un usage
public de sa raison". Nous retrouvons d'ailleurs l'echo d'un tel appel a
travers la maxime fondamentale de la raison pure pratique :"Agis de telle sorte
que la maxime de ta volonte puisse toujours valoir comme un principe de la
legislation universelle"46.
En definitive, nous devons retenir que la loi juridique tout
en etant une loi de contrainte, garantit tout de meme nos libertes, car en tant
que principe de legalite, elle trouve son fondement "dans l'accord conclu par
des personnes raisonnables en vue d'etablir pour elles-memes la plus grande
liberte possible egale pour tous"47. Aussi, devons-nous convenir
avec Hayek que "la difference entre les lois morales et juridiques n'est pas
entre des regles qui se sont developpes spontanement, et ces regles qui ont ete
faites deliberement, car la plupart des regles du droit n'ont pas ete faites
deliberement a leur origine. C'est plutot une distinction entre des regles
auxquelles la procedure d'officialisation par l'autorite contraignante legitime
devrait s'appliquer, et celles auxquelles elle ne devrait pas
s'appliquer"47.
Nous aborderons a present le role de l'opinion publique dans le
processus de moralisation de la vie publique par le biais de la liberte de
presse.
3. DE LA LIBERTE DE PRESSE COMME CONDITION D'EMERGENCE
D'UNE OPINION PUBLIQUE MORALISATRICE
Dans les democraties representatives modernes, les decisions
et lois que les organes executifs, ou legislatifs prennent ne sont pas
forcement toujours celles conformes a la volonte generale du peuple. Dans ces
conditions, le peuple
46 Kant, Critique de la raison pratique, PUF,
1966, p 53
47 John Rawls, Theorie de la justice, Seuil, 19
87, p 276
peut-il rester muet face a des decisions et des lois prises en
son nom et qui vont A l'encontre de ses interets ?
La reponse est manifestement negative. Kant suppose a cet
egard que la liberte de presse, qui est selon ses termes propres, "la liberte
d'ecrire", est un puissant moyen pour le peuple ou pour ceux qui sont ses
"porte-voix" de denoncer les actes injustes pris par les gouvernants. Ainsi, le
peuple (qui, chez lui n'a pas le droit de desobeir ou de resister a l'autorite
politique), peut donc legitimement exprimer son opinion ou denoncer les
decisions gouvernementales qu'il juge injustes.
Les gouvernants soumis a l'obligation de conformer leurs
missions aux aspirations du peuple, ne doivent en aucun cas "faire ce que le
peuple ne fera pas pour lui-meme"48. Ils ont donc vocation a laisser
le peuple s'exprimer librement. Ils y ont meme inter:t car l'opinion publique
est comme un "miroir", qui reflete l'accueil fait par le peuple aux decisions
des gouvernants. Elle constitue ainsi un thermometre social, une source de
pression morale et un lieu d'approbation ou de refus des actes des gouvernants.
La liberte d'expression est avant tout un droit inalienable reconnu aux
citoyens par toutes les constitutions s'inspirant de la declaration universelle
des droits de l'homme et du citoyen de 17 89. Cette declaration stipule en son
article 11 que "la liberte de communication, des pensees et des opinions est un
des droits les plus precieux de l'homme : tout citoyen peut donc parler,
ecrire, imprimer librement, sauf a repondre de l'abus de cette liberte dans les
cas determines par la loi"49.
La presse comme moyen d'expression de l'opinion publique est
dans une certaine mesure un autre moyen de controle de l'action des gouvernants
d'evaluer leurs decisions afin de les corriger le cas echeant. Sinon, par
quelle voie, comme se le demande Kant, "le gouvernement peut-il obtenir les
informations qui viennent en aide a son propre dessein, sinon en laissant
s'exprimer l'esprit de liberte, si digne de respect dans son origine et dans
ses effets"50. Par consequent, lorsque les gouvernants, sont
convaincus qu'en tant qu'hommes leurs oeuvres ne sont jamais parfaites et
persuades qu'ils agissent au nom du peuple, ils doivent se convaincre egalement
que l'opinion publique leur est indispensable pour la realisation du destin
national.
La liberte de presse qui permet une expression d'opinions
plurielles est ce qu'il y a de mieux pour animer le debat politique dans une
saine emulation republicaine. En effet, n'y avait-il pas pour reprendre les
propos de Charles Ledre "d'interêt a ce que les idees, les initiatives,
les projets des gouvernants
48 Friedrick, A Hayek, Droit, Legislation et
Liberte, T2, PUF 1926, p 6 8.
49 Kant, Euvres philosophiques T3, Gallimard 19
86, pp 2 88-2 89.
50 Kant, Euvres completes, Gallimard 19 86, p 2
89-290.
fussent soumis a une discussion d'autant plus opportune qu'il
se trouve moins de science et de ressources dans la tete, meme ministerielle,
que dans toutes les tetes"51.
Il se trouve alors que la premiere tache d'un gouvernement
republicain est de veiller a ce que la liberte de presse soit sauvegardee et
cela dans l'interet general. Toutes les actions que le gouvernement initiera
sont supposees etre destinees au peuple. A ce titre, il apparait logique que
des citoyens mieux avertis, plus informes et plus instruits se fassent le
devoir d'exprimer leur opinion. Il est meme un devoir pour le citoyen de se
prononcer sur les actes du gouvernement s'il les jugent injustes. P.L. Cour
disait si justement : "laissez dire, laissez-vous blamer, condamner,
emprisonner, laissez-vous pendre, mais publiez votre pensee. Ce n'est pas un
droit, c'est un devoir, etroite obligation de quiconque a une pensee de la
produire et mettre au jour pour le bien commun. La verite est toute et a
tous"52.
La presse au sens large du terme, c'est-A-dire celle qui
informe, qui eduque le peuple, celle qui porte haut sa voix, est indispensable
pour garantir une gestion rationnelle de la chose publique. A travers elle,
nous publions et diffusons nos attentes, nos inquietudes, nos approbations et
desapprobations sur la gestion de notre patrimoine national. Lorsqu'il y a
absence ou etouffement de l'opinion publique dans un Etat quel qu'il soit, il y
a un risque evident de derapage et d'abus de la part des gouvernants. A ce
propos, les affirmations de Sylvain Marechal sont assez eloquentes quand il dit
que "dans quelque Etat que se trouve la chose publique, n'en desesperer pas
tant qu'elle aura pour sentinelle la liberte absolue de la presse. Mais
n'attendez rien du salut de la patrie si vous vous laissez dessaisir de cette
arme, avec laquelle vous serez invulnerable et sans laquelle vous deviendrez
esclaves..."53.
Par ailleurs, si Kant privilegie la liberte de presse, c'est
parce qu'il estime qu'elle est aussi un mode de pacification des rapports entre
gouvernants et gouvernes. C'est donc par la communication et le dialogue que
l'on peut parvenir a un accord sur la maniere de gerer les affaires de l'Etat.
Et lorsqu'il arrive que le citoyen apprehende mal les actions gouvernementales
en voyant en elles des formes d'injustice, il se doit de se donner les moyens
appropries pour manifester ses inquietudes. Il ne s'agira pas pour lui de se
soustraire et d'envisager une quelconque rebellion, a laquelle Kant s'oppose
farouchement comme il a ete dejà dit. A cet egard donc, Kant suggere
encore la publicite "comme tout homme possède cependant ses droits
inalienables qu'il ne peut
51 Charles Ledre, Histoire de la presse, Fayard 195 8 p
93
52 P.L. Com, (Euvres completes, Fayard 1962, p 214.
53 Sylvain Marechal, homme politique francais de l'ere
de la revolution, cite dans l'histoire de la presse, op cit p 115
jamais abandonner, quand bien meme il le voudrait, et au sujet
desquels il est lui-meme autorisé a juger, mais que l'injustice dont il
se considère la victime n'arrive, d'après ce qui vient
d'être posé, que par erreur ou par ignorance de la par du pouvoir
supreme de certaines conséquences des lois, il faut que le citoyen ait
la possibilité, et ce encourager par le souverain lui-meme, de faire
connaitre publiquement son avis sur ce qui, parmi les dispositions prises par
le souverain lui semble constituer une injustice en vers la
communauté"54.
En somme, en nous appuyant sur le cas de la liberté de
presse dans les pays de grande tradition démocratique, l'on constate que
l'opinion publique par ce biais, influe considérablement sur les
décisions gouvernementales. Aussi, les sondages
régulièrement effectués sur cette opinion publique par
rapport a des questions précises d'intérêt national
amènent les gouvernants a mieux réfléchir avant de poser
tout acte tant dans leur vie publique que privée. Par la liberté
de presse et la pleine jouissance qu'en effectue l'opinion publique nationale,
il est constater plus de rigueur dans la gestion de la chose publique, plus de
tenue pour les gouvernants et moins de dérapage et d'abus du pouvoir sur
les citoyens. A travers la liberté de presse telle que prescrite et
défendue par Kant, nous entrevoyons une réconciliation de la
politique avec elle-même a travers cette forme d'humanisation et de
moralisation des rapports entre gouvernants et gouvernés dans la logique
d'une approche participative en vue de la gestion responsable de la chose
publique. Un tel processus trouvera son prolongement dans l'analyse du rapport
entre la doctrine du droit, objet de réflexion au chapitre suivant.
54 . Kant, Euvres philosophiques, T3, Gallimard
19 86, p 2 88.
CHAPITRE II : DE LA DOCTRINE DU DROIT COMME PROCESSUS
DE MORALISATION DE L'AGIR HUMAIN
La relation entre la vie privee et la vie politique ou
publique est envisagee chez Kant en termes de complementarite. La loi morale
qui engage seulement la relation de l'individu avec lui-meme et le droit qui
organise les relations entre les individus independamment de leurs intentions
personnelles, sont comme on le constate distincts dans leurs objets.
Mais cette distinction ne veut nullement signifier le rejet de
l'une par l'autre, car la legislation ethique qui est attentive au mobile de
notre action est exige qu'il soit a la hauteur de la dignite de l'homme, joue
un role preventif dans nos relations publiques. La legislation publique, en
nous imposant de nous soumettre tous aux memes lois afin que chacun n'ait rien
a craindre de l'autre, tente de remedier a la faillite de la premiere
legislation.
La doctrine du droit public de maniere generale, vise a
ecarter tout risque de violence entre les hommes en essayant de promouvoir la
paix par la preservation des droits des gens, en les traitant equitablement et
dans le respect de leur dignite. Cette preoccupation est expressement prise en
compte par Kant, lorsqu'il affirmait : "l'institution universelle et
perpetuelle de la paix n'est pas une simple partie, mais constitue la fin
ultime tout entiere de la doctrine du droit dans les limites de la simple
raison ; car l'etat de la paix n'est que l'etat du mien et du tien garanti par
des lois au milieu d'une masse d'hommes voisins les uns des autres, donc reunis
au sein d'une constitution"55.
