PARAGRAPHE 1 : LA COUR INTERNATIONALE DE JUSTICE
ENTRE
UTILITE ET LIMITES
40
Succédant à la C.P.J.I. prévue par le
Pacte de la S.D.N., la C.I.J. est présentée dans la Charte des
N.U. comme l'un des organes principaux de cette dernière et surtout
comme l'organe judiciaire principal. Son rôle ne se limite pourtant pas
seulement à une activité contentieuse mais aussi consultative
dans la mesure où elle est sollicitée par le Conseil de
sécurité, l'A.G. ou tout autre organe et institutions
spécialisées de l'O.N.U. Cela donne à la C.I.J. une place
non négligeable dans l'ordonnancement juridique international où
elle est for utile (1) au règlement des différends. Mais
seulement cette utilité ne va pas sans des limites au vu la
multiplication des instances judiciaires internationales tel le tribunal
international du droit de la mer mis né de la Convention de Montego Bay
de 1982 (2).
95 Ibidem
1- Utilité de la cour internationale de
justice
Lorsque des parties à un conflit ont recours à
une tierce personne ou à un organe judiciaire pour trancher le litige
qui les oppose, c'est qu'elles ont la ferme volonté de régler
pacifiquement leur différend. A cet égard, il est louable de
constater que la justice internationale a bénéficié,
dès l'origine, d'une certaine institutionnalisation
caractérisée par la permanence et l'indépendance
témoignant de cette volonté récente mais constante d'user
de la force en dernier ressort car à l'emploi de la force doit y
être substitué des luttes de procédures.
Comme il importe << de faire régner la
justice >>, d'après le préambule du Pacte de la S.D.N.
qui se veut garant de la paix internationale, l'art. 1 de la Charte assigne
comme but aux Etats membres le règlement des conflits par des moyens
pacifiques << conformément aux principes de la justice et du
droit international >>. Ainsi, la régulation efficiente de la
société internationale avec une perspective de paix durable
dépend du bon fonctionnement de la justice internationale et
au-delà participer à une plus grande effectivité du droit
international étant donné que la justice va agir
réellement comme un pouvoir chargé de faire régner le
droit.
L'utilité de la C.I.J. relève surtout du fait
qu'elle peut connaître de toute affaire ou différend qui lui est
soumis par les Etats, y compris les conflits armés, seulement si ces
Etats concernés acceptent sa juridiction, de ce fait ils s'engagent
à respecter ses décisions car le statut de la cour annexé
à la Charte prévoit que tous les Etats membres des N.U. sont
<< parties au statut >>.
Son utilité fait que la C.I.J. jouit de garanties
d'indépendance, d'impartialité et de compétence. En effet,
son indépendance signifie que la répartition géographique
équitable des juges fait que tous les continents y sont
représentés chacun dans la proportion qui lui est acquise
(Afrique : 3 ; Amérique latine : 2 ; Europe occidentale et
Amérique du Nord : 5 ; Europe orientale : 2 ; Asie : 3 ; elle ne peut
comprendre plus d'un ressortissant du même Etat). Une partie en litige
peut choisir un juge ad hoc quand l'autre partie compte un juge de sa
nationalité au sein de la cour. Ensuite, ses décisions sont
prises de façon collégiale car la cour exerce ses fonctions en
séance plénière << mais depuis la réforme
de 1975, il lui est possible de former des chambres d'au moins trois
membres >>96. Ses << arrêts sont
adoptés à la majorité des juges présents. Ils sont
motivés, signés avec possibilité d'opinion dissidente
(désaccord sur le dispositif c'est-à-dire l'exposé par
laquelle la cour tranche le différend) ou individuelle (désaccord
sur la motivation de l'arrêt) >>97. Enfin, vu
l'impartialité qui caractérisent les membres de la cour, ils ne
peuvent exercer aucune activité professionnelle annexe et ne peuvent
participer au règlement d'aucune affaire où ils sont
antérieurement intervenus, à quelque titre que ce soit.
