Contribution à l'histoire de la mémoire
de la Shoah
LA PLACE DE L'AFFAIRE EICHMANN
DANS LE PROCESSUS DE CONSTRUCTION
DE LA MÉMOIRE DE LA SHOAH
EN FRANCE
AU DÉBUT DES ANNÉES 1960
Patrick Gillard, historien
Bruxelles, décembre 2009
à la mémoire de Jean Dugnoille
SOMMAIRE
INTRODUCTION 04
LA PLACE DE L'AFFAIRE EICHMANN DANS LE PROCESSUS DE
CONSTRUCTION DE LA MÉMOIRE DE LA SHOAH : SURVOL
HISTORIOGRAPHIQUE 09
Israël 11
États-Unis 12
République fédérale d'Allemagne
14
France 14
LE RETENTISSEMENT DE L'ANNONCE DE LA CAPTURE ET DU
JUGEMENT D'EICHMANN 16
L'énorme médiatisation
18
La double polémique 19
LE RETENTISSEMENT DE L'AFFAIRE PENDANT LA
PRÉPARATION DU PROCÈS 21
Les objectifs du procès 22
La mise en scène spectaculaire
25
L'intérêt en France 26
LE RETENTISSEMENT DU PROCÈS
28
Du procès à l'exécution
28
La recrudescence ou non d'actes à
caractère antisémite 31
Trois études de cas 33
Le cas de la France 36
La couverture médiatique du
procès 38
Israël 44
États-Unis 45
République fédérale d'Allemagne
46
France 47
CONCLUSION 50
La place de l'affaire Eichmann dans le processus
de construction de la mémoire de la Shoah
en France au début des années 1960
« L'oubli qui efface, la mémoire qui
transforme (...) Derrière la mince lisière de
l'incontestable (...), un espace infini s'étend, l'espace de
l'approximatif, de l'inventé, du déformé, du
simplifié, de l'exagéré, du mal compris, un espace infini
de non-vérités qui copulent, se multiplient comme des rats, et
s'immortalisent 1(*). »
Plusieurs moments historiques marqueraient les grandes
étapes du processus de construction de la mémoire du
génocide des Juifs d'Europe. Selon les pays et les
interprétations, le procès Eichmann à Jérusalem en
1961, la guerre des Six Jours en 1967, la guerre du Kippour en 1973,
l'arrivée du Likoud au pouvoir en Israël en 1977 et la large
diffusion du feuilleton télévisé Holocaust en
1978 et en 1979 en constitueraient les premiers moments clés.
La propension de nombreux historiens à
considérer le procès d'Adolf Eichmann comme le tournant de ce
processus dans l'État hébreu n'entraîne pas pour autant
qu'il ait eu la même incidence mémorielle partout dans le monde.
Or, certains historiens ont apparemment tendance
à exagérer et à généraliser sa portée
et ses effets. Ne devraient-ils pas plutôt relativiser et singulariser
l'importance et l'influence qu'il a eues au début des années 1960
dans des pays diversement touchés par cette affaire -- comme
en Israël, aux États-Unis, en République
fédérale d'Allemagne (RFA) et en France ?
Objet de cette étude 2(*), la place que l'affaire Eichmann
occupe dans le processus de construction de la mémoire de la Shoah en
France, au début des années 1960, dépend du retentissement
qu'elle y a eu alors 3(*). Or, sa portée dans l'Hexagone n'a visiblement
jamais fait l'objet d'un examen spécifique digne de ce nom -- ni dans
les années 1960 ni par la suite.
Cette absence d'enquête en France -- que la
présente étude entend précisément
combler -- est d'autant plus regrettable que des instituts de
recherches ont justement ausculté sa couverture de presse dans d'autres
pays et que des chercheurs ont même étudié les effets
qu'elle a produits sur des groupes sociaux tant aux États-Unis qu'en
Israël 4(*).
Ainsi, trois chercheurs de l'université de Berkeley
(Californie) publient The Apathetic Majority en
1966 5(*).
Fondée sur quatre cent soixante-trois interviews réalisées
pendant le procès auprès d'un échantillon
représentatif de la population d'Oakland (Californie), leur
enquête s'efforce notamment de répondre à la question
inédite suivante -- valable pour les
États-Unis : « Quelle a été
l'influence du procès sur l'opinion publique 6(*) ? »
[notre traduction]
La réponse nuancée des trois universitaires
américains se fonde sur une analyse approfondie qui se veut
objective 7(*).
L'ampleur quantitative et qualitative de la couverture médiatique du
procès aux États-Unis constitue à leurs yeux une de ses
principales réussites 8(*). Mais seule la fraction la plus avertie de la
population états-unienne s'intéresse, selon eux, au procès
et à son message 9(*). Dans cette perspective, le procès
n'atteindrait donc pas les ambitieux objectifs éducatifs poursuivis par
les autorités israéliennes 10(*).
La réaction de l'immense majorité de la
population états-unienne, qui calque passivement son attitude à
l'égard du procès sur celle dans l'ensemble bienveillante des
médias du pays, lui est quand même globalement
favorable 11(*).
C'est la raison pour laquelle les trois universitaires californiens retiennent
finalement le concept de « majorité apathique ».
En l'absence d'étude similaire pour la France et
à condition de les manipuler avec la plus grande prudence, les
enseignements tirés des enquêtes et sondages
réalisés à propos de cette affaire dans d'autres pays
pourraient peut-être éclairer aussi le retentissement qu'elle a eu
alors dans l'Hexagone.
Sa portée au début des années 1960
résulte essentiellement de la combinaison de deux facteurs. Son
retentissement découle non seulement de l'ampleur de la couverture
médiatique dont elle fait alors l'objet mais aussi du contexte
réceptif ou non, propre à chaque pays, dans lequel elle s'inscrit
au moment où elle éclate.
Qui dit couverture médiatique entend
spontanément examen minutieux de la presse. Or, aucun
dépouillement des journaux français de l'époque n'a
été délibérément entrepris dans le cadre de
cette recherche. La raison en est double. D'une part, cette consultation aurait
représenté un travail considérable. De l'autre, nos
recherches bibliographiques répondaient correctement à nos
interrogations.
Ce parti pris ne compromettait-il pas quand même
dès le départ toute évaluation sérieuse de la
portée de cette affaire en France ? D'un côté, la
publication de quelques fragments de sa couverture de presse hexagonale pallie
l'absence de tout dépouillement systématique. De l'autre, les
spécificités bien connues du contexte politique français
dans lequel elle s'inscrit au début des années 1960 influencent,
elles aussi, considérablement son retentissement.
De manière générale, les
caractéristiques de l'environnement politique propre à chaque
pays au moment où cette affaire éclate -- comme le poids de
la communauté juive organisée, la proximité ou la
divergence de vues avec Israël, la recrudescence ou l'absence d'actes
à caractère antisémite -- pèsent
sérieusement sur la façon dont les opinions publiques respectives
la reçoivent.
Le contexte politique français au début des
années 1960, fondamentalement marqué par les
péripéties dramatiques liées à la fin de la guerre
d'Algérie, entre par conséquent prioritairement en ligne de
compte dans notre étude. De même, l'environnement historique des
autres pays diversement touchés par cette affaire fera lui aussi l'objet
de toute notre attention.
Sauf en Israël où les sessions du tribunal se
succèdent pendant quatre mois au cours de l'année 1961, le
procès Eichmann agit partout comme un facteur extérieur sur le
processus mémoriel de la Shoah. En France comme dans les autres pays,
cette donnée essentielle exige la prise en compte prioritaire de tous
les éléments internes susceptibles d'influer dans un sens ou dans
l'autre sur ce processus. Le cinéma français représente
lui aussi un vecteur mémoriel essentiel au tournant des années
1960. Il fera donc l'objet d'une attention particulière.
Dans l'État hébreu, là où
l'importance de sa portée ne fait pourtant aucun doute, l'affaire
Eichmann ne déclenche pas à elle seule le processus
mémoriel. Certes, comme le signale le journaliste Amos Elon dans le
portrait de son peuple, le rapport en 1962 d'une enquête pour
évaluer « l'impact du procès Eichmann sur les
étudiants de l'université hébraïque de
Jérusalem » arrive à la conclusion
« que le procès a provoqué un cas presque unique
«d'intérêt élevé» à propos d'un
problème public » 12(*).
Mais, comme l'explique le journaliste israélien
ensuite : « À l'époque où ils devinrent
publics, les résultats de cette enquête furent reçus
avec suspicion. (...) On estimait alors que cet
intérêt diminuerait après la conclusion de ce procès
sensationnel 13(*). » Or, comme le souligne toujours
Amos Elon : « Cela n'a pas été le cas. Les
effets de l'Holocauste nazi sur la psychologie nationale ont atteint un nouveau
point culminant pendant les semaines précédant la guerre des Six
Jours 14(*) » -- c'est-à-dire au cours
des premiers mois de l'année 1967.
Dans cette perspective, l'affaire Eichmann inaugurerait
plutôt une série de moments de l'histoire israélienne qui,
étape après étape, alimenteraient le processus de
construction de la mémoire de la Shoah. Est-ce également le cas
en France ? Où en est l'élaboration de ce processus dans
l'Hexagone lorsque cette affaire éclate au grand jour ?
La présente recherche entend donc avant tout
-- c'est d'ailleurs son objectif premier -- déterminer la
place que cette affaire occupe dans le processus de construction de la
mémoire de la Shoah en France, au début des années 1960.
L'hypothèse selon laquelle une partie la communauté historique
aurait tendance à donner trop de poids mémoriel à cette
affaire fera également l'objet d'un examen minutieux.
La rencontre de notre objectif principal et la
vérification de notre hypothèse exigent l'évaluation
préalable de la portée que cette affaire a eue alors en France.
À défaut de dépouillement de la presse française
contemporaine, la lecture dans ce sens d'une partie de l'abondante
littérature qui lui est consacrée palliera aussi l'absence
d'étude spécifique sur son retentissement dans l'Hexagone. Le
Mémorial de la Shoah à Paris ne conservant apparemment aucun
dossier de presse sur le procès 15(*), le dépouillement systématique de
plusieurs numéros spéciaux de la revue du Centre de documentation
juive contemporaine (CDJC) -- Le Monde Juif -- comblera en partie
cette lacune.
Tout au long de cette étude, il nous faudra
également répondre à plusieurs questions concrètes.
Combien de temps la philosophe Hannah Arendt couvre-t-elle les sessions du
tribunal ? Quel est le rôle du CDJC dans cette affaire ? Combien de
témoins représentent la France à ce procès ?
Combien d'envoyés spéciaux le couvrent pour les médias
hexagonaux ? Combien de ménages français possèdent un
récepteur de télévision au début des années
1960 ? Quelles sont alors les principales préoccupations des
Français ?
Nos recherches portent essentiellement sur deux années.
Elles s'ouvrent le 23 mai 1960 avec l'annonce officielle de la capture
d'Eichmann et de son jugement en Israël et se terminent deux ans plus tard
avec l'exécution de l'ancien colonel SS -- le 31 mai 1962. La vive
controverse que provoque la publication des écrits d'Hannah Arendt par
la suite n'entre donc pas en ligne de compte ici 16(*).
Un bref rappel des faits à l'origine de cette
interminable polémique s'avère toutefois nécessaire.
Envoyée spéciale à sa propre demande par le magazine
The New Yorker, Hannah Arendt couvre les premières semaines du
procès qui s'ouvre à Jérusalem en avril 1961. Deux ans
plus tard, elle publie son reportage dans une série de cinq articles du
New Yorker qui seront très rapidement réunis dans un
ouvrage intitulé : Eichmann in Jerusalem : A Report of the
Banality of Evil 17(*).
Cette double publication déclenche sur-le-champ une
polémique si vive dans la communauté juive des États-Unis
que, comme le souligne Peter Novick dans son ouvrage de référence
déjà cité : « Pendant un temps, la
philosophe juive allemande émigrée allait devenir l'ennemi public
numéro un des Juifs Américains 18(*). » Les
accusations portées contre Hannah Arendt visaient surtout son traitement
prétendument bienveillant d'Eichmann, sa critique du procès et sa
façon de présenter le comportement des Juifs pendant le
génocide 19(*).
Si cette controverse est tellement importante, pourquoi alors
ne pas la prendre en considération dans notre recherche ? Deux
raisons ont essentiellement motivé notre choix. La première est
qu'elle a déjà fait couler beaucoup d'encre. Un nombre
incalculable de publications lui sont d'ailleurs consacrées ou s'y
réfèrent 20(*). La seconde réside dans le fait qu'elle ne
touche globalement la France qu'assez tardivement -- en
1966 21(*).
Même si les rédacteurs de la revue du CDJC s'efforçaient
depuis un certain temps de la faire connaître dans le cercle restreint de
leurs lecteurs, elle n'atteint véritablement l'Hexagone qu'à
partir de la fin du mois d'octobre 1966 lorsque les éditions Gallimard
sortent la première version française du livre controversé
d'Hannah Arendt 22(*).
Avant de procéder à l'évaluation des
effets que chaque phase de l'affaire Eichmann replacée dans son contexte
a eus alors en France, comme dans les autres pays qu'elle a diversement
touchés 23(*),
une partie de l'impressionnante bibliographie qui lui est consacrée fera
l'objet d'un examen destiné à déterminer la place que les
historiens lui réservent en général dans le processus de
construction de la mémoire de la Shoah. Ce survol historiographique
permettra également d'étayer l'hypothèse selon laquelle
une partie de la communauté des historiens aurait tendance à
exagérer et à généraliser le poids qu'elle a eu
alors dans ce processus mémoriel.
La place de l'affaire Eichmann dans le processus de
construction de la mémoire de la Shoah : survol
historiographique
Notre examen historiographique a mis en évidence une
ordonnance géographique que le présent exposé respecte
fidèlement. D'aucuns évaluent l'importance mémorielle de
cette affaire de manière globale alors que d'autres le font sous l'angle
national.
Des historiens de la première catégorie estiment
que cette affaire a largement contribué à la prise en compte du
génocide des Juifs dans la conscience universelle. À leurs yeux,
elle représente souvent aussi un tournant décisif dans le
processus de construction de la mémoire de la Shoah -- en
France comme dans d'autres pays 24(*).
Spécialiste reconnue de l'histoire de la mémoire
de la Shoah en France, Annette Wieviorka fait figure de pionnière au
sein de ce premier groupe. Dans un ouvrage de 1989 où elle étudie
cette affaire, elle arrive à la conclusion que « dans la
chaîne des phénomènes qui marquèrent la prise en
considération du génocide des Juifs par la conscience
universelle, le procès Eichmann constitua l'étape
décisive » 25(*).
Dans L'ère du
témoin -- l'ouvrage phare qu'elle publie une dizaine
d'années plus tard --, l'historienne pousse son
interprétation plus loin. Elle passe du rôle crucial que l'affaire
aurait joué dans cette prise de conscience universelle à la place
centrale que celle-ci occuperait, selon elle, aussi dans le processus
d'élaboration de la mémoire de la Shoah de plusieurs pays. Ce
faisant, ne tombe-t-elle pas dans le piège de la
généralisation hâtive ?
N'y tombe-t-elle pas en particulier lorsqu'elle affirme :
« Le procès Eichmann marque un véritable tournant
dans l'émergence de la mémoire du génocide, en France, aux
États-Unis comme en Israël » -- comme s'il
avait eu une incidence comparable dans les trois pays 26(*) ? Son
allégation est tellement caractéristique de la tendance
historiographique à surmonter qu'elle nous servira de repoussoir tout au
long de cette étude.
Cette propension ne fait cependant pas l'unanimité.
Bien qu'elle soit tirée de son livre consacré à la place
de la Shoah dans le discours et la politique d'Israël, une assertion de
portée générale d'Idith Zertal mérite de figurer
ici. Faisant preuve de la plus grande prudence, l'historienne
israélienne estime que le procès de 1961 « a
également contribué à la construction de la mémoire
de la Shoah au sein de la culture
occidentale » -- évitant ainsi deux
écueils d'un coup 27(*). À ses yeux, le procès ne constitue
qu'un des vecteurs mémoriels occidentaux à prendre en
considération.
Auteure d'un récent ouvrage tiré de sa
thèse de doctorat soutenue à l'université libre de
Bruxelles en 2007 et consacré à la manière dont la France
et la RFA télédiffusent la Shoah, l'historienne Julie Maeck
relève aussi que « c'est d'une même voix que la
communauté internationale des historiens affirme que le procès
Eichmann est l'événement fondateur de l'entrée en
scène de l'extermination des Juifs dans la conscience
universelle 28(*). » Pourquoi reproduire ici une
assertion qui recoupe parfaitement les propos susmentionnés d'une de ses
consoeurs ? Parce que Julie Maeck semble consciente de la tendance
historiographique à surmonter. Ainsi, ne désigne-t-elle pas
implicitement le penchant de certains historiens à exagérer et
à généraliser la portée du procès
lorsqu'elle explique que les « événements
fondateurs » de 1961 -- le procès Eichmann en
tête -- « dont on apprécie l'importance
aujourd'hui, ne doivent pas masquer une réalité tout autre, celle
d'un contexte peu propice à une réflexion d'ensemble sur le
sujet » 29(*) ?
Les chercheurs de la seconde catégorie soulignent
l'influence que cette affaire aurait immédiatement exercée sur le
processus d'élaboration de la mémoire de la Shoah dans les pays
qu'elle a diversement touchés -- à commencer par
l'État hébreu, là où les sessions du tribunal se
tiennent à partir du mois d'avril 1961.
Israël
Il y a unanimité dans la communauté historique
pour dire que « le procès Eichmann constitua un tournant
dans l'attitude des Israéliens à l'égard de la
Shoah » -- comme vient de l'affirmer l'historienne
israélienne Dalia Ofer dans sa contribution à un ouvrage
collectif entièrement consacré à la mémoire du
génocide dans le monde juif 30(*).
Chef de file de l'orthodoxie sioniste, l'historienne Anita
Shapira renchérit quelque peu sur ce que l'immense majorité de
ses collègues soutient. À ses yeux, comme elle le précise
dans son histoire de l'imaginaire
israélien : « certains voient dans le
procès Eichmann » non seulement un tournant, mais encore
« l'événement majeur qui a fait entrer la
mémoire du génocide dans la conscience publique
israélienne » 31(*).
Les chercheurs français Nicolas Weill et Annette
Wieviorka arrivent sans surprise à la même conclusion que leurs
homologues israéliens. Dans une étude où ils comparent les
processus d'élaboration de la mémoire de la Shoah en France et
dans l'État hébreu, ils mettent en évidence la
particularité suivante : « En Israël surtout, la
périodisation de l'histoire de la mémoire tourne autour d'un
axe : le procès Eichmann 32(*). »
La dernière protagoniste à prendre en compte ici
est à nouveau l'historienne Idith Zertal. Dans son ouvrage
déjà évoqué, elle estime aussi que ce procès
« constitue un tournant dans le processus de création et
d'élaboration d'une mémoire et d'un discours politique
spécifiquement israéliens à propos de la
Shoah » 33(*). Pour quelle raison ajouter une affirmation qui ne
rompt pas le consensus observé ?
Parce que l'historienne israélienne situe ce
« véritable tournant dans le processus de mobilisation
explicite et organisé de la Shoah au service de la politique et de la
raison d'État israéliennes, en particulier dans le contexte du
conflit israélo-arabe » -- ce qui singularise nettement
son interprétation 34(*).
États-Unis
Le sociologue Nathan Glazer est à notre connaissance un
des premiers universitaires américains à s'intéresser aux
conséquences que l'affaire Eichmann entraîne dans son pays. Comme
le titre de son ouvrage de référence l'indique clairement, le
chercheur y évalue avant tout les effets produits sur la
communauté juive américaine 35(*).
De fait, comme il le note dans la seconde édition de
son livre publiée également en français : «
À partir de 1960, les Juifs américains prirent mieux conscience,
par des voies diverses, du caractère monstrueux du génocide nazi.
L'enlèvement d'Eichmann par les Israéliens en 1961
[sic], son procès et son exécution avaient
contribué à cette prise de conscience 36(*). »
Trois décennies plus tard, dans un ouvrage faisant
désormais autorité en la matière, l'historien Peter Novick
détermine la place de plus en plus centrale que l'holocauste occupe
depuis 1945 dans la société états-unienne 37(*). Fait remarquable, l'auteur y
réduit la portée mémorielle de l'affaire Eichmann au
« plus important [...] catalyseur d'un
accroissement durable du discours sur l'Holocauste » dans son
pays, au début des années 1960 38(*).
Dans cette évaluation, l'historien américain
refuse manifestement d'employer des expressions plus fortes -- comme
« une étape importante » ou
« un rôle décisif » --qu'il
réserve, pour bien marquer la prépondérance de leur
retentissement mémoriel aux États-Unis, à des
événements ultérieurs, comme les guerres de juin 1967 et
d'octobre 1973 39(*).
Comment, dans ces conditions, interpréter autrement que
par un règlement de compte idéologique le fait que l'historienne
Françoise Ouzan formule des critiques à son endroit ? Dans
sa récente contribution à un ouvrage collectif déjà
indiqué dont elle assure aussi la codirection, elle reproche à
son homologue américain de
« privilégier » pour des raisons
idéologiques « l'impact du procès Eichmann et
surtout de la Guerre des Six Jours » dans son
interprétation du processus d'élaboration de la mémoire de
l'holocauste aux États-Unis 40(*).
Lorsqu'elle appréhende elle-même cette
construction mémorielle, Françoise Ouzan insiste d'abord sur
« une existence précoce de ce processus
d'édification et une évolution marquée par un passage de
la sphère privée à la sphère publique dans laquelle
le procès Eichmann télévisé opère un
déclic » 41(*). Pour quelle raison transforme-t-elle par la suite ce
simple déclic en « un élément essentiel dans
le processus de construction de la mémoire de la Shoah » aux
États-Unis 42(*) ?
L'étude, que publie le professeur de littérature
Alan Mintz dans le récent ouvrage collectif déjà
mentionné, ouvre encore davantage l'éventail des opinions que
l'on rencontre à propos de la portée de cette affaire dans la
production historique. L'auteur y estime certes que « la capture
et le procès d'Adolf Eichmann en 1961 constituèrent un
événement décisif » dans le processus
d'américanisation de l'holocauste, mais c'est surtout sa prise en
considération des facteurs internes à la société
américaine qui rend son argumentation pertinente à nos
yeux 43(*).
République fédérale d'Allemagne
Faute d'une connaissance suffisante de l'allemand, notre
survol historiographique se limitera ici à deux ouvrages parus
directement en anglais.
Dans le premier livre déjà signalé, un
quatuor d'universitaires calcule scrupuleusement l'ampleur des couvertures de
presse allemande et israélienne de quatre grands procès
liés à l'holocauste -- celui d'Eichmann compris --
organisés entre 1945 et 1986 dans ces deux pays 44(*). Dans le second livre,
l'historien britannique Donald Bloxham entend avant tout déceler
l'influence des procès de l'immédiat après-guerre -- ceux
de Nuremberg en tête -- sur le processus global d'élaboration de
la mémoire et de l'histoire de l'holocauste 45(*). Sans surprise, le
procès de Jérusalem n'y apparaît que très
accessoirement.
Même si l'affaire Eichmann fait l'objet d'une large
couverture médiatique en RFA (dans l'ordre décroissant
d'importance : la presse écrite, la télévision et la
radio), la communauté scientifique s'accorde pour minimiser les effets
qu'elle a eus sur la prise de conscience du génocide nazi par la
population allemande 46(*). Pour le spécialiste des génocides
Donald Bloxham, cette prise de conscience commence seulement à devenir
une réalité en 1979 -- avec la diffusion à la
télévision allemande du feuilleton américain
Holocaust 47(*).
France
Notre examen historiographique s'ouvre ici par une
contribution de David Weinberg -- un historien américain qui
connaît bien l'attitude de la communauté juive de l'Hexagone
envers la Shoah. Pour l'auteur de l'article « France » dans
l'ouvrage monumental, unique en son genre, qui passe en revue la
réaction d'une vingtaine de pays et celle des Nations Unies face
à l'holocauste depuis 1945, « il n'y aucun doute que c'est
le procès d'Adolf Eichmann en 1961 qui a surtout suscité le
regain d'intérêt des Juifs de France pour l'Holocauste durant
cette période » -- c'est-à-dire au début
des années 1960 48(*). [notre traduction]
Dans la nation française à la même
époque, « l'amorce d'une prise de conscience du sort
réservé aux Juifs par les nazis est, avant tout, tributaire de
l'impact du procès Eichmann » -- note de son
côté l'historienne Julie Maeck dans son étude
déjà citée 49(*).
Les diverses chronologies censées retracer les grandes
étapes de l'histoire de la mémoire de la Shoah en France, dont
l'historienne Annette Wieviorka est friande, constituent une source
idéale pour terminer notre survol historiographique 50(*). Dans son tout premier tableau
divisé en quatre séquences chronologiques,
l'avant-dernière période qu'elle fait commencer à la fin
des années 1950 serait, selon elle, « marquée par
le moment décisif que représenta en 1961 le procès d'Adolf
Eichmann » en France 51(*).
