La responsabilité des dirigeants en cas de procédure collective contre la société( Télécharger le fichier original )par Michel Justancia ILOKI Université de Poitiers, faculté de droit et des sciences sociales - DEA master recherche en droit privé fondamental 2005 |
B. La large autonomie reconnue au tribunalL'autonomie du tribunal compétent à statuer sur l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif se justifie doublement : quant à la sanction des dirigeants concernés et quant au montant de leur condamnation. 1. / Quant à la sanction des dirigeants concernés Qui sont les dirigeants concernés par l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif ? La catégorie des dirigeants visés obéit à une double limitation. La première ne soulève plus de difficultés : sont concernés les dirigeants des personnes morales de droit privé, quels que soient la nature de leur activité et le but recherché par ces dernières. Ainsi les dirigeants d'associations ou de syndicats sont mis sur le même pied d'égalité que les dirigeants des sociétés commerciales, ce qui montre bien que l'objectif de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif est de réparer le préjudice des créanciers. La délimitation de la catégorie des personnes morales de droit privé correspond logiquement au domaine d'application des procédures collectives. Mais peu importe que ces dirigeants soient des personnes physiques ou des personnes morales, sauf que dans ce dernier cas la responsabilité des personnes physiques représentants permanents peut être engagée dans les mêmes conditions58(*). La deuxième limitation mérite, elle, des explications approfondies dont l'effort ne nous appartient pas : la loi vise en effet les dirigeants de droit ou de fait, sans les définir. Par ailleurs se pose la question des anciens dirigeants. Les dirigeants même retirés de la personne morale à l'ouverture de la procédure collective peuvent néanmoins être sanctionnés s'ils étaient en fonctions au moment où a pris naissance la situation qui a conduit à l'insuffisance d'actif59(*). Cette solution évite que les dirigeants fautifs s'assurent l'impunité en abandonnant leur société en difficulté. Elle soulève cependant le problème de la preuve du lien de causalité entre leur gestion et l'insuffisance révélée éventuellement plusieurs années après.
L'article L. 651-2 du Code de commerce laisse au tribunal le pouvoir de décider ou non la condamnation d'un dirigeant fautif. Ce choix se prolonge même par la possibilité de sélectionner parmi les dirigeants celui ou ceux qu'il entend condamner au comblement du passif social (en prenant implicitement en compte notamment la solvabilité de chacun), mais à la condition que ces dirigeants aient contribué à la faute de gestion. La condamnation à combler le passif a un caractère facultatif. Même si les conditions de fond de l'action sont réunies, il appartient aux juridictions du fond de décider souverainement de prononcer ou non la condamnation60(*). C'est ainsi qu'une cour d'appel a pu décider, après avoir relevé des fautes de gestion intervenues dans un contexte particulier, en usant de son pouvoir souverain d'appréciation, de ne pas prononcer de sanction61(*). En 2001, 450 condamnations ont été prononcées sur 657 demandes de sanctions. En 2002, 431 condamnations ont été enregistrées sur 625 demandes62(*). Cette dernière précision, introduite par la loi du 26 juillet 2005, devrait impliquer que le jugement de condamnation fasse apparaître le rôle de chacun, sans se contenter de l'existence d'une faute commune. Lorsque plusieurs dirigeants sont condamnés, le tribunal peut, par une décision motivée, les déclarer solidairement responsables. Pour préparer sa décision, le président du tribunal peut charger le juge-commissaire ou un autre juge de lui établir un rapport sur la situation patrimoniale des dirigeants sociaux et des représentants permanents. Le juge désigné qui peut se faire assister de toute personne de son choix, peut alors obtenir communication de tout document ou information sur cette situation patrimoniale auprès des administrations et organismes publics, des organismes de prévoyance et de sécurité sociale ainsi que des établissements de crédit (C. com. Art. L. 651-4 et Décret. 2005, art. 318). Mais s'agissant d'une simple faculté pour le président du tribunal, il ne peut lui être reproché d'avoir statué en l'absence de ce rapport lorsqu'il n'avait pas désigné de « juge enquêteur »63(*). La reforme de 2005 a consacré une large autonomie du tribunal dans la détermination du montant de la condamnation.
2. / Quant au montant de la condamnation Le tribunal dispose d'une grande latitude dans la détermination du montant de la condamnation (en tenant compte implicitement, et contrairement aux principes de la responsabilité civile, de la gravité des fautes). Avant la reforme de 2005, il lui fallait simplement respecter le plafond de l'insuffisance d'actif telle qu'elle résultait de la gestion sociale antérieure au jugement d'ouverture et qu'elle était évaluée par le jugement de condamnation64(*). Même si elle ne se réduit pas à cela, la fonction réparatrice du dommage de l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif commande cette solution. Les termes du nouvel article L. 651-2 du Code de commerce (lorsque la résolution du plan fait apparaître une insuffisance d'actif) devraient conduire à intégrer dans cette insuffisance d'actif les conséquences de la gestion postérieure à l'ouverture d'une procédure visant au redressement, mais antérieures à la résolution du plan de réorganisation. Le montant de la condamnation peut même être différent selon les dirigeants. Certains peuvent être condamnés à supporter l'intégralité de l'insuffisance d'actif alors que la contribution d'un ou plusieurs autres dirigeants peut être limitée à un montant beaucoup plus faible. Mais en cas d'extension à d'autres personnes morales pour cause de confusion, le passif mis à la charge du dirigeant ne peut comprendre celui de ces autres personnes dont il n'a pas été dirigeant65(*). Les sanctions relatives à l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif étant précisées reste à envisager les conséquences qu'elles soulèvent.
* 58 C. com., art. L. 651-1. * 59 Cass. Com., 1er juill. 1975: Rev. sociétés 1976, note Sortais * 60 CA Versailles, 13e ch., 27 sept. 2001, Act. Proc. Coll. 2002/9, n° 117. * 61 CA Paris, 3e ch. A, 11 janvier 2005, Gaz. Proc. Coll. 2005/1, p. 51. * 62 Rapp. J.-J. Hyest, précité * 63 Cass. com., 24 sept. 2003 : JCP E 2004, 202, §18, obs. Ph. Petel * 64 Cass. Com., 17 juill. 2001: RJDA 12/2001, n° 1239, p. 1034. * 65 Cass. com., 23 mai 2000 JCP E 2000, p. 1568. |
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