Mathilde Jannot Université Paris Diderot-Paris
7 Département de Sciences Humaines et Sociales M2 «
Politiques culturelles » Année 2010-2011
Mémoire Sous la direction de M. Jean-Cédric
Delvainquière Jury composé de Messieurs Jean-Cédric
Delvainquière et Laurent Fleury
Patrimoine et musées ; opportunités
politiques, culturelles, économiques et
touristiques au service des villes ?
Metz et l'arrivée du Centre Pompidou.
Remerciements
Je souhaite exprimer mes plus vifs remerciements ;
A mon directeur de mémoire, M. Jean-Cédric
Delvainquière, qui m'a assuré de son soutien et de ses conseils
précieux pour ce mémoire de fin d'étude en jouant le
contre la montre ;
A M. Laurent Le Bon -Directeur du Centre Pompidou-Metz-, M.
Jean-Marie Rausch - Maire de Metz de 1971 à 2008- et M. Antoine
Fonté - Adjoint au Maire de Metz, chargé de la culture - qui
m'ont fait l'honneur de me recevoir pour répondre à mes questions
malgré leurs emplois du temps respectifs plus que chargés ;
A Lauriane pour sa relecture avisée et à tous
ceux et celles qui ont porté un intérêt à ce
mémoire ;
Enfin, je souhaite, par ce dernier travail universitaire,
afficher ma plus profonde reconnaissance à tous les professeurs qui, par
leurs enseignements m'ont transmis leurs savoirs, m'ont encouragée,
conseillée, soutenue et fait confiance tout au long de ma
scolarité. Ils me lèguent ainsi, je le crois, une belle
propédeutique professionnelle. Que tous ceux et celles, parents, amis et
collègues, qui ont contribué, de près ou de loin, à
cet enrichissement intellectuel soient également gratifiés.
Résumé
En s'appuyant sur l'arrivée d'une institution soeur du
Centre Georges Pompidou à Metz, on s'interroge sur la nouvelle politique
culturelle que Metz s'est donnée.
On tente tout d'abord, en revenant sur la genèse du
projet, de savoir quelles ont été les motivations de cette
implantation. On s'intéresse aux finalités des
collectivités territoriales avec une institution nationale, grace
à la mise en place d'une gouvernance, rendue possible par le statut
d'EPCC. Grace à la création d'un nouveau bâtiment --et par
conséquent d'un patrimoine nouveau- on se questionne sur son
architecture en examinant les bienfaits escomptés du geste
architectural.
On s'interroge ensuite sur une certaine forme
d'instrumentalisation de la culture, en cherchant au - delà du consensus
politique opéré, si le politique s'insère dans le contenu
scientifique. On analyse après le travail des professionnels. Il s'agit
de savoir comment perpétuer en région l'idée de
l'institution nationale-soeur. On s'enquiert ensuite de voir pourquoi
l'exposition inaugurale a été si importante, en se donnant pour
objectif de marquer les esprits. On recherche ensuite les préoccupations
professionnelles menées à destination des visiteurs.
Enfin, on consulte les résultats et retombées
provoqués par ce nouveau lieu. On revient en amont sur les moyens
médiatiques et technologiques mis en place pour obtenir d'une part une
fréquentation importante rendant possible d'autre part des
retombées économiques indirectes. Finalement, on observe à
court terme des suites symboliques positives en termes d'image.
Sommaire
I. Créer un patrimoine nouveau 13
A. Naissance d'un projet 13
B. La rencontre de deux ambitions 21
C. Une architecture porte-drapeau ' 27
II. Instrumentaliser la culture ' 36
A. Un consensus politique 36
B. Les scientifiques à l'ouvrage 40
|
1. Un musée sans collections ? ou comment
perpétuer l'idée du Centre Georges
Pompidou. 40
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2. Rester conventionnel avec Chefs-d'oeuvre ? '
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47
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3. La difficile question des publics
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52
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III.
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Les résultats
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58
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A.
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Médiatiser l'événement
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58
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1. Une campagne électorale pour un lieu culturel '
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58
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2. L'utilisation des Nouvelles Technologies de l'Information
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et
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de
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la
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Communication (NTIC)
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62
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B.
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Des retombées économiques directes et indirectes
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64
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1. Une fréquentation phénoménale
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64
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2. Une économie indirecte
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67
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C.
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La ville carte-postale, effacer les stéréotypes
pour en recréer d'autres
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73
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4
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Introduction
Lors de notre recherche en Master 11, nous avions
effectué un travail de longue haleine cherchant à savoir au
travers de l'exemple de Nancy et de ses grands rendez-vous, si la culture (dans
un sens assez élargi)2 pouvait être un biais
intéressant pour une collectivité territoriale aussi importante
qu'une municipalité. On en retirait l'idée que la culture jouait
un rôle au sein d'une politique globale. En s'insérant dans une
politique événementielle, Nancy a su, grâce à la
culture, instaurer un consensus autour du phénomène culturel, en
créant du lien social, grâce à une dynamique touristique
impliquant des flux économiques. Le patrimoine possédait une
certaine aura créant une dynamique sociale. Les retombées
économiques étaient envisagées sur du court terme mais des
incidences symboliques s'avéraient plus pérennes.
L'événement, émanant souvent du politique mais toujours
établi par des professionnels, devenait un temps fort pour le
musée s'inscrivant dans sa logique d'imprescriptibilité. Il nous
semble intéressant, de reprendre ces éléments et de
poursuivre cette entreprise avec Metz, qui se trouve dans une aire
géographiquement proche (47 km). Cette ville, vient d'accueillir
l'arrivée du Centre Pompidou-Metz, inauguré publiquement le 11
mai 2010. Notre sujet cette année est plus spécifique, car il se
restreint au patrimoine et aux musées. Il s'agit en effet des
éléments culturels qui avaient été
étudiés en grande partie dans notre travail de l'an passé,
que nous avions généralisé sous le terme de « culture
». Nous aurions souhaité en premier lieu, mener une étude
comparative, qui nous a finalement paru trop colossale pour être
menée.
Dans un contexte de concurrence de plus en plus âpre
entre les villes, chacune d'entre elles cherche à véhiculer une
image positive pour attirer des investisseurs et des nouveaux habitants. C'est
dans cette optique que nous nous inscrivons en cherchant à trouver les
objectifs qui ont poussé Metz à faire un tel pari avec le Centre
Georges Pompidou.
1 La culture ; opportunité politique,
économique, touristique et sociale au service des villes ? Exemple de la
ville de Nancy et ses grands rendez-vous.
2 Nous avions retenu la définition
adoptée par l'UNESCO à Mexico en 1982 : « l'ensemble des
traits distinctifs spirituel et matériels, intellectuels et affectifs
qui caractérisent une société ou un groupe social. Elle
englobe outre les arts et les lettres, les modes de vie, les droits
fondamentaux de l'être humain, les systèmes de valeurs, les
traditions et les croyances ».
On souhaite présenter en préambule un bref
condensé de l'histoire messine, afin de remettre en contexte
l'arrivée du Centre Pompidou-Metz. Aucun territoire n'étant
neutre, iinous paraît judicieux d'avoir un premier recul
historique.
Les premières installations humaines sur le site de
Metz sont attestées vers 3500 avant J.C. La période romaine
favorise un essor fondé sur le commerce mais aussi sur des fonctions
administratives et cultuelles. La prospérité est, notamment,
soulignée par la construction de thermes et d'un des plus grands
amphithéâtres de l'Empire. Metz devient en 561 la résidence
des rois d'Austrasie. La cité est une capitale artistique, avec des
ateliers de calligraphie et d'enluminure, des écoles de chant, mais
aussi un important foyer de vie spirituelle. Après l'éclatement
de l'empire de Charlemagne, la cité dépend théoriquement
du Saint Empire Romain Germanique. Elle est gouvernée par des
évêques qui exercent des droits souverains. En fait, Metz
bénéficie d'une véritable indépendance tout au long
du Moyen-age. En 1234, les bourgeois s'émancipent de la tutelle de
l'évêque. Metz se constitue en ville libre avec à sa
tête un maître échevin choisi parmi les Paraiges,
association des familles patriciennes si puissantes et si riches qu'elles
prêtent couramment aux ducs de Lorraine (localisés à
Nancy), et même aux rois de France ou à l'Empereur. Peuplée
d'environ 30 000 habitants, Metz n'a que très peu de villes concurrentes
proches. Elle vit de ses activités de tannerie et de draperie, du
commerce du vin et du sel, de l'élevage de chevaux, de l'échange
d'objets luxueux (tissus précieux, épices) et de la vente
d'armures. Changeurs et banquiers toscans ou lombards investissent les rues
pour en faire une place financière européenne. Metz devient une
ville française mais son rattachement n'est officiellement reconnu qu'au
traité de Westphalie (1648). Metz renforce alors sa fonction militaire
avec l'établissement d'une vaste citadelle à partir de 1561. La
fonction militaire et administrative semble s'imposer dans la vie de la
cité. A l'issue de plusieurs batailles en 1870, Metz est livrée
au Reich. L'annexion provoque le départ de nombreux habitants. Metz
conserve cependant un rôle militaire essentiel avec une garnison
d'environ 20 000 hommes, ce qui nécessite la construction de 22
casernes. Elle redevient française en 1918. Metz est de nouveau
annexée et libérée pendant la seconde guerre mondiale.
Après la guerre, Metz retrouve sa tradition commerçante avec un
centre-ville dynamique. Dans les années 1970, elle devient capitale de
Région. Parallèlement, la municipalité décide de
ré-urbaniser le centre et de créer de nombreux espaces verts,
sous l'impulsion de Jean-Marie Pelt. Elle se dote de nouveaux services tant
avec le technopôle qu'avec son
université et les grandes écoles (ENIM,
SUPELEC...). Elle bénéficie de la construction européenne
avec des relations franco-allemandes et franco-luxembourgeoises
privilégiées. Metz compte aujourd'hui 125 000 habitants
3et son agglomération 230 000.4 Metz, on le
constate est historiquement, une ville à l'âme commerçante
et prospère plus qu'une ville de tradition culturelle. Sans renforcer la
querelle « Nancy-Metz », éloignant les deux villes depuis
l'après-guerre pour de multiples raisons, il n'est pas vain d'admettre
que Nancy se revendique comme la capitale artistique et culturelle de la
Lorraine, par antériorité, grâce à la
présence au Moyen-âge des Ducs de Lorraine.
Nous souhaitons poser quelques jalons en revenant sur une
chronologie linéaire5 , objective car factuelle, de la
décision d'implantation du Centre Georges Pompidou à Metz. Au fil
de notre étude, nous y reviendrons. Il s'agira ici de trouver des
repères importants, que nous jugeons nécessaires d'avoir à
l'esprit et qui pourront servir de vade-mecum.
9 janvier 2003 : Annonce par le Centre
Pompidou et la Ville de Metz, en accord avec le ministère de la Culture
et de la Communication, de la première décentralisation d'une
institution culturelle nationale en France : le Centre Pompidou-Metz,
institution soeur du Centre Pompidou, réalisée en partenariat
avec les collectivités territoriales.
Mars 2003 : Lancement du concours international
d'architecture.
15 décembre 2003 : Shigeru Ban (Tokyo),
Jean de Gastines (Paris) et Philip Gumuchdjian (Londres) sont lauréats
du concours international d'architecture.
Septembre 2005 : Obtention du permis de
construire. 2006-2009 : Chantier de construction.
· Juin 2006 : Ouverture de la Maison du
Projet, structure temporaire située aux abords du chantier,
conçue par les architectes du Centre Pompidou-Metz, Shigeru
3
http://www.insee.fr/fr/ppp/basesdedonnees/recensement/populationslegales/commune.asp?annee=2008&dep
com=57463 , Recensement de la population 2008.
4
http://www.metzmetropole.fr/site/institution_intercomm01.php
5
http://www.centrepompidou-metz.fr/les-grandes-etapes
A ce titre, nous nous excusons auprès du lecteur de faire un
récapitulatif événementiel un peu rébarbatif, au
sens où - comme le définissent Louis-Marie Morfaux et Jean
Lefranc- « la conception de l'histoire se réduit à un simple
récit des faits dans leur filiation sérielle en s'interdisant
toute recherche des causes ou toute interprétation d'ensemble.
Ban et Jean de Gastines. Elle informera le public sur le projet
culturel et architectural du Centre Pompidou-Metz jusqu'en octobre 2009.
· 7 novembre 2006 : Pose de la
première pierre du Centre Pompidou-Metz.
· 28 décembre 2007 : Signature
de la convention préparatoire d'association entre le Centre Pompidou et
le Centre Pompidou-Metz, avec la Communauté d'agglomération de
Metz-Métropole.
· 15 mai-4 octobre 2009 :
Constellation, manifestation de préfiguration du Centre
Pompidou-Metz : plus de 300 000 visites en cinq mois sur dix-neuf lieux
d'exposition, à Metz et en Lorraine.
10 novembre 2009 : Signature du protocole
d'accord par Bernard Niquet, Préfet de la Région Lorraine et de
la Moselle et Alain Seban, président du Centre Pompidou ; Jean-Pierre
Masseret, président de la Région Lorraine, Philippe Leroy,
président du Conseil Général de Moselle, Jean-Luc Bohl,
président de Metz Métropole, Dominique Gros, Maire de Metz. Le
protocole d'accord détermine les aspects statutaires, budgétaires
et de gouvernance du Centre Pompidou-Metz, constitué en
Établissement Public de Coopération Culturelle (EPCC) dont les
membres sont Metz Métropole (40 communes), la Région Lorraine, la
Ville de Metz, le Centre Georges Pompidou et l'État.
11 mai 2010 : Inauguration officielle du Centre
Pompidou-Metz, par le président de la République.
12-16 mai 2010 : Ouverture au public en offrant
cinq jours d'accès gratuit et de festivités. Le Centre
Pompidou-Metz comprend :
- 5 020m2 de surface d'exposition, dont 3 galeries de
1150m2 d'exposition chacune, - Une grande nef de 1200
m2,
- Un auditorium de 144 places,
- Un studio de création de 196 places,
- Un café « Le 333 »6,
- Un restaurant « La voile blanche »,
6 Rappelant ainsi la distance kilométrique qui
sépare Metz de Paris.
- Une librairie-boutique.7
Administrativement, les collectivités territoriales
ont fait le choix du statut d'Etablissement Public de Coopération
Culturelle. Ce statut8 permet de garantir à la fois
l'autonomie des choix scientifiques et culturels de la nouvelle institution,
l'engagement et le contrôle des collectivités territoriales, qui
en assument le financement et la proximité avec le Centre Pompidou
vis-à-vis de quoi le Centre Pompidou-Metz aura le statut d'organisme
associé. Le Centre Pompidou et l'État détiennent ensemble
le tiers des sièges au conseil d'administration du Centre Pompidou-Metz.
Les autres sièges sont répartis entre Metz Métropole, la
Région Lorraine et la Ville de Metz. Le président du Conseil
Général de la Moselle participe au conseil d'administration en
tant que personnalité qualifiée.
Le conseil d'administration est présidé par Alain
Seban, président du Centre Pompidou. Le président de Metz
Métropole, Jean-Luc Bohl, en est le vice-président.
Le directeur du Centre Pompidou-Metz est Laurent Le Bon,
conservateur en chef au Musée national d'art moderne. Le directeur du
Centre Pompidou-Metz jouit, conformément aux règles
régissant le fonctionnement des EPCC, d'une large autonomie en
matière culturelle et scientifique. Conformément au Code
général des collectivités territoriales, il est
nommé par le président de l'EPCC sur proposition du conseil
d'administration statuant à la majorité des deux-tiers.
Le conseil d'administration de l'EPCC est composé de 26
membres, répartis comme-suit :
- Etat et Centre Georges Pompidou : 8 sièges ;
- Personnalité qualifiée désignée
par le président du Centre Pompidou : 1 siège ; - Metz
Métropole : 7 sièges ;
- Région Lorraine : 5 sièges ;
- Ville de Metz : 1 siège ;
- M. le Maire de Metz : 1 siège ;
- Représentants du personnel : 1 siège.
7 Alimenté par la librairie Flammarion.
8
http://www.centrepompidou-metz.fr/leppc
Il est à noter que l'association de préfiguration
du Centre Pompidou-Metz était constituée en association de droit
mosellan.9
Par ce statut, les collectivités partenaires prennent
en charge intégralement le budget de fonctionnement du Centre
Pompidou-Metz évalué pour la première année
à 10 millions d'euros en dépenses, dont :
- 4,6 millions d'euros versés par Metz
Métropole,
- 4 millions d'euros par la Région Lorraine,
- 400 000 euros par la Ville de Metz
- 1 million d'euros d'autofinancement,
- Le Conseil Général de la Moselle s'engage
à étudier annuellement une convention de partenariat avec le
Centre Pompidou-Metz.
Enfin, le projet culturel du Centre Pompidou-Metz repose sur
quatre priorités10 :
- Faire découvrir la création artistique sous
toutes ses formes,
- Donner des clés de lecture de l'histoire de l'art
depuis 1905,
- Emouvoir et inviter le spectateur à appréhender
le monde par le biais artistique, - Elargir la fréquentation à de
nouveaux publics.
On essaiera de savoir, au fil de notre recherche, si, au
travers de l'exemple messin, le patrimoine et les musées peuvent servir
d'opportunités politiques, culturelles, économiques, touristiques
aux villes ?
C'est dans ces circonstances que l'on cherchera à
comprendre pourquoi une ville investit (et quel est l'intérêt
d'investir) dans un patrimoine nouveau, porté par une architecture
innovante et peu conventionnelle. On se demandera si la ville ne cherche pas
à faire fi de son passé militaire et sidérurgique en se
créant une nouvelle identité. Par cet aspect assimilable à
une marque ou à un label culturel, que valorise-t-on ? Une collection
nationale ou la rénovation et la régénération d'une
ville ? Prête-t-on attention au patrimoine déjà existant ?
Il s'agit également de penser la question de la
décentralisation.
9 En effet, la Moselle bénéficie encore
d'un régime juridique particulier suite à l'annexion allemande de
1870.
10
http://www.centrepompidou-metz.fr/la-vocation-du-cpm
En outre, il nous semble pertinent de savoir les moyens que
la ville de Metz s'est donné. S'agit-il d'une volonté politique
à visée électorale pour les élus en donnant
à Metz une image attractive ? Peut-on parler d'opportunité, au
sens positif du terme11, politique ? Dans quelle mesure le projet
d'implantation d'un nouveau musée à Metz12, alors que
la ville a déjà un « potentiel » patrimonial, implique
les collectivités territoriales ? Comment y parvient-on ? De quelle aura
médiatique, Metz a-t-elle bénéficié ? Dans quelle
mesure le numérique est utilisé pour conforter la présence
du Centre Pompidou-Metz ? S'il est questions des moyens, il est
également question de fins en s'interrogeant sur les retombées
tant sur le plan économique que symbolique. L'arrivée d'un
établissement culturel en région est-elle un moyen d'attraction
économique et touristique ? On veillera toutefois à ne pas se
méprendre avec des chiffres trop flous, tout en sachant qu'il s'agit de
la première année d'ouverture du Centre Pompidou-Metz.
Enfin, on cherchera à comprendre comment une
volonté politique affirmée parvient à un consensus,
outrepassant les partis politiques et s'il est fait mention d'une
liberté quelconque vis-à-vis des scientifiques du musée.
Quels regards portent les scientifiques en s'interrogeant sur cette forme
hybride revitalisée d'un musée ? Comment les professionnels
envisagent-ils la présentation de l'art contemporain ? Comment est prise
en compte la question des publics ?
Au cours de notre recherche, on s'est essentiellement
appuyés sur des entretiens avec des acteurs importants du projet. Nous
avons rencontré, le directeur du Centre Pompidou-Metz, Laurent Le Bon,
directeur du Centre Pompidou-Metz dont la vie du Centre dépend à
présent ; l'ancien maire de Metz, à l'initiative de la
décision d'implantation du Centre Pompidou à Metz. Nous voulions
interroger le maire actuel de Metz, Dominique Gros, dont l'emploi du temps ne
nous permettait pas de nous recevoir mais qui nous a fait la grâce de
faire rencontrer son adjoint à la culture, Antoine Fonté.
Rencontrer ces acteurs était pour nous une façon importante
d'aborder notre sujet, beaucoup plus pertinente nous semble t'il, que de rester
sur des paroles et récits rapportés. Notre analyse dépend
en effet, de cette matière riche.
11 On définit ainsi l'opportunité
par une occasion ou circonstance favorable, qui convient à la situation
du moment. Par opportunisme, on entend, le comportement d'une personne qui agit
en fonction des circonstances et sait favorablement exploiter les occasions.
12 Les musées de la Cour d'or (qui regroupent
en fait, trois types de musées : musée d'archéologie,
musée de beaux-arts et le musée d'architecture) existent depuis
1839.
Pour commencer, on s'interrogera sur la volonté de
création d'un patrimoine nouveau. On reviendra tout d'abord sur les
prémices du projet avec une mise en perspective des acteurs qui ont
été parties prenantes. On analysera ensuite la rencontre des
collectivités territoriales opérées avec un
établissement national avant d'étudier l'opération
architecturale, créatrice de ce nouveau patrimoine.
En poursuivant, on cherchera à savoir si la culture
sert de prétexte. On observera d'emblée l'accord politique qui
s'est produit avant de s'intéresser au travail scientifique des
professionnels. On souhaite sonder le concept de musée pour savoir s'il
s'agit à Metz d'une coquille vide et comment il est
procédé au prolongement de l'idée du Centre Georges
Pompidou. Après avoir cherché le fonctionnement de ce nouvel
« objet » culturel, on analysera l'exposition inaugurale avant de se
concentrer sur la question des publics.
En dernier lieu, on examinera les résultats et leurs
causalités. On étudiera la médiatisation de
l'événement obtenue grâce aux médias et aux nouveaux
outils qui l'encouragent. On portera un intérét aux
retombées économique, en s'attachant à la
fréquentation du lieu et aux faits qu'il induit. Enfin, on observera les
effets en termes d'image.
Toutes ces questions, nous souhaitons les poser dans un
état d'esprit critique face à l'effervescence et l'engouement
qu'ont généré le projet, puis l'ouverture du Centre
Pompidou-Metz, en veillant à rester le plus partiale possible au regard
de l'euphorie politique et journalistique qui ont été rendus.