L'historienne semble toutefois relativiser quelque peu la
portée mémorielle de ce procès par la suite. Comme
lorsqu'elle note dans un article déjà évoqué
qu'elle rédige avec le journaliste Nicolas Weill : « Chez
les Juifs de France, la guerre des Six-Jours amène une rupture,
probablement préparée par le procès Eichmann
52(*). »
Quoi qu'il en soit, l'historienne est intarissable sur
l'histoire de la mémoire de la Shoah. La dernière étude
qu'elle consacre à notre connaissance à son sujet de
prédilection a fait l'objet d'une publication en 2008 dans un ouvrage
collectif sur les guerres de mémoires dans l'Hexagone. Dans ce
récent article, elle entend notamment démontrer que la
mémoire du génocide des Juifs entre dans la sphère
publique « avec le procès Eichmann, qui marque un
véritable tournant en France, en Allemagne, aux États-Unis comme
en Israël » 53(*) -- comme s'il avait eu alors les
mêmes conséquences dans les quatre pays. Ne tombe-t-elle pas, ici
aussi, dans le piège de la généralisation
hâtive ?
Quel crédit accorder enfin à ses
différentes affirmations cherchant à prouver l'importance
mémorielle précoce de cette affaire en France, alors qu'elle
soutient elle-même dans un texte consacré à son filmage,
publié dans un récent recueil de conférences
réalisé avec Sylvie Lindeperg, que
« l'intérêt porté au procès est
faible » dans l'Hexagone : en termes de retransmission sur
le petit écran, par exemple, « la France rest[e] en
retrait » : la télévision française
« achète peu d'images » 54(*) ? La résolution de
ce genre de contradiction constitue aussi un des objectifs de notre
étude.
Ce survol historiographique accompli, la première
question est de savoir si cette affaire marque bien, comme Annette Wieviorka le
prétend depuis 1998, un tournant important comparable dans le
processus de construction de la mémoire de la Shoah des quatre pays
étudiés dans ces pages ? Notre examen montre au contraire
des situations très différentes d'un pays à l'autre. Ces
éléments nouveaux étayent l'hypothèse selon
laquelle une partie de la communauté historique, en particulier en
France, aurait tendance à exagérer et à
généraliser le poids que cette affaire a eu dans le processus
mémoriel de la Shoah.
L'État hébreu est le seul pays pour lequel il y
a unanimité au sein de la communauté des historiens pour dire que
cette affaire constitue bien dès le départ un tournant majeur
dans le processus mémoriel. Les innombrables conséquences qu'elle
entraîne y dépasseront même les limites du domaine de la
mémoire. S'il existe aussi une sorte de consensus dans la
communauté historique pour affirmer que cette affaire représente
un des fondements du processus mémoriel aux États-Unis, ses
représentants ne s'entendent cependant pas sur le degré
d'importance à lui donner. La communauté scientifique s'accorde
enfin pour minimiser la portée qu'elle a eue en RFA. Somme toute, autant
de situations que de pays !
Comment dans ces conditions ne pas s'attendre à une
situation spécifique pour la France ? Comment accréditer
l'idée que cette affaire y marque un tournant majeur dans le processus
mémoriel alors que, à l'exception de l'État hébreu,
cela ne semble pas le cas ailleurs -- ni aux États-Unis ni en RFA ?
La thèse du tournant décisif précoce en France
repose-t-elle dès lors sur des faits avérés ou
résulte-t-elle au contraire -- c'est notre
hypothèse -- d'une exagération et d'une
généralisation tardives ? La réponse à ces
différentes questions exige une évaluation préalable
minutieuse des effets que chaque phase de cette affaire a eus en France comme
dans les trois autres pays étudiés ici.
Le retentissement de l'annonce de la capture et du
jugement d'Eichmann
Le 23 mai 1960, le Premier ministre israélien David Ben
Gourion déclare devant les parlementaires de son pays, réunis
à la Knesset, qu'Adolf Eichmann vient d'être arrêté
et qu'il sera prochainement jugé en Israël 55(*). Cette annonce officielle
porte aussitôt l'affaire Eichmann sur la scène internationale.
Largement médiatisées, ces paroles connaissent sans tarder un
énorme retentissement dont les échos se font entendre jusque dans
l'Hexagone.
En France précisément, le quotidien Le
Monde publie le texte de cette déclaration dans son édition
du 25 mai 1960 56(*).
Jusque-là, le plus grand secret avait entouré ce que le Premier
ministre israélien regardait, si l'on en croit le plus autorisé
de ses interprètes aux yeux d'Idith Zertal, comme son
« affaire personnelle » 57(*). Un pan du mur de silence qui
la protégeait encore s'écroule définitivement au
début du mois de juin 1960 lorsque la revue Time
révèle enfin le nom du pays -- l'Argentine -- où l'ancien
colonel SS se cachait 58(*).
Les limites fixées à la présente
étude nous dispensent du récit de l'interminable traque
d'Eichmann et des circonstances dans lesquelles des agents israéliens
l'ont finalement capturé le 11 mai 1960 à
Buenos-Aires 59(*).
Cette dispense ne nous soustrait à l'obligation d'insister ni sur le
caractère tardif de cet enlèvement ni sur les conséquences
que ce retard a eues dans l'émergence de la mémoire de la Shoah
-- en particulier dans l'État hébreu.
Ainsi, comme le souligne l'historienne Idith Zertal dans
son ouvrage déjà indiqué : « Israël
s'était volontairement abstenu de la chasse aux nazis pendant les
années 1950, et c'est seulement en 1957 que Ben Gourion avait
donné le feu vert au Mossad pour se lancer aux trousses
d'Eichmann » 60(*). Le Mossad et la CIA n'ont apparemment
guère déployé beaucoup d'énergie pour le traquer
par la suite, alors qu'en 1957, toujours selon Idith Zertal, il
« était depuis un certain temps dans le collimateur des
services israéliens » 61(*) et que d'autres sources
indiquent qu'il avait été localisé en Argentine par
l'agence américaine en 1958 62(*). Dans l'optique qui est la nôtre, la
conséquence principale des reports successifs de son arrestation
jusqu'au 11 mai 1960 est qu'ils diffèrent chaque fois le tournant plus
précoce que l'affaire aurait pu provoquer dans le processus
mémoriel de la Shoah, en particulier en Israël, si elle avait
éclaté plus tôt.
L'énorme médiatisation
L'annonce par le Premier ministre israélien le 23 mai
1960 à la Knesset de l'arrestation et du jugement imminent d'Eichmann
déclenche sur-le-champ « une tempête
d'émotions » dans l'État
hébreu 63(*)
et une avalanche de réactions à travers le monde.
La médiatisation de l'affaire Eichmann atteint son
apogée dès le lendemain de la déclaration de Ben Gourion.
La presse écrite mondiale réagit avec une telle puissance que le
ministère des Affaires étrangères israélien en
profite sans attendre. Dès le mois de juillet 1960, sa division
information -- entendez son service de propagande ! -- édite
un petit recueil intitulé : Eichmann in the World
Press 64(*). Cet
opuscule reprend pour l'essentiel cent vingt-sept extraits d'articles
publiés dans la presse de vingt-huit pays répartis dans le monde
entier 65(*). Sans
surprise, tous les journalistes et intellectuels dont les opinions y sont
reproduites approuvent inconditionnellement l'initiative
israélienne 66(*).
Malgré son manque criant d'impartialité, ce
recueil d'articles constitue quand même un échantillon
représentatif pour ses initiateurs. À leurs yeux, il
représente « seulement une partie des milliers
d'éditoriaux et autres commentaires de presse de la même veine
parus ces dernières semaines » 67(*). [notre traduction] Une
demi-douzaine de coupures de presse sur la totalité se rapporte à
des articles publiés entre le 1er et le 11 juin 1960 dans des
journaux français -- en l'occurrence des quotidiens
parisiens 68(*). La
quantité d'articles français sélectionnés ne
soutient pas la comparaison avec celle des autres pays qui nous
intéressent -- même si cette demi-douzaine de coupures ne
représente sans doute qu'une infime partie de la couverture de presse
des débuts de l'affaire en France.
La vive réaction des rédacteurs de la revue du
Centre de documentation juive contemporaine, plutôt à droite sur
l'échiquier politique, révèle-t-elle dans une certaine
mesure la vigueur avec laquelle l'ensemble de la presse juive française
de cette mouvance a réagi à la déclaration du 23 mai
1960 ? Bien que l'attitude exacte adoptée par l'immense
majorité des journalistes juifs de cette obédience nous
échappe, il n'est toutefois pas interdit de penser, sans faire de cette
presse communautaire de droite un bloc monolithique pour autant, qu'elle
était dans l'ensemble vivement favorable à l'initiative
israélienne.
Quoi qu'il en soit exactement, les rédacteurs de la
revue du CDJC apportent de leur propre aveu un soutien inconditionnel et
multiforme aux projets israéliens qui s'inscrivent dans le cadre de
cette affaire : « En même temps qu'il documentait
[...] les personnes qui «font» l'opinion à travers le
monde, «Le Monde Juif», revue du CDJC, consacrait un numéro
spécial au dossier Eichmann » 69(*).
La double polémique
L'initiative israélienne ne fait pourtant pas
l'unanimité. La déclaration de Ben Gourion déclenche
également une double polémique à l'échelle
planétaire dont le recueil du ministère des Affaires
étrangères israélien ne rend qu'incidemment compte. Cette
controverse porte à la fois sur la légitimité de la
capture d'Eichmann par des agents israéliens en Argentine et sur celle
de le traduire devant un tribunal israélien 70(*). Quel est le retentissement de
cette double polémique dans l'Hexagone ?
L'historienne Annette Wieviorka prend-elle en
considération les journaux français lorsqu'elle affirme dans son
ouvrage déjà mentionné sur l'affaire Eichmann que
« la polémique sur la légitimité de cet
enlèvement s'étale dans la presse » 71(*) ? L'absence de
précision nous empêche de trancher. Par contre, quelques coupures
de journaux parisiens reproduites dans la plaquette de propagande
israélienne se font bien l'écho -- certes partialement
-- du débat médiatique que cette double controverse ne manque pas
de déclencher en France.
Ainsi, l'auteur de l'article paru le 10 juin 1960 dans
Libération s'étonne que certains juristes
français puissent réclamer le rapatriement immédiat
d'Eichmann en Argentine -- une méprise impardonnable à ses
yeux 72(*). De
même, Eugène Aroneanu signe un article dans l'édition du
journal Le Monde du 11 juin 1960 dont le titre à lui seul --
« Israël a tout à fait le droit de juger
Eichmann » [notre traduction] -- indique clairement que son
auteur fait partie des défenseurs de l'initiative de l'État
hébreu 73(*).
En l'absence d'un corpus d'articles plus
représentatif 74(*), l'hypothèse selon laquelle cette double
polémique aurait également fait l'objet d'une large couverture de
presse en France ne peut être totalement écartée. Mais
ainsi que nous le montrent les rares indices en notre possession, comme les
indications (si elles sont dignes de foi) fournies par le recueil d'articles du
ministère israélien, cette couverture française ne
soutient pas la comparaison avec la médiatisation de l'affaire en
Israël, aux États-Unis et en RFA.
La possibilité que même les adversaires de
l'initiative israélienne aient pu dans une certaine mesure participer au
débat médiatique en France, comme cela semble avoir
été particulièrement le cas aux États-Unis, ne peut
être totalement exclue non plus. De fait, comme le note l'historien
américain Peter Novick dans son ouvrage de référence
déjà signalé : « Dans les premières
semaines qui suivirent le discours de Ben Gourion, plus des deux tiers des
éditoriaux portèrent un jugement négatif à un titre
ou à un autre 75(*). »
La presse écrite mondiale -- journaux français
compris donc -- relaie également ce que l'historien israélien Tom
Segev appelle la « querelle historiographique et
politique » 76(*). Ce différend de nature juridique oppose les
partisans -- Ben Gourion en tête -- d'un jugement d'Eichmann à
Jérusalem, à d'éminentes personnalités de la
diaspora juive -- le président du Congrès juif mondial Nahum
Goldmann, le philosophe Martin Buber, le président honoraire du
Congrès juif américain Joseph Proskauer de même que le
grand ami d'Hannah Arendt, le philosophe allemand Karl Jaspers -- toutes
davantage disposées à faire traduire le criminel nazi devant une
cour internationale de justice 77(*).
Le retentissement de l'affaire pendant la
préparation du procès
Une fois passé le choc émotionnel
créé par l'annonce du 23 mai 1960 et l'avalanche
médiatique consécutive, l'affaire Eichmann occupe encore le
devant de la scène -- surtout en Israël. Comment expliquer cette
occupation prolongée alors que les sessions du tribunal ne commenceront
que le 11 avril 1961 ? Que se passe-t-il donc pendant cette courte
année réservée à l'instruction de
l'affaire 78(*) ?
D'une part, la double polémique de nature juridique
déclenchée par l'annonce de Ben Gourion continue à faire
régulièrement les gros titres de la presse israélienne et
internationale 79(*).
De l'autre, l'installation d'un débat public assez virulent au sein de
la société israélienne maintient cette affaire sur le
devant de la scène de ce pays jusqu'à l'ouverture du
procès 80(*).
Quel est son retentissement en France pendant la
préparation du procès ? Qui dans l'Hexagone hormis les
partisans inconditionnels d'Israël -- le CDJC en
tête -- s' y intéresse encore, alors que la procédure
pénale suit son cours à Jérusalem et que cette affaire
quitte sans doute assez vite le devant de la scène hexagonale, où
l'avait peut-être portée l'engouement médiatique
résultant de l'annonce du 23 mai 1960, chassée par des sujets
d'une actualité plus brûlante comme les événements
tragiques liés à la fin de la guerre
d'Algérie 81(*) ?
Contrairement à ce que le lecteur pourrait imaginer, la
comparution d'Eichmann devant un tribunal israélien ne constitue
nullement une première judiciaire dans toute la force du terme. Au
contraire, ainsi que le souligne Hannah Arendt dans son
« rapport » sur la banalité du mal, elle clôt
plutôt « une longue série de procès qui
suivirent les procès de Nuremberg » 82(*). De même, comme le fait
remarquer l'historienne israélienne Anita Shapira dans son livre
déjà cité, les fondements juridiques de ce jugement ne
sont pas neufs non plus : ils reposent sur « la loi
«pour le châtiment des nazis et de leurs
complices» » -- autrement dit, sur une loi
israélienne qui remonte à 1950 83(*).
Aussi, la spécificité incontestable de la
décision de déférer le criminel nazi devant la justice
israélienne réside-t-elle avant tout dans les buts poursuivis par
les deux principaux promoteurs du procès -- David Ben Gourion, le
Premier ministre israélien, et Gidéon Hausner, le procureur
général d'Israël 84(*) -- ainsi que dans les impressionnants moyens
techniques et humains mis en oeuvre pour les atteindre -- en d'autres termes,
dans sa spectaculaire mise en scène 85(*).
Les objectifs du procès
L'objectif principal de cette procédure pénale
est-il « d'abord à visée
internationale » -- comme le prétendent les
historiennes Sylvie Lindeperg et Annette Wieviorka dans le texte d'une
conférence déjà évoquée 86(*) ? Rien n'est moins
sûr. Si ses instigateurs s'efforcent à l'évidence de lui
assurer un retentissement international, rien ne les empêche de
poursuivre en parallèle d'autres desseins à visées
purement israéliennes ou juives. Aussi, comme l'avait d'ailleurs
très bien fait observer Annette Wieviorka elle-même dans l'ouvrage
déjà indiqué qu'elle consacre aux témoins,
« le procès obéit-il pour Israël à des
impératifs de politique intérieure et de politique
extérieure » 87(*).
Les dirigeants israéliens qui souhaitent traduire
Eichmann devant le tribunal de Jérusalem poursuivent en
réalité plusieurs buts politiques, sociaux et éducatifs en
même temps -- tous susceptibles d'avoir des retombées tant sur le
plan intérieur qu'extérieur 88(*).
Aussi paradoxal que cela puisse paraître à nos
yeux, les objectifs juridiques du procès alors en préparation
semblent avoir été très limités -- voire quasi
inexistants 89(*).
L'historienne Idith Zertal attire notre attention sur ce paradoxe lorsqu'elle
note dans son ouvrage déjà mentionné :
« Quelques jours avant l'ouverture solennelle du procès,
Ben Gourion en personne déclara que «le sort de l'individu
Eichmann ne présente absolument aucun intérêt à mes
yeux. Ce qui est important, c'est le spectacle» 90(*). »
Lorsque l'affaire éclate au grand jour, Ben Gourion
était-il « au faîte de son pouvoir »
-- comme le prétend l'historien Tom Segev dans son ouvrage
déjà signalé 91(*) ? Le Premier ministre israélien, insiste
l'auteur du Septième million, « n'avait nul
besoin de ce procès pour affirmer sa position
politique » 92(*). Son interprétation ne fait pourtant pas
l'unanimité.
L'historienne Idith Zertal, aux yeux de laquelle cette affaire
a au contraire « ravivé la grandeur politique de Ben
Gourion », ne partage pas l'explication de son
collègue 93(*). Son argumentation semble lui donner raison. En
s'appropriant personnellement l'affaire, reconnaît d'ailleurs Tom Segev,
le Premier ministre espérait aussi que son parti -- le Mapai --
puisse « reprendre le contrôle sur la mémoire du
Génocide, qu'il avait abandonnée au Herout » de
Menachem Begin « et aux partis de
gauche » 94(*).
Quel que soit l'indice de popularité de Ben Gourion
dans son pays au moment où la procédure pénale va bon
train, « certains fossés » que le
procès entend précisément réduire seraient alors
« en train de se creuser dans la société
israélienne » 95(*). Les chercheurs Nicolas Weill et Annette Wieviorka
fondent leur assertion sur un commentaire quelque peu anachronique d'Abba
Eban 96(*).
Le ministre de l'Éducation et de la Culture
israélien de l'époque signale de fait le creusement de plusieurs
fossés sociaux dans son pays vers le milieu des années
1960 97(*). À
l'entendre, de multiples clivages susceptibles de
dégénérer à tout moment en violences, que le
procès veut justement réduire, divisent alors aussi bien
l'État hébreu que le monde juif 98(*).
En réalité, ces clivages avaient pris forme
pendant les années 1950. Dans sa Nouvelle histoire
d'Israël parue en 1998 que Nicolas Weill et Annette Wieviorka n'ont
forcément pas pu consulter, Ilan Greilsammer insiste sur deux d'entre
eux : « C'est le cas notamment de l'intégration de
l'immigration de masse, et de la question des rapports entre la religion et
l'État 99(*). »
Sur la scène internationale, la comparution de l'ancien
colonel SS devant un tribunal de Jérusalem devait avant tout,
prévenait alors un député communiste israélien
cité par Tom Segev, « rappeler au monde ce qui s'est
passé pendant la Seconde Guerre mondiale, et qu'un grand nombre de
personnes voudraient vouer à l'oubli » 100(*). Mais comme le souligne
Hannah Arendt dans son reportage sur la banalité du mal, Ben Gourion
exigeait en plus que les pays du monde entier « aient
honte » de ce qu'ils avaient laissé faire 101(*). Bref à ce niveau, la
priorité des promoteurs du procès était d'en faire un
« Nuremberg du peuple juif » -- pour
reprendre l'expression exacte employée par le Premier ministre
israélien, lui-même, dans un entretien qu'il accorde au journal
Le Monde 102(*).
Les partisans du procès alors en préparation
poursuivent également des objectifs éducatifs. Deux
enquêtes menées durant cette période insistent sur la
méconnaissance de l'holocauste par la jeunesse israélienne et les
nouveaux immigrants juifs en provenance des pays musulmans. La première
réalisée dans des écoles israéliennes
révèle que la moitié d'entre elles environ ne
commémorent pas la Shoah -- laquelle n'est d'ailleurs pas encore
inscrite au programme officiel de l'enseignement national. Effectuée
radiophoniquement le jour même de la déclaration de Ben Gourion,
la seconde prouve que beaucoup d'Israéliens ignorent jusqu'au nom
même d'Adolf Eichmann 103(*).
Comme l'ont souligné les chercheurs Nicolas Weill et
Annette Wieviorka dans leur article déjà cité, le
procès a donc bien « pour fonction d'éduquer la
jeunesse » 104(*). Qui plus est, les premiers historiens du
génocide comptent eux aussi sur ces débats pour parfaire leur
connaissance du processus d'extermination des Juifs
européens 105(*).
La mise en scène spectaculaire
La rencontre de ces objectifs parfois contradictoires exige
l'organisation d'un procès juridiquement irréprochable et
médiatiquement spectaculaire. Comme le fait remarquer l'historienne
Idith Zertal dans son ouvrage déjà évoqué, ses
organisateurs sont obligés de respecter cette double condition. Elle
attire d'abord notre attention sur le fait que « pendant toute la
durée du procès, les magistrats israéliens
s'efforcèrent de respecter la procédure
légale », mais souligne ensuite que
« c'était aussi le procès de Ben Gourion,
conçu dès le départ comme un procès à grand
spectacle » 106(*).
Aux yeux d'Hannah Arendt qui, comme l'immense majorité
des envoyés spéciaux sur place, n'assiste qu'à une partie
des débats à Jérusalem, la salle choisie pour organiser
les sessions du tribunal « n'est pas un mauvais décor pour
le spectacle que méditait David Ben
Gourion » 107(*). De fait, il s'agit en l'occurrence de la salle de
spectacle de la Beth Ha'am (Maison du Peuple) dont on
accélère la construction alors en cours et que l'on
aménage tout spécialement en vue du procès.
Mais quel que soit leur degré de perfection, les
caractéristiques architectoniques et techniques de cette salle
aménagée en tribunal ne garantissent pas, à elles seules,
le retentissement mondial du procès-spectacle envisagé. Pour
atteindre cet objectif, encore faut-il y convier nombre d'acteurs de
qualité (les témoins) et quantité de reporters
internationaux.
D'une capacité totale de sept cent cinquante places,
l'auditorium de la Maison du Peuple reconverti en salle de justice peut encore
accueillir des centaines de journalistes venus du monde entier 108(*).
« Intégralement filmé en vidéo pour
être diffusé de par le monde grâce à la
popularisation d'un nouveau médium, la
télévision », comme le font observer les
historiennes Sylvie Lindeperg et Annette Wieviorka dans le texte d'une
conférence déjà indiquée, le procès est de
ce fait susceptible de recueillir une plus large audience dans les pays
où, comme aux États-Unis à la différence de la
France, beaucoup de ménages sont déjà
équipés d'un récepteur de
télévision 109(*).
Comme le signalent les chercheurs Nicolas Weill et Annette
Wieviorka à partir du travail déjà mentionné de Tom
Segev, les nombreux témoins appelés à la barre font quant
à eux l'objet d'un casting soigneusement orchestré par
Gidéon Hausner et sont issus « de toutes les
parties de la nation »
israélienne 110(*). Bref, les préparatifs vont bon
train 111(*) ;
le procès-spectacle est sur le point de commencer...
L'intérêt en France
Pendant cette phase préparatoire, le CDJC participe de
différentes manières « à la
constitution du dossier Eichmann » 112(*). Aux yeux des
rédacteurs de sa revue manifestement satisfaits d'informer le grand
public, le Centre apparaît comme « l'Institut qui
pouvait et devait fournir à l'opinion mondiale une documentation d'une
authenticité indiscutable sur le sinistre criminel, ses chefs et ses
complices » 113(*). La contribution du CDJC ne s'arrête cependant
pas en si bon chemin.
De l'aveu des rédacteurs eux-mêmes, le Centre
documente également les autorités judiciaires israéliennes
« directement chargées d'établir et de fonder
l'accusation contre » l'ancien colonel SS 114(*). De même, après
l'exécution de ce dernier, au début de l'année 1963, le
CDJC et les éditions Calmann-Lévy publient Le procès
de Jérusalem -- un livre que l'historien Léon
Poliakov réalise, à entendre l'archiviste du Centre, à
partir de « tout le matériel documentaire, les
informations recueillies lors des audiences, et surtout le
jugement » du procès 115(*).
La sortie de presse quelques mois après l'annonce de la
capture d'Eichmann de la deuxième édition du Bréviaire
de la haine de Léon Poliakov révèle-t-elle dans une
certaine mesure le retentissement que l'affaire a alors en France ou bien
plutôt le pari que certaines personnes financièrement
intéressées font à ce sujet 116(*) ? En tout cas, les
éditions Calmann-Levy entendent visiblement en profiter pour
conquérir de nouveaux lecteurs.
Le texte de la quatrième de couverture ne laisse planer
aucun doute à ce sujet : « Au moment où
l'affaire Eichmann ramène au premier plan de l'actualité
l'étude d'une des plus monstrueuses entreprises de
«génocide», cette nouvelle édition, revue, et qui
comporte plusieurs références à Eichmann, présente
le plus vif intérêt 117(*). » Mais le succès de cette
réédition n'est pas garanti pour autant 118(*).