Nous verrons aussi a travers ce chapitre et a la
lumière de la doctrine du droit, jusqu'oil la morale (consideration de
la vie individuelle) et la politique (consideration de la vie collective) sont
complementaires.
1. DE L'INTERDEPENDANCE ENTRE LE PRIVE ET LE PUBLIC
SOUS L'ANGLE D'UNE TOTALITE FONCTIONNELLE.
Dans cette relation du prive et du public, il s'agit pour
l'individu de diriger sa conduite vers les ideaux de la societe,
c'est-à-dire concourir au bonheur de tous. Kant fait en effet, du
bonheur d'autrui, une fin et en même temps un devoir pour l'homme, qui
doit etre bienfaisant. Il s'agit ici par un depassement de soi de parvenir a un
stade oil la finalite de mes actions n'aura de valeur que lorsqu'elle
coincidera avec les attentes des autres.
55
Kant, Euvres philosophiques, 19 86, p 575.
Par le dualisme de sa nature, l'homme se trouve soumis a la
fois, aux imperatifs de la raison qui le fait tendre vers l'universel et aux
exigences de ses inclinations dont la poursuite excessive est source
d'"insociabilite". Or l'individu ne peut se realiser que s'il se met au service
de l'universel, que s'il s'efforce d'accorder la satisfaction de ses desirs
avec les exigences d'une vie en commun. Car, ne vivant pas en autarcie oil il
n'obeirait qu'a lui seul, mais dependant des autres par son existence meme, il
doit avoir le souci du strict respect des regles qui rendent possible la vie
commune.
Les rapports entre les hommes n'existent que par l'engagement
de chacun A ceuvrer pour une coexistence pacifique dans le respect de l'ordre
etabli et surtout par la moderation dans la satisfaction de ses besoins. Dans
la relation du prive et du public, l'element de mediation est l'action, car
elle permet a l'homme d'aller vers autrui, pour se faire decouvrir et se
decouvrir davantage aussi. L'action est donc fondamentalement mondaine, puisque
a travers elle, l'homme s'insere dans le monde des relations publiques.
Mais chez Kant, comme nous le savons, en plus de l'action, est
valorisee l'intention qui motive cette action, voir la maxime meme de l'action.
Notre effort consistera a ce niveau, a faire en sorte que les maximes de nos
actions se fondent sur le devoir de bienfaisance que Kant definit dans la
doctrine de la vertu comme "une bienveillance active, pratique qui consiste a
se proposer comme fin le bien et le salut d'autrui"56.
L'homme dans l'intimite de ses intentions est dans sa sphere
privee. Mais A partir du moment oil il parle, agit, il s'exteriorise et en
s'exteriorisant, il se met forcement en rapport avec l'autre. Cet autre
constitue le public, celui qui observe, qui le sonde, qui l'interpelle, qui le
juge, etc. Mais la presence du public sans :tre une contrainte reelle,
amène quand meme l'homme malgre sa dimension "insociable" a aspirer a la
grandeur humaine, en transcendant ses inclinations pour s'affirmer comme un
homme responsable, un homme de devoir.
La responsabilite consiste ici en l'attitude d'un homme qui,
au dela, des devoirs qu'il a envers lui-même, s'impose d'autres devoirs,
ceux qu'il aura envers les autres. Il s'agit notamment des devoirs de
bienfaisance, de reconnaissance et de sympathie, qui president d'une certaine
faMon a l'harmonisation des rapports entre les hommes et a la preservation de
la paix sociale.
56
Kant, Metaphysique des mceurs, doctrine de vertu, Vrin 19
85, p 129.
Le rapport entre le prive et le public implique une sorte de
relation dialectique qui exige de l'un plus de rationalite dans ses actions et
de l'autre plus de rigueur dans l'application des dispositions contractuelles
qui ne sont rien d'autres que les clauses de la volonte generale. L'individu
sait que son bonheur reside dans la societe, mais cette societe a des regles,
des exigences qui prennent l'apparence d'une contrainte, sans constituer
toutefois des obstacles a la realisation de ce bonheur. Le bonheur comme tel ne
saurait etre atteint que si les activites de l'homme visent a realiser les
ideaux de la societe. Ainsi, il ne saurait y avoir par principe des conflits ou
de contradiction structurels entre l'exigence de bonheur du citoyen et
l'epanouissement de la cite.
Mais lorsqu'on fait de la recherche du bonheur personnel une
fin a poursuivre pour elle-meme, l'on devient l'otage de ses inclinations qui
sont source d'egoisme, d'isolement et de conflit entre le particulier et
l'universel. C'est en cela d'ailleurs que la recherche du bonheur personnel ne
doit pas constituer selon Kant une fin en soi, un but a poursuivre. Il apparait
toutefois que l'homme qui agit raisonnablement et rationnellement et de facon
realiste, peut etre amene a trouver la richesse, la puissance et les honneurs
dans la societe. Seulement cette richesse, cette puissance et ces honneurs ne
doivent pas constituer des valeurs en soi, mais doivent etre consideres comme
des signes dont on a besoin pour s'assurer de son succes et non comme buts,
poursuivis pour eux-memes.
L'homme comme sujet moral n'est connu et reconnu tel qu'en
tant qu'etre mondain, c'est-A-dire en agissant sur et dans le monde. Sa marche
ne peut etre distincte de celle de la societe. A cet egard, la conduite
individuelle et la conduite collective ne sont que deux expressions d'une
conduite globale, car elles s'impliquent mutuellement et ne peuvent donc
reellement etre comprises isolement. Il se trouve que cette complementarite
entre la politique et la morale, au sens ou l'une nous indique la voie de
realisation de notre bonheur et l'autre la voie a suivre pour etre digne de ce
bonheur, (notamment par la voie du devoir) se retrouve aussi entre le concept
du juste qui est du domaine politique et celui du bien qui releve du domaine
moral.
2. LE JUSTE ET LE BIEN, LA COMPLEMENTARITE DANS LA
DIFFERENCE
Le domaine de l'agir es celui de a liberte et de l'autonomie
de la volonte du sujet suivant ses desseins. L'initiative de l'action ici, son
accomplissement et sa finalite sont naturellement determines par l'intension et
partant par le libre arbitre de l'individu. A priori, son entreprise ne
concerne que lui seul. Seulement, etant entendu que cet individu ne vit pas
hors de la communaute, il s'en suit que son action aura necessairement sur le
monde exterieur.
A ce niveau donc, commence le proces de l'action, et c'est a
ce niveau qu'on tente de juger de la valeur de l'action. Mais, en la matiere,
le premier proces est d'abord celui que nous nous faisons, car "la moralite de
nos actions est dans le jugement que nous en portons nous-memes. S'il est vrai
que le bien soit bien, il doit etre au fond de nos cceurs, et le premier prix
de la justice est de vouloir qu'on la pratique"57. Au fond, la
decision d'agir moralement est une decision libre, du sujet qui consent a
ceuvrer pour le bien et la justice.
Il y a lieu ici de lever toute equivoque quant au role de la
societe et de ses institutions qui ne sont la que pour faire agir les hommes
selon la morale, mais qui n'ont pas a s'occuper de la conscience morale de
chacun. Il apparait ainsi que l'activite humaine qui prend sa source dans la
liberte du sujet ou du citoyen doit etre dans sa forme et son contenu conforme
a la regle du droit (qui definit ce qui est permis et possible de faire) d'une
part et d'autre part aussi, etre d'un bienfait certain pour soi-meme et pour
les autre.
L'action de l'homme etant action dans le monde, un monde regi
par des regles fixant a chacun des limites de son droit (cette limitation etant
la garantie de sa propre liberte), son action n'est alors juste que lorsqu'elle
se situe dans les limites de ce qui est permis. L'action juste se trouve etre
donc celle qui est conforme a la justice, a l'equite, elle est ce qui est
conforme a la volonte d'ordre moral. Est juste selon Kant, "toute action qui
peut ou dont la maxime peut laisser coexister la liberte de l'arbitre de chacun
avec la liberte de tout le monde d'apres une loi universelle"5 8.
A cet egard, la justesse d'une action nous renvoie donc a la
maxime de celle-ci, sans consideration de la fin qui est poursuivie. Elle pose
a cet effet, la question du comment l'action peut-elle etre menee ?
C'est en cela que le juste se distingue du bien, car celui-ci
est relatif a la finalite de l'action et repond a la question "en quoi cela est
bon ou mauvais ?" Le bien dans la materialite de son concept est ce qui est
agreable, avantageux et dans les sens de sa spiritualite, il se definit selon
Kant comme etant l'objet de la volonte (c'est-A-dire de la faculte de desirer,
determinee par la raison) ".
L'idee juste chez Kant du point de vue politique, sanctionne
toute decision ou action politique qui recueille l'assentiment de la majorite,
en prenant le soin de na pas "privilegier telle categorie de citoyens par
rapport a telle autre". Aussi, Kant soulignait-il expressement que "s'il est
seulement possible qu'un peuple y donne son assentiment, c'est alors un devoir
de tenir la loi pour juste, a
57 Rousseau, Emile de l'education, G.
Flammarion, 1966, p 373.
5 8
Kant, in Euvres philosophiques T03 ed Flammarion 19 85, p
479.
supposer meme que le peuple se trouve presentement dans une
situation ou dans une position de sa faMon de penser telles que, si on le
consultait la-dessus, il refuserait probablement son
assentiment"59.
Dans l'action juste, ce qui est recherche, c'est l'accord
possible entre ce que j'ai le droit de faire et le devoir de le faire en
conformite avec les principes communement admis et acceptes par tous. L'action
juste designe aussi chez Kant le "bien agir" qui ne "suppose pas une fin, mais
la loi qui renferme la condition formelle de l'usage de la
liberte"60. Autrement dit, le "le bien agir" suppose ethiquement une
loi dont l'essence rend possible le juste usage de la liberte.
Le juste et le bien ne sauraient etre consideres comme des
valeurs isolees l'une de l'autre dans une action, car "oil tout est bien, rien
n'est injuste"61. En effet, ce qui est bien, c'est ce qui est juste
et peut par consequent faire l'objet d'une regle de droit public. C'est en cela
sans doute que les constitutions republicaines disposent generalement que "tout
ce qui n'est pas defendu par la loi ne peut etre empeche et nul ne peut etre
contraint a faire ce qu'elle n'ordonne
H62
pas . Par consequent, l'action de l'homme etant action dans le
monde, il est appele a la circonscrire dans les limites des droits qui lui sont
reconnus.