Cependant, un membre de la cour ne peut être relevé de sa fonction
qu'au jugement unanime de ses collègues.
Le statut de la C.I.J. est assez souple. Les juges peuvent,
par exemple après accord des parties, juger aussi bien en droit qu'en
équité. Toutes ces garanties assurent une bonne administration de
la justice et permet aux juges de statuer ex aequo et bono. Cependant, face
à la concurrence que semblent lui faire certains tribunaux, l'on serait
tenté de mettre en évidence les compétences de la C.I.J.
dans la mesure où les domaines qui lui étaient
réservés sont investis par de nouvelles juridictions qui
apparaissent dans le sillage de la justice internationale.
2- Limites de la cour internationale de
justice
Depuis sa création, la C.I.J. est restée
impuissante en ce qui concerne les conflits majeurs entre Etats et par
conséquent politiquement plus sensibles, faute de saisine volontaire par
les Etats. Durant les années 1970, certains Etats ont même
refusé de comparaître devant la cour là où d'autres
ont purement et simplement retiré leur déclaration facultative de
juridiction obligatoire après des décisions leur ayant
été défavorables. Ce fut le cas par exemple de la France
en 1974 suite à l'affaire sur les Essais nucléaires et des Etats
Unis en 1986 suite à l'affaire des Activités militaires et
paramilitaires au Nicaragua et contre celui-ci.
D'autre part, pour ne pas se discréditer dans des cas
d'affaires sensibles, la cour s'est << autolimitée ». C'est
pourquoi elle a refusé de statuer au fond pour l'affaire Sud-ouest
africain (Ethiopie c. Afrique du Sud et Libéria c. Afrique du sud, en
1966). << Devant les refus de comparution, elle a souvent
adopté une position de retrait car elle jugeait qu'il n'y avait alors
pas compétence ou que l'affaire était devenue de fait sans objet.
Cette attitude de la cour s'explique par le fait que les Etats n'acceptent pas
ipso facto sa compétence contentieuse. Ce comportement rétif des
Etats pourrait trouver son sens dans le besoin pour ces Etats de
préserver intact leur souveraineté et leur volonté de ne
pas se voir par conséquent opposer un mode de règlement qu'il
n'aurait pas choisi98 ».
Seulement, de nos jours, la Cour n'est pas seul moyen de
règlement pacifique des différends mis à la disposition
des Etats. L'art. 33 de la Charte en précise un certain nombre telles
que la négociation, la conciliation, la médiation, etc.
Force est de reconnaître que la multiplication des
instances judiciaires internationales vient également limiter le champ
d'action de la C.I.J. et de ce fait remettre en cause le rôle voire la
compétence de celle-ci. Parmi ces nombreuses juridictions
internationales, on peut citer le tribunal international du droit de la mer,
né de la Convention de Montego Bay sur le droit de la mer du 10
décembre 1982 qui empiète directement sur les compétences
de la C.I.J. en matière de délimitation maritime. La
création en 1993 du tribunal pénal international pour
l'ex-Yougoslavie (T.P.I.Y.) puis en 1994 du tribunal pénal international
pour le Rwanda (T.P.I.R.) et en 2002 de la cour pénale internationale
(C.P.I.) par le Statut de Rome peuvent introduire des conflits de
compétence.
Cependant pour bien saisir les limites de l'action de la
C.I.J., il nous faudrait analyser l'art. 36 parag. 2 du Statut de la cour qui
consacre la formule des déclarations facultatives d'acceptation de la
compétence de la cour. Autrement dit, la compétence de la cour
n'est mise en oeuvre qu'à une double condition : une proposition
formulée par un Etat qui devra forcément être
acceptée par l'autre. Toutefois, pour conforter quand même le mode
de règlement pacifique des conflits, des voix semblent s'élever
pour défendre l'idée de la compétence de la C.I.J. En tout
état de cause, il semble que l'alternative la plus acceptable pour les
Etats soit la saisine conjointe de la cour à l'occasion d'une affaire,
ce qui écarte tout débat de principe sur sa compétence,
même si on ne peut pas ignorer que << des divergences
d'interprétation du compromis bilatéral conclu par les Etats
peuvent survenir et se révéler délicates »,
d'après Emmanuel DECAUX.