L'historien américain Raul Hilberg dont l'ouvrage
monumental La destruction des Juifs d'Europe fait désormais
autorité en la matière n'a pas connu la chance de son homologue
français 119(*). De l'aveu même de l'intéressé,
la première version de son livre n'a finalement été
publiée que pendant l'année 1961 par
« une petite maison d'édition indépendante
de Chicago nouvellement créée : Quadrangle
Books » -- soit un peu trop tard pour
« tirer parti de l'actualité » du
procès 120(*).
Le retentissement du procès
Au tribunal de Jérusalem, cent et quelques audiences
s'enchaînent les unes après les autres, presque tous les jours,
pendant plus de quatre mois -- du 11 avril au 14 août
1961 121(*).
Du procès à l'exécution
Suivi assidûment à la radio par l'immense
majorité de la population, le réquisitoire d'entrée du
procureur général au cours duquel il se réfère,
ainsi que le souligne deux ans plus tard John Machover, à
« l'importante documentation sur l'affaire Eichmann mise à
sa disposition par le Centre » de documentation juive
contemporaine 122(*) provoque un tel choc qu'à partir de ce jour,
si l'on en croit Tom Segev, le procès devient
« l'événement central dans la vie de beaucoup
d'Israéliens » 123(*).
L'ensemble de sa couverture médiatique et la
retransmission en particulier d'images d'audiences en léger
différé à la télévision -- une
première mondiale ! -- lui assurent un retentissement
d'autant plus considérable ailleurs que cette médiatisation
s'inscrit, comme aux États-Unis, dans un contexte
particulièrement favorable 124(*).
À la différence de ce qui s'est produit à
Nuremberg où le ministère public fondait avant tout ses
accusations sur des documents 125(*), l'instruction de Gidéon Hausner à
Jérusalem repose largement, comme le met en lumière Annette
Wieviorka dans l'ouvrage qu'elle leur consacre, sur « les
dépositions des témoins » -- une
méthode aux yeux du procureur général sans doute mieux
à même de rencontrer des objectifs qui outrepassent le simple
rassemblement des preuves de la culpabilité d'Eichmann 126(*). Minutieusement
sélectionnés pendant la phase préparatoire du
procès-spectacle, cent vingt et un témoins -- des
Israéliens d'origines diverses pour l'immense majorité d'entre
eux -- se succèdent ainsi à la barre pour raconter, parfois
de façon très bouleversante, d'atroces épisodes de
l'extermination des Juifs qu'ils ont pour la plupart vécus dans leur
chair 127(*).
Comme un certain nombre de pays européens, la France
n'a droit qu'à la présentation d'un seul
témoin 128(*). Il s'agit en l'occurrence de Georges
Wellers -- l'un des pères fondateurs de la revue du
CDJC 129(*). Selon
son propre récit, il dépose contre Eichmann pendant
« plus de trois heures et demie » le 9 mai
1961 --apparemment devant une salle comble 130(*).
L'écho médiatique que sa
déposition-fleuve recueille par la suite le déçoit.
Wellers reproche avant tout aux journalistes de n'avoir pratiquement retenu de
son témoignage que la « tragédie des quatre mille
enfants [juifs] déportés sans parents en août et
septembre 1942 de Drancy » 131(*). Aux nombreuses autres
questions auxquelles il est invité à répondre, regrette
l'unique témoin français appelé à la barre,
« les journalistes ont prêté peu d'importance ou les
ont résumées si succinctement que leur sens se trouvait souvent
dénaturé » 132(*).
Wellers stigmatise enfin le manque de professionnalisme de
l'immense majorité des journalistes présents à
Jérusalem : « à l'exception d'un seul compte
rendu, aucun journal n'a évité des erreurs considérables
et des confusions surprenantes concernant les dates, les circonstances et les
personnes » 133(*). Par contre, l'interview qu'il accorde à
« la Radio-Télévision suisse [...] le soir
même du 9 mai » lui donne apparemment
satisfaction 134(*).
Mais dans la perspective qui est la nôtre, il faut
reconnaître que la question cruciale du retentissement de sa
déposition en France, au-delà de l'écho prévisible
qu'elle a eu dans Le Monde Juif, reste en suspens.
Après quatre mois de délibérations, les
sessions du tribunal reprennent pendant quelques jours au mois de
décembre -- visiblement dans la plus grande
indifférence 135(*). Le 11 décembre 1961, les magistrats
réintègrent la salle de la Beth Ha'am pour juger
Eichmann -- reconnu coupable de plusieurs crimes passibles de la
peine de mort 136(*). Par la voix de leur président, le juge
à la Cour Suprême Moshe Landau, ils ne tardent d'ailleurs pas
à rendre leur verdict. Dès le 15 décembre 1961, la peine
capitale requise par le procureur général est sans surprise
prononcée à l'encontre de l'ancien colonel SS 137(*).
Le 29 mai 1962, comme l'explique l'historienne Annette
Wieviorka dans le livre qu'elle consacre à cette affaire, les magistrats
de la Cour Suprême d'Israël rejettent catégoriquement
« l'appel interjeté par le condamné à
mort » dont ils avaient préalablement examiné le
bien-fondé « devant un public
clairsemé » 138(*). Jouant son va-tout sur-le-champ, Eichmann sollicite
la grâce présidentielle le jour même 139(*).
Comme le souligne Hannah Arendt dans son reportage sur la
banalité du mal, la perspective de cette exécution capitale avait
donné une nouvelle impulsion au « groupe de professeurs de
l'Université hébraïque de Jérusalem, dirigé
par Martin Buber, qui s'était opposé au procès dès
le début, et qui maintenant tentait de persuader Ben Gourion d'obtenir
la grâce d'Eichmann » 140(*).
Mais c'était peine perdue ! Le 31 mai 1962 --
c'est-à-dire seulement « deux jours après que la
Cour suprême eut prononcé son jugement » comme le
fait encore remarquer la philosophe juive dans son reportage --, le
président israélien Itzhak Ben-Zvi rejette définitivement
tous ces appels à la clémence 141(*). Adolf Eichmann est
même pendu sans attendre, insiste Tom Segev, « dans la
prison de Ramla [Tel Aviv] au soir du 31 mai
1962 » 142(*).
La recrudescence ou non d'actes à
caractère antisémite
La question de la multiplication ou non d'incidents à
caractère antisémite, au début des années 1960,
exerce une influence non négligeable sur le retentissement que l'affaire
Eichmann a eu un peu partout dans le monde et, en particulier, en France. Ce
point fera donc l'objet d'un examen approfondi.
Les personnalités juives opposées au
procès, puis à l'exécution d'Eichmann, invoquent souvent
dans leur argumentation la crainte d'assister à une renaissance de
l'antisémitisme dans le monde 143(*). Les autorités israéliennes partagent
d'ailleurs les mêmes inquiétudes. Elles redoutent tellement que
des actes antisémites entravent le bon déroulement du
procès qu'elles prennent même des mesures préventives pour
les circonscrire 144(*).
Pourtant, comme le note l'historien israélien Yosef
Gorny lorsqu'il se réfère dans son ouvrage déjà
mentionné aux résultats d'une étude internationale
contemporaine sur le procès : « les craintes de voir une
résurgence de l'antisémitisme liée à
l'enlèvement et aux poursuites contre Eichmann se trouvent
infirmées » 145(*). Ce démenti n'exclut toutefois pas une
intensification des actes à caractère antisémite
indépendants de l'affaire, au début des années 1960.
La série d'incidents antisémites
perpétrés avant la capture d'Eichmann par des groupuscules
néo-nazis ou des groupes apparentés, d'abord en RFA, puis un peu
partout dans le monde sauf en France, atteint même un niveau
inégalé depuis la Libération 146(*). En somme, l'affaire
Eichmann s'inscrit dès le départ dans le contexte violemment
antisémite du tournant des années 1960 147(*).
Si les craintes d'assister à une renaissance de
l'antisémitisme liée à cette affaire ne sont pas
attestées, la formule quasi inverse -- « plus il y a de
procès, plus s'affaiblit la résurrection nazie »
-- attribuée à Simon Wiesenthal se vérifie-t-elle
davantage 148(*) ? Même si elle se confirmait pour la RFA
et l'Autriche -- ce qui reste encore à prouver --, cette
corrélation ne serait pas pour autant généralisable. A
priori, rien ne prouve qu'il existe une interdépendance étroite,
inversement proportionnelle, entre ces deux éléments.
Au fond, ni le procès ni l'exécution d'Eichmann
ne justifient la recrudescence d'incidents à caractère
antisémite du début des années 1960. De même,
l'absence relative de procès avant celui de 1961 n'explique pas non plus
la renaissance des mouvements néo-nazis antisémites. Quelles sont
dès lors les causes profondes de la réémergence effective
de ces deux phénomènes étroitement liés ?
Le nouveau succès que rencontrent alors les
groupuscules de cette obédience résulterait d'abord de la
situation politique, économique et sociale des pays où ils
sévissent. Après tout, comme le suggérait d'ailleurs
déjà, en 1962, le professeur Max Beloff de l'université
d'Oxford dans sa réponse à l'enquête de la revue du CDJC
sur le néo-nazisme antisémite : « les raisons
de la recrudescence de l'activité nazie doivent être
trouvées dans les circonstances de pays particuliers »
149(*). Par
conséquent, la multiplication contemporaine d'actes antisémites
découlerait, elle aussi, avant tout du contexte des pays où ces
incidents se multiplient. La vérification de cette hypothèse se
fera à partir de trois exemples séparés dans le temps
comme dans l'espace.
Trois études de cas
Une fois n'est pas coutume, l'histoire contemporaine italienne
documente notre première étude de cas. Comme le relèvent
les historiens Pierre Milza et Serge Bernstein dans leur dictionnaire des
fascismes et du nazisme : « À Rome, en juillet 1960, la
tentative de mise à sac du quartier du ghetto fut accompagnée de
manifestations en l'honneur d'Eichmann organisées par le mouvement
Ordine nuovo qui exaltait l'Empire SS, le racisme et
l'antisémitisme 150(*). »
Comment expliquer l'intensification d'actes à
caractère antisémite dans la capitale italienne en juillet
1960 ? Par la capture d'Eichmann en Argentine deux mois plus
tôt ? Par la politique du gouvernement italien de mars à
juillet 1960 ? Ou bien par la combinaison de ces deux
éléments d'explication à partir du 23 mai de la même
année -- lorsque l'affaire Eichmann éclate dans
l'espace médiatique international ? Pour tenter de répondre
à ces questions, un bref détour par l'histoire contemporaine de
la Péninsule s'impose.
À l'évidence, la vie en Italie au début
des années 1960 n'est pas un long fleuve tranquille 151(*). Comme le rappelle
l'historien Marc Lazar, lorsqu'il aborde cette période, dans sa
récente monographie de l'Italie d'après-guerre : au mois de
« mars 1960, le président de la République, le
démocrate-chrétien Giovanni Gronchi, charge Fernando Tambroni,
lui aussi membre de la D[émocratie] C[hrétienne], de
former un nouveau gouvernement » 152(*).
Le futur président du Conseil reçoit non
seulement, poursuit Marc Lazar, « la confiance des élus du
MSI mais », en juin de la même année,
« il autorise [aussi] un congrès de ce parti
à Gênes, l'une des villes symboles de la Résistance, ce qui
suscite des affrontements et une situation quasi insurrectionnelle, avec nombre
de victimes, durant une dizaine de jours dans de nombreuses villes de la
Péninsule » 153(*). En conséquence, ajoute le même
historien, « Tambroni est contraint à la
démission » dès le 6 juillet
1960 154(*).
Dans cette perspective, la tentative de saccage du quartier du
ghetto romain et les manifestations néo-fascistes qui l'accompagnent
s'inscriraient plutôt directement dans le contexte quasi insurrectionnel
créé alors en Italie, non seulement par l'autorisation de la
tenue d'un congrès national du MSI dans un haut lieu de la
Résistance italienne, mais aussi par la répression sanglante du
sursaut antifasciste que cette provocation néo-fasciste soutenue par le
gouvernement déclenche. Les dirigeants néo-fascistes italiens
ajoutent stratégiquement les manifestations pro-Eichmann à leur
programme d'action par la suite -- dès que l'affaire déboule
bruyamment sur la scène internationale.
L'examen de notre deuxième exemple nous transporte
outre-Atlantique pendant l'année 1961. Dans une récente
étude consacrée à la mémoire de la Shoah aux
États-Unis, l'historienne Françoise Ouzan attire notre attention
sur les rassemblements à caractère antisémite que George
Lincoln Rockwell, le chef du parti nazi américain, organise dans
plusieurs villes du pays l'année même où le procès
Eichmann s'ouvre à Jérusalem 155(*). L'historienne insiste sur
le fait que le « hate ride » [voyage de la haine]
combiné par « Rockwell contre le film
Exodus » se déroule précisément
« au moment le plus dramatique du
procès » -- lorsque les témoins de
l'extermination des Juifs de Hongrie se succèdent à la
barre 156(*).
Qu'est-ce qui motive fondamentalement cette vague de
manifestations à caractère antisémite ? La
retransmission quotidienne à la télévision
américaine de larges extraits des audiences du procès ? La
projection du film Exodus dans certaines salles de cinéma
du pays ? Ou bien la combinaison de ces deux facteurs avec des
éléments propres au contexte états-unien
caractérisé au début des années 1960 par
l'émergence du mouvement des droits civiques ? L'article de
Françoise Ouzan répond en grande partie à nos
interrogations.
Si les projections d'Exodus donnent bien lieu
à des rassemblements à caractère antisémite --
comme lors du « voyage de la haine » en 1961 par exemple
lorsque, ainsi que le souligne Françoise Ouzan,
« Rockwell, le nazi américain, projette de se rendre
à la Nouvelle Orléans pour organiser une manifestation devant le
cinéma de Baronne Street » --, elles ne nous
renseignent pas pour autant sur leurs causes profondes 157(*).
Celles-ci se décèlent bien plutôt dans le
processus de déségrégation raciale qui s'amorce à
la fin des années 1950 158(*). Les rassemblements à caractère
antisémite de l'extrême droite américaine constituent avant
tout une réaction violente au « nouveau climat de
revendications ethniques » qui caractérise le pays au
début des années 1960 -- soit comme le rappelle
l'historienne française : « la lutte pour les droits
civiques où Noirs et Juifs défilent côte à
côte au nom d'une «alliance naturelle», entretenue par le
«rêve» de Martin Luther King (1963), mais rompue plus tard
à cause de volontés
séparatistes » 159(*).
Dans cette façon de voir, les séquences
filmées du procès Eichmann ne justifient pas les manifestations
américaines à caractère antisémite de 1961 -- bien
qu'elles puissent parfois les encourager. Qui plus est, « l'effet
couplé de l'apparition d'Eichmann à la télévision
et celle du néonazi Rockwell », que souligne
Françoise Ouzan, a peut-être jeté une confusion durable
dans les esprits 160(*).
L'Amérique latine en 1962 constitue le
théâtre de notre troisième et dernière étude
de cas. Plusieurs sources rapportent que l'exécution d'Eichmann en mai
1962 entraîne sur-le-champ un accroissement des actes à
caractère antisémite en Argentine et dans plusieurs pays
sud-américains 161(*).
La pendaison de l'ancien colonel SS n'explique sans doute pas
à elle seule la multiplication soudaine de ces incidents. Ainsi, comme
le notait dès 1962 le professeur Max Beloff dans sa réponse
à l'enquête initiée par le CDJC sur le néo-nazisme
antisémite : « les incidents en Argentine sont autant
le produit d'une situation politique et sociale extrêmement critique et
fluide dans ce pays, que de l'activité préméditée
d'agitateurs néo-nazis d'origine
allemande » 162(*).
Quels sont les principaux enseignements à tirer de nos
trois études de cas ? La contemporanéité de l'affaire
Eichmann et de ces actes à caractère antisémite ne doit
pas nous induire en erreur : cette affaire ne suscite presque pas
d'incidents de ce genre -- sauf peut-être en Amérique du Sud.
Leurs causes profondes sont avant tout intérieures : politiques en
Italie, ethniques et socio-économiques aux États-Unis, sociales
et politiques en Argentine. Les groupes néo-fascistes ou
néo-nazis qui affichaient ouvertement leur antisémitisme et
n'hésitaient pas à passer à l'acte avant la capture
d'Eichmann s'approprient profitablement l'affaire par la suite 163(*).
La propension des médias à braquer
systématiquement leurs projecteurs sur tous les faits et gestes de ces
groupuscules extrémistes a tendance à grossir le moindre incident
à caractère antisémite dont ils se rendent responsables --
que l'affaire Eichmann lui ait été utilement associée ou
non 164(*). La
combinaison du gonflement médiatique et de l'instrumentalisation
extrémiste entraîne une amplification du retentissement de cette
affaire à chaque manifestation antisémite -- comme si cet
agencement lui offrait une caisse de résonance supplémentaire.
Le cas de la France
La France ne résonne pas d'échos de ce genre car
on n'y déplore, à notre connaissance, aucun incident
antisémite majeur entre 1960 et 1962 165(*). Cette absence notable ne
signifie cependant pas que toutes les formes d'antisémitisme y ont
soudainement cessé d'exister.
Au contraire, comme l'a montré l'historienne Anne
Grynberg dans l'étude qu'elle a spécialement consacrée
à ce sujet, « l'antisémitisme n'a pas disparu dans
la France de l'immédiat après-guerre » -- entendez
entre 1945 et 1953 166(*). Les cinq dernières années de la
guerre d'Algérie entre 1958 et 1962 représentent même,
comme le souligne l'historien israélien Joseph Algazy dans sa
monographie du néo-fascisme hexagonal, « le moment le plus
opportun pour les néo-fascistes
français » 167(*). Cette occasion inespérée
n'entraîne cependant pas la multiplication d'actes à
caractère antisémite dans la métropole 168(*).
Le contexte spécifique de la guerre d'Algérie
pousse les néo-fascistes français, à la différence
de leurs homologues néo-nazis exclusivement antisémites, à
s'en prendre prioritairement à un nouveau bouc émissaire tout
désigné par l'affaire algérienne : l'Arabe qui lutte
pour l'indépendance de son pays 169(*). L'antisémitisme ne figure par exemple pas au
programme de l'Organisation de l'armée secrète
(OAS) -- une organisation terroriste proche du fascisme, ouverte aux
« sympathisants «pieds-noirs» d'origine
juive » et que les néo-fascistes français tentent
de récupérer 170(*). Aussi, les attentats de l'OAS font-ils d'autres
victimes 171(*). En
somme dans ce contexte particulier, les néo-fascistes français
adoptent plutôt une politique nationaliste, voire ultra-nationaliste --
mieux à même, à leurs yeux, de faire augmenter leurs
effectifs et de les mener à la victoire politique 172(*).
De notre point de vue, c'est l'absence d'actes à
caractère antisémite qui constitue l'aspect essentiel du contexte
hexagonal au début des années 1960. Dans le climat de terreur de
la fin de la guerre d'Algérie, les néo-fascistes et les
médias français ont d'autres chats à fouetter que de
s'occuper de l'affaire Eichmann. Non seulement le phénomène de
l'amplification de son retentissement, constaté dans d'autres pays
touchés par cette affaire, ne se produit pas en France, mais en plus le
contexte français a même plutôt tendance à
l'assourdir.
La couverture médiatique du procès
À l'évidence, l'énorme retentissement que
le procès Eichmann a dans le monde au début des années
1960 ne se justifie pas seulement par le contexte globalement antisémite
dans lequel il s'inscrit. Cette portée mondiale s'explique surtout par
la large couverture médiatique dont il fait alors l'objet. En
réalité, les effets de ces deux éléments
d'explication se complètent et se renforcent mutuellement.
Comme l'explique l'historien et réalisateur Christian
Delage dans son ouvrage consacré au rôle des images dans les
prétoires : « Étant donné l'enjeu
particulier du procès organisé par l'État
d'Israël », il « devait donc être
médiatisé de manière à pouvoir largement informer
la société israélienne comme l'opinion internationale du
contenu des débats » 173(*). Par
conséquent, ainsi que le rappellent les historiennes Sylvie Lindeperg et
Annette Wieviorka dans le texte d'une conférence déjà
signalée : « Ce procès a été
intégralement filmé en vidéo pour être
diffusé de par le monde grâce à la popularisation d'un
nouveau médium, la télévision 174(*). »
Outre l'aménagement d'une importante infrastructure
d'accueil à Jérusalem, la couverture médiatique
escomptée exige la présence massive et prolongée sur place
de nombreux journalistes locaux et du monde entier, ainsi que l'utilisation
d'équipements technologiques télévisuels performants --
tant en Israël pour le filmage que dans le monde pour les
retransmissions.
Or, chaque nation y envoie un certain nombre de reporters pour
un laps de temps relativement court. De même, le pourcentage de
ménages déjà équipés d'un récepteur
de télévision diffère alors beaucoup d'un pays à
l'autre. Ces dissemblances territoriales ont d'inévitables
répercussions sur l'ampleur de la couverture médiatique de chaque
pays et pèsent lourdement sur le retentissement national du
procès.
Celui-ci s'ouvre le 11 avril 1961 dans la salle de spectacle
reconvertie en tribunal de la Beth Ha'am (Maison du Peuple) à
Jérusalem. Il s'agit d'un immeuble de quatre étages tout
spécialement aménagé et sécurisé en vue du
procès 175(*). Comme le raconte par le menu Frédéric
Pottecher, l'envoyé spécial de la
Radiodiffusion-télévision française (RTF), dans un article
du 1er mai 1961 : « Ce haut bâtiment
élégant et massif, où Eichmann vit, d'où nous
expédions nos câbles, nos émissions de radio, où
nous rédigeons nos comptes rendus, comporte une charmante salle de
réunions, avec une galerie et une scène 176(*). »
Pour bénéficier de la plus large couverture
possible, les organisateurs réservent aux journalistes l'accès
prioritaire à quatre cent soixante-quatorze places sur les quelque sept
cent cinquante que compte au total la salle du tribunal -- celles qui restent
étant presque toutes attribuées à des
invités 177(*). La Beth Ha'am abrite également une
grande salle de presse que le poète israélien Haïm Gouri
qualifie de façon amusante dans son journal de « cave de
la presse » parce qu'elle occupe le sous-sol de l'édifice
178(*).
C'est là -- dans cette « cave »
-- que le poète-journaliste s'ébahit de voir
« l'industrie de l'information fonctionner à une cadence
insensée » 179(*). Chaque jour d'audience, la salle de
conférence du couvent français voisin de Ratisbonne accueille
elle aussi quelque six cents personnes, leur offrant ainsi la
possibilité de suivre sur grand écran la retransmission
télévisée en direct mais en circuit fermé des
débats 180(*).
Quelle est l'affluence aux audiences ? Sans compter les
téléspectateurs locaux qui les suivent depuis la salle
« généralement
pleine » 181(*) du couvent de Ratisbonne, Jacob Robinson, l'un des
adjoints du procureur général Gidéon Hausner, estime que
dans l'ensemble « 85 000 personnes accédèrent
aux 121 sessions du tribunal » 182(*) -- ce qui
donne en moyenne environ sept cents individus à la fois.
Un taux si élevé de fréquentation est-il
vraisemblable ? Il n'y a aucune raison d'en douter. Aux moments
clés du procès (séance d'ouverture, contre-interrogatoire
de l'accusé, centième audience), l'affluence des gens est telle
qu'une partie du public qui espère accéder à la salle de
justice n'a sans doute pas la possibilité de le faire 183(*). Au contraire, lorsque la
procédure juridique ennuie comme au cours des premières sessions,
la salle du tribunal se vide alors « au deux
tiers » -- rapporte Annette Wieviorka 184(*). Qui pis est, en raison
d'une projection d'images d'archives, l'audience du 8 juin 1961 a même
exceptionnellement lieu -- sécurité oblige, insiste Christian
Delage -- « dans une salle vide de tout
public » 185(*).
Mais en général, la salle du tribunal est
plutôt bien remplie. Elle l'est d'autant plus facilement que, comme le
souligne à deux reprises Haïm Gouri dans son journal
déjà cité, « les places laissées
vacantes par les journalistes étrangers » partis couvrir
d'autres événements de par le monde sont systématiquement
« occupées par nos compatriotes »
186(*). En somme, le
public est presque toujours aussi nombreux même si sa composition s'est
fondamentalement modifiée au fil des séances 187(*).
Il demeure par ailleurs impossible tant les estimations
divergent de savoir combien de journalistes couvrent le procès à
Jérusalem 188(*). À ce sujet, Joseph Kessel reste
volontairement dans le vague. Lorsqu'il évoque le nombre de journalistes
présents le 11 avril 1961 à l'ouverture, l'envoyé
spécial de France-Soir note prudemment que « des
centaines et des centaines de reporters étaient là,
envoyés par les journaux du monde entier 189(*). »
Indépendamment de la question somme toute
dérisoire du nombre exact de journalistes couvrant le procès sur
place, il n'y a aucun doute qu'à l'exception de rares audiences
clés, ces derniers aient été dans l'ensemble moins
nombreux au fil des séances 190(*). D'ailleurs, comme le fait observer le
réalisateur Christian Delage dans son livre déjà
évoqué : « deux semaines après le
début du procès, un grand nombre de correspondants de la
presse internationale quittèrent Jérusalem, appelés par la
couverture d'autres événements » 191(*).