Nous gardons à l'esprit la formule d'Italo Calvino13 :
« Personne ne sait mieux que toi, sage Kublai, qu'il ne
faut jamais confondre la ville avec le discours qui la décrit.
»
et tenterons de faire au mieux pour garder un certain esprit
critique.
Cette interrogation nous apparaît importante quant
à notre avenir professionnel, que nous souhaitons effectuer dans ce
domaine. Il nous semble légitime qu'à l'avenir nous soyons
capables de distancier le théorique face aux réalités du
terrain tout en restant dans un juste équilibre.
13 Italo Calvino, Les villes invisibles,
Points, 1984, p.75.
I. Créer un patrimoine nouveau
A. Naissance d'un projet
Au Moyen-âge, on bâtissait des cathédrales
à la gloire de Dieu. A Metz, pour filer la métaphore, on
décide de célébrer l'éclat de la ville. Il est
nécessaire pour cela de revenir également sur l'histoire d'un
homme, l'ancien Maire de Metz, Jean-Marie Rausch.14 Elu en 1971, il
ne peut s'empêcher de constater que la ville est desservie par une
mauvaise image. Plusieurs raisons à cette observation : Les hommes
mobilisés pendant la guerre à Metz ont vécu un des hivers
le plus froid. On conserve le cliché de Metz comme étant une
ville de caserne, proche de la sidérurgie dont on connait les
désagréments. Enfin, si la guerre a fait peu de
démolitions, Metz subit les conséquences du baby-boom et est
confrontée à un manque de logements. Avant l'arrivée de
Jean-Marie Rausch, on avait commencé pour cette raison à entamer
de nombreuses démolitions dans la ville pour y faire des logements.
Autant que faire se peut, le maire et son adjoint, Jean-Marie Pelt tentent de
stopper les travaux de démolition à la faveur d'une restauration
du patrimoine. Suite à son élection, la journaliste Catherine Ney
était venue interviewer Jean-Marie Rausch et lui avait confié
qu'elle avait fait le déplacement uniquement pour l'interview mais que
Metz n'était pas une belle ville et qu'elle n'était pas
préte d'y revenir. Quelque peu offensé par la réaction de
la journaliste, le maire fait alors appel à Georges Chétochine,
grand communiquant parisien à l'heure où les villes
n'étaient pas encore très aux faits de la communication. Il vient
à Metz et rend son avis en établissant le problème : La
ville bénéficie d'un mauvais stéréotype. Pour lui
:
« On ne lutte pas contre un stéréotype de
face en essayant de le nier, il faut lui substituer un autre
stéréotype mais c'est une opération de très longue
durée ».
Jean-Marie Rausch prend note de ces paroles. Cependant il sait
qu'un temps long sera nécessaire pour parer à cette image.
Avec les conseils de Jean-Marie Pelt, il fait nettoyer les façades,
augmente la surface des espaces verts et fait réaménager les
bords de la
14 Entretien réalisé avec M. Jean-Marie
Rausch, le 16 février 2011 à Metz.
Moselle. Deux mandats sont passés, des
améliorations ont été apportées, il y a un
réel embellissement de la ville mais cela ne se sait pas encore. Une
solution peut être apportée en attirant des services, des
sociétés et des capitaux. A ce titre, il nous parait juste de
rappeler que:
" La notion d'attraction s'est confortée à
la fin du XVIIIème siècle et au début du XIXème
siècle par l'analogie scientifique que l'on établit entre les
établissements humains et la science physique qu'il s'agisse
d'astronomie ou d'aimantation. La science physique se croise avec un autre sens
donné au XVIIème siècle au mot attrait qui signifie
séduction exercée par une personne ou un paysage.
»15
Avec l'émergence des nouvelles technologies,
l'idée de créer un technopôle apparaît
nécessaire. Elle est concrétisée en 1982 avec Georgia
Tech, en s'inspirant des modèles américains et du modèle
français de Sofia-Antipolis avec un parc d'activités de 200 ha
spécialisé dans la télématique et les
systèmes de communication. A ce moment-là, Jean-Marie Rausch
s'aperçoit que pour attirer la venue de cadres, d'industries et de
services, il faut impérativement que le niveau d'équipements
culturels et la vie culturelle s'enrichissent. Ce dont Thierry Jean,
président de la commission économique d'intérêt
communautaire de Metz Métropole16 convient en souriant:
" Quand on veut faire venir un cadre, il faut d'abord
convaincre sa femme ! Pour linstant, c'est plus facile à Montpellier ou
à Nantes qu'à Metz. Mais petit à petit, le Centre
Pompidou-Metz pourrait changer linconscient collectif. »17
L'état des lieux culturels de la ville de Metz est
fait assez rapidement, en accordant qu'il y a un musée, mais celui-ci
est ancien et ne possède que très peu d'art contemporain. Il y a
peu de musique. Grâce à la récupération de
l'orchestre de Strasbourg, il est possible d'avoir des concerts de
qualité. Ce qui nécessite l'ouverture d'une salle
dédiée. Jean-Marie Rausch décide alors de
réhabiliter l'ancien arsenal, construit entre 1860 et 1864, pour en
15 Roncayolo Marcel, « Réflexions autour
de la notion d'attractivité », L'attractivité des
territoires : regards croisés, p.43.
16 Thierry Jean est adjoint au Maire de Metz actuel :
Dominique Gros (PS): au développement économique, au commerce,
à l'artisanat, aux foires et aux marchés, et au tourisme.
17 Nicolas Bastuck et Claire Guillot, « Le Centre
sera-t-il une manne pour la région ? », Le Monde Spécial,
mardi, 11 mai 2010, p. 4 Spécial Centre Pompidou-Metz.
faire une salle de concerts entre 1984 et 1989. La
rénovation est confiée à Riccardo Bofill et
désormais, musique, danse et création contemporaine trouvent leur
expression à Metz. Il est éventuellement question d'accueillir
à Metz le legs universel de Bernard Buffet si un musée peut
l'accueillir mais au dernier moment, les héritiers se rétractent.
En 1998, la Ministre de la Culture, Catherine Trautmann manifeste la
volonté de fêter le passage au XXIe siècle. La commission
est présidée par Jean-Jacques Aillagon (alors président du
Centre Georges Pompidou) à laquelle Christine Raffin, adjointe à
la culture de M. Rausch, participe. En 1999, Catherine Tasca remplace Catherine
Trautmann, mais la moitié des projets de ville passant à l'an
2000 est éliminée pour des raisons budgétaires.
Jean-Jacques Aillagon annonce à Mme Raffin que Metz n'est plus
retenue.
Depuis qu'il assure la direction du Centre Georges Pompidou
en 1996, d'importants travaux ont impliqué une longue fermeture du
Centre. Néanmoins le Centre manifeste le souhait d'exposer les
collections nationales, malgré les travaux. Cela entraîne la
création d'un programme « hors les murs », qui permet avec
l'aide de grands musées en région, de présenter sur tout
le territoire français mais également à l'étranger,
une trentaine d'expositions. Le succès de cette politique offre alors un
nouvel horizon au Centre Pompidou, celui de créer un autre Centre
Pompidou en région. Au fil de la conversation, il lui fait part de son
intention de décentraliser le Centre Georges Pompidou. Il fait
état du projet et de l'avancement de la proposition faite à
d'autres villes. En l'espèce, il est mentionné que l'engagement
ne pourra être fait par l'Etat mais uniquement par les
collectivités territoriales. Refus de la part de Martine Aubry à
Lille, du maire de Caen qui n'a pas voulu laisser un chantier à son
successeur. A Montpellier, Georges Frêche était d'accord à
la condition que l'Etat paie. Il avait été question de Villeneuve
d'Ascq également. André Rossinot, maire de Nancy, n'avait pas les
moyens pour réaliser le projet. Christine Raffin propose à
Jean-Jacques Aillagon de rencontrer le maire de Metz. Ayant passé une
infime partie de son enfance à Metz, il connait la Lorraine et les lieux
communs qui obstruent son avenir, il est assez peu séduit par
l'idée. Néanmoins Jean-Jacques Aillagon accepte un
déjeuner à Metz en compagnie du Maire et de Mme Raffin.
Conquis par l'idée d'une décentralisation du
Centre Georges Pompidou à Metz, M. Rausch ne fait pas la sourde oreille
et en demande le prix. M. Aillagon répond alors qu'il en irait de
vingt-cinq millions d'euros. Lors de notre interview, Jean-Marie Rausch nous
apostrophe en nous rappelant qu'il a été
ministre de François Mitterrand pendant quatre ans18 , qui,
au cours d'un entretien lui parlait des grands travaux en le prévenant
que : « quand on vous annonce un chiffre, multipliez le toujours par deux
ou par trois, pour avoir une estimation à peu près fiable ».
En se souvenant de ce dialogue, Jean-Marie Rausch sur un ton interrogateur dit
à Jean-Jacques Aillagon : « Donc ça fait soixante millions
d'euros ? ». Ce, à quoi, Jean-Jacques Aillagon, interloqué
demande s'il se rétracte. Jean-Marie Rausch a alors répondu :
« Si, je prends parce que moi j'ai les moyens. ». D'un air
assuré, l'ancien maire nous annonce qu'il avait géré la
ville en bon père de famille, qu'il était économe et que
par voie de conséquence, il était possible de réaliser un
tel projet. Stupéfait de voir un projet, qu'il pensait avorté,
Jean-Jacques Aillagon s'étonne de la certitude de la réponse, de
la rapidité tout en n'omettant pas l'éventualité d'un
refus en conseil municipal. Paroles sur lesquelles, M. Rausch affirme la
certitude qu'il aurait à convaincre son conseil en demandant à M.
Aillagon de ne pas proposer le projet ailleurs. De fil en aiguille, le maire en
parle à ses adjoints qui étaient tous d'accord. Aucun ne s'est
d'ailleurs posé la question de savoir s'il avait les moyens, " s'il
le proposait, c'était parce qu'il était slir d'avoir les
crédits pour » comme le relate Thierry Jean dans
l'émission Sur les docks. 19 En conseil municipal,
Jean-Marie Rausch réussit à obtenir l'unanimité, y compris
de son opposition de gauche. Schéma presque similaire à la
Communauté d'agglomération de Metz Métropole20
avec 150 voix pour, sur 200.
Metz avait donc plusieurs éléments à sa
faveur comme le résume Patrick Thull21 : une position
géographique intéressante avec la proximité relative de
l'Allemagne, du Luxembourg, de la Suisse, de la Belgique et des Pays-Bas ;
l'arrivée du Tgv Est en 2007 ; des finances saines et la volonté
d'un maire prompt. L'auteur assure qu'outre la fermeté du prix : "
S'il est un autre sujet sur lequel Jean-Marie Rausch sera
intransigeant,
18 Ministre du commerce extérieur de juin
1988 à mai 1991, Ministre délégué aux postes et aux
télécommunications de mai 1991 à avril 1992 et Ministre
délégué au commerce et à l'artisanat d'avril 1992
à octobre 1992.
19 « Jean-Marie Rausch et moi : la conquête du
pouvoir »,
20 Il s'agit de l'ancien nom de la communauté
d'agglomération, abrégée par le sigle CA2M. Par
convenance, on utilisera désormais dans nos références
à celles-ci, le nom actuel, Metz Métropole.
21 Jean- Marie Rausch, la passion de Metz,
Chapitre XVIII « Le père du Centre Pompidou-Metz », pp.269-
277.
c'est bien sur la date d'ouverture du musée. En
forme de boutade, il menace de se représenter en 2007 si les
délais ne sont pas tenus... »22
En outre, la municipalité disposait d'un terrain
central proche de la gare disponible et d'un quartier : le quartier de
l'Amphithéâtre, à urbaniser. En l'occurrence, ce terrain
était une friche de cinquante hectares qui avait servi d'ancienne foire
d'expositions, de gare de marchandises et de terrain pour les militaires. Il a
été classé comme Zone d'Aménagement Concerté
(ZAC) depuis février 2000. En 2002, les Arènes23,
nouveau palais omnisport de Metz avaient été inaugurées et
quelques mois plus tard, c'était au tour du parc de la
Seille24, dans ce même quartier. Par ailleurs, une demande
forte de bureaux se faisait sentir tandis que la ville voulait montrer sa
volonté de rechercher une certaine mixité entre commerces,
bureaux et logements. Des engagements fermes auraient été pris
pour neuf hectares. « Les premiers permis de construire ont
été déposés; pour le reste, les négociations
sont très avancées », assure Richard
Lioger25, premier adjoint26 chargé de l'urbanisme.
D'importants promoteurs sont en lice: Nexity, Nacara, Lazard, Bouygues... Des
entreprises telles Batigère, la Foncière des régions
27souhaitent installer leur siège sur le site, où un
hôtel, une crèche, une halle commerciale et un centre des
congrès devraient voir le jour. Un premier îlot est censé
sortir de terre au printemps 2012. On le voit, il s'agissait d'insérer
le Centre Pompidou-Metz dans un espace global, repensé et
réaménagé. D'une manière plus
générale, on peut remarquer que la vie culturelle est devenue un
indicateur de la qualité de vie qu'offre une ville, la création
de nouveaux équipements culturels vise à la doter d'une
infrastructure de prestige autour de laquelle s'articule l'ensemble d'un projet
urbain. Ces équipements sont conçus comme des outils de la
restructuration urbaine en créant de nouvelles centralités et de
nouveaux flux, participant à la revalorisation foncière et
à une requalification symbolique de la ville. Ainsi, dans un contexte
concurrentiel, les villes touchées par la crise industrielle ont mis en
place des actions destinées à rendre leur territoire attractif.
Créer une atmosphère créative permettrait
22 Ibid., p. 275
23
http://www.metz.fr/metz2/sortir/arenes/index.php
24
http://www.metz.fr/metz2/decouvrir/jardin/parc_seille.php
25Nicolas Bastuck, « Spécial Metz La
Bilbao de l'Est s'expose », Le Point, no. 1963, Villes, jeudi 29
avril 2010, p. 163-167.
26 De Dominique Gros, élu en 2008.
27
http://www.mairie-metz.fr/metz2/actions/projets_urbains/amphitheatre/index.php
d'attirer des talents et des entreprises. Le dynamisme des
villes se mesurerait alors à l'attractivité culturelle, qui
pourrait potentiellement attirer des capitaux économiques.
On peut penser comme Elsa Vivant que :
" La culture est ainsi utilisée dans le cadre des
politiques urbaines en tant qu'outil de valorisation de l'espace. (...) La
ville créative serait cela : un activisme culturel des élus
municipaux destiné à susciter le retour en ville de la population
aisée et cultivée. »28
En effet, méme si le choix des entreprises n'a pas
été entièrement décidé par la
municipalité Rausch, on peut considérer qu'il s'agissait d'un
tout. Le Centre Pompidou-Metz sortirait ainsi du lot, comme au coeur d'un
écrin. Sauf que les travaux et le chantier d'aménagement ne se
sont pas déroulés aussi rapidement que prévu. Dans notre
entretien, Jean-Marie Rausch estimait que s'il y avait un « loupé
»29, c'était celui de ne pas avoir mené de front,
la construction du palais des congrès ainsi que des logements, ce que la
municipalité entrante n'a pas poursuivi. D'un autre côté,
en lisant la seule description du projet du quartier de
l'Amphithéâtre, on découvre que chacun essaie se s'attirer
la rançon de la gloire :
" Le projet d'aménagement du Quartier de
l'Amphithéâtre est reparti sur des bases saines et attire à
nouveau [nous soulignons] les promoteurs. La sortie de terre de ce
quartier se fera îlots par îlots dans une logique de mixité
des fonctions, de qualités environnementales et d'attraction du site
grâce au Centre Pompidou-Metz. » 30
De fait, le Centre Pompidou-Metz ouvre une de ses galeries
face à un « no man's land » urbanistique, avant on
l'espère d'avoir un nouveau panorama, d'ici
201831orienté vers un point de vue choisi, comme le sont
déjà les galeries 2 et 3 exposées respectivement vers la
gare et la cathédrale.
28 Elsa Vivant, p.12
29 Interview Jean-Marie Rausch, le 16 février
2011, réalisée à Metz.
30
http://www.mairie-metz.fr/metz2/actions/projets_urbains/amphitheatre/index.php
31 Si les travaux sont menés à terme en
temps et en heure.
http://www.centrepompidou-metz.fr/le-quartieramphi
Pour autant, l'ancien maire n'hésite pas à
mener un parallèle avec Bilbao qui avait fait son palais des
congrès et ses bureaux en même temps : " L'idée
était la même du point de vue urbanistique. Ici, ça
viendra, je n'ai aucune crainte. »32 Pour lui, une chose
est sûre : " Le Centre Pompidou-Metz va générer un
retour plus important que ce qui a été engagé.
»33
On peut alors se demander s'il s'agit d'opportunisme
politique de la part de l'ancien maire. Selon Thierry Jean34, "
ce n'est pas un stratège, il fonctionne à l'instinct, ce n'est
pas un opportuniste au sens de Dutronc35». Toutefois, on
constate que malgré tout, M. Rausch envisageait de refaire un mandat en
2008. Il concède qu'il a été battu et qu'il a pris
conscience que ce ne serait pas possible. Magnanime, il affirme ensuite qu'il
n'y a aucun regret à avoir et que son successeur, Dominique Gros, a
encore de beaux jours devant lui, car il n'a aucun dauphin.36 On
remarque alors que Jean-Marie Rausch nourrit, comme l'indique le titre du livre
de Patrick Thull, un réel amour pour Metz et était quelque peu
visionnaire, puisque lorsqu'il détaille l'histoire du Centre
Pompidou-Metz, il remonte à l'aune de son premier mandat. Le point de
vue de Georges Chétochine, ne lui a pas été
indifférent. Il accorde qu'il n'est pas " un fana de l'art
contemporain. Je suis un fana des nouvelles technologies. J'ai pris l'art, je
l'avoue, je reconnais, parce que je savais que c'était indispensable
pour attirer même des gens des nouvelles technologies. » On est
en droit de dire que le maire était pour le moins précurseur. Il
affirme d'ailleurs que si beaucoup l'ont critiqué ou ont douté de
lui pour le technopôle, que peu de gens lui ont fait la même
remarque pour le Centre Pompidou-Metz.37 Ainsi,
apparaîtra-t-il pour la postérité. Car tout le monde
reconnaît sa paternité pour ce projet :
" Un grand maire laisse toujours une trace
derrière lui.38 Je pense que la trace que je laisserais ce sera
Pompidou, et curieusement ce sera la culture. (...). Alors que je ne suis pas
un homme de l'art. »39
32 Interview Jean-Marie Rausch,
réalisée le 16 février, à Metz.
33 Ibid.
34
http://www.franceculture.com/emission-sur-les-docks-%%AB-jean-marie-rausch-et-moi-22-la-perte-dupouvoir%%BB-2011-05-25.html
35 Le refrain de la chanson dit : « Il y en a
qui contestent, qui revendiquent et qui protestent. Moi je ne fais qu'un seul
geste, je retourne ma veste. Je retourne ma veste toujours du bon
côté. »
36 Interview Jean-Marie Rausch, le 16 février
2011, réalisée à Metz.
37 Ibid.
38 Jean-Marie Rausch a été maire de Metz
pendant 37 ans.
39 Interview Jean-Marie Rausch, le 16 février
2011, réalisée à Metz.
Si l'on condense notre pensée, celle de Bruno Racine,
alors président du Centre Georges Pompidou, la synthétise ici
:
« Le choix de Metz résulte d'une double
volonté : d'un côté, la yille et son maire, Jean-Marie
Rausch, ont fait le pari d'un ambitieux projet culturel comme vecteur d'une
image renouvelée de la cité, aussi bien que d'une mobilisation
des habitants autour d'une vaste question d'urbanisme, de l'autre
côté, le Centre Georges Pompidou, encouragé par l'Etat,
entendait démontrer en acte que les grandes institutions parisiennes
étaient au service de tous et n'avaient rien perdu de l'élan
originel. »40
Nous avons vu que le Centre Pompidou-Metz émanait sur
la volonté et le rôle déterminant d'un homme, Jean-Marie
Rausch. Pour nous, il est incontestable que sa seule ténacité,
inscrite dans une temporalité particulière, qui a fait se
repenser le modèle culturel du Centre Georges Pompidou, a
été déterminante. Dans ce mouvement de
déconcentration, Rausch a joué un rôle important. Il a
été convaincu pour sa ville de l'aubaine du projet. Aussi, cette
force a réussi à lui permettre de mobiliser toutes les
équipes dont il avait besoin pour faire aboutir ce projet.
Il nous faut maintenant nous questionner sur la rencontre
entre le Centre Georges Pompidou et les collectivités territoriales.
D'emblée, cette solution a été envisagée par le
Centre Georges Pompidou, c'est pourquoi il est nécessaire de
s'interroger sur la façon dont la déconcentration s'est
opérée. On cherchera à connaître les financements de
ce nouvel établissement, en région et la façon dont le
projet a été mené entre les collectivités
territoriales.
40 Bruno Racine, président du Centre Georges
Pompidou, avant propos Concours du Centre Pompidou-Metz, p.6-7.
B. La rencontre de deux ambitions41
" Découvrir un lieu inconnu financé par le
contribuable, vide, dans une ville méconnue. Montrer ce qui est
caché derrière le voile de PTFE. Réunir des partenaires
que rien ne devrait réunir. »42
Pour une bonne configuration d'un projet culturel, il est
essentiel que les acteurs de la gestion politique s'entendent sur le rôle
qu'ils ont à jouer afin d'assurer la qualité de la manifestation.
Il s'agit d'avoir un conseil d'administration cohérent, qui respecte la
loi par sa mission de service public, administré par des personnes ayant
des compétences complémentaires. Selon Johanne Turbide,
professeur à HEC-Montréal :
le" casting idéal » pour une bonne
gouvernance et le fonctionnement optimal d'un organisme culturel est
composé : " d'individus qui adhèrent à la mission et qui
en comprennent le processus de création, d'individus plus près de
la gestion interne, qui peuvent aider les gestionnaires à mieux
surveiller les enjeux financiers et administratifs, d'individus qui peuvent
« ouvrir des portes » à l'organisation c'est à dire des
gens qui possèdent un réseau de contacts utile aux aspirations de
l'entité ».43
Les collectivités territoriales ont la
possibilité depuis 2002 de se regrouper en Etablissement Public de
Coopération Culturelle (EPCC), ce qui vient palier à des lacunes
législatives.