Le bien se rapporte aussi chez Kant a l'ordre de l'amour des
autres et le juste se rapporte a l'amour de l'ordre. Il s'agit donc d'un devoir
de l'homme d'aimer ses semblables et de veiller a ce que chacun n'outrepassant
pas ses droits afin que l'ordre soit preserve. A cet egard, chacun doit se
soumettre a la discipline de la raison en se pliant a ses devoirs et a ses
obligations car c'est la que se trouve la vraie maxime morale qui doit diriger
notre conduite.
Il est donc de notre devoir d'agi dans le sens du bien, de
veiller a ce que nos actions ne nous nuisent pas et ne nuisent pas aux autres.
L'obligation ou le devoir est une donnee inconditionnelle, en ce sens par
exemple qu'il ne suffit pas seulement de "faire du bien aux hommes par amour
pour eux et par bienveillante sympathie, ou d'être juste par amour de
l'ordre"63, mais de le faire par devoir. En fondant son action sur
une telle inclination, il y a de forte chance que cela ne soit possible la ou
cette inclination fait defaut.
Par consequent, il y a lieu que l'homme fasse violence sur
lui, se surpasse pour faire un saut qualitatif dans l'univers du rationnel, du
droit et du devoir, du
59 Kant, Theorie et Pratique, Paris Vrin 1990,
p 39.
60 Kant, (Euvres philosophiques (religion dans
les limites de la simple raison) ed 19 85, p 17.
61 J.J ROUSSEAU, Emile ou l'education,
Flammarion 1966 p 367.
62 Constitution du Burkina Faso, adoptee par
referendum du 2 juin 1991, titre I (des droits et devoirs fondamentaux) art5,
1er paragraphe
63 Kant, (Euvres philosophiques ed Gallimard 19
85, p 70 8.
juste et du bien. Cette aventure dans la positivite, est le
gage d'une vie en communaute sereine et saine, reduisant au mieux les conflits
entre les hommes. Il est de notre inter:t de comprendre que "faire le bien par
devoir alors que nous n'y sommes pousses par aucune inclination et qu'une
repugnance naturelle et presque invincible s'y oppose, voila bien un amour
pratique (...) qui reside dans la volonte"64.
Le domaine du public est celui de l'affirmation de soi dans la
diversite des "moi" en interaction, chacun suivant ses desseins personnels, ses
preoccupations propres. Mais cette affirmation de soi, pour autant qu'on veut
qu'elle soit en meme temps integration dans le corps social, se doit
d'être sous-tendue par des initiatives dont l'esprit et la lettre
s'inspirent des valeurs du bien et du juste. L'examen de ces deux notions, en
ce placant au centre du debat philosophique, fait resurgir le malaise qui
s'empare de plus en plus de la societe moderne. Il s'agit en effet, d'une
societe oii les valeurs se perdent et oii l'individu soumis aux urgences
quotidiennes et aux charges existentielles de la modernite, semble oublier qu'a
cote de ses droits, il a aussi des devoirs.
A ce titre donc, il doit sortir de sa subjectivite pour
s'objectiver dans la realite de `univers qui l'entoure a travers l'observation
d'une certaine ethique. L'individu est identifiable et reconnaissable que par
et dans l'action sur le monde. Cette action doit se reveler juste et bonne afin
qu'elle cesse d'être seulement une affaire privee pour devenir un bien
"socialise".
La disposition de l'homme a la justice et a la bonte est un
fait naturel, mais sa volonte d'ceuvrer en vue du juste et du bien en est une
autre. Pour y parvenir, l'humilite, l'amour de l'autre et de l'ordre sont des
prealables pour une conduite conforme a une disposition ethique. Celle-ci, meme
si elle n'existait pas doit etre inventee, car "elle doit exister parce que les
hommes agissent et elle est la pour ordonner et pour reguler le pouvoir
d'agir"65.
Il apparait en definitive que le domaine politique comme lieu
de realisation, de l'epanouissement et de la securite des citoyens, vise a
instaurer un ordre social dans le quel chaque citoyen puisse vivre en harmonie
avec les autres, se fonde sur la justice. Or, comme le dit Rousseau, "la
justice est inseparable de la bonte"66, en d'autres termes, le lieu
du politique est aussi celui de la realisation des valeurs.
64 Kant, Fondements de la metaphysique des
mceurs, Hatier, 1963 p 22
65 Hans Jonas. Privilege responsabilite. Ed
CEONF 1997, p.45
66 ROUSSEAU, Emile ou de l'education, ed
Flammarion, 1966, p 373.
TROISIEME PARTIE : QUEL INTERET POUR LA
PHILOSOPHIE DE KANT AUJOURD'HUI ?
CHAPITRE I : LA CONCEPTION KANTIENNE DES RELATIONS
INTERNATIONALES
De nos jours encore, l'actualité politique au plan
international est marquée par des guerres, des génocides, des
épurations ethniques suivis des déplacements en masse des
populations apeurées. Il est aussi a déplorer la montée de
l'extrême nationalisme sur le fond de xénophobie et l'expulsion
des populations émigrées dans des conditions souvent inhumaines
dans certaines parties du monde. Il également a observer des
complicités internationales pour mettre en mal certains régimes,
voire provoquer leurs chutes, en violation flagrante du droit international.
Au vue de cette actualité assez sombre, force est de
reconnaitre qu'au-dela des aspects politiques des crises, c'est aussi a une
crise morale que notre monde est confronté. A cet effet, en
considérant l'aspiration des peuples a la paix, a la coexistence
pacifique et a la solidarité, il est indéniable que la
référence a certaines idées politiques de Kant pourrait
etre salutaire pour l'humanité. En supposant déja les Etats comme
des personnes morales, Kant entrevoit leurs relations sous le double aspect
juridique et moral.
A ce propos, aux questions essentielles de relations
internationales entre Etats ayant trait a la souveraineté, a la guerre
et a la paix, aux échanges commerciaux, les réponses de Kant sont
aujourd'hui encore d'une réelle pertinence.
1. DU RESPECT DE LA SOUVERAINETE DES ETATS ET DES
PEUPLES SELON KANT.
La souveraineté des Etats dans la perspective kantienne
peut se comprendre comme le fait "qu'aucun Etat parvenu a l'indépendance
ne se soumettra a la décision d'autres Etats, sur la maniere dont il
doit soutenir ses droits contre eux"67. La souveraineté
exprime ainsi, la liberté qu'a tout Etat de faire ce qui est en son
pouvoir et de disposer de lui-meme sans subir les ingérences d'autres
Etats. Il s'agit la d'une position qui rejoint dans son esprit les
différentes résolutions adoptées par la communauté
internationale depuis la société des nations (SDN) dont Kant fut
un des inspirateurs, jusqu'a l'actuelle organisation des nations unies
(ONU).
La souveraineté se traduit donc, par la faculté
d'un Etat a s'autodéterminer, a avoir des choix politique,
économique et social autonomes. Cependant, la souveraineté a
l'état actuel des relations internationales, n'est pas
67 Kant, Euvres philosophiques, T3 Gallimard,
Paris 19 86, p 366.
seulement la maitrise des aspects interieurs de la politique,
mais c'est la maitrise de ses aspects exterieurs. A cet egard, l'Etat souverain
est celui qui, sur la base d'une egalite qu'il en partage avec les autres
Etats, decide en toute independance de la faMon dont il doit gerer ses propres
affaires. De ce point de vue, Spinoza n'etant pas eloigne de Kant, affirmait
que : "l'Etat ne doit obeissance qu'a luimeme, il trouve en lui seul les
sources de sa legitimite, mais aussi les principes et les criteres de sa
conduite"6 8.
Toutefois, c'est le lieu de faire remarquer aujourd'hui que
beaucoup de pays, par des engagements pris, notamment dans les domaines
economique et financier, ont mis en peril leur souverainete, souvent
peniblement acquise. En effet, avec des dettes colossales et une economie tres
fragile, ces Etats se voient souvent dicter des conduites sur des questions
relevant purement de leur souverainete. Il apparait aussi, sous la pression des
creanciers, que ces Etats lancent des programmes d'ajustement oil les
gouvernants "s'affairent a negocier la vente des biens de l'Etat dans l'oubli
de ce qui avait ete la substance de la souverainete"69. Pourtant,
les engagements doivent etre contractes de telle sorte que les entreprises et
autres empires financiers qui investissent dans l'economie nationale, ne se
constituent en force de pression et de domination des gouvernants.
Neanmoins, l'humanite a fait des progres substantiels dans les
relations internationales. En effet, des decennies durant, voire des siecles,
des Etats et des peuples ont ete spolies de leur souverainete et soumis a la
dependance d'autres Etats qui en ont fait des serfs et es esclaves. L'Afrique
fut l'un des exemples frappants de ce type d'alienation. Mais, apres tant
d'annees d'injustice, de bafouement des droits de la personne humaine, la
communaute internationale (encore dominee par les oppresseurs d'hier) se
resolvait a assainir les relations entre les Etats en y etablissant un
dispositif a la fois juridique et ethique.
Il est ainsi reconnu et accepte comme l'a definit Kant, que la
souverainete d'un Etat est inalienable. Autant l'homme est irreductible a une
chose, autant l'Etat l'est aussi, dans la mesure oil comme le souligne Kant,
comparable a un tronc d'arbre et a ses racines, "l'incorporer a un autre comme
simple greffe, c'est le reduire de personne morale qu'il etait a l'etat d'une
chose"70. Aussi, l'Etat n'etant pas seulement un ensemble
territorial, mais egalement une societe d'hommes, ne peut en aucun cas :tre
prive de sa souverainete politique. C'est un danger reel, comme l'explique Kant
lorsque des hegemonies economiques ou de
6 8 Spinoza, Traite de l'autorite politique,
Gallimard, 197 8, p 23
69 Monique Chemillier, Humanite et
souverainete, ed La decouverte, 1995, p 1 82.
70
Kant, Euvres philosophiques, T3, Paris 19 86, p 335.
conquete de type colonial amenent a traiter des Etats
independants comme des simples biens alienables.
Aliener un Etat, c'est le priver de sa souverainete et
partant, la souverainete du peuple qui le compose et aussi la liberte de tous
les citoyens. Tous les peuples sont egaux en droit et en dignite, il n'y a donc
pas de peuple specifique qui soit naturellement investi pour dominer un autre.
Chaque peuple est appele a bâtir son histoire, a se donner une
personnalite, car "ce qui est fondamental et en meme temps preuve de progres,
c'est le pouvoir d'un peuple d'emerger de son passe et d'ouvrir a nouveau
l'avenir"71.