En l'absence d'une télévision nationale dans
l'État hébreu, le groupe de plus en plus réduit de
journalistes présents sur place doit logiquement se composer en
majorité de représentants de la presse écrite et
radiophonique israélienne 192(*). Forte de « plus de cinquante
journalistes », si le témoignage de Joseph Kessel est
digne de foi, la délégation allemande forme sans conteste le plus
gros groupe national d'envoyés spéciaux permanents à
Jérusalem 193(*). En comparaison, les effectifs connus de la
délégation journalistique française paraissent bien
faibles.
Outre Joseph Kessel et Frédéric Pottecher, les
envoyés spéciaux respectifs susmentionnés de
France-Soir et de la RTF, combien de journalistes français
couvrent le procès sur place 194(*) ? Dans la brève revue de presse qu'il
publie à chaud dans le périodique du CDJC, le journaliste Albert
Stara signale que Libération y délègue Madeleine
Jacob et Sud-Ouest Jean Bernard-Derosne 195(*).
L'historienne Annette Wieviorka révèle
l'identité de deux autres envoyés spéciaux
français. France-Observateur y dépêche Roger
Vailland, tandis que Le Monde qui dispose déjà des
services d'un correspondant sur place en la personne d'André Scemama y
expédie Jean-Marc Théolleyre 196(*). Selon ce décompte
certes incomplet mais peut-être indicatif, au moins une demi-douzaine de
journalistes français auraient donc été envoyés
pendant un certain temps à Jérusalem.
Dans le cadre de cette étude, il ne nous appartient pas
essentiellement pour deux raisons de revenir de façon
détaillée sur la problématique du filmage du procès
et de sa retransmission à la télévision. D'une part,
plusieurs historiens ont déjà sérieusement examiné
la question 197(*).
De l'autre, cette problématique ne revêt pas en France
l'importance considérable qu'elle a dans d'autres pays -- à
commencer par les États-Unis. De l'aveu même des historiennes
Sylvie Lindeperg et Annette Wieviorka qui ont étudié le sujet, la
France « commence à s'équiper de
téléviseurs » en 1961 et « la RTF,
qui a le monopole d'État, achète peu d'images » du
procès 198(*).
Au début des années 1960, les États-Unis
mènent la course à l'audiovisuel avec une confortable avance sur
tous leurs concurrents. Comme le précise l'historien Pierre Melandri
dans l'importante monographie qu'il vient de consacrer à l'histoire
contemporaine de ce pays : « dès le milieu des
années 1950, quelque 500 stations, rattachées aux trois grands
réseaux, ABC, NBC et CBS, desservent les récepteurs
installés dans 40 millions de foyers » 199(*).
Les chiffres que l'historienne et sociologue des médias
lsabelle Veyrat-Masson donne dans son histoire du petit écran
français ne soutiennent pas la comparaison avec les statistiques
américaines : même si « la vente des
récepteurs décolle à partir de 1953 »,
cette année-là, seulement « 53 794 postes sont
en service ; un an après, on en compte 125 000 200(*). »
Malgré de fortes disparités nationales, le
procès qui s'ouvre le 11 avril 1961 à Jérusalem retrouve
sans tarder l'apogée médiatique que l'affaire avait
déjà atteint après le 23 mai 1960 -- lorsque le Premier
ministre Ben Gourion annonce la capture d'Eichmann à la Knesset. Le
filmage de l'ensemble des sessions du tribunal et la retransmission en
léger différé d'une partie de ces images à la
télévision de nombreux pays contribuent largement à ce
nouvel apogée médiatique. Ici non plus, rien n'avait
été laissé au hasard.
Dès le 8 novembre 1960, comme le fait remarquer le
réalisateur Christian Delage dans son ouvrage déjà
indiqué, le gouvernement israélien passe « un
contrat d'exclusivité [...] avec la société
américaine Capital Cities Broadcasting Corporation, basée
à New York, pour filmer le procès Eichmann et le diffuser
à la télévision et au
cinéma » 201(*).
Comme le souligne encore Christian Delage :
« Le contrat précisait ainsi l'enjeu de
l'opération : «On peut prévoir que ledit
procès Eichmann sera un événement d'intérêt
public mondial et qu'une large diffusion des audiences du procès
à travers tous les moyens de communication disponibles est un objectif
social hautement souhaitable 202(*).» » Autant dire que le
mécanisme de la prophétie auto-réalisatrice a plutôt
bien fonctionné.
Si notre source d'informations était fiable, les
répercussions de la diffusion des séquences filmées du
procès seraient alors quantitativement très impressionnantes. Le
professeur Jeffrey Shandler rapporte dans un ouvrage dont il sera question plus
loin les propos de Milton Fruchtman, l'un des producteurs exécutifs de
Capital Cities, selon lesquels trente-huit pays auraient commandé et
utilisé ces séquences et environ quatre-vingts pour cent de
l'ensemble des téléspectateurs de la planète en auraient
vu au moins quelques images 203(*).
La vaste couverture médiatique dont le procès
fait alors l'objet entre pourtant en concurrence directe avec de nombreux
autres événements d'actualité -- toujours susceptibles de
lui faire de l'ombre, voire de l'éclipser momentanément de la une
des journaux 204(*).
Quelques exemples contemporains des premières sessions du tribunal
suffiront pour le démontrer.
Le 12 avril 1961 d'abord, un nom domine largement
l'actualité internationale. Il ne s'agit pas comme on pourrait s'y
attendre d'Adolf Eichmann mais bien plutôt de Youri Alexeievitch
Gagarine -- un cosmonaute soviétique entré du jour au
lendemain dans l'histoire universelle comme le premier homme envoyé dans
l'espace 205(*). Du 17
au 20 avril 1961 ensuite, le débarquement dans la baie des Cochons de
contre-révolutionnaires cubains soutenus par les États-Unis
échoue. Cet épisode aux répercussions internationales
incalculables fera encore les gros titres des nouvelles du monde longtemps
après l'échec de cette tentative de renversement de Fidel
Castro 206(*).
Du 21 au 25 avril 1961 enfin, le putsch d'Alger échoue
lui aussi. Cette tentative de coup d'État militaire qui entendait
maintenir l'Algérie française fait elle aussi longtemps la une
des journaux -- en particulier en France 207(*). Comme le souligne
l'historien Maurice Vaïsse dans l'ouvrage qu'il consacre
spécialement à cet épisode de la guerre
d'Algérie : « Le retentissement de
l'événement est tel que l'annonce du putsch éclipse
toutes les autres nouvelles, qui ne manquent cependant pas
d'intérêt : le premier vol d'un homme dans l'espace, le
Soviétique Youri Gagarine ; l'échec du débarquement
d'exilés anticastristes à Cuba, la crise congolaise qui n'en
finit pas, les audiences du procès Eichmann 208(*). »
Quelle est l'ampleur de la couverture médiatique du
procès en France et dans les autres pays diversement touchés par
cette affaire -- à commencer par l'État hébreu ?
Israël
Comme l'affirme le journaliste Amos Elon dans le
« portrait » déjà mentionné :
« L'intérêt du public pour le procès avait
été constant 209(*). » Les médias
israéliens en parlaient, il est vrai, de façon incessante. Dans
l'étude spécifique qu'elle consacre à la couverture de
presse de quatre procès liés à l'holocauste, une
équipe internationale de quatre chercheurs démontre que la
couverture du procès Eichmann atteint une ampleur inégalée
en Israël 210(*). Trois décennies plus tôt, Amos Elon
arrivait intuitivement à la même conclusion. Comme il le note dans
l'ouvrage cité plus haut : « Pendant toute une
année, les journaux en avaient empli des colonnes quasi
quotidiennement. Une grande partie des débats avait été
transmise en direct par la radio. » 211(*)
La couverture médiatique sans précédent
dont il fait l'objet et l'intérêt régulier qu'il suscite
auprès de la population expliquent pourquoi tant d'historiens regardent
ce procès comme un tournant majeur dans la relation des
Israéliens à la Shoah. Ses conséquences dans l'État
hébreu sont d'ailleurs multiples et capitales. Personne à notre
connaissance ne les a mieux mises en lumière que l'historienne Idith
Zertal.
D'un côté, comme bon nombre de jeunes
israéliens de sa génération, cette affaire l'a
profondément marquée à titre personnel 212(*). De l'autre, comme c'est le
cas pour beaucoup d'historiens de son pays, elle occupe une place centrale dans
ses recherches. Lorsqu'elle s'exprime en tant qu'historienne, Idith Zertal
prétend par exemple que « l'affaire Eichmann a
complètement bouleversé le langage et les images
d'Israël 213(*). » À ses yeux, comme elle
le note dans son ouvrage déjà signalé : « Tout
fut remis en discussion en relation avec le procès : la politique
israélienne, la jeunesse israélienne, le judaïsme mondial,
la journée de commémoration de la Shoah, les leçons du
génocide, les Arabes et la sécurité
d'Israël 214(*). » Bref, elle tient ce
procès pour « un des événements constitutifs
majeurs de l'État d'Israël » 215(*).
États-Unis
Aux États-Unis, les séquences filmées du
procès exercent une grande influence sur l'opinion publique. Deux
raisons expliquent cela. D'une part, la société Capital Cities
qui filme le procès a son siège à New York. De l'autre,
les images quotidiennes des audiences entrent facilement dans des foyers
américains pour la plupart déjà équipés d'un
récepteur de télévision.
Comme l'affirme le professeur Jeffrey Shandler dans l'ouvrage
qu'il consacre à la manière dont les États-Unis
télévisent l'holocauste : « Les diffuseurs
américains ont assuré une couverture
télévisée du procès Eichmann plus large que
n'importe quelle autre nation ne l'a fait » 216(*). Quelles étaient la
fréquence et la durée de ces émissions ? Redonnons la
parole à Jeffrey Shandler : « Si des diffuseurs ont
présenté au maximum une heure de séquences du
procès par jour pendant le déroulement des audiences, la
plupart ont fait beaucoup moins 217(*). » Ces émissions
rencontraient-elles un grand succès ? Toujours selon Shandler,
elles « attiraient de larges audiences et suscitaient beaucoup
d'intérêt » 218(*).
La place particulière que la télévision
occupe dans la couverture médiatique du procès aux
États-Unis n'empêche cependant pas les autres médias de ce
pays de couvrir eux aussi largement les sessions du tribunal 219(*).
Cette large couverture du procès aurait
entraîné, comme le note l'historienne Françoise Ouzan dans
son livre sur les Américains juifs, « de multiples
conséquences aux États-Unis » 220(*). Dans son ouvrage
déjà cité sur l'évaluation de la place du
génocide dans la société américaine, l'historien
Peter Novick arrive à la conclusion que « l'aspect le plus
important du procès Eichmann est que, pour la première fois, ce
que nous appelons désormais l'Holocauste ait été
présenté à l'opinion américaine comme une
entité à part entière, distincte de la barbarie nazie en
général » 221(*).
République fédérale d'Allemagne
Le quatuor de chercheurs qui a quantitativement comparé
la couverture de presse de quatre procès liés à
l'holocauste se fonde sur un article de 1961 pour affirmer que, contrairement
à ce que l'on pourrait penser, « après Israël,
c'est en Allemagne de l'Ouest que l'on a accordé la plus grande
attention au procès Eichmann » 222(*). [notre traduction] À
leurs yeux, comme ils le notent dans cette étude déjà
évoquée : « Le fait que les journaux allemands
aient temporairement envoyé leurs propres correspondants à
Jérusalem prouve qu'ils avaient perçu l'importance de ce
procès 223(*). » [notre traduction]
En RFA, la couverture médiatique du procès ne se
confond cependant pas avec celle de la presse écrite.
Indépendamment du rôle joué par la radio, Jean-Paul Bier
insiste sur l'importance de la couverture de la télévision. Comme
le signale le germaniste belge dans l'ouvrage pionnier qu'il consacre à
la place du génocide dans l'idéologie de ce pays :
« Durant tout le procès, la TV allemande rendit
compte de celui-ci à raison d'une demi-heure deux fois par
semaine 224(*). » Ces nouvelles données
semblent crédibiliser les allégations de Devin O. Pendas de
l'université de Chicago selon lesquelles « 95 %
d'Allemands [...] avaient suivi le procès
Eichmann » 225(*).
Un tel retentissement entraîne d'inévitables
conséquences. Comme le note Hannah Arendt dans son reportage sur la
banalité du mal : « il n'y a aucun doute qu'en
Allemagne plus qu'ailleurs le procès Eichmann eut des
conséquences d'une grande portée » 226(*). Celles-ci se manifestent
avant tout dans le domaine de la justice -- plus particulièrement en ce
qui concerne l'arrestation et le jugement d'autres criminels nazis.
Comme le souligne de manière frappante Simon Wiesenthal
dans son autobiographie : « au lendemain du procès
d'Eichmann, l'Allemagne commença à se pencher sur les crimes
nazis avec une conscience professionnelle aussi irréprochable que celle
avec laquelle ils avaient été
commis » 227(*). Mais ce procès a aussi des retombées
dans d'autres domaines -- comme dans l'enseignement par
exemple 228(*).
France
Aucune étude n'examine à notre connaissance la
portée du procès Eichmann en France. Notre perception de sa
couverture médiatique se résume jusqu'ici à la
présence sur place d'au moins une demi-douzaine d'envoyés
spéciaux et à l'achat de quelques séquences filmées
par la télévision. Autant dire qu'elle ne soutient pas la
comparaison avec celle des trois autres pays étudiés ici.
Trois sources soulèvent pourtant un coin du voile qui
recouvre sa couverture médiatique dans l'Hexagone. La nouvelle
publication du reportage de Joseph Kessel présente les onze articles que
l'envoyé spécial de France-Soir signe du 12 avril au 16
juillet 1961 229(*). Le livre d'Annette Wieviorka sur le procès
mentionne incidemment quelques articles parus à son sujet dans le
journal Le Monde 230(*). Bien qu'elle fasse de l'aveu même de son
auteur « simplement écho à quelques articles de la
presse de langue française », la revue de presse
que le journaliste Albert Stara publie sans tarder dans le périodique du
CDJC éclaire quelque peu les premières semaines de cette
couverture 231(*).
Cette revue de presse mérite quelque attention.
Quelles sont les objectifs d'Albert Stara -- en son temps
également secrétaire général des Amis de la
République française en Israël ? Comme il l'explique
lui-même dans son introduction, il entend avant tout
« offrir au lecteur un tableau sommaire, mais quand même
édifiant des réactions des divers secteurs de l'opinion qui,
par-delà la multiplicité des tendances et des positions
politiques ou philosophiques, a témoigné d'une égale
sensibilité frémissante devant l'évocation de la
carrière meurtrière d'Eichmann, des atrocités et des
horreurs qui portent sa signature » 232(*).
Parvient-il à prouver l'existence d'une certaine
unanimité au sein de la presse francophone ? Comme il le note en
conclusion, même s'il est « parfaitement conscient des
lacunes de [son] tour d'horizon », celui-ci suffira,
espère-t-il, « à rendre sensible l'unanimité
qui s'est faite en France sur le procès Eichmann par la voix des
journaux qui témoignent des sentiments de leur public »
233(*).
Son argumentation suscite quelques commentaires. Annette
Wieviorka a montré que L'Humanité -- le quotidien du
Parti communiste français -- ne calquait pas ses prises de position sur
celles des autres organes de presse. Le prétendu consensus des journaux
français n'entraîne pas pour autant l'assentiment de leur
lectorat. Somme toute, comme Albert Stara le reconnaît lui-même,
son échantillon est beaucoup trop modeste pour être
représentatif.
Quelle que soit la largeur du consensus médiatique en
France, de nombreux obstacles empêchent le procès d'y avoir le
retentissement maximum. Peu après l'ouverture du procès, comme le
note l'historienne Annette Wieviorka dans l'ouvrage qu'elle lui a
consacré, l'envoyé spécial Jean-Marc Théolleyre
s'interroge à ce sujet dans les colonnes du journal Le
Monde : « Faut-il croire que tout conspire à
effacer ce procès de l'actualité ? Au moment où il
s'ouvrait le général de Gaulle prononçait une
conférence de presse, et les Russes envoyaient le premier homme
dans la lune [sic]. Aujourd'hui, voilà que Cuba retient de
nouveau l'attention de l'opinion, et qu'en Israël une sombre affaire
d'espionnage préoccupe les esprits. » 234(*)
Quelles sont les conséquences de l'affaire Eichmann en
France ? Elles se manifestent surtout dans le domaine culturel par la
sortie de nouveaux films et par la publication de nouveaux livres 235(*).
L'ouvrage que l'historienne et réalisatrice Claudine
Drame a récemment consacré aux représentations de la Shoah
au cinéma français apportent d'intéressantes
réponses à nos interrogations 236(*). À ses yeux,
l'année 1961 politiquement marquée en France non seulement par le
procès Eichmann mais aussi et surtout par la guerre d'Algérie se
caractérise au cinéma français par « une
résurgence d'une mémoire de Vichy, de la déportation et du
génocide » 237(*).
Ce contexte politique explique pourquoi Le Temps du
Ghetto, le premier long métrage de Frédéric Rossif,
sort en salles à la fin de cette année-là. Le
procès de Jérusalem influence aussi directement la
réalisation de ce film. Comme le souligne Claudine Drame dans le
même ouvrage en se référant tout particulièrement au
virage mémoriel que constitue le procès : « On
ne peut pas ne pas mettre ce tournant en relation avec l'initiative de
Rossif d'introduire dans son film -- qui est exactement contemporain de cette
actualité -- des témoignages de survivants 238(*). »
La résurgence mémorielle que Claudine Drame voit
poindre dans les films en France au tournant des années 1960 se double
d'une percée dans la littérature française. À
l'entendre, celle-ci « est encore plus nette »
239(*). Selon
différents décomptes, une vingtaine ou une trentaine de livres
sur Eichmann paraissent alors aussi en France et un peu partout dans le
monde 240(*). Dans
un article qu'il publie dans la revue du CDJC, Léon Poliakov s'interroge
à chaud sur les raisons de cette soudaine prolifération.
Après en avoir cherché les explications dans le mécanisme
de « la loi de l'offre et de la demande », l'avoir
replacée dans le contexte des succès littéraires
liés au génocide antérieurs à l'arrestation
d'Eichmann, l'historien finit par se demander si « les esprits
s'éveillent de leur illusoire quiétude, et commencent à
s'interroger » sur la destruction des Juifs 241(*).
Conclusion
La place que l'affaire Eichmann occupe dans le processus de
construction de la mémoire de la Shoah en France au début des
années 1960 dépend du retentissement qu'elle y a eu alors. Or, sa
portée dans l'Hexagone n'a jamais fait l'objet d'un examen
sérieux. La présente étude entend
précisément combler ce vide. Son retentissement en France
découle à la fois de l'ampleur de sa couverture médiatique
et du contexte spécifique dans lequel elle s'inscrit quand elle
éclate. En réalité, il résulte plutôt de
l'interaction entre ces deux facteurs.
Quelle est l'ampleur de la couverture médiatique de
l'affaire en France ? Hormis l'importance de celle dont les
rédacteurs zélés de la revue du CDJC s'acquittent, elle
nous échappe presque complètement. Comment justifier notre
méconnaissance ? L'absence de dépouillement de la presse ne
l'explique pas totalement. Une enquête contemporaine sur la portée
du procès comme il en existe ailleurs fait cruellement défaut
pour la France.
Cette méconnaissance n'empêche cependant pas tout
commentaire. Le graphique de sa couverture médiatique en France doit
présenter en réduction les mêmes pics que celui des autres
pays diversement touchés par cette affaire. L'identification de ces
apogées médiatiques ne pose aucune difficulté. L'annonce
de la capture d'Eichmann le 23 mai 1960, l'ouverture du procès à
Jérusalem le 11 avril 1961, le prononcé de la sentence le 15
décembre 1961 et l'exécution de celle-ci le 31 mai 1962 en
constituent en France comme partout les sommets médiatiques.
Les six articles partiellement reproduits dans la brochure de
propagande du ministère des Affaires étrangères
israélien, la demi-douzaine au moins de journalistes
dépêchés sur place pour couvrir le procès, la faible
quantité de séquences filmées achetées par la
télévision d'un pays où peu de ménages sont
déjà équipés d'un récepteur : tout
porte à croire que du point de vue quantitatif la couverture
médiatique de l'affaire en France ne soutient pas la comparaison avec
celle des trois autres pays étudiés ici.
L'environnement spécifique dans lequel cette affaire
s'inscrit quand elle éclate accentue cette différence. Au
tournant des années 1960, le contexte français est largement
dominé par la guerre d'Algérie (1954-1962). D'une part, elle
occupe la première page de l'« agenda politique ».
De l'autre, elle provoque un sursaut précoce mais
éphémère de la mémoire de la Shoah.
De même que l'annonce du putsch d'Alger en avril 1961
éclipse momentanément le procès Eichmann de la une des
journaux en France, le retentissement des péripéties dramatiques
liées à la fin de la guerre d'Algérie au début des
années 1960 a tendance à y étouffer celui de l'affaire.
Mais dans l'optique qui est la nôtre, la caractéristique
essentielle de ce contexte réside dans l'absence d'actes
antisémites perpétrés alors dans la métropole par
des néo-fascistes français prioritairement mobilisés par
l'Algérie française où ils ont trouvé un nouveau
bouc émissaire. Cette absence distingue encore davantage la France des
autres pays diversement touchés par cette affaire.
En RFA comme aux États-Unis où des incidents de
ce type se produisent, les groupes néo-nazis antisémites ajoutent
stratégiquement l'affaire Eichmann à des actions
déjà préparées et exagérément
médiatisées. Cette instrumentalisation de l'affaire sous les feux
des projecteurs y entraîne une augmentation automatique de son
retentissement. L'absence d'actes à caractère antisémite
au début des années 1960 rend impossible une amplification de ce
genre dans l'Hexagone.
La guerre d'Algérie et la pratique de la torture
raniment le souvenir des atrocités nazies chez les Juifs et les anciens
déportés de France avant que l'affaire Eichmann n'éclate
au grand jour. Comme le souligne l'historien Enzo Traverso dans son ouvrage sur
la mémoire du passé : « En France, la
mémoire d'Auschwitz et de Buchenwald a été un levier
puissant pour les mobilisations contre la guerre
d'Algérie 242(*). » De même, le souvenir de
massacres et autres cruautés SS incite ceux qui découvrent
l'usage de la torture en 1957 à se mobiliser contre elle 243(*).
Ces réminiscences du génocide justifient la
présence majoritaire de « radicaux juifs » dans les
rangs de la « résistance française » à la guerre
d'Algérie 244(*). Dans notre perspective, la conséquence
principale de l'engagement de l'immense majorité d'entre eux jusqu'en
1962 est qu'il les rend indisponibles, voire relativement imperméables
à l'affaire Eichmann.
Ce n'est pas le cas des combattants de la mémoire de la
Shoah de la première heure 245(*). Les Juifs français plutôt à
droite sur l'échiquier politique qui gravitent autour du CDJC sont au
contraire très sensibles à cette affaire et aux objectifs du
procès que leurs propres initiatives documentaires et éditoriales
contribuent à atteindre.
Des traces des camps de concentration et d'extermination
s'insinuent tellement dans certains films français qui sortent pendant
la guerre d'Algérie que les historiens Henry Rousso et Claudine Drame y
décèlent bien avant l'éclatement de l'affaire
Eichmann -- le premier, une « percée »
de la mémoire de la Seconde Guerre mondiale de 1958 à
1962 246(*) ;
la seconde, un « sursaut » mémoriel de
« la question des camps et de l'extermination » de
1955 à 1961 247(*). Dans notre optique, la caractéristique
essentielle de cette veine mémorielle de la Shoah survenue au
cinéma français dans le contexte de la guerre d'Algérie
est qu'elle touche précisément à sa fin lorsque l'affaire
Eichmann éclate.
En somme, le retentissement de l'affaire Eichmann en France
est d'autant plus faible que, dans le contexte de la fin de la guerre
d'Algérie qui mobilise et oppose néo-fascistes et
« radicaux juifs » français, aucun acte à
caractère antisémite ne vient comme ailleurs l'amplifier. Si de
pareils incidents lui servent de caisse de résonance
supplémentaire aux États-Unis et en RFA, leur absence a
plutôt tendance à l'insonoriser dans la France de la fin de la
guerre d'Algérie.
Or, le grand retentissement que cette affaire a eu aux
États-Unis et en RFA n'y entraîne pas pour autant un tournant
décisif dans leur processus d'élaboration de la mémoire de
l'holocauste. Comment le ferait-elle dès lors en France où sa
portée est nettement moins importante ? La place que d'aucuns lui
accordent aujourd'hui dans ce processus mémoriel en France
résulte visiblement d'une exagération et d'une
généralisation fondées sur les situations d'autres pays
diversement touchés par cette affaire.
Patrick Gillard, historien
* 1 Milan KUNDERA, Le
Rideau : essai en sept parties, Éditions Gallimard, Paris,
Collection « folio » n° 4458, 2006, pp.