Le statut d'EPCC institutionnalise une coopération
entre différentes personnes publiques et permet d'avoir une
juridiction adaptée pour les grandes institutions culturelles
d'intérêt à
41
http://www.centrepompidou-metz.fr/la-rencontre-de-deux-ambitions
42 Laurent Le Bon, « Apostille ? » in
Chefs-d'oeuvre ?, Editions du Centre Pompidou-Metz, Metz, 2010,
p.533.
43 Cf. J.Turbide, « L'enjeu de la gouvernance :
prévenir plutôt que guérir », Espaces,
n°268, mars 2009, p.26.
la fois local et national. Il permet l'organisation d'un
partenariat équilibré entre des collectivités
territoriales et l'Etat ou entre des collectivités territoriales seules.
Les différentes collectivités ayant participé à
l'édification du projet sont l'Etat, le Centre Pompidou, la
région Lorraine, Metz Métropole et la ville de Metz.
Aussi, le statut d'EPCC, permet aux collectivités
territoriales d'avoir un rôle à jouer, précisément
défini. Comme l'indique Laurent Le Bon dans son apostille au catalogue
d'exposition Chefs d'oeuvres ? : « Découvrir un lieu
inconnu financé par le contribuable, vide, dans une ville
méconnue. (...) Réunir des partenaires que rien ne devrait
réunir. »44 De la méme façon qu'il utilise le
terme de chimère pour désigner un lieu qui n'est ni un
musée, ni un centre d'art, nous le réutilisons pour
désigner la façon dont le lieu réunit les
collectivités territoriales. C'est une formule nouvelle proposée
pour un équipement culturel. Il s'agit de proposer un musée dans
le musée. Grace à un nouveau lieu, une collection peut se
déployer sur une surface plus importante, permettant d'en montrer plus.
C'est une nouvelle forme d'exposition, sans qu'il y ait véritablement
création de musée. Au sens où l'entend la loi, un
musée reste attaché à une collection45. Ce
n'est ni une collection appartenant aux collectivités territoriales, ni
un lieu financé par l'Etat. Les collectivités ont la
possibilité de puiser dans une collection nationale. Il s'agit d'un
phénix qui renait de ses cendres, en réinventant sa propre
actualité. Les collectivités ont fait le pari que le
développement d'un territoire passait entre autre par son
attractivité culturelle. Le Centre Pompidou porte en région son
modèle et met à disposition son savoir-faire et ses collections,
dans un partenariat original avec les collectivités territoriales qui
apportent le financement tout en garantissant l'autonomie des choix
scientifiques et culturels. Aucun coüt, excepté, celui, induit,
d'entretien des collections et de régie des oeuvres n'importent à
l'Etat. Toutefois, il est étonnant que l'Etat dispose d'un nombre de
sièges conséquents au conseil d'administration alors qu'il
n'engage aucun centime. Neuf sièges se répartissent entre l'Etat
et le Centre Georges Pompidou (huit plus la personnalité
qualifiée désignée par le président du Centre
Pompidou), alors que Metz Métropole est le plus gros investisseur dans
le projet, il compte moins de sièges que le Centre Georges Pompidou et
l'Etat
44 Laurent Le Bon, « Apostille ? » in
Chefs-d'oeuvre ?, Editions du Centre Pompidou-Metz, Metz, 2010,
p.533.
45 Code du patrimoine, Livre IV, Titre 1, article L-410-1 «
Est considérée comme musée, au sens du présent
livre, toute collection permanente composée de biens dont la
conservation et la présentation revêtent un intérêt
public et organisée en vue de la connaissance, de l'éducation et
du plaisir du public. »
confondus. Certes, le Centre Pompidou et l'Etat respectent la
loi avec un nombre de représentants inférieur à la
moitié du nombre des représentants des collectivités
territoriales, néanmoins cela semble être, une tutelle qui semble
garder un fort impact. En outre, le Conseil Général
possède un siège alors qu'il n'engage qu'une convention de
partenariat annuelle, renouvelable mais il n'est point de tacite reconduction
mentionnée. Méme si l'on peut supposer qu'il ne se
désengagera pas.
Les collectivités territoriales ont pris en charge la
totalité des coûts du bâtiment : le coût final du
bâtiment aura été de 69 330 000 € HT dont un montant
des travaux porté à 51 660 000€ HT; les 17 670 000€ HT
correspondant aux équipements mobiliers et aux honoraires pour les
aménagements intérieurs et extérieurs.
La Communauté d'Agglomération de Metz
Métropole finance majoritairement le projet à hauteur de 43,33
M€. Les autres financements proviennent de l'État (4 M€), de
l'Union européenne - Feder (2 M€), de la Région Lorraine (10
M€) et du Département de la Moselle (10 M€).46
Comparativement, le Louvre- Lens dont la Région Nord-Pas de Calais et
l'Europe sont les principaux financeurs a un plan de financement de 150
M€47.
Le budget de fonctionnement pour 2011, nous l'avons
indiqué en introduction, s'élève à dix millions
d'euros dont 4, 6 millions d'euros pris en charge par Metz Métropole,
quatre par la région Lorraine, 400 000€ par la ville de Metz, et un
million en ressources propres.48 A titre de comparaison, le budget
de fonctionnement de la ville de Metz est d'environ 10 millions
d'euros.49 Pour d'autres établissements
déconcentrés, le budget du Louvre-Lens sera de 15 millions
d'euros50 et celui du musée des confluences à Lyon est
évalué entre 13 et 15 millions d'euros.
46
http://www.metzmetropole.fr/site/projets_CPM_01.php
47
http://www.louvrelens.fr/fr/pourquoi-louvre/chiffres.html
48 Centre Pompidou- Metz, l'architecture du
musée- Chefs-d'oeuvre du XXe siècle, Beaux arts
éditions, mai 2010.
49
http://www.metz.fr/metz2/articles/2010/100119_budget03.php
50
http://www.louvrelens.fr/fr/pourquoi-louvre/chiffres.html
Pour la première année, l'autofinancement s'est
d'ailleurs élevé à 5 millions ! Selon Laurent Le Bon :
" Ces ressources propres ont servi à boucler le budget, puisqu'il y
a eu plus de dépenses à cause d'un nombre plus conséquent
de visiteurs.»51
Lorsque l'on demande à M. Fonté52,
adjoint à la culture de M. Dominique Gros s'il croit au pouvoir des
collectivités territoriales pour la culture, en écho à
Renaud Donnedieu de Vabres53 pour qui le chef-d'oeuvre ultime
était celui du Centre Pompidou-Metz qui " fai[t] en sorte que la
culture rayonne sur tout le territoire national, c'est en soi une oeuvre d'art.
», il nous répond que oui :
" Non seulement j'y crois mais aujourd'hui dans ce pays,
75% des financements de la culture ce sont les collectivités locales, ce
n'est pas l'Etat. L'Etat, le budget du Ministère de la Culture et de la
Communication est concentré à 80% sur Paris et 20% en province.
Pour la ville de Metz, entre Pompidou, l'Arsenal54, la
future SMAC55, les éléments culturels : le
budget culture est de dix millions d'euros. L'Etat c'est à peine 1,5
million de subventions. Donc on a la réponse, non seulement on y croit
mais on paye pour y croire ! »
Sur son site Internet, l'administration du Centre
Pompidou-Metz, reconnaît d'ailleurs que les collectivités
territoriales sont ses principaux fondateurs et que sans leur soutien, le
Centre n'aurait pas vu le jour56. Si les sites Internet des
institutions culturelles sont en quelque sorte la partie visible de l'iceberg
et ne trahissent pas tous les embarras, on peut au moins admettre que
l'administration, par l'intermédiaire du webmestre, a la
délicatesse de rendre compte de la part - non négligeable-
d'investissement pour les collectivités territoriales que
représente le financement de la construction, puis du fonctionnement du
Centre Pompidou-Metz.
La gouvernance du Centre Pompidou ne s'est pas faite uniquement
grâce aux collectivités territoriales.
51 Interview de Laurent Le Bon,
réalisée à Metz, le 16 février 2011.
52 Interview d'Antoine Fonté,
réalisée à Metz, le 16 février 2011.
53 Centre Pompidou-Metz, Une nuit au musée,
France 5, Emission présentée par Laurence Piquet.
54 http://www.arsenal-metz.fr/
55 http://www.bam-metz.fr/
56
http://www.centrepompidou-metz.fr/collectivites
Le groupe Wendel s'engage effectivement comme
mécène fondateur du Centre Pompidou-Metz pour une durée de
cinq ans. Il soutient un projet phare pour la Lorraine, berceau du groupe et de
ses familles57. Il est vrai que la famille Wendel a
été une dynastie industrielle de maître de forges,
possédant les aciéries lorraines dès 1704. Ainsi, par cet
engagement, on peut y voir un rappel du passé sidérurgique tout
en se dédouanant de la défaite de ce dernier, par un geste
bienfaiteur. Ernest-Antoine Seillière, descendant de la lignée,
est d'ailleurs le Vice-président des Amis du Centre
Pompidou-Metz.58
L'usine d'électricité de Metz (Uem)
59s'est associée pour trois années au Centre
Pompidou-Metz en mécénant les ateliers jeunes publics, la caisse
d'Epargne de Lorraine s'est intéressée aux ateliers pour
adolescents pour la même durée. Quelques entreprises de renom sont
venues s'ajouter à la liste telles PSA et Pommery Vranken.
D'autres firmes sont devenues partenaires du Centre
Pompidou-Metz : Anamnesia/Advisa soutient le dispositif de médiation. La
Fnac.com et Samsung assurent
également le Centre de leur coopération. La SNCF s'est
engagée comme grand partenaire de l'inauguration.
A ce titre, nous rappelons le distinguo entre
mécénat et parrainage. Le mécénat60est
un don, en numéraire, en nature ou en compétence pour soutenir
une oeuvre d'intérêt général et peut conduire
à une déductibilité d'impôt. Le parrainage est
destiné à promouvoir l'image de l'entreprise, c'est une
opération commerciale et est déductible uniquement au titre des
charges d'exploitation.
En outre, la création de l'association des Amis du
Centre Pompidou-Metz en novembre 2010 peut contribuer à terme à
épauler le financement de fonctionnement du Centre Pompidou-Metz. Les
missions qu'elle s'est donnée sont, entre autres :
- L'accompagnement de l'institution dans ses projets,
notamment en prenant une part active à la recherche de financements
extérieurs, publics ou privés, et en accompagnant les actions de
promotion et de diffusion de l'art moderne et contemporain menées par le
Centre Pompidou-Metz ;
57 Centre Pompidou- Metz, l'architecture du
musée- Chefs d'oeuvre du XXe siècle, Beaux arts
éditions, mai 2010
58
http://www.centrepompidou-metz.fr/soutenir/particuliers
59 Edf n'est pas présent à Metz, c'est
UEM qui la remplace, par délégation de service public, depuis
1925.
60 Loi n°2003-709 du 1er août 2003 relative
au mécénat, aux associations et aux fondations.
- Le développement de la connaissance du Centre
Pompidou-Metz et de ses activités tout particulièrement
auprès du monde de l'entreprise en favorisant par tous les moyens son
engagement dans le développement de l'établissement, de ses
activités et de ses projets.61
Ainsi, les collectivités territoriales sont les
initiatrices du projet, suivies par les entreprises privées qui
s'associent au Centre Pompidou-Metz dont le geste architectural et la
nouveauté peuvent séduire.
Attachons nous dès à présent à l'une
des motivations qui a pu porter l'engagement des collectivités
territoriales : l'architecture.
61
http://www.centrepompidou-metz.fr/soutenir/particuliers
C. Une architecture porte-drapeau ?
Selon Télérama, les Messins avaient
surnommé le chantier du Centre Pompidou-Metz « le chantier
invisible », tant il s'était fait attendre. Sept ans se sont en
effet écoulés entre la décision (annoncée
officiellement le 9 janvier 2003) d'implanter une antenne de Beaubourg en
région et l'inauguration officielle, le 11 mai 2010, du nouveau Centre
Pompidou-Metz. Ce qui n'est pas si long, comparativement à d'autres
grands projets de musées décentralisés, retardés
pour cause d'aléas financiers ou techniques : le Louvre à Lens,
prévu pour 2012, le Mucem à Marseille (2013) et Confluences
à Lyon (premier trimestre 2014).62 Il y avait là une
réelle détermination de la part des élus, d'aller vite.
Initialement, le Centre Pompidou-Metz devait ouvrir trente ans après son
grand frère en 2007, ce qui aurait également concordé avec
l'arrivée du TGV en Lorraine, ainsi qu'avec la capitale
européenne culturelle « Luxembourg et Grande Région, 2007
»63. On sait généralement quand les travaux
commencent, il est toujours difficile de savoir quand ils se termineront.
D'autant plus, pour un chantier de cette envergure qui n'avait pas
été testé, l'ancien maire n'ignorait pas que les
délais ne seraient pas respectés. Aussi, en hommage à
1977, l'année d'ouverture du Centre Pompidou-Paris, reste la
flèche centrale qui domine avec 77 mètres de haut. Sans vouloir
paraître hagiographique, l'ouvrage comprend des éléments
architecturaux innovants 64:
· La toiture est autoportante, car elle repose seulement
sur quelques appuis. Elle est constituée d'une série
d'éléments modulaires hexagonaux dont le maillage en bois
lamellé-collé permet de franchir des portées importantes
de 40 mètres.
· L'ensemble de la structure en bois- inspiré
d'un chapeau chinois- est recouvert d'une membrane blanche en fibre de verre et
téflon (PTFE). Celle-ci assure une
étanchéité65 à l'eau et crée un
environnement tempéré.
62 Sophie Cachon; Luc Desbenoit; Luc Le Chatelier;
Xavier de Jarcy, « La tentation de Bilbao Chefsd'oeuvre »
Télérama, no. 3148, samedi, 15 mai 2010, p. 54.
63
http://www.gouvernement.lu/dossiers/culture_tourisme_lang/capitale_culture_2007/index.html
64
http://www.metzmetropole.fr/site/projets_CPM_02.php
On invite également le lecteur à se référer
à l'annexe 1.
65 Malgré l'incident de parcours causé
par la neige lors du premier hiver, dont les journalistes ont fait tant de
bruit.
· Grâce à une technologie similaire
à celle utilisée pour construire les ponts, les trois galeries
d'exposition sont dégagées de tout point porteur. D'une longueur
de 80 mètres chacun, ces trois tubes
parallélépipédiques offrent à chaque
extrémité un point de vue différent sur la ville.
· Les espaces intérieurs conçus comme
un prolongement de l'extérieur sont des façades aux parois
vitrées. A ce titre, Jean De Gastines, l'architecte français,
précise dans une interview que l'architecture au service des oeuvres
d'art était une priorité dans le cahier des charges :
« il faut que les oeuvres soient bien exposables, que
les visiteurs entrent facilement dans le musée, que la circulation
soit fluide, et ensuite on peut s'occuper de
l'architecture d'un point de vue image urbaine, d'où
l'idée d'avoir ces galeries quisont orientées vers la
ville ancienne, la cathédrale gothique, la gare de la période
impériale donc des liens visuels importants. » 66
L'ancien Maire de Metz a souhaité faire sortir Metz de
l'anonymat, en utilisant une architecture nouvelle. Dès l'annonce du
choix de Metz, il s'est rendu avec une délégation à Bilbao
pour visiter le Guggenheim de Franck Gehry. Immédiatement, Bilbao est
devenu un modèle pour Jean-Marie Rausch. Il convient ici, de faire un
aparté, sur le modèle de Bilbao que beaucoup prennent en exemple.
En 199167, un musée s'exporte pour la première fois.
Après la période franquiste, la production d'acier, de fer et la
construction navale tombent peu à peu en désuétude. La
région, à cause de la reconversion de l'industrie lourde,
était plongée dans une crise sociale. Le gouvernement basque a
voulu parier sur un projet phare pour relancer la région. Il a
contacté la fondation Guggenheim afin qu'elle participe à la
reconversion de Bilbao. Si pour tous les élus, le modèle
Guggenheim ne faisait pas consensus, incarnant pour certains l'invasion du
modèle culturel américain, l'idée d'utiliser la culture
comme moteur pour le développement économique n'a en revanche pas
fait débat. Guggenheim-New York se trouvait dans une impasse
financière et projetait, de s'étendre grace à un
réseau coordonné d'antennes. Le bâtiment de Franck Gehry,
édifice aux formes curvilignes et ondulées recouvert de titane, a
provoqué ce que l'on appelle désormais l' « effet Bilbao
». Au milieu d'une friche industrielle, dont on
66 Centre Pompidou-Metz, Une nuit au musée,
France 5, Emission présentée par Laurence Piquet
67 Le business des musées, Sylvain
Bergère, Stéphane Osmont.+ www.guggenheim-bilbao.es/
pouvait encore voir les entrepôts en ruine et les usines
vétustes, dans laquelle vivaient squatters et drogués, s'est
établi un symbole culturel, inauguré en 1997. Le gouvernement
basque a pris à sa charge la totalité des frais de construction
du bâtiment pour la somme de 150 millions d'euros. Dès
l'ouverture, de nombreux autres architectes renommés ont
été engagés pour aménager les espaces autour du
nouveau musée. L'effort financier est de nouveau considérable :
735 millions d'euros ! Outre l'environnement du musée, elle comprend
également tous les réaménagements urbains
nécessaires : métro, tours de bureaux... Si le lieu a
été entièrement financé par le gouvernement basque
; le musée reste géré par la Fondation Guggenheim. Pour
Bilbao, le musée est venu couronner un tout. L'opération de
réaménagement urbain n'a pas attendu. A Metz, si l'on note des
ressemblances avec Bilbao comme la volonté affirmée d'un geste
architectural, une perception négative de la ville ainsi que des
problèmes de reconversion sidérurgique, on peut contester sur
deux points au moins, la similitude, avec Bilbao. Au départ, les travaux
de réaménagement urbanistique devaient conforter l'arrivée
du Centre Pompidou-Metz. La crise économique de 2009 passant par
là, de nombreux projets ont avorté, faute de moyens. La ville de
Metz ne pouvait pas arrêter un chantier d'une telle ampleur,
malgré des restrictions budgétaires. Aussi, le Centre
Pompidou-Metz a été achevé sans aménagement
périphérique. Les travaux commencent seulement, depuis
l'ouverture du Centre Pompidou-Metz. Si le Centre Pompidou-Metz se devait
d'être un diamant au beau milieu d'un écrin, il devient
plutôt l'élément moteur qui impulse son propre
aménagement périphérique. D'autre part, là
où Bilbao travaille en synergie avec New York qui produit toutes les
expositions avec la collection de New York ; le Centre Pompidou-Metz produit
les expositions en concertation avec Paris pour le prêt des oeuvres mais
reste libre dans ses choix artistiques et dans programmation.
Parenthèse à part, après le voyage à
Bilbao, Jean-Marie Rausch affirmait :
« Il faut qu'on fasse un musée qui
déjante aussi, c'est à dire dont la forme soit
révolutionnaire. » Je suis parti d'une idée qui ne plaisait
pas du tout au Centre Georges Pompidou pour leur dire68 : «
L'extérieur a autant d'importance que l'intérieur. Si
l'extérieur est révolutionnaire, on arrivera à attirer pas
mal de gens qui viendront voir que l'extérieur mais qui
rentreront
68 Interview Jean-Marie Rausch, le 16 février
2011, réalisée à Metz.
dedans après. Donc il faut absolument que ce ne soit
pas un bâtiment classique. »
Un concours d'architectes a été
lancé69. Anecdote parallèle ; ce fut le moment
où Laurent Hénart, adjoint au Maire de Nancy,
délégué à la Culture s'est inquiété
pour sa ville. Par sa fonction de député, il a mené
quelques interventions à l'Assemblée Nationale qui n'ont pas
abouties et est même allé jusqu'au président de la
République70 qui n'a pas tranché entre les deux villes
concurrentes. Pour Aillagon, ministre de la Culture, il n'y avait pas trop
d'autres choix, car seule Metz avait manifesté son intention de
financement.
Lors du jury de sélection, en décembre 2003,
Jean-Marie Rausch était toujours déterminé à avoir
une architecture novatrice, prêt à abandonner si aucun projet ne
s'avérait inédit. Six projets ont été retenus avant
d'en sélectionner un seul. Deux restaient en lice, aussi
intéressant l'un que l'autre : Maupin (32 millions d'euros) et Shigeru
Ban (37 millions d'euros). Architecturalement parlant, l'idée de galerie
tournée vers l'extérieur se rejoignait.71 Celui de
Maupin plaisait à Rausch car il était moins cher, mais les deux
projets restaient difficiles à départager. Le préfet de
région a demandé au maire ce qu'il choisirait s'il n'y avait pas
la question du budget et de toute évidence, c'était le projet de
Ban. Il a fait le nécessaire pour trouver six millions d'euros
(Communauté européenne+ Etat).
Un choc du raisonnement s'est établi entre
l'équipe de préfiguration et M. Rausch : " Pour eux seules
les oeuvres pouvaient faire venir les visiteurs. »72 Sur
le ton de la plaisanterie, Jean-Marie Rausch73 compare le
bâtiment à celui de la Tour Eiffel, " Même si on n'y
monte pas, on veut quand même la voir ! », " Peu de gens sont
passionnés par les musées mais beaucoup de gens sont
passionnés par les monuments modernes d'architecture et des
bâtiments qui sortent de l'ordinaire ».74
Jean-Jacques Aillagon conteste quant à lui « l'effet Bilbao »
:
" Les élus ont en tête Bilbao, qui a
explosé grâce à son musée Guggenheim. Des effets
analogues sont possibles à Metz, mais ils ne seront pas
69 Mars 2003.
70 Jacques Chirac.
71 Cf. photos en annexe 2.
72 Interview Jean-Marie Rausch, réalisée
le 16 février, à Metz.
73 Ibid.
74 Centre Pompidou : le grand mécano,
Jean-Pierre Fargier et Stéphane Manchematin.
automatiques, dautant que le contexte
général n'est pas des plus toniques. (...)La culture est un
élément d'attractivité très fort, mais l'offre
universitaire et médicale, la qualité de l'environnement sont
également des éléments déterminants.
