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La gestion des conflits entre agriculteurs et éleveurs dans la commune de Navaka en République Centrafricaine

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par Alain Guy Ghislain GOTHARD
ESD Bangui -  2012
  

Disponible en mode multipage

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INTRODUCTION GENERALE

La République Centrafricaine couvre une superficie de 623.000 km2 pour une population estimée à près de 4 500 000 habitants en 2010, soit une densité de 6,6 habitants au Km2 inégalement répartie sur toute l'étendue du territoire. Le taux de croissance moyen annuel de la population est estimé à 2,5%. La RCA connait une variation importante de climat et d'écosystème en raison de sa position de carrefour géographique entre l'Afrique Occidentale et l'Afrique Orientale, ainsi qu'entre le tropique Nord et l'Equateur.

Cette variation a permis le développement d'une diversité végétale et animale importante et le caractère peu peuplé du pays a contribué à la conservation d'écosystèmes naturels quasiment intacts.

Ainsi, dés les années 60, l'industrialisation a été inscrite parmi les objectifs du développement, mais l'option pour les grandes unités industrielles n'a pas répondu aux attentes prévues. Il devient donc nécessaire de développer le secteur primaire capable de promouvoir l'économie nationale et de donner une nouvelle poussée en avant.

Objectifs

Le présent document est mémoire de fin de cycle dont l'étude porte sur la Gestion des Conflits entre Agriculteurs et Eleveurs dans la commune de NAVAKA. Compte tenu d'une prolifération de conflits entre les agriculteurs et les éleveurs et des changements profonds survenus dans un contexte d'insécurité persistante, l'étude présente une analyse de la problématique incluant des propositions de plan de communication et de sensibilisation en matière de résolution de ces conflits.

Les objectifs de l'étude sont :

· l'identification des causes des différents types de conflits

· l'analyse des motivations, des contraintes et des comportements des différents acteurs

· la proposition de Plan de gestion des conflits au niveau local, Méthodologie employée

La recherche se basera sur des méthodes qui s'appuient sur la collecte d'informations, par des recherches documentaires et d'analyse pratique sur terrain. Aussi, nous allons utiliser l'approche par quota, les approches psychosociologiques, l'entretien libre et l'observation participante.

D`une manière brève, l`approche méthodologique comportera les principales composantes suivantes :

· Phase préparatoire de collecte d`informations, de recherche documentaire et d`élaboration des outils, et guide d`entretien;

· Phase de réalisation par la descente sur le terrain ;

· Phase finale de traitement des données, de synthèse et de recommandation ; C`est également la phase de rédaction du travail de recherche ;

Ces diverses techniques s'avèrent utiles pour obtenir une connaissance très large à la recherche et à la compréhension du sujet (thème de recherche).

Notre recherche qui porte sur une épreuve pratique a pour thème: « Gestion de conflit entre Eleveurs et Agriculteurs en RCA».

Canevas

Cette épreuve pratique vat traiter deux grandes parties :

- La première partie va être consacrée au contexte général de la situation ;

- La deuxième partie va traduire le diagnostic des grands phénomènes de conflits et le plan de communication et sensibilisation ainsi que les stratégies à mettre en place.

CHAPITRE I : CONTEXTE REGIONAL

Ce chapitre comprend deux sections. La première concerne les dimensions institutionnelle et organisationnelle du monde rural ; la deuxième prend en compte le contexte de l'utilisation de l'espace agropastoral.

Section I : Dimensions institutionnelle et organisationnelle I.1. Structuration traditionnelle

Les deux communautés à savoir les agriculteurs et les éleveurs se distinguent aussi bien par leurs origines que par leurs activités, leur religion et leur organisation traditionnelle.

I.1.1. L'organisation sociale des populations agricoles

Les populations d'agriculteurs ont été organisées en collectivités villageoises regroupées le long des routes par l'administration. L'organisation des villages actuels diffère énormément de celle du passé. Avant la colonisation jusque dans les années 1930, la famille restreinte était le lieu de décentralisation du pouvoir du conseil des aînés qui dirigeait le village. Le chef de famille était le responsable devant la société pour d'éventuels mauvais comportements des membres de sa famille. La famille se définissait donc par le respect de l'ordre social, donc le respect de toutes les lois en vigueur au niveau du clan.

A la tête du village se trouvait un chef, créateur du village ou choisi dans la génération la plus ancienne. De par son prestige dû à l'expérience accumulée, il représentait l'ancêtre fondateur. Le chef portait et porte encore le nom Makoundji1. A ses côtés, il y avait un conseil de sages auquel incombait la charge de régler les affaires concernant la communauté : palabres au sujet des plantations, adultères, vols, etc. Il s'occupait également de celles concernant les relations de bon voisinage, comme l'empiétement sur certains droits de cueillette et de chasse. Le conseil de sages était donc le sommet de la structure sociopolitique du village, même si les fondements de son unité et de sa cohésion reposaient plutôt sur les

1

Le terme de « Makoundji » désigne le responsable de la terre en langue banda

sociétés d'initiation traditionnelles. De ce fait, il permettait de garantir la stabilité et la reproduction tant sociale qu'environnementale.

La colonisation, l'avènement de l'Etat moderne, et les nouveaux contacts avec le monde extérieur, sont venus déstabiliser cette organisation traditionnelle et la cohésion sociale.

I.1.2. L'organisation sociale traditionnelle des Mbororo

Comme la plupart des Peuhls, les éleveurs Peuhls Mbororo se répartissent en différents lignages. Au sommet de ces lignages président des chefs sans pouvoir coercitif, dont l'autorité repose sur l'adhésion volontaire des autres Peuhls. Les lignages n'ont pas d'ancrage territorial2. Leurs membres s'éparpillent à travers de vastes zones du pays, et sont parfois très éloignés du chef dont ils relèvent3.

La fonction des chefs des lignages, traditionnellement appelé "ardo en "4, est de représenter le groupe vis-à-vis de l'extérieur. Cependant une fois installée, provisoirement ou non, l'ancien leader de migration conserve son titre, et le transmet à ses successeurs. Ceux-ci sont le plus souvent les aînés de ses descendants mâles en ligne directe. Toutefois, les qualités personnelles des prétendants (en général les fils, éventuellement les frères et parfois des prétendants extérieurs à la famille proche) sont examinées par les anciens du lignage. Ainsi, le fils aîné ne succède pas obligatoirement à son père. Discernement et sagesse sont les principales qualités requises, et un prétendant peut être évincé pour cause d'inconséquence intellectuelle ou inconduite morale.

2 Lemasson (1990)

3

Tel est par exemple le cas des Djafun, dont on retrouve les parents dans le Nord-Ouest (Bouar, Boca-ranga), au Centre-Ouest

(Bossembélé-Yaloké), au Centre-Est (Bambari) et même dans les régions fo-restières du Sud-Ouest (Nola).

4 Boutrais 1979 : Le terme désignait à l'origine les leaders de migration, ardo voulant littéralement dire "celui qui marche devant"4.

Entre les « ardo en », il n'y a pas de véritables rapports hiérarchiques, mais des différences de prestige et de protocole existent, dues d'une part à leur personnalité, et d'autre part à l'ancienneté de la « chefferie » et au nombre de gens qui la composent. En effet, un chef prestigieux peut être globalement plus influent auprès de la population, mais le chef d'un groupe restreint dont les dépendants sont proches dans l'espace et la quotidienneté, peut être plus concrètement et plus rapidement efficace.

Les conflits ou les dégradations graves relèvent bien entendu des instances nationales de la police ou de la gendarmerie. Mais les dissensions mineures (mais la limite entre ces catégories n'est pas précise) sont résolues à l'intérieur du lignage. L'ardo ne rend pas la justice seule. Il est toujours entouré de conseillers. Ceux-ci sont choisis en fonction de la confiance qu'il leur accorde, et de la sagesse qu'il leur prête. Les conseillers s'appellent "alkaali" (alkaalijo, au singulier), mot dérivé de l'Arabe qui désignerait un jugement islamique5. Un ardo peut être déchu et remplacé sous le poids de la pression sociale.

Actuellement, le monde des éleveurs comme celui des agriculteurs est en crise du fait de l'intervention régulière de l'administration dans le fonctionnement des institutions traditionnelles. Dans certains cas l'administration a nommé des ardo'en sans concertation avec les populations concernées.

II. Découpage administratif

L'organisation administrative des collectivités locales en République

15

Centrafricaine, définie par plusieurs textes , reconnaît l'existence de 6 collectivités
locales, à savoir : les villages, les communes, les communes d'élevage, les sous-

5

Mathieu, 1988

préfectures, les préfectures et les régions. Dans ce travail nous nous intéresserons rien qu'à la notion de village et de commune qui fait l'objet de notre thème.

II.1. Notion de village et de commune

II.1.1. Villages

Les villages constituent les collectivités territoriales de base. Ils sont constitués d'un ensemble de familles au sens coutumier du terme, ayant réalisé entre elles une communauté d'intérêts pour des raisons ethniques, économiques, historiques ou religieuses. La population d'un village est fixée à 50 habitants au minimum, une disposition qui n'est souvent pas respectée.

II.1.2. communes

Les communes quant à elles sont constituées de groupements de villages. Leur population est comprise entre 3 000 et 12 000 habitants, sauf dans les zones dépourvues où le minimum peut être ramené à 1 500 habitants.

II.1.2.1. Communes d'élevage

Une commune est dite d'élevage si les éleveurs y font la majorité et qu'ils élisent au conseil municipal une majorité d'éleveurs transhumants. Les communes d'élevage ont été créées à partir de 1962, dans le but de sédentariser les pasteurs Mbororo et de leur donner une assise6.

6

Loi n° 64/33 du 20 novembre 1964 portant organisation des collectivités territoriales et des circonscrip-tions administratives, les

Ordonnance n° 88.005 et n° 88.006 des 5 et 12 février 1988, portant création et organisation des collectivités territoriales et circonscription administratives, et la Loi n° 96/013 por-tant création des régions et fixant leurs limites territoriales et foncière.

Depuis lors, sept (7) communes d'élevage ont été créées7. Au début, les conseils municipaux des communes d'élevage étaient nommés par décret pris au conseil des Ministres, et les maires nommés par arrêté ministériel sur proposition du souspréfet après avis du conseil sous préfectoral. Les superficies réelles des communes d'élevage sont difficiles à définir, car de nos jours, les limites de celles-ci s'étendent en dehors des limites initiales définies par l'Etat et elles se superposent ainsi aux communes rurales préexistantes8. Le nombre croissant d'éleveurs Peuhls et leur dispersion dans le pays a en fait amené les maires des communes d'élevage

18

à étendre leurs rayons d'action au-delà des limites de leur juridiction

.