La souverainete d'un Etat ne peut avoir de sens que si le
peuple est libre de choisir ceux qui doivent le gouverner. Ainsi, les
gouvernants ne constituent le pouvoir politique legitime que lorsque leur
autorite est le resultat de la reconnaissance et de la volonte de tous et de
chacun. C'est dire aussi, que lorsqu'un Etat arrive au pouvoir avec la
complicite d'autres Etats, sans le consentement et l'investiture de ses
concitoyens, force est de reconnaitre que la souverainete est bafouee et
l'autonomie politique du peuple mise en peril.
La source de legitimite de l'autorite politique residant dans
le consentement et la volonte commune des citoyens, tout gouvernement ne jouit
en principe que d'une delegation de pouvoir. A ce sujet, l'appel de Kant pour
l'instauration d'une constitution republicaine est encore source de lecons
aujourd'hui. En effet, la forme republicaine de l'Etat est celle dans laquelle
nulle volonte privee ne saurait parler en lieu et place de la volonte publique
et l'inter:t public y est l'inter:t absolu. Sous la republique, la pratique
gouvernementale peut-on dire, incite dejà a s'affranchir de toute
tutelle, car l'enjeu ici est la realisation concrete de toutes les libertes
fondamentales.
La souverainete de l'Etat est la garantie de l'autonomie
politique du peuple, une autonomie qui trouve sa veritable expression a travers
l'adoption d'une constitution republicaine. Celle-ci est la condition premiere
d'une participation effective et responsable des citoyens a la vie politique.
En legitimant le pouvoir politique, le peuple renforce en retour la
souverainete de l'Etat qui, dans ses relations avec les autres Etats s'exprime
avec assurance et en partenaire egal.
Cependant, le realisme recommande aujourd'hui d'envisager les
relations internationales, au-delA des cadres restreints des Etats. La visee de
nos jours, est de bâtir peu a peu, une communaute politique unifiee de
fait et de droit, qui federe tous les Etats. Le mouvement de l'histoire tel
qu'il se deroule, met en
71 Citation extraite de l'ceuvre de Kant de
Alexis Philonenko, T2, J Vrin 19 88, p 252.
relief la volonte des Etats a se regrouper dans des grands
ensembles politicoeconomiques (cas de l'Union Europeenne). Cette nouvelle
perspective nous rapproche dans une certaine mesure, du rêve kantien en
ce qui concerne notamment une federation universelle d'Etats.
En effet, nous assistons a un eclatement economique et
militaire des cadres nationaux trop etroits. Il existe en plus, des
institutions internationales qui sont a la fois la traduction de ce mouvement
de l'histoire te l'expression d'un volonte deliberee d'unification. C'est le
cas bien entendu de l'organisation des nations unies (ONU), qui ne peut pour le
moment qu'être consideree comme une etape vers la realisation de ce
federalisme d'Etats dont parlait Kant.
Le progrès a accomplir est aussi immense, car il
retrace sur le plan collectif, le mouvement qui fait passer l'Etat de sa propre
individualite a une alterite universelle, marquee par des relations
internationales rationalisees et institutionnalisees. Mais pour que
l'organisation de Nations Unies soit une veritable institution supranationale
de promotion de la paix entre les Etats, elle doit être en droit et dans
le fait celle qui veille au respect strict des règles du droit de la
federation d'Etats, dans la perspective d'une paix perpetuelle.
2. LA MEDIATION DE L'UNIVERSEL DANS LES RAPPORTS DES
ETATS COMME CONDITION DE LA PAIX MONDIALE
Dans un article intitule "les fondements philosophiques de la
paix", Janine Chanteur affirmait que "l'histoire des hommes est l'histoire de
leurs guerres beaucoup plus que l'histoire de la paix"72. Cette
affirmation traduit a elle seule la frequence des conflits emaillant la vie des
peuples et des nations. Le XXeme, comme nous pouvons le constater
avec Janine fut de tous les siecles celui qui connut les dechainements les plus
effrayants. A cet egard, il faut rappeler les deux guerres mondiales, le
genocide ruandais, l'epuration ethnique et les crimes contre l'humanite dans
l'ex Yougoslavie, la guerre de Biafra, la guerre afghane, les terrorismes
quotidiens en Algerie et au Moyen-Orient, etc..
Pourtant toutes ces guerres ne constituaient pas en soi une
fatalite, car elles pourraient être evitees si les belligerants avaient
su ecouter la voix de la raison et non celle de la passion ou celle des
interêts egoïstes. Par ailleurs, il se trouve aussi que certains
conflits s'inspirent de quelques theories73 qui visent a
72 Janine Chanteur "les fondements philosophiques de
la paix", p 23. Il est professeur emerite
a l'universite de Paris Sorbonne.
73 Hegel disait par exemple, que "la guerre n'est
pas l'expression d'une haine d'individu a individu, mais mettant en jeu la vie
du tout, elle est une condition de la sante ethique des peuples", Principes
de la philosophie du droit, Gallimard 1940, p 16
demontrer que la guerre realise la selection des meilleurs,
qu'elle dynamise l'histoire et progrès ou qu'elle manifeste le courage
devant la mort. Au contraire, la guerre comme nous le savons ne fait en verite
aucune selection des meilleurs, mais plutôt celle des plus forts et les
plus forts ne sont pas necessairement les meilleurs.
La guerre resulte largement de l'irrationnel et de la passion.
C'est convaincu que par l'arbitrage de la raison, les hommes sont capables
d'eviter la guerre, que Kant a realise le projet de la paix perpetuelle.
Il dit a l'adresse de ceux qui ne le croient pas que "la question n'est pas de
savoir si la paix perpetuelle est quelque chose de reel et si nous ne nous
trompons pas dans notre jugement quand nous admettons le premier cas, mais nous
devons agir comme si la chose qui, peut-etre ne sera pas, devrait
etre"74.
La mediation de l'universel dans les rapports entre les Etats,
s'affirme comme chez le sujet moral, a travers le commandement de la raison
pratique qui veut que la maxime de l'action "puisse toujours valoir comme
principe d'une legislation universelle"75. Kant semble bien formuler
a l'endroit des Etats, les memes exigences que celles imposees au sujet moral.
En s'inspirant de cette reference morale, il espere etablir le mecanisme devant
permettre de surmonter les conflits entre Etats. Il s'agit a ce niveau de
deduire de l'universalite comme condition de la moralite et la moralite
universelle comme condition de la paix perpetuelle et mondiale. Ainsi, l'Etat
comme individu historique doit toujours s'interroger sur la portee universelle
de ses principes, lesquels doivent prendre en compte la souverainete des autres
Etats et les droits qui en decoulent.
Kant dont la philosophie politique est un effort constant dans
la quete des voies pouvant permettre de conduire l'humanite vers une paix
durable et totale, estime que la recherche de la paix plus qu'une question
politique est aussi une question ethique au plan des relations internationales.
Dans cette perspective kantienne, il ne s'agit pas comme l'a si bien dit Eric
Weill "de realiser un monde dans lequel la morale historique puisse coexister
avec la violence (...) il s'agit dorenavant de realiser un monde ou la morale
puisse vivre avec la nonviolence"76.
La federation des Etats que Kant propose dejà,
participe de cette volonte dont les Etats doivent faire montre, celle notamment
de transcender leur particularisme et s'elever vers l'universel. En effet, la
federation des Etats n'est possible que si chaque Etat fait preuve de bonne
volonte en se consacrant resolument a la realisation de cet ideal commun qui
est la paix perpetuelle. Pour
74 Alexis Philonenko, L'ceuvre de Kant, T2 J.
Vrin 19 88, p 26 8.
75 Kant, Fondements de la Metaphysique des
mceurs, Hatier 1963, p 50
76 Eric Weil, Philosophie politique, Vrin,
Paris 19 84, p 226.
y parvenir, les Etats doivent se conduire comme des sujets
moraux s'efforcant a chaque fois d'elever leurs principes pour les faire
coincider avec l'universel. C'est a ce prix qu'on peut parvenir a un
apaisement des relations internationales.
Au fond, la federation des Etats, est comparable a l'etat
civil comme entite juridique a laquelle on adhere pour preserver sa vie et sa
liberte. Selon Kant, il s'agit pour les Etats "de renoncer comme les
particuliers a la liberte anarchique des sauvages, pour se soumettre a des lois
coercitives et former ainsi un Etat des nations (...) qui embrasse
insensiblement tous les peuples de la terre"77. En d'autres termes,
Kant suggere a ce niveau une sorte de pacte juridique et moral liant les Etats
autour des principes de liberte, d'egalite et de soumission de tous a des lois
communes.
La formalisation d'un tel pacte renforcerait a la fois, la
confiance reciproque entre les Etats et creerait pour chacun d'eux des
obligations et des droits, toutes choses a même de garantir la paix, car
"la federation d'Etats n'aura point d'objet que le maintien de la paix et non
des conquêtes"7 8.
Cependant, cette federation d'Etats ne peut être
incarnee par l'organisation des Nations Unies sous sa forme actuelle, puisque
celle-ci ne federe pas en realite les Etats. Elle constitue seulement un cadre
de developpement, de concertation et d'echanges entre les Etats sur des
questions d'interêt general.
L'ONU joue un role important dans le maintien de la paix a
travers le monde, mais n'a pas d'autorite politique et juridique contraignant
la vie même des nations.
Il peut être dit que c'est sous un angle ethique que
Kant entrevoit la creation d'une federation des Etats. Celle-ci incarnera la
volonte unifiee de tous les Etats a tendre vers un ideal de paix mondiale. Elle
seule peut aller au-dela des egoismes propres a chaque Etat, a l'image de
l'Etat civil qui transcende les egoismes individuels. La mediation de
l'universel dans les rapports entre les Etats, se traduira donc aussi par la
reconciliation de leurs interêts particuliers avec ceux de la communaute
internationale, de faMon a resoudre les contrarietes et differences entre
Etats.
Mais n'etant pas encore dans un système federal, il
peut être dit de nos Etats qu'ils ne sont pas dans un Etat de legislation
comme celui qui incarnerait l'etat civil. Par consequent, a leur egard aussi
comme dans le cas des hommes avant leur entree dans un etat civil, il peut
être rappele que "pour être a l'abri de
77 Kant, Euvres philosophiques, T3 Gallimard 19
86, p 349 7 8 Ibidem, p 379
tout acte d'hostilite, il ne suffit pas qu'il ne s'en commette
point, il faut qu'un voisin garantisse a l'autre sa silrete personnelle ; ce
qui ne saurait avoir lieu que dans un Etat de legislation, sans quoi l'un est
en droit de traiter l'autre en ennemi après lui avoir inutilement
demande cette garantie"79.
