La médiation sanitaire: une réponse à l'insatisfaction du patient( Télécharger le fichier original )par Isabelle Jeanneret Institut universitaire Kurt Bosch IUKB, CH-Sion - Master européen en médiation 2009 |
Abstract IntroductionL'évolution de la société occidentale amène le citoyen à l'autodétermination et la responsabilisation : le domaine de la santé n'est pas épargné par cette tendance. La littérature scientifique révèle qu'une transformation fondamentale de la relation soignant-soigné est en cours : «d'objet de soins», le citoyenpatient-client devient «sujet», partie prenante dans la relation thérapeutique. Sa perception de la qualité des prestations et son attente englobent non seulement l'excellence du soin technique, mais également la dimension relationnelle et communicationnelle des professionnels de la santé. L'apparition des droits des patients et leur instauration dans les législations a suivi cette mutation sociétale récente et modifié les bases du rapport soignant-soigné, passant d'un modèle dominant-dominé à un modèle de partenariat. L'Etat, garant de la protection des intérêts citoyens, est censé s'adapter à ces changements et mettre à disposition de la population des moyens favorisant le dialogue et le respect. Parallèlement, l'évolution de la médecine vers une technicisation de plus en plus pointue a orienté nos systèmes de santé dans une logique de spécialisation : la pluralité d'acteurs et de disciplines qui interagissent autour du patient complexifie la coordination et la communication : l'organisation et le fonctionnement, basés sur l'efficacité et l'économicité, hiérarchisent la parole et fractionnent la vision holistique du patient et les actions de soins. De ce fait, les professionnels de la santé ont tendance, malgré eux, à percevoir la personne de manière réductrice au travers de sa pathologie ou de sa dépendance et à oublier l'importance d'une prise en charge individualisée et du dialogue éthique dans la relation thérapeutique : le patient redevient «objet de soins». Le désir du patient de prendre part à son projet de soins, d'être informé clairement, de prendre des décisions concernant sa santé et sa vie et de prendre la parole se confronte à l'évolution du monde sanitaire qui lui s'écarte sensiblement des attentes citoyennes et de l'idéal soignant : un terrain propice à la conflictualité. Le champ sanitaire neuchâtelois n'échappe à cette évolution qui fragilise les rapports soignant-soigné en recherche d'un nouvel équilibre, fragilité augmentée par la mise en oeuvre, dès 2006, d'une nouvelle planification sanitaire qui engendre depuis lors des résistances, des souffrances, une démotivation chez les soignants et une insatisfaction grandissante de la population à l'égard de leur système de soins . La complexité de cette situation expose les soignants à des manquements relationnels qui réduisent l'espace de parole du patient et le respect de sa dignité. L'émergence d'une tension de masse est perceptible depuis plusieurs mois au travers des médias et du discours de rue. Dans le cadre de notre activité professionnelle, nous nous sommes aperçus d'une baisse manifeste du nombre de plaintes émanant de notre champ de pratique. Depuis l'an 2000, nous occupons le poste d'infirmière de santé publique au Service de la santé publique du canton de Neuchâtel, en Suisse. Notre activité principale réside dans la surveillance des institutions pour personnes âgées et la gestion administrative des plaintes : évaluation de la qualité des soins et de l'accompagnement, traitement des problèmes de non respect des droits fondamentaux humains, des droits des patients et de la personne âgée dépendante. Sur la base d'une statistique, nous avons constaté une nette diminution du nombre de plaintes dès le début 2006, confirmée en 2007. Voulant vérifier si ce constat se limitait à notre domaine d'activité, nous avons identifié auprès du médecin cantonal de l'époque - chargée de la gestion des plaintes et de la protection des droits des patients - le même phénomène dans les autres champs sanitaires. D'autre part, les dossiers déposés auprès de l'Autorité de conciliation en matière de santé restaient peu nombreux depuis son instauration en 1995. Autre constat : des plaintes émanant du champ sanitaire neuchâtelois nous sont parvenues par le biais d'une association vaudoise pour la défense des personnes âgées. Une étude récente a montré que le trois
