2.6.1 Les radios libres
Le monopole permit de contrôler non seulement les moyens
de la radiodiffusion mais aussi l'information. Les radios libres
émergeaient avec les besoins du public de disposer d'un moyen
d'information alternatif. Le surgissement des radios libres provient
également des nouvelles interrogations sur les processus d'interaction
et de transaction entre les cultures diverses qui se sont installées en
Europe et les flux transnationaux.
Le mouvement des radios libres était inspiré par
les radios « pirates » comme Radio Caroline en Grande
Bretagne et Radio Alice en Italie qui diffusaient depuis des bateaux
situés dans les eaux internationales. Ailleurs, les radios libres
étaient aussi une expression des enthousiasmes des nouvelles techniques,
paroles et musique.
En France, l'histoire des radios libres a commencé en
1977, avec le lancement de la Radio Verte. Cela a suscité une explosion
de stations de radio, par conséquent, une bataille pour les ondes. Les
radios libres qui avaient un statut de « radios pirates »
et « radios clandestines » jusque là, ont
été légalisées en 1981 quand
François Mitterrand le président Français a
libéré la bande FM. La loi du 29 juillet 1982, autorisant les
radios libres à émettre, a brisé définitivementle
monopole. Désormais les radios libres deviennent des radios locales
privées (R.L.P.). Cette autorisation a encouragé une
multiplication de stations de radio partout en France.
2.7 L'art de la radio
Les artistes commencèrent à imaginer les ondes
comme un paysage artistique. Le mouvement Dada, regroupant plusieurs artistes
qui étaient contre l'absurdité de la guerre, commença en
1916 à Zurich en Suisse. Les artistes voulaient trouver une autre
signification à l'art dans toutes ses formes. Dans le domaine sonore,
le mouvement Dada produisit des sons différents. Kurt Schwitters,
Richard Huelsenbeck and Raoul Haussman étaient les artistes du mouvement
Dada qui ont expérimenté avec la poésie du son
inspiré par l'idée de mots libres
développée par l'italien Filippo Tommaso Marinetti en 1919
(environs) qui a mené le mouvement futuriste. Diverses
expériences de radio futuriste seront tentées avant la Seconde
Guerre mondiale, notamment, à Liège, par le Groupe Moderne d'Art.
En même temps Luigi Russolo (1885-1947), écrivit
l'arte dei rumori (L'art du bruit) et inventa des instruments de
bruitage. Selon Russolo « La vie ancienne fut silencieuse. Le
bruit naquît avec l'invention de la machine au XIX ème
siècle ». Il a estimé que le son était un
phénomène physique et le bruit sa désintégration
compliquée. Dans l'appendice au manifeste de Marinetti, un Art des
Bruits en 1916 il fait l'inventaire de tous les bruits possibles à
rassembler dans ce qu'il appelle l'orchestre futuriste. Il y a, selon
Russolo, six classes de bruits dans l'univers qu'il espère
simuler tous par des machines dans ses laboratoires. Le lexique des bruits est
bien spécifique aux différentes langues, et les traductions de
l'italien ne peuvent être qu'approximatives. Première classe
: le hurlement (vent), le rugissement, le ronflement (tonnerre, orgues),
le mugissement (vent, mer), la détonation, le claquement ;
seconde classe : le sifflement (serpent), le bruissement
(étoffes), le chuintement (gaz, vapeur), le halètement (souffle)
; troisième classe : le chuchotement, le susurrement (feuilles
d'arbres), le murmure, le marmottement ; quatrième classe : le
grincement, le craquement, le grésillement, le pétillement, le
frottement ; cinquième classe : les bruits obtenus par le
battement de métal, de bois, de peau, de pierre ; sixième
classe : les bruits produits par les «voix» humaines et animales
: la clameur, le gémissement, le vagissement, le sanglot, le beuglement,
le braillement, le bourdonnement, etc (Parret, 2010).
En Mai 1924, la revue L'Impartial Français
organisa le premier concours de « littérature
radiophonique », le jury fut composé d'écrivains et de
personnalités du monde du théâtre (Colette, Jacques Copeau,
la comtesse de Noailles, Léon-Paul Fargue, Rosny Aîné,
etc.). Deux premiers prix furent en effet attribués, l'un pour ses
«qualités littéraires» et l'autre pour ses
«qualités radiogéniques». Les deux oeuvres
primées en 1924 sont Agonie de Paul Camille et Maremoto
de Gabriel Germinet (pseudonyme de Maurice Vinot) et de Pierre Cusy. La
première, récompensée pour ses qualités
littéraires, met en scène «un mourant qui a pu s'emparer
d'un poste d'émission de T.S.F» et sa forme est « une simple
confidence, une confession ». Maremoto (raz de marée
en italien) est « un dialogue entre un radio-télégraphiste
et un marin qui appellent désespérément au secours par
TSF, car leur navire est entrain de couler. On entend la pluie, le vent, des
bruits de chute, les craquements de la coque. (Méadel, cité dans
Hartje, 2003).
L'utilisation des ondes pour la propagande a troublé les
artistes. Bertolt Brecht le dramaturge, poète et metteur en scène
allemand, inquiété par le manque de participation du public dans
l'espace radiophonique et l'utilisation de la radio pour et par les propagandes
nazis a écrit en 1932 Der Rundfunk als Kommunikationsapparat/La
Radio comme Appareil de Communication. Il constate:
La radio porte une face au lieu de deux - elle est purement
un appareil de distribution. Voici une suggestion positive : changez cet
appareil de distribution en un appareil de communication. La radio peut
être le meilleur appareil de communication dans la vie publique, un vaste
réseau de conduits. C'est-à-dire, qui sache aussi bien
transmettre que recevoir et laisser l'auditeur parler aussi bien
qu'écouter.