»75
Jean-Jacques Aillagon utilise un mot important :
l'attractivité. Ce substantif peut désigner un objet
d'intérêt ou de curiosité.76
Cela « semble être désormais une notion
omniprésente dans les politiques urbaines actuelles. Le pouvoir
d'attraction d'une ville se joue sur sa capacité à attirer
l'attention, à faire rêver et, à terme, faire venir ;
l'objectif est avant tout de se démarquer et de pouvoir se positionner
dans un système interurbain afin d'en dégager le plus de
bénéfices possibles. Mis en concurrence, les territoires doivent
agir comme des aimants pour assurer leur développement, concentrer des
flux globaux et correspondre aux attentes. Les politiques urbaines se dirigent
donc de plus en plus vers des actions stratégiques pour positionner la
ville dans un marché international et pour surligner son
caractère distinctif qui peut être un facteur
d'attractivité dans la dynamique concurrentielle actuelle. »
77
Le Centre Pompidou-Metz devient ainsi une architecture
porte-drapeau ou un flagship.
« Initialement, le flagship était le vaisseau
amiral d'une flotte, d'où les ordres étaient donnés.
Désormais, cette notion est devenue un adjectif économique qui
décrit le produit ou le service phare d'une compagnie dont le seul
succès serait bien plus efficace que n'importe quelle campagne de
promotion. Un flagship doit avoir suffisamment de visibilité pour
pouvoir marquer tous les esprits. (...)Ainsi cette médiatisation de
l'architecture par les médias a donné un gout grandissant pour
les icônes architecturales auprès du public. Correctement fait, il
peut donc y avoir un engouement populaire en retour qui érige ces
édifices en icônes. Ils sont perçus comme des objets que
l'on doit glorifier en
75 Nicolas Bastuck, Le Point, no. 1963Villes,
Spécial Metz La Bilbao de l'Est s'expose, jeudi, 29 avril 2010, p.
163-167.
76 Définition Larousse 2001, p.97.
77 GENAILLE Nicolas, « Le concept de flaghsip, un projet
d'image en direction de l'attractivité », L'attractivité
des territoires : regards croisés, Actes des séminaires,
février-juillet 2007 p.p. 111-115
place des édifices religieux. Leur apparition est
des plus logiques, à une époque où la majeure partie de la
population a perdu fois en dieu, cette croyance s'est donc
déplacée ailleurs. (...) En tant qu'emblème, vitrine du
renouveau du territoire, ce flagship revêt une spécificité
qui est donc « plus relative à l'effet de l'édifice
qu'à son objet ou sa destination » (Choay, L'allégorie du
patrimoine, 1999). Utiliser une telle tactique peut se voir comme la
création délibérée d'un monument, dans la mesure
où ce dernier est un artefact bâti qui a la capacité de
mobiliser affectivement une mémoire vivante. Désormais le
monument porte aussi des valeurs esthétiques et doit susciter la
provocation d'un sentiment de surprise et d'émerveillement face au tour
de force architectural et au concept moderne de colossal. » 78
Elsa Vivant explique que :
« Le recours à une architecture spectaculaire,
conçue par un architecte de renom, produit ainsi une nouvelle image de
la ville : le bâtiment en question devient le symbole de la reconversion
postindustrielle de la ville et de sa capacité à mettre en oeuvre
des projets de grande envergure. »79
Nous verrons, plus tard, que c'est une véritable
renaissance qui se joue à Metz, se dégageant ainsi des aspects
ternes du passé sidérurgique et/ ou de ville de garnison.
Cependant, Jean-Marie Rausch n'a pas souhaité un architecte
révolutionnaire, mais un bâtiment révolutionnaire. Il
compare80 ainsi Metz à son voisin luxembourgeois qui a
décidé en 1999 d'édifier un bâtiment pour une
collection, celle du MUDAM81. La construction du musée par
l'architecte Pei a coüté cinq fois plus cher que le Centre
Pompidou-Metz. Et la collection est beaucoup plus modeste82, sans
cependant être inintéressante, que celle du Centre Georges
Pompidou ! Jean-Marie Rausch estime avoir fait un choix plus avantageux, avec
une collection des plus importantes en Europe, qui permet une certaine rotation
des oeuvres. Chose que le MUDAM peut, selon lui83, moins se
permettre. Cependant, si
78 Ibid., p.112
79 Elsa Vivant, La ville créative,
p.67
80 Interview Jean-Marie Rausch, réalisée
le 16 février, à Metz.
81
http://www.mudam.lu/fr/le-musee/
82 Elle compte en janvier 2010, plus de 400 oeuvres (
http://www.mudam.lu/fr/le-musee/la-collection/)
83 Interview Jean-Marie Rausch, réalisée
le 16 février, à Metz.
Shigeru Ban84 et Jean De Gastines, associés
depuis 1999 étaient peu connus du grand public, l'architecte japonais
tout au moins, s'est fait un nom en France. Il dirige actuellement le
réaménagement du centre d'art contemporain du
Consortium85 à Dijon. Jean De Gastines a pu réaliser
les « cottages » de Center Parcs-Bois des Archolins86.
Ensemble, ils ont également construit l'agence temporaire du projet du
Centre Pompidou-Metz en 200487 au Centre Georges Pompidou, la maison
du projet du Centre Pompidou-Metz en 200688 ainsi que l'agencement
de la boutique du musée du Luxembourg à Paris en
2011.89
En tous les cas, comme le pense Jean-François
Lanier90, cette architecture :
« constituera, [on l'espère] en tout cas, un
contraste intéressant avec l'architecture classique française et
les constructions régionalistes allemandes, et aidera peut être
Metz à se défaire de son image de ville de garnison.
»
Ce qui est sür, c'est que le musée répond
déjà à la demande de Frédéric Mitterrand de
« briser le plafond de cristal de l'intimidation sociale.
»91 Laurent Le Bon92, pour qui l'architecture
spectaculaire n'était pas forcément voulue, a souhaité,
avec son équipe de préfiguration, que l'architecture ne soit pas
contre les oeuvres d'art. Pour lui, la toiture et l'illumination nocturne
prouvent que c'est un établissement qui vit la nuit, comme son grand
frère parisien qui avait le premier, fait des ouvertures
tardives.93 Il concédait que sans faire de travail,
l'architecture est très ouverte pour un musée. Il n'y a pas
d'escalier ou de mur de béton qui bloquerait l'accès des
visiteurs. Le lieu s'est voulu ouvert.
84 Shigeru Ban est surtout connu pour ses travaux,
réalisés au Japon, suite à des catastrophes naturelles,
pour construire des logements d'urgence, grace à des tubes (paper
tube structure), notamment lors du tremblement de terre de Kobé en
1995.
85 http://leconsortium.fr/ + cf.
http://www.shigerubanarchitects.com/SBA_WORKS/SBA_PROJECTS/SBA_PROJECTS_17/SBA_Proje
cts_17.html
86
http://www.jdg-architectes.com/batiment-tourisme-moselle-architectes.html
87
http://www.jdg-architectes.com/sba-pts.html
88
http://www.jdg-architectes.com/sba-la-maison-du-projet.html
89
http://www.shigerubanarchitects.com/SBA_WORKS/SBA_OTHERS/SBA_OTHERS_31/SBA_others_31.
html
90 Lasnier, Jean- François. « Centre
Pompidou-Metz: le Cadeau d'un Ministre Candidat? », Beaux Arts Magazine
no. 239 (Avril 2004) p. 16-17.
91 Centre Pompidou-Metz, Une nuit au musée,
France 5, Emission présentée par Laurence Piquet.
92 Interview Laurent Le Bon, réalisée le
16 février, à Metz.
93 Nous vous invitons également à
regarder en annexe 1 les photos de nuit, afin d'observer le contraste.
Shigeru Ban reconnaît avoir créé des
« portes vitrées coulissantes pour qu'espaces
intérieurs et extérieurs soient connectés. Les
musées, et en général les bâtiments sont des
boîtes fermées. Il faut avoir une raison bien précise pour
y entrer mais si le bâtiment est conçu comme un espace ouvert vers
l'extérieur, il incite le public à y entrer et pas seulement ceux
qui s'intéressent aux oeuvres d'art. » 94
De fait, le pari d'attirer par l'architecture, qui se
présente comme un porte-drapeau est plutôt réussi. N'en
déplaise à certains :
« Les musées ne ressemblent plus à
rien. La silhouette du nouveau musée d'art contemporain de Metz rappelle
à la fois les Buffalo Grill qu'on voit le long des autoroutes, un
chapeau chinois et la maison des Schtroumpfs ». 95
Le lieu est ouvert, avec le café et le restaurant,
certaines personnes se rendent uniquement au Centre Pompidou-Metz pour aller
boire un café ou déjeuner. Certes le parvis, n'est pas aussi
«dynamique » qu'à Paris, où l'on voit s'improviser des
petits concerts, des pièces de théâtre, des tours de magie,
des cracheurs de feu... Celui-ci reste investi par le Centre Pompidou-Metz qui
fait lui-même ses propositions. Ce fut le cas, lors de l'ouverture avec
la Nuit des Musées avec la performance participative
Eclats96 de Maider Lopez ou cet été avec
Extra large ! le 23 juillet. Comme à Paris, le Centre
Pompidou-Metz est un lieu vivant, ouvert à tous. Cependant, il faut
veiller à ne pas se reposer sur ses acquis en pensant que le lieu se
suffit à lui-même. Comme le pense André Gob :
« Une architecture d'exception peut aider, mais si on
veut que le succès dure et que les visiteurs reviennent ; il faut que le
musée lui-même génère de la connaissance. Collection
et expositions constituent la matière même du musée.
»97
Nous allons y revenir. On a vu que différents
rôles étaient attendu grâce au geste architectural.
Celui-ci se devait d'être un écrin. Cependant, on a vu que le fond
et la forme ne devaient pas se distinguer. Le « contenant » joue
un rôle presque naturel de
94 Centre Pompidou : le grand mécano,
Jean-Pierre Fargier et Stéphane Manchematin.
95 Jean Clair, L'hiver de la culture,
p.18.
96 Cf. annexe 1.
97 GOB André, Le musée, une
institution dépassée ? , Eléments de réponse,
Armand Colin, 2010, p.94
démocratisation de l'accès à la culture,
avec une forme volontairement ouverte sur l'extérieur pour inciter
à entrer. Mais le musée se doit de générer de la
connaissance et ne doit pas simplement se contenter de sa force d'attraction.
Nous souhaitons avant cela, reprendre la décision politique d'implanter
le Centre Pompidou à Metz. Quelles sont les
arrière-pensées politiques ? Il nous semble que trop souvent des
élus restent des décideurs, sans nécessairement prendre en
compte les attentes des professionnels. On verra de quoi il en retourne pour
Metz. On cherchera à savoir comment on est parvenu à un
arrangement qui dépasse les partis. Nous nous intéresserons
ensuite au travail des professionnels vis-à-vis du politique, et d'une
façon plus générale, aux questionnements qui
affèrent au musée. On analysera le prolongement et la
régénération de l'idée trentenaire du Centre
Georges Pompidou, pour s'intéresser ensuite à l'exposition
inaugurale, avant que de reprendre la question du public.
II. Instrumentaliser la culture ?
A. Un consensus politique
Il semble qu'un choix émanant d'une logique des
idées de la part des élus, qui répondent à leurs
propres exigences, où la culture est envisagée comme une fin en
soi pour la ville, puisse être contestable dans la mesure où ce
choix peut s'apparenter à une instrumentalisation de la culture.
Si l'on en croit Alain Faure98,
« Chaque collectivité souhaite, (...),
acquérir sur le plan culturel des lettres de noblesse (rayonnement
artistique, renommée sportive, patrimoine architectural) afin de
promouvoir conjointement les atouts de l'identité géographique et
les impératifs de la vitalité socio-économique.
».
Nous l'avons vu précédemment, l'arrivée
du Centre Pompidou à Metz marque la volonté et la
détermination d'un seul homme, celle de Jean-Marie Rausch. Même si
la proposition, appuyée par Mme Claude Pompidou, venait au départ
de Jean-Jacques Aillagon. Ce qu'a d'ailleurs reconnu le président de la
République dans son discours inaugural :
« Je veux, car je crois que c'est juste, rendre hommage
à M. Aillagon et à M.
Rausch qui ont porté cette idée. Vous savez,
on ne s'abaisse jamais en rendant
à César ce qui est à César.
» 99
On peut toujours reprocher à un élu ses
intentions électoralistes. Dès lors, on peut le taxer
d'opportunisme, avec une acception négative, au sens de profiteur voire
d'arriviste. Cela peut en tout cas apparaître comme tel aux yeux d'un
néophyte.
Cependant, lors de notre entretien, à aucun moment, nous
n'avons perçu de volonté de masquer les
réalités, il y avait toujours un fond d'honnêteté
dans le discours. Jean-Marie
98Cf. A. Faure, « Les élus locaux à
l'épreuve de la décentralisation », Revue
française de science politique, 44 (3), 1994, pp.462-479.
99 Discours inaugural du Centre Pompidou-Metz,
allocution du Président de la République en date du mardi 11 mai
2010.
Rausch reconnaît qu'il n'est pas un homme de culture,
qu'il a fait le choix du Centre Pompidou-Metz pour la ville et dans une action
de continuité, une sorte de suite logique à tous les
éléments qu'il a mis en place dans sa ville dès son
premier mandat. Il ne nie pas qu'il ait souhaité briguer un mandat en
2008 et reconnaît qu'il s'est fait battre. Le maire actuel, Dominique
Gros, dans l'opposition au moment du choix d'implantation de Pompidou à
Metz, a concédé que : " Jean-Marie Rausch a osé porter
ce projet que d'autres auraient cru fou. »100. Jean-Marie
Rausch confesse que même ses successeurs politiques reconnaissent que
" C'est un instrument de promotion extraordinaire de Metz.
Qui plus est, les journaux du monde entier en ont parlé. C'est donc que
la mayonnaise a prise. »101
Anne Picq, dans Beaux Arts Magazine102 relate que
Jean-Luc Bohl103 , se souvient de l'accueil unanime
réservé à " une opportunité unique à ne
pas rater. (...) En tant qu'élu, j'y vois la promesse d'un
développement et d'une capacité d'attractivité de notre
territoire. Ce peut être un souffle nouveau pour la région.
»
Ce qui reste étourdissant, c'est une sorte de compromis
collectif apporté par le projet, malgré les divisions politiques,
on ressent un réel engouement pour le projet toutes tendances
confondues.
Antoine Fonté 104convient qu' " Un
projet tel que celui là entre guillemets se désincarne de la
politique. On est là devant quelque chose, d'une part parce qu'on l'a
approuvé ensuite c'est un objet culturel de haute portée,
d'excellence, donc on ne peut pas être contre. A partir de là, la
reprise du projet derrière s'est faite de manière naturelle.
D'autant plus naturelle, qu'on l'a sorti un petit peu d'une situation de
blocage, il y a eu des problèmes sur le chantier, le chantier a
été arrêté pendant 3 mois. Il a fallu raccorder tout
le monde, remettre tout le monde à pied d'oeuvre et relancer le
chantier. (...). Sur le plan de la continuité, ce n'était pas
compliqué parce que ce sont des types de dossiers qui transcendent le
politique. (...)»
100 Dominique Gros in La Semaine, 16 octobre 2008.
101 Interview Jean-Marie Rausch, réalisée le 16
février, à Metz.
102 Picq, Anne. « Le centre Pompidou-Metz: Une
chimère entre musée et centre d'art- Le tour du monde des
nouveaux musées». Beaux Arts Magazine, no. 311, mai 2010,
p. 46-9
103 Divers droite, Maire de Montigny les Metz, Président
de Metz Métropole.
104 Interview Antoine Fonté, réalisée le 16
février, à Metz.
Finalement, comme l'affirme Michel
Thiollière105 :
« La dynamique de
l'événement106 compte davantage que
l'événement luimême. La dynamique, c'est la ville en train
d'assurer sa mue, de fédérer les énergies, d'emmener tous
les habitants dans un même élan sans en laisser sur le bord de la
route. »
Derrière le Centre Pompidou-Metz, qui a réussi
à faire l'unanimité --ou presque - politique, c'est l'ensemble de
la ville qui semble, par ailleurs, être mis en avant. Laurent Le
Bon107 affirme que s'il y a eu quelques débats, globalement
il y a eu grande continuité. Selon lui, toutes les grandes
décisions ont été pratiquement toujours votées
à l'unanimité. Il se souvient que le Maire 108 a
dès le départ, exprimé son souhait que «
ça se passe bien. »
Bien qu'il y ait un commun accord, on pourrait croire qu'il y
a une volonté des politiques d'ingérence sur le contenu
scientifique, à ne vouloir faire que du « blockbuster » ou en
s'immisçant pour choisir la thématique des expositions. Antoine
Fonté109 reconnaît que ce n'est pas son travail :
« Le contenu s'est négocié avec
Pompidou Paris puisque ce sont eux qui mettent les oeuvres à
disposition. Le projet artistique est porté par le conservateur en chef
qui est directeur, Laurent Le Bon. Là-dessus, on est des politiques ce
n'est pas nous qui allons lui dire : il faut faire telle expo et choisir telle
oeuvre. »
Lorsqu'on interroge l'élu sur la pertinence de reproduire
l'exposition Vides110 au Centre Pompidou-Metz, qui en soit
peut déranger le public non averti, il l'aurait accepté.
105 Thiollière Michel, Quelle ville voulons-nous
?, collection « Acteurs de la société », Editions
Autrement, 2007, p.60.
106 On entend événement, au sens où il est
défini par Louis-Marie Morfaux et Jean Lefranc comme « un fait
notable ayant de l'importance pour un groupe humain ou dans le
déroulement de l'histoire. »
107 Interview Laurent Le Bon, réalisée le 16
février, à Metz.
108 Dominique Gros
109 Interview Antoine Fonté, réalisée le 16
février, à Metz.
110 L'exposition Vides a eu lieu au Centre Georges
Pompidou du 25 février au 23 mars 2009. Elle se voulait une
rétrospective des expositions vides depuis Yves Klein en 1958. Nous vous
invitons pour plus d'informations à consulter le catalogue d'exposition
sous la direction de Mathieu Copland, John Armleder et Laurent Le Bon.
Il affirme que les politiques ont un droit de regard sur le
Centre Pompidou-Metz puisque il possède le statut d'EPCC :
« C'est un droit de regard sur la bonne marche du
lieu, sur le budget et sur les orientations pour qu'elles restent toujours
à niveau pour que ce lieu soit le plus fréquenté possible
en continu, parce que le risque c'est d'avoir un bon démarrage et puis
ensuite de plonger. »
S'il n'y a pas immixtion de la part les élus, quelle
que soit leur tendance politique tout comme leur statut (région,
département, communauté d'agglomération ou ville) sur les
thématiques choisies par les conservateurs du Centre Pompidou-Metz pour
présenter leurs expositions, ils peuvent toutefois se porter garants de
la bonne utilisation des deniers publics. On perçoit tout de méme
la volonté d'avoir une fréquentation continue, d'une certaine
façon, pour amortir l'investissement. Dans tous les cas, un projet
d'exposition, s'il est décidé par l'institution programmatrice,
ne peut être validé sans l'aval de sa tutelle administrative et
financière. Le statut d'EPCC veut «garantir à la fois
l'autonomie des choix scientifiques et culturels, l'engagement et le
contrôle des collectivités territoriales, qui en assument le
financement (...) »111 et s'avère être ainsi
le plus avantageux pour les deux parties.
111
http://www.centrepompidou-metz.fr/leppc
B. Les scientifiques à l'ouvrage
On l'a vu le statut d'EPCC permet au directeur du Centre
Pompidou-Metz de bénéficier d'une large autonomie en
matière culturelle et scientifique. Le directeur assure la direction de
l'établissement. Le législateur a veillé à ce que
les règles générales d'organisation des EPCC permettent de
garantir l'indépendance de leurs directeurs dans les choix artistiques
ou culturels. Ainsi, le directeur élabore et met en oeuvre le projet
artistique et scientifique tout en assurant la programmation, il ordonne des
recettes et dépenses, prépare le budget, et assure la direction
des services. On verra donc que Laurent Le Bon bénéficie d'une
certaine indépendance.
1. Un musée sans collections ? ou comment
perpétuer l'idée du Centre
Georges Pompidou.
Le Centre Pompidou-Metz ne bénéficie d'aucune
collection en propre. On peut rapprocher le projet de l'Allemagne ou de la
Suisse avec les Kunsthallen qui sont des lieux d'exposition sans
collection. A la différence, que le Centre Pompidou-Metz possède
la capacité de puiser dans les collections du Centre National d'Art
Contemporain. Les archétypes « Tate " et « Guggenheim "
restent différents également. La Tate est nous le rappelons, une
« famille de quatre entités " cherchant à irriguer le
territoire britannique en étant responsable de la collection nationale
d'art britannique et international depuis 1900. La Tate a voulu fournir une
programmation de qualité à l'extérieur de Londres,
entamant son entreprise de transformation avec la Tate St Ives en 1993, Tate
Liverpool en 1998 et l'ouverture de la Tate Modern en 2000112.La
Tate ne dépend pas du gouvernement britannique et s'autogère
indépendamment, bien qu'il soit parrainé par le
département gouvernemental pour la culture, les médias et les
sports. Le Guggenheim Bilbao, on l'a vu, est désormais formé en
un réseau de musées dont chacun113 possède en
propre une collection permanente, chacune se complétant mutuellement,
formant dans leur ensemble la collection permanente des musées
Guggenheim. Des sélections opérées dans cette
112112
http://www.tate.org.uk/about/ourpriorities/
113 New York, Venise, Berlin, Abu Dhabi.
collection permanente sont présentées au public
grace à un système d'exposition « rotatif et dynamique
».114 Ainsi, à la question : Le modèle " Tate
», le modèle " Guggenheim », qui pratiquent aussi la
délocalisation muséale vous ont-ils inspiré
?115, Laurent Le Bon répond que la politique du Centre
Pompidou-Metz est :
" D'être autonome, même si c'est «
l'indépendance dans l'interdépendance ».
L'indépendance À aucune exposition du Centre Pompidou-Metz n'ira
à Paris - et la politique culturelle mise en place se destine avant tout
aux Messins et aux Lorrains. »
Lors de notre entretien116, nous nous demandions si
l'on pouvait parler du Centre Pompidou-Metz en tant que marque. Ce que Laurent
Le Bon réfutait en assurant que :
" Le Centre Georges Pompidou est une marque plutôt
que le Centre Pompidou-Metz. Le Centre Georges Pompidou est plutôt un
esprit avec le CNAC117 l'IRCAM118, la BPI119
et désormais le Centre Pompidou-Metz et le Centre Pompidou
Mobile120. Ce n'est ni une annexe ni une succursale, ni une filiale.
