La politique africaine de la Chine
Dorénavant, la priorité absolue est donc
d'obtenir un accès aux marchés et aux matières
premières étrangères. D'autant plus qu'à
présent, la croissance économique chinoise engendre des besoins
énergétiques considérables26. Poussée
par un besoin de s'affirmer comme étant un « Etat fort », la
Chine doit de se libérer de toutes contraintes pouvant entraver sa
croissance économique exponentielle : cela suppose qu'elle doit gagner
son indépendance vis à vis des puissances occidentales
concurrentes en matière d'importations énergétiques.
La production interne de pétrole est devenue
insuffisante et les livraisons russes n'atteignent pas le niveau
espéré. La politique extérieure de la RPC qui est
conditionnée, en grande partie, par la recherche d'une
sécurité énergétique place d'emblée le
continent africain et ses matières premieres au coeur des ambitions
chinoises. C'est ainsi que les compagnies pétrolières chinoises
essayent alors d'étendre leurs sources d'approvisionnement (notamment en
Indonésie, au Nigeria27, en mer Caspienne...) afin d'apaiser
la soif d'un pays qui serait contraint d'importer 60% de son énergie
d'ici 202028. À présent, la recherche de l'or noir ne
connaît plus de limite ni de frontières et le pragmatisme
diplomatique a pris le pas sur la rhétorique idéologique : par
nécessité, la Chine traite même avec les pays, tels le
Tchad, qui maintiennent pourtant leurs relations avec l'île de Taiwan.
Cette offensive économique et commerciale29 s'accompagne
d'une intense activité diplomatique. Une centaine de rencontres
officielles ont alors été organisées sous l'égide
des ministères du commerce et des affaires étrangères, qui
se sont dotés de « départements Afrique ». La
diplomatie de Pékin repose majoritairement sur sa doctrine de non
ingérence dans les affaires intérieures, ce qui lui permet de
pouvoir traiter sans état d'âme avec de nombreux pays en crise ou
en délicatesse avec la diplomatie occidentale. Ainsi, le maintien de ses
relations avec le Soudan - pourtant
26 La demande quotidienne en pétrole est
passée de 2,12 millions de barils par jour en 1990 à 3,95
millions de b/j en 1999. Elle est à présent estimée
à 7 millions de b/j à l'horizon 2010. Source: Agence
Internationale de l'Energie OCDE 2004.
27 Durant la visite du président chinois Hu
Jintao en 2006 au Nigeria, la Chine a obtenu la licence d'exploitation de
quatre puits de forage pétroliers et accepta d'investir 4 milliards de
dollars US dans des projets de développement d'infrastructures
pétrolières. Les deux nations ont également accepté
un plan en 4 étapes visant l'amélioration les relations
bilatérales. Voir aussi bibliographie : "China and Nigeria agree oil
deal". BBC News. 2006-04-26.
28 Déclaration officielle datant du 7
janvier 2009 de Ju Jianhua, directeur Général Adjoint du
Département de la Planification du Ministère du Territoire et des
Ressources.
29 Treize des quinze premières
sociétés étrangères installées au Soudan
sont chinoises.
en froid avec les Nations unies en raison de la situation au
Darfour - démontre son cynisme certain : la Chine, lors du vote de
septembre 2004 de la résolution 1564 du Conseil de
Sécurité des Nations unies (ONU) décrétant un
embargo sur les armes à destination de ce pays, a menacé de poser
son veto avant de finalement s'abstenir. Elle a néanmoins fait fi de la
résolution pour livrer des armes au gouvernement de Khartoum
accusé de génocide au Darfour30. Cette nouvelle
manière de faire le business à la chinoise commence à
sérieusement irriter les diplomaties occidentales, officiellement
soucieuses de la bonne gouvernance dans le continent «utile». Car
méme s'il est vrai que les prêts accordés par les
organisations internationales (telles que le Fond Monétaire
International) soumettent le pays bénéficiaire aux conditions du
bailleur, le peu de formalités dont s'embarrasse la Chine pour octroyer
ses crédits ne favorise en rien la transparence financière.
La présence chinoise en Afrique s'inscrit donc dans une
stratégie globale déployée par de le gouvernement de
Beijing consistant à contourner les puissances occidentales
concurrentes, telles que les Etats-Unis et l'Union Européenne. Cette
politique d'aide inconditionnelle
s'appuie principalement sur l'exaltation d'un passé en
commun (la Chine et l'Afrique ont dütous deux épancher
pendant des années la soif coloniale des pays occidentaux) ainsi que sur
la
coopération entre pays du Sud. La Chine entend
dissocier explicitement le développement économique des
réformes politiques et érige le principe fondamental de
non-ingérence et de neutralité comme socle de sa
coopération avec les pays africains. Pour le régime de
Pékin, la démocratie est la conséquence de la
prospérité économique et non le contraire. Cette nouvelle
politique de l'aide découle de l'importance de ses réserves
financières estimées à 2399,2 milliards de
dollars31. Alors que la Chine se contentait de les convertir en bons
du Trésor américain - alors considérés comme
sûrs mais à la rentabilité faible, elle a désormais
choisi de les utiliser à des fins géostratégiques, en se
lançant dans une véritable politique d'investissements en Afrique
pour renforcer son indépendance énergétique. En 2005, le
flux commercial entre la Chine et le continent africain s'élevait
à 40 milliards de dollars et a atteint en 2008 un nouveau record de
106,8 milliards de dollars américains32. Au total,
Pékin consacre 45% de son aide au développement à
l'Afrique grâce à une politique d'investissement multiforme qui a,
selon le Président algérien Abdelaziz Bouteflika, permis à
l'Afrique d'atteindre un taux de croissance de l'ordre de 6%, son taux le plus
élevé de ces
30 Voir le rapport d'Amnesty International de 2006.
31 D'après les calculs de 2009 établis
par la Banque centrale chinoise.
32 Déclaration officielle de Chen Deming,
Ministre chinois du Commerce, à Luanda durant sa visite en Angola en
2008.
trente dernières années33. C'est
ainsi qu'en juin 2006, le Sénégal a
bénéficié d'un allègement de sa dette, qui
atteignait alors 20 millions de dollars. La Chine est également devenue
un généreux investisseur en République du Congo, le plus
grand pays d'Afrique est aussi l'un des plus pauvres au monde, avec un PIB par
habitant de 2966 dollars34. C'est également potentiellement
le plus riche avec un sous-sol recélant les plus importantes
réserves mondiales de cobalt et de tantalum, un métal rare, et
d'énormes gisements de cuivre, d'or, de diamants, de manganèse,
d'uranium et de zinc. Un accord signé en septembre 2007 prévoit
que la Chine injectera 6,5 milliards de dollars dans la construction ou
l'amélioration des infrastructures du pays, ainsi que 2 milliards de
dollars supplémentaires pour ouvrir ou moderniser de nouvelles mines.
Ce nouveau modèle chinois appelé « win-win
» (gagnant-gagnant) où il n'y aurait à priori aucun perdant
assure des aides financières sans conditions en bas de page : ce n'est
plus que du pur business. Ce partenariat stratégique innovant est
présenté par les autorités chinoises comme
dénué de tout esprit d'exploitation et de mercantilisme,
également fondé sur le respect mutuel de la non-ingérence,
alors opposé à l'universalisme des valeurs occidentales.
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