II.2. Structuration des éleveurs

Le monde éleveur en République Centrafricaine en général et dans la commune de NAVAKA en particulière est l'un des mieux structuré en Afrique. Cette organisation des éleveurs a commencé en 1974 avec la création de l'Association Nationale des Eleveurs Centrafricains (ANEC), mise en place pour suppléer les services techniques de l'élevage, affaiblis par la réforme agraire de 1970. En 1986, cette association est devenue la Fédération Nationale des Eleveurs Centrafricains (FNEC). Disposant d'un Secrétariat Général, dont le siège social se trouve à Bangui, celle-ci est représentée au niveau des sous-préfectures des régions agropastorales par les Fédération Locales des Groupements d'Intérêt Pastoral (FELGIP), qui elles reposent à la base sur des Groupements d'Intérêt Pastoral (GIP). Très récemment, il a été mis en place des Fédérations Régionales des Eleveurs Centrafricains (FERGEC), instance intermédiaire entre les FELGIP et le

7 Commune de Koui dans la sous préfecture du même nom, Niem-Yellowa dans la sous-préfecture de Bouar, Gaudrot à Baboua, Ouro-Djafun à Bambari, Ewou à Alindao, Pombolo dans la sous-préfecture de Gambo, et Yaloké dans la préfecture de l'OmbellaMpoko

8 Violant ainsi les dispositions de l'article 109 de l'Ordonnance 88.006 du 12 février 1988

Secrétariat Général. On dénombre aujourd'hui environ 200 Groupements d'Intérêt Pastoral (GIP).

Soutenu au début par la PNDE, puis par le PDEGP (financé par la Banque Mondiale l'Union Européenne et la France), la FNEC à travers ses institutions décentralisées est un élément essentiel d'encadrement des activités pastorales en RCA. Elle regroupe environ 6 000 éleveurs. Aujourd'hui, elle continue à bénéficier d'un appui dans le cadre du PAOPSE, financé par la coopération française.

Globalement, en guise de conclusion, il convient de constater que les structures rurales actuellement présentes en Centrafrique sont fréquemment des « coquilles vides », très peu appropriées par les acteurs locaux. Cette appropriation passe par la mise en place des lieux de réflexion et de concertation, afin de faire émerger les initiatives locales souvent bloquées par le contexte social au sein des communautés villageoises.

CHAPITRE II : LE CONTEXTE DE L'UTILISATION DE L'ESPACE AGROPASTORAL

Les règlements foncières et du pâturage liés au secteur de l'élevage sont réglementés par les lois n° 64/32 et 64/33 du 20 novembre 1964 portant création et organisation des collectivités territoriales et des circonscriptions administratives en République Centrafricaine. Le titre III de la loi n° 64/32 a trait à la formation des communes rurales de zone d'élevage et la désignation des maires et la gestion du conseil municipal. Ces deux textes sont complétés par la loi n° 65/61du 3 juin 1965, portant réglementation de l'élevage en République Centrafricaine. Dans son titre III concernant l'alimentation animale, l'article 7 stipule que "le droit de vaine pâture appartient à la généralité des habitants".

Cependant la loi prévoit aussi des limitations en ce qui concerne la vaine pâture. L'article 7 prévoit que « toute la vaine pâture ne peut s'exercer sur aucune terre ensemencée, ou couverte d'une culture quelconque faisant l'objet d'une récolte, ni sur un terrain clos, ni en forêt classée, ni dans les parcs et réserves et de flore ». Plus loin, il est mentionné que « quiconque fera pâturer ou laissera pâturer en contravention avec les dispositions du présent article sera puni des peines prévues par les articles 288, 289 (paragraphe 12) et 291 (paragraphe 4) du code pénal ».

Dans les communes d'élevage et dans les zones d'élevage classées, « le Ministre chargé de l'Elevage peut réglementer les cultures et rendre obligatoire la clôture des terrains sur lesquels elles sont pratiquées, les terrains non clos retomberont dans le domaine de la vaine pâture et

leurs propriétaires, ou leurs occupants, seront punis des peines prévues à l'article 379 de la présente loi ». L'article 8 de la même loi parle des sanctions concernant la divagation du bétail hors des zones réservées à la vaine pâture et dit ceci : « Hors les cas expressément prévus par la loi 62/33 du 7/12/1962, lorsque les animaux domestiques sont trouvés errant sur des terrains affranchis de la vaine pâture en vertu de l'article précédant, nul ne doit abattre ou blesser ces animaux, de quelque façon que ce soit ». Mais ces animaux doivent être conduits en fourrière désignée par le maire. Les infractions à ces dispositions seront des peines prévues aux articles 277 et 292 (paragraphe 10) du code pénal. La divagation des animaux domestiques sur la voie publique est réglementée et sanctionnée par arrêté du Ministre chargé de l'élevage conjointement avec le Ministre des travaux publics.

Il faut cependant souligner qu'en dehors de la loi de 1965, aucune disposition précise n'est prévue dans le cas de conflits entre agriculteurs et éleveurs.

Section I: Agriculture en Centrafrique

Combinée aux activités d'élevage, de chasse et de pêche, l'agriculture représente près de la moitié du PIB centrafricain. La part relative de l'agriculture et de l'élevage est d'environ 29% pour les productions végétales et 9% pour les productions animales. A coté de cela, l'exploitation du bois et les activités minières (diamant et l'or) représentent respectivement 16% et 7% du PIB10.

9

Seront punies d'une amende de 1000 à 2000 francs et d'une peine de 1 à 5 jours de prison, les infrac-tions à l'article 4 (alinéa

3) de la présente loi. Seront punies d'une amende de 2000 à 4000 francs et de 1à 8 jours de prison, les infractions aux articles 6 et 7 (alinéa 5) de la présente loi. En cas de récidive, les peines pourront être doublées. Ces contraventions peuvent donner lieu à paiement immédiat d'une amende, payable entre les mains de l'agent verbalisateur.

10

Source : IZF-Net, Division géographique du Ministère français des affaires étrangères ;

77% de la population active totale vit des secteurs primaires. Située à cheval sur deux grandes zones climatiques, sahélienne au nord et équatoriale au sud, la Centrafrique dispose, a priori, de conditions assez favorables du milieu (du point de vue de son climat, de ses sols, et sa disponibilité foncière). En dépit de cela, la population centrafricaine fait partie des populations les plus démunies du monde. 57% de la population rural vit en dessous du seuil de pauvreté11. Divers facteurs structurels propres au pays partiellement évoqués dans les sections précédentes, accentuées par les facteurs conjoncturels liés à l'évolution sociopolitique interne, ainsi qu'à l'environnement international, expliquent cette situation.

Les produits vivriers, qui constituent le socle de la production agricole centrafricaine, dominent largement la production primaire. Les principales cultures vivrières sont le manioc, l'arachide, et le maïs. Localement, on trouve aussi les cultures de riz, de mil et de sorgho dans le Nord, et les tubercules, le palmier à huile et les bananes plantains dans le Sud. Le manioc occupe environ 40% des terres cultivées et représente plus de 70% de la production en volume. Environ 40- 45% de l'ensemble des quantités vivrières produites sont commercialisés.

Les principaux produits agricoles de rente et d'exportation sont le coton et le café. Un zonage schématique, élaboré lors de la consultation sectorielle de 1989, permet d'illustrer la répartition spatiale de la production agricole centrafricaine12 :

· Zone « forêt-café », qui correspond au Sud-ouest et au Centre Sud

· Zone « vivrier-élevage », qui correspond aux zones de savane du Centre Ouest, caractérisée par des systèmes de production agricoles exclusivement vivriers

11AMOUDOU, A., BARANGER, C., PIERROT, J., WYBRECHT, B. : République Centrafricaine, Note de secteur Monde Rural

12

SODETEG, Bilan Diagnostic et Stratégie de développement du secteur agricole 1999 - 2004

· Zone « coton-vivrier-élevage », qui correspond aux savanes du Centre Est et Nord Ouest

· Zone « cynégétique et touristique », qui correspond à toute la partie est du pays, caractérisée par une très faible densité de la population et des activités agricoles.

I.1. Structuration du milieu agricole dans les zones cotonnières

Les zones cotonnières comprennent les préfectures de la Ouaka, de l'OuhamPendé, de l'Ouham, de la Nana-Gribizi et de la Kémo. En complément aux actions techniques de la Société Cotonnière de Centrafrique (SOCOCA) dans les domaines de la production, de la distribution des intrants et de la collecte du coton, les efforts conjugués de plusieurs projets13 ont permis l'émergence dans ces régions de plus de 1 200 groupements, dont environ 830 Groupements d'Intérêt Ruraux (GIR) coton, qui regroupent plus de 100 000 agriculteurs, et une amorce de structuration des regroupements communaux et des fédérations préfectorales.

I.2. Structuration du milieu agricole dans les zones caféières

Les zones caféières englobent toutes les préfectures forestières ou semi-forestières du Sud-ouest (Lobaye, Mambéré-Kadeï et Sangha-Mbaéré) et du Sud-est (Basse Kotto, Mbomou et Ouaka : sous-préfecture de Kouango). Dans la préfecture de la Lobaye où une partie de cette étude a été menée, aucune structure associative ou de groupement ne nous a été signalée. Ceci contraste énormément avec la partie Sudouest où les actions de plusieurs projets14 avaient permis d'appuyer environ 350 GIR, qui avaient été créés dans les années 80 par l'ADECAF. Sous l'initiative de

13 Projet d'Appui aux Organisation Paysannes (PAOP), financé par la Coopération Française, le Projet d'Appui aux Organisations de Base (PAOB) financé par la GTZ et le projet de développement de Bou-ca financé par le FIDA

14

L'ex-ADECAF (financée par l'UE puis par la BAD), le projet PAPAAV (financé par le FED)

l'ENPROCAF, qui représente les exportateurs et les planteurs de café et les usiniers, en fin 1999 une fédération (FEPUCCA) a été créée, dont les représentants siègent au comité d'agrément des exportateurs et des acheteurs de café ainsi qu'au comité de fixation du prix indicatif d'achat.

I.3. Structuration du milieu agricole dans les savanes vivrières

La Nana-Mambéré, l'Ombella-Mpoko et la partie sud de l'Ouham-Pendé, forment la région de savanes vivrières. Dans cette région, les interventions du Projet de Développement des Savanes Vivrières (PDSV)15 ont permis la création d'environ 270 Groupements Villageois. Les Associations Villageoises (AV) se positionnent au niveau du village. En théorie, ces associations ont pour objectif d'une part de fédérer les groupements villageois au sein d'un même village pour la réalisation d'investissements communautaires et d'autre part de leur apporter par l'intermédiaire des agents du PDSV un appui technique dans la conduite de leur projet.

Section II : L'élevage en Centrafrique

Le secteur de l'élevage en Centrafrique concerne principalement les bovins, et d'une moindre mesure aussi les ovins, les caprins, les porcins et les volailles. L'élevage des bovins n'est pas une activité de très longue date en Centrafrique. Les premiers éleveurs bouviers (Peuhls Mbororo) auraient pénétré sur le territoire dans les années 1920, en provenance du Cameroun voisin. Dans les années 1930, ils étendaient leurs parcours jusqu'à Bossembélé au Centre du Pays. En 1937, un effectif de 200 000 têtes a été compté16.

15 Financement par le FIDA, le PNUD et la FAO

16PICARD, J., MODIBO., W., C., MBAIKI, L., ARDITI., C., Etude socio-économique des éleveurs Peuls de Centrafrique.