En résumé, cette confrontation entre
l'utilité et les limites de la C.I.J., le premier terme semble
l'emporter finalement sur le second. Pour relativiser ses limites tenant
à l'absence de la compétence obligatoire de la cour, nous dirons
comme le Professeur Michel VIRALLY que la cour n'a pas vocation à
<< acquérir la situation de monopole dont
bénéficie la justice étatique dans son ordre, même
à l'égard des seuls différends portant sur un point de
droit international ». En outre, la concurrence faite à la
C.I.J., en matière de règlement judiciaire
98 Ibidem
42
des différends, n'est pas fondamentalement une limite
dans la mesure où l'objectif global de la communauté
internationale demeure bel et bien le règlement pacifique des
différends quel que soit le mode judiciaire autorisé auquel les
parties auront recours. Cela démontre aussi que le renforcement de
l'arsenal judiciaire passe également par un renouveau de la sanction qui
comporte la double vertu de la dissuasion et de la coercition d'où
l'institutionnalisation véritable d'une justice pénale
internationale.
PARAGRAPHE 2 :
VERITABLE INSTITUTIONNALISATION D'UNE JUSTICE PENALE
INTERNATIONALE
Par l'expression de justice pénale internationale, il
faut comprendre un système juridique qui cherche à
rétablir le droit et régler les conflits en rendant à
chacun ce qui lui est dû (justice) et cela à la suite d'une
infraction (caractère pénal) commise par et/ou sur la
communauté internationale. De ce fait, c'est à cela que la
justice pénale internationale doit faire face. Derrière
l'idée même d'une justice supranationale apparaît une remise
en question du principe de souveraineté nationale, puisqu'en effet, la
justice est l'un des pouvoirs régaliens de l'Etat. D'autre part,
l'idée d'une justice pénale suppose ensuite l'existence de moyens
de poursuite. Enfin, parler d'international amène à s'interroger
sur la qualité et le nombre d'acteurs concernés, de même
que cela suppose une certaine notion d'universalité permettant d'inclure
des acteurs que des frontières physiques, spatiales ou culturelles
séparent.
De ce fait, on parle alors de droit international pénal
qui peut être présenté comme un droit protecteur de
l'individu, du fait de la condamnation de la guerre assimilée à
un comportement criminel parce qu'il donne tristement l'occasion de
perpétrer des génocides, mais aussi de commettre plusieurs sortes
de crime : d'agression, de guerre et contre l'humanité. La
criminalisation de la guerre, c'est bien ce dont il s'agit, constitue l'angle
d'attaque privilégié de la Cour pénale internationale (2)
organe unique instauré par le traité de Rome au fin du droit
pénal international mais avant celle-ci il y eut la mise en place des
tribunaux pénaux internationaux ou tribunaux spéciaux
internationaux (1).
1- Mise en place des tribunaux spéciaux
internationaux :
« Pour éviter l'impunité d'actes
attentatoires à l'ordre public international, le principe fondant le
système de compétence universelle résulte d'infractions
qui, en raison de leur nature et de leur gravité, appellent
l'intervention des juridictions de l'Etat sur le territoire duquel se trouve,
même momentanément, leur auteur, indépendamment de sa
nationalité et celle de sa victime et en faisant abstraction du lieu oil
l'infraction a été commise . La dimension humaine est
incontestablement valorisée par un « droit international des hommes
», qui, étant de nature impérative et non dispositive, se
place au-dessus des Etats et répond à la nécessité
du monde d'aujourd'hui »99. C'est ainsi qu'au lendemain de
la seconde guerre mondiale, nous voyons l'apparition de tribunaux
chargés de juger les criminels nazis. En effet, pour la première
fois dans le monde des tribunaux spéciaux ont été mis en
place afin de réprimer les criminels nazis et japonais accusés de
crimes de guerre et crimes contre l'humanité. Ces tribunaux militaires
internationaux sont celui de Nuremberg en Allemagne (établi le 08
août 1945) et celui de Tokyo au Japon (créé le 19 janvier
1946).