Nous avons tenté de bannir les termes d'antennes, succursales et les
connotations péjoratives, induites par ces substantifs. Notre
différence avec le Guggenheim : c'est que New York entretient un rapport
contractuel avec des flux financiers envers ses antennes121. La
différence avec la Tate : c'est que c'est un réseau, tous les
établissements122 sont ensemble dans une même
structure. (...)A Metz, c'est une formule un peu hybride. C'est une
chimère. Ce n'est pas un musée, ce n'est pas un centre d'art,
parce que il n'y a pas de
114
http://www.guggenheim-bilbao.es/secciones/el_museo/red_guggenheim.php?idioma=fr
115 Ardenne, Paul, « Centre Pompidou-Metz: le Musée
national décentralisé », Art Press no. 367, Mai
2010, p. 14-17.
116 Interview Laurent Le Bon, réalisée le 16
février, à Metz.
117 Le Centre National d'Art Contemporain.
118 L'Institut de Recherche et de Coordination Acoustique/
Musique.
119 La Bibliothèque Publique d'Information.
120 Le 18 mai 2011, Frédéric Mitterrand a
annoncé le lancement du Centre Pompidou Mobile, musée
itinérant conçu pour offrir à tous les publics, et
notamment aux personnes les plus éloignées de la vie culturelle,
la possibilité d'une rencontre avec les chefs-d'oeuvre de l'art moderne
et contemporain. Pour plus d'informations, on recommande la lecture du
communiqué de presse sur
http://www.culture.gouv.fr/mcc/Actualites/A-la-une/Un-Centre-Pompidou-mobile
121 Abu Dhabi, Berlin, Bilbao, Venise.
122 Tate Liverpool, Tate St Ives, Tate Britain et Tate Modern
à Londres.
collection permanente mais on a quand même la
possibilité de puiser dans une collection permanente. »
L'idée d'un Centre Pompidou est venue en 1997, comme le
rappelle Laurent Le Bon dans une interview au Parisien :
" L'idée d'un autre Centre Pompidou est née
en 1997, quand on a fermé Beaubourg pour travaux jusqu'en 2000. On a
alors fait circuler les collections dans toutes les régions avec un
énorme succès »123.
Comme l'affirmait Bruno Racine - alors président du Centre
Georges Pompidou- :
" Le but est aussi de manifester que la collection appartient
à la nation et pas seulement à la capitale. » 124
Cette formule est tout autant valable pour la période
de fermeture du Centre Georges Pompidou que pour le Centre Pompidou-Metz et le
Centre Pompidou Mobile. Comme cela est mentionné dans Art
Press, le Centre Pompidou-Metz est :
" Issu de la politique de diffusion extérieure des
collection du Centre Pompidou, le projet devait répondre à
plusieurs axes : poursuivre l'action du Centre " en inventant une nouvelle
génération d'équipement culturel » tandis qu'à
travers sa matérialisation, il s'agissait de « créer un
événement architectural comparable à celui que constitua
l'oeuvre de Piano et Rogers en son temps ». 125
Le dessein d'une déconcentration était alors bel
et bien de faire connaître les 65 000 oeuvres du Centre Georges Pompidou
dont seulement 2000 peuvent être exposés à Paris et 5000
font l'objet de dépôts126 ou de préts (en France
comme à l'étranger).
123 Yves Jaéglé, « Pour le Centre Pompidou
», Le parisien, 11 mai 2010, p.11.
124 Ardenne, Paul. « Centre Pompidou: c'est reparti
», Interview de Bruno Racine, Art Press no. 331,
Février 2007), p. 26-31.
125 Treclat, S., « Concours international d'architecture du
centre Pompidou-Metz: Centre Pompidou ». Art Press, no. 305,
Octobre 2004, p. 84-85.
126 La loi « musées » du 4 janvier 2002 autorise
à l'article L451-11, les musées à recevoir des
dépôts, à des fins d'exposition au public.
Pour Laurent Le Bon, lorsqu'il relate la genèse du
projet127, il a choisi un projet et non un lieu. Une fois Metz et la
Lorraine choisies, il interroge ses collègues - car il était
presque l'un des seuls à avoir répondu présent au projet-
car il n'était pas :
" Le plus âgé, ni le plus
expérimenté des conservateurs. Ils m'ont dit cette
phrase que je vous laisse méditer : " c'est
au-delà du périphérique ».
On peut constater qu'il existe toujours en France un souci de
la centralité parisienne. En dehors des conservateurs, " le
problème a été identique pour les candidatures à
Metz, personne ne voulait venir de Paris » 128
Pour Laurent Le Bon, le terme de décentralisation reste
ambigu car il le définit comme un transfert de pouvoir du sommet de la
nation aux collectivités territoriales. Pour lui, le Centre
Pompidou-Metz s'inscrit dans un " rapport constructif entre une institution
nationale parisienne, les collectivités territoriales et l'Etat.
»129
Ce cheminement du directeur du Centre Pompidou-Metz se prolonge
dans le catalogue de l'exposition inaugurale :
" Ouvrir un centre d'art de plus de 10 000 mètres
carrés [soit 40% de surface supplémentaire130]
à plus de 300 kilomètres de la capitale (si loin, si proche) et
se poser la question de la démocratisation culturelle et de la
déconcentration des pouvoirs pour surtout ne pas apporter de
réponses définitives. »131
Le président de la République marquait
également cette préoccupation pour la déconcentration :
" (...) c'est aussi bon pour les dizaines de milliers de
jeunes Lorrains qui viendront ici recueillir leurs premières
émotions culturelles ! On n'est pas obligé, dans un pays de 65
millions d'habitants, de considérer que pour avoir
127 Interview Laurent Le Bon, réalisée le 16
février, à Metz.
128 Ibid.
129 Ibid.
130 Thull Patrick, Jean- Marie Rausch, la passion de
Metz, Editions Serpenoise, Metz, 2004.
131 Laurent Le Bon, « Apostille ? » in
Chefs-d'oeuvre ?, Editions du Centre Pompidou-Metz, Metz, 2010,
p.533.
une émotion culturelle, on doit prendre le train pour
venir à Paris - même si maintenant, le TGV cela marche132.
»133
Sur son site Internet, le Centre Pompidou-Metz se définit
dans le prolongement de son frère parisien :
« Le Centre Pompidou porte en région son
modèle et met à disposition son savoir-faire et ses collections,
dans un partenariat inédit avec les collectivités territoriales.
(...) le Centre Pompidou-Metz illustre, par sa dimension tant sociétale
que culturelle, le renouvellement de la stratégie du Centre Pompidou qui
se recentre sur sa vocation primordiale : être une plateforme
d'échanges entre la société française et la
création. (...) Parallèlement aux expositions, est bâtie
une programmation culturelle (spectacles vivants, cinéma,
conférences) selon une approche pluridisciplinaire, dans l'esprit du
modèle du Centre Pompidou. Elle porte sur tous les champs de la
création et se déploie essentiellement autour des
thématiques des expositions afin d'en proposer des prolongements
».134
L'idée est de repartir sur la méme base. En
fait, il n'y aura pas de distinction entre le temporaire et le
permanent, puisque ce dernier ne l'est jamais vraiment. D'autre part, ce
nouveau musée « nouvelle génération » n'ayant
pas de collection permanente, ne peut que proposer, des expositions
temporaires.
« Le Centre Georges Pompidou dès 1977, a
été une des premières collections nationales à
être sur une logique d'exposition temporaire des collections permanentes.
Les plateaux ont été pensés pour une rotation des
collections afin de présenter la création artistique
contemporaine. La création ne s'arrête pas une date D.
»135
Le Centre Pompidou-Metz maintient les propositions du Centre
Georges Pompidou avec des coopérations inter-muséales. Si le
Centre Pompidou-Metz ne peut se permettre de prêter, puisque la
collection est nationale et ne lui appartient pas ; des échanges ont
132 On rappelle à ce titre que le TGV-Est est en fonction
depuis 2007.
133 Discours inaugural.
134
http://www.centrepompidou-metz.fr/la-vocation-du-cpm
135 Interview Laurent Le Bon, réalisée le 16
février à Metz.
toutefois eu lieu avec le musée d'Epinal, les
musées de Nancy, la synagogue de Delme, le musée de Sarrebruck,
le Mudam du Luxembourg, le Frac Lorraine et des projets communs, comme par
exemple celui de Jean-Luc Tartarin aux musées de la Cour d'or. Ces
musées ont également prétés des oeuvres pour
l'exposition Chefs-d'oeuvre ?
Cependant, le Centre Pompidou-Metz n'a pas les mémes
prérogatives qu'un musée. Comme l'indique Laurent Le Bon :
«J'espère avoir les mêmes missions avec
cette idée d'éducation, de pédagogie, une mission de
service public et de plaisir. Bon évidemment, on est au coeur de ce
projet, mais nous comme on n'a pas de collection permanente, or la collection
permanente, c'est le coeur d'un musée. Evidemment, on s'inscrit un peu
en biais. »
Selon la loi « Musées » du 4 janvier 2002,
inscrite au Code du Patrimoine136 depuis 2004 :
« Les musées de France ont pour missions
permanentes de :
a) Conserver, restaurer, étudier et enrichir leurs
collections ;
b) Rendre leurs collections accessibles au public le plus
large ;
c) Concevoir et mettre en oeuvre des actions
d'éducation et de diffusion visant à assurer l'égal
accès de tous à la culture ;
d) Contribuer aux progrès de la connaissance et de la
recherche ainsi qu'à leur diffusion. »
On constate en effet, que tout n'est pas applicable « au
pied de la lettre ». Le Centre Pompidou-Metz ne peut conserver ni
restaurer les oeuvres dans la mesure où le Centre Georges Pompidou en a
la charge, d'autant que le Centre Pompidou-Metz prône une certaine
rotation des collections :
« Tout sera mis en oeuvre pour provoquer la surprise,
l'émerveillement, le plaisir et pour stimuler et renouveler sans
cesse l'intérêt des publics pour l'art contemporain. »,
comme le rappelle Laurent Le Bon sur le site
136 Article L.441-2, Livre IV, titre IV, Code du
patrimoine.
Internet.137
En revanche, il est effectivement procédé
à une étude des collections. Celle-ci est réalisée
dans la mesure où l'on cherche à donner des clés de
lecture de l'histoire de l'art tout en laissant, comme il se devrait, la
possibilité à chacun d'interpréter de différentes
façons l'art contemporain sans avoir de jugement
préétabli. Bien qu'il n'y ait pas d'acquisition à
proprement parler puisque les décisions relèvent de Paris, il y a
toutefois une politique de production d'oeuvres et de soutien aux artistes,
avec la commande publique. Il y a eu des commandes photographiques pour le
chantier du bâtiment138, ainsi que la réalisation
d'oeuvres pérennes à l'intérieur du Centre messin comme,
par exemple, la Salle des pendus de Jean-Christophe Massinon.
Dans son « Apostille ? » au catalogue
Chefs-d'oeuvre ? 139, Laurent Le Bon en fait part :
" En l'absence de toute collection, privilégier la
surprise des prêts et des commandes plutôt que la tentation du
vide. Mêler des artistes consacrés et des inconnus en oubliant le
jeunisme, l'esthétiquement correct et les quotas. Leur attribuer un
espace. (...)Se battre contre la médiocrité. Inviter d'autres
collections nationales. Montrer une oeuvre jamais exposée. Se
réjouir de travailler des artistes vivants et des émotions, des
échecs et des surprises qui en résultent. »
Par ailleurs, lors de ces expositions temporaires, l'occasion
est donnée d'augmenter les connaissances sur un sujet donné (ce
que Nathalie Heinich nomme la " fonction documentaire de l'exposition
»)140. Les expositions temporaires sont aussi un moyen
d'envisager un nouvel angle d'approche. Les catalogues d'expositions procurent
souvent lors de ces événements, un apport documentaire
conséquent contribuant ainsi " aux progrès de la recherche et
de la connaissance ainsi qu'à leur diffusion ». En effet, le
Centre Pompidou-Metz dispose d'une édition qui lui est
dédiée.
Nous reviendrons ultérieurement sur les missions
d'accessibilité, de démocratisation et d'accès
égal de tous à la culture. Avant cela, nous souhaitons nous
questionner sur l'exposition inaugurale. Il est important de
réfléchir au contenu de la première exposition
137
http://www.centrepompidou-metz.fr/la-vocation-du-cpm
138 Cf. supra avec la commande à Nicolas
Pinier.
139 P.533
140 Article « exposition » in Encyclopedia
Universaelis.
puisque celle-ci se donne pour ambition de marquer l'histoire
de son ouverture. Il s'agissait d'une part de « prêcher les
convaincus », d'obtenir leur assentiment, mais surtout de convaincre les
sceptiques. L'acte est symbolique d'autant que chaque fois qu'est
montée, une exposition " particulièrement spectaculaire, la
presse et les pontes s'accorderont à prédire qu'on ne reverra
plus jamais rien de tel. » 141
2. Rester conventionnel avec Chefs-d'f uvre ? ?
Toute exposition, qu'elle soit d'ailleurs permanente ou
temporaire, nécessite de faire des choix, comme l'évoque Laurent
Le Bon :
" Le problème du choix est au coeur du
métier de conservateur : exposition, acquisition... (...) Eviter le
piège l'exposition blockbuster, graal introuvable. »142
Pour Metz, il fallait pour l'ouverture, convaincre, autant les
Lorrains que les Français et les pays limitrophes. Comme l'indique
Coline Garre143, de nombreux Lorrains étaient sceptiques
quant à l'arrivée du Centre Pompidou à Metz, dans la
mesure où ils craignaient qu'il
" n'accueille que les « fonds de tiroir » des
réserves de sa grande soeur parisienne, l'exposition d'ouverture,
Chefs-d'oeuvre ? propose une réflexion sur la pertinence de cette notion
».
L'idée de se réinterroger sur la notion, son
histoire et son actualité en proposant dans les quatre galeries un point
de vue à adopter peut paraître judicieuse. Ainsi la Grande Nef
présentait les « chefs-d'oeuvre dans l'histoire " en
retraçant la nation à travers les siècles, la galerie 1
s'intitulait « histoires de chefs-d'oeuvre " en présentant ceux-ci
à travers des histoires convergentes ; la galerie 2
dénommée « rêves de chefs-d'oeuvre " proposait de
mettre en regard les musées et les oeuvres, enfin la galerie 3
questionne le chef d'oeuvre, à
141 HASKELL Francis, Le musée
éphémère, Les maîtres anciens et l'essor des
expositions, Paris, Nrf, Gallimard, 2002, p.188.
142 Laurent Le Bon, " Apostille ? " In Chefs-d'oeuvre ?,
Editions du Centre Pompidou-Metz, Metz, 2010. p.533.
143 GARRE Coline, « Pour l'ouverture, la question des
chefs-d'oeuvre ", La croix, 11 mai 2010, p.18
l'ère de la reproductibilité des images avec
« chefs-d'oeuvre à l'infini ». L'exposition , si elle a
d'abord bénéficié des préts du Centre Georges
Pompidou avec 800 oeuvres144, constituant ainsi la plus grande
opération de préts de l'histoire du Centre Pompidou, elle a pu
disposer de nombreux prêts de musées régionaux et nationaux
essentiellement et quelques-uns provenaient de l'étranger (Louvre-Abu
Dhabi, MOMA de New York, Mudam Luxembourg et Fondation Gilles Caron en Suisse).
Une vraie proximité avec les oeuvres, encouragée par la
scénographie unique de chacune des galeries a été
prônée. Laurent Wolf s'interroge avec justesse sur
l'opportunité de l'exposition. 145
« Qu'est-ce qu'un chef-d'oeuvre? Le nouveau Centre
Pompidou-Metz invite à réfléchir à cette notion
à travers une exposition passionnante, mais pas totalement convaincante.
Décrire l'histoire de l'art telle qu'elle se raconte à un moment
donné? Adopter le point de vue des spécialistes qui voudraient
entrer dans les détails ou celui de la plupart des amateurs qui
souhaitent voir en vrai les peintures ou les sculptures les plus
célèbres? Le Centre Pompidou-Metz a choisi de jouer cartes sur
table avec le public et de le mettre face à ses propres inclinations.
»
Un thème connu, reconnu facilement par le grand public,
évoque déjà certaines images mentales.146
D'où peut-être une facilité du choix du thème que
l'on pourrait reprocher aux organisateurs de l'exposition. S'agit-il d'une
stratégie d'exposition que de redécouvrir un thème pour
obtenir l'appui du public ? Peut on penser comme Laurent Wolf qu'il «
s'agit d'amener le plus grand nombre de gens à la porte du musée
et de leur signifier avant qu'ils ne la franchissent : vous avez raison d'aimer
(...) » ? 147. Cela plaît d'autant plus aux
visiteurs que la durée en est limitée - pour Chefs -d'oeuvre ?,
l'exposition « 4 en 1 » était exceptionnellement et
volontairement longue148- et qu'il « faut l'avoir vu » ou
pouvoir dire « j'y étais ». Tout pousse ainsi les
musées à investir pour des événements temporaires
mais susceptibles d'exalter les foules.
144 Chefs d'oeuvres ?, dossier de presse, p.3
145 L.Wolf, « Chefs-d'oeuvre en stock », Le
Temps, Samedi 15 mai 2010.
146 Cf. N.Drouguet, « Succès et revers des
expositions-spectacles », Culture et musées n°5, juin 2005,
pp.65- 88.
147 Cf. L. Wolf, « La vérité des grandes
expositions. Critique et soumission à l'autorité »,
Etudes, 2003/2, tome 398, pp.229. Dans cet article Laurent Wolf fait
référence à l'exposition Modigliani de 2003 au
Musée du Luxembourg.
148 Presque un an et demi, de l'ouverture inaugurale le 10 mai
2010 à la fermeture de la galerie 2 le 12 septembre 2011 !
Laurent Le Bon s'interroge au fil de notre conversation :
" (...) il n'y a pas de collection permanente mais on a
quand même la possibilité de puiser dans une collection
permanente, je crois que c'est une formule qu'il ne faut pas jeter. Le
rêve idéal serait d'avoir des visiteurs intéressés
par les collections permanentes et que les musées soient pleins.
L'époque fait que les gens préfèrent aller voir une oeuvre
quand elle est dans une exposition temporaire que quand elle est à
côté de chez soi, moi, je ne fais pas partie de ceux qui s'en
plaignent ; je pense qu'il faut en tirer les conséquences pour faire des
projets scientifiquement fiables et aller de l'avant. Ce qu'il faut, c'est
être honnête et aller au bout de sa
passion.»149
Contrairement aux années 1970 où parfois on
profitait du public avec peu d'oeuvres et à la folie des expositions
temporaires qui s'en est suivie, Laurent Le Bon établit un
parallèle avec le cinéma, il y a des surprises : " Parfois il
y a des expositions nulles avec un succès immense et des expositions
géniales qui n'en ont pas. Une bonne exposition satisfait le public. Les
gens ont été plutôt contents de Chefs-d'oeuvre ?
»150
Le public a parfois été surpris de voir des
chefs-d'oeuvre, proches de son lieu de vie, dont il ignorait l'existence ou
qu'il ne pensait pas voir prétés au Centre Pompidou-Metz. Il
fallait surprendre, ce qui a été fait, en montrant aussi de l'art
ancien, exposé dans un lieu d'art contemporain. Une certaine
façon de renverser la tendance actuelle avec l'art contemporain
exhibé dans des lieux dits historiques ou anciens.
Selon Francis Haskell :
" L'impermanence de l'exposition suscite une excitation
particulière, qui tient dans la conviction qu'il ne sera sans doute plus
jamais possible de revoir ce qu'elle offre aux regards : une pièce venue
des antipodes, une oeuvre d'une impénétrable collection
privée, une comparaison entre tableaux ou la réunion
149 Interview Laurent Le Bon, réalisée le 16
février à Metz.
150 Ibid.
de diverses oeuvres. Peut-être est ce la
dernière chance, qu'il n'est pas question de laisser échapper.
»151
L'avant-propos du dossier de presse de l'exposition le manifeste
très clairement :
« Chefs-d'oeuvre ?, en rassemblant une
sélection rare et exceptionnelle d'oeuvres majeures, certaines
très rarement prêtées, donne à voir le meilleur de
cette extraordinaire collection. »152
Par ailleurs, on connaît l'enjeu de mise en oeuvre
d'expositions. Elles ont un coüt de réalisation élevé
de par la sécurité et les frais d'assurance nécessaires.
De fait, il est préférable pour les institutions organisatrices
de bénéficier d'un retour sur investissement, tout au moins de
couvrir les frais engagés153. Cette stratégie peut
infléchir sur les décisions politiques, budgétaires
notamment en choisissant d'abord des thèmes classiques. D'où le
phénomène d'expositions « blockbusters »
évoqué, expositions aux titres suggestifs, faisant
référence aux ages d'or et aux trésors qui vont capter
l'attention du public, comme des financeurs qui veulent investir dans des
valeurs sûres. Le déplacement exceptionnel d'une oeuvre constitue
parfois à lui seul l'événement. 154 Pour
Chefs-d'oeuvre ?, plusieurs oeuvres « valaient le
déplacement » comme le Magasin de Ben, les
décorations de Delaunay155 pour l'exposition internationale
de 1937, La tristesse du roi de Matisse, Precious Liquids de
Louise Bourgeois... par leurs dimensions, leurs formes, leur importance dans
l'histoire du gout et de l'esthétique ; méme si l'on comptait
plusieurs centaines de chefs d'oeuvres. En 2012, le Rideau pour le ballet
« Parade » de Picasso datant de 1917156 ouvrira le
bal et fera à lui seul l'événement, car il pourra
contribuer à l'attraction de visiteurs. On peut en effet penser qu'il y
a de la part de l'équipe un certain contentement en présentant
des oeuvres de manière événementielle, au sens où
nous l'avons défini plus haut.
151 HASKELL Francis, Le musée
éphémère, Les maîtres anciens et l'essor des
expositions, Paris, Nrf, Gallimard, 2002, p.212
152 Dossier de presse, Chefs-d'oeuvre ? , p.3
153 Cf. V. Patin, Tourisme et patrimoine, p.44.
154 Cf. R. Rapetti « L'exposition-événement
», pp.55-65, GALARD Jean (dir.), L'avenir des musées,
Editions de la RMN, Paris, 2001.