A cette époque, la présence des éleveurs Peuhls Mbororo sur le territoire de l'Oubangui-Chari s'est heurtée aux grands problèmes d'ordre sanitaire (trypanosomiase, peste bovine), que le service d'élevage colonial tendait à maîtriser, notamment en circonscrivant les éleveurs dans des zones précises et en freinant leur progression vers l'Est. Dans les années 50, les principales implantations des éleveurs Mbororo étaient circonscrites sur les plateaux entre Bouar et Bocaranga d'un côté et dans la région de Bambari de l'autre. Ce n'est qu'à partir des années 70 et 80 que les éleveurs se sont étendus sur les autres parties du pays17. Seules les savanes inhabitées du grand Est du pays sont restées pendant longtemps à la marge de la progression des troupeaux, mais il semble que ces régions ont connu très récemment un afflux important d'éleveurs, fuyant les problèmes qu'ils rencontraient sur leurs anciennes installations.

I.1. Paupérisation importante des populations d'éleveurs

De même que leurs « frères » agriculteurs, les éleveurs centrafricains sont depuis un certain temps affectés par un processus de paupérisation, même si les facteurs qui y contribuent ne sont pas les mêmes. Cette paupérisation se traduit par une diminution importante des effectifs des troupeaux. Si le cheptel moyen par famille a été encore estimé à 125 en 1990, il a passé entre 36 et 50 en 200118.

Les raisons pour ce déstockage sont multiples. Une importante épidémie de peste bovine en 1983, qui coïncidait avec la grande sécheresse de 1984, est souvent citée comme point de départ d'un processus irréversible de déstockage19. La cochenille farineuse avait dévasté en son temps les champs de manioc, ce qui a fortement

17 BOUTRAIS., J., Des Peul en savanes humides. Développement pastoral dans l`Ouest Centrafricain

18

Marchés tropicaux 15 mars 2002, spécial Centrafrique

19

LE MASSON, BOUTRAIS, PICARD, ouvrages cités

augmenté les prix des produits vivriers. Les marchés de bétail externes étant fermés du fait de l'épidémie de peste bovine, les Mbororo ont dû liquider leur bétail à très bas prix pour faire face à leurs besoins alimentaires. Depuis lors, du fait des aléas économiques et sanitaires répétitifs, puis d'autres facteurs comme les besoins monétaires grandissants pour faire face à l'évolution du mode de vie, les rackets et rançons divers, le déstockage est devenu un processus irréversible pour une grande partie des éleveurs.

Ayant été transplantés d'un milieu sahélien aux savanes humides centrafricaines, les pathologies animales représentent une contrainte majeure pour les zébus Mbororo20. Les conditions alimentaires plus favorables sont en fait contrebalancées par un environnement sanitaire plus hostile. Les animaux y souffrent des pathologies (les trypanosomiases, la babésiose, la cow-driose, les helminthoses, la brucellose, etc.), auxquelles ils sont mal adaptées. Au départ, l'expansion des troupeaux s'est pour cela longtemps limitée aux zones libres des mouches tsé-tsé au niveau des plateaux du Nord-ouest. Ils n'ont pu progresser qu'avec l'arrivée des trypanocides. Cependant, la pression sanitaire continue à se traduire par des mauvaises performances zootechniques. Un suivi de 19 troupeaux en 199421 a relevé par exemple un taux global de mortalité de 10%, se traduisant par une mortalité élevée des veaux de 17% (27% lors d'une étude en 1986 !22) et une mortalité des adultes autour de 7,5%, un taux de fécondité de 52%, puis un taux d'avortement annuel de 4,4 % des vaches.

20

Zébu Mbororo acajou à longues cornes

21

BLANC, F., LE GALL, F., CUISANCE, C., cité dans BLANC, F., LEMASSON, A., REMAYEKO, A., LE GALL, F.,

LHOSTE, P., Les contraintes au développement de l'élevage bovin en savane humide : L'exemple des Peuhls Mbororos en République centrafricaine

22

TACHER, cité dans BLANC, F. et al., ouvrage cité ;

En dehors des pertes directes, les dépenses liées à la santé animale de ces troupeaux « élevés sous la seringue » pèsent lourd dans le budget de l'éleveur. Le coût annuel, rien que pour les traitements des trypanosomoses, a été évalué en 1994 pour l'ensemble du cheptel centrafricain à 1,6 milliards de FCFA, soit 1,9% de la valeur du cheptel national23.

L'impossibilité de vivre uniquement des produits de l'élevage se traduit par un cheptel en dessous des 30 têtes par famille, à partir duquel les prélèvements dans les troupeaux deviennent proportionnellement trop importants, pour que l'effectif puisse être maintenu. Cette situation pousse les éleveurs à diversifier leurs activités. Généralement, ils se rabattent sur l'agriculture. Dans le Centre et l'Ouest, les éleveurs au sens strict ne représentaient en 2002 que 28%, contre 35,5% en 199724. Une importante proportion des éleveurs d'antan se retrouve aujourd'hui sans animaux et vit parmi les autochtones dans les villages. D'autres deviennent des bergers salariés, convoyeurs de bétail, etc.

I.2. Emergence de nouvelles catégories d'acteurs

On assiste donc à l'émergence des nouvelles classes d'acteurs, parmi lesquelles on trouve celle des « agro-éleveurs », combinant dans des proportions divergentes, les deux activités. Celle-ci est à la fois constituée d'éleveurs Peuhls d'origine, mais aussi d'agriculteurs ayant progressivement accumulé un certain cheptel, phénomène qu'on rencontre notamment dans l'Ouest du pays (Nana Mambéré et l'Ouham). Ici, la proportion des agro-éleveurs par rapport à l'ensemble des ménages en milieu rural a augmenté de 47,7% en 1997 à 60% en 2002.

23

GANABO, P., cité dans BLANC, F. et al., ouvrage cité ;

24 Marchés tropicaux 15 mars 2002, spécial Centrafrique ;

On assiste également à une importance grandissante des « éleveurs-commerçants ». Le commerce du bétail, ainsi que celui des diamants constituent un autre palliatif par rapport au déstockage des troupeaux. En 2001, la catégorie des éleveurscommerçants représentait 12% de la population rurale au Centre et à l'Ouest, contre 5,9% en 1997. Si parmi ceux-ci, on retrouve une grande proportion des personnes pouvant être qualifiées de « petit débrouillard », il y a aussi des gros propriétaires de bétail, qui confient leurs troupeaux à des bergers salariés. La proportion de ces troupeaux par rapport au cheptel national n'est par contre pas connue. Le déstockage massif des troupeaux d'éleveurs laisse cependant présager un processus important de transfert de propriété au profit de cette catégorie d'acteurs.

I.2.1. Afflux important d'éleveurs transhumants provenant des pays limitrophes

Parallèlement à ces importantes mutations au sein de la société des éleveurs centrafricains, le pays assiste à une forte augmentation de la pénétration interannuelle d'éleveurs transhumants provenant du Tchad et du Soudan, dont l'importance, en termes de nombre et de taille des troupeaux semble très importante25. Ceux qui viennent du Tchad et traversent le centre et l'ouest du pays, sont constitués en majorité par des Peuhl couramment désignés par le terme « Anagambas ». Leur terminus se trouve de plus en plus dans la Lobaye, donc dans les zones forestières au sud du pays, où leur présence se heurte à des graves conflits avec les populations autochtones.

Il n'existe aucune véritable étude sur les itinéraires et le mode de vie de ces
transhumants, ils sont généralement occultés dans les études socio-économiques.
Du fait de leur passage loin des agglomérations, leur présence est souvent difficile

25

Des statistiques précises là-dessus ne sont pas disponibles

à saisir pour les services de l'élevage. La figure 5 illustre assez schématiquement les mouvements de transhumance opérés par les éleveurs en provenance/ou direction des pays limitrophes.

II. Structuration de l'espace agropastorale en Centrafrique

Depuis le temps colonial, l'Etat centrafricain a développé des stratégies pour la structuration de l'espace agropastoral. Elle s'est notamment traduite en une politique de zonage, qui consistait en une définition explicite de secteurs réservés pour la pâture et d'autres pour l'agriculture, partant de l'hypothèse que le meilleur moyen pour le développement harmonieux de ces deux activités serait leur séparation physique. Successivement, plusieurs campagnes de délimitations furent menées, en commençant avec l'expérimentation du Dr. Desrotour en 1968 dans l'Ouest centrafricain. La reforme agraire et foncière des années 1970 a permis de diviser en secteurs quasiment l'ensemble des territoires touchés par l'élevage au Centre et à l'Ouest.

Ces dispositions anciennes furent renforcées dans les années 8026. Plusieurs projets d'appui au secteur de l'élevage qui se sont succédé, avaient fait de la désignation et du développement des zones d'élevage un axe central de leur intervention27. Au départ, les communes d'élevage ont servi de base pour le développement de cette politique. Le zonage renferme également des zones mixtes, désignées zones de transhumance pendant la saison sèche, ainsi qu'un réseau de couloirs de passage reliant les zones pastorales entre elles et assurant les passages vers les territoires voisins.

26

Cf. p.ex. Procès verbal de la délimitation des différentes zones de culture et d'élevage du 20.6.1986, Inspection agricole de la

Nana-Mambere

27 Projet Développement Elevage Ouest (1980 - 1986), cofinancé par l'IDA, le FIDA, la France et la CEE, puis le Projet National de développement de l'Elevage (PNDE, 1986-1992), cofinancement FED, IDA/FIDA et FAC

Les motifs sous-jacents de cette politique visaient une certaine sédentarisation des éleveurs et la création d'une base foncière pour la gestion rationnelle des parcours. A cet effet, des unités de parcours dites « interfleuves » devaient être recensées et classifiées, afin d'y gérer la présence des éleveurs, organisés en « Groupements d'Intérêt Pastoral (GIP) ». En fonction de l'évolution des pâturages, ils devaient transhumer entre les différentes unités de parcours. Un vaste réseau de pistes a été construit, devant permettre au service de l'élevage d'observer l'évolution des pâturages et d'organiser les mouvements28.

Une des principales faiblesses de cette tentative de formalisation du zonage associée à une gestion rotative des parcours, était le fait que celle-ci aurait été plus ou moins imposée par le haut et jamais correctement négociée avec les populations autochtones résidant dans les villages. D'autre part, l'initiative visant à « instaurer une gestion communautaire disciplinée de l'espace selon les prescriptions des pastoralistes »29 s'est avérée largement incompatible avec la logique pastorale à base de décisions individuelles des Peuhl Mbororo30.

Ces conclusions, puis le processus dramatique de dégradation des savanes pastorales ont amené l'Etat centrafricain et les projets d'élevage de faire évoluer les conceptions. Il en a résulté la définition des « Zones d'Action Agropastorales (ZAGROP) », approche qui s'apparente à celle de la « gestion des terroirs »31 et qui réduit les interventions à une échelle plus limitée et maîtrisable. L'approche

28 BOUTRAIS., J., Des Peul en savanes humides. Développement pastoral dans l`Ouest Centrafricain

ème

29

Rapport 2 semestre 1983 du Sous projet Agropastoral dans la commune d'élevage de l'Ombella Mpoko

30

BEHNKE, R., SCOONES, I, 1993, Rethinking Range Ecologie, BOUTRAIS, ouvrage cité

31

ANKOGUI-MPOKO, G., F., Sociétés rurales, territoires et gestion de l'espace en RCA. La difficile intégration de l'élevage et

de l'agriculture au nord-est de Bambari.

consistait en la délimitation des zones d'une superficie d'un maximum de 50 000 à 100 000 ha, devant être prioritairement implantées dans des zones sociologiquement homogènes à majorité d'éleveurs. Elle impliquait l'affectation aux éleveurs d'un titre foncier sur cet espace, consacré par des décrets présidentiels, puis le plein droit de la nationalité centrafricaine. L'idée était d'une part, de garantir aux éleveurs l'utilisation définitive des pâturages délimités, sans que cette utilisation soit remise en cause sous la pression agricole et d'autre part, faire en sorte que les éleveurs y jouissent d'un droit d'exploitation exclusif, c'est-àdire qu'ils puissent refuser l'accès à des tierces parties (transhumants externes). Ceci pour pouvoir mettre en oeuvre un schéma de gestion rationnelle, impliquant mises en défens, ainsi que pour minimiser la propagation de maladies.