L'Etat de legislation represente ici la republique au sens
kantien du terme, c'est-A-dire un système representatif. La constitution
republicaine constitue d'ailleurs, le premier article definitif en vue de la
paix perpetuelle. Entre autres avantages, elle a celui de favoriser la
promotion et la defense des droits de l'homme, de meme que la creation des
conditions pour une participation responsable du citoyen au processus
decisionnel concernant les grandes questions d'interet general, comme celle
relative a la guerre. Participer a la guerre est l'ultime sacrifice qu'un
citoyen puisse faire au nom de sa patrie et pour qu'une telle participation
soit un acte responsable accompli par devoir, il faut absolument que le citoyen
consulte sa raison et decide librement de son engagement. Dans les democraties
modernes, conformes dans leurs principes a la constitution republicaine
kantienne, c'est par le biais de l'Assemblee Nationale ou par referendum que le
citoyen peut etre amene a convenir "par son assentiment a decider la question
si l'on fera la guerre ou non" 80
.
Ainsi, la decision d'aller en guerre doit etre democratique,
c'est-A-dire qu'elle ne doit pas etre laissee a la seule et unique discretion
du chef de l'Etat qui peut la resoudre "comme une partie du plaisir, par les
raisons les plus frivoles" 81. En consultant le peuple avant de
l'engager dans un conflit, c'est avant tout lui reconnaitre sa dignite humaine
et sa souverainete. Le peuple est une fin et non un moyen. Par consequent, tous
les actes de l'Etat a ce sujet, doivent porter l'empreinte de la volonte du
peuple.
Par ailleurs, etant donne que se sont generalement les
interêts economiques qui sont a la base des conflits mondiaux dans la
plupart des cas, il y a lieu de faire remarquer qu'à defaut d'une
federation universelle d'Etats, les regroupements inter - etatiques sont une
alternative pour la preservation de la paix mondiale. En effet, avec les grands
ensembles economiques qui se forment un peu partout a travers la
planète, force est de reconnaitre qu'on s'achemine vers une mise en
commun des interêts differents dans un système dit de
"globalisation" ou de "mondialisation". Il s'agit là d'une nouvelle
chance qui s'offre a l'humanite a travers cet esprit de commerce qui semble
guider dorenavant les relations internationales. C'est ce que nous verrons en
profondeur au point qui suit.
79 Kant, Euvres philosophiques, T3 Gallimard p
9 86, p 340.
80 Kant, Euvres philosophiques, T3 Gallimard,
19 86, p 342.
81 Ibidem, p 343
3. DE LA PROMOTION DES RELATIONS ECONOMIQUES, UNE
SOLUTION POUR LA PAIX ENTRE LES ETATS.
Le rapport entre la paix et le commerce n'est pas un constat
nouveau dans les relations internationales. Kant, en son temps dejà,
voyait dans le commerce une cause naturelle de la paix. En effet, il affirmait
que "la nature (...) se sert de l'esprit de chaque peuple pour operer entre eux
une union que l'idee du droit cosmopolitique n'aurait pas suffisamment garanti
de la violence et des guerres. Je parle de l'esprit du commerce qui s'empare
tot ou tard de chaque peuple et qui est incompatible avec la guerre. La
puissance pecuniaire etant celle de toutes qui donne plus de ressort aux Etats,
ils se voient obliges de travailler au noble ouvrage de la paix, quoique sans
aucune morale ; et quelque peu que la guerre eclate, de chercher a l'instant
meme a l'etouffer par des mediations" 82.
A cet egard, il est indeniable que la promotion des interets
economiques qui caracterise le monde d'aujourd'hui, a dans une large mesure
contribue au maintien et a la preservation de la paix. La guerre n'apportant
que ruine, faillite, desolation, les Etats se sont tournes vers une nouvelle
forme de guerre, "la guerre economique". Elle consiste a la conquete pacifique
des marches selon la seule loi de l'offre et de la demande. La guerre est un
obstacle majeur a tout investissement et a tout developpement economique.
Il apparait a cet effet, que la paix est un imperatif, c'est
une condition sine qua non pour asseoir les bases veritables d'une economie
prospere en favorisant les echanges entre les peuples. Le commerce, au-dela des
interets materiels et financiers que les uns et les autres en tirent, permet
aussi un rapprochement entre les peuples et favorise souvent une meilleure
interpenetration des cultures. C'est dans ce sens d'ailleurs que Montesquieu
affirmait que "le commerce a fait que la connaissance des mceurs de toutes les
nations a penetre partout : on les a comparees entre elles et il en a resulte
de grands bien" 83.
Rappelons qu'au-delA des grands discours politiques, les
interets economiques furent veritablement a la base de la formation des grands
ensembles sous regionaux, regionaux et continentaux a travers le monde. Les
decideurs politiques ne manquent jamais l'opportunite pour souligner le
caractere pacifique dont sont porteur ce type de regroupements pour les Etats
membres. C'est ainsi qu'à la premiere conference pour la creation de
"l'organisation des relations asiatiques", Nehru84 annonçait
que "notre grand objectif est de promouvoir la paix et le progres partout dans
le monde". De même, lors de la conference au sommet des chefs d'Etat des
pays independants
2 Kant, Euvres philosophiques, op
cit, p 362
3 Montesquieu, Esprit des lois, T2 Garnier
Freres, 1967, p 8.
4 Nehru, homme politique indien, premier ministre de
son pays de 1947 a 1964, il fut disciple de Gandhi
d'Afrique, Senghor affirmait que "le but de l'O.U.A. par et
par-dela la croissance economique, par et par-dela le mieux etre de chaque
africain (...) aura ete auparavant un facteur de la paix" 85.
C'est le lieu donc, dans le contexte actuel, d'encourager les
processus d'integration economique deja engages ou qui sont en voie de l'etre,
a travers le monde. L'integration economique permet une meilleure circulation
des personnes et des biens, gage d'une paix durable entre les peuples. Avec la
suppression des barrieres douanieres par exemple, il peut etre mis fin a toute
rivalite pouvant conduire des Etats voisins a des conflits.
Dans cette relation entre paix et commerce, Montesquieu
rejoint Kant, lorsqu'il disait que "l'effet naturel du commerce est de porter a
la paix. Deux nations qui negocient ensemble se rendent reciproquement
dependants. Si l'un a interet a acheter, l'autre a interet a vendre ; et toutes
les unions sont fondees sur des besoins naturels" 86.
L'esprit du commerce comme nous le constatons, est donc a
consolider, pour qu'enfin les hommes s'attellent a chercher les voies de leur
epanouissement materiel et spirituel. Aucune oeuvre de construction nationale
n'est possible, si au prealable les conditions d'une paix durable voire
permanente ne sont pas reunies. L'humanite ne sera jamais en paix, si les Etats
au lieu d'investir dans les secteurs civils et productifs continuent a
entretenir des armees a des coats extremement eleves pour les besoins des
guerres.
En tout etat de cause, l'armee de nos jours est un gouffre
financier, car nous sommes dans un monde ou l'evolution technologique fait que
les equipements militaires ne sont plus a la portee des pays en voie de
developpement. En cette ere de mondialisation ou la bataille est principalement
commerciale et c'est l'esprit du commerce qui gouverne le monde, il n'est pas
utopique d'envisager comme l'a dit Kant, la disjonction totale des armees
permanentes avec le temps. Rappelons que pour Kant, en encourageant les armees
permanentes "a se surpasser par une quantite illimitee d'hommes armes, elles
rendent pour finir, en raison des coats engages, la paix encore plus pesante
qu'une courte guerre, et deviennent elles-memes la cause des guerres offensives
faites pour se debarrasser de cette charge....." 87.
En definitive, le commerce ne pouvant pas aussi s'effectuer sans
un minimum de liberte, faudrait-il d'abord s'investir a garantir aux citoyens
leurs
5 Conference de l'OUA en 1963 a Addis Abeba (Ethiopie)
6 . Montesquieu, Esprit des lois, T2 Garnier
Frère 1967 pp 8-9.
7
Kant, Vers la paix perpetuelle, Que signifie s'orienter ?
Qu'est-ce que la lumière ? GF Flammarion 1991, p 7
droits et libertés essentiels. L'Etat de droit en est
le cadre privilégié, car c'est le lieu oil la constitution
permette "l'émergence des règles économiques qui limitent
les inégalités ou les accepte que si elles concourent a
l'amélioration des conditions des plus faibles et des plus
défavorisés, la promotion d'un espace de créativité
et de novation dans le sens du bien commun" 88.
88 Ka Mana, l'Afrique va-t-elle mourir ? (Essai
d'éthique politique). Ka Mana est docteur en philosophie a
l'université libre de Bruxelles et est docteur en théologie de
l'université se Strasbourg
CHAPITRE II : L'ETAT DE DROIT ET LA RESPONSABILLITE
MORALE EN POLITIQUE
L'Etat de droit est un ensemble d'institutions fondees sur une
loi premiere communement acceptee, la constitution. Tout en se fondant sur le
systeme democratique, il ne se reduit pas a celui-ci, car il est celui qui
defend et garantit en pratique les droits et libertes essentiels du citoyen (la
liberte d'expression, de penser, de travailler, de culte, de droit a la sante,
a la securite, etc.). En plus, l'Etat de droit se caracterise par une vision
commune de la chose publique et le respect en tout lieu et en toute
circonstance des normes republicaines.
"Le republicanisme" tel que definit par Kant dans le sens de
la promotion de la liberte, de l'egalite et de la soumission de tous a une loi
commune, est caracteristique d'un Etat de droit. Il est la forme du
gouvernement propre a rationaliser la conduite politique et sociale des
citoyens et des gouvernants. L'Etat de droit se presentait au plan purement
politique, comme une innovation A l'interieur des formes etatiques ayant eu
cours jusqu'à la veille de la revolution française et de la
declaration universelle qui s'en est suivie. Il a permis l'emergence d'une
nouvelle societe politique etablie sur le droit et dans la quelle les litiges
sont arbitre par la negociation juridique et oil le souverain ne disposait plus
de droit de vie et de mort sur le citoyen -- sujet.
1. L'ETAT DE DROIT DANS LA PERSPECTIVE KANTIENNE : UNE
APPROCHE ETHIQUE
L'approche kantienne de l'Etat de droit s'apparente a la
theorie rousseauienne du contrat social oil chacun s'engage envers tous,
renonce a la liberte individuelle naturelle au profit de la communaute qui lui
assurera en retour la definition du citoyen, c'est-A-dire l'egalite juridique
et la liberte civile. Il s'agit la d'un ensemble de principes du droit
politique, qui tend a sauvegarder les droits des gens a ecarter toute forme
d'arbitraire dans la conduite des affaires de l'Etat. A ce propos, Kant estime
que "la condition de possibilite d'un droit des gens en general est l'existence
prealable d'un Etat de droit. Sans celui-ci en effet, il n'y a pas de droit
public, au contraire, tout droit qui peut se representer en dehors de lui n'est
qu'un droit prive" 89.
