Interdépendance avec les États-Unis
Si la Chine semble se montrer clémente envers la
contre-révolution russe, au point d'aller jusqu'à se rapprocher
du régime de Moscou, c'était essentiellement pour mettre un frein
à l'hégémonisme et aux prétentions
américaines en Asie comme dans le reste du monde. Cette alliance
sino-russe s'est d'autant plus vue renforcée à la suite des
attentats du 11 septembre avec les revendications internationales des
Etats-Unis14. La République Populaire de Chine sait qu'elle
est incapable à elle-seule de contrebalancer la puissance
états-unienne. C'est ainsi qu'elle a choisi de faire face à
Washington en coopérant avec Moscou dans un équilibre
précaire des forces.
Durant les massacres de la place de Tiananmen en 1989, les
Etats-Unis n'ont montré aucune clémence pour la Chine :
suspension des relations politiques, embargo commercial et soutient envers les
dissidents furent là quelques unes des mesures temporaires
décidées unilatéralement par Washington. Néanmoins,
l'attrait pour le marché chinois et la diplomatie chinoise a vite fait
de freiner les ardeurs américaines. La crise du Golfe en 1991 devint
l'opportunité inespérée pour la RPC de renouveler le
contact avec les américains. Aussi longtemps que ces derniers
désiraient placer leur intervention militaire en Iraq sous les auspices
de l'ONU, la complicité ou du moins la neutralité de la Chine
était absolument indispensable. Le régime de Beijing savait
comment exploiter intelligemment la situation en marchandant au compte-goutte
ses votes ou ses abstentions15 au Conseil de sécurité.
Ce choix
14 L'expansion de l'OTAN à l'Est de
l'Europe, le bombardement de la Yougoslavie par l'OTAN en 1999 sans l'aval du
Conseil de sécurité de l'ONU, l'appui américain aux «
révolutions de couleur » et son entêtement à pousser
le « bouclier anti-missile » jusque dans l'ancienne zone d'influence
soviétique et les négociations autour de l'alliance
nippo-américaine, ne sont là que quelques exemples
d'évènements interprétés par la Chine et la Russie
comme étant une stratégie d'encerclement, stimulant ainsi leur
politique de rapprochement.
15 La Chine s'est abstenue de voter sur presque toutes
les résolutions de l'ONU concernant la crise iraquienne avant 1991 et
opposa des sanctions sur le pays par la suite.
diplomatique trouve son explication dans la série de
réformes économiques entamée par Deng Xiaoping en 1992. A
partir de ce moment-là, c'était explicitement une question
d'accepter la Chine pour ce qu'elle est vraiment : un régime communiste
qui poursuit ses buts nationaux tout en prévoyant le contrôle de
son ouverture vers l'étranger ; un pays qui mérite le statut de
pays en voie de développement mais qui ne saurait être
politiquement traité en tant que tel. Pour contrer l'isolement
diplomatique, le régime de Beijing n'avait d'autre choix que le recul
idéologique afin de mieux << cacher ses intentions et accumuler
une force nationale16 ». Cependant, ce recul idéologique
destiné principalement à calmer l'hostilité
américaine, privait la Chine d'une arme morale efficace et engendrait
ainsi un fort sentiment d'infériorité dans la classe dirigeante
chinoise : c'est pourquoi la Chine se trouva par la suite constamment en
position défensive face à l'Occident.
La décennie fut donc dominée par un
face-à-face parfois brutal et dangereux entre les EtatsUnis et la Chine,
mais globalement très prolifique sur le plan économique. La
politique chinoise consistait alors à poursuivre le développement
des relations commerciales, technologiques et financières avec les
américains tout en les contrebalançant sur le plan politique.
C'était alors un exercice diplomatique difficile mais là encore,
la Chine parvint à atteindre la plupart de ses objectifs. Elle a
réussi à devenir en quelques années le troisième
exportateur mondial et le marché américain, qui est aussi son
premier client, absorbe le cinquième des exportations chinoises dans le
monde17. A lui seul, le grand distributeur Wal-Mart a acheté
en 2005 pour 18 milliards de dollars de produits manufacturés en Chine.