Au total, cinq ZAGROP ont été créées, plusieurs autres sont restées à l'étape d'étude, du fait de certaines lourdeurs administratives et de manque de financement32. Aujourd'hui, seulement deux ZAGROP semblent encore être fonctionnelles.

II.1. ZAGROP33

La mise en place des ZAGROP n'a pas non plus suivi des étapes préalables de négociation, les agriculteurs n'ont été impliqués qu'à la dernière minute, ce qui explique les contestations fréquentes. Suite aux difficultés auxquelles se sont heurtées les ZAGROP, l'ANDE a promu dans les années 90 la création d' « Unités Pastorales (UP) », basées sur les groupements d'éleveurs plus restreints. Les UP devraient comprendre quatre ou cinq familles d'éleveurs d'une même lignée, possédant 300 - 500 têtes, et un territoire de 2 500 à 5 000 hectares, sur lesquels

32

Le PNDE avait prévu de mettre en place jusqu'à 18 ZAGROP

PICARD, J., MODIBO., W., C., MBAIKI, L., ARDITI., C., Etude socio-économique des éleveurs Peuls de Centrafrique

33

Source : BEREKOUTOU, M., Exposé sur les ZAGROP, 1991

celles-ci étaient censées d'opérer un système de rotation (puis de respecter une charge ne dépassant pas 6 ha/UBT). L'approche, qui est davantage basée sur une appropriation foncière d'un espace pastoral par des éleveurs, souvent à titre de subdivisions de ZA-GROP, s'est également heurtée à plusieurs problèmes techniques et organisationnels, notamment le risque d'appropriation de celles-ci par certains grands propriétaires de bétail. Sa mise en oeuvre s'est limitée à l'officialisation seulement de deux UPs.

A partir du constat qu'aucune gestion durable de l'espace ne pouvait réussir sans la participation des autres acteurs sur place, l'ANDE a finalement opté en 1995 pour une meilleure prise en compte des agriculteurs à travers la création d'« Associations Eleveurs-Agriculteurs (AEA) » et la gestion conjointe de l'espace agropastoral commun. Le principe de séparation physique des activités d'élevage et d'agriculture a été maintenu, ainsi que le principe d'attribution exclusive des espaces au compte des groupements membres de l'AEA. La différence par rapport aux ZAGROP est que la gestion comprend à la fois les zones agricoles et pastorales et s'opère désormais de manière conjointe entre les deux communautés. En outre, l'approche vise la définition des conditions techniques et institutionnelles par les adhérents eux-mêmes et non par quelques responsables. Au-delà de l'aspect de gestion durable, les AEA ont pour mission de régler les conflits entre les deux groupes (dévastation des champs, tueries de bétail etc.).

L'approche a été promue par le programme CEASAP dans le cadre du PDEGP. Suite aux mutineries successives et les difficultés associées à la gestion du projet, les décaissements ont été arrêtés en 1997. De ce fait, seuls trois AEA ont pu être créées, dont une dans l'Est, une dans l'Ouest, et une au Centre.

Face aux contestations grandissantes par rapport à la présence des éleveurs dans
certaines zones, de nos jours, c'est la recherche des titres fonciers par des initiatives
individuelles (groupements), qui prend de plus en plus de l'ampleur. Cette pratique,

qui constitue la principale solution préconisée par certains éleveurs, est notamment observable dans les zones forestières. Elle se heurte cependant à des grandes difficultés administratives et des coûts importants liés à l'acceptation du principe par les populations autochtones.

CHAPITRE III : DIAGNOCTIC DES GRANDS PHENOMENES DE CONFLITS ENTRE AGRICULTEURS ET ELEVEURS

Ce chapitre comprend deux sections. La première concerne les dégâts aux cultures et la deuxième prend en compte le diagnostic des modes de règlement en vigueur.

Section I. Dégâts aux cultures

Les conflits entre agriculteurs et éleveurs en RCA prennent de nombreuses formes. Du point de vue méthodologique, nous nous focalisons sur un diagnostic des « symptômes » de conflits tels que décrits dans notre sujet de mémoire a savoir :

1. Conflits liés : d'une part à des destructions soit accidentelles, soit délibérés des champs et d'autre part, à des dégâts provoqués à travers les "champs pièges"

2. Conflits liés à des actes plutôt criminels d'appropriation des biens d'autrui, qui se manifestent d'une part (i) à travers les tueries de bétail et d'autre part, (ii) à travers des attaques collectives des agriculteurs.

En dehors donc de ces deux grands types de conflits, nous avons recensé d'autres conflits d'ordre plutôt mineur, qu'on peut également classifier soit dans l'une soit dans l'autre grande catégorie des conflits, mais que nous avons jugés moins importants. Il s'agit plus notamment (i) des vols du bétail, (ii) des vols de récolte, (iii) des cas d'empoisonnement de l'eau, et (v) des conflits fonciers.

I. Destruction accidentelle/involontaire ou délibérée des champs

Les destructions de cultures sont à l'origine de nombreux contentieux entre agriculteurs et éleveurs. Il s'agit des dégâts occasionnés par le bétail des éleveurs autochtones ou transhumants. Ils vont de l'arrachage de quelques boutures de manioc ou de pieds de maïs à la dévastation des plantations entières. Les destructions de cultures représentent une des situations les plus énergiquement dénoncées par les populations autochtones de toutes les régions visitées, et sont de loin les principales causes de conflits entre agriculteurs et éleveurs. Les agriculteurs de la RCA parlent d'une centaine de cas de destructions de culture pour l'année 2011.

D'après les agriculteurs, la plupart des destructions de cultures surviennent accidentellement. Elles sont les conséquences du manque de vigilance des bergers, ou d'éleveurs débordés par le grand nombre d'animaux. Les dégâts les plus importants surviennent au moment des départs et des retours des éleveurs de transhumance, soit entre mi-septembre et mi-novembre, et de la fin du mois de mars à la mi-mai. Les éleveurs nationaux interrogés à ce propos affirment que les destructions ont généralement lieu lors des escales de ravitaillement. En effet, bien que stationnés en pleine brousse, les éleveurs sont obligés de temps en temps de se rendre dans les villages situés sur leur trajectoire, pour acheter aux paysans les vivres nécessaires à leur survie. Souvent aussi, c'est la méconnaissance de la région qui est à l'origine de dégâts : la plupart des dévastations de champs imputées aux transhumants entrent dans cette catégorie.

Les dégâts volontaires ont été cités par quelques agriculteurs de la localité. Considérés comme insignifiant par les éleveurs, ces derniers expliquent cette pratique par l'esprit de vengeance qui anime parfois certains parmi eux, à la suite de cas d'abattages successifs de bétail. Il semble également (d'après bon nombre

d'éleveurs) que le manque de pâturage pendant la saison sèche pousse certains éleveurs à orienter leur bétail dans les champs de quelques localités qui constituent les seules verdures en cette période de feux de brousse. Il y a des éleveurs qui précisent que ce sont les éleveurs transhumants qui sont généralement à l'origine de ces problèmes.

Quelles que soient leurs causes, ces situations sont souvent sources de conflits. Elles sont inductrices de catastrophes : pertes financières, pénurie alimentaire, famine, incapacité à rembourser des dettes contractées et à subvenir aux besoins familiaux. Parfois, elles aboutissent à des conséquences dramatiques ; des cas de violence comme des tirs au fusil et ou à la sagaie.

I.1. Dégâts provoqués à travers des « champs pièges »

Par champs pièges, nous désignons ici des champs installés par les agriculteurs dans les zones affectées aux activités d'élevage. Cette pratique est présente partout et elle nous a été signalée par toutes les autorités administratives et les techniciens rencontrés sur le terrain. En RCA, la pratique de cultures en zone pastorale semble presque normale, au mépris du zonage existant. Certaines personnes vont jusqu'à installer leurs parcelles de cultures au-delà de 20 km des villages.

Pour justifier leurs actes, certains agriculteurs évoquent la baisse de fertilité des sols dans les zones agricoles et la recherche de terres fertiles, d'autres parlent du manque de terres à cause du temps de jachère et le développement de la culture attelée. Mais en plus de ces raisons principales évoquées, d'autres raisons sousjacentes ressortent de nos entretiens avec les deux parties, à savoir : les mésententes entre agriculteurs, l'amitié entre un agriculteur et un ardo, l'envie de certains agriculteurs pauvres de se rapprocher des campements d'éleveurs afin de leur servir de main d'oeuvre et de profiter des carcasses de bétail mort, ou tout simplement la

provocation intentionnelle afin d'obtenir des rentes financières en cas d'éventuels dégâts.

Quoi qu'il en soit, la présence des champs dans des zones à intérêt pastoral constitue un handicap pour le mouvement des troupeaux. De toutes les manières, ces champs finissent irrémédiablement par être détruits par le bétail. Face à cette situation, il semble évident que l'installation des champs proches des couloirs de passage, des campements, etc. révèle clairement soit une stratégie de rente de la part des agriculteurs autochtones, soit une stratégie foncière pour chasser les éleveurs de certains terroirs villageois.

I.1.1. Actes d'appropriation des biens des éleveurs

I.1.2. Tueries de bétail

En RCA, les éleveurs ont évoqué les tueries de bétail. Les paysans locaux prennent des armes de fabrication locale, se cachent dans les zones de pâturages et abattent les boeufs qu'ils dépècent sur place. La viande ainsi obtenue est destinée à la consommation personnelle, ou acheminée soit chez les bouchers locaux, soit chez les femmes commerçantes `wali gara' pour être écoulée. Cette pratique serait apparue vers la fin des années 1980. Auparavant, il s'agissait des cas de tueries isolés perpétrés par des chasseurs ou des paysans des villages avoisinants. Aujourd'hui le phénomène s'est accru considérablement et semble être le fait parfois de réseaux bien organisés dans lesquels on retrouve d'un coté le braconnier qui abat le bétail, de l'autre les commerçantes et les bouchers qui collectent ou recèlent les produits et parfois fournissent les munitions pour tuer le bétail, et enfin au milieu des intermédiaires chargés de transmettre les informations sur les points de livraison ou les besoins des clients.

La dégradation des relations date de 1978. Les « autochtones », à en croire les éleveurs, viennent tuer des boeufs et voler des moutons et des chèvres, voire le manioc des champs de case des éleveurs. Selon ces derniers, c'est la jalousie et la pauvreté qui pousse les agriculteurs à commettre ces actes. Par le passé les éleveurs s'approvisionnaient chez les agriculteurs mais maintenant ils cultivent eux-mêmes. Parfois, affirment-ils, certains poussent même l'audace jusqu'à venir au campement des éleveurs réclamer des animaux libérés des pièges. Ces formes d'intimidation font que les éleveurs ne `se sentent plus maîtres de leurs biens'. Ce qui attriste le plus les éleveurs est qu'en même temps les chefs des agriculteurs contestent leur projet de délimitation et d'acquisition d'une zone pastorale, sous le prétexte du non-respect des conditions de transfert de droits traditionnels d'accès à la terre : afin de donner leur accord, les chefs exigent un boeuf en guise de compensation.