43
A la suite des tribunaux militaires internationaux
institués au lendemain de la seconde guerre, le monde a vu
apparaître au courant de la dernière décennie du
XXème siècle bon nombre de tribunaux pénaux internationaux
ou tribunaux ad hoc sur le plan national. Ces tribunaux ont été
créés pour réprimer les criminels d'un Etat à
défaut de les envoyer dans les instances internationales pour y
être jugés. En effet, il se trouve que certains Etats n'ont pas
les moyens d'organiser le procès de leurs ressortissants alors ils
laissent le soin à la
99 P.Y. CHICOT, op cit
communauté internationale de mettre en place ces
tribunaux et de juger leurs ressortissants. Cela pour dire qu'aucun crime,
délit jugé celui de droit international100 ne peut
rester impuni. C'est ainsi que nous avons assisté à la mise en
place de différents tribunaux ad hoc pour juger des criminels de guerre,
de génocide, etc. Nous pouvons citer comme exemple :
Le Tribunal pénal international pour
l'ex-Yougoslavie (T.P.I.Y.) a été
créé par la Résolution n° 827 du 25 mai 1993 du
Conseil de sécurité des Nations unies pour juger les responsables
des crimes commis depuis 1991. Il siège à La Haye aux Pays Bas.
Il existe des opinions diverses sur la responsabilité de la Serbie et de
l'ex-président de la Fédération Yougoslave Slobodan
MILOSEVIC (mort entre temps en prison) dans les crimes commis par les troupes
des Serbes de Bosnie, comme le massacre de Srebrenica dont les responsables
directs n'ont pas tous été arrêtés à ce jour.
La Procureure s'est plainte à ce propos d'un manque de
coopération des forces occidentales présentes sur place. Radovan
KARADIC a été arrêté en août 2008. La
Procureure a par ailleurs refusé de poursuivre les responsables de
l'O.T.A.N. pour les bombardements de cibles civiles en Serbie lors de la guerre
de 1999. Le Statut du tribunal n'avait pas repris à ce sujet le
Protocole I101 de 1977 mais incluait pourtant entre autres, parmi
les crimes de sa compétence, les « attaques et bombardements de
villes, villages, bâtiments et habitations non défendus
».
Le Tribunal pénal international pour le
Rwanda (T.P.I.R.) a été créé par
la Résolution n° 955 du 8 novembre 1994 du Conseil de
sécurité des Nations unies pour juger les crimes de
génocide102 et autres « violations graves du droit
humanitaire » commis entre avril - juillet 1994 par des citoyens
Rwandais. Il siège à Arusha en Tanzanie. Certains dossiers ont
été transférés vers la France, la Belgique et les
Pays-Bas. Le tribunal devant cesser ses activités prochainement,
d'autres pourraient l'être au Rwanda, ce qui est contesté par
certaines organisations doutant qu'une vraie justice puisse y être rendue
et que les droits de la défense y soient respectés. Le Tribunal a
rendu un certain nombre de jugements, parmi lesquels ceux rendus le 4 septembre
1998 contre l'ancien Premier ministre Jean KAMBANDA103 et le 2
octobre 1998 contre l'ancien président des milices Interhamwé
Jean Paul AKAYESU. Ils sont tous les deux condamnés à la prison
à perpétuité et leur condamnation fait partie des premiers
verdicts que le T.P.I.R. a rendu. Des opinions diverses existent sur la justice
rendue par ailleurs dans les cours de justice rwandaises en dehors des cas les
plus graves traités en principe par le Tribunal international. Parmi
d'autres questions évoquées par les uns ou les autres, on peut
mentionner :
- La responsabilité de la France qui avait soutenu et
armé le gouvernement rwandais de l'époque avant et même
pendant les massacres de 1994. Des militaires français ont par ailleurs
participé directement à certains crimes : une enquête est
ouverte depuis 2005 au Tribunal aux Armées de Paris. Ces cas ne seraient
pas isolés selon un rapport publié en août 2008 par une
commission nommée par le gouvernement rwandais actuel.
