3.9. Conclusions
C'est suite à des scandales médiatisés
que la médiation santé est entrée dans le domaine public
vaudois. Conscients des limites de l'appareil judiciaire et de l'administration
dans la gestion des problématiques relatives au respect de la
dignité et de l'intégrité des patients, les
parlementaires, dans le cadre de leur enquête, recherchèrent une
nouvelle forme de gestion sociale pouvant répondre aux besoins de
l'Etat. L'on peut donc admettre que la médiation santé a
été pensée par les politiques comme un outil de
règlement amiable des conflits permettant le respect des droits des
patients et la paix sociale. Aujourd'hui encore, les membres des commissions
d'examen des plaintes et les responsables politiques expriment leur
satisfaction à l'égard de l'activité du BCMS en regard du
nombre de dossiers clos. L'apaisement des souffrances du patient a
également été évoqué en entretien. Or, nous
l'avons vu dans notre étude, les pratiques du BCMS se basent sur les
logiques communicationnelles et pédagogiques de la médiation et
non sur sa rationalité purement instrumentale de gestion des conflits.
La liste des avantages de la médiation santé vue sous son angle
communicationnel intègre, outre l'évitement de scandales, de
recours aux médias ou à la justice et l'apaisement des
plaignants, des bénéfices qui concourent non seulement à
une cohésion sociale plus approfondie mais également à
l'amélioration de la qualité des soins :
o la restauration de la confiance mutuelle et du lien social;
o le renversement du rapport «dominant-dominé»
qui génère une
humanisation des relations «soignant-soigné» par
des changements de
perceptions et de comportements des professionnels de la
santé; o le regain d'autonomie du patient;
o la protection de l'image du professionnel de la santé
mis en cause et de la structure sanitaire qui l'emploie;
o des ajustements organisationnels ou fonctionnels visant
à améliorer les prestations de soins et à éviter la
reproduction de défauts.
Les effets de la médiation santé sur les
médiés et plus précisément sur les professionnels
sont mesurables : la majorité d'entre-eux ne sont ultérieurement
plus mis en cause et certains proposent spontanément au patient de
s'adresser au BCMS. C'est dire que la médiation opère peu
à peu un changement sociétal dans la communauté des
professionnels de la santé.
A propos de l'institutionnalisation de la médiation
santé, nous nous référons aux propos de Jacques
Faget116 qui, parlant de médiation pénale et de
justice restauratrice, estime que son institutionnalisation est
désormais incontournable et que la défense farouche de
l'indépendance et de l'autonomie de ses procédés risque
d'en fragiliser ses pratiques communautaires. Par institutionnalisation,
l'auteur entend sa légalisation, sa professionnalisation et sa
juridicisation. Pour lui, les médiateurs eux-mêmes sont
responsables de cette tendance du fait de leur recherche de légitimation
et de ressources financières. D'autre part, la culture française
s'inquiète peu du besoin et des risques de césure entre l'Etat,
son administration et la société, comparativement aux pays
anglo-saxons. La France n'hésite pas à institutionnaliser :
preuves en sont les diplômes d'Etat délivrés en fin de
formation, notamment dans le domaine de médiation familiale.
L'exemple vaudois est un modèle hybride
d'institutionnalisation. L'articulation entre les principes éthiques et
les exigences institutionnelles ne semble pas mettre en danger la
déontologie de la pratique :
o la loi de santé prévoit un article relatif
à l'indépendance du fonctionnement du médiateur et
à son impartialité;
o dans la pratique, nous avons identifié le respect de ces
notions;
116 J. Faget, in « La justice réparatrice et
médiation pénale. Convergence ou divergences ? » de M.
Jaccoud ( sous la dir. de ), collectif, Ed. L'Harmattan, Paris, 2003, p.
241
o la médiatrice détient un diplôme en
médiation IUKB, alors que la loi de santé ne réglemente
pas ce point.
En d'autres termes, conscient de l'importance du respect des
principes éthiques de la médiation, l'Etat de Vaud s'est
donné les moyens de les respecter et soutient le BCMS, satisfait du
règlement définitif du contentieux sanitaire à moindres
frais et remous. Quant au BCMS, il exerce son activité dans les
règles de l'art de la médiation.
Reste le nombre de médiations abouties qui montre un
taux de réussite de 88%. Jacques Faget117 faisant toujours
référence à l'institutionnalisation de la médiation
dans le domaine de la Justice restauratrice, explicite que le taux de
réussite varie proportionnellement au niveau de formation du tiers :
«...calculé en fonction du nombre, du niveau
et de la qualité de formations, la supervision et l'analyse de pratique,
la fréquentation de colloques, le nombre de lectures
spécialisées.[...] L'explication, corroborée par
l'observation des pratiques, montre en effet que plus le niveau de formation
est élevé, plus les principes éthiques de la
médiation sont respectés, tandis que les procédés
utilisés par les personnes non formées sont largement plus
directifs, voire parfois autoritaires»118.
Une certaine obligation de résultats aurait pu motiver
ce résultat positif. Or, comme nous l'avons précédemment
dit, les accords sont signés quelques jours après la
médiation et le refus de signatures concerne des plaignants atteints de
pathologies psycho-organiques.
Nous voyons deux hypothèses qui pourraient expliciter ce
phénomène particulier au domaine sanitaire sans qu'il nous soit
possible de les vérifier.
Premièrement, nous pensons à la crainte d'un
procès ou de détérioration de la renommée,
vécue par les professionnels de la santé, crainte qui
déterminerait favorablement les dispositions d'entrée en
médiation. Rappelons les désirs de résoudre et de se
réconcilier qui jouent un rôle majeur dans le déroulement
du processus.
117 J. Faget, "La justice réparatrice et
médiation pénale. Convergence ou divergences ? » de M.
Jaccoud, (sous la dir. de ) collectif, Ed. L'Harmattan, Paris, 2003, p.
241
118 Ibidem
Deuxièmement, pour avoir participé à des
séances, nous postulons que la formation ad hoc et les
compétences relationnelles de la médiatrice jouent un rôle
important dans l'établissement de l'intercompréhension
Enfin, si nous reprenons la définition de la
médiation de Guillaume Hofnung, le médiateur n'a d'autres
pouvoirs «que ceux reconnus par les partenaires
quis'adressent à lui». Or, la médiation
santé vaudoise est exercée par une seule
personne. Nous concevons que sa légitimité se
construit au travers du processus de médiation, ceci dès
l'entretien préalable.
Après ces réflexions, nous estimons que le
modèle vaudois de médiation santé institutionnelle
représente un bon compromis entre les attentes politiques en termes de
cohésion sociale et la pratique de la médiation dans sa dimension
de gestion et régulation sociale au sens de Bonafé-Schmitt et de
GuillaumeHoffnung.
Le chapitre qui suit présente une recherche sur les
attentes et les effets de la médiation santé. Nous tenterons de
mettre en évidence les changements de perceptions qui s'en
dégagent, d'analyser les phénomènes et identifier les
conséquences.
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