155 On invite le lecteur à regarder l'annexe 3, la photo
10 reflète les décorations de Delaunay.
156 Ce rideau de scène, oeuvre majeure de Pablo
Picasso, n'a été exposé que dix fois ces cinquante
dernières années. La toile monumentale, de 10,50 mètres
sur 16,50 mètres, d'un poids de 45 kilos, fut peinte pour le Ballet
Russe Parade, présenté au Théâtre du
Châtelet en 1917.
Ainsi, d'une façon virulente, Alex Coles157,
dénonce la facilité de l'exposition Chefsd'oeuvre ?
" In other words, the inaugural exhibition in the new
Pompidou is nothing more than a redisplay of all the recognized masterpieces in
their collection, with a few additions. (...) After all, it is a fantastically
rich collection and the museum needs to attract visitors to put its new
building on the map, but the present display does it a complete disservice.
»158
On peut tout aussi bien penser qu'il s'agit de se ranger dans
la lignée du grand frère parisien avec une volonté
prospective de marquer les esprits, de faire date, comme l'indique l'avant
propos du dossier de presse de l'exposition :
" Notre voeu le plus cher est que cette première
exposition fasse date, dans l'histoire du Centre Pompidou-Metz, comme
l'exposition Paris - New York marqua l'année d'ouverture du Centre
Pompidou en 1977, mais aussi la vie de tout un territoire en offrant à
une population transfrontalière une manifestation culturelle de la plus
haute qualité. »159
Il nous semble intéressant, de nous pencher
désormais sur les visiteurs du Centre Pompidou-Metz. En effet, ceux-ci
sont dûment mentionnés à de nombreuses reprises dans la loi
pour apparaître au coeur du dispositif muséal: "Lorsque la
conservation et la présentation au public des collections cessent de
revêtir un intérêt public, l'appellation "musée de
France" peut être retirée par décision de l'autorité
administrative, après avis conforme du Haut Conseil des musées de
France. »160 En outre, un sous-titre est
réservé, exclusivement à l'accueil des publics. 161
157 Alex Coles, Centre Pompidou-Metz, Art monthly, juin
2010, p.35.
158 Traduction personnelle proposée : « En
d'autres termes, l'exposition inaugurale du nouveau Pompidou n'est ni plus ni
moins qu'un réaccrochage des chefs d'oeuvre reconnus de sa collection,
avec quelques additions. Après tout, c'est une collection
exceptionnellement riche et le musée a besoin d'attirer des visiteurs
pour inscrire son nouveau bâtiment sur la carte, mais l'accrochage actuel
la dessert complètement. »
159 Dossier de presse de Chefs- d'oeuvre ?, p.3.
160 Code du patrimoine, Titre IV, Chapitre 2, article L.442-3.
161 Code du patrimoine, Titre IV, Chapitre 2, Section 3,
sous-section 1, article L.442-6 et L.442-7.
3. La difficile question des publics
Le Centre Pompidou-Metz propose de s'engager dans une "
politique des publics généreuse et accessible
».162 Cela tend à répondre, d'une certaine
façon, à la loi « Musées » avec la
volonté de " rendre les collections accessibles au public le plus
large » ainsi qu'en " concevant et en mettant en oeuvre des
actions de diffusion visant à assurer l'égal accès de tous
à la culture ». La politique des publics comprend deux
orientations :
- « diversifier les publics en s'intéressant
à toutes les catégories socioprofessionnelles (public individuel,
familial, scolaire, touristique, senior, groupes, personnes handicapées,
publics défavorisés, réseaux associatifs, entreprises...).
Le parti pris de l'institution est résolument pédagogique, pour
rendre accessible à tous la création artistique moderne et
contemporaine, et permettre ainsi la conquête de nouveaux publics
;
- fidéliser les publics et permettre
l'appropriation du lieu par les visiteurs grace à une
fréquentation régulière du Centre Pompidou-Metz. A cet
effet, la médiation est une priorité de l'institution et des
dispositifs d'information clairs et variés sont mis en place pour une
lisibilité optimale des propositions artistiques. »163
En ce sens, le Centre Pompidou-Metz a su attirer des
primo-visiteurs, d'après des enquêtes de public menées par
le Centre, de 10 à 15 % des visiteurs sont entrés pour la
première fois dans un musée, dont beaucoup de
jeunes.164 Ce qui est en soi, assez remarquable. On sait, en effet,
qu'il est difficile de travailler pour tous les types de publics et faire venir
des « non-initiés », le musée restant toujours
perçu comme un lieu trop élitiste. Des actions de terrain et de
partenariat ont été entreprises avec le rectorat,
l'université de Metz et les équipes des quartiers populaires de
la ville. Ce qu'Antoine Fonté cherche à valoriser :
" On a trois niveaux d'intervention, si on prend Metz,
c'est le financement aux structures installées (Pompidou, l'Arsenal,
l'Opéra-Théâtre, les Trinitaires) ;
162
http://www.centrepompidou-metz.fr/la-politique-des-publics
163
http://www.centrepompidou-metz.fr/la-politique-des-publics
164Elise Descamps, « Le Centre Pompidou-Metz
dépasse tous les espoirs », La Croix, no. 38859, lundi, 3 janvier
2011.
les événements comme l'été du
Livre, Nuit Blanche, Metz en fête, le troisième niveau, c'est
comment on va vers le public le plus éloigné de la culture. Nous
avons mis en place des résidences d'artistes dans les quartiers, dans
les écoles primaires, dans les maisons de retraite dans toutes les
disciplines, on conforte et on aide les associations qui irriguent toute la
ville et toutes les disciplines. Et ça c'est important, c'est aussi
important que financer l'Arsenal car si on n'a pas ces relais-là, on
perd des publics d'année en année. »165
Ainsi Laurent Le Bon et son équipe sont :
" touchés d'entendre un visiteur [les] remercier
parce qu'il voyait un Picasso en vrai pour la première fois. Pour cette
exposition d'ouverture, je crois qu'on a réussi le grand écart
impossible entre le grand public insaisissable et le fameux expert, toujours
apte à critiquer ce que vous faites. » 166
Confortant ainsi le directeur du Centre Pompidou-Metz dans son
idée que " le chef - d'oeuvre, c'est le visiteur.
»167 Il l'explicite déjà lors de
l'exposition Chefs-d'oeuvre?168où grâce
à la scénographie, des miroirs sont accrochés au dessus
des visiteurs proposant un autre regard sur l'oeuvre, affirmant ainsi que c'est
le visiteur qui fait le chef-d'oeuvre en donnant et en apposant à
l'oeuvre, cette reconnaissance. En outre, Laurent Le Bon s'inscrit dans une
certitude de réussir, en tirant le constat, que sans le visiteur
l'exposition ne serait pas une réussite.
Les visiteurs ne sont pas livrés à
eux-mêmes, puisque la médiation169 est une action
particulièrement valorisée par le Centre. Cependant, si les
médiateurs contribuent à la « médiation directe
»170, faite sur le vif ; ils sont encore beaucoup trop
sous-estimés par les publics, qui n'opèrent pas de réelle
distinction avec la fonction d'agent de surveillance. Les médiateurs du
Centre Pompidou-Metz ont la particularité d'avoir cette double
vocation.
165 Interview Antoine Fonté, réalisée le 16
février, à Metz.
166 Gilles Bechet, « On ne fait plus d'expositions comme il
y a quarante ans », Le Soir, samedi, 9 octobre 2010.
167 Centre Pompidou-Metz, Une nuit au musée,
France 5, Emission présentée par Laurence Piquet.
168 Cf. Annexe 3
169 La médiation culturelle selon J.Beillerot («
Médiation » dans Dictionnaire encyclopédique de
l'éducation et de la formation, Nathan, Paris, 2000.) «
regroupe l'ensemble des actions qui visent à réduire
l'écart entre l'oeuvre, l'objet d'art ou de culture, les publics et les
populations ».
170 Terme utilisé par Anne Fauche dans « La
médiation présence au Musée d'histoire des sciences,
enjeux, objectifs, pratiques, réflexions », in La lettre de
l'OCIM n° 83, 2002.
Pourtant, malgré toutes les médiations
indirectes171 existantes, comme les cartels, les panneaux
explicatifs, les interviews d'artiste et la scénographie172,
la médiation directe est une chance à saisir pour le visiteur
dont il ne sait que trop peu qu'il peut l'utiliser. C'est au visiteur de faire
la démarche, ce qui reste paradoxal, puisqu'aucune indication ne lui
donne la possibilité de le savoir. La direction se refuse à
afficher une quelconque note pour le mentionner.173 D'emblée,
pour le primo-visiteur, il paraît hautement improbable qu'il sache
utiliser correctement l'outil de médiation, qui malgré tout,
bénéficie à tous les visiteurs du musée.
En outre, malgré les 800 000 visiteurs de la
première année, ce qui fait du Centre Pompidou-Metz, une des
institutions provinciales les plus fréquentées, on peut rester
sceptiques sur la rotation des collections. En effet, s'il est mentionné
sur le site Internet ou annoncé à la presse, qu'il y aura environ
3 à 4 expositions par an, on peut avancer que Chefs-d'oeuvre ?
a été victime de son succès. Oserait-on avancer que le
rétro planning de fermeture de l'exposition a été mal
orchestré ? Il apparaît en effet que de nombreux visiteurs depuis
la fermeture de la grande nef et de la galerie 1 174 et
malgré l'ouverture de
l' « exposition »175 Buren en galerie 3
ainsi que l'exposition L'art contemporain expliqué aux
enfants176 dans le studio sont assez déçus de ce
qu'ils peuvent voir au Centre Pompidou-Metz. En effet, en galerie 2, une
dizaine d'oeuvres sont exposées ainsi qu'une rétrospective en
maquette - environ une trentaine- de l'histoire des lieux d'exposition d'art
moderne et contemporain. Pour les visiteurs qui font le déplacement, ils
estiment le prix un peu trop élevé pour voir une quarantaine
d'oeuvres. D'autant que s'ils ne possèdent --ou ne consultent- pas
Internet, ils apprennent que plusieurs niveaux sont fermés dès
qu'ils ont pris possessions de leur billets. On peut escompter dès
septembre, une meilleure rotation des collections avec l'exposition Erre qui
occupera deux niveaux dès septembre puis l'exposition des frères
Bouroullec dès le mois de novembre. La « saison » 2011-2012
semble avoir été mieux préparée avec comme point
culminant l'exposition 1917.
171 Tous les supports potentiels de médiation : cartels,
panneaux explicatifs, maquettes, moulages, reconstitutions, dispositifs
audiovisuels, outils multimédia, audioguides...
172 On pense notamment à la scénographie de la
galerie n°2 de l'exposition Chefs-d'oeuvre ?
173 Source inédite.
174 Depuis le 12 mai jusqu'au 11 septembre 2011.
175 Peut-on parler d'exposition lorsqu'il s'agit de deux
installations in situ ?
176 Exposition de Gianni Colosimo proposé du 2 juillet au
4 septembre 2011.
On peut penser qu'à cause de l'effet d'annonce et
l'effet d'ouverture, l'équipe du Centre Pompidou-Metz a eu tendance
à se « reposer sur ses lauriers », le succès et la
fréquentation se faisant grâce à la communication et au
bouche à oreille. Laurent Le Bon le concède :
« Nous avons reçu tellement de visiteurs que nous
n'avons pas eu le temps de nous poser trop de questions. »177
Il est vrai que le centre, victime de son succès, a du
mal parfois à répondre à toutes les demandes. Le standard
explose parfois, avec 500 appels certains jours178 et des
réservations de visites guidées qu'il fallait prendre au minimum
trois mois en avance, ce qui reste exceptionnel en province, car les
fréquentations lorraines, tout au moins, n'avaient jamais atteint ce
genre de record.
Le Centre Pompidou-Metz a su afficher une politique tarifaire
adaptée avec un billet à sept euros et un accès libre pour
les jeunes de moins de 26 ans. L'accès libre durant la semaine
d'inauguration du musée a sans doute contribué à attirer
les foules. En février, lorsque nous rencontrions Laurent Le Bon, 17000
pass avaient été vendus, ce qui restait au-delà des
espérances, au point que M. Le Bon nous confiait : « Je ne sais
pas si ça continuera mais c'est phénoménal. C'est
pratiquement un club de foot. »179 Les pass sont
matières à fidéliser les publics, d'autant qu'ils sont peu
chers, en comparaison ne serait-ce qu'avec le Centre parisien. Les pass pour
deux personnes coütent 30€. Il apparaît que les possesseurs
d'un pass sont revenus en moyenne 4 fois dans l'année. 180
Cependant, il ne faudrait pas se méprendre, beaucoup ont opté
pour le pass lors des premiers mois d'affluence pour échapper aux
longues files d'attente. En outre, celui-ci, méme s'il est renouvelable
annuellement, n'a servi qu'une année et donc, pour voir la seule
exposition Chefs - d'oeuvre ? Nous n'avons pas de projections pour les
années à venir, il faut cependant rester prudent sur ce chiffre
qui fléchira très probablement en année deux.
Parallèlement, il est des actions qui sont
intéressantes, les dépliants et les audioguides
ont été traduits en deux langues (anglais et allemand), qui
peuvent être suffisants pour le moment. Nous le verrons
ultérieurement, mais dans la mesure où les pays n'appartenant
177 Laurent Le Bon interviewé par Marion Weber, «
Centre Pompidou-Metz, un an déjà... », La plume
culturelle, mardi 21 juin.
178Elise Descamps, « Le Centre Pompidou-Metz
dépasse tous les espoirs ». La Croix, no. 38859Culture,
lundi, 3 janvier 2011.
179 Interview Laurent Le Bon, réalisée le 16
février, à Metz.
180 Martine Robert, «Fort de son succès populaire, le
Centre Pompidou-Metz espère des mécènes », Les
échos, mardi 10 mai 2011.
pas à l'Union Européenne restent minoritaires,
il paraîtrait disproportionné financièrement d'engager des
moyens dont l'utilité restera faible ; bien que ces outils contribuent
à la démocratisation culturelle. En revanche, les actions de
médiation à destination des publics handicapés, semblent
avoir été mises en places, de façon tardive :
« A partir de septembre, le musée organisera,
durant les heures d'ouverture, des visites adaptées aux
handicapés moteurs et mentaux, aux malvoyants et aux malentendants.
»181
Il est en effet plus simple de mettre ces actions en place
dès l'ouverture d'un nouveau bâtiment, plutôt que de les
réintégrer a posteriori. D'autant plus quand on est
« tributaire » d'un lieu. Il reste beaucoup à faire à
ce niveau, méme si les actions de première
nécessité comme l'accès aux toilettes pour personnes
à mobilité réduite dès le rez-de-chaussée ou
les ascenseurs ont été prises en compte dans la
réalisation du bâtiment. Le lieu expose aussi de façon
temporaire une collection permanente, il reste difficile de créer des
outils et/ ou des supports malheureusement encore chers à produire alors
que ceux-ci sont destinés à être utilisés de
façon provisoire. Cependant, on aurait pu penser qu'une collaboration
avec Paris aurait été mise en place pour ce genre de
questions.
Par ailleurs, dans les actions ayant pour fin de
fidéliser les publics, il en est certaines qui fonctionnent
déjà correctement. Plus de 15 000 scolaires et centres de loisirs
ont fréquenté les ateliers jeunes publics entre mai 2010 et
janvier 2011. Ces ateliers sont conçus par un artiste. Si en soit, ce
type de dispositif avec un groupe visitant l'exposition et l'autre participant
à l'atelier, n'est pas nouveau, il reste un pensum. Comme son grand
frère parisien, le Centre Pompidou-Metz innove en s'adressant à
un public adolescent, « qui [est] à l'âge où se
créent les habitudes culturelles »182 Ces ateliers ne
sont pas forcément réservés au groupe, car le week-end ils
sont ouverts aux individuels.
Pour Laurent Le Bon183, il reste de nombreuses et
belles pistes à définir encore à destination des
publics comme un travail plus poussé avec les associations de quartier,
les prisons, et les personnes à mobilité réduite.
Cependant, c'est un travail de terrain et qui
181 Aurélie Dablanc, responsable du pôle des Publics
interrogée par Christine Rigollet in « Spécial Metz
Musée, mode d'emploi », Le Point, no. 1963, jeudi, 29 avril
2010.
182 Aurélie Dablanc, responsable du pôle des Publics
interrogée par Christine Rigollet in « Spécial Metz
Musée, mode d'emploi », Le Point, no. 1963, jeudi, 29
avril 2010.
183 Interview Laurent Le Bon, réalisée le 16
février, à Metz.
nécessite d'être mené au quotidien. On peut
penser que par la suite, cela se mettra en place naturellement. Comme le dit la
maxime : « Paris ne s'est pas faite en un jour ».
Il nous reste à présent à examiner et
approfondir les résultats obtenus par et grâce au Centre
Pompidou-Metz.
III. Les résultats
A. Médiatiser l'événement
Pour réussir à faire venir du monde, rien ne se
fait désormais sans communication. Frédéric Mitterrand
rappelait dans l'émission de Laurence Piquet184 , que la
communication était importante :
« Le problème, c'est d'arriver à faire
rentrer ceux qui n'osent pas rentrer. Pour les faire rentrer, je crois que la
communication est très importante, ce que nous sommes en train de faire.
»
Si l'idée d'éducation a longtemps
été présente dans l'esprit des visiteurs et des
professionnels, on constate que depuis quelques années, la communication
est devenue primordiale et tend peut être à la remplacer.
1. Une campagne électorale pour un lieu culturel
?
Désormais lorsqu'un nouveau lieu culturel ouvre, il se
trouve en quelque sorte sur un marché concurrentiel, puisqu'il n'est pas
unique en son genre. Il faut éviter une certaine logique du clonage
comme pour les centres commerciaux qui demeurent indifférents à
leur environnement.
Patrizia Ingallina considère que :
« Les villes qui autrefois cherchaient à se
vendre en tant que lieux de production se vendent maintenant comme lieux de
consommation. Désormais une grande richesse économique est
générée à partir des industries culturelles, des
activités ludiques, artistiques et de loisirs (gastronomie comprise).
»185
On peut assimiler quelque peu cette pensée à
Metz. En effet, avant l'arrivée du Centre Pompidou-Metz, les
collectivités territoriales (ville, communauté
d'agglomération et Metz
184 Centre Pompidou-Metz, Une nuit au musée,
France 5, Emission présentée par Laurence Piquet.
185 Patrizia Ingallina, «L'attractivité des
territoires, p.9-18 » in L'attractivité des territoires :
regards croisés, Actes des séminaires,
février-juillet 2007, p.13
Métropole développement) ont financé une
campagne de communication annonçant l'arrivée du Centre
Pompidou-Metz. Cette campagne d'affichage de 3000 panneaux diffusés dans
toute la France a été lancée trois semaines avant
l'ouverture du Centre. Elle déclinait trois peintres (Picasso, Dali et
Warhol) qui déclaraient : « Je m'installe à Metz
»186. Les affiches étaient exposées à
différents endroits mais aussi à Metz. D'aucuns pensent qu'il y
en a eu trop à Metz et que la campagne était pensée
à destination des autres villes que Metz. 187 Or, comme l'indiquait
Laurent Le Bon, lors de notre entretien :188
" On a essayé de se mettre 3-4 ans en amont dans
une logique un peu comme une campagne électorale, ne pas dire qu'on
allait être un OVNI coupé de tout, mais qu'on allait être
une étoile parmi d'autres, notamment avec Constellation189
qui a été importante . On a fait des conférences, des
interventions, on a battu le terrain, rencontré des gens des
associations pour leur dire : " voilà, c'est l'argent du contribuable
mais voici ce qu'on va faire avec ».
Le lieu n'est pas arrivé seul, le terrain a
été préparé. D'autant qu'il est nécessaire
de prévenir aussi la population locale, dans la mesure où elle
est la première concernée. Car si les néophytes avaient pu
être avisés de l'ouverture du Centre par voie de presse ou par le
bouche-à-oreille, tous les Messins ne se sont pas encore
forcément rendus au Centre Pompidou-Metz et certains ignorent encore son
existence.
La campagne était complétée par une
dernière affiche : « Centre Pompidou-Metz ; c'est bientôt
». Sur cette dernière, il est fait mention des distances
kilométriques avec Luxembourg ; Paris, la Belgique et l'Allemagne. Cette
campagne a remporté un franc succès. D'autant qu'elle a
reçu le prix de la meilleure campagne publicitaire des
collectivités territoriales. Selon Laurent Le Bon, il était
paradoxal qu'on ne voit pas la ville.190 Le problème
persistant reste que cette communication a un prix et que le Centre
Pompidou-Metz ou les collectivités territoriales ne peuvent pas se
permettre pour chaque
186 Cf. annexe 4.
187 Interview Jean-Marie Rausch, réalisée le 16
février, à Metz.
188 Interview Laurent Le Bon, réalisée le 16
février, à Metz.
189 On rappelle que Constellation était la
manifestation de préfiguration du Centre Pompidou-Metz, du 15
mai au 4 octobre 2010 à Metz et dans différents
lieux culturels lorrains.
190 Interview Laurent Le Bon, réalisée le 16
février, à Metz.
exposition une campagne aussi importante. Antoine
Fonté191 nous expliquait que la campagne avait couté
1,2 million d'euros. Pour lui, le public vient d'autant plus en ville
après sa visite grâce à la 3e galerie
orientée vers la cathédral192e, presque comme une
carte postale. Selon lui,
« Ça vaut toutes les campagnes de communication
et d'affichage ».
Une seconde campagne intitulée « Je veux Metz
» a été lancée du 21 octobre au 31 décembre
2010 par Metz Métropole Développement 193 afin
« de positionner Metz Métropole comme destination attractive,
dynamique et moderne auprès des cadres, entrepreneurs et
décideurs économiques français et européens.
»194
Elle joue avec un humour décalé avec des
personnages qui ont fait le choix de ne pas s'installer à Metz et qui le
regrettent, afin de « casser » l'image négative de Metz.