- Des crimes de guerre, y compris des massacres de civils
à grande échelle, auraient aussi été commis par le
Front Populaire Rwandais (F.P.R.), en conflit armé avec le gouvernement
rwandais de l'époque, et ses dirigeants, aujourd'hui au pouvoir,
devraient aussi être jugés. Ils auraient de plus une
responsabilité directe dans les crimes commis au Congo voisin
après leur prise de pouvoir au Rwanda. Selon Peter
ERLINDER104, le F.P.R. était de son côté
protégé et soutenu par les Etats-Unis dans le
cadre des luttes d'influence entre puissances occidentales en
Afrique. Il évoque entre autres crimes qu'il attribue au F.P.R.
l'assassinat de l'ancien président Juvénal
HABYARIMANA105 ; d'autres contestent qu'il s'agisse là d'un
crime de guerre, s'agissant du chef des armées gouvernementales de
l'époque.
Le Tribunal pour la Sierra Leone
(T.P.I.S.) a été instauré par un accord
entre le gouvernement sierra léonais et l'O.N.U. pour juger les crimes
commis depuis 1996. La Sierra Leone avait été le lieu d'une
terrible guerre civile depuis 1991. En 1999, un accord de paix fut conclu mais
les rebelles du Front Révolutionnaire Uni (R.U.F.) reprirent les
hostilités, leur chef Fodeh SANKOH fut capturé et la
création du tribunal suivit. Charles Taylor, ancien président du
Libéria voisin de 1997 à 2003, accusé d'une lourde
responsabilité dans les atrocités commises en Sierra
Léone, a été inculpé en 2003 et arrêté
en 2006 au Nigeria où il vivait en exil. Son procès,
débuté en juillet 2007, a repris en 2008 et se poursuit toujours
à La Haye. Selon certains, le but est aussi de faire oublier les
responsabilités des Etats-Unis et de la France, qui ont des
intérêts économiques dans la région.
Le Tribunal institué par une loi
cambodgienne de 2004, pour juger les anciens responsables
khmers rouges, inclut des juges internationaux. Il a commencé ses
travaux en 2006 et plusieurs des principaux dirigeants khmers rouges encore en
vie ont été arrêtés fin 2007. En revanche, pas de
jugement des crimes commis de 1971 à 1975 par les Etats-Unis au Cambodge
pendant la période du gouvernement précédent qu'ils
avaient mis en place (selon les sources, 300.000 à 700.000 victimes de
1971 à 1975, un à deux millions à l'époque des
khmers rouges, 1975-1979).
2- L'instauration d'un organe unique : la cour
pénale internationale
La Cour pénale internationale (C.P.I.) est une Cour
permanente créée par le Statut de Rome de 1998 et entrée
en vigueur en 2002. Sa vocation première est de juger les responsables
de crimes de guerre, de génocide et contre l'humanité les plus
graves, en complémentarité avec les juridictions nationales qui
ont la responsabilité première dans ce domaine. La Cour
intervient selon le Statut quand elles (juridictions nationales) n'ont pas la
possibilité ou la volonté de le faire. Il faut remarquer que
cette marche vers une internationalisation du droit pénal ne doit pour
autant pas laisser croire que les Etats, au plan national, se voient
dépourvus de toute fonction. Au contraire, le droit international
pénal, droit encore jeune, doit être appréhendé
comme complémentaire et subsidiaire au combat mené par les
juridictions nationales contre l'impunité. Autrement dit, la
priorité demeure aux actions nationales, le droit international
n'intervenant qu'en cas de lacune de ces dernières.