180-181.
* 2 Ce travail s'inscrit dans
le cadre de recherches qui portent sur l'histoire de la mémoire de la
Shoah dans quatre pays : Israël, les États-Unis, l'Allemagne
et la France. Il doit beaucoup aux études d'autres chercheurs. Il a fait
l'objet de plusieurs relectures. Emmanuel Wathelet et les autres lecteurs qui
se sont pris au jeu trouveront ici le témoignage de notre gratitude.
* 3 Une remarque
préliminaire s'impose. Elle concerne la portée sémantique
exacte de l'expression «affaire Eichmann» dans notre étude. De
même que Peter Novick prend en compte le « prélude
angoissé et [l]es suites triomphales » des
opérations militaires, lorsqu'il évalue dans son ouvrage de
référence l'influence de la guerre des Six Jours sur le processus
de construction de la mémoire de l'holocauste aux États-Unis, les
événements antérieurs (la capture d'Eichmann, entre
autres) et postérieurs (son exécution, par exemple), intimement
liés au procès, entrent ici aussi en ligne de compte. (Peter
NOVICK, L'Holocauste dans la vie américaine, Éditions
Gallimard, Paris, 2001, p. 210) Aussi pour éviter toute confusion,
l'expression «procès Eichmann» et le mot
«procès» s'appliqueront-ils exclusivement aux audiences du
tribunal de Jérusalem en 1961. Par contre, la formule «affaire
Eichmann» et le vocable «affaire» recouvriront l'ensemble de la
période qui s'étend, procès compris, de la capture du
criminel nazi en mai 1960 jusqu'aux ultimes controverses au milieu des
années 1960 --même si ces dernières ne sont pas
traitées en tant que telles dans ces pages. Sur les limites
chronologiques de notre recherche, voir infra.
* 4 L'examen le plus
important de sa couverture de presse est celui qui a poussé, ainsi que
le note l'historien israélien Yosef Gorny dans son ouvrage
consacré à la relation complexe qui unit la Shoah à la
création d'Israël, « l'American Jewish Committee
[AJC] à suivre sur deux années (de l'enlèvement
d'Eichmann en mai 1960 à son exécution en juin 1962) les articles
publiés sur ce sujet dans la presse. Cette recherche portait sur
2 000 journaux et n'incluait pas la presse juive. » (Yosef
GORNY, Entre Auschwitz et Jérusalem. Shoah, sionisme et
identité juive, In Press éditions, Paris, 2003, p. 48) Pour
quelques commentaires sur les résultats de cette recherche, voir
ibid., pp. 49-52 ; Akiba A. COHEN, Tamar ZEMACH-MAROM,
Jürgen WILKE et Birgit SCHENK, The Holocaust and the Press : Nazi War
Crimes Trials in Germany and Israel, Hampton Press, Cresskill, 2002, p.
16. Sur l'AJC, une des plus anciennes organisations de défense des Juifs
américains, voir Naomi W[iener] COHEN, Not Free to Desist, The
American Jewish Committee 1906-1966, The Jewish Publication Society of
America, Philadelphia, 1972, XIII et 652 p.
* 5 Charles Y. GLOCK,
Gertrude J. SELZNICK et Joe L. SPAETH, The Apathetic Majority. A Study
Based on Public Responses to the Eichmann Trial, Harper & Row, New
York, 1966, XII et 222 p. « En 1962, une équipe de
psychologues sociaux étudia l'impact du procès Eichmann sur les
étudiants de l'université hébraïque de
Jérusalem. » (Amos ELON, Les Israéliens.
Portrait d'un peuple, Éditions Stock, Paris, 1972, p. 300) Sur les
résultats de cette étude, voir infra.
* 6 Charles Y. GLOCK,
Gertrude J. SELZNICK et Joe L. SPAETH, op. cit., p. 1.
* 7 Ibid., pp.
129-180. Pour des commentaires relativement critiques sur le travail de ces
chercheurs, voir Jeffrey SHANDLER, While America Watches : televising
the Holocaust, Oxford University Press, New York, 1999, pp. 127-128 ;
Françoise S. OUZAN, « La mémoire de la Shoah dans le
vécu des Juifs aux États-Unis jusqu'au procès Eichmann
(1945-1961) », dans Françoise S. OUZAN et Dan MICHMAN (dir.),
De la mémoire de la Shoah dans le monde juif, CNRS
éditions, Paris, 2008, pp. 308-309.
* 8 Charles Y. GLOCK,
Gertrude J. SELZNICK et Joe L. SPAETH, op. cit., p. 168. Voir aussi
Akiba A. COHEN, Tamar ZEMACH-MAROM, Jürgen WILKE et Birgit SCHENK, op.
cit., p. 17.
* 9 Charles Y. GLOCK, Gertrude
J. SELZNICK et Joe L. SPAETH, op. cit., p. 168. Pour une
interprétation diamétralement opposée, voir
Françoise S. OUZAN, loc. cit., pp. 308-309.
* 10 Charles Y. GLOCK,
Gertrude J. SELZNICK et Joe L. SPAETH, op. cit., pp. 168-169. Voir
aussi Judith E. DONESON, The Holocaust in American film, The
Jewish Publication Society, Philadelphia, 1987, p. 183. Sur les objectifs
du procès, voir infra.
* 11 Charles Y. GLOCK,
Gertrude J. SELZNICK et Joe L. SPAETH, op. cit., pp. 170-171. En
réalité, l'enquête menée par l'équipe de
l'université de Berkeley cherche avant tout à mesurer les effets
du procès dans le combat mené contre l'antisémitisme aux
États-Unis. De ce point de vue, la conclusion des trois chercheurs est
sans appel : « Que le procès Eichmann ait
remporté une bataille est discutable ; qu'il n'ait pas gagné
la guerre est certain. L'antisémitisme n'a pas encore disparu de la
société occidentale. » (ibid., p. 167)
[notre traduction]
* 12 Amos ELON, op.
cit., p. 300.
* 13 Ibid., p. 301.
* 14 Ibid.
* 15 Courriel de Cécile
LAUVERGEON, 18 mai 2009.
* 16 Ce n'est pas la seule
polémique en relation avec la Shoah qui éclate au début
des années 1960. Le thème du silence de Pie XII pendant le
génocide, repris et développé à partir de 1964 dans
la pièce Le Vicaire du dramaturge allemand Rolf Hochhuth,
déclenche lui aussi une vive controverse dans plusieurs pays. Pour plus
de détails sur cette polémique, voir Peter NOVICK, op.
cit., pp. 202-205.
* 17 Cet ouvrage a fait
l'objet d'une traduction en français par la suite : Hannah ARENDT,
Eichmann à Jérusalem. Rapport sur la banalité du
mal, Éditions Gallimard, Collection « folio
histoire » n° 32, Paris, 1997, XXX et 485 p.
* 18 Peter NOVICK, op.
cit., p. 190.
* 19 Sur la polémique
provoquée par la publication de ses écrits, voir Hannah ARENDT,
op. cit., pp. I-XI et 453-457 ; Elisabeth YOUNG-BRUEHL,
Hannah Arendt. Biographie, Calmann-Lévy, Paris, 1999, pp.
441-496 ; Peter NOVICK, op. cit., pp. 190-202 ; Shoshana
FELMAN, « Théâtres de justice : Hannah Arendt à
Jérusalem. Le procès Eichmann et la redéfinition du sens
de la loi dans le sillage de l'Holocauste », dans Les Temps
Modernes, vol. 56, n° 615-616, septembre-novembre 2001, pp. 23-74.
Voir aussi Yosef GORNY, op. cit., pp. 75-94.
* 20 Une biographe d'Arendt
prétend même que « presque toutes les études
portant sur l'holocauste publiées depuis 1963 se sont implicitement ou
explicitement référées à cette controverse, et aux
violentes passions qu'elle a déchaînées. (...) En
1969, un chercheur qui avait tenté de rassembler une bibliographie
exhaustive sur le cas d'Eichmann ne parvint qu'à maîtriser une
toute petite partie de la somme des publications américaines,
israéliennes et européennes qui s'y rapportaient. »
(Elisabeth YOUNG-BRUEHL, op. cit., p. 444)
* 21 En France, cette
polémique s'inscrirait donc plutôt dans le calendrier de la guerre
des Six Jours en 1967 que dans celui du procès à propos duquel
elle éclate.
* 22 Adversaire
déclaré des thèses défendues par Arendt, Le
Monde Juif publie dès 1964 un texte de Jacob Robinson, un des
adjoints du procureur général au procès Eichmann,
intitulé : « Les vertus des criminels et les crimes des
victimes. Réplique à Mme Hannah Arendt ». (Le Monde
Juif, vol. 19, n° 1 (36), janvier-mars 1964, pp. 21-33) En
1965, la revue du CDJC fait paraître un compte rendu du nouveau livre de
Robinson (And The Crooked Shall Be Made Straight. The Eichmann Trial,
the Jewish Catastrophe, and Hannah Arendt's Narrative -- Et le tordu sera
redressé. Le procès Eichmann, la catastrophe juive, et le
récit de Hannah Arendt) qui est signé par Robert M. W. Kempner,
ancien substitut du procureur général des États-Unis aux
procès de Nuremberg. (Le Monde Juif, vol. 20, n° 6
(40), septembre-décembre 1965, pp. 33-35) Et à la fin de
l'année 1966 -- soit au moment même où la version
française de l'ouvrage controversé d'Arendt voit le jour --,
Le Monde Juif signale à ses lecteurs que le CDJC se charge de
la traduction en français du livre de Robinson dont la sortie est
prévue au début de l'année 1967. (Le Monde Juif,
vol. 21, n° 10 (44), octobre-décembre 1966, p. 9)
* 23 Trois phases
chronologiques organisent notre travail et notre récit. La
première phase se limite au moment de l'annonce officielle du 23 mai
1960, la deuxième couvre la petite année de préparation du
procès (24 mai 1960 - 10 avril 1961), la troisième commence avec
l'ouverture du procès à Jérusalem et se termine avec
l'exécution d'Eichmann (11 avril 1961 - 31 mai 1962).
* 24 Leur analyse suscite
deux remarques préliminaires. D'une part, ne faudrait-il pas
plutôt parler de prise de conscience occidentale, voire à tendance
universelle ? Quelle est en effet notre connaissance du processus de prise
de conscience de la Shoah en Asie et en Afrique ? Hier comme aujourd'hui,
le génocide des Juifs d'Europe a en outre toujours été
nié par des individualités ou des groupes sociaux relativement
importants. D'autre part, comme le souligne le sociologue Maurice Halbwachs
dans son ouvrage de référence sur la mémoire
collective : « L'histoire peut se représenter comme
la mémoire universelle du genre humain. Mais il n'y a pas de
mémoire universelle. Toute mémoire collective a pour support un
groupe limité dans l'espace et dans le temps. » (Maurice
HALBWACHS, La Mémoire collective, Albin Michel, Paris, 1997, p.
137)
* 25 Annette WIEVIORKA,
Le Procès Eichmann, Éditions Complexe, Bruxelles, 1989,
p. 152. Wieviorka insiste aussi sur le fait que de nombreux autres vecteurs
jouent également un rôle important par la suite -- en particulier
à partir de 1979. (ibid., pp. 151-152)
* 26 Annette WIEVIORKA,
L'Ère du témoin, Plon, Paris, 1998, p. 81. Dans sa
récente monographie sur les Juifs américains, Françoise
Ouzan reprend presque mot pour mot l'affirmation de sa consoeur.
(Françoise OUZAN, Histoire des Américains juifs. De la marge
à l'influence, André Versaille éditeur, Bruxelles,
2008, pp. 144-145)
* 27 Idith ZERTAL, La
Nation et la mort. La Shoah dans le discours et la politique
d'Israël, Éditions La Découverte, Paris, 2004, p. 12.
En 2005, Zertal occupe à son corps défendant le devant de la
scène en France. À cette époque, Dieudonné M'Bala
M'Bala lui attribuait à tort la paternité de l'expression
controversée «pornographie mémorielle» que l'humoriste
avait utilisée pour qualifier la commémoration de la Shoah.
(Ariane CHEMIN, « L'historienne israélienne Idith Zertal
dément avoir parlé de «pornographie mémorielle»
pour la Shoah », dans Le Monde, 26 février 2005)
* 28 Julie MAECK,
Montrer la Shoah à la télévision de 1960 à nos
jours, Nouveau Monde éditions, Paris, 2009, p. 63.
* 29 Ibid., p. 25.
En tout cas, Maeck minimise l'importance du tournant mémoriel que le
procès aurait provoqué. Elle évoque quatre documentaires
allemands et français qui « vont participer avec le
procès Eichmann à l'amorce d'un réveil, encore timide et
incertain, de la mémoire du sort des Juifs pendant la Seconde Guerre
mondiale ». (ibid., p. 81)
* 30 Dalia OFER,
« Histoire, mémoire et identité : la Shoah en
Israël », dans Françoise S. OUZAN et Dan MICHMAN (dir.),
De la mémoire de la Shoah dans le monde juif, CNRS
éditions, Paris, 2008, p. 163. À quelques nuances près,
cette formulation est partagée par plusieurs autres chercheurs. Par le
journaliste Tom Segev : « Le procès Eichmann marqua
un tournant dramatique dans la relation des Israéliens au
Génocide. » (Tom SEGEV, Le Septième
million, Liana Levi, Paris, 1993, p. 423) Par le professeur de sciences
politiques Ilan Greilsammer : « Le procès Eichmann a
représenté une étape fondamentale dans la prise de
conscience [de la Shoah] des Israéliens. C'est un
tournant. » (Ilan GREILSAMMER, La Nouvelle histoire
d'Israël. Essai sur une identité nationale, Éditions
Gallimard, Paris, 1998, p. 278) Et enfin, par un collectif de quatre
auteurs : « Beaucoup regardaient le procès comme un
tournant dans leur relation à l'Holocauste ». (Akiba A.
COHEN, Tamar ZEMACH-MAROM, Jürgen WILKE et Birgit SCHENK, op.
cit., p. 32) [notre traduction] Pour une vue d'ensemble sur les textes
israéliens consacrés au procès Eichmann, voir Hannah
YABLONKA, « L'historiographie du procès Eichmann »,
dans L'historiographie israélienne de la Shoah 1942-2007. Revue
d'histoire de la Shoah, n° 188, janvier-juin 2008, pp. 339-362.
* 31 Anita SHAPIRA,
L'Imaginaire d'Israël. Histoire d'une culture politique,
Calmann-Lévy, Paris, 2005, p. 304.
* 32 Nicolas WEILL et
Annette WIEVIORKA, « La Construction de la mémoire de la Shoah
: les cas français et israélien », dans Les Cahiers de
la Shoah. Conférences et séminaires sur l'histoire de la Shoah,
Université de Paris I, 1993-1994, [n° 1], 1994, p. 165.
* 33 Idith ZERTAL, op.
cit., p. 132.
* 34 Ibid., p. 142.
* 35 Nathan GLAZER, Les
Juifs américains. Du XVIIe siècle à nos
jours, Calmann-Lévy, Paris, 1972, 291 p. La première
édition d'American Judaism est sortie en 1957 --
c'est-à-dire avant le procès.
* 36 Ibid., p. 243.
* 37 Peter NOVICK, op.
cit., 435 p.
* 38 Ibid., p. 181.
Certes, comme le note Novick dans la conclusion du chapitre qu'il consacre
à cette affaire : « Le procès Eichmann, avec
les controverses autour du livre de Hannah Arendt et la pièce de Rolf
Hochhuth, mit bel et bien fin à quinze années de quasi-silence
sur l'Holocauste dans le discours public américain. »
(ibid., p. 205) Sur ces deux controverses, voir supra.
* 39 Ibid., pp. 209
et 214. Pour Novick, le printemps 1967 qui précède la guerre des
Six Jours « marqua un tournant spectaculaire dans les relations
des Juifs américains avec Israël. De façon moins
spectaculaire, et moins dramatique, il marqua aussi une étape importante
dans le changement de leurs relations avec l'Holocauste. »
(ibid., p. 209) Mais, comme il le note toujours dans son ouvrage de
référence : « Pour ce qui concerne
l'Holocauste, et les relations établies par les Juifs Américains
entre Israël et l'Holocauste, on a peine à repérer un seul
moment décisif. Il nous faut examiner non plus simplement la guerre des
Six Jours, mais aussi celle du Yom Kippour, en 1973, ainsi que les
événements intérieurs [...] qui
renforcèrent l'impact de ces événements. »
(ibid., p. 211) Sur l'importance de la guerre de 1973 dans son
argumentation, voir ibid., pp. 214-216.
* 40 Françoise S.
OUZAN, loc. cit., p. 283, n. 2. Aux yeux d'Ouzan, Novick
répondrait « à un parti pris idéologique le
conduisant à accuser la communauté juive de faire «profil
bas» par rapport à la commémoration de la Shoah dans
l'après-guerre, de sombrer dans une prétendue
«amnésie», puis de tirer avantage des revendications ethniques
des années soixante pour faire valoir son statut de
victime ». (ibid.) Cette querelle idéologique
porte sur le quasi-silence des organisations juives américaines dans
l'immédiat après-guerre. Comme elle sort du cadre de la
présente étude, il ne nous appartient pas de tenter de la
vider.
* 41 Françoise S. OUZAN,
loc. cit., p. 284.
* 42 Ibid., p. 311.
Ce faisant, n'assimile-t-elle pas déclencheur et cause ? Dans un
ouvrage antérieur consacré aux Américains juifs, elle
qualifiait le procès de « tournant
historique ». (Françoise OUZAN, op. cit., p.
79)
* 43 Alan MINTZ,
« Du silence à l'évidence : interprétation
de la Shoah dans la culture américaine », dans
Françoise S. OUZAN et Dan MICHMAN (dir.), De la mémoire de la
Shoah dans le monde juif, CNRS éditions, Paris, 2008, p. 259. Mintz
s'y interroge sur les circonstances du déclenchement de ce
phénomène d'américanisation de l'holocauste :
« Comment et quand la Shoah cessa-t-elle d'être un centre
d'intérêt pour la communauté juive et mobilisa-t-elle
l'attention de l'ensemble de la nation américaine ? Il s'agit d'un
changement radical et les raisons en sont multiples. Certains
événements clés ponctuèrent ce changement :
le Journal d'Anne Frank en version filmée ou en pièce de
théâtre, le procès Eichmann, la guerre des Six Jours,
Holocaust, le mini-feuilleton télévisé de 1978 et
la création du musée du mémorial de la Shoah des
États-Unis. Il se produisit aussi de vastes changements en profondeur
dans la conscience populaire et dans les forces sociales, ce qui permit
à la Shoah de passer de la périphérie au centre de
l'intérêt. » (ibid., pp. 257-258) Mintz
constate enfin que « la façon dont la Shoah réussit
à percer des strates d'isolationnisme américain n'est pas
simple » ; à ses yeux, la clé de la question
ne réside pas dans le procès Eichmann mais « dans
la puissance du matériau culturel et sa diffusion sous forme de livres,
pièces de théâtre, films et émissions de
télévision ». (ibid., p. 263)
* 44 Akiba A. COHEN, Tamar
ZEMACH-MAROM, Jürgen WILKE et Birgit SCHENK, op. cit., VIII et
184 p.
* 45 Donald BLOXHAM,
Genocide on Trial. War Crimes Trials and the Formation of Holocaust History
and Memory, Oxford University Press, Oxford, 2005, XIX et 273 p.
* 46 Akiba A. COHEN, Tamar
ZEMACH-MAROM, Jürgen WILKE et Birgit SCHENK, op. cit., pp.
26-27 ; Donald BLOXHAM, op. cit., pp. 134-135. Comme pour
Israël, il y aurait donc ici aussi unanimité dans la
communauté historique.
* 47 Donald BLOXHAM, op.
cit., p. 135.
* 48 David WEINBERG,
« France », dans David S. WYMAN et Charles H. ROSENZVEIG
(dir.), The World Reacts to the Holocaust, The Johns Hopkins
Univeristy Press, Baltimore, 1996, p. 22.
* 49 Julie MAECK, op.
cit., p. 54.
* 50 Annette WIEVIORKA,
Déportation et génocide. Entre la mémoire et
l'oubli, Hachette Littératures, Paris, Collection
« Pluriel Histoire », 2003, pp. 19-22 -- première
édition : Plon, Paris, 1992 ; Annette WIEVIORKA, « La
construction de la mémoire du génocide en France »,
dans Des usages de la mémoire. Le Monde Juif. Revue d'histoire de la
Shoah, vol. 49, n° 149, septembre-décembre 1993,
pp. 23-38 ; Nicolas WEILL et Annette WIEVIORKA, loc. cit.,
pp. 163-191 ; Annette WIEVIORKA, « Shoah : les
étapes de la mémoire en France », dans Pascal BLANCHARD
et Isabelle VEYRAT-MASSON (dir.), Les Guerres de mémoires. La France
et son histoire. Enjeux politiques, controverses historiques, stratégies
médiatiques, Éditions La Découverte, Paris, 2008, pp.
107-116.
* 51 Annette WIEVIORKA,
Déportation... op. cit., p. 19.
* 52 Nicolas WEILL et Annette
WIEVIORKA, loc. cit., p. 182.
* 53 Annette WIEVIORKA,
« Shoah... » loc. cit., p. 110.
* 54 Sylvie LINDEPERG et
Annette WIEVIORKA, Univers concentrationnaire et génocide. Voir,
savoir, comprendre, Mille et une nuits, Paris, 2008, p. 78.
* 55 Annette WIEVIORKA,
Le Procès... op. cit., p. 9. Pour une version
légèrement différente du texte de cette
déclaration, voir Tom SEGEV, op. cit., p. 386.
* 56 Annette WIEVIORKA, Le
Procès... op. cit., pp. 9 et 153, n. 1.
* 57 Hugh TREVOR-ROPER,
« Behind the Eichmann Trial », dans Sunday Times,
Londres, 9 avril 1961 -- cité par Idith ZERTAL, op. cit., p.
150. C'est Ben Gourion « et lui seul qui a autorisé et
supervisé le processus tout entier : le long, patient processus,
l'audacieuse capture du criminel dans un pays lointain, son enlèvement
et son transfert clandestins à travers la moitié de la
planète. Cette initiative du Premier ministre était si
personnelle et si privée que l'establishment israélien tout
entier en fut saisi de surprise. » (ibid.)
* 58 Tom SEGEV, op.
cit., p. 387.
* 59 Sur la capture
d'Eichmann en Argentine, voir d'abord Isser HAREL, La Maison de la rue
Garibaldi, Éditions Robert Laffont, Paris, 1976, 299 p. Voir
aussi Hannah ARENDT, op. cit., pp. 380-394 ; Tom SEGEV, op.
cit., pp. 383-386.
* 60 Idith ZERTAL, op.
cit., p. 148. À cette époque, Ben Gourion avait d'autres
chats à fouetter : « Les années 1950
étaient pour lui la décennie de l'édification et de la
consolidation de l'infrastructure de l'État, en l'occurrence avec l'aide
de l'argent allemand, de l'«incorporation des exilés», de la
construction d'une armée et de la défense du statut d'Israël
comme État légitime parmi les autres
États. » (ibid.)
* 61 Ibid.
* 62 Alain SALLES,
« La CIA savait dès 1958 où se cachait Eichmann mais ne
l'avait pas dit aux Israéliens », dans Le Monde, 9
juin 2006. Pour plus de détails sur l'inaction des différents
services de renseignement, voir Simon WIESENTHAL et Joseph WECHSBERG, Les
Assassins sont parmi nous, Éditions Stock, Paris, 1967, pp.
137-139 ; Annette WIEVIORKA, Le Procès... op. cit., pp.
14-15 ; Tom SEGEV, op. cit., pp. 384-385 ; Fabrizio CALVI,
Pacte avec le diable. Les États-Unis, la Shoah et les nazis,
Éditions Albin Michel, Paris, 2005, pp. 206-207. En outre, les criminels
nazis n'ont pas tous été arrêtés. À l'heure
actuelle, « il y en aurait encore un millier en
Europe ». (François CORNU, « Nazis, la
dernière traque », dans Le Monde, 4 décembre
2005)
* 63 Idith ZERTAL, op.
cit., p. 136. Voir aussi Tom SEGEV, op. cit., pp. 386-387. En
1961, le journaliste d'origine autrichienne Wolfgang von Weisl, cofondateur du
sionisme révisionniste, exprime son opinion dans le numéro
spécial que la revue du CDJC consacre au procès. Au moment de la
déclaration de Ben Gourion, écrit-il, « un
enthousiasme sans bornes régna en Israël. » (Le
Monde Juif, vol. 16, n° 24-25, mai-juin 1961, p. 68) Membre du
Comité d'action sioniste mondial et de l'Exécutif mondial du
Herout en Israël, acquis par conséquent lui aussi aux idées
de la mouvance dite révisionniste, I. Benari donne également son
opinion dans cette revue : « À la
fin de mai 1960, la nation [israélienne] (ou plutôt sa
section européenne) était électrisée par l'annonce
dramatique faite par Ben Gourion de la capture d'Eichmann, de la
décision de le faire comparaître devant un Tribunal
israélien, et de le faire juger par des juges juifs, pour ses crimes
commis contre le peuple juif. » (ibid., p. 72) Ouvrons
une parenthèse ! La publication dans Le Monde Juif des
contributions de ces deux adeptes du sionisme révisionniste prouve que
l'équipe du CDJC « était [alors] assez
proche de cette sensibilité politique » plutôt
à droite sur l'échiquier. (Philippe BOUKARA, « Justin
Godart et le sionisme. Autour de France-Palestine », dans
Annette WIEVIORKA (dir.), Justin Godart. Un homme dans son siècle
(1871-1956), CNRS Éditions, Paris, 2004, p. 206) S'il fallait une
preuve supplémentaire de cette étroite proximité
idéologique, le lecteur pourrait la trouver dans l'éloge de
Zéev Jabotinsky, le chef historique du sionisme révisionniste,
que Le Monde Juif publie au milieu des années 1960. (John M.