L'Etat de droit est celui qui cadre bien avec les principes de
la morale kantienne, car il est respectueux de l'autonomie de la volonte
humaine, il est celui qui fait de l'homme la valeur supreme. Par consequent, la
politique n'a de but ici, que de proteger cet homme tel qu'il est et de lui
creer les conditions favorables a la realisation de ses fins
particulières et collectives. A cet effet, le
9 Kant, Vers le projet de la paix
perpetuelle..., Flammarion 1991, p 129
monde des realites politiques et sociales a l'instar du monde
moral domine par le regne des fins, ne peut etre "regi que par un Etat de droit
oii la politique doit etre dans une subordination absolue a l'egard de la
morale dont le caractere est absolu et rigide"90.
Le principe interne de l'Etat de droit peut se traduire par la
volonte commune a tous d'agir dans le respect strict de la liberte et du droit
de l'autre. Mais, l'enjeu ici est la bonne gouvernance, qui requiert des
gouvernants une aptitude a conduire les affaires de l'Etat dans la transparence
et le respect des dispositions du droit. La conviction de Kant a ce sujet est
que incontestablement "la maniere de gouverner importe plus au peuple que la
forme de l'Etat"91. Car c'est par la maniere de gouverner qu'il peut
etre veritablement etabli si un regime est despotique ou republicain. La forme
de l'Etat est parfois trompeuse en ce sens qu'elle ne rend pas toujours compte
de la realite politique effectivement vecue. Il s'agit la d'un constat qui
trouve toute sa justification, quand on sait par exemple que "le terme de
democratie est devenu au XX6 siècle, davantage un slogan q'une idee.
Tous les regimes et les plus autoritaires, s'en reclament d'une meme voix,
rendant la vocale inoperant"92.
En revenant a Kant, il apparait que les concepts d'Etat de
droit et de Republique, sont une seule et meme chose, car tous deux visent au
fond la creation d'un espace de libertes, propre a garantir a l'homme, securite
et bienetre. La Republique selon Kant, suppose "une constitution ayant pour but
la plus grande liberte humaine conforme aux lois qui permettraient a la liberte
de chacun de pouvoir subsister de concert avec celle des autres"93.
Elle n'est pas une vision chimerique de ce que devrait etre la forme de l'Etat,
mais une pratique politique, une maniere d'être des institutions, une
maniere de gouverner A meme de rendre effective la pleine jouissance pour le
citoyen de ce qu'il a de plus precieux, la liberte au sens pluriel du terme.
L'approche ethique de l'Etat de droit chez Kant, semble
essentiellement reposer sur le salut de la chose publique. Il s'agit notamment
ici de l'effacement de la volonte privee devant la volonte publique qui reste
et demeure la mesure de toute chose. Autrement dit, c'est le lieu oii toutes
les actions librement initiees doivent en principe etre en accord avec ce qu'il
y a de bien pour la communaute. En effet, il s'agit là d'un devoir qui
incombe a chaque citoyen de penser et d'agir en communaute, c'est-A-dire qu'il
ait toujours a l'esprit, ce qu'il pense, dit et fait, n'a de sens ni de valeur
que s'il est benefique pour la communaute, que s'il participe du salut de la
chose publique en general. Cela
90 Jean Touchard, Histoire des idees
politiques, PUF, Paris, 195 8, p 4 89.
91 Kant, Vers le projet de paix perpetuelle op
cit p 88.
92 Chantale Millan Del Sol, Les idees politiques au XXé
siécle, PUF 1991, p 209.
93 Kant, Critique de la raison pure,
dialectique transcendantale, Gallimard 19 80, p 334.
n'est nullement en contradiction avec la liberté du
citoyen, car la république n'est rien d'autre que ce domaine politique
oil la loi en anéantissant l'arbitraire et le caprice du privé,
favorise l'émergence de l'intérêt public et établit
ainsi le lien entre liberté et droit ou liberté et
obéissance.
L'Etat de droit, comme son nom l'indique inclut donc une
manière de gouverner qui repose principalement sur l'autorité du
droit. Le droit constitue dans la perspective kantienne, l'instance
supérieure qui garantit que les hommes peuvent développer leurs
relations dans un cadre oil "ils se contraignent mutuellement eux-mêmes,
a se soumettre a des lois de contrainte, et produisent ainsi l'état de
paix oil les lois disposent d'une force"94. A cet égard,
l'Etat de droit se présente comme le lieu du respect des
différences, de la prise en compte de toutes les composantes de la
société qui, malgré "l'antagonisme de leurs intentions
hostiles" doivent chercher a vivre en harmonie.
L'instauration d'un véritable Etat de droit est tout a
fait au pouvoir des hommes, pour peu qu'ils soient de bonne volonté,
pour peu qu'ils s'engagent a batir un monde de paix, de fraternité, de
liberté, d'égalité, de justice...La raison qui est en eux,
est un puissant moyen pour parvenir a cette fin sublime, que tout le monde
souhaite la réalisation. Mais, en tout état de cause, les hommes
n'ont pas le choix, car ils ne peuvent pas continuer a vivre
indéfiniment dans l'arbitraire et la violence, qui sont source
d'anarchie, en raison du cycle infernal de vengeance qu'ils engendrent. La
nature comme le dit Kant, "veut irrésistiblement que le droit obtienne
pour finir le pouvoir suprême"95.
Par conséquent, il est impératif que les
décideurs et les hommes politiques de tous les horizons et plus
particulièrement ceux du continent africain, s'engagent a instaurer dans
nos Etats, des régimes politiques aptes a respecter et A faire respecter
le droit. L'Etat de droit est comme nous l'avons dit, une manière de
gouverner et aussi un mode vie politique fondé sur la loyauté a
l'égard des normes républicaines et du respect des droits de la
personne humaine.
L'Etat de droit pouvons-nous schématiser, est une
communauté politique oil "il s'agit de passer de la logique de la
puissance et de la violence a une logique du dialogue et de la participation ;
de sortir de l'imaginaire du totalitarisme et de l'autocratie pour entrer dans
l'imaginaire de la communication et de la discussion, de quitter le champ des
pouvoir oppressifs pour construire un espace de vie oil la liberté ne
serait pas seulement la
94 Kant, Vers le proiet de la paix
perpétuelle...., Flammarion 1991, p 105
95 . Kant, Vers le proiet la paix perpétuelle,
Flammarion 1991, p 105.
puissance de se soustraire au pouvoir, mais aussi et surtout
celle de se soumettre A personne"96, si ce n'est qu'a la loi
communement acceptee.
Tout en etant l'affaire de tous et de chacun, l'Etat de droit
reste et demeure en premier lieu lie a la maniere de gouverner et engage par
consequent en plus de la responsabilite politique, la responsabilite morale de
l'homme d'Etat. Comme premier magistrat et ayant en charge la destinee du
peuple, il a le devoir de faire en sorte que "les conflits des interets et les
antagonismes entre couches sociales soient regules par une idee superieure du
bien pour laquelle la societe peut vivre et mourir, la plus haute idee
d'elle-meme comme societe rationnelle et responsable du sens de l'humain en
elle"97.
2. EXIGENCE MORALE ET ACTION POLITIQUE CHEZ L'HOMME
D'ETAT
L'exercice du pouvoir politique consiste a garantir et a
defendre les interets legitimes du peuple, tant a l'interieur qu'a l'exterieur
des frontieres nationales. Il consiste aussi a assurer une saine et
transparente gestion des ressources de l'Etat, par des choix politique,
economique, social et culturel consequents. A cet egard, en decidant d'exercer
le pouvoir politique, l'homme d'Etat prend la lourde responsabilite de conduire
le destin de tout un peuple, en veillant a ce que toute les decisions qu'il
aura a prendre n'auront qu'un seul but, celui de garantir la securite et le
bien-etre des citoyens.
Cependant, la securite et le bien-etre, ne saurait etre
reellement assures si au prealable les gouvernants ne s'attellent pas a creer
un cadre politique respectueux des droits et libertes fondamentaux des
citoyens. La meilleure preuve d'amour et de respect qu'un homme d'Etat puisse
avoir vis-à-vis de son peuple, c'est de faire en sorte que chaque
citoyen puisse vivre pleinement sa citoyennete, c'est-A-dire qu'il soit libre
d'agir selon ses interets dans le respect des lois republicaines et qu'il
puisse satisfaire ses besoins vitaux.
Ainsi, la t_che politique primordiale et essentielle de
l'homme d'Etat, est d'ceuvrer a consolider l'Etat de droit, en essayant a
chaque fois que c'est necessaire, a parfaire la constitution, lorsque celle-ci
presente des failles susceptibles de porter prejudice aux droits des citoyens.
A ce propos, Kant estime que lorsqu'une constitution presente une faille
quelconque, il appartient a l'homme d'Etat ou chef supreme d'apporter les
amendements necessaires, même si cela va a l'encontre de ses interets.
96 Ka Mana, L'Afrique va-t-elle mourir ? Op
cit, p 155.
97 Ibidem, p 157.
En effet, Kant pose comme principe que "si jamais dans la
constitution (...) se presente un vice qu'on a pas pu prevenir, que ce soit un
devoir et particulierement pour les chefs supremes de l'Etat, d'être
attentifs a la maniere de le corriger le plutot possible suivant le droit
naturel, comme l'idee de la raison nous en presente le modele sous les yeux,
leur egoisme dut-il etre sacrifie"9 8.
Et comme nous le voyons aujourd'hui en Afrique, des voix se
levent chaque jour pour rappeler les dirigeants a plus de democratie et a plus
de respect des droits de la personne humaine. Notre continent est toujours
indexe comme etant la partie du monde ou les droits de l'homme sont plus
regulierement violes. Il est par consequent imperatif de rappeler avec Kant
"qu'il faut tenir le droit des hommes pour sacre, quoi qu'il coilte des
sacrifices au pouvoir dominant"99.
Comme nous pouvons le constater, entre l'homme d'Etat et son
peuple, c'est avant tout une relation de respect et d'amour au sens kantien des
termes. Il s'agit notamment du "respect comme maxime de ne ravaler aucun homme
a etre simplement un moyen pour mes fins et l'amour qui consiste a faire
miennes les fins d'autrui"100. Ainsi, les motivations du chef
supreme doivent viser un ideal qu'Aristote nous traduit en ces termes : "l'Etat
vint a exister afin qu'une vie humaine soit possible et il continue a exister
afin qu'une vie bonne soit possible. Et ainsi, c'est cela qui est egalement le
souci du veritable homme d'Etat"101.
Il apparait alors qu'on ne saurait attendre, ni exiger de la
gloire, du prestige, d'honneurs et de richesse, de faire preuve d'amour et de
respect vis-a-vis de son peuple. Un tel homme d'Etat ne peut aucunement se
sentir moralement responsable du sort de son peuple du fait de sa gestion.