Contrairement à la Cour internationale de justice, elle
n'est pas un organe des N.U., mais résulte d'un accord entre Etats ; 108
ont à ce jour ratifié son Statut. Les Etats-Unis106,
la Russie, la Chine ou Israël n'y ont entre autres pas
adhéré. Elle est cependant liée de différentes
façons aux N.U. Elle pourra aussi juger les crimes d'agression si les
Etats parties au Statut se mettent d'accord sur la définition de ce
crime : il n'y a pas eu d'accord à ce jour, semble-t-il, pour reprendre
la définition donnée dans les Principes de
Nuremberg107. Un des problèmes serait le souhait de certains
Etats de considérer des actions militaires contre
105 Son assassinat déclencha le début du
génocide.
106 Cela s'explique par le fait que le Gouvernement
des États-Unis signent avec autant de pays possible des accords
bilatéraux, afin d'exempter leurs nationaux de la possibilité de
remise à la C.P.I. Le 30 Septembre 2002, les 15 États-membres de
l'UE ont adopté une position commune qui autorise les
États-membres à signer des accords bilatéraux avec les
États-Unis qui instaureraient une immunité aux diplomates, et
militaires américains à l'étranger.
45
1071946 confirmation des Principes de
Nuremberg, réécrits en 1950 par la Commission du droit
international, où sont définis les « crimes de droit
international » dont les auteurs et complices, y compris chefs d'Etat,
doivent selon ce texte être jugés (le texte n'indique pas de
quelle façon) crime d'agression ou crime contre la paix (projeter,
préparer, déclencher ou poursuivre une guerre d'agression ou
faite en violation d'accords internationaux, participer à
l'accomplissement de tels actes), crimes de guerre (définition voisine
des infractions graves des Conventions de Genève) et crimes contre
l'humanité (attaques et persécutions menées contre les
populations civiles).
d'autres pays non pas comme des actes d'agression mais comme
de la << légitime défense à titre
préventif » pour empêcher ces pays de développer
certaines armes108 ou comme une riposte légitime à la
suite d'accrochages frontaliers.
La Cour peut intervenir sur demande d'un Etat ayant
ratifié son Statut ou du Conseil de sécurité des N.U., qui
a par ailleurs, selon son Statut, la possibilité de bloquer ses actions
éventuelles pour une période d'un an renouvelable. Le Procureur
peut aussi mener des enquêtes de sa propre initiative si au moins l'un
des Etats concernés (celui dont les suspects sont nationaux ou celui
où les actes ont été commis) a ratifié son Statut
ou déclare accepter sa juridiction dans le cas concerné. Elle
intervient depuis 2002 dans plusieurs pays d'Afrique, soit sur demande de trois
de ces pays, soit sur demande du Conseil de sécurité à
propos du Darfour. Son Procureur Luis Moreno OCAMPO a demandé en
août 2008 à la Cour de lancer un mandat d'arrêt
international contre le chef d'Etat soudanais Omar El BECHIR109 pour
génocide (selon lui).
Aujourd'hui, si la C.P.I. se permet de poursuivre des auteurs
de crimes contre l'humanité, de génocide ou autres, force est de
reconnaître que le droit pénal international a été
consacré vers la fin du XXème siècle. Ce qui a permis la
mise en place d'un nouvel ordre international qui transcende la
souveraineté des Etats. Cette innovation est illustrée en premier
par l'Affaire Augusto PINOCHET, qui a révélé l'apparition
d'une justice hors des frontières, faisant obstacle devant les
juridictions nationales, à l'immunité traditionnelle des Chefs
d'Etat à partir du moment où ceux-ci sont reconnus coupables de
violations des normes de base de la communauté
internationale110. Pour autant, là où l'Etat de droit
existe, il signifie l'obligation pour l'Etat de se conformer aux règles
en vigueur, ce qui permet en définitive de contribuer de manière
active à la pacification de la société. En effet, en droit
international, les sujets sont à la fois producteurs et destinataires de
la norme parce qu'ils se prévalent de la souveraineté. Autrement
dit, l'instauration d'instances pénales internationales telles la C.P.I.