Les tueries de bétail peuvent facilement entraîner des rixes sanglantes de vengeance. Il se dessine à travers ces affaires de meurtres, de coups et blessures et de vols entre agriculteurs et éleveurs, un véritable affrontement inter-ethnique. Chez ces derniers, l'absence de réparation des torts a fini par susciter frustrations, crainte et animosité à l'égard de « l'autochtone ». Il arrive parfois qu'un l'éleveur tue sur-le-champ un villageois surpris en train de dépouiller un de ses animaux ; mais ces cas sont rares puisque les éleveurs savent qu'ils sont minoritaires et risquent de provoquer des actes de vengeance.

Il est par contre beaucoup plus fréquent que des éleveurs soient assassinés par des braconniers surpris en flagrant délit.

I.1.3 Attaques collectives des agriculteurs

Depuis l'année dernière, on observe également le phénomène des attaques
collectives des campements des éleveurs par des villageois, phénomène qui

s'observe notamment en RCA. Dans ces attaques collectives, il y aurait participation d'hommes et de femmes. Les hommes agressent les éleveurs et tuent les animaux, tandis que les femmes viennent avec des bassines pour récupérer la viande dépecée et la ramener au village. Il semblerait aussi que certains chefs de village sont complices des malfaiteurs, mettant ainsi en cause tout instrument de sanction et de contrôle. Ce phénomène est particulièrement grave, d'autant plus que ces actes collectifs impliquent parfois des hameaux ou de petits villages entiers.

I.1.3.1.Attaques collectives de campement d'éleveurs

En 2003, peu avant le 15 mars, un habitant de la ville paoua a été attaqué par des hommes en arme qui lui ont cassé le bras. Révolté, un groupe de villageois armés de fusils de fabrication artisanale a envahi un campement d'éleveurs proche de leur village pour venger leur parent. A l'aide de leurs fusils, ils ont abattu des boeufs et emporté les carcasses, dispersé le reste du bétail et passé à tabac les éleveurs qui ont pris fuite avec leurs familles. De plus, ils ont emporté tous les biens des éleveurs : matelas, nattes, ustensiles de cuisine, etc. Le maire informé de la situation est intervenu auprès de la population, ce qui a permis la restitution d'une partie des biens aux propriétaires. Mais comme le pays traversait une période de troubles, les coupables de ces actes n'ont pas été arrêtés. Ces types d'attaques collectives au dire des éleveurs se sont multipliés ces derniers mois dans la commune, et font penser à un effet d'entraînement des populations locales dû à la multiplication du phénomène des coupeurs de route et à l'impunité. Ces actes de barbarie témoignent de la dégradation profonde des relations entre agriculteurs et éleveurs, risquant ainsi à terme de compromettre définitivement tout espoir d'intégration.

II. Autres conflits peu fréquents

II.1 Vol de bétail

En RCA les éleveurs et les agriculteurs ont présenté le vol de bétail comme le fait surtout des `fils d'éleveurs', donc pas vraiment un type de conflit qui oppose éleveurs et agriculteurs. Il s'agit dans ces cas des jeunes éleveurs dont les familles se seraient appauvries à la suite de prises d'otages ayant abouti à la déperdition des troupeaux familiaux. Ces jeunes s'associeraient avec certains villageois pour convoyer de petits troupeaux volés aux autres éleveurs pour aller les vendre ailleurs.

II.2. Vol de récolte

Dans la quasi-totalité de ces cas, on constate que les coupables sont plutôt des paysans appauvris qui sont contraints d'aller voler dans les champs des autres, parmi lesquels aussi les éleveurs. Ce n'est donc pas non plus un cas classique de conflits entre agriculteurs et éleveurs. Le constat est confirmé par certains agriculteurs, qui jugent cette pratique honteuse. Le vol des ignames, du manioc et d'autres produits agricoles ne semble donc pas dépasser le stade de nécessité alimentaire.

Section II : Diagnostic des modes de règlement en vigueur

En matière de conflits entre agriculteurs et éleveurs, les affaires peuvent être classées en deux catégories distinctes : les affaires civiles (dégâts aux cultures par exemple) et les affaires pénales, telles que le vol, les tueries de bétail et les rixes sanglantes voire mortelles. Le premier type d'affaires est réglé à trois niveaux : à l'amiable, au niveau local et au niveau des instances judiciaires ; les affaires considérées comme pénales sont exclusivement du ressort du parquet.

I. Modes de règlement des conflits d'ordre civil

I.1. Règlement à l'amiable

Il s'effectue directement entre l'agriculteur victime et l'éleveur responsable des dégâts. C'est une entente mutuelle entre deux parties, sans intervention ni d'une tierce personne, ni des autorités ; ceci pour éviter que l'affaire ne monte à un niveau supérieur, qui ne rendrait pas le règlement forcément plus transparent ou plus satisfaisant. Le règlement à l'amiable est de loin l'arrangement le plus utilisé en cas de dévastation de cultures, notamment dans les cas de dégâts de peu d'importance. On aurait cru que la tension latente qui règne entre agriculteurs et Mbororo ces derniers temps rendrait cette démarche plus rare et plus difficile, mais la pratique des rackets systématiques par les autorités pousse les agriculteurs et les Mbororo à continuer à privilégier ce mode de règlement. Il est difficile d'en estimer la fréquence, cependant lors de nos missions, le nombre de règlements à l'amiable paraissait nettement supérieur à celle des autres règlements. Plusieurs interlocuteurs ont souligné qu'il serait toujours mieux de se mettre d'accord sans interférence de tiers et de déterminer la hauteur des dédommagements dans un processus de négociation.

Les négociations tiennent généralement compte des dégâts causés, mais aussi de la capacité financière de celui qui les a causés. La plupart des agriculteurs estiment cependant que la somme versée ne représente souvent pas la valeur réelle des dégâts, tandis que les éleveurs estiment qu'ils sont victimes de surestimations systématiques. En effet, les éleveurs se voient souvent contraints d'accepter des

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dommages surévalués et de payer `pour avoir la paix sociale' . La plupart d'entre eux préfèrent rapidement faire un arrangement pour se débarrasser de l'affaire et continuer leur chemin.

Autrefois, le dédommagement de la victime se faisait en nature (mouton, cuisse de
boeuf, veau). Aujourd'hui, les règlements en espèces ont largement pris le pas sur

les paiements en nature. En outre, la facilité d'antan de régler des dégâts en toute amitié semble sous pression dans certaines régions.

Cependant, à l'heure actuelle la plupart des paysans ont tendance de vouloir porter plainte aussi tôt que possible, au niveau des autorités villageoises mais aussi de plus en plus directement au niveau de la gendarmerie. Cette évolution semble un symptôme des effets cumulatifs de certains développements structurels en milieu rural.

I.2. Règlements au niveau des autorités locales

En Centrafrique, sont considérées comme des autorités locales les chefs de village, les chefs de groupement de villages et les maires de communes. Les litiges entre agriculteurs et éleveurs ne sont soumis à ces autorités que quand les deux parties n'ont pas pu s'entendre à l'amiable. Les mésententes surviennent généralement quand l'éleveur estime que les dégâts ont été surestimés par l'agriculteur ou quand après s'être entendu sur un montant de dédommagement, l'éleveur tarde à s'en acquitter.

Dans ces cas, l'affaire est tout d'abord portée devant le chef du village ou le chef de groupement sur le territoire duquel se situe la parcelle détruite. Ce n'est que quand celui-ci n'arrive pas à concilier les deux parties que la plainte est orientée chez le maire de la commune. Soulignons que dans beaucoup de cas, cette procédure n'est pas toujours respectée. En effet, il arrive que le maire soit directement touché par des plaintes, sans que le chef de village sur le territoire duquel les cultures ont été dévastées ne soit au courant de l'affaire. C'est notamment le cas des chefs-lieux de communes, où les plaintes sont systématiquement déposées à la mairie. Très rares autrefois, le nombre de plaintes déposées auprès des autorités locales, à en croire les concernés, se serait multiplié dans les cinq dernières années.

Théoriquement, dès qu'une de ces autorités locales reçoit une plainte concernant les dégâts aux cultures, elle doit dépêcher sur les lieux une équipe composée d'un technicien d'élevage, d'un technicien d'agriculture, d'un de ses conseillers et d'un élément de la garde champêtre pour constater les faits. Le constat en question consisterait en l'évaluation de la superficie dévastée et en l'identification des différents types de cultures qui s'y trouvent, afin de déterminer le coût des dommages subis par l'agriculteur. C'est ce montant qui constitue le dédommagement qu'exigent les chefs ou les maires à l'éleveur au profit du propriétaire du champ, en compensation du préjudice subi. Mais dans les faits, toutes ces dispositions ne sont généralement pas respectées. Le plus souvent, soit les techniciens sont mis à l'écart, et l'affaire est tranchée au gré du garde (inexpérimenté) envoyé par le chef pour constater les faits sur le terrain, soit un seul technicien (généralement celui de l'agriculture) est sollicité. Dans ces conditions, les amendes découlent plus du hasard que d'une évaluation objective. Selon les éleveurs, les dommages seraient surestimés de façon structurelle au profit non seulement du paysan mais aussi des chefs et ses conseillers qui en tireraient un profit.

La commune est l'instance suprême des règlements locaux des litiges. Si à ce niveau aucun terrain d'entente n'est trouvé, la juridiction du maire se déclare incompétente et transmet le dossier soit à la gendarmerie soit au parquet. Mais comme le plus souvent les maires tardent à transférer les dossiers, ce sont les parties plaignantes elles-mêmes qui s'en chargent.

II. Règlements formels

Il s'agit ici de règlements qui ont lieu dans les instances judiciaires de l'Etat, à
savoir la gendarmerie en tant que `police judiciaire' et le parquet. Les litiges entre
agriculteurs et éleveurs qui autrefois parvenaient rarement au niveau de ces

instances tendent à se multiplier, si l'on en croit le Président du Tribunal de grande instance de Bossangoa et le Procureur de Bouar.

II.1. Gendarmerie

A la gendarmerie, dès qu'une plainte (d'agriculteurs ou d'éleveurs) est enregistrée, la procédure exige qu'un constat soit dressé par une équipe composée obligatoirement du technicien d'agriculture et de celui d'élevage de la localité.

Ce sont ces techniciens qui à l'issue de leur constat évaluent le montant du dommage à payer à l'agriculteur lésé, sur la base d'un barème mis à leur disposition par le Ministère de l'Agriculture. Au vu des résultats dudit constat et de l'amende fixée par les techniciens, le fautif est sommé de dédommager le plaignant.

II.2. Justice

Le parquet ne reçoit que des cas très rares d'affaires civiles opposant agriculteurs et éleveurs. Pour celles qui lui parviennent, le Procureur de Bouar affirme qu'il s'agit de litiges liés à la divagation du bétail, au non-respect du zonage et des droits fonciers.