MACHOVER, « Un héros juif : Zéev
Jabotinsky », dans Le Monde Juif, vol. 20, n° 3-4 (38),
septembre 1964 - mai 1965, pp. 73-91)
* 64 Eichmann in the
World Press, Israel Ministry for Foreign Affairs, Division Information,
Jérusalem, 1960, VIII + 80 p. L'enlèvement et le procès
d'Eichmann, c'était une aubaine pour l'État hébreu. Comme
le confia un jour le général Marshall aux rédacteurs de la
revue du CDJC : « Ce procès est un bonheur pour
Israël ». L'argumentation de cet historien américain
qui avait son franc-parler mérite d'être citée dans sa
totalité : « Si Eichmann avait été abattu en
Argentine, ç'aurait été une sensation mondiale pour 24
heures. Et ensuite, ce serait fini. Si l'Argentine n'avait pas protesté
contre la capture d'Eichmann, 30 ou 40 journalistes tout au plus seraient venus
à ce procès. Mais à cause du tapage qui a
été soulevé autour de cette capture, la plainte de
l'Argentine au Conseil de Sécurité, de la rupture des relations
diplomatiques, à cause de tous ces détails secondaires, l'opinion
publique a été alertée. Et c'est une chance. »
(Le Monde Juif, vol. 16, n° 24-25, mai-juin 1961, p.
70) Pour des précisions sur la plainte de l'Argentine, voir Annette
WIEVIORKA, Le Procès... op. cit., pp. 20-21.
* 65 Eichmann... op.
cit., p. VII.
* 66 Des opinions
divergentes -- voire franchement opposées -- y apparaissent incidemment
lorsque certains journalistes les combattent dans leurs propres argumentations
en faveur de l'initiative d'Israël.
* 67 Eichmann... op.
cit., p. VII.
* 68 Ibid., pp.
11-14. Les journaux en question sont respectivement : Le Journal du
Parlement, La Croix, Le Monde, Le Populaire de
Paris et Libération. À titre de comparaison, 19
extraits concernent des articles parus dans la presse israélienne
(ibid., pp. 22-37), 15 des articles parus dans la presse
américaine (ibid., pp. 55-66) et 13 des articles parus dans la
presse ouest-allemande (ibid., pp. 66-72).
* 69 Le Monde Juif,
vol. 16, n° 24-25, mai-juin 1961, p. 2. Sur « Le dossier
Eichmann » publié par le CDJC, voir Le Monde
Juif, vol. 15, n° 21-22, juin 1960, pp. 1-67. Ce dossier
spécial aborde les points suivants : « Qui est
Eichmann ? Eichmann et la «solution finale». Eichmann et son
activité vus par ses collaborateurs. Eichmann et son activité vus
par l'un de ses interlocuteurs juifs. Pièces relatives à
l'activité d'Eichmann et de son réseau dans différents
pays subjugués par le IIIe Reich. Eichmann et les camps de la
mort. » (ibid.) La réaction du CDJC ne
s'arrête cependant pas en si bon chemin. « Peu
après, le matériel de ce numéro [spécial],
complété par d'autres documents, était repris dans un
volume de grande diffusion publié conjointement par le CDJC et les
Éditions Buchet-Chastel (Corréa). » (Le Monde
Juif, vol. 16, n° 24-25, mai-juin 1961, p. 2)
* 70 Pour Gorny, l'affaire
Eichmann en est alors encore à son niveau juridique. « Au
cours des années 1960-1964, le débat sur cette affaire s'est
déroulé en trois phases et à trois niveaux : 1) le
niveau juridique où l'on a débattu de la légalité
de l'enlèvement et de la compétence d'Israël à juger
Eichmann au regard du droit international ; 2) le niveau moral portant sur
le verdict et l'exécution de la sentence ; 3) le niveau national
après la tempête soulevée par le livre de Hannah
Arendt ». (Yosef GORNY, op. cit., p. 47) Ce dernier
niveau n'entre pas en ligne de compte dans notre étude. Sur la
justification de notre choix, voir supra.
* 71 Annette WIEVIORKA,
Le Procès... op. cit., p. 21. Pour plus détails sur
« la polémique internationale et la résolution de
l'ONU », voir ibid., pp. 19-21.
* 72 Eichmann... op.
cit., p. 14.
* 73 Ibid., pp.
12-13. Le journaliste qui s'exprime dans l'édition du 9 juin 1960 du
journal Le Populaire de Paris défend lui aussi cette position.
(ibid., p. 14)
* 74 Seul un
dépouillement systématique de la presse française
contemporaine de l'affaire fournirait un corpus d'articles assez
représentatif. Sur les raisons qui ont motivé notre choix de ne
pas entreprendre ce genre de dépouillement, voir supra.
* 75 Peter NOVICK, op.
cit., p. 181.
* 76 Tom SEGEV, op.
cit., p. 390.
* 77 Ibid., pp.
389-394 ; Elisabeth YOUNG-BRUEHL, op. cit., p. 431. Voir aussi
Yosef GORNY, op. cit., pp. 52-75. La plaquette éditée
par le ministère des Affaires étrangères israélien
reproduit exclusivement l'opinion de journalistes du monde entier qui
réclament à la suite de Ben Gourion le jugement d'Eichmann
à Jérusalem.
* 78 À ce stade de la
procédure pénale, ne serait-il pas plus indiqué de parler
de sa préparation plutôt que de son instruction ? En effet,
comme le rappellent les historiennes Lindeperg et Wieviorka :
« Le tout nouveau droit israélien est d'inspiration
anglo-saxonne. À la différence du droit continental, le juge
d'instruction n'existe pas. L'instruction se déroule très
largement devant le tribunal. » (Sylvie LINDEPERG et Annette
WIEVIORKA, op. cit., pp. 84-85)
* 79 Dès l'ouverture
du procès en avril 1961, « la polémique
déclenchée par l'annonce de l'enlèvement et de la mise en
jugement s'éteint ». (Annette WIEVIORKA, Le
Procès... op. cit., p. 117)
* 80 L'enthousiasme qui
domine en Israël au moment de l'annonce de Ben Gourion ne fait pas long
feu. « Des considérations politiques et
morales » expliquent les « grands
changements » que l'on constate dans « l'attitude
de l'opinion publique juive, d'une part, et de la presse israélienne, de
l'autre ». (Le Monde Juif, vol. 16, n° 24-25,
mai-juin 1961, pp. 69 et 68) Les « incertitudes et les
interrogations », qu'elles font naître, provoquent
bientôt « un certain raidissement de l'opinion publique
israélienne », à tel point que c'est finalement un
sentiment de colère qui règne en Israël lorsque le
procès s'ouvre. (ibid., pp. 69 et 73) Pour plus de
détails sur ces changements d'attitude, voir les contributions de W. von
Weisl et I. Benari dans le numéro spécial que la revue du CDJC
consacre en 1961 au procès Eichmann. (ibid., pp. 68-78)
* 81 Sur la guerre
d'Algérie, voir Benjamin STORA, Histoire de la guerre
d'Algérie 1954-1962, Éditions La Découverte, Paris,
2006, 122 p. Sur « les guerres dans la guerre
(1960-1961) » et « la guerre et la
société française (1955-1962) » en
particulier, voir ibid., pp. 55-72.
* 82 Hannah ARENDT, op.
cit., p. 425. Sur les différents procès organisés en
France depuis la Libération, voir Annette WIEVIORKA, Le
Procès... op. cit., pp. 140-141.
* 83 Anita SHAPIRA, op.
cit., p. 308. En réalité, cette loi visait plus les
collaborateurs juifs que les nazis eux-mêmes. « Avant la
capture d'Eichmann, des dizaines de Juifs avaient été poursuivis
en Israël dans le cadre de cette loi. » (Peter NOVICK,
op. cit., p. 199)
* 84 Sur Gidéon Hausner,
voir Tom SEGEV, op. cit., p. 397.
* 85 Wieviorka insiste sur
le côté « puissamment novateur » du
procès. À ses yeux, « toutes les
«premières fois» s'y rassemblent. » (Annette
WIEVIORKA, L'Ère... op. cit., p. 81) Sur le
procès-spectacle lui-même, voir infra.
* 86 Sylvie LINDEPERG et
Annette WIEVIORKA, op. cit., p. 78.
* 87 Annette WIEVIORKA,
L'Ère... op. cit., p. 84. Segev estime que « Ben
Gourion avait deux objectifs : Rappeler au monde qu'en raison du
Génocide, il était contraint de soutenir le seul État juif
existant. Imprégner le peuple juif, les jeunes surtout, des
leçons du Génocide. » (Tom SEGEV, op.
cit., p. 388)
* 88 Dalia OFER,
« Israel », dans David S. WYMAN et Charles H. ROSENZVEIG
(dir.), The World Reacts to the Holocaust, The Johns Hopkins
Univeristy Press, Baltimore, 1996, p. 873.
* 89 Au-delà du
jugement de l'inculpé, le procès Eichmann était toutefois
« censé corriger les effets dévastateurs du
[procès] précédent » --
c'est-à-dire celui de Rudolf Israel Kastner. (Idith ZERTAL,
op. cit., p. 126) Sur l'affaire Kastner qui sort des limites de
la présente étude, voir ibid., pp. 112-126 ; Tom
SEGEV, op. cit., pp. 307-351.
* 90 Idith ZERTAL, op.
cit., p. 153. Le sort du criminel nazi semble constituer un
prétexte dès le départ. La priorité, c'est de faire
du procès de Jérusalem celui du génocide. Dépassant
le « rôle précis d'Eichmann », l'acte
d'accusation de Gidéon Hausner s'étend d'ailleurs volontairement
« à l'ensemble de la campagne
d'extermination ». (Tom SEGEV, op. cit., p. 403)
* 91 Tom SEGEV, op.
cit., p. 388.
* 92 Ibid.
* 93 Idith ZERTAL, op.
cit., p. 139. « Deux semaines seulement avant son annonce
à la Knesset, [Ben Gourion] était encore un dirigeant
politique contesté, critiqué et sur la
défensive ». (ibid.) Maintenant que
l'étape de formation de l'État d'Israël
« arrivait à son terme, que la société
israélienne était plus diversifiée et divisée, que
Ben Gourion lui-même arrivait à la conclusion de son mandat et que
son régime était de plus en plus contesté, le temps
était venu de lancer un grand projet de construction de la conscience
nationale. » (ibid., p. 148) Est-il superflu de
rappeler que Ben Gourion, rattrapé par les rebondissements de l'affaire
Lavon qui mine la vie politique israélienne depuis le milieu des
années 1950, quittera définitivement le pouvoir en
1963 ? Pour un aperçu de ce scandale politique, voir Ilan
GREILSAMMER, op. cit., pp. 311-317.
* 94 Tom SEGEV, op.
cit., p. 389. Sur « le contrôle de la
mémoire », voir aussi Idith ZERTAL, op. cit.,
p. 138. Ainsi, après avoir accusé Ben Gourion
« de vouloir effacer la mémoire du
génocide » dans les années 1940 et 1950, lui
reprochait-on désormais « de transformer le procès
Eichmann en procès-spectacle destiné à nourrir le mythe
fondateur de la Shoah ». (Anita SHAPIRA, op. cit., p.
315)
* 95 Nicolas WEILL et Annette
WIEVIORKA, loc. cit., p. 179.
* 96 « Aux
alentours de 1965, la cohésion nationale n'était plus ce qu'elle
avait été pendant les premières
années » de l'existence de l'État hébreu.
(Abba EBAN, Mon pays : l'épopée d'Israël
moderne, Éditions Buchet Chastel, Paris, 1975, p. 181)
* 97
« Fossé entre la nouvelle classe moyenne des
villes et la vieille élite rurale, née du mouvement kibboutz.
Fossé entre ces deux catégories et le Lumpenproletariat
des taudis et des faubourgs. Fossé entre la population qui avait
été élevée en Europe -- et leurs enfants
sabras -- et les immigrants orientaux avec leurs préceptes
de piété, leurs clans, leurs traditions familiales. Fossé
des générations : les jeunes nés au soleil, sous le
vaste ciel, étaient attirés par une conception plus simple de
l'existence, moins tourmentée, mais aussi plus superficielle
intellectuellement, que celle des premiers pionniers. Et enfin, le fossé
entre les sabras, très réalistes, et les Juifs de la
Diaspora, plus sentimentaux, plus compliqués, plus introvertis mais
aussi plus créateurs. » (ibid.) Pour
une version légèrement écourtée de
l'énumération d'Abba Eban, voir Annette WIEVIORKA, Le
Procès... op. cit., p. 16 ; Nicolas WEILL et Annette
WIEVIORKA, loc. cit., p. 179.
* 98 « Au
cours de l'été 1959, des émeutes éclatèrent
à Wadi Salib, un quartier pauvre de Haïfa peuplé
d'immigrants du Maroc ; puis elles se répandirent dans d'autres
localités. Pour la première fois, depuis le début de
l'immigration massive en provenance des pays arabes, la suprématie de la
classe dirigeante ashkénaze, menée par le Mapai, était
menacée. » (Tom SEGEV, op. cit., p. 389)
* 99 Ilan GREILSAMMER, op.
cit., p. 251. Pour plus de détails sur ces clivages, voir
ibid., pp. 251-276.
* 100 Tom SEGEV, op.
cit., p. 393.
* 101 Hannah ARENDT,
op. cit., p. 22. Voir aussi Idith ZERTAL, op. cit., p. 154.
* 102 L'expression est
reprise dans le titre d'un article que Le Monde publie le 21 juin
1960. (Annette WIEVIORKA, Le Procès... op. cit., pp. 29 et 154,
n. 6) Ce procès avait effectivement pour but de réparer les
manquements des procès de Nuremberg à l'encontre des Juifs.
(Dalia OFER, « Israel... » loc. cit.,
p. 873)
* 103 Dalia OFER,
« Israel... » loc. cit., pp. 873-874.
* 104 Nicolas WEILL et Annette
WIEVIORKA, loc. cit., p. 179.
* 105 Comme l'historien
Léon Poliakov, par exemple, qui pronostique en 1961 que
« le procès Eichmann permettra de combler les lacunes qui
subsistent encore dans nos connaissances sur le déroulement de la
«solution finale» ». (Le Monde Juif, vol. 16,
n° 24-25, mai-juin 1961, p. 98)
* 106 Idith ZERTAL, op.
cit., p. 152.
* 107 Hannah ARENDT,
op. cit., pp. 13-14. À entendre les historiennes Lindeperg et
Wieviorka, Arendt aurait quitté le procès dès le 7 mai
1961 -- soit moins d'un mois après son ouverture le 11 avril.
(Sylvie LINDEPERG et Annette WIEVIORKA, op. cit., p. 86)
L'envoyée spéciale du New Yorker semble pourtant de
retour sur place en juin 1961, après une visite éclair à
Bâle -- sans doute chez son ami Karl Jaspers. (Elisabeth YOUNG-BRUEHL,
op. cit., p. 669, n. 7) Cet aller retour explique sans doute pourquoi
Lawrence Douglas indique que la philosophe juive allemande couvre le
procès pendant « dix semaines » et qu'elle
le quitte « trois semaines » avant que le
témoin Eichmann n'entre vraiment en lice. (Lawrence DOUGLAS, The
Memory of Judgment. Making Law and History in the Trials of the Holocaust,
Yale University Press, New Haven, 2001, p. 180) Au cours du même
été 1961, Hannah Arendt et son second mari, Heinrich
Blücher, en profitent, il est vrai, pour revoir l'Italie et la Sicile.
(Elisabeth YOUNG-BRUEHL, op. cit., p. 436) En tout cas, son
départ prématuré de Jérusalem n'est guère
une surprise. Hormis les journalistes allemands qui
« sont presque tous restés »
jusqu'à la fin, note le poète Haïm Gouri à la date du
19 mai 1961 dans son journal, « la plupart des
journalistes étrangers sont repartis ».
(Haïm GOURI, La Cage de verre [Journal du Procès
Eichmann], Éditions Albin Michel, Paris, 1964, p. 87) Par contre,
le poète israélien suit le procès presque de bout en bout.
À la date du 2 mai dans son journal, Gouri reconnaît toutefois
qu'il a été « absent du Tribunal pendant quelques
jours ». (ibid., p. 45)
* 108 Christian DELAGE,
La Vérité par l'image. De Nuremberg au procès
Milosevic, Éditions Denoël, Paris, 2006, p. 243 ;
Lawrence DOUGLAS, op. cit., p. 98. Plusieurs estimations allant de 350
à 600 circulent sur le nombre de journalistes présents dans la
salle du tribunal. Quoi qu'il en soit exactement, il semble y en avoir eu au
moins plusieurs centaines pendant les moments forts du procès.
* 109 Sylvie LINDEPERG et
Annette WIEVIORKA, op. cit., p. 77.
* 110 Nicolas WEILL et
Annette WIEVIORKA, loc. cit., p. 180. De fait, Hausner
« confie à Rachel Auerbach, historienne et
survivante du ghetto de Varsovie [...] le soin de dresser une liste de
témoins parmi lesquels il opère ses choix : «des
enseignants, des maîtresses de maison, des artisans, des
écrivains, des paysans, des commerçants, des ouvriers et des
médecins, des fonctionnaires et des
industriels ». (ibid.) Pour Segev,
« Hausner avait privilégié les témoins
célèbres dont on connaissait déjà
l'histoire » . (Tom SEGEV, op. cit., p. 400) Sur le
rôle d'Auerbach, voir ibid. pp. 399-400.
* 111 Pour plus de
détails sur les préparatifs du procès, voir Tom SEGEV,
op. cit., pp. 397-405 ; Annette WIEVIORKA, Le
Procès... op. cit., pp. 23-33 ; Sylvie LINDEPERG et Annette
WIEVIORKA, op. cit., pp. 80-88.
* 112 Le Monde
Juif, vol. 16, n° 24-25, mai-juin 1961, pp. 1-2. Sur les
différentes publications que le CDJC consacre à l'affaire, voir
supra.
* 113 Ibid., p. 2.
« Aussi, des journalistes et correspondants de presse,
des cinéastes, des écrivains, des reporters de radio et de
télévision de nombreux pays se précipitèrent-ils
aussitôt dans les bureaux du CDJC et demandèrent-ils des documents
et photos concernant Eichmann. » (ibid.) Le Monde
Juif publie aussi la liste des « principaux organes
de la presse française » ainsi que les noms de
certains journalistes de radio et de télévision et de
cinéastes étrangers « qui eurent recours au
CDJC ». (ibid.)
* 114 Ibid., p. 4.
Dans l'historique qu'il dresse pour le vingtième anniversaire de la
création du CDJC en 1963, Michel Mazor, alors directeur des archives du
Centre, rappelle que « le CDJC, après avoir eu
des conférences dans ses locaux avec le chef de la police judiciaire
d'Israël, M. Selinger, a fourni, pour l'instruction du procès, de
nombreux documents originaux, prouvant la responsabilité directe
d'Eichmann dans la déportation des Juifs des pays de
l'Ouest ». (Le Monde Juif, vol. 18, n° 34-35,
juillet-décembre 1963, p. 51) Pour une note biographique sur Michel
Mazor, voir Annette WIEVIORKA, Il y a 50 ans. Aux origines du
mémorial de la Shoah, Mémorial de la Shoah, Paris, 2006, p.
13. Dans son réquisitoire inaugural, le procureur général
Hausner soulignera la contribution documentaire du CDJC. Sur ce point, voir
infra.
* 115 Le Monde Juif,
vol. 18, n° 34-35, juillet-décembre 1963, p. 51.
* 116 Léon POLIAKOV,
Bréviaire de la Haine. Le IIIe Reich et les Juifs,
Calmann-Lévy, Paris, 1960, XVI et 399 p. Déjà
préfacée par François Mauriac, la première
édition de ce livre sort en 1951.
* 117 Ibid.,
quatrième de couverture. Dans la note introductive à la
deuxième édition, Poliakov dit son espoir que le procès
complétera la connaissance du processus d'extermination des Juifs
d'Europe. (ibid., p. XVI)
* 118 Parue
« en plein procès Eichmann », la version
allemande de Si c'est un homme de Primo Levi intéresse
apparemment un large public. (Philippe MESNARD et Yannis THANASSEKOS (dir.),
Primo Levi à l'oeuvre. La réception de l'oeuvre de Primo Levi
dans le monde. Actes du colloque international des 12, 13 et 14 octobre 2006,
Bruxelles, Éditions Kimé, Paris, 2008, pp. 435 et 122) Ce
n'est pas le cas du film Judgment at Nuremberg du cinéaste
américain Stanley Kramer. La première mondiale de ce film
réalisé à partir d'un scénario d'Abby Mann a
pourtant lieu à Berlin le 14 décembre 1961 -- c'est-à-dire
au moment-même où les juges d'Eichmann s'apprêtent à
prononcer leur verdict. Alors qu'il était convaincu que le public
allemand serait intéressé par son film, « Kramer
reconnaît lui-même que l'accueil fut très
froid. » (Christian DELAGE, op. cit., p. 227) Pour plus
de détails sur ce film, voir ibid., pp. 225-232 ; Judith
E. DONESON, op. cit., pp. 87-107 ; Abby MANN, Jugement
à Nuremberg (Judgment at Nuremberg), Éditions Robert
Laffont, Paris, 1962, 222 p.
* 119 Raul HILBERG, La
Destruction des Juifs d'Europe, Librairie Arthème Fayard, Paris,
1988, 1103 p.
* 120 Raul HILBERG, La
Politique de la mémoire, Éditions Gallimard, Paris, 1996,
pp. 111 et 110. Lors de négociations antérieures avec un autre
éditeur, alors pressenti, Hilberg avait pourtant essayé en vain
d'attirer « son attention sur les grands titres de la
presse qui annonçaient la capture d'Adolf Eichmann par des agents
israéliens en Argentine. Il y aurait un procès,
insistai[t-il], et il serait dommage de ne pas tirer parti de
l'actualité en publiant l'ouvrage à
temps. » (ibid., p. 110)
* 121 Tom SEGEV, op.
cit., p. 418 ; Annette WIEVIORKA, Le Procès... op. cit.,
pp. 35 et 97. Il existe une divergence, somme toute accessoire, quant au nombre
exact de séances ou d'audiences du procès. Arendt dénombre
soit cent vingt et une, soit cent quarante-quatre séances alors que
Wieviorka ne comptabilise que cent quatorze audiences. (Hannah ARENDT, op.
cit., pp. 362 et 394 ; Annette WIEVIORKA, Le Procès... op.
cit., p. 97) Ces différences résulteraient-elles du fait
qu'il y avait deux audiences par jour ? (Amos ELON, op. cit., p.
301) Ou découleraient-elles plutôt de la prise en compte ou non de
« la semaine de l'entracte » dont parle Joseph
Kessel dans le reportage qu'il réalise pour France-Soir ?
Placée entre l'accusation (les dépositions des témoins) et
la défense d'Eichmann, cette « semaine de
repos » a lieu du 13 au 19 juin 1961 inclus. (Joseph KESSEL,
Jugements derniers. Le procès Pétain. Le procès de
Nuremberg. Le procès Eichmann, Éditions Tallandier, Paris,
2007, pp. 168 et 165-166 ; Haïm GOURI, op. cit., pp.
154 et 159-160 ; Annette WIEVIORKA, Le Procès...
op. cit., p. 94 ; Hannah ARENDT, op. cit., p.
362)
* 122 John M. Machover
rappelle cette référence faite à la documentation du
Centre dans le texte qu'il rédige pour le vingtième anniversaire
du CDJC. (Le Monde Juif, vol. 18, n° 34-35,
juillet-décembre 1963, p. 72) Procédé illégal,
Hausner soumet le projet de son texte à Ben Gourion qui demande
« trois corrections, toutes destinées à
protéger l'image de l'Allemagne de l'Ouest et à atténuer
la culpabilité du peuple allemand ». (Tom SEGEV, op.
cit., p. 408) C'est une constante dans les relations entre les deux pays
pendant les années 1950 et 1960 de voir Israël ménager la
RFA dont il attend beaucoup économiquement parlant. Pour plus de
détails sur cet aspect, voir ibid. pp. 401-402.