En 1936, Rudolph Arnheim dans son livre Radio proposa
que la radio puisse être un nouvel art. Il a basé son
hypothèse en observant la croissance de la communication sans fil en
Europe qui à ce moment là comporte 235 stations de radio. Il
postule que ce qui empêche le développement de l'art de la radio
est la hiérarchie des sens dans laquelle la vue domine l'ouïe.
« L'oeil donne une impression complète du
monde, mais l'oreille donne une impression incomplète. L'essence de
diffusion est l'unité, il apporte par les moyens auditifs l'essence d'un
événement, le processus de pensée, une
représentation... la dominance sensorielle d'un visuel sur l'auditif est
telle dans notre vie qu'il est difficile à accepter le monde auditif
avec une transition vers le monde visuel. Donc, il y a une opinion qui se
généralise à propos du sans fil. »
L'autre raison du retard de l'art de la radio était la
dominance de la musique. La musique a gagné en importance grâce
à sa valorisation comme condition sine qua non d'art du son.
L'auto-référentialité de la musique a affaibli,
banalisé et effacé les résultats sociaux et imaginaires
des autres systèmes de sons. (Kahn, 1990).
En 1933, Filipino Tommaso Marinetti et Pino Masnata ont
écrit un manifeste La radio, qui accompagna Le manifeste
pour le Futuriste par Marinetti dans laquelle ils envisagent la
radio comme un des modes de communication plus avancée que le
théâtre (qui avait été selon eux tué par la
radio et le cinéma sonore) et du livre (coupable de la myopie de
l'humanité). Ce manifeste fut basé sur l'idée des mots
libres (parole in liberta).
Par ailleurs les contrôles gouvernementaux sur les
diffusions ont bloqué les intentions des artistes pour utiliser la radio
dans un but artistique du fait qu'elle était employée comme
vecteur de propagande. Circonvenir les influences militaro-industrielles et
diffuser d'une manière par laquelle les sons ne soient pas
détournés par les puissants, étant donné que la
radio avait des racines militaires, était un défi pour les
artistes (Lander, 1999). Pourtant, les artistes continuaient à
développer ces moyens de diffusion.
La puissance de la radio pour créer des effets
« quasi magiques » par le moyen du son a été
démontrée lors de la diffusion de La Guerre des Mondes
(de H.G. Wells) par Orson Wells en 1938 sur CBS, aux Etats-Unis.
Cette histoire d'une invasion extra-terrestre convainquit les auditeurs que les
événements diffusés par la radio étaient
réels. Six millions d'auditeurs crurent qu'il s'agissait d'une
émission d'information et un million céda à la panique.Les
artistes furent fascinés par ce nouveau moyen de communication et
voulurent l'utiliser non seulement dans des buts artistiques mais aussi pour
développer un art sonore.
Marinetti et Kurt Schwitters se sont intéressés
à la manipulation du son par la technologie. Pendant les années
30, Marinetti produisit cinq pièces radiophoniques, en mélangeant
les sons de feu, d'eau, et de voix humaines. Il a aussi utilisé le
son rrrrr d'une moto (Lander, 1990). Cette collection de sons est
intitulée Radio Sintesi. Mais cet ouvrage n'a jamais
été diffusé. Dans son ouvrage La Radia (1933),
inspiré de mots libres par Marinetti, Pino Masnata a
proposé que les éléments de la structure linguistique
(conjonction, adverbes, adjectifs, etc.) soient éliminés pour la
réduire aux mots essentiels. Les mots libérés peuvent
être utilisés pour créer une imagination sans fil
(sic).
Néanmoins les conditions imposées par l'Etat pour
l'utilisation de la radio ont empêché le développement de
la radio comme « le huitième art ». En 1947,
l'émission, Pour en Finir avec le Jugement de Dieu
créée par Antonin Artaud acteur, dramaturge, poète et
peintre français était censurée par crainte que l'ouvrage
ne véhicule un sentiment de peur. L'enregistrement était
composé de sons, cris, hurlements, grognements, onomatopées.
Artaud a envisagé la bouche comme le seul émetteur de sons. Selon
Allen S. Weiss, cet ouvrage peut être rangé dans le domaine de
radio phantasme (Lander,1999).
Selon Hélène Eck l'art de la radio ne se
développa pas à cause de sa dépendance du
théâtre. « Il paraissait évident dans les
années trente que « le huitième art »
s'identifiait au théâtre radiophonique soit en quête d'une
nouvelle définition. Il reste très étroitement
dépendant du modèle théâtral traditionnel, s'attache
aux notions d'oeuvres et d'auteur, seules capables de hisser la radio au rang
des Arts » écrit Eck.
En plus les usages des stéréotypes et les
descriptions banales ont rendu l'art radiophonique inefficace.
« C'est de l'ordre de la fine moustache par laquelle, dans les
Westerns se démontré la traîtrise » (Veille,
1952 cité dans Eck, 1990). Les accompagnements parasites les plus
fréquemment décriés sont les récitant, cet
auxiliaire postiche dont la voix neutre est plate et décrit le
décor et assure les transitions entre les scènes, la musique
d'ambiance où l'atmosphère destinée à
suggérer un cadre spatial, enfin et surtout le bruitage
exagéré, cette multiplication d'indices sonores qui
n'épargnent à l'auditeur ni les bruits des voitures ,
d'ascenseur, de clef, ni ceux de porte ouverte, puis fermée pour
évoquer un retour à la maison » (Meriminode,1945
cité dans Eck, 1990)
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