Concernant les dégâts aux cultures, c'est la conciliation qui est privilégiée. Pour ce faire, le parquet fait toujours recours aux techniciens (agriculture, élevage) pour les avis techniques (constat et évaluation financière des dommages), qui permettent aux juges de trancher les litiges et de fixer les amendes. Les peines infligées se limiteraient aux amendes que doivent payer les coupables sous peine d'être mis en prison. A ce niveau, aucun cas de refus de versement de dommage par l'éleveur n'a été signalé.

Dans les cas de litiges concernant le zonage et les droits fonciers, appel est fait soit
aux hauts responsables régionaux soit aux services du cadastre pour clarifier la

situation. Les cas de non-respect de propriété sont sanctionnés par une décision de déguerpissement. Il arrive cependant que le titre foncier ait été obtenu illégalement. Face à de telles pratiques, c'est l'annulation du titre qui est prononcée.

II.2.1.Techniciens de constat

Théoriquement, les agents techniques d'élevage et d'agriculture ont un rôle important dans les cas de dégâts champêtres. La procédure prévoit leur implication dans l'équipe de constat. Mais dans la pratique cette procédure n'est malheureusement pas respectée ; dans la plupart des cas il y a absence totale des techniciens et la plupart des constats se font en absence de tout contrôle d'autrui. Au cas où un technicien est envoyé, il s'agit souvent du seul technicien d'agriculture qui se déplace pour faire l'estimation des dégâts et dresser le constat, qu'il fait En absence des dossiers complets il est difficile de tracer tous les cas qui sont effectivement `arrangés' d'une manière ou d'une autre par les gendarmes par la suite contresigner par le chef poste vétérinaire du village.

CHAPITRE II : PLAN DE COMMUNICATION ET DE SENSIBILISATION

Le Chapitre II est structuré en deux sections. La première concerne le Plan de communication et la deuxième section porte sur le plan de sensibilisation. SECTION I : Plan de communication

I. Amélioration des mécanismes de gestion des conflits

Tout le long de notre étude, nous avons constaté un réel dysfonctionnement dans la
façon de gérer les conflits qui surviennent entre agriculteurs et éleveurs.

L'amélioration de ces mécanismes déjà existants, à travers des actions simples qui pourraient être mises en oeuvre sans qu'on ait besoin de gros investissements, contribuerait énormément à apaiser les deux communautés.

Les actions à entreprendre doivent se réaliser simultanément à différents niveaux. Ainsi les populations concernées, et les autorités locales (chefs de villages, maires), doivent envisager les dispositions suivantes.

I.1. Amélioration des procédures en vigueur

Dans ce cadre on vise d'abord les parties prenantes, les autorités locales et les projets de développement qui se déroulent à la base.

Il s'agit de renforcer les mécanismes de conciliation à l'amiable des conflits, et de soutenir le principe de subsidiarité dans le règlement des conflits au niveau le plus bas possible. Il faut encourager la gestion par les parties concernées (agriculteurs et éleveurs), et les rendre capables de gérer eux-mêmes les conflits qui les engagent. Pour ce faire on vise les parties prenantes et les projets de développement intervenant à la base.

Il est impératif que les mandats des différents acteurs dans le domaine de la conciliation et de la gestion des conflits (chefs, maires, gendarmerie, et autres) soient clarifiés. Les études de terrain ont montré que le nombre d'autorités impliquées dans la gestion des litiges opposant agriculteurs et éleveurs est souvent trop grand, ce qui ouvre des possibilités de confusion de mandat et des opportunités de racket. Pour éviter les conflits de compétence dans ce domaine, il serait souhaitable que toutes les affaires civiles soient systématiquement réglées au niveau local par les chefs de villages, les maires ou les comités conjoints représentants les deux communautés. Ce faisant, on joint le savoir-faire coutumier éprouvé en matière de gestion des conflits avec un mécanisme de contrôle. Un

comité local de gestion, vu sa proximité avec les communautés, est souvent mieux indiqué pour résoudre ces types de problèmes.

Il convient également de clarifier, à tous les niveaux, la légalité et les modalités d'application des principes de droits de table, frais de dossier et toute autre rémunération applicable à la gestion des conflits. Ces frais varient d'une autorité ou d'une instance à l'autre. La fixation d'un montant unique et forfaitaire pour le règlement des litiges liés aux dégâts aux cultures simplifie la procédure et soulagerait énormément les populations.

Désormais on devrait respecter le principe de l'évaluation conjointe des dégâts et des actes d'obstruction de couloir de transhumance. Pour rendre plus crédible ces constats aux différents niveaux, il serait souhaitable d'élargir la composition des équipes de constat en respectant le principe d'égalité du niveau de représentation. C'est-à-dire qu'au niveau villageois le chef de village fait participer un membre d'un groupement villageois et un membre d'un groupement d'éleveurs au comité de constat. Au niveau de la commune, chaque constat se réalise par une équipe composée d'un technicien d'agriculture, un technicien de l'élevage et le maire. La simple présence d'un technicien de l'élevage lors des constats contribue à rassurer l'éleveur, et l'encourage à s'acquitter des frais de dédommagement sans trop de difficultés.

Il faudra établir des référentiels pour l'estimation des dégâts champêtres sur la base des prix locaux, et instaurer des plafonds pour les dédommagements. Dans un premier temps il est important de retenir les prix courants sur les marchés locaux comme base de calcul pour les dédommagements. En même temps, le plafonnement du montant des dédommagements devra se faire de façon consensuelle lors d'une réunion qui associera toutes les parties prenantes et représentants d'associations présent dans le village. Cela permet de limiter les abus signalés et constatés sur le terrain à propos des montants exorbitants de dédommagements (qui atteignent parfois 500 000 FCFA, alors qu'en temps normal, nulle part dans le pays un agriculteur n'a atteint ce montant en vendant ces produits vivriers).

Il est important de prévoir des sanctions pour les agriculteurs en cas d'acte prouvé
d'installation de champs-pièges. En effet, le fait que ces actes ne soient pas
sanctionnés par des amendes, comme le sont ceux de divagation de bétail dans les

zones de cultures, constitue pour les éleveurs une preuve d'injustice et de partialité au profit des agriculteurs. Pour mettre fin à cette interprétation des choses, des amendes fussent-elles symboliques devront être instaurées pour dissuader les auteurs de telles pratiques ; celles-ci renforceraient le sentiment d'équité des autorités locales envers toutes les parties prenantes.

I.1.1. Renforcements des mécanismes juridiques

Le premier rôle de la justice est d'apaiser les tensions en réglant les conflits conformes à la loi. Une bonne justice contribue à instaurer la paix sociale. Là où le droit fait défaut, l'on observe souvent des manifestations et des formes de revendication violentes et le développement de l'impunité.

Il est souhaitable d'instaurer un code de bonne conduite au niveau des juges. Le règlement des conflits entre agriculteurs et éleveurs se fait parfois sur des bases arbitraires. Pour éviter de telles pratiques, il serait souhaitable que les juges soient capables de gérer ces conflits avec rigueur et équité. Le fait d'avoir la certitude que son affaire sera réglée dans les normes, par des autorités judiciaires impartiales, apaise les plaignants et favorise une meilleure cohabitation.

I.1.2 Renforcements des mécanismes de suivi des peines

Le renforcement des mécanismes de suivi des peines et de répression sévère en cas de non payement des dédommagements s'avère important. Le Maire devra procéder à un suivi régulier de l'exécution des jugements prononcés. Des visites inopinées dans les centres de détention, accompagnées de sanctions vigoureuses à l'encontre des agents responsables d'actes indignes, pourraient contribuer à limiter les cas d'évasion organisée. Concernant les dommages et intérêts, des dispositions pourraient être prises afin que les gens insolvables puissent les compenser par des travaux dans les exploitations de leurs victimes.

I.1.3. Consolider les mécanismes de contrôle

Il est important de consolider les mécanismes de contrôle des acteurs impliqués dans la gestion des conflits (chefs, maires, gendarmerie), pour éviter que ceux-ci, convaincus de leur impunité, n'en profitent pour abuser des autres. Un accent particulier devrait être mis sur le droit de regard des tribunaux sur l'action de la police judiciaire (gendarmerie), souvent accusée d'abus d'autorité et de rackets.

Il faut prévoir le renforcement des mécanismes de sanction et de répression à l'égard des acteurs mandatés de gestion des conflits, pour éviter les cas de dérapage à ce niveau. Contrairement à ce qui se fait actuellement, où chaque autorité se croit intouchable, il faudra désormais envisager de sanctionner par des amendes voire des peines de prison, toute celle qui se rend coupable de partialité et/ou d'abus lors du règlement des litiges entre agriculteurs et éleveurs.

I.1.3.1. Principe de registres et de répertoires

Il est nécessaire de mettre en place de façon obligatoire, et à tous les niveaux (chef, maire, gendarmerie) et pour tous les actes de règlement, le principe de registres et de répertoires, la constitution systématique des dossiers (gendarmerie) et des procès verbaux, la transmission des copies aux intéressés, l'établissement des reçus, etc. Le manque de traces d'opérations concernant les litiges entre agriculteurs et éleveurs contribue à entretenir le flou et les abus des autorités à leur encontre. Un registre permet d'évaluer l'ampleur des phénomènes et de déterminer les responsabilités en cas d'abus. L'instauration obligatoire de registre en matière de conflits permettrait de clarifier les procédures et surtout de disposer d'archives auxquels on peut faire recours en cas de besoin (jurisprudence).

Section II : Plan de sensibilisation

I : Sensibilisation des populations concernées

Les institutions de la société civile, notamment les ONGs, pourront apporter positivement leur concours à la recherche de solutions aux conflits entre agriculteurs et éleveurs. Leur contribution relève particulièrement de leur compétence en matière de résolutions de conflits (par exemple des ONGs religieuses qui interviennent dans ce domaine, ou des organisations socioprofessionnelles). Il n'est pas exclu non plus qu'un projet de développement puisse agir dans le domaine de la sensibilisation des parties prenantes afin de pouvoir agrandir l'impact de ses interventions.

Chez l'ensemble des acteurs, il existe un grand besoin d'information sur les procédures en vigueur en matière de conciliation/gestion des conflits. L'ignorance des procédures constitue un sérieux handicap pour les agriculteurs et les éleveurs quand il s'agit de défendre leurs droits. Aussi, la plupart des citoyens sont très souvent perdus dans leur démarche, avec à terme le découragement et la frustration pour avoir dépensé temps et argent pour rien. La connaissance des procédures pourra être améliorée à travers les ateliers organisés à la demande des associations ou groupements villageois, ou bien diligenté par des organismes comme la FNEC pour les éleveurs.

Il est indispensable d'instruire les acteurs à la base, notamment les éleveurs, sur leurs droits, en identifiant les outils didactiques appropriés). Nombreux sont les acteurs (les éleveurs surtout) qui sont en train de subir des peines ou de s'acquitter d'amendes qu'ils n'auraient pas dû payer s'ils avaient été au courant des textes juridiques en vigueur. L'enseignement des règles élémentaires de droit aux populations villageoises leur permettrait de mieux se défendre des autorités qui

profitent souvent de leur naïveté pour les racketter. Ces enseignements pourraient s'effectuer sous forme ludique (théâtre, sketches,...), de projection de films, etc.

