CHAPITRE I : CONTEXTE REGIONAL
Ce chapitre comprend deux sections. La première
concerne les dimensions institutionnelle et organisationnelle du monde rural ;
la deuxième prend en compte le contexte de l'utilisation de l'espace
agropastoral.
Section I : Dimensions institutionnelle et
organisationnelle I.1. Structuration traditionnelle
Les deux communautés à savoir les agriculteurs
et les éleveurs se distinguent aussi bien par leurs origines que par
leurs activités, leur religion et leur organisation traditionnelle.
I.1.1. L'organisation sociale des populations
agricoles
Les populations d'agriculteurs ont été
organisées en collectivités villageoises regroupées le
long des routes par l'administration. L'organisation des villages actuels
diffère énormément de celle du passé. Avant la
colonisation jusque dans les années 1930, la famille restreinte
était le lieu de décentralisation du pouvoir du conseil des
aînés qui dirigeait le village. Le chef de famille était le
responsable devant la société pour d'éventuels mauvais
comportements des membres de sa famille. La famille se définissait donc
par le respect de l'ordre social, donc le respect de toutes les lois en vigueur
au niveau du clan.
A la tête du village se trouvait un chef,
créateur du village ou choisi dans la génération la plus
ancienne. De par son prestige dû à l'expérience
accumulée, il représentait l'ancêtre fondateur. Le chef
portait et porte encore le nom Makoundji1. A ses côtés,
il y avait un conseil de sages auquel incombait la charge de
régler les affaires concernant la communauté : palabres
au sujet des plantations, adultères, vols, etc. Il s'occupait
également de celles concernant les relations de bon voisinage, comme
l'empiétement sur certains droits de cueillette et de chasse. Le conseil
de sages était donc le sommet de la structure sociopolitique du village,
même si les fondements de son unité et de sa cohésion
reposaient plutôt sur les
1
Le terme de « Makoundji » désigne le
responsable de la terre en langue banda
sociétés d'initiation traditionnelles. De ce
fait, il permettait de garantir la stabilité et la reproduction tant
sociale qu'environnementale.
La colonisation, l'avènement de l'Etat moderne, et les
nouveaux contacts avec le monde extérieur, sont venus
déstabiliser cette organisation traditionnelle et la cohésion
sociale.
I.1.2. L'organisation sociale traditionnelle des
Mbororo
Comme la plupart des Peuhls, les éleveurs Peuhls
Mbororo se répartissent en différents lignages. Au sommet de ces
lignages président des chefs sans pouvoir coercitif, dont
l'autorité repose sur l'adhésion volontaire des autres Peuhls.
Les lignages n'ont pas d'ancrage territorial2. Leurs membres
s'éparpillent à travers de vastes zones du pays, et sont parfois
très éloignés du chef dont ils
relèvent3.
La fonction des chefs des lignages, traditionnellement
appelé "ardo en "4, est de représenter le groupe
vis-à-vis de l'extérieur. Cependant une fois installée,
provisoirement ou non, l'ancien leader de migration conserve son titre, et le
transmet à ses successeurs. Ceux-ci sont le plus souvent les
aînés de ses descendants mâles en ligne directe. Toutefois,
les qualités personnelles des prétendants (en
général les fils, éventuellement les frères et
parfois des prétendants extérieurs à la famille proche)
sont examinées par les anciens du lignage. Ainsi, le fils
aîné ne succède pas obligatoirement à son
père. Discernement et sagesse sont les principales qualités
requises, et un prétendant peut être évincé pour
cause d'inconséquence intellectuelle ou inconduite morale.
2 Lemasson (1990)
3
Tel est par exemple le cas des Djafun, dont on retrouve les
parents dans le Nord-Ouest (Bouar, Boca-ranga), au Centre-Ouest
(Bossembélé-Yaloké), au Centre-Est (Bambari)
et même dans les régions fo-restières du Sud-Ouest
(Nola).
4 Boutrais 1979 : Le terme désignait à
l'origine les leaders de migration, ardo voulant littéralement dire
"celui qui marche devant"4.
Entre les « ardo en », il n'y a pas de
véritables rapports hiérarchiques, mais des différences de
prestige et de protocole existent, dues d'une part à leur
personnalité, et d'autre part à l'ancienneté de la «
chefferie » et au nombre de gens qui la composent. En effet, un chef
prestigieux peut être globalement plus influent auprès de la
population, mais le chef d'un groupe restreint dont les dépendants sont
proches dans l'espace et la quotidienneté, peut être plus
concrètement et plus rapidement efficace.
Les conflits ou les dégradations graves relèvent
bien entendu des instances nationales de la police ou de la gendarmerie. Mais
les dissensions mineures (mais la limite entre ces catégories n'est pas
précise) sont résolues à l'intérieur du lignage.
L'ardo ne rend pas la justice seule. Il est toujours entouré de
conseillers. Ceux-ci sont choisis en fonction de la confiance qu'il leur
accorde, et de la sagesse qu'il leur prête. Les conseillers s'appellent
"alkaali" (alkaalijo, au singulier), mot dérivé de l'Arabe qui
désignerait un jugement islamique5. Un ardo peut être
déchu et remplacé sous le poids de la pression sociale.
Actuellement, le monde des éleveurs comme celui des
agriculteurs est en crise du fait de l'intervention régulière de
l'administration dans le fonctionnement des institutions traditionnelles. Dans
certains cas l'administration a nommé des ardo'en sans concertation avec
les populations concernées.
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