* 123 Tom SEGEV, op.
cit., p. 412. La profonde émotion ressentie n'empêche
cependant pas, ainsi que le note Gouri dans son journal à la date du 24
avril 1961, la vie de continuer dans l'État hébreu.
« Le pays continue à vivre, poursuit son mouvement, nuit
et jour, mais il l'accompagne, ce procès. Aucun signe extérieur
ne témoigne de son existence loin du «Beit Haam». Mais il
semble être dans l'air et dans l'eau, avoir déposé comme
une fine poussière sur les arbres et, alors qu'on le croit oublié
derrière le dos des gens, il se présente brusquement à
leur vue. C'est ainsi, et au lieu des foudres et du tonnerre, au lieu de cette
apocalypse que l'on attendait, la vie continue comme un miracle permanent.
» (Haïm GOURI, op. cit., p. 33) Parcourant Israël
à l'époque du procès, Wiesenthal se souvient
« avoir été choqué par l'indifférence
apparente des gens ». (Simon WIESENTHAL et Joseph WECHSBERG,
op. cit., p. 110)
* 124 Aux
États-Unis, l'attitude de la presse avait fondamentalement
évolué depuis l'annonce du 23 mai 1960. Selon les
résultats d'une enquête portant sur plus de mille
éditoriaux, ceux-ci étaient à 7 contre 3 opposés
à Israël à l'époque de la capture d'Eichmann alors
qu'un an plus tard, au moment de l'ouverture du procès à
Jérusalem, ils étaient à 10 contre 3 en faveur de
l'État hébreu. (Shlomo SHAFIR, Ambiguous Relations. The
American Jewish Community and Germany since 1945, Wayne State University
Press, Detroit, 1999, p. 226) Ces ratios confirment les informations
signalées plus haut selon lesquelles les médias
américains, au départ dans l'ensemble plutôt opposés
à l'initiative israélienne, assurent finalement une couverture
globalement bienveillante du procès. Comment expliquer leur retournement
d'attitude ? Novick fournit un élément de réponse
lorsqu'il reconnaît qu'« il est difficile de dire dans
quelle mesure les efforts des organisations juives pour présenter le
procès comme une mise en accusation du totalitarisme ont pu influencer
la couverture médiatique. » (Peter NOVICK, op.
cit., p. 189) Pour plus de détails sur ce point, voir
ibid., pp. 181-190.
* 125 Tom SEGEV, op.
cit., p. 398.
* 126 Annette WIEVIORKA,
L'Ère... op. cit., p. 96. Soutenant rétrospectivement
Arendt dans le différend qui l'opposait à Robinson, un des
adjoints du procureur Hausner, Wieviorka pense aussi « que pour
l'historien, la véritable richesse du procès ne réside pas
en l'apport de documents nouveaux [...] mais dans l'interrogatoire de
l'accusé, considéré d'abord, comme le veut le droit
anglo-saxon, comme un témoin et dans les
témoignages ». (Annette WIEVIORKA, Le
Procès... op. cit., pp. 29-30) Sur le différend
lui-même, voir Elisabeth YOUNG-BRUEHL, op. cit., pp. 466-470.
* 127 Au terme du
procès, « cent vingt et une personnes avaient comparu et
plusieurs centaines de documents avaient été
présentés. » (Tom SEGEV, op. cit., p.
416) « Presque tous les témoins étaient des
Israéliens ». (Hannah ARENDT, op. cit., p. 362)
« Quatre-vingt-dix d'entre eux étaient des survivants au
sens propre du terme, c'est-à-dire qu'ils avaient vécu en
captivité entre les mains des nazis. » (ibid.)
Sur cet aspect, voir aussi Tom SEGEV, op. cit., p. 416.
« Début mai 1961, [...] le ton des
témoignages a changé. Ce ne sont plus simplement des
récits de peur et d'humiliation. On plonge dans le meurtre, dans la mort
massive aux multiples méthodes. «L'horreur s'est installée
inévitablement», note Jean-Marc Théolleyre »
dans un papier que Le Monde publie le 3 mai 1961. (Annette WIEVIORKA,
Le Procès... op. cit., pp. 55 et 156, n. 1)
* 128 C'est aussi le cas de
l'Autriche, la Hollande, le Danemark, la Norvège, le Luxembourg,
l'Italie, la Grèce et l'URSS. (Hannah ARENDT, op. cit., p.
364)
* 129 Pour une note
autobiographique, voir Georges WELLERS, Un Juif sous Vichy,
Éditions Tirésias Michel Reynaud, Paris, 1991, pp. VI à
XIV -- il s'agit en réalité de la réédition de son
ouvrage : L'Étoile jaune à l'heure de Vichy : de
Drancy à Auschwitz, Fayard, Paris, 1973. Pour un regard
extérieur sur la carrière du témoin, voir Serge KLARSFELD,
« Spécialiste de l'histoire des camps de concentration Georges
Wellers est mort », dans Le Monde, 9 mai 1991.
* 130 Le Monde
juif, vol. 16, n° 24-25, mai-juin 1961, pp. 50 et 51. Les citations
qui suivent sont toutes tirées du texte que Wellers livre à chaud
à la revue du CDJC.
* 131 Ibid., p.
52. Sur les circonstances de ce drame et pour un extrait du bouleversant
témoignage de Wellers, voir Annette WIEVIORKA, Le Procès...
op. cit., pp. 68-69.
* 132 Le Monde juif,
vol. 16, n° 24-25, mai-juin 1961, p. 52.
* 133 Ibid., p. 50.
* 134 Ibid., p.
53.
* 135
« André Scemama, correspondant particulier du journal
Le Monde à Jérusalem note que la reprise du
procès se fait dans «une indifférence quasi totale» et
que «tant la presse que le grand public s'y intéressent à
peine». » (Annette WIEVIORKA, Le Procès... op.
cit., p. 105)
* 136 Pour des
précisions sur les différents chefs d'accusation, voir Hannah
ARENDT, op. cit., pp. 394-397.
* 137 Ibid., p.
400. « Le Tribunal condamne Adolf Eichmann, reconnu coupable pour
ses crimes commis contre le peuple juif, pour ses crimes commis contre
l'humanité, pour ses crimes de guerre, à la peine de
mort. » (Annette WIEVIORKA, Le Procès... op.
cit., p. 109)
* 138 Annette WIEVIORKA,
Le Procès... op. cit., p. 109 ; Hannah ARENDT, op.
cit., pp. 400-402.
* 139 Hannah ARENDT,
op. cit., p. 402. Sans compter celles qui proviennent de la famille du
condamné à mort, le président israélien
reçoit « des centaines de lettres et de
télégrammes du monde entier, réitérant l'appel
d'Eichmann à la clémence ». (ibid.)
* 140 Ibid., p.
403. « La Conférence des rabbins américains
réunis (qui représente le judaïsme réformé aux
États-Unis) » réclamait aussi la grâce
d'Eichmann. (ibid.) Pour plus de détails sur la composition et
les actions de ce groupe d'enseignants de l'université
hébraïque, voir Tom SEGEV, op. cit., pp. 423-427.
Pour une critique de l'argumentation de Martin Buber, voir Hannah ARENDT,
op. cit., pp. 405-407. En France également, des
personnalités telles que Jean Pierre-Bloch, Henry Torrès, Daniel
Mayer, Alain Bosquet, Joanna Ritt et Edmond Fleg s'opposent à
l'exécution d'Eichmann. Les journaux France-Observateur en
décembre 1961 de même que Le Monde et Combat en
mars 1962 leur avaient ouvert leurs colonnes pour qu'ils puissent exposer
publiquement les raisons de leur opposition. (Annette WIEVIORKA, Le
Procès... op. cit., pp. 112-114 et 159, n. 5 à 8) Pour
Gorny, l'affaire Eichmann atteint désormais à son niveau moral.
(Yosef GORNY, op. cit., p. 47)
* 141 Hannah ARENDT, op.
cit., p. 403.
* 142 Tom SEGEV, op.
cit., p. 428. Arendt explique de façon convaincante pourquoi
« la sentence fut exécutée avec une rapidité
vraiment extraordinaire ». (Hannah ARENDT, op. cit.,
pp. 403-404) Wieviorka insiste de son côté sur le fait
qu'« Eichmann sera le premier et le seul condamné à
mort et exécuté de l'histoire de l'État
hébreu ». (Annette WIEVIORKA, Le Procès... op.
cit., p. 25)
* 143 Comme le note I.
Benari dans son article consacré aux changements survenus dans la
société israélienne au lendemain de l'annonce du 23 mai
1960 : aux yeux de certains dirigeants juifs américains,
« le procès pourrait être le signal de la
résurrection d'un antisémitisme brutal, qui pourrait affecter le
statut des communautés juives dans le monde entier ».
(Le Monde Juif, vol. 16, n° 24-25, mai-juin 1961, pp. 72-73)
Le philosophe Karl Jaspers s'interrogeait « aussi sur le risque
qu'un procès israélien ne provoquât une nouvelle vague
d'antisémitisme si les ennemis d'Israël réussissaient
à faire d'Eichmann un martyr ». (Elisabeth YOUNG-BRUEHL,
op. cit., p. 431) Membre du groupe d'enseignants de
l'université hébraïque opposés à
l'exécution de l'ancien colonel SS, Hugo Bergmann était lui aussi
« persuadé que la sentence de mort
accroîtra[it] la haine dans le monde -- contre nous [les
Juifs] et contre d'autres ». (Tom SEGEV, op. cit., pp.
424-425)
* 144 Ainsi, le Premier
ministre Ben Gourion était-il suffisamment inquiet pour
« ordonner au Mossad de surveiller de près les incidents
antisémites au cours du procès ». (Peter NOVICK,
op. cit., p. 185)
* 145 Yosef GORNY, op.
cit., p. 49, n. 3.
* 146
L'antisémitisme n'a pas disparu du jour au lendemain après la
Libération. L'historienne Anne Grynberg a d'ailleurs consacré
toute une étude aux manifestations de ce phénomène dans la
France de l'immédiat après-guerre. (Anne GRYNBERG, « Des
signes de résurgence de l'antisémitisme dans la France de
l'après-guerre (1945-1953) ? », dans Survivre à la
Shoah. Exemples français. Les Cahiers de la Shoah, n° 5, 2001,
pp. 171-223) En 1960, « trente représentants
d'organisations néo-nazies de France » se
réunissent à Paris. Leur meeting s'ouvre par un discours
franchement antisémite. (Le Monde Juif, vol. 17, n° 30-31,
septembre-décembre 1962, p. 8) En 1957, des « agitateurs
néo-nazis [allemands] s'efforcent de revivifier
l'antisémitisme germanique en s'en prenant aux pierres mortuaires, dans
les cimetières juifs ». (Le Monde Juif, vol. 11,
n° 10 (77), mai 1957, p. 39) Les incidents à caractère
antisémite n'ont donc pas cessé après 1945, mais leur
ampleur n'avait jamais atteint un niveau comparable à celle de ceux qui
éclatent en 1960. Partis de Cologne dans les tout derniers jours de
l'année 1959, lorsque deux jeunes membres du plus grand parti
néo-nazi antisémite de la RFA profanèrent la synagogue
locale, des incidents à caractère antisémite
« se reproduisirent dans d'autres villes allemandes ; on en
rapporta quatre cents. Ce phénomène se propagea dans d'autres
pays du monde. » (Tom SEGEV, op. cit., p. 376) Le 10
janvier 1960, un grand rassemblement de protestation contre les récentes
manifestations antisémites (qui ont apparemment épargné la
France) réunit quelque dix mille personnes à Paris. (Le Monde
Juif, vol. 15, n° 20 (87), janvier-mars 1960, p. 33) Sur ce
rassemblement, voir aussi Annette WIEVIORKA, « Un lieu de
Mémoire et d'Histoire : Le Mémorial du Martyr juif
inconnu », dans Les Juifs entre la mémoire et l'oubli.
Revue de l'Université de Bruxelles, 1987, 1-2, p. 129. Sur
l'absence d'actes antisémites perpétrés alors en France,
voir infra.
* 147 Qui plus est, comme
le souligne Harel dans son récit détaillé de la capture
d'Eichmann dont il assurait le commandement : « la nouvelle
vague du nazisme donnait le plus grand poids à notre opération.
Capturer Eichmann et le juger en Israël, c'était opposer une
puissante contre-attaque au monstre nazi qui encore une fois relevait la
tête. » (Isser HAREL, op. cit., p. 51)
* 148 Simon WIESENTHAL et
Joseph WECHSBERG, op. cit., p. 13. Wiesenthal prétendait en
effet que « le procès d'Adolf Eichmann à
Jérusalem en 1961 fut le frein majeur à la croissance du
néo-nazisme en Allemagne et en Autriche. »
(ibid., p. 13) Quoi qu'il en soit, le procès relance à
coup sûr la chasse aux criminels nazis impunis : « Le
retentissement de ce procès dans le monde a encore
éveillé dans la conscience des peuples l'exigence de la punition
des criminels de la dernière guerre qui avaient échappé
jusqu'ici au châtiment et a ainsi grandement contribué à la
découverte et à la poursuite de plusieurs criminels
nazis. » (Pierre A. PAPADATOS, Le Procès
Eichmann, Librairie Droz, Genève, 1964, p. 104)
* 149 Le Monde Juif,
vol. 17, n° 30-31, septembre-décembre 1962, p. 24.
* 150 Pierre MILZA et Serge
BERSTEIN, Dictionnaire historique des fascismes et du nazisme,
Éditions Complexe, Bruxelles, 1992, p. 235. En Italie, le Movimento
sociale italiano (MSI) « exerce depuis l'immédiat
après-guerre un quasi-monopole sur les tendances
néo-fascistes ». Deux courants divisent toutefois le MSI
-- Mouvement social italien. C'est de la « gauche » de ce
parti que « va se détacher en 1956 une poignée
d'intransigeants rassemblés autour de Pino Rauti et du mouvement Ordine
nuovo d'orientation ouvertement néo-nazie ». (Pierre
MILZA, Les Fascismes, Éditions du Seuil, Paris, Collection
« Points Histoire » n° H147, 2001, pp. 479 et 482)
* 151 Milza attire notre
attention sur « les grandes batailles de rues des années
1960 et 1961 » dans lesquelles les néo-fascistes, les
antifascistes et les forces de l'ordre s'affrontent. (Pierre MILZA, op.
cit., p. 482)
* 152 Marc LAZAR, L'Italie
contemporaine de 1945 à nos jours, Éditions Fayard, Paris,
2009, p. 33.
* 153 Ibid.
* 154 Ibid.
* 155 Françoise S.
OUZAN, loc. cit., pp. 300-305. Pour un survol historique du
néo-fascisme américain, voir Pierre MILZA, op. cit., pp.
495-501.
* 156 Françoise S.
OUZAN, loc. cit., pp. 304-305. Otto Preminger réalise le film
Exodus en 1960 à partir du roman éponyme de Leon Uris.
Pour une analyse de ce film, voir Sara R. HOROWITZ, « The Cinematic
Triangulation of Jewish American Identity : Israel, America, and the
Holocaust », dans Hilene FLANZBAUM (dir.), The Americanization of the
Holocaust, The Johns Hopkins University Press, Baltimore, 1999, pp.
155-156.
* 157 Françoise S.
OUZAN, loc. cit., p. 303. La police locale empêche finalement le
déroulement de cette mini-manifestation. (ibid.) Le
« voyage de la haine » de Rockwell entend avant tout
répondre aux « freedom rides » [voyages de
la liberté] organisés à partir du mois de mai 1961 par les
militants du mouvement des droits civiques. Si ces derniers se déplacent
démonstrativement en bus, les quelques partisans de Rockwell voyagent
ostensiblement dans une Volkswagen bleue et blanche. Sur les
« voyages de la liberté », voir Pierre MELANDRI,
Histoire des États-Unis contemporains, André Versaille
éditeur, Bruxelles, 2008, p. 424. Par la suite, la projection
d'Exodus provoque des « émeutes
antisémites » à Tegucigalpa -- la capitale du
Honduras. (Le Monde Juif, vol. 17, n° 30-31,
septembre-décembre 1962, p. 18)
* 158 Sur
« le «rêve» de la
déségrégation et la crise de Little Rock »,
voir Pierre MELANDRI, op. cit., pp. 406-410.
* 159 Françoise S.
OUZAN, loc. cit., p. 299.
* 160 Ibid., p.
305.
* 161 Le dossier que la
revue du CDJC consacre en 1962 au néo-nazisme antisémite indique
que « l'exécution d'Eichmann a eu pour résultat en
Argentine l'intensification des incidents antisémites ».
(Le Monde Juif, vol. 17, n° 30-31, septembre-décembre
1962, p. 4) Dans sa somme sur les fascismes, Pierre Milza attire notre
attention sur le fait que « des manifestations antisémites
orchestrées par des néo-nazis ont eu lieu également au
Brésil en 1958 et surtout, après l'exécution d'Eichmann en
1962, en Argentine et en Uruguay ». (Pierre MILZA,
op. cit., p. 535)
* 162 Le Monde
Juif, vol. 17, n° 30-31, septembre-décembre 1962, p. 24.
* 163 « Au
cours de l'année 1961, le dirigeant du parti nazi américain,
George Lincoln Rockwell a émis des critiques sur le
«rôle» d'Israël, «l'équité» du
procès et «l'éthique» du judaïsme tandis que le
jugement de l'État juif occulte celui de l'inculpé, une tendance
partagée par ceux qui ont critiqué le
procès. » (Françoise S. OUZAN, loc. cit.,
p. 302)
* 164 Aux
États-Unis, « les médias braquèrent
[...] leurs projecteurs sur George Lincoln Rockwell, dont le minuscule
American Nazi Party réussit à provoquer des affrontements
largement couverts par la presse. » (Peter NOVICK, op.
cit., p. 180)
* 165 Si le moindre
incident à caractère antisémite s'était alors
produit en France, les rédacteurs de la revue du CDJC se seraient
empressés de le porter à la connaissance de leurs lecteurs. Or,
ils n'en font rien. Même le dossier, assorti d'une enquête
internationale, qu'ils consacrent spécialement dès 1962 au
phénomène du néo-nazisme antisémite reste
complètement muet à ce sujet. (Le Monde Juif, vol. 17,
n° 30-31, septembre-décembre 1962, pp. 1-42) La vague
antisémite qui déferle alors sur le monde entier semble
épargner la France. Selon l'avis autorisé d'Henry Bulawko
recueilli dans le cadre de la même enquête du CDJC,
« bien que la France ait été peu touchée par
le renouveau antisémite (l'extrême-droite activiste ayant
trouvé un autre bouc émissaire), il n'est pas exclu que la
confusion politique dont nous sommes témoins favorise à
brève échéance un tel mouvement. »
(ibid., p. 39) Depuis son retour des camps, Henry Bulawko n'a
jamais cessé « de s'occuper de multiples façons des
déportés ». Il a notamment animé et
présidé une amicale d'anciens déportés juifs de
France. (Annette WIEVIORKA, Déportation... op. cit., p. 171)
* 166 Anne GRYNBERG,
loc. cit., p. 210. L'antisémitisme y reste apparemment assez
stationnaire par la suite. Henry Rousso note effectivement que, si les
recherches de Béatrice Philippe sont dignes de foi,
« même le rapatriement progressif de près de
300 000 Juifs d'Afrique du Nord, entre 1956 et 1967, ne semble pas avoir
ravivé l'antisémitisme populaire » en France.
(Béatrice PHILIPPE, Être Juif dans la société
française. Du Moyen-âge à nos jours, Montalba, Paris,
Collection « Pluriel », 1981, pp. 389 et suiv. --
cité par Henry ROUSSO, Le Syndrome de Vichy (1944-198...),
Éditions du Seuil, Paris, 1987, p. 149)
* 167 Joseph ALGAZY, La
Tentation néo-fasciste en France de 1944 à 1965, Librairie
Arthème Fayard, Paris, 1984, p. 327. De fait, les succès des
néo-fascistes français semblent étroitement liés au
contexte de la guerre d'Algérie. « L'affaire
algérienne prend, à partir de 1957, le relais du poujadisme comme
terrain de culture du néo-fascisme français. »
(Pierre MILZA, op. cit., p. 509) « La fin de la guerre
d'Algérie marque le début du reflux de l'extrême droite
française. » (ibid., p. 510)
* 168 Des actes à
caractère antisémite sont toutefois à déplorer dans
la colonie entre 1955 et 1961. Leurs auteurs sont musulmans. (Benjamin STORA,
Les Trois exils. Juifs d'Algérie, Éditions Stock, Paris,
2006, pp. 135, 139-140, 148, 155-156 et 161) En 1961, des attentats de
l'Organisation de l'armée secrète (OAS) frappent aussi les Juifs
d'Algérie. (ibid., p. 162) Sur l'OAS, voir infra.
* 169 Lorsqu'il aborde la
question de l'antisémitisme des néo-fascistes français,
Algazy note que « la haine au présent à
l'égard des Arabes supplantait momentanément leurs sentiments
antijuifs qu'ils étaient obligés de refouler pour les besoins de
la cause et de l'heure ». (Joseph ALGAZY, op. cit.,
p. 235) Les Français partisans de l'indépendance de
l'Algérie étaient évidemment aussi dans le collimateur des
néo-fascistes.
* 170 Ibid., pp.
235 et 138. Dans les documents de l'OAS, « les Juifs
étaient absents comme objet d'aversion [et] d'incitation
à la haine ». (ibid., p. 235) Sur l'Organisation
de l'armée secrète, voir ibid., pp. 221-244.
« En fait, l'O.A.S. apparut comme une conséquence logique
de l'échec du putsch des généraux en Algérie, au
mois d'avril 1961. » (ibid., p. 233) Sur cette
tentative de putsch, voir infra. Sur la présence de Juifs dans
les rangs de l'OAS, voir Benjamin STORA, Les Trois... op. cit.,
pp. 156-157 et 163-165.
* 171 « Les
victimes du terrorisme O.A.S. en France furent des députés, des
maires, des journalistes, des hommes politiques, des officiers et des
intellectuels, tous anti-O.A.S. ou présumés anti-O.A.S. Le
général de Gaulle fut lui-même la cible d'une série
d'attentats qui échouèrent. » (Joseph ALGAZY,
op. cit., p. 237) Est-ce l'absence d'actes antisémites
alors en France qui pousse aussi l'intellectuel catholique Jacques Nantet
à faire erronément le lien, dans sa réponse à
l'enquête du CDJC sur le néo-nazisme antisémite, entre
« les manifestations néo-hitlériennes en Europe
Occidentale et les débordements de
l'O.A.S. » dans l'Hexagone ? (Le Monde
Juif, vol. 17, n° 30-31, septembre-décembre 1962, pp. 33-34)
* 172 Entre 1958 et 1968,
« le fascisme français n'est plus que l'aile minoritaire
d'une opposition nationale que dominent les courants réactionnaires
classiques ; y compris en Algérie où, parmi les mouvements
qui prospèrent entre 1958 et 1962, beaucoup conservent une
idéologie traditionaliste proche de celle de la révolution
nationale. » (Pierre MILZA, op. cit., p. 509)
« Tablant sur la crise algérienne, sur les slogans de
«l'Algérie française» et sur l'aide factieuse des
«ultras» et de l'O.A.S., [les néo-fascistes
français] ont cru que leur heure avait sonné, qu'ils allaient
enfin pouvoir réaliser leurs desseins politiques. »
(Joseph ALGAZY, op. cit., p. 327)
* 173 Christian DELAGE,
op. cit., pp. 235-236.
* 174 Sylvie LINDEPERG et
Annette WIEVIORKA, op. cit., p. 77.
* 175 Shandler en donne la
description la plus complète dans son ouvrage consacré à
la télédiffusion de l'holocauste aux États-Unis. (Jeffrey
SHANDLER, op. cit., p. 90) Manifestement impressionnée par les
mesures de sécurité prises par les autorités locales,
Arendt note dans son reportage que, « pendant le procès,
cette Beth Ha'am (Maison du Peuple) est entourée de hautes
barrières et gardée, du toit jusqu'au sous-sol, par des policiers
armés jusqu'aux dents. » (Hannah ARENDT, op.
cit., p. 13) La sécurisation du bâtiment frappe tellement
Kessel qu'il n'hésite pas à le comparer à un
« blockhaus ». (Joseph KESSEL, op. cit.,
p. 141)
* 176 Le Monde Juif,
vol. 16, n° 24-25, mai-juin 1961, p. 57.
* 177 Christian DELAGE,
op. cit., p. 243.
* 178 Haïm GOURI, op.
cit., p. 15.
* 179 Ibid.
« Au sous-sol est aménagée une salle de
presse, avec téléscripteurs, téléphones, circuit de
télévision intérieur, bar, restaurant. »
(Annette WIEVIORKA, Le Procès... op. cit., p. 35)
L'activité incessante et organisée qui règne dans cette
grande salle de presse n'a pas échappé à Kessel. (Joseph
KESSEL, op. cit., p. 203) Le procès étant
entièrement filmé, la régie est logée dans un
bâtiment extérieur. « En face du tribunal, dans les
étages supérieurs d'une banque, avait été
installé le studio où allait se trouver le
réalisateur. » (Christian DELAGE, op. cit., p.