I.1. prévention et résolution des conflits

Les solutions en matière de prévention et de résolution de conflits s'adressent aux sources structurelles des conflits. Elles partent de l'hypothèse qu'une fois les causes des conflits enlevées, leur fréquence diminuerait. Comme précédemment développées, ces causes concernent principalement : (i) la faiblesse des rapports économiques et sociaux, et de ce fait l'absence de contrat social entre les deux groupes, (ii) l'absence des bases consensuelles en ce qui concerne la gestion conjointe des ressources naturelles partagées, et (iii) les inégalités en matière de capacité de s'en sortir face à la détresse actuelle que vit le secteur rural.

Il faudra cependant souligner que les conflits relatifs à l'utilisation des ressources naturelles entre agriculteurs et éleveurs sont et resteront inhérents à la cohabitation de ces deux groupes. Dans un contexte d'utilisation commune des ressources naturelles, la compétition et l'existence des différences socio-économiques entre acteurs sont les paramètres tributaires des systèmes de production et des modes d'exploitation de la brousse en vigueur, qui se rabattent au moins durant certaines périodes de l'année sur les mêmes types de milieu. L'équilibre, qui pourra éventuellement être créé par la mise en oeuvre de certaines mesures palliatives et certains choix politiques, pourra cependant être remis en cause à tout moment, dès qu'un des paramètres qui le soutiennent change (une importante épidémie animale, l'effondrement d'une filière, l'instabilité politique et sécuritaire, etc.). Une solution définitive des problèmes entre agriculteurs et éleveurs, telle que certains acteurs la souhaiteraient, ne pourra donc pas exister.

I.2.1. La création de capital social entre agriculteurs et éleveurs

Rappelons qu'un des principaux constats de notre analyse était la faiblesse de capital social entre éleveurs et agriculteurs, qui a été favorisée par les politiques d'encadrement des mouvements d'éleveurs depuis le temps colonial. Elle a été ensuite aggravée par des choix politiques comme la séparation physique des deux communautés dans l'espace, la gestion administrative à part, etc. Ce manque de « contrat social », accentué par les différences culturelles (langue, religion, valeurs, etc.), se traduit par une très faible réciprocité en matière d'échanges économiques, l'absence de convivialité et d'amitiés individuelles, puis l'inexistence de plates-formes de concertation ou de conventions de bonne cohabitation. Cette situation a quelque peu favorisé l'émergence, puis l'exacerbation, sans vergogne, de certains types de conflits, comme celui des attaques aux biens des autres (tueries de bétail, attaques collectives, etc.), inimaginables auparavant. De plus, elle a découragé le développement de mécanismes pouvant permettre à la majorité dans les villages de s'opposer à de telles pratiques, auxquelles se livrent certains éléments de la société. I.2.2. Renforcer les relations et liens entre les deux groupes

Le renforcement des relations/liens entre les deux groupes et l'établissement des plates-formes d'échanges et de coopération sont des conditions indispensables pour asseoir les bases d'une cohabitation pacifique, mais en deuxième instance aussi pour soutenir un développement harmonieux, consensuel et équitable. En fonction de la situation de départ (importance /ampleur relative de certains types de conflits, historique de cohabitation, etc.), les stratégies pour cette mise en relations peuvent être très variées.

.

I.2.2.1. Promouvoir et restaurer un climat de paix civile entre agriculteurs et Eleveurs

La restauration de la paix civile entre les deux communautés s'impose comme préalable à toute autre activité de développement, notamment dans les zones où les manifestations de conflit ont largement dépassé les simples querelles autour de la dévastation des champs et où celles-ci ont pris une certaine ampleur, avec des tueries d'hommes, actes de vengeance, etc. Les phénomènes comme la mobilisation collective afin de s'emparer des biens des éleveurs, puis le sentiment de complicité au niveau des autorités locales, des familles notables, puis des autres citoyens qu'on croyait indemnes de ce genre de phénomènes, ont laissé des empreintes profondes, qu'il s'agira de surmonter.

La mesure la plus évidente pour parvenir à un climat de paix sociale est celle de la facilitation des ateliers ou fora locaux entre agriculteurs et éleveurs. En effet, l'historique de l'encadrement des populations rurales montre bien que l'habitude courante est celle d'aborder les deux groupes de manière séparée (on « sensibilise » les uns et les autres successivement). Le clivage s'opère déjà par rapport au fait que les uns, les encadreurs de l'élevage, se sentent comme protagonistes des éleveurs, et les autres, les agents de l'agriculture, ceux des agriculteurs. Certains soupçonnent que pour des questions d'intérêts divers (les rentes...), une grande partie des agents de l'Etat et des autorités locales n'auraient jamais porté un intérêt à la « concertation », ils préfèreraient « gérer le désaccord » (c'est plus rentable). Les deux parties sont unanimes sur le fait qu'ils ne puissent pas y arriver par leurs propres forces. Il faudra l'appui d'une tierce instance pour faciliter les réunions de concertation entre elles. Si les acteurs locaux préconisent l'intervention de l'Etat (les maires, etc.), nous pensons plutôt à des instances neutres, comme les ONG, les projets, puis d'autres acteurs de la société civile - l'Etat pouvant se limiter à un rôle

de tutelle. Les ateliers (fora, réunions) devront porter sur le diagnostic des problèmes opposant les deux parties, puis sur l'ébauche de solutions visant la conciliation et la cohabitation pacifique et mutuellement respectable entre les deux groupes.

En cas de conflits et de situations violentes graves persistantes, les ateliers de concertation pourraient être précédés par des initiatives de médiation des conflits. Cette approche, qui vise la réconciliation entre les groupes concernés à partir d'une démarche active de consultation et de négociation, exige l'intervention des personnes expérimentées dans le domaine. Les outils des « commissions de vérité », puis des « pardons collectifs », expérimentés dans un certain nombre de pays en Afrique, pourraient servir d'une certaine inspiration. En Centrafrique, l'opportunité pour des interventions en termes de médiation de conflits ne se présente que très localement.

Cette approche locale pourrait dans un deuxième temps être complétée par la facilitation, toujours par des institutions neutres, de fora ponctuels à un niveau supérieur (sous-préfecture, préfecture, région, commune) en réunissant autour d'une table l'ensemble des acteurs concernés au niveau rural (autorités politiques, administratives, coutumières, tribunaux, gendarmerie, plates-formes villageoises, techniciens, organisations socioprofessionnelles, etc.). Ces réunions, pour lesquelles l'approche « table ronde » pourrait être adoptée, devraient permettre de faire table rase sur les malversations de part et d'autre du passé et de discuter sur les principes de bonne cohabitation entre éleveurs et agriculteurs d'un coté, mais aussi entre ces deux parties conjuguées et les différents acteurs de l'Etat.

II. Création de plates-formes ou commissions mixtes « éleveurs-agriculteurs »

Le processus visant la « création de capital social » ne pourra pas se limiter aux
simples ateliers de concertation, qui ne sont pas une fin en soi et qui ne constituent,

en réalité, qu'une étape. Ils ne doivent donc pas rester des initiatives vides mais s'insérer dans une stratégie plus à long terme. Dans cet esprit, les réunions pourraient converger vers des plates-formes ou cadres permanents de réflexion et de concertation. Composées de manière paritaire par des représentants des deux groupes en place, en particulier des sages, ces plates-formes pourront jouer un rôle primordial dans les réflexions sur l'avenir de la cohabitation, c'est-à-dire la détermination des modalités pratiques et des mesures à prendre pour la prévention de futurs conflits. Les chefferies locales des deux côtés, étant les acteurs classiques dans le traitement des conflits, doivent de préférence être des membres à part entière de ces cadres, pouvant aussi être appelés « commissions mixtes », à l'instar de l'expérience de l'AFD en la matière dans l'Est tchadien.

Les Associations Eleveurs-Agriculteurs (AEA,) correspondent tout à fait à cet esprit de plate-forme. Au niveau de l'AEA de Didango-Mandjo ou, l'entente mutuelle entre agriculteurs et éleveurs paraît parfaite, ce qui se manifeste à travers l'extrême rareté de dégâts champêtres et l'absence quasi-totale des cas d'abattage d'animaux. Dans le cadre de cette AEA, les individus étant impliqués dans ce genre de pratiques ont été expulsés de la zone par suite des concertations entre les deux parties.

II.1. Appuyer l'élaboration, au niveau décentralisé, des codes locaux

Depuis quelques années, l'établissement de conventions locales constitue un outil privilégié pour des nombreux intervenants en Afrique, afin de formaliser des accords locaux sur le partage de l'espace et des règles de conduite en matière de l'utilisation des ressources naturelles. De telles dispositions pourraient être un des produits possibles des plates-formes agriculteurs et éleveurs en RCA. Il s'agit d'une forme juridique souple (un « code local ») pour réglementer la cohabitation des deux groupes, qui est à la hauteur des acteurs locaux et qui s'intègre bien dans

le contexte de la décentralisation entamée. L'avantage réside notamment dans le degré élevé d'appropriation des dispositions de gestion par les principaux acteurs concernés, à cause du caractère conjoint de leur élaboration. De ce fait, l'acceptabilité et la probabilité d'être respectés risquent d'être comparativement beaucoup plus élevées qu'au niveau des dispositions de type classique telles que les « cahiers de charge » imposés par décrets ministériels ou présidentiels.

La validation juridique de ces conventions locales et leur reconnaissance en tant que réglementations obligatoires posent parfois problèmes. A priori, les collectivités locales détentrices de la personnalité morale sont les lieux privilégiés pour leur adoption finale. Au cas où les compétences nécessaires ne seraient pas encore transférées, une caution administrative par co-signature au niveau des Maires est souvent préconisée pour obtenir l'officialisation nécessaire des conventions.

II.2 Identifier des projets conjoints de développement local pouvant renforcer la cohésion sociale entre les deux groupes

Le meilleur moyen pour consolider les relations de bonne cohabitation des deux groupes est, sans doute, leur engagement conjoint dans les initiatives de développement local, telle la construction des écoles, des infrastructures hydrauliques et sanitaires, etc. La politique sous-jacente en matière d'équipement du monde rural ne devrait plus être envisagée de manière à satisfaire les deux parties séparément dans leurs territoires respectifs, mais plutôt de façon intégrée, afin de contribuer par là l'établissement des liens. Il s'agira donc ici d'une approche plutôt indirecte de développement de capital social. La prise d'initiative conjointe met en quelque sorte en pratique les nouvelles relations acquises.

II.2.1. Contexte du nouveau Programme d'Appui aux Dynamiques Locales

Le contexte du nouveau Programme d'Appui aux Dynamiques Locales et à la Structuration du Monde Rural s'apprêterait bien pour donner une impulsion à cette stratégie, mais aussi toute autre opération à caractère de développement local. La mise en place des comités paritaires pour la cogestion des fonds (définition des critères d'éligibilité, sélection des dossiers, etc.), composés de manière équilibrée entre agriculteurs et éleveurs, constituerait un lieu privilégié de renforcement de capital local. L'approche classique consistait souvent à des travaux des techniciens, qui étaient ensuite validés avec les éleveurs. Les autres acteurs (agriculteurs) semblent plutôt avoir fait l'objet des « sensibilisations », c'est-à-dire mis devant les faits accomplis. Cependant, dans le cadre des AEA (Associations AgriculteursEleveurs), des mécanismes de négociations utilisés semblent s'apparenter à ceux des conventions locales.