ou la C.I.J. augure le parachèvement du système de justice
internationale. Malgré une certaine perplexité avouée par
certains auteurs tel que Serge SUR, ce renforcement de l'aspect
répressif du droit international révèle un progrès
remarquable dans la procédure de ce droit, précisément
parce que les crimes qui portent atteinte à l'ordre international et
à la conscience humaine peuvent être poursuivis et punis. Pour le
Professeur Alain PELLET, << il est bon que des crimes qui
révoltent la conscience de l'humanité toute entière soient
jugés au nom de celle-ci par un tribunal établi
internationalement et non par des juges nationaux nécessairement
influencés au moins par les traditions juridiques de leur pays
»111. Cette plaidoirie en faveur d'une justice universelle
prend résolument le parti d'une société internationale qui
se réfère toujours au droit et ceci trouve écho à
travers l'instauration de la C.P.I. à l'échelle mondiale.
Celle-ci a la capacité de juger toute personne physique, quelle que soit
sa nationalité, et qui aura commis l'un des crimes jugé de droit
international.
Depuis << l'Affaire Pinochet » en 1998,
des poursuites, arrestations et des condamnations ont eu lieu dans certains
pays sur la base de la compétence universelle. Elles ont concerné
à ce jour des suspects d'ex-Yougoslavie, du Rwanda, d'Amérique du
Sud. Il n'y a pas eu à ce jour d'arrestation et jugement de responsables
d'Etats puissants, les plaintes déposées dans certains cas, par
exemple contre Donald RUMSFELD112 en Allemagne et en
France113 ayant été rejetées.
108 Armes nucléaires, armes de destruction massive. En
fait, cette interdiction s'adresse plus aux pays comme l'Iran, la Corée
du Nord qui tentent de développer un programme d'enrichissement
nucléaire à des fins militaires.
109 Omar El BECHIR est le premier Chef d'Etat en exercice faisant
l'objet d'un mandat d'arrêt international par la C.P.I.
110 «L'actualité du principe du règlement
pacifique des différends : Essai de contribution juridique à la
notion de paix durable ", par Pierre Yves CHICOT, dans « Revue
québécoise de droit international" 16.1, 2003
111 Alain Pellet, « Le tribunal criminel international pour
l'ex Yougoslavie : poudre aux yeux ou avancée décisive ? »
(1994) 98 R.G.D.I.P. 17.
46
112 Ancien Secrétaire américain à la
Défense de la Présidence de George W. BUSH Jr. Les plaintes ont
été déposées par la F.I.D.H., le C.I.C.R. et
d'autres organisations en fin 2007.
Cette émergence du droit international est surtout le
fruit d'un long processus de maturation de la communauté internationale.
C'est en ce sens qu'il faut situer l'instauration des tribunaux ad hoc tels que
ceux pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda qui trouve son fondement dans le
rétablissement de la paix et de la sécurité
internationales contenu dans l'article 39114 du Chap. VII de la
Charte. De même, sans rompre avec l'esprit et la lettre de la Charte, la
C.P.I. représente, pour sa part, un concours essentiel à la paix
qu'il s'agisse de sa préservation et/ou de sa restauration. En somme,
les buts et fonctions de ces instances judiciaires relèvent d'un subtil
mélange de valeurs d'humanité et de désir
d'efficacité politique. Toutefois, la capacité d'intervention de
la Cour est encore diminuée à la suite de l'adoption, le 12
juillet 2002, quelques jours après l'entrée en vigueur du Statut
de Rome, de la résolution 1422 (2002) du C.S. qui prévoit que la
cour n'engage, ni ne mène aucune enquête ou poursuite pendant une
période de douze mois à compter du 1er juillet 2002
à l'encontre des responsables ou des personnels en activités ou
non d'un Etat contributeur qui n'est pas partie au Statut de Rome, à
raison d'actes ou d'omissions liés à des opérations
établies ou autorisées par l'O.N.U., sauf si le C.S. en
décide autrement. Cette disposition vise à garantir
l'immunité aux soldats des pays non parties au Statut de Rome
engagés dans des O.M.P.