242)
* 180 Jeffrey SHANDLER,
op. cit., pp. 90-91 ; Christian DELAGE, op. cit., p.
243. Sur l'absence de télévision nationale israélienne,
voir infra.
* 181 Tom SEGEV, op.
cit., p. 412.
* 182 Jacob ROBINSON,
And The Crooked Shall Be Made. The Eichmann Trial, the Jewish Catastrophe,
and Hannah Arendt's Narrative [Et le tordu sera redressé. Le
procès Eichmann, la catastrophe juive, et le récit d'Hannah
Arendt], The Macmillan Company, New York, 1965, p. 137 -- cité par
Christian DELAGE, op. cit., p. 275, n. 2. Les gens assistaient-ils
à une ou à plusieurs audiences ? « Une
minorité d'entre [eux] vint sûrement plusieurs fois, mais
l'on peut supposer que, dans l'ensemble, le public changeait tous les jours,
venant non seulement de Jérusalem mais aussi de l'ensemble du pays et de
l'étranger. » (ibid.)
* 183 Le 9 juillet 1961 --
le jour où commence le contre-interrogatoire d'Eichmann --,
s'étonne Gouri dans son journal du procès, « la
salle est bondée. (...) Atmosphère solennelle et
effrayante, qui rappelle le premier matin de ce procès, vieux de
déjà trois mois. » (Haïm GOURI, op. cit.,
p. 210) Pour une relation détaillée de ce
contre-interrogatoire, voir Joseph KESSEL, op. cit., pp. 199-219. Dix
jours plus tard -- le jour de la centième audience --, le poète
israélien manifeste encore son ébahissement devant l'affluence du
public : « La salle est pleine aujourd'hui jusqu'au dernier
siège. Jamais encore je ne l'avais vue aussi bondée. Je sais que
certains de ceux qui sont assis là ont fait la queue depuis deux heures
du matin pour obtenir des cartes d'entrée. » (Haïm
GOURI, op. cit., p. 232)
* 184 Annette WIEVIORKA,
Le Procès... op. cit., p. 40.
* 185 Christian DELAGE,
op. cit., p. 290. « Pour des raisons de
sécurité, en effet, seuls les journalistes et les invités
purent assister à l'audience ce matin-là. »
(ibid.) C'est au cours de cette séance qu'a lieu une
projection du film Nuit et Brouillard d'Alain Resnais. Sur cette
projection « singulière », voir Sylvie
LINDEPERG, Nuit et Brouillard. Un film dans l'histoire, Odile Jacob,
Paris, 2007, pp. 216-222.
* 186 Haïm GOURI, op.
cit., pp. 67 et 88.
* 187 Pour le grand public,
« il était devenu plus facile d'accéder au
tribunal, ce qui modifia notablement l'ambiance du
procès ». (Christian DELAGE, op. cit., p. 275)
Le 19 mai 1961, « en contemplant le public qui remplit les
travées de la salle et de la galerie, on a une coupe exacte de la
population israélienne. » (Haïm GOURI, op. cit.,
p. 88)
* 188 Si elles portent bien
sur les mêmes groupes socio-professionnels, les différentes
estimations en notre possession vont presque du simple au double. L'historien
Tom Segev, sur les chiffres duquel se fondent la plupart de ses homologues
français, compte « six cents journalistes étrangers
venus couvrir le procès ». (Tom SEGEV, op. cit.,
pp. 405 et 407) Par contre, l'avocat Pierre Papadatos ne dénombre que
« 350 correspondants de la presse
étrangère ». (Pierre A. PAPADATOS, op.
cit., p. 8)
* 189 Joseph KESSEL,
op. cit., p. 137. Ni Kessel ni Gouri ne tombent dans le piège.
Pour souligner le grand nombre de journalistes présents à
Jérusalem, ils utilisent tous les deux des comparaisons. Le premier qui
avait déjà suivi les grands procès d'après-guerre
en Allemagne note avec prudence qu'« il y en avait deux fois plus
qu'à Nuremberg où, pourtant, l'on avait vu, au banc des criminels
de guerre, Goering et Ribbentrop, le maréchal Keitel et Kaltenbrunner,
chef de la Gestapo. » (ibid.) Le second rapporte les
propos d'un ami officier de police qui lui aurait dit le 12 avril
1961 : « C'est la plus forte concentration de journalistes
qu'on ait jamais vue. Il y a ici davantage de journalistes qu'aux Nations Unies
le jour du discours de Khrouchtchev. » (Haïm GOURI, op.
cit., p. 15)
* 190 Certains en
Israël, comme un proche d'Hausner par exemple, pronostiquaient dès
le départ la défection rapide de nombreux journalistes
étrangers. « La plupart ne resteront qu'une semaine et
n'assisteront même pas au début du procès proprement
dit ». (Tom SEGEV, op. cit., p. 407)
* 191 Christian DELAGE,
op. cit., p. 275.
* 192 Amos ELON, op.
cit., p. 301 ; Tom SEGEV, op. cit., p. 412 ; Jeffrey
SHANDLER, op. cit., p. 91. Pour bon nombre d'historiens, comme Delage
par exemple, « c'est d'abord en écoutant la radio
nationale, Kol Yisroel («La voix d'Israël») que l'on pouvait
suivre les audiences en direct et en continuité ».
(Christian DELAGE, op. cit., p. 243)
* 193 Joseph KESSEL,
op. cit., p. 147. La RFA semble effectivement le pays qui
dépêche le plus grand nombre de reporters à
Jérusalem. (Akiba A. COHEN, Tamar ZEMACH-MAROM, Jürgen WILKE et
Birgit SCHENK, op. cit., p. 17) Alors que « la plupart
des journalistes étrangers sont repartis », souligne
Gouri à la date du 19 mai 1961 dans son journal, les journalistes
« allemands sont presque tous restés ».
(Haïm GOURI, op. cit., p. 87)
* 194 Résidant
à Jérusalem au moins d'avril à juillet 1961, Kessel y
couvre visiblement la plus grande partie du procès pour le compte de
France-Soir. (Joseph KESSEL, op. cit., pp. 7 et 228) La
durée du séjour en Israël des autres envoyés
spéciaux français nous échappe.
* 195 Le Monde
Juif, vol. 16, n° 24-25, mai-juin 1961, pp. 102 et 103. Bien qu'ils
ne soient pas qualifiés d'envoyés spéciaux, Jacques Roisel
et François de Montfort, apparemment présents sur place au
début du procès, livrent aussi leurs impressions à des
journaux de l'Hexagone -- le premier à La France Catholique, le
second à l'Est Républicain. (ibid., pp. 100-101
et 104)
* 196 Annette WIEVIORKA,
Le Procès... op. cit., pp. 35 et 105.
* 197 Jeffrey SHANDLER,
op. cit., pp. 83-132 ; Christian DELAGE, op. cit., pp.
235-245, 273-280, 289-296 ; Sylvie LINDEPERG et Annette WIEVIORKA, op.
cit., pp. 77-108.
* 198 Sylvie LINDEPERG et
Annette WIEVIORKA, op. cit., p. 78.
* 199 Pierre MELANDRI,
op. cit., p. 373. « En 1965, le pourcentage des
ménages disposant d'un récepteur atteint les 94 % et, chaque
jour, les Américains passent en moyenne plus de 5 heures devant le petit
écran. » (ibid., pp. 399-400)
* 200 Isabelle
VEYRAT-MASSON, Quand la télévision explore le temps.
L'histoire au petit écran 1953-2000, Librairie Arthème
Fayard, Paris, 2000, p. 42. « Le nombre de récepteurs
double tout de même d'année en année entre 1954 et 1967.
Alors qu'en 1953 le taux d'équipement des foyers est de 1 %, il
atteint 13 % en 1960 et 45 % en 1965. » (ibid., p.
44)
* 201 Christian DELAGE, op.
cit., p. 236.
* 202 Ibid.
* 203 Jeffrey SHANDLER,
op. cit., p. 91. Israël, où la télévision
nationale fait seulement ses premiers pas en 1968, ne fait donc pas partie de
ces trente-huit pays. (Akiba A. COHEN, Tamar ZEMACH-MAROM, Jürgen WILKE et
Birgit SCHENK, op. cit., p. 15)
* 204 Même le jour de
l'ouverture du procès, le 11 avril 1961, le journal Le Monde ne
lui consacre pas sa une. Ce jour-là, il « consacre son
éditorial à la réélection de Ngo Dinh Diem à
la présidence de la République du Vietnam (Sud), et le principal
article de sa première page à une conférence de presse du
général de Gaulle ». (Claude DELMAS,
Cuba : de la Révolution à la Crise des
fusées, Éditions Complexe, Bruxelles, 2006, p. 67) Sur la
conférence en question, voir infra.
* 205 Sur le premier vol
spatial habité autour de la Terre, voir par exemple Arthur CONTE,
L'Aventure européenne. De Louis XVI à Gagarine,
Librairie Plon, Paris, 1979, pp. 368-369.
* 206 Sur l'échec du
débarquement dans la baie des Cochons, voir Claude DELMAS, op.
cit., pp. 43-85.
* 207 Sur le putsch
d'Alger, voir Maurice VAÏSSE, Alger, le Putsch, Éditions
Complexe, Bruxelles, 1983, pp. 15-49.
* 208 Maurice VAÏSSE,
op. cit., p. 99. Sur la crise congolaise, voir Ludo DE WITTE,
L'Assassinat de Lumumba, Éditions Karthala, Paris, 2000,
415 p. Il serait intéressant de vérifier si cette crise fait
obstacle au retentissement de l'affaire Eichmann en Belgique, comme la guerre
d'Algérie le fait en France.
* 209 Amos ELON, op.
cit., p. 301.
* 210 Ce groupe de
chercheurs a étudié les couvertures de presse de quatre grands
procès : Nuremberg (1945), Eichmann (1961), Auschwitz (Francfort,
1964) et Demjanjuk (Jérusalem, 1986). Le lecteur qui souhaite
apprécier l'ampleur de la couverture de presse du procès Eichmann
en Israël consultera donc avantageusement leur ouvrage. (Akiba A. COHEN,
Tamar ZEMACH-MAROM, Jürgen WILKE et Birgit SCHENK, op. cit., pp.
17, 102 et 138) Le moment de mettre un point final à cette étude
coïncide avec l'ouverture, le 30 novembre 2009 à Munich, du nouveau
procès Demjanjuk. Son procès de 1986 ne fut qu'une mascarade. Sur
cette mise en scène fallacieuse, voir Tom SEGEV, op. cit., pp.
479-485.
* 211 Amos ELON, op.
cit., p. 301. « Un sondage des personnes à
l'écoute fut réalisé le premier jour du
procès : 60 pour 100 de tous les Juifs israéliens de plus de
quatorze ans avaient écouté au moins une des deux
audiences ; 38 pour 100 avaient suivi les deux, la plupart d'entre eux
pendant toute la durée de l'émission. »
(ibid.)
* 212 «
Lycéenne à l'époque », explique-t-elle,
« je peux témoigner à titre personnel que le
procès est un événement qui nous a fortement
influencés, moi et mes camarades. Bien que mon père ait servi
comme soldat en Europe pendant la Seconde Guerre mondiale, qu'il ait
travaillé avec des survivants juifs après la guerre et qu'il ait
publié un livre sur ses expériences de guerre, et bien que toute
sa famille ait été exterminée dans la Shoah, il n'en
parlait jamais à la maison. Le procès Eichmann fut donc ma
première rencontre avec les horreurs rapportées par les
témoins et retransmises en direct à la radio. »
(Idith ZERTAL, op. cit., pp. 158-159, n. 69)
* 213 Ibid., pp.
155-156.
* 214 Ibid., p.
156.
* 215 Ibid., p.
12.
* 216 Jeffrey SHANDLER,
op. cit., p. 95. Il s'agit comme pour les deux citations suivantes de
notre propre traduction.
* 217 Ibid., p.
93. Les images présentées aux téléspectateurs
américains résultaient en réalité de plusieurs
sélections ou filtres. « Les téléspectateurs
virent donc une sélection d'images filmées par [le
réalisateur Leo] Hurwitz, filtrées une première fois
à Jérusalem, une seconde fois par les «networks», qui
en proposèrent une nouvelle mise en intrigue spécialement
conçue pour une audience américaine. C'est à partir de ces
différents filtres qu'ils purent se faire une idée
d'Eichmann. » (Sylvie LINDEPERG et Annette WIEVIORKA, op.
cit., p. 108) Sur cet aspect, voir aussi Christian DELAGE, op.
cit., p. 240.
* 218 Jeffrey SHANDLER,
op. cit., p. 94. Il n'est donc pas très étonnant que bon
nombre de Juifs américains, comme Norman Finkelstein ou Stuart Eizenstat
par exemple, fassent remonter leurs premiers souvenirs de l'holocauste à
la retransmission télévisée des audiences de ce
procès. « Mon souvenir le plus lointain de
l'holocauste nazi est celui de ma mère, collée devant le poste de
télévision pour regarder le procès Eichmann (1961) quand
je revenais de l'école. » (Norman G. FINKELSTEIN,
L'Industrie de l'Holocauste : réflexions sur l'exploitation de la
souffrance des Juifs, La Fabrique éditions, Paris, 2001, p. 9)
« L'image télévisée d'un Eichmann
impénitent témoignant imperturbablement dans son box,
derrière des parois de verre à l'épreuve des balles,
constitua une des premières occasions pour les Américains
ordinaires, et pour moi-même, de se confronter directement à la
Shoah à travers le visage d'un de ses principaux
acteurs. » (Stuart E. EIZENSTAT, Une justice tardive.
Spoliations et travail forcé, un bilan final de la Seconde Guerre
mondiale, Éditions du Seuil, Paris, 2004, p. 27)
* 219 Jeffrey SHANDLER,
op. cit., pp. 96-97 et 127-128. Sur la couverture médiatique
dans l'ensemble bienveillante aux États-Unis, voir supra.
* 220 Françoise
OUZAN, op. cit., p. 79.
* 221 Peter NOVICK, op.
cit., p. 188.
* 222 Akiba A. COHEN, Tamar
ZEMACH-MAROM, Jürgen WILKE et Birgit SCHENK, op. cit., p. 17.
* 223 Ibid., p.
139. Non seulement les journalistes de la délégation allemande
sont les plus nombreux, mais ils restent aussi plus longtemps sur place que les
autres correspondants étrangers. Sur ces points, voir supra.
* 224 Jean-Paul BIER,
Auschwitz et les nouvelles littératures allemandes,
Éditions de l'université de Bruxelles, Bruxelles, 1979, p. 97, n.
1. L'auteur insiste : « Les moyens de communication de
masse, et en particulier la télévision, jouèrent un
rôle essentiel dans la mise en valeur de deux événements
qui rendirent à l'holocauste sa douloureuse actualité : le
procès Eichmann de Jérusalem en 1961 et le procès
d'Auschwitz à Francfort qui dura de décembre 1963 à
août 1965. » (ibid., p. 21 ) En outre le 11
avril 1961, jour d'ouverture du procès, la télévision
allemande diffuse le documentaire « Auf den Spuren des Henkers. Adolf
Eichmann, réalisé par Peter Schier-Gribowsky ».
(Julie MAECK, op. cit., p. 66)
* 225 Devin O. PENDAS,
« «Auschwitz, je ne savais pas ce que c'était». Le
procès d'Auschwitz à Francfort et l'opinion publique
allemande », dans Florent BRAYARD (dir.), Le Génocide
des Juifs entre procès et histoire 1943-2000, Éditions
Complexe, Bruxelles, 2000, p. 81.
* 226 Hannah ARENDT,
op. cit., pp. 32-33.
* 227 Simon WIESENTHAL,
Justice n'est pas vengeance. Une autobiographie, Éditions
Robert Laffont, Paris, 1989, p. 76. Pour plus de détails sur cet aspect,
voir Hannah ARENDT, op. cit., pp. 28-32.
* 228 « Le
procès Eichmann de 1961 et le procès d'Auschwitz
à Francfort en 1964 provoquèrent la revendication des
étudiants qui voulaient avoir des cours sur le nazisme, sur les
relations de l'Université et du Troisième Reich et sur le
comportement des enseignants durant cette époque. » (Jean
Paul BIER, op. cit., p. 97)
* 229 Joseph KESSEL, op.
cit., pp. 129-221.
* 230 Annette WIEVIORKA,
Le Procès... op. cit., passim. L'historienne examine aussi la
couverture du journal L'Humanité « constamment
critique à l'égard du procès Eichmann ».
(ibid., p. 120) Selon Wieviorka, « aucun article
concernant le procès Eichmann ne sera publié de façon
isolée. Tous seront assortis soit d'un commentaire, soit d'un autre
article sur la complicité de Bonn avec les anciens criminels nazis, et
sur la complicité sur ce point du gouvernement
israélien. » (ibid.) Pour plus de détails
sur la couverture de la presse communiste, voir ibid., pp. 120-126.
* 231 Le Monde Juif,
vol. 16, n° 24-25, mai-juin 1961, pp. 100-105.
* 232 Ibid., p. 100.
* 233 Ibid., p.
105.
* 234 Le Monde, 19
avril 1961 -- cité par Annette WIEVIORKA, Le Procès... op.
cit., p. 117. Cette conférence de presse du 11 avril, au cours de
laquelle le général de Gaule annonce la fin de la colonisation de
l'Algérie, est à l'origine du putsch du 21 avril 1961. (Maurice
VAÏSSE, op. cit., pp. 87-88 ; Benjamin STORA,
Histoire... op. cit., p. 58) Sur le putsch d'Alger, le premier vol
spatial habité et les événements de Cuba, voir
supra. Pour le reste, il s'agit d'Israel Beer. En 1961, il est
accusé d'espionnage au service des Soviétiques. Condamné
à quinze ans de prison, il y meurt en 1966. (Le Monde Juif,
vol. 16, n° 24-25, mai-juin 1961, p. 76 ; The New
Encyclopædia Britannica, Encyclopædia Britannica, Chicago,
vol. 2, 2005, p. 45)
* 235 L'historienne Esther
Benbassa n'a toutefois pas tort d'indiquer que « la
réaction de la judaïcité française au procès
Eichmann annonçait l'ampleur et la tonalité qu'allait prendre son
identification à Israël » par la suite. (Esther
BENBASSA, La Souffrance comme identité, Fayard, Paris, 2007, p.
199)
* 236 Claudine DRAME,
Des films pour le dire. Reflets de la Shoah au cinéma
1945-1985, Éditions Metropolis, Genève, 2007, pp.
187-233.
* 237 Ibid., p.
214. Sur l'importance de la guerre d'Algérie dans ce contexte, voir
ibid., pp. 169-170 et 213-215. Sur cette résurgence
mémorielle, voir infra.
* 238 Ibid., p.
231. Pour plus de détails sur les liens entre le procès et le
film, voir ibid., pp. 229-232. Trois autres films -- dont La Cage
de verre de Philippe Arthuys et Jean-Louis Lévi-Alvarès --
qui sortent entre 1964 et 1967 « se situent très nettement
dans le sillage du procès Eichmann » mais sont trop
tardifs pour entrer en ligne de compte ici. (ibid., pp. 237-238 et
247-252)
* 239 Ibid., p. 214.
Sur cette percée en littérature, voir infra.
* 240 Annette Wieviorka se
fonde sur une publication israélienne pour faire remarquer
qu'« entre l'annonce de l'enlèvement d'Eichmann et sa
condamnation à mort, une vingtaine d'ouvrages sont publiés en
Allemagne, Angleterre, aux États-Unis, en Israël, en France, en
Italie, en Pologne ou en Hongrie. » (Arieh SEGAL,
« Books around the Eichmann Trial », dans Yad Vashem
Bulletin, n° 11, Jérusalem, avril-mai 1962, pp. 29-35 --
cité par Annette WIEVIORKA, Le Procès... op. cit., pp.
118 et 159) Léon Poliakov signale pourtant dès le début du
procès qu'une trentaine d'« ouvrages consacrés
à Eichmann [...] se trouvent dans la bibliothèque du
CDJC ». (Le Monde Juif, vol. 16, n° 24-25,
mai-juin 1961, p. 98)
* 241 Le Monde
Juif, vol. 16, n° 24-25, mai-juin 1961, p. 94. Responsables de la
percée mémorielle que Claudine Drame décèle dans la
littérature, les succès littéraires en question sont
respectivement : André SCHWARZ-BART, Le Dernier des
Justes, Éditions du Seuil, Paris, 1959, 345 p. ;
Édouard AXELRAD, L'Arche ensevelie, Éditions Julliard,
Paris, 1959, 351 p. ; Anna LANGFUS, Le Sel et le soufre,
Éditions Gallimard, Paris, 1960, 311 p. André Schwarz-Bart
obtient le prix Goncourt 1959 pour son premier roman. Anna Langfus
remporte le prix Charles Veillon ; elle remportera, elle aussi, le prix
Goncourt par la suite.
* 242 Enzo TRAVERSO, Le
Passé, mode d'emploi : histoire, mémoire, politique, La
Fabrique éditions, Paris, 2005, p. 85. Traverso donne deux
exemples : « Alain Resnais réalisait Nuit et
Brouillard en 1955, comme un rappel de l'histoire. Témoignant en
1960 [dans un procès], Pierre Vidal-Naquet comparait les
meurtres commis en Algérie par l'armée française aux
chambres à gaz d'Auschwitz où étaient morts ses
parents. » (ibid.) Pour une discussion sur la
« dimension mémoriale » de la guerre
d'Algérie, voir Henry ROUSSO, op. cit., pp. 87-94.
* 243 Sur le début
de la mobilisation contre la pratique de la torture en Algérie, voir
Benjamin STORA, Histoire... op. cit., p. 65. S'exprimant le 13
mars 1957, sous un pseudonyme, à propos d'un livre qui dénonce
les méthodes de l'armée française en Algérie,
Hubert Beuve-Méry, le fondateur du journal Le Monde,
écrit : « Dès maintenant, les Français
doivent savoir qu'ils n'ont plus tout à fait le droit de condamner dans
les mêmes termes qu'il y a dix ans les destructeurs d'Ouradour, et les
tortionnaires de la Gestapo. » (Benjamin STORA, La
Gangrène et l'oubli. La mémoire de la guerre
d'Algérie, Éditions La Découverte & Syros, Paris,
1998, p. 56) En Algérie, les bourreaux eux-mêmes se
réfèrent au nazisme. (Henri ALLEG, La Question, Les
Éditions de Minuit, Paris, 1958-1961, pp. 36 et 98)
* 244 Sur les faibles
effectifs de cette « résistance française », voir
Benjamin STORA, Histoire... op. cit., p. 66. Sur la forte
présence des « radicaux juifs » dans ses rangs, voir
Yaïr AURON, Les Juifs d'extrême gauche en mai 1968. Une
génération révolutionnaire marquée par la
Shoah, Éditions Albin Michel, Paris, pp. 60-64. « Un
grand nombre de juifs faisait également partie de la
«génération de la guerre d'Algérie». [...]
L'une des protagonistes de l'action clandestine contre la guerre
d'Algérie m'a dit un jour, note Auron : «Quatre-vingt
dix pour cent de ceux qui faisaient partie des réseaux clandestins
étaient juifs. Disons... Peut-être pas quatre-vingt dix pour cent
mais quatre-vingt cinq pour cent.» Même si ces propos paraissent
exagérés, il semble que la proportion de juifs dans ces groupes
ait été très élevée ».
(ibid., p. 64) L'auteur utilise volontairement l'expression «
radicaux juifs » et non « juifs radicaux » parce
que les premiers, à la différence des seconds,
« faisaient abstraction de leur
judéité ». (ibid., p. 25) Sur l'orientation
politique franchement à gauche des opposants à la guerre
d'Algérie, voir Benjamin STORA, La Gangrène... op. cit.,
p. 63.
* 245 Sur ces combattants
de la première heure, voir notre étude (à
paraître) : « La bataille entre Jérusalem et Paris
dans les années 1950 autour de la construction du Tombeau du martyr juif
inconnu dans la capitale française : un épisode
oublié de la lutte pour l'exercice du monopole de la mémoire de
la Shoah ».
* 246 Henry ROUSSO, op.
cit., pp. 253-254 et 245-247.
* 247 Claudine DRAME,
op. cit., pp. 316-317. À ses yeux, Nuit et Brouillard,
réalisé par Alain Resnais sur un texte de l'ancien
déporté Jean Cayrol, L'Enclos de l'ancien
déporté Armand Gatti et Le Temps du Ghetto de
Frédéric Rossif sont les films qui provoquent ce sursaut
mémoriel. (Claudine DRAME, op. cit., p. 118) La guerre
d'Algérie ne justifie pas à elle seule l'émergence de
cette veine mémorielle au cinéma. D'autres facteurs entrent aussi
en ligne de compte. L'assouplissement des règles pour devenir
cinéaste y joue un rôle non négligeable. Sur ces aspects,
voir Sylvie LINDEPERG, Les Écrans de l'ombre. La Seconde Guerre
mondiale dans le cinéma français (1944-1969), CNRS
Éditions, Paris, 1997, pp. 404-407.
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