La campagne «JE VEUX METZ« est financée en
majeure partie dans le cadre du Contrat de Redynamisation des Sites de
Défense et bénéficie par là -même du soutien
de l'Etat et de l'Europe. Antoine Fonté relate que cette
opération a coûté moins cher à la ville : 195 entre
300 et 400 000 euros. La campagne avait un plus fort impact en termes de
quantité : - avec la diffusion des spots publicitaires sur LCI et BFM
ainsi qu'en catch up TV sur TF1/LCI, Canal Plus et BFM TV ;
- une mise en place d'un dispositif sur Facebook (campagne
Facebook, page «JE VEUX METZ») ;
- une convergence sur le site «
WWW.JEVEUXMETZ.COM» qui
reprend les vidéos, teasers et making-of des spots ;
- un dispositif d'affichage dans le Métro parisien, les
Gares TGV parisiennes et de grandes villes françaises, les
aéroports de Bruxelles, Francfort, Luxembourg et Paris Charles de
Gaulle, et bien sûr à Metz ;
- des achats d'espaces dans la presse messine, nationale et
internationale ;
- un dispositif de bannières web ciblé.
191 Interview Antoine Fonté, réalisée le 16
février, à Metz.
192 On invite le lecteur à regarder l'annexe 3.
L'exposition Buren a également tenté de revisiter cette
idée de carte-postale, en affichant sa fameuse rayure autour de miroirs
reflétant la cathédrale.
193 Metz Métropole Développement est l'agence de
développement économique de la ville de Metz ainsi que de Metz
Métropole.
194 Dossier de presse « Je veux Metz ».
195 Ibid.
La stratégie repose plus sur des valeurs de marketing,
afin d'attirer des nouveaux commerces essentiellement dans le quartier de
l'Amphithéâtre. Paradoxalement, les affiches196 ainsi
que le spot publicitaire ne mentionnent pas le Centre Pompidou-Metz, à
première vue. C'est seulement si l'on va plus loin que l'on obtient
quelques informations. On a des mentions pratiques concernant
l'économie, les réseaux professionnels performants et la
proximité frontalière. On peut déplorer le
côté anachronique de la campagne, qui s'emploie uniquement
à insister sur l'économie197 sans traduire
l'importance du cadre de vie messin, ce qui est regrettable. La communication
veut se distinguer d'une campagne de communication traditionnelle.
L'idée est de jouer volontairement sur les clichés qui sont
donnés à la ville de Metz comme l'affirme Thierry Jean dans le
dossier de presse :
«Nous avons souhaité une campagne en
décalage avec les codes du marketing territorial classique car Metz
Métropole est consciente qu'elle est l'objet d'une perception
plutôt négative. Il fallait donc un message fort et
décalé pour créer une rupture d'image et cela, juste
après l'inauguration du Centre Pompidou-Metz, symbole de
modernité et d'innovation».
Il est dommage de ne pas profiter d'autres
éléments culturels dont la ville dispose en dehors du cadre
économique. Car on a l'impression que la ville s'auto fustige en
retombant dans les poncifs qu'elle a souhaité combattre.
Par ailleurs, outre les services institutionnels qui
communiquent l'information, la presse et les médias ont plutôt
bien relayé l'ouverture du Centre Pompidou-Metz. En dehors de la presse
locale qui se fait désormais le relais des expositions, désormais
ce sont quelques articles sporadiques dans la presse nationale et à la
télévision. Comparativement à des premiers mois où
celle-ci était omniprésente.
On constate avec regret, que le site internet institutionnel
de la ville ne communique que très peu sur le Centre Pompidou-Metz. Il
faut vraiment chercher pour trouver l'information, car plusieurs onglets sont
nécessaires. Metz métropole quant à elle a un onglet
spécialement dédié au Centre Pompidou-Metz. Elle montre
aussi les autres grands
196 Cf. annexe 5.
197 Même s'il s'agit d'un élément
recherché puisque Metz Métropole Développement est une
agence de développement économique.
projets pour prouver qu'il existe d'autres structures culturelles
qu'elle finance, qui ont la même hiérarchie visuelle.
En dehors des biais classiques, le Centre Pompidou-Metz a su
innover avec l'usage des nouvelles technologies de l'information et de la
communication.
2. L'utilisation des Nouvelles Technologies de
l'Information et de la
Communication (NTIC)
Les Nouvelles Technologies de l'Information et de la
Communication (NTIC) parsèment de plus en plus le paysage quotidien.
D'aucuns ont senti un nouveau tournant de celles-ci pour un usage touristique
et commercial. Si les NTIC ne concernent pas tout le monde, certains demeurant
encore sceptiques quant à leurs utilisations, d'autres les
intègrent pleinement dans la vie de tous les jours. Etre innovant lors
d'un événement par le biais des NTIC peut aussi contribuer
à accroître la notoriété d'une entité, dans
la mesure où celle-ci a su se moderniser et démultiplier ses
offres. L'usage de ces nouvelles technologies est éventuellement
médiatisable, par voie de presse notamment, d'autant plus si leur aspect
innovant est encore peu utilisé. Les NTIC permettent également de
démultiplier les possibilités d'information des publics : pour
les enfants, les clientèles étrangères, les
handicapés... en adaptant le contenu spécifique sur le support
voulu, en le rendant plus ludique pour les enfants par exemple, en le
traduisant ou en l'adaptant à des besoins spécifiques qui
concernent les handicapés (écran avec une personne qui s'adresse
en langage des signes à une personne malentendante...).
Le Centre Pompidou-Metz a, avant même son ouverture,
préparé tous les moyens pour être sur la même
lignée que les musées parisiens. Il possède une
communauté sur le réseau social facebook assez importante pour un
musée de province (environ 23 000 « j'aime »198).
En outre, il utilise des moyens similaires avec des sites de
référencement comme le site exponaute par exemple199.
Si la billetterie et la réservation en ligne ou dans des espaces
partenaires est un classique des musées parisiens, cela reste une
certaine forme
198 23 000 à l'heure où nous finissons notre
mémoire, le 1er septembre.
199
www.exponaute.com
de nouveauté pour les Lorrains.200 Il a su
proposer des visites audioguidées sur I-pod pour l'exposition
Chefs-d'oeuvre?
L'équipe perçoit ses outils comme des
complémentarités par rapport à la médiation. La
médiation-présence reste la forme la plus recherchée par
le Centre Pompidou-Metz.
Les visites numériques sont toutefois
intégrées dans les statistiques. Mais, comme l'annonce Laurent Le
Bon 201 : « Un projet comme le Centre Pompidou-Metz, sa pertinence est
fondée sur la réalité. Sinon, l'expérience n'a pas
de sens. » De façon générale, les statistiques
montrent que les fréquentations fortes sur le site Internet ont une
incidence sur la visite avec une hausse de fréquentation.
Attachons nous à présent aux retombées
économiques opérées grâce au Centre Pompidou-Metz
tant pour lui même que pour la ville. Le Centre Pompidou-Metz a
généré une fréquentation sans
précédent. Il semble en effet qu'un processus
multiplicateur202 selon lequel les dépenses entrées
sur un territoire génèrent en cascade des dépenses dans
d'autres secteurs d'activité, soit mis en place.
200 On peut noter, car c'est assez rare, que le prix de
l'exposition est le même que celui proposé à Pompidou chez
les revendeurs.
201 Interview Laurent Le Bon, réalisée le 16
février, à Metz.
202 Cours de M. Vann Nicolas, Eléments de politique
culturelle, Université Paris Diderot 2010-2011.
B. Des retombées économiques directes203
et indirectes
1. Une fréquentation phénoménale
« Le succès d'un musée ne se mesure pas au
nombre de visiteurs qu'il reçoit, mais
au nombre de visiteurs auxquels il a
enseignéquelque chose. Il ne se mesure pas au nombre
d'objets qui ont pu être perçus par les
visiteurs dans leur environnement humain. Il ne se
mesure pas à son étendue mais à la
quantitéd'espace que le public aura pu
raisonnablement parcourir pour en tirer un
véritable profit. C'est cela le musée. Sinon, ce n'est qu'un
espèce « d'abattoir culturel ».
Jean Clair, L'hiver de la culture, citant Georges-Henri
Rivière au début des années 1970 p. 59-60 :
Le Centre Pompidou-Metz est désormais un des
musées de province les mieux classés, créant la surprise
auprès de ses confrères qui existent depuis bien plus longtemps.
L'exposition Chefs-d'oeuvre ? a accueilli plus de 800 000 visiteurs
depuis son ouverture. 800 000 étant le chiffre annoncé lors des
remerciements pour la première année proposant ainsi une
opération de gratuité pour les soirées d'anniversaire. En
7 mois, l'exposition avait reçu 600 000 visiteurs.
203 Cours de M. Yann Nicolas : les effets directs constituent
la première partie les effets de dépenses effectuées en
premier lieu par les visiteurs non locaux, les effets indirects constituent la
réutilisation des effets directs par les entreprises locales. Les effets
induits sont les répercussions des effets directs et indirects, produits
ultérieurement.
Dans une interview au Point204, Laurent Le
Bon annonce qu'il
" n'a[vons] vraiment pas à rougir de ses[nos]
chiffres. Quand la grande exposition " Monet » à Paris,
considérée comme l'un des grands succès de l'année,
a attiré 900 000 visiteurs205, nous nous en avons reçu
600 000. »
Il ne s'en plaint d'ailleurs pas, allant méme
jusqu'à se féliciter, en faisant référence aux
records de cinq heures de file d'attente enregistrées lorsque le
musée atteignait la limite de ses capacités (1 200 visiteurs en
même temps), car :
" Certains jours d'été, nous avons fait plus
que Pompidou-Paris ! »206 Le secrétaire général
du musée, Emmanuel Martinez déclare quant à
lui207 :
" Il ne faut pas croire qu'on a voulu faire un one-shoot
pour l'ouverture. C'est un projet culturel qui s'inscrit dans la durée.
Nous sommes déjà en train de travailler pour 2013-2014. Pour les
quatre prochaines années, l'objectif affiché reste de 250 000
visiteurs par an en moyenne. »
Il est vrai que cet objectif était plutôt bas et
que l'ouverture a bénéficié d'une très forte
médiatisation, alimentée par la curiosité de
l'architecture audacieuse ainsi que du contenu. Réalité ou fausse
pudeur de la part des organisateurs? M. Rausch208 se targue d'avoir
annoncé qu'il y aurait 700 000 visiteurs pour les premiers mois, ce qui
pour beaucoup semblait inimaginable à Metz. Laurent Le Bon
répondait quant à lui qu'il :
" J'avais avancé le chiffre de 200 000
entrées, mais je pensais à 2011. J'ai toujours dit que
l'année de l'inauguration allait être atypique, en raison du
retentissement médiatique. Je m'en tiens donc à cet objectif, qui
constitue déjà un très bon chiffre, si l'on prend en
compte le phénomène d'étiolement propre aux institutions
culturelles »209
204 Cordelier Jérôme, « Pompidou, acte II
», Le Point, Villes, jeudi 10 février 2011, p.193-195.
205 Pour rappel, l'exposition du grand palais a duré 4
mois, du 22 septembre 2010 au 24 janvier 2011.
206 Descamps Elise, « Le Centre Pompidou-Metz dépasse
tous les espoirs », La Croix, no. 38859, lundi 3 janvier 2011.
207 Cordelier Jérôme, op.cit.
208 Interview Jean-Marie Rausch, réalisée le 16
février, à Metz.
209 Descamps Elise, op.cit.
Antoine Fonté avoue qu'il « sait pertinemment
qu'en année 2, normalement ça doit fléchir. Et si on reste
aux alentours de 300 000 à l'année, c'est exceptionnel ! »
210
Jean-Marie Rausch211 annonce que s'il y a maintien
d'expositions prestigieuses, telles qu'a pu l'être Chefs-d'oeuvre
? , une densité élevée pourra être maintenue.
Pour lui, Pompidou est tellement riche en oeuvres qu'il y a toujours la
possibilité d'avoir du nouveau. Ce qui selon nous, se mesure
également au brio des conservateurs et de leurs équipes qui,
s'ils savent s'efforcer de ne pas choisir uniquement la facilité avec
des thèmes accrocheurs, peuvent impressionner en déployant des
thématiques in envisagées jusque là. Pour
1917,
M. Rausch n'exclue pas la potentialité d'attraction de
visiteurs Allemands dont certains maîtres du XXe siècle ont
transformé la vision de l'histoire de l'art avec des mouvements comme le
Bauhaus, Der Blaue Reiter... . En outre, quelque soit
l'exposition, il n'exclue pas la visite de néerlandais dont la route
pour gagner le Sud, passe de façon quasiobligatoire par la Lorraine.
On peut de manière générale, comme le
suggère Noémie Drouguet, regretter que les chiffres de
fréquentation apparaissent souvent comme le seul bilan et que seuls les
retours dans la presse ou l'efficacité d'une campagne de promotion
soient mesurés.212 Si l'intention de Georges-Henri
Rivière était intelligente, peu d'instruments statistiques et
sociologiques existent vraiment pour mesurer des perceptions sensorielles
ressenties au musée.
Toutefois, il nous semble, que la présence
répétée d'un musée dans la presse, dans les
médias, plus on fait parler de soi, garantisse la venue du public.
Puisqu'il est vrai, aujourd'hui la communication sur l'exposition est devenue
aussi importante que le contenu213. En revanche, on peut noter que
certains efforts ont été fait de la part de la
210 Interview Antoine Fonté, réalisée le 16
février, à Metz.
211 Interview Jean-Marie Rausch, réalisée le 16
février, à Metz.
212Cf. N.Drouguet, op.cit.
213 Parenthèse à part, on peut se
féliciter pour l'instant que le Centre Pompidou-Metz ne soit pas un de
ces lieux où l'on fait, pour reprendre le titre de Noémie
Drouguet, des expositions spectacles et où la communication est devenue
plus importante que le contenu. A l'exception des premières semaines de
Chefsd'oeuvre? A ce titre, il existe pour nous, de nombreux
musées ou lieux qui se qualifient comme tels qui pratiquent ce genre de
communication outrancière où tout doit s'acheter. On ne
bénéficie plus que du seul cartel et de presque aucune
explication sur un panneau, car il est préférable de louer
l'audioguide voire même d'acheter un podcast. On rentabilise des espaces
fort mal appropriés en ayant une rotation assez impressionnante de
visites guidées ne permettant presque plus de voir les oeuvres. Les
thématiques sont lucratives et il est quasi-obligatoire de passer par un
revendeur (avec une majoration du prix d'entrée) pour obtenir son billet
coupe-file afin d'éviter la queue qui serait aussi longue que la
durée de la visite de
mairie ou d'éditeurs, afin de rééditer
des guides, cartes-postales, plan de la ville mentionnant le Centre Pompidou.
De même, il est fort heureux, que deux mois après son ouverture,
le Centre Pompidou-Metz ait pu bénéficier de son panneau à
fond marron symbolisant les sites touristiques sur l'autoroute A31. A court
terme, on le voit, le succès attire les médias qui se mobilisent
à la suite d'un succès. Il nous faut désormais nous
intéresser aux retombées économiques indirectes qui
découlent de cette fréquentation.
2. Une économie indirecte
La valorisation touristique du patrimoine favorise la
croissance économique en développant des activités
touristiques génératrices de recettes financières et
d'emplois directs, indirects et induits.
Anne Picq214 relatait en mai 2010 qu'il y avait :
(...) D'ores et déjà, en plus des 60
personnes employées par le Centre Pompidou-Metz, les concessions et
externalisations nécessaires au fonctionnement du musée
pourraient créer à elles seules 200 à 300 emplois.
»
Aujourd'hui, ce sont véritablement 60 personnes qui y
travaillent215 et qui sont donc des emplois directs. En revanche,
les emplois directs qui sont externalisés sont souvent précaires.
Ainsi, Phone Régie, société employant les
médiateurs ainsi que le personnel d'accueil procède quasiment
uniquement par contrats à durée
déterminée.216
Peut-on parler d'une classe créative
217 ou de cluster218 grâce à laquelle la
force de la ville découlerait de son dynamisme culturel et
artistique, lequel deviendrait le moteur de son
l'exposition ! Enfin, il faut penser également aux
boutiques, où l'on se retrouve parfois comme à Disneyland,
obligé de passer par l'espace boutique soit en entrant soit en sortant.
A titre d'exemple, on pense au Musée Jacquemart-André,
possédant au demeurant un magnifique hôtel particulier ; à
la Pinacothèque de la Madeleine qui annonce des collections permanentes
qu'elle emprunte pour une durée déterminée ; au
Musée Maillol qui devient un lieu d'exposition temporaire n'exposant
quasi plus d'oeuvres de Maillol et jusqu'à sa réouverture le
Musée du Luxembourg.
214 Cf. A. Picq, op. cit., p.46-49.
215 Cf. organigramme in Zoom n°4, l'agenda de
septembre à décembre 2011.
216 Source inédite.
217 Conceptualisée par Richard Florida, The rise of
the creative class : and how it's transforming work, leisure, community and
everyday life, New York, Harper business, 2002.
218 On reprend la définition donnée par Fabrice
Hatem in « Le rôle des clusters dans les politiques
d'attractivité », L'attractivité des territoires :
regards croisés, Actes des séminaires,
février-juillet 2007, pp19-21 où le cluster est conçu
comme « la présence, sur un même espace géographique
de taille relativement limitée, de firmes, centres de
recherche-développement, universités, organismes financiers
très
développement économique ? En 2002, dans The
Rise of the Creative Class, Richard Florida affirme que les dimensions
économiques et sociales d'un territoire sont liées à la
présence d'artistes (écrivains, acteurs, designers, architectes)
et de scientifiques (ingénieurs et intellectuels). Par
conséquent, les villes doivent se doter d'équipements et
d'infrastructures permettant d'attirer des travailleurs ayant ces
compétences. Peu à peu, d'autres ménages sont
attirés par la présence des artistes et l'image bohème
qu'ils confèrent au quartier. On parle alors de gentrification
ou d'embourgeoisement d'un quartier lorsque celui se métamorphose
socialement et sociologiquement. Dans cette phase d'embourgeoisement, on voit
généralement se développer des cafés et restaurants
branchés, des boutiques de designers locaux, des librairies
spécialisées, des galeries. Pour Metz, il semble encore difficile
d'évoquer un réel embourgeoisement d'un quartier
spécifique. D'une façon générale, on a vu des
galeries s'ouvrir récemment comme Toutouchic219 en septembre
2010, La Conserverie220 en janvier 2011, Modulab'221 en
mars 2011, même si certaines existaient déjà comme Faux
mouvement222 présente depuis 1983 ou encore Octave
Cowbell223 depuis 2002. Quelques librairies
spécialisées ont ouvert comme La cour des grands224 en
2006 ou Le carré des bulles225 en 2007. On peut aussi
remarquer que dans l'une des principales rues commerçantes de Metz, de
nouvelles boutiques plutôt haut de gamme ont ouvert leurs portes. On peut
supposer que la construction du quartier de l'amphithéâtre
permettra une revalorisation immobilière du quartier, puis
l'installation de ménages plus aisés. Le président de la
République a souhaité annoncer que :
« ~ » Ce qui se joue ici, avec l'inauguration de
ce musée, ce n'est ni plus ni moins qu'une nouvelle renaissance
lorraine.226 (...)La Lorraine a beaucoup souffert toutes ces
dernières décennies des restructurations, des mutations, des
changements, le textile, la sidérurgie, les mines, le militaire. Metz,
Monsieur le Maire, on en parlait, une ville de garnison. C'était
certainement un élément de
compétitifs appartenant au même domaine de
spécialisation et organisés au sein de réseaux de
collaboration à la dynamique autonome, caractérisés par
une innovation continue et des transferts d'innovation aisés »
219www.letoutouchic.com/
220 www.cetaitoucetaitquand.fr/
221 http://modulab.fr/
222
www.faux-mouvement.com
223
www.octavecowbell.fr
224 http://lacourdesgrands.over-blog.fr/
225
www.aucarredesbulles.fr
226 Discours inaugural du président de la
république.
fierté mais qui peut penser que dans un monde qui
bouge comme le nôtre, nous pouvions garder la même organisation
militaire. Il a fallu faire des choix. Des choix qui ont été
douloureux pour votre département et pour votre ville, puisque c'est
presque un tiers des effectifs, si mon souvenir est exact, qui seront
transférés. Je dois dire que je veux rendre hommage aux
élus, toute tendance confondue, et à la population. On a
essayé de bâtir une réponse à cette restructuration.
Cest tout à fait lié à ce que nous sommes en train
d'inaugurer, parce que ce musée qui est un acte culturel fort, est en
même temps un élément d'une politique stratégique de
développement. »
Cependant, comme le préconise Fabrice Hatem227
:
« Il faut se garder, cependant, de l'illusion
consistant à voir dans les clusters la solution définitive aux
problèmes actuels de reconversion, de développement et
d'attractivité des pays industrialisés. La croissance de
l'économie ne se réduit pas à celle des activités
à haute valeur ajoutée. Celles-ci ne sont pas toutes
fondées sur l'innovation. Il existe des cas nombreux où cette
innovation n'est pas réalisée au sein de réseaux de
coopération, mais par une entreprise totalement isolée. Ces
réseaux de partenariats peuvent relier des entreprises qui ne sont pas
nécessairement proches géographiquement. A l'inverse, la
proximité géographique, même au sein d'un cluster
dynamique, ne garantit pas nécessairement le développement de
relations de coopération étroites entre firmes. Toutes ces
raisons expliquent sans doute pourquoi tant de clusters autoproclamés
par les autorités de développement territorial, et soutenus par
d'importants budgets publics, n'ont finalement pas fait preuve dynamisme
escompté. »
Par ailleurs, il existe des retombées beaucoup plus
importantes que les recettes directes de l'exploitation du musée. Elles
concernent les recettes des dépenses effectuées à
proximité de ce dernier, « la valeur d'usage directe
»228du musée. Ces dépenses s'appliquent entre
autre à l'hébergement, la restauration, aux commerces -
excepté les ventes associées aux droits d'entrée - aux
activités de loisirs, aux transports et aux services. Ce sont des
retombées économiques induites par l'événement.
227 Fabrice Hatem, op.cit. p.21.
228 Cf. V. Patin, op.cit, p.135.
Sans oublier toutefois les répercussions
économiques pour les finances locales de cette fréquentation
touristique, à savoir les parkings, les taxes prélevées
sur les opérateurs touristiques et les commerces (taxes de
séjour, taxes professionnelles) dont les collectivités locales
sont bénéficiaires. Il est évident que si la ville impulse
un événement culturel générateur de recettes
importantes pour l'économie locale, elle entend que commerçants
et opérateurs du tourisme y participent. Ces derniers ont tout
intérét à s'allier à la ville pour permettre ces
chiffres d'affaires, dans leurs avantages propres et pour la ville, par effet
dérivé.