Elle est aussi devenue le premier créancier de l'économie
américaine en passant en septembre 2008 au premier rang des pays
détenteurs de bons du Trésor américain18, bons
sur lesquels les Etats-Unis s'appuient depuis longtemps pour financer leur
gigantesque dette. Assise sur un trésor de réserves de changes de
900 milliards de dollars, elle s'est lancée ces dernières
années dans des achats massifs de bons du Trésor (dont la valeur
s'élève maintenant à 585 milliards de dollars, le Japon
reculant au deuxième rang avec 573,3 milliards de dollars). Deux raisons
principales motivent cette politique : d'abord, la demande chinoise permet de
défendre la valeur du billet vert et donc de protéger la
compétitivité monétaire du << made in
16 Tao Guang Yang Hui (????) ou << cacher la
lumière et cultiver l'obscurité » est un proverbe chinois
qui résume bien la stratégie diplomatique chinoise : la Chine n'a
aucun intérêt à apparaître comme une grande puissance
et préfère être toujours perçue comme une puissance
en voie de développement afin de mieux traiter avec l'Afrique ou
l'Amérique latine qui perçoivent tous deux les Etats-Unis comme
l'adversaire impérialiste à contrer. Le jour où les
Chinois accepteront officiellement le titre de 1è puissance mondiale,
ils le seront en fait depuis bien longtemps.
17 Voir l'enquête datant de 2008 de la US
International Trade Commission, US Department of Commerce, and US Census
Bureau.
18 Voir statistiques publiées le 18 novembre
2008 par le département du Trésor américain.
China ». Eviter que le yuan ne s'apprécie
substantiellement par rapport au dollar est une priorité à
Pékin. Ensuite, cet appétit de bons du Trésor maintient
les taux d'intérêt américains à bas niveau,
encourage la consommation - surtout des exportations chinoises très bon
marché - et, finalement, décourage les pressions inflationnistes.
L'explosion d'un conflit ouvert avec les Etats-Unis serait donc très
douloureusement ressentie autant par l'empire du Milieu que par les
américains et serait économiquement désastreux pour
chacun. La Chine a donc préféré miser sur la
sécurité en optant le profil bas ce qui lui a valu d'engranger
des bénéfices dans trois domaines : la levée des sanctions
après 1992, l'octroi par les Etats-Unis de la clause de la nation la
plus favorisée et un accroissement phénoménal des
investissements étrangers directs (IED19). La montée
en flèche des exportations et des IED a ainsi permit de soutenir la
dynamique de la croissance économique chinoise.
Toutefois, la discorde principale dans les relations
sino-américaines est liée à leurs conceptions respectives
de l'organisation en Asie. Bien entendu, la Chine est tout à fait
consciente que son développement économique dépend
essentiellement de ses ventes sur le marché américain mais elle
demeure néanmoins très peu enthousiaste quant à la
question d'une organisation de la région évoluant autour de la
Maison Blanche. Avec la mise en place de la Coopération
économique pour l'Asie-Pacifique (APEC), l'idée était de
créer un dialogue transpacifique garantissant un engagement
américain fort. Mais la volonté politique s'est quelque peu
affaiblie : le Président Clinton a manqué deux forums annuels ;
le Président Bush s'est aussi désisté une fois en
invoquant l'excuse de guerre. De plus, des inquiétudes à propos
de la présence et du leadership américain dans l'organisation se
sont depuis manifestées. C'est ainsi que la Chine a décidé
de tirer profit de cette situation pour mener une offensive pragmatique en Asie
du sud-est et y étendre en conséquence sa présence sur la
question de la sécurité, de la diplomatie ainsi que de
l'économie. Pour Beijing, devenir le leader en Asie - qui est aussi le
marché le plus dynamique et productif du monde - est devenu la
priorité fondamentale. Selon le régime communiste, la fin de la
guerre froide doit nécessairement amener à l'augmentation des
responsabilités de la part de la puissance régionale dominante,
ce qui signifie ici la Chine en Asie.
19 En 2008, le montant des IED perçu par la
Chine a atteint 92,4 milliards de dollars selon les chiffres fournis par le
Ministère du Commerce de la République Populaire de Chine.
|