La question particulière de l'impunité des Etats
puissants reste poser car d'un côté, des présumés
responsables de crimes contre l'humanité, génocide, massacres de
civils, viols, enrôlements d'enfants soldats ont été ou
sont poursuivis, y compris d'anciens chefs d'Etat. Le chef d'Etat actuel du
Soudan sera peut-être aussi poursuivi par la C.P.I. Mais les dirigeants
d'Etats puissants restent, eux, impunis pour leurs guerres d'agression et les
crimes commis lors de ces guerres selon des méthodes dont ils sont les
premiers responsables.
A la lumière de ce que nous avons
développé, force est de constater, quelle que soit la
volonté des hommes de vouloir préserver leurs relations, de
vouloir régler pacifiquement leurs différends, de vouloir vivre
dans un environnement pacifié, il arrive, dès fois, que celle-ci
tourne au vinaigre, que cette cohésion voulue par les hommes soit
rompue. Ainsi se trouve- ton face à une situation où la paix est
rompue et où les armes sont prises pour faire régner l'ordre et
la paix malgré les menaces qui pendent comme une épée de
Damoclès sur leurs têtes fait produit par la communauté
internationale à travers ses organes judiciaires tels que la C.I.J. ou
la C.P.I. L'apparition de ces organes judiciaires a permis à la
communauté internationale de sanctionner tout acte, délit ou
crime qualifié de droit international et ainsi finir avec
l'impunité qui semblait gangréner celle-ci. Seulement face
à une situation où la paix est menacée ou rompue, la
communauté internationale a mis en place une cadre pour permettre de
maintenir l'ordre, la paix et la sécurité internationales et cela
se traduit par une communautarisation de ses intérêts pour le bien
de l'humanité.
113 La plainte a été rejetée,
après avis du Ministère français des Affaires
étrangères selon lequel Donald RUMSFELD devrait
bénéficier « par extension » de l'immunité
prévue dans l'arrêt de la C.I.J. pour chefs d'Etat et ministres
des Affaires étrangères.
47
114 «Le Conseil de sécurité constate
l'existence d'une menace contre la paix, d'une rupture de la paix ou d'un acte
d'agression et fait des recommandations ou décide quelles mesures seront
prises conformément aux Articles 41 et 42 pour maintenir ou
rétablir la paix et la sécurité internationales
», art. 39, Chapitre VII «Action en cas de menace contre la
paix, de rupture de la paix et d'acte d'agression », op cit.
CHAPITRE II : LA TENTATIVE DE COMMUNAUTARISATION DES
INTERETS DE LA COMMUNAUTE INTERNATIONALE
Parler d'une possible communautarisation des
intérêts de la communauté internationale, revient à
justifier le concept de communauté internationale. Mais, au fait, c'est
quoi la communauté internationale que nous entendons si souvent parler ?
C'est pourquoi avec P. Y. CHICOT, on se demandera si on peut <<
établir une comparaison sérieuse entre la communauté
étatique, dont l'illustration d'unité est apportée par
l'Etat-nation, et la communauté des Etats, composée
d'entités disparates et dominée par des intérêts
divergents115 ». Toutefois, face à ce concept, on
éprouve << plus de difficultés à trouver des
objet de rassemblement et de solidarité au sein de cette
communauté d'Etat116 ». Si le doute semble
être permis, il faudrait que ce concept semble être justifié
au vu de l'évolution du droit international si l'on s'appuie sur la
notion de patrimoine commun de l'humanité.
C'est pourquoi l'analyse du concept de communauté
internationale (section 1) qui ne semble pas être facile à
accepter par tous si l'on veut communautariser les <<
intérêts de nature mondiale » nous
permettra de mieux cerner les moyens mis au service de la communauté
internationale à des fins de régulations (section 2).
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