L'importance des consommations connexes et des
bénéfices indirects sur la ville croît d'autant plus si
l'offre locale est adaptée à l'offre culturelle.229
D'où la nécessité pour les acteurs
économiques de la ville de travailler en collaboration avec l'office de
tourisme qui reste, souvent, le premier interlocuteur avec le touriste en lui
fournissant à la fois la documentation sur les offres culturelles et les
possibilités d'hébergement et de restauration.
Pour Alain Steinhoff, président de la
fédération des commerçants de Metz, l'enjeu est d'inciter
ceux qui iront visiter le Centre Pompidou à s'aventurer ensuite au
centre-ville.230
Pour cela, la chambre de commerce et d'industrie de la Moselle
a organisé des stages de langues pour les commerçants, des
ateliers de traduction des menus pour les restaurateurs et lancé la
création de guides et de répertoires touristiques. Cependant, on
note toujours une difficulté des Français à parler une
langue étrangère, qu'elle qu'elle soit. Globalement, ce sont
assez peu de cartes qui sont à minima en 2 langues. Trop peu de serveurs
font encore l'effort de parler dans la langue de leurs interlocuteurs. La ville
compte beaucoup, il faut le dire, sur le tourisme pour redorer son image. En
2010, Thierry Dufossé, patron de l'Hôtel de la Citadelle (seul
quatre-étoiles de la ville), estimait que le Centre allait lui permettre
de « capter une nouvelle clientèle internationale».
231
Avec une surface d'exposition aussi importante et une
proximité forte de l'euro-région, on espère beaucoup de
visiteurs étrangers. Metz- Francfort se fait désormais en 2h30
en
229 Cf. J.M Tobelem, Musées: gérer
autrement. Un regard international, p.139.
230 Nicolas Bastuck et Claire Guillot « Le Centre sera-t-il
une manne pour la région ? Les acteurs économiques de Metz, et
aussi les musées et les lieux de création de la grande
région, espèrent profiter de l'arrivée de l'espace
culturel », Le Monde Spécial Centre Pompidou-Metz, mardi,
11 mai 2010.
231 Ibid.
voiture, entre trois et quatre heures en train ; Metz-
Sarrebruck nécessite environ une heure de trajet, la liaison ter liaison
est régulière, de même que pour Metz - Luxembourg que l'on
peut réaliser en quarante minutes. Bruxelles est à 2h30 de route.
Comme le dit Laurent Le Bon, non sans humour,
« Metz n'est pas la Sibérie. Il faut seulement
84 min de Paris en TGV. D'ailleurs le reproche inverse peut être fait,
d'être trop bien placé car trop proche de la gare et finalement
l'aller-retour se fait dans la journée et les visiteurs n'iraient pas
voir la ville de Metz. On a là un cas assez rare en Europe d'une
institution aussi proche de la gare. Une des raisons de ce succès est la
chance d'avoir cette disponibilité. »232
D'ailleurs, contrairement à ce que l'on aurait pu
penser, 61% des visiteurs en provenance de la région parisienne passent
une nuit à Metz et 55% de la totalité des visiteurs du Centre
Pompidou-Metz se rendent en centre-ville pour consommer. 233 En
outre, si les attentes des politiques et des conservateurs ambitionnaient
d'accueillir des touristes étrangers, on peut s'étonner, car la
fréquentation est française à 85%234,15% de
visiteurs sont étrangers dont 32% viennent du Luxembourg, 21% de la
Belgique et 20% d'Allemagne235.
Par nos observations physiques au cours de notre stage pour
préparer la Nuit Blanche à Metz, on constate la présence,
certes minoritaire, de quelques asiatiques et de quelques russes. En
écoutant les gens parler, si l'on est peu étonné
d'entendre parler l'allemand qui a toujours été une seconde
langue avec le luxembourgeois à Metz, on peut noter la présence
de plus en plus d'anglophones.
L'office de tourisme enregistre une progression des demandes
de 62%, une hausse des visites guidées de 25%, La hausse de consultation
du site web de l'office de tourisme s'élève à 72% et les
produits de séjour (excursions, weekend) se sont vus multiplier par
deux. 236 Le chiffre d'affaire des restaurants de la ville augmente
de 5 à 30%. Comme l'annonce le site de la Chambre de Commerce et
d'Industrie, il faut rester prudent car la restauration bénéficie
plus que l'hôtellerie de l' « effet Pompidou ».
232 Interview Laurent Le Bon , réalisée le 16
février 2011, à Metz.
233 Centre Pompidou-Metz, Première bougie et nouveau
souffle, Le journal des entreprises, vendredi 6 mai 2011.
234 Interview Laurent Le Bon, réalisée le 16
février, à Metz.
235 Marion Weber, « Centre Pompidou-Metz, un an
déjà... »La plume culturelle, mardi 21 juin 2011.
236 Philippe Marque, « Metz tient son effet Pompidou »,
mercredi 11 mai 2011.
Le directeur de Novotel se dit par exemple satisfait :
« Nous avons ici une clientèle d'affaires
très importante en semaine, mais depuis un an on voit une
clientèle « loisirs » arriver dès le mercredi.
»
Il constate également une hausse de rassemblements annuels
de grandes sociétés. 237 Certains, estiment que tout le monde
doit en faire plus :
« Quand Laurent Le Bon annonce 250 000 visiteurs pour
la deuxième année, je trouve que ce n'est pas assez ambitieux par
rapport aux 800 000 de la première année. Nous devons tous nous
donner les moyens d'y croire pour que Metz soit à la fois une ville
touristique et une ville d'affaires. »238
Metz pourra, à terme, devenir une ville d'affaires
lorsque la construction de son palais des congrès sera achevée.
Nous pouvons après ces considérations, tirer quelques
conséquences en termes de symboles pour la ville.
237 Pascal Chauveau, directeur de l'hôtel Novotel
interrogé par La Semaine, jeudi 19 mai 2011.
238 Christophe Duffosé, chef du restaurant Le Magasin aux
vivres interrogé par La Semaine, jeudi 19 mai 2011.
C. La ville carte-postale, effacer les
stéréotypes pour en recréer d'autres
Le patrimoine et les musées ont une valeur de
contemporanéité239 (Gegenwartswerte) qui
correspond au présent, aux valeurs d'usage et artistiques qui en sont
faites. Un monument constitue l'emblème, ou l'un des emblèmes, de
l'identité locale, l'image dominante dans la représentation de la
destination. Si la cathédrale St Etienne de Metz était
déjà l'un de ceux-ci, le Centre Pompidou-Metz en devient un. Mais
le Centre Pompidou-Metz met également le riche patrimoine de la ville en
avant. C'est un élément investi par la population qui lui procure
un « sentiment d'appartenance "240, qui fait qu'elle se
reconnaît comme telle, au travers de ce patrimoine identitaire.
L'équipe du Centre Pompidou-Metz a d'ailleurs bien compris cette
nécessité d'appropriation du patrimoine en venant faire chercher
aux habitants une flèche « Centre Pompidou-Metz, c'est par
là " et aux commerçants des autocollants : « Bienvenue au
Centre Pompidou-Metz ". A ce titre Jean-Christophe Castelain en faisait
état avant méme l'ouverture du site :
« Sur place, on se rend compte à quel point un
tel équipement culturel peut avoir un effet d'entrainement sur l'image
de la ville et, en retour, sur la fierté des Messins. Déjà
ces derniers viennent le dimanche en famille observer l'architecture,
très identifiable, sans être révolutionnaire, du
bâtiment. »241
Certains habitants ont attribué des sobriquets au
Centre Pompidou-Metz, le plus célèbre restant celui de la maison
des Schtroumpfs. Ce n'est pas forcément mauvais signe, souvent les
surnoms sont le premier signe d'adoption par les habitants.
On peut percevoir une certaine conscience du
phénomène pour l'équipe du Centre Pompidou-Metz qui,
dans le cadre de Constellation, a fait des commandes photographiques. La
photo du « touriste " de Nicolas Pinier 242 illustre bel et
bien
239 A.Riegl, Le culte moderne des monuments, Le Seuil,
1984.
240 Cf. M. Gellereau, « Mutations et stratégies de
valorisation patrimoniale : les identités multiples des territoires ",
p.26.
241 CASTELAIN, Jean-Christophe, « Centre Pompidou-Metz: Mise
en bouche avant ouverture. ", L'OEil no. 616, Septembre 2009.
242 Cf. annexe 6.
l'appropriation préalable des habitants ainsi que la
réussite touristique quasi assurée avant l'heure.
Ce patrimoine est constitué par sa valeur d'existence,
c'est-à-dire la valeur symbolique que lui attribue la population (en
termes d'identité, d'embellissement des lieux et de sens de
l'histoire) 243. Une des caractéristiques du monument est
qu'il a une action sur la mémoire. Cette mémoire est collective.
La mémoire a besoin de repères spatiaux pour nous rattacher aux
autres et par la même, retrouver des éléments du
passé. Cette mémoire est aussi créatrice :
« [Elle] ne conserve pas le passé, mais elle
le reconstruit à l'aide des traces matérielles, des rites, des
traditions qu'il a laissés, et aussi à l'aide des données
psychologiques et sociales récentes, c'est-à-dire avec le
présent ».244
Il y a une « valeur de non-usage " attribuée au
patrimoine à savoir la transmission du bien aux
générations futures.245 Ce qu'Henri-Pierre
Jeudy246 déplore car, on ne rêverait plus à
l'époque suivante qu'en s'obsédant à lui léguer un
patrimoine
La rentabilité d'un monument est objectivement
mesurable par les chiffres, mais aussi par des retombées plus
immatérielles, difficilement quantifiables. Il existe des «
bénéfices non financiers " à savoir les
bénéfices en termes d'image. 247 L'image est à
la fois véhiculée par les médias mais aussi grâce au
tourisme. Les hebdomadaires et les magazines de loisirs peuvent
également être profitables à ce genre
d'événements dans la mesure où ils peuvent, par une
rubrique ou un supplément « voyage " inciter à des
séjours autour des expositions.248 Désormais
même Elle, Marie-France mais aussi des journaux plus
sérieux parlent de Metz avec des articles comportant « 5 bonnes
raisons d'aller à Metz ".
Par les flux qu'il va entraîner, l'arrivée de ce
nouveau bâtiment va nécessairement avoir un impact sur les
habitants. Outre leur participation endogène à
l'événement que
243 Cf. V .Patin, op.cit, p.135.
244 Maurice Halbwachs, Les cadres sociaux de la
mémoire, Paris, Félix Alcan, 1925. Collection Les Travaux de
l'Année sociologique. P.160
245 Cf. V. Patin, op.cit, p.135.
246 Cf. La machine patrimoniale.
247 Cf. C. Origet Du Cluzeau, « Le patrimoine comme
détonateur du développement local ", p.20-22
248 Cf. J.M Tobelem, Musées: gérer autrement.
Un regard international, p. 138.
constitue l'ouverture qui peut leur conférer une
certaine fierté confortée par un sentiment identitaire qui les
fédère ; le métissage et les échanges
résultant du tourisme peut leur donner (ou redonner) un regard neuf sur
la ville et sur eux-mêmes. Ni le regard des touristes, ni celui des
habitants ne sont neutres. Pourtant, là où le touriste
découvre un élément spécial auquel il appose une
valeur249, l'habitant y voit un élément anodin de son
quotidien. Le touriste arrive chargé d'un imaginaire250 qui
le conditionne par des représentations collectives - souvent
idéalisées - ou personnelles du lieu. On pense ainsi à ce
passage des villes invisibles, d'Italo Calvino :
« Pour ne pas décevoir les habitants, il
convient de faire l'éloge de la ville telle qu'elle est sur les cartes
postales et de la préférer à celle d'à
présent, mais en ayant soin de contenir son regret des changements dans
des limites précises : le voyageur doit reconnaître la
magnificence et la prospérité de Maurillia251
maintenant qu'elle est devenue une métropole, si on les compare à
ce qu'était la vieille Maurillia provinciale, ne compensent pas une
certaine grâce perdue, laquelle cependant ne peut se goliter qu'à
présent sur les vieilles cartes postales, tandis qu'auparavant, avec
sous les yeux la Maurillia provinciale, on ne voyait qu'à vrai dire rien
de cette grace, et on en verrait aujourd'hui moins que rien, si Maurillia
était restée telle quelle, et en tout état de cause la
métropole a cet attrait supplémentaire qu'au travers de ce
qu'elle est devenue on peut repenser avec nostalgie à ce qu'elle
était. »
En tout cas, une chose est sûre :
« Aujourd'hui, le Parisien sait que Metz existe,
autrement que par son club de football. Dans cinq ans, il prononcera
correctement le nom de la ville. Et dans dix ans, il l'aura visitée.
»252
249 Ce que Nathalie Heinich (article « exposition dans
Encyclopédie Universaelis) dénomme pour les expositions,
la fonction esthétique.
250 Cf. J-Paul Seloudre, « Les fonctions du regard
touristique. Peut-on parler d'une « médiation touristique » ?
» pp.67-82
251 Calvino Italo, Les villes invisibles, Points, 1984,
p.39.
252 Marion Weber, « Centre Pompidou-Metz, un an
déjà... »La plume culturelle, mardi 21 juin.
Conclusion
On a tenté de montrer au cours de ce mémoire, au
travers de l'étude de cas du Centre Pompidou-Metz, dans quelle mesure la
culture peut s'insérer dans une politique globale.
A la différence de notre mémoire sur Nancy, nous
percevons un réel écart entre une politique plus
événementielle à Nancy sans être si
électoraliste que la décision d'implantation d'un nouveau
musée à Metz. On peut avancer que Nancy a fait des expositions
temporaires grace à des collections permanentes, alors qu'à Metz,
on crée un nouvel élément permanent pour accueillir du
temporaire. Nous avons beaucoup moins intégré la dimension
sociale au cours de ce nouveau mémoire. Cependant, on constate que les
enjeux d'attractivité restent similaires pour chacune des deux villes.
Les moyens mis à disposition à Metz sont plus importants. Dans
les deux villes, la culture a un rôle prescrit au sein d'une politique
globale.
Le Centre Pompidou-Metz a vu le jour grace à l'ancien
Maire de la ville de Metz, dont le rôle a été capital au
sein d'une temporalité spécifique, celle de faire un Centre
Georges Pompidou déconcentré, proposé par Jean-Jacques
Aillagon. Il s'agissait en effet de la rencontre de deux ambitions qui ont
trouvé un terrain d'entente, profitable à toutes les deux.
On peut déceler une opportunité politique dans
la mesure où celle-ci s'annonçait électoraliste.
Cependant, cette décision s'insérait dans une logique des
idées cohérente et mûrement réfléchie. A
Metz, grâce à une architecture porte-drapeau, on impulse une
régénération urbaine et urbanistique intéressante
dans la mesure où à long terme, elle permettra la création
de nouveaux emplois. Un consensus politique s'est opéré dans
l'intérêt commun, outrepassant les partis.
Outre l'opportunité politique et urbanistique, le
Centre Pompidou-Metz annonce une évolution en matière de
politique culturelle pour la ville de Metz. Il contribue à apporter de
nouveaux éléments dans son orbite en engendrant la
création de nouvelles structures artistiques et créatives. Une
cohésion s'effectue au sein de la région et de
l'euro-région qui
se trouve désormais mieux irriguée en
matière d'art contemporain, ce qu'Alain Seban souhaitait :
« (...). Et puis, naturellement, l'implantation
à Metz nous permet de nous positionner idéalement au coeur d'un
arc nord-est européen ouvert sur le Benelux, l'Allemagne, la Suisse, des
pays très dynamiques sur le plan de l'art contemporain.
»253
D'un point de vue culturel national, on peut trouver le pari
moins ambitieux dès lors qu'on s'installe dans une région
où le potentiel est déjà existant. Culturellement, le
Centre Pompidou-Metz constitue un plus, au milieu de ses «
confrères » luxembourgeois et allemands. Cependant, il n'arrive pas
au milieu d'un désert culturel. Le territoire n'est pas enclavé
non plus : l'arrivée du TGV-Est sert le Centre Pompidou-Metz, tout
autant que l'autoroute, enfin Metz reste tout de même au coeur d'une
région transfrontalière, qui permettait de savoir que le «
pari » du Centre Pompidou-Metz pouvait fonctionner, même s'il
n'était pas visité par les autochtones. Ainsi, on peut
s'inquiéter d'une volonté expansive de l'Etat dans ce genre
d'opérations visibles, parce que médiatisées, en lui
reprochant de ne pas suffisamment se préoccuper de l'existant et de sa
rénovation avant que d'entamer de nouveaux chantiers. Ce que reprochait
Sophie Flouquet lors de l'ouverture du Centre Pompidou-Metz :
«Pendant ce temps, d'autres sites, situés
à l'écart des flux touristiques ou dotés de collections
plus pointues, attendent une rénovation qui ne vient pas, au risque
d'une menace pour leur existence... Ainsi se dessine le paysage muséal,
fondé sur une dichotomie entre établissements spectaculaires et
musées perpétuant une tradition que d'aucuns jugeraient
obsolète. »254
Si une nouvelle forme de musée se réalise, le
Centre Pompidou-Metz n'apporte pas une réponse toute-faite à la
différence entre exposition temporaire et exposition permanente,
puisqu'il réitère le modèle de rotation des collections de
son frère parisien, dans une durée plus courte cependant. Le
Centre Pompidou-Metz pose d'une certaine façon la question de
253 Alain Seban, Avant-propos, Centre Pompidou-
Metz, l'architecture du musée- Chefs d'oeuvre du XXe siècle,
p.5.
254 COSTE Christine, FLOUQUET Sophie, « La
nouvelle vague des musées, p.25.
l'inaliénabilité des collections, de la
conservation et des réserves en se demandant comment tout exposer.
Même si le Centre Pompidou-Metz n'est pas un
musée au sens législatif (il n'a pas de collection), il se pose
beaucoup de questions similaires à celles des musées. Mais si les
conservateurs savent s'appliquer dans les années à venir, le
Centre Pompidou-Metz ne restera pas une coquille vide.
Grâce à plusieurs médias, le Centre
Pompidou-Metz a connu une fréquentation importante pour l'histoire des
musées de province. Celle-ci est pour l'instant bénéfique
à l'institution autant qu'à la ville qui l'accueille. Le Centre
Pompidou-Metz permet à ses habitants de bénéficier d'un
nouvel emblème qui leur redonne une image positive.
Enfin, nous nous inscrivons dans ce travail, dans un temps
d'étude et de recul, assez court, il reste, dans les années
à venir, à se reposer quelques questions que nous nous sommes
posés. Comment va s'achever l'urbanisation environnante du Centre
Pompidou-Metz ? L'effet d'annonce passé, la qualité des
expositions restera t'elle semblable ? Comment va évoluer la
fréquentation du site et de la ville ? Restera-t-on attaché
à offrir aux visiteurs la connaissance et le plaisir ? Metz continuera
t'elle à faire parler d'elle ?
BIBLIOGRAPHIE :
1. Entretiens
- M. Laurent Le Bon, directeur du Centre Pompidou-Metz,
conservateur du Musée National d'Art Moderne.
- M. Jean-Marie Rausch, Maire de Metz de 1971 à 2008.
- M. Antoine Fonté, Adjoint au Maire de Metz,
chargé de la culture, depuis 2008.
2. Ouvrages Code du patrimoine, 2004.
Concours du Centre Pompidou-Metz, Kapp Imprimerie, Le
Moniteur, AMC, 2004.
Centre Pompidou- Metz, l'architecture du musée- Chefs
d'oeuvre du XXe siècle, Beaux arts éditions, mai 2010.
L'attractivité des territoires : regards
croisés, Actes des séminaires,
février-juillet 2007. Le magazine du Centre Pompidou-Metz,
été 2005.
CALVINO Italo, Les villes invisibles, Points, 1984.
CLAIR Jean, Malaise dans les musées, Café
Voltaire, Flammarion, 2007.
CLAIR Jean, L'hiver de la culture, Café Voltaire,
Flammarion, 2011.
GOB André, Le musée, une institution
dépassée ? , Eléments de réponse, Armand
Colin,
2010.
LE BON Laurent, Chefs d'oeuvre ?, Exposition
présentée au Centre Pompidou-Metz du 12 mai 2010 au 29 août
2011.
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,1996.
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Editions Serpenoise, Metz, 2004.
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3. Articles
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4. Emissions radiophonique et télévisuelles
http://www.arte.tv/fr/Echappees-culturelles/15-
maijourneespecialeArtcontemporain/3198390.html
Centre Pompidou-Metz, Une nuit au musée,
France 5, Emission présentée par Laurence Piquet,
réalisée par Catherine Aventurier, 1ère
diffusion : samedi 15 mai 2010, 21h30. (Durée : 3h10).
Centre Pompidou-Metz, le grand meccano, Arte,
Documentaire réalisé par Jean-Paul Fargier et Stéphane
Manchematin, 1ère diffusion : vendredi 21 mai 2010.
(Durée : 26'10.)
« Jean-Marie Rausch et moi : la conquête du
pouvoir », un documentaire de Stéphane Manchematin et
Jean-Philippe Navarre, émission Sur les docks, présentée
par Irène Omélianenko, 1ère diffusion : mardi
24 mai 2011, 17h (Durée : 55').
http://www.franceculture.com/emission-sur-les-docks-%%AB-jean-marie-rausch-et-
moi-12-la-conquete-du-pouvoir-%%BB-2011-05-24.html
« Jean-Marie Rausch et moi : la perte du pouvoir
», un documentaire de Stéphane Manchematin et Jean-Philippe
Navarre, émission Sur les docks, présentée par
Irène Omélianenko, 1ère diffusion : mercredi 25
mai 2011, 17h (Durée : 55').
http://www.franceculture.com/emission-sur-les-docks-%%AB-jean-marie-rausch-et-
moi-22-la-perte-du-pouvoir%%BB-2011-05-25.html
« Le business des musées », un documentaire de
Sylvain Bergère et Stéphane Osmont, 1ère diffusion : 15
mai 2010, 10h55 (Durée : 53').
5. Webographie
http://www.centrepompidou.fr/
http://www.centrepompidou-metz.fr/
http://www.elysee.fr/president/les-dossiers/culture/centre-pompidou-metz/inauguration-ducentre-pompidou-de-metz.8854.html
> Discours inaugural du Centre Pompidou-Metz, allocution du président
de la République en date du mardi 11 mai 2010
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