III. Gestion consensuelle et décentralisée de l'espace agropastoral

Rappelons les principes-maîtres de la politique centrafricaine en matière de gestion de l'espace : (i) Zonage en portions de l'espace exclusivement affectées soit à l'agriculture soit à l'élevage, (ii) sédentarisation des éleveurs, (iii) appropriation et utilisation exclusive des espaces pastoraux délimités au profit des groupements d'intérêt pastoral, moyennant le respect d'un cahier de charges, (iv) rotation des pâturages, et (v) réglementation de la transhumance. Ces éléments de politique sont, dans leur fonds, restés plus au moins inchangés depuis le temps colonial, bien qu'ils aient été traduits par les interventions successives en modèles selon différentes facettes : le modèle des communes d'élevage, les ZAGROP, les UP, les AEA. Ces interventions se sont, peut être à l'exception des associations agriculteurs-éleveurs, plus au moins soldées par des échecs. Certains paramètres se sont révélés impossibles, voire irréalistes, puis se sont avérés incompatibles avec les pratiques pastorales. Parfois les dispositions mises en place ont même été la source structurelle de conflits. Il convient donc de mener une réflexion approfondie sur les conditions qui permettront d'aboutir à des dispositions de gestion plus souples et acceptables pour les deux parties, et de ce fait plus viables dans la durée.

III.1. Concepts de zonage en RCA

Globalement vu, le zonage de l'espace agropastoral et la désignation des espaces exclusivement réservés à l'élevage reste une stratégie importante à la fois pour la sécurisation des activités pastorales et pour la prévention des conflits entre agriculteurs et éleveurs. Dans bon nombre des zones en Afrique où les deux activités se rencontrent, l'approche de zonage s'est avérée un passage obligé dans la recherche d'un consensus autour du partage de l'espace, bien que selon des facettes et des degrés de réussite différentes.

D'une perspective strictement pastorale, l'utilité du zonage se manifeste notamment en saison des pluies, pendant le cycle végétatif des cultures pluviales. L'existence des espaces complètement libres d'implantation de champs est une condition nécessaire pour assurer une alimentation rationnelle, libre de tout stress, et pour ainsi atteindre les paramètres zootechniques souhaités. En même temps, l'existence de ces espaces garantit que le bétail reste, pendant cette période, à l'écart des zones de cultures, pouvant ainsi permettre à celles-ci de finir leur cycle sans perturbations en termes de dégâts par le bétail.

En saison sèche le problème se pose un peu différemment. Les animaux sont attirés aussi par les zones agricoles, du fait des réserves pastorales dans les bas-fonds, de l'accès aux points d'eau permanents, le pâturage post-récolte des champs, etc.. En Centrafrique, c'est la culture pluriannuelle du manioc qui s'oppose à l'ouverture des zones agricoles aux troupeaux pendant la saison sèche.

Dans bon nombre de zones agro-écologiques africaines comparables à celles de la Centrafrique, les dynamiques démographiques puis celles liées au développement des cultures de rente ont occasionné, dans un contexte d'inexistence de dispositions de zonage, un morcellement plus au moins généralisé de l'espace, qui rend l'activité pastorale quasiment impossible. Dans le contexte du Sud-ouest burkinabé par exemple, la conjugaison entre le développement des cultures de rente et la migration agricole des zones plus au nord a occasionné le départ d'une grande partie des troupeaux vers la Côte d'Ivoire et plus récemment vers le Ghana, suite aux conflits sanglants dus à des cas de dégâts des champs. L'existence des dispositions anciennes en termes de zonage en Centrafrique est donc un acquis important, qu'il s'agit de préserver.

III.1.2. Assouplir les concepts de zonage

Il convient cependant de revoir les modalités de zonage et d'impliquer plus systématiquement les populations concernées (agriculteurs et éleveurs) au processus, de préférence les laisser eux-mêmes, de manière conjointe, développer les critères de délimitation. Cette approche permet d'aboutir à des zonages plus fonctionnels, qui pourra tenir compte d'un ensemble de critères auparavant peu considérés comme les besoins futurs en terres fertiles, l'accès à des points d'eau permanents, les mises en défens nécessaires liés à la dégradation des pâturages, etc. L'approche utilisée dans le cadre de l'AEA de Didango Mandjo semble plus au moins répondre à cette exigence.

Afin de pallier les problèmes des champs pièges le long des couloirs de passage, la délimitation et le balisage de ces couloirs créeraient des situations moins ambiguës, rendant cette pratique plus difficile. Quant à l'utilisation des zones agricoles en saison sèche par le bétail, les règles à mettre en place pourraient être conçues de manière plus souple. Bon nombre d'éleveurs nous ont confirmé lors de notre tournée, que lorsque les bases de partage de l'espace entre éleveurs et agriculteurs sont saines et qu'il existe des règles conjointement convenues et réciproquement respectées, l'écartement des troupeaux des champs pérennes pose beaucoup moins de problèmes. Pour les cultures de manioc, la confection de clôtures, une pratique répandue à travers toute l'Afrique, est une solution à envisager pour réduire les risques de divagation. Au cas où cette possibilité d'accéder à la zone agricole serait accordée aux éleveurs, il serait cependant important qu'un dispositif de concertation sur les dates d'ouverture et de fermeture soit convenu.

RECOMMANDATION

La réussite des plans de communication et de sensibilisations suggérées dépend d'un ensemble de conditions préalables, qui nécessitent un appui de la part du gouvernement et d'autres parties concernées. Pour ce faire les recommandations suivantes pourraient être mises en oeuvre:

Sur le plan communication, information et sensibilisation:

Organisation d'une rencontre pour harmoniser les textes sur le foncier grâce à un consensus national entre Etat, Collectivités locales, organisations paysannes, autorités coutumières et religieuses, société civile etc..).

* Tenue d'un débat sur le foncier et la sécurisation foncière en vue de l'élaboration d'une politique de migration.

* appui à la création d'un mécanisme permanent de prévention et de gestion des conflits entre agriculteurs et éleveurs à travers la mise en place d'un cadre spécial de concertation permanente (au niveau village, département, commune), impliquant les responsables coutumiers et religieux.

Ce mécanisme aura pour objectifs d'une part, la sensibilisation et la promotion de la communication entre les différentes communautés et d'autre part, la prévention et la gestion des différends qui pourraient survenir entre agriculteurs et éleveurs. Ce cadre jouera le rôle d'interface entre les communautés et la justice.

La structure pourra mener des activités de prévention et de règlement des conflits avant, pendant et après les saisons pluvieuses à travers des sorties de sensibilisation.

* sensibilisation et implication des responsables coutumiers aux différentes activités sur le terrain, prenant en compte leur influence, respect dont ils jouissent sur le terrain dans le monde rural. Il importe, à ce titre, de valoriser

les mécanismes traditionnels de gestion des conflits en confiant des responsabilités aux responsables coutumiers. L'organisation d'ateliers de formation sur la gestion des conflits pourrait renforcer leurs capacités dans la prévention et la gestion des conflits.

* valorisation des solutions locales traditionnelles ou nouvelles de préservation, de gestion et de contrôle des ressources naturelles.

Elaboration et mise en place d'un plaidoyer auprès des autorités politiques et administratives en vue de l'adoption d'instruments juridiques souples et adaptés au contexte, à l'évolution de l'élevage et à la gestion des ressources naturelles sur le plan national.

* Le renforcement du partenariat avec les radios communautaires existantes grâce à la création et à l'animation de programmes intégrés de communication et de sensibilisation adaptés aux réalités socio-économiques de chaque région. Ces programmes d'animation et de sensibilisation doivent également être menés de manière à fédérer toutes les sensibilités.

* organisation et renforcement de l'IEC/CCC à travers les prestations de troupes de théâtres, organisations à base communautaire qui se distinguent par leur grande capacité organisationnelle, infrastructurelle et surtout par leur grande expérience en matière de mobilisation et de sensibilisation communautaire.

* renforcement de la création et de la diffusion d'outils d'animation et de sensibilisation culturellement adaptés à la prévention et à la gestion des conflits (boîtes à images, affiches, fascicules, films vidéo, scènes de théâtre filmées dans les principales langues nationales).

* organisation périodique de fora regroupant tous les intervenants en matière de gestion des ressources naturelles (agriculteurs, éleveurs, services techniques, administration, sécurité, responsables coutumiers).

* traduction dans les principales langues nationales et large diffusion des différents textes relatifs au pastoralisme en direction de l'ensemble des producteurs (agriculteurs, éleveurs, etc.).

* sensibilisation des populations, pour éviter la pratique de « l'auto justice ».

* institution de séances d'éducation et de sensibilisation au profit des élèves en matière de gestion des ressources naturelles, de cohabitation inter communautaire et de prévention des conflits

CONCLUSION

L'insécurité foncière est, au terme de cette étude, une des causes principales des conflits agriculteurs- éleveurs, chefs traditionnels, Etat. Ces conflits sont aujourd'hui légion sur le territoire national en générale.

D'ampleur variée selon les communes, ces conflits posent le problème de l'exploitation des ressources naturelles. Leur manifestation violente observée dans certaines localités, commande que des solutions appropriées leur soient apportées.

Du reste, les conflits, apparemment résolus par voie de concertation ou par le tribunal, renaissent toutes les fois que l'autorité préfectorale qui en a été le maître d'oeuvre est remplacée.

La problématique des conflits fonciers n'est donc pas du seul ressort du gouvernement (maire de la commune) mais de l'ensemble des acteurs du développement rural. La conjugaison des efforts de plusieurs ministères et institutions, la responsabilisation des diverses communautés en présence, la prise en compte des questions du genre, l'élaboration d'outils et d'instruments d'orientation et de mise en cohérence des actions que sont les plans, les schémas d'aménagements et toute la législation régissant le foncier et les ressources naturelles, s'impose, au vu de ce constat, comme une nécessité. Mais, cette recherche de synergie restera vaine sans une application effective et efficiente des dispositions régissant ce foncier.

En effet, les codes et les accords se heurtent à des problèmes d'application liés entre autres:

q à la survivance de la gestion traditionnelle des terres,

q à la pléthore des structures de concertation,

q à l'absence quasi totale du schéma national, et ceux régionaux et provinciaux d'aménagement du territoire;

q à l'absence de cadastre rural,

à la méconnaissance des textes.

Les difficultés d'application de ces textes et l'élaboration non concertée des codes n'ont pas permis de sécuriser l'accès au foncier. Cette démarche permettra« d'ajouter de la terre à la terre» et d'espérer ainsi enrayer ce fléau qui, à tout point de vue, constitue une menace pour la stabilité sociale et un frein aux efforts de développement.

Au total, on note l'absence de textes juridiques adéquats garantissant et organisant l'accès aux ressources pastorales et agricoles.

Cependant, même s'il est vrai que ces conflits ne sont pas entièrement résolus, l'espoir est permis du fait de la grande disponibilité des techniciens et des décideurs politiques et administratifs. L'effort considérable fourni tant au niveau national que régional dans le but de trouver des solutions pacifiques durables et pertinentes rencontrant l'adhésion de la grande majorité est à saluer.






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"Tu supportes des injustices; Consoles-toi, le vrai malheur est d'en faire"   Démocrite