C'est dire donc, que la responsabilite morale d'un homme d'Etat, suppose
d'abord une fidelite a sa conscience, superieure a la soif du pouvoir ou
l'appetit des honneurs. Il s'agit la d'une faculte morale qui doit etre "le
produit de la pure raison pratique, en tant que celle-ci dans la conscience de
sa superiorite (de par la liberte) conquiert sa souverainete par la force avec
des penchants si puissants"102.
Aussi, en considerant, la relation de l'homme d'Etat avec son
peuple, il peut etre deduit qu'il s'agit d'une relation entre un oblige et un
obligateur. Autrement dit, la responsabilite morale suppose avant tout une
obligation de
9 8 Kant, Projet de paix perpetuelle,
Flammarion 1991, p 113.
99 Ibidem, p 123.
100 Kant, Metaphysique des mceurs, 2é
partie, Vrin 19 85, p 127.
101 In Principe responsabilite, op cit p 145.
102
Kant, Metaphysique des mceurs, 26 partie, Vrin 19 85, p
155
l'homme d'Etat a l'egard du peuple. Or, l'obligation, n'a de
sens que par l'attitude qu'adopte a l'egard de l'obligateur, un oblige qui se
fait obligateur de soi.
Il resulte a cet effet, que l'homme d'Etat doit en tout lieu
et en toute circonstance, dans des situations presentes ou a venir, mettre en
avant la grandeur de son peuple et de sa patrie. C'est donc dire que "l'homme
d'Etat n'a pas d'obligation a l'egard de ce qu'il a fait, mais a l'egard de ce
qui l'a fait. Les ancetres qui ont permis a la communaute d'arriver a cette
epoque presente, la communaute d'heritiers que forment les contemporains qui
sont ses mandants et la continuation de l'heritage vers un avenir
determine"103.
Cela nous amene a dire que l'exigence morale de l'action de
l'homme d'Etat, c'est le respect des valeurs et promesses qui l'on fait elire.
Tout homme d'Etat qui arrive au pouvoir (de maniere veritablement democratique
s'entend) a sans doute ete prefere au detriment d'autres candidats. Cette
preference portee sur lui, temoigne en principe de la confiance que le peuple
place en lui, au regard notamment de ses valeurs intrinseques ou supposees et
aussi en fonction de ce qu'il aurait promis aux electeurs. Par consequent, il
est pour lui un devoir de ne point trahir la bonne opinion que le peuple a de
lui en realisant ce qu'il avait promis.
Certes, "le candidat au pouvoir ne peut jamais prevoir les
initiatives qu'il devra prendre quoi qu'il ne cesse de jurer le
contraire"104, car il y a des situations imprevues. Mais, sachant
que la politique se concoit pour demain et qu'elle suppose aussi un art de
prevoir les evenements, les promesses devraient etre realistes et sinceres et
non une grossiere demagogie. C'est le lieu de dire que le respect de la parole
donnee de meme que la tenue de la promesse faite, sont une exigence morale, car
la veracite dans les promesses s'appelle bonne foi.
La fausse promesse etant consideree comme un mensonge, peut
etre tenue dans la perspective de Kant, pour un manque de respect a l'egard
d'autrui, une violation de son droit a la verite et aussi une "negation de la
dignite humaine"105. Selon Kant, "un homme qui ne croit pas a ce
qu'il dit a un autre (...) a encore moins de valeur que s'il n'etait qu'une
chose de reel et de donne, quelqu'un d'autre peut se servir de ce qu'il en
constitue la propriete, en faire usage tandis que la communication de ses
pensees a autrui, au moyen des mots qui contiennent (intentionnellement) le
contraire de ce que pense le sujet qui parle,
103 Principe de responsabilite, op cit p 149
104 Pierre Yves Bourdil, Ressusciter la
politique, Ellipses, Paris 1996, p 192.
105 Kant, Metaphysique des mceurs, 26 partie,
Vrin 19 85, p 103.
est une fin directement opposee a la finalite naturelle de
communiquer ses pensees, c'est-A-dire un renoncement a la
personnalite"106.
En parlant de la responsabilite morale de l'homme d'Etat, il
s'agit particulierement pour celui-ci de conferer a ses actions politiques une
valeur morale. Autrement dit, il doit veiller a ce que les actes qu'il pose
soient en accord avec ce qu'il y a de bien pour le peuple. Comme premier
responsable de l'Etat, il est appele a traiter les citoyens avec respect et
dignite. A lui, plus qu'a tout autre citoyen, s'impose cette formule de
l'imperatif categorique : "Agis de telle sorte que tu traites l'humanite, aussi
bien dans ta personne que dans la personne d'autrui, toujours en même
temps comme fin et jamais simplement comme un moyen"107.
En definitive, l'homme d'Etat au nom de sa
responsabilité morale, doit par introspection pouvoir accorder les
maximes de sa volonté avec la dignité de l'humanité en sa
personne. C'est un devoir de l'homme d'Etat envers lui-même d'être
son propre juge, de faire le proces de ses actions. Il se fait l'obligation de
se soumettre a un examen de conscience comme "principe subjectif d'un compte A
rendre a Dieu de ses actions"10 8.
106 Ibidem, op cit p 104
107 Kant, Fondements de la métaphysique des mceurs, Hatier
1963, p 47. 10 8 Kant, Métaphysique des mceurs, 26
partie, Vrin 19 85, p 114.
CONCLUSION
Nous voici au terme de notre travail consacre a la reflexion
sur les elements d'un rapprochement possible entre la morale et la politique
chez Kant, A travers le republicanisme. L'enjeu de cette reflexion, faut-il le
rappeler, est, au regard de la crise des valeurs qui secoue le monde politique
actuel tant au plan national qu'international, a trouver une forme de
gouvernement, a meme de creer les conditions d'une bonne pratique politique.
Celle-ci doit favoriser une bonne expression de la citoyennete et un
rapprochement entre les peuples et les nations, dans un monde de paix.
Notre demarche a consiste d'abord a faire un point d'histoire
sur les doctrines politiques qui consacrent soit un rapport de disjonction,
soit un rapport de conjonction entre la morale et la politique, en nous basant
sur la philosophie politique de Hobbes et Rousseau principalement. C'est ainsi
qu'en partant du pacte de soumission de Hobbes et celui d'association de
Rousseau, nous sommes parvenus aux formulations du totalitarisme et de la
democratie. L'analyse de ces deux systemes politiques nous a amene a dire que
la democratie constitue la meilleure forme de gouvernement, en ce sens qu'elle
garantit l'epanouissement materiel et spirituel de l'homme.
Il s'etait ensuite agi pour nous d'introduire Kant dans le
debat, en essayant de montrer son apport pour une autre lecture des rapports
entre la morale et la politique. C'est ainsi que nous avons expose le
republicanisme kantien comme etant la condition d'un accord entre la morale et
la politique et aussi la concordance des memes notions d'apres la doctrine du
droit. Dans les deux cas, il a ete respectivement question de l'affirmation du
citoyen comme sujet moral, de la moralite de l'action politique du citoyen par
une analyse comparative entre l'autorite de la loi orale et la rigueur de la
juridique, de la liberte de presse comme mode d'expression d'une opinion
publique moralisatrice. L'interdependance entre le prive et le public comme
totalite fonctionnelle, de meme que l'examen des concepts de juste et de bien
dans une relation de complementarite mettant en relief l'accord entre la
politique te la morale, furent egalement debattus.
Enfin, nous avons parle de l'actualite des idees kantiennes,
au regard de la situation politique actuelle. A ce niveau, nous avons evoque la
question de la souverainete des Etats dans cette ere de mondialisation et de la
recherche de la paix. Nous avons aussi aborde la problematique de l'Etat de
droit et de l'exigence morale de l'action de l'homme d'Etat. Cette partie nous
a permis de saisir la pertinence de certaines idees kantiennes par rapport a
nos preoccupations actuelles, ayant trait surtout au renforcement de l'Etat de
droit et
du respect des droits et libertes essentiels des citoyens, de la
paix mondiale, des relations economiques, etc.
Au regard de ce qui precede, nous pouvons affirmer que le
republicanisme porte en lui les bases juridiques d'une vie politique favorisant
la pleine et effective expression de la citoyennete. En effet, la constitution
republicaine en garantissant les droits et libertes des citoyens, les amene a
developper en euxmemes la vertu, consideree comme force de la volonte. Il
s'agit lA, d'un processus de responsabilisation du citoyen, etant entendu qu'un
citoyen libre et vertueux "developpera ses meilleures capacites (...) et sera
pret a chaque fois que cela est necessaire de les mettre au service du bien de
l'Etat"109.
Le republicanisme reste et demeure pour Kant, la forme du
gouvernement qui favorise le rapprochement entre la politique et la morale. Il
souligne qu'il est une obligation pour les hommes de tendre vers une telle
forme de gouvernement, car "c'est un principe de la politique morale qu'un
peuple doive se reunir en un Etat d'apres les seuls concepts de droit de
liberte et d'egalite et ce principe n'est pas fonde sur la prudence, mais sur
le devoir"110.
Il est courant d'entendre certaines personnes dire et soutenir
qu'en politique, il n'y a pas de morale. Mais, de quelle politique s'agit-il ?
Sommes nous tentes de nous demander. Est-ce celle qui promet a tous les hommes
le bonheur, la satisfaction, l'obtention de leur place naturelle dans un monde
parfaitement organise, ou celle qui se veut egoiste et qui ne vise que la
conservation du pouvoir a tout prix pour la satisfaction des interets exclusifs
des gouvernants. A cet egard, notre conviction est que toute politique qui
n'humanise pas ses moyens, qui n'est pas respectueuse des droits, des libertes
et de la dignite de citoyens est source des conflits, d'instabilite et
d'insecurite.
Il ne s'agit pas ici de pr8ner une subordination totale de la
politique a la morale, mais qu'on s'accorde que "l'exigence morale derniere est
celle d'une realite politique telle que la vie des individus soit morale et que
la morale visant l'accord de l'individu raisonnable avec lui-meme devient une
force politique, c'est-A-dire un facteur historique avec lequel l'homme
politique ait a compter quand bien lui-meme ne se voudrait pas
moral"111.
Il est certes difficile de vouloir que les hommes agissent
toujours dans le sens de conferer a leurs actions une valeur morale. Mais, ce
n'est pas un vceu pieux, car l'homme etant perfectible, il peut faire preuve de
depassement de soi, d'actes desinteresses. Kant affirmait a juste titre que "le
principe moral ne
109 Principe de responsabilite, op cit, p 172.
110 Kant, Vers le projet de la paix
perpetuelle, Flammarion 1991, p 120.
111 Philosophie politique, op cit, p 12.
s'eteint jamais dans l'homme. La raison capable
pragmatiquement de mettre a execution l'idee du droit d'apres ce principe, se
developpe constamment dans cette direction grace aux progres continuels de la
civilisation"112.
Le domaine du politique doit cesser d'être considere
comme lieu privilegie d'actions immorales, c'est-a-dire le lieu ou tous les
coups sont permis, le lieu de toutes les intrigues, de tous les crimes, de tous
les complots, un domaine ou pense-t-on n'operent que des hommes souvent sans
scrupules, abusant de la raison d'Etat. Le domaine du politique doit retrouver
ses lettres de noblesse structurelles comme activite publique en vue de
l'epanouissement des citoyens.
Il est admis que la politique n'implique pas necessairement la
morale, car on peut aisement comprendre les faits politiques sans reference a
la morale. Cependant, il y a lieu de reconnaitre que "ni leur difference, ni
non plus leur mutuelle autonomie ne suppriment leur unite radicale sur leur
origine commune dans l'homme regarde et se regardant comme etre
agissant"113.
Au commencement et a la fin de toute politique, nous
retrouvons l'homme, car elle est exercee par lui et pour lui-meme. Par
consequent, la politique ayant pour finalite l'epanouissement de l'homme, ne
peut pas ne pas etre analysee d'un point de vue moral, au regard notamment de
la nature des moyens et des fins qu'elle utilise et qu'elle vise. En tout point
de vue, la politique comme art de conduire les affaires de l'Etat, ne peut pas
omettre que "ce qui est premier c'est le rapport de l'homme envers
l'homme"114. La vraie politique comme le dira Kant "ne peut faire un
pas sans avoir rendu d'abord hommage a la morale"115.
Dans le contexte actuel de democratisation et de
l'instauration d'un Etat de droit, il doit etre entendu que seule la juste
application du droit et de la loi, est la condition necessaire pour la paix
sociale et la stabilite politique dans nos Etats. Les hommes sont epris de
justice, sont soucieux du respect de leurs droits fondamentaux, ils ne
sauraient donc admettre d'être encore et toujours traites comme des
sujets, par un pouvoir dont ils sont la source de legitimite. La saine lecture
du droit et la juste application de la loi sont un signe evident de loyaute, de
justice et d'honnetete. Or, comme le dit Kant, "admettre que l'honnetete est
meilleure que toute politique est au dessus de toute objection, voire est la
condition inevitable de la philosophie"116.
112 In, Critique et morale chez Kant, Gerard
Kruger, ed Bauchesne, Paris 1961, p 120
113 Philosophie politique, op cit, p 12.
114 Ibidem, p 19.
115 Kant, Vers le projet de la paix
perpetuelle, Flammarion, Paris 1991, p 123.
116 Kant, Projet de paix perpetuelle,
Flammarion 1991, p 111
En considerant la politique comme "doctrine du droit pratique"
et la morale comme "doctrine du droit theorique", Kant etabli dejà un
lien etroit entre les deux. Il est en effet, inconcevable d'envisager une
pratique independamment de toute theorie. La politique en tant qu'elle met en
rapport d'un cote les citoyens entre eux et de l'autre les Etats entre eux, ne
peut que se baser en tout premier lieu sur la regle du droit tant au plan
national qu'international. Poser des actes politiques en violation des lois de
la Republique ou du droit international releve de l'immoralite, car elle
suppose en definitive non respect de la parole donnee, partant, un acte de
trahison a l'egard de ses concitoyens.
L'instabilite sociopolitique observee dans nos jeunes
democraties, de meme que les guerres, les genocides qui ont eu lieu ou qui sont
en cours, sont dus non seulement au manque de culture democratique, mais aussi
a la violation repetee du droit et a une non application du droit. Or, le degre
de moralite d'un peuple se mesure aussi par la disposition de celui-ci a
respecter les lois qu'il s'est donne. Le premier devoir des citoyens consiste a
eriger une veritable education civique qui ne craigne pas de montrer le lien
entre le sujet de droit et le sujet moral.
En somme, faut-il se convaincre que la paix n'est realisable
que dans le respect de la liberte et de l'egalite qui assure la securite. Dans
un monde dechire par le danger des integrismes, des egoismes de toutes sortes,
des extremismes politiques, l'Etat de droit apparait comme le dernier espoir
pour sauver les valeurs fondamentales pouvant faire progresser l'humanite dans
le sens du bien. Mais acceptons-nous d'en assumer les conditions politiques et
morales ?
BI BLIOGRAPHIE
A. Les oeuvres de Kant
Emmanuel Kant : Fondements de la métaphysique des
mceurs, Hatier, Paris 1966.
Emmanuel Kant : Critique de la raison pratique, PUF,
Paris 1966, 192 pages Emmanuel Kant : (Euvres philosophiques, Tome
III, Gallimard, Paris, 19 86.
- La religion dans les limites de la simple raison, texte
traduit et annoté par Alexis PHILONENKO, pp. 15 -- -- 242.
- Projet de paix perpétuelle, traduction d'un
auteur anonyme (1976) présenté, revu et annoté par Heinz
Wisman pp. 333 -- 3 83
- Métaphysique des mceurs (doctrine du droit et
doctrine de la vertu) texte traduit et annoté par Joëlle Masson
et Olivier Masson, pp. 449 -- 791.
- Conflits des facultés, texte traduit et
annoté par Alain Renaut, pp. 805 -- 930.
Emmanuel Kant : Critique de la faculté de juger, J.
Vrin, Paris 19 89, 30 8 pages Emmanuel Kant : Théorie et
pratique, J. Vrin, Paris 1990.
Emmanuel Kant : Critique de la raison pure, Gallimard, 19
80.
B. Ouvrages sur Kant
Alexis Philonenko : L'ceuvre de Kant, J. Vrin Tome II,
Paris 19 88, 292 pages.
Alexis Philonenko : Théorie et praxis dans la
pensée morale et politique de Kant et de Fitche, J Vrin 1976, 22 8
pages.
Alexis Philonenko : Etudes kantiennes, J Vrin, Paris 19
82, 216 pages.
Bernard Bourgeois : Philosophie et droits de l'homme (de
Kant a Marx), PUF (questions), Paris 1990.
Eric Weil : Les problèmes kantiens, J. Vrin, Paris
197 8.
Gerard Kriiger : Critique et morale chez Kant, ed.
Bauchesne, Paris 1961.
Hannah Arndt: Lecture on Kant's political philosophy,
Harvestes press, Chicago, 19 82.
Jean Lacroix: Kant (que sais-ie ?), PUF 96 ed. 1991, 127
pages.
Monique Castello : Kant et l'avenir de la culture, PUF,
Paris 1990. Simone Goyard Fabre : Kant et le probleme du droit, J. Vrin
Paris 1975 C. Ouvra2es 2eneraux
Alain Tourraine : Qu'est-ce que la democratie ? Fayard,
1994.
Chantale Million Del sol : Les idees politiques au XX6
siècle, PUF, Paris 1991. Charles Ledre : Histoire de la
presse, Fayard, 195 8.
C.M. Eya Nehouma : Developpement et droits de l'homme en
Afrique, ed. Published, Paris 1991.
Dominique Colas : La pensee politique, Larousse, 1992, 72
8 pages. Eric Weil : Philosophie politique, Vrin, Paris, 1994, 261
pages.
Francois Akindes : Les mirages de la democratie en Afrique
subsaharienne francophone, Karthala, 1996, 246 pages.
Frederick Hayek : Droit, legislation et liberte, Tome II,
PUF 19 86.
Frederick M. Walkins : L'ere des ideologies (la pensee
politique de 1750 a nos iours) ed. Nouveaux Horizons, 1966.
G. L. Bufford : De l'homme, Maspero, 1971.
Guy Hermot : Culture et democratie, ed. UNESCO, 1963.
Hannah Arendt : Qu'est-ce la politique ? Ed. Seuil, 1995. Hans Jonas
: Le principe responsabilite, ed. Du CERF, Paris, 1991.
Hans Kelsen : Democratie (sa nature, sa valeur), ed.
Economia, Paris, 19 88.
Hobbes : Le citoyen ou le fondement de la politique,
Flammarion, Paris, 19 82, 405 pages.
J.J. Rousseau : Du contrat social, ed. Sociales, Paris,
1971.
J.J. Rousseau : Emile ou de l'education, Flammarion,
Paris, 1966.
Jean Touchard : Histoire des idees politiques (du
XIII& siècle a nos jours) Tome 2 PUF, Paris, 195 8.
Joachim Rittler : Hegel et la revolution francaise, ed. Bauchesne
et fils, Paris, 1970.
John Rawls : Theorie de la justice, ed. Seuil, Paris, 19
87.
Kä Mana : L'Afrique va-t-elle mourir ? Essai
d'ethique politique, Karthala, 1993, 21 8 pages.
Machiavel : cEuvres completes, Gallimard, 1952. Michel
Delattre : Le devoir, quintelle, Paris, 1991.
Monique Chamelier Gendreau : Humanite et souverainete, ed.
La decouverte, Paris, 1965.
Montesquieu : L'esprit des lois, Tome I, Gallimard, 1949.
Montesquieu : L'esprit des lois, Tome II, Gamier freres, 1961.
M. Senellait : Machiavel et raison d'Etat, PUF, 19 89.
Northcote Parkinson : L'evolution de la pensee politique,
Tomme II, Gallimard, 1965.
Philippe Braillard et Mohamed Reza D : Tiers-monde et
relations internationales, ed. Masson, 19 84.
Pierre Tellard de Chardin : L'avenir de l'homme, ed. Du
Seuil, Paris, 1959. Pierre Yves Bandil : Ressusciter la politique,
Ellipses, 1996, 213 pages.
Platon : La république, Flammarion, Paris, 1996.
Saint Juste : L'esprit de la révolution, éd.
101 8, Paris, 1963. Spinoza : Traité de l'autorité
politique, Gallimard, 197 8.
D. Revues, articles et rnernoires
1. "Pouvoirs" (Revue francaise d'études
constitutionnelles et politiques) : Morale et politique, PUF, Paris,
1993.
2. Mahamadé SAWADOGO : Kant et la politique.
3. "Démocraties africaines" (Revue trimestrielle de
l'institut africain pour la démocratie), N°4 octobre -- -- novembre
-- -- décembre. 1995.
4. "Contre-point", Revue francaise, été 1971.
5. "L'événement du Jeudi" (Magazine), du 2 au 8
avril 199 8.
6. Mamadou ILBOUDO : L'automne de la volonté comme
fondement de la morale chez Kant, et comme perspective d'émancipation
en politique, mémoire de maitrise de philosophie, sous la direction
de Mahamadé SAWADOGO, Agrégé, Docteur, Assistant de
philosophie.
|