quart de la population résidant en en relation thérapeutique. A supposer que le 0,036% des citoyens soit insatisfait, à l'instar de la réalité vaudoise1, ce ne sont pas moins de quarantecinq personnes qui annuellement souhaitent hypothétiquement exprimer leur insatisfaction. Or depuis deux ans et dans un contexte de changement structurel et organisationnel, le nombre de plaintes reçues par les deux instances officielles non juridictionnelles2 est insignifiant. Que traduit ce silence ? Hypothèse Nous estimons qu'un conflit sociétal sous-jacent existe et que la parole du patient insatisfait n'est pas favorisée dans notre canton. Dans ce cas, l'on peut admettre que le dispositif de recours non juridictionnel de notre canton ne répond pas aux besoins citoyens et ne garantit pas le respect de leurs droits. Sensibles à cette observation, nous avons choisi de mener une recherche sur la médiation sanitaire liée aux droits des patients, partant de l'idée que : ? La médiation institutionnelle offre un espace de parole particulier qui garantit la prévention du non respect des droits du patient. Objectifs Cette étude a tenté : o au niveau européen, d'identifier les différents modèles de gestion des plaintes en lien avec les droits des patients, la place de la médiation au sein de ces dispositifs et son mode d'application; o au niveau suisse, d'analyser un modèle de service de médiation basé sur une approche normative de la médiation et privilégiant sa logique communicationnelle; 1 Moyenne annuelle de 185 plaintes traitées par les Commissions d'examen et le Bureau cantonal de médiation Santé pour 700'000 habitants 2 Service de la santé publique - Autorité de conciliation en matière de santé o au niveau des médiés, d'analyser les attentes des plaignants et les effets de la médiation sur leur insatisfaction et sur les rapports soignant-soigné. Méthodologie o constitution d'une bibliographie et d'un porte-feuille de documentation; o sélection des chapitres et documents utiles; o recueils d'informations lors des stages : BCMS, HUG, Médiation Jura o entretiens semi-dirigés d'une à deux heures avec huit personnalités professionnelles, politiques, juridiques et éthiques, dix plaignants et neuf professionnels de la santé ayant vécu une médiation au BCMS , quatre citoyens neuchâtelois o ? élaboration d'une grille d'entretien pour chaque groupe cible; o analyse qualitative réalisée sur les entretiens avec les plaignants. Résultats L'étude européenne ciblée sur la Norvège, l'Angleterre, la Belgique, l'Italie et les six cantons romands a démontré l'instauration des droits des patients dans tous les textes de loi et un développement discret de la pratique de la médiation dans sa forme enseignée à l'IUKB au sein des dispositifs de recours. Chaque état étudié protège les patients de manière plus ou moins affirmée selon leur culture propre. Seule l'Angleterre prévoit l'intervention d'un médiateur formé. Mis à part la Belgique, les trois autres pays étudiés ont développé une politique de gestion des plaintes visant l'amélioration des prestations de soins alors que cette cohérence ne se retrouve pas en Suisse romande. Neuchâtel est le seul canton romand à n'avoir pas instauré la médiation sanitaire dans sa loi de santé. La médiation jurassienne et valaisanne est légiférée, mais son mode d'application ne répond pas à ses caractéristiques. Le modèle vaudois reste le plus fidèle aux principes déontologiques de la médiation et son mode opératoire s'appuie sur sa logique communicationnelle. L'analyse qualitative démontre que la médiation
vaudoise répond aux attentes et stimulent leur autodétermination et leur responsabilisation face à la gestion de leur vie et de leur santé. En revanche, la médiation ne garantit pas la prévention du non respect des droits du patients mais y contribue largement, moyennant certaines conditions que le modèle vaudois remplit, notamment le respect de l'indépendance du tiers et du principe de confidentialité, la saisine directe et la formation du médiateur. Limites de la recherche Les documents à disposition pour mener l'étude européenne ne contenaient pas de statistiques suffisamment étoffées sur les activités des dispositifs de recours pour en mesurer l'efficacité sur l'insatisfaction des plaignants. Concernant l'analyse qualitative, nous souhaitions initialement mettre en perspective les représentations réciproques des patients et des professionnels de la santé. C'est à contre coeur que nous avons renoncé à traiter le corpus relatif aux professionnels de la santé. Nous espérons que certains étudiants en médiation, sensibles au domaine de la santé, s'intéresseront à mener cette recherche croisée . Depuis une vingtaine d'année, le domaine sanitaire occidental est touché par la crise de l'Etat Providence. Des politiques de rationalisation ont obligé les systèmes de santé à se réorganiser selon une logique économique. De plus, le développement de la science médicale et les avancées techniques ont induit un fonctionnement fragmenté selon des logiques de spécialisation pour soigner efficacement la maladie au détriment d'une vision holistique de la personne. L'identité sociale du patient se réduit donc à sa maladie ou à l'organe en souffrance : «le cancéreux stade 4, le foie du 27, l'appendicite d'hier». Le danger d'une déshumanisation des soins est nettement perceptible : «Cette politique de rationalisation à outrance s'est concrétisée par une sorte de taylorisme médical qui a provoqué une parcellisation des tâches et transformé les hôpitaux en des usines à soigner»3. Or, l'évolution de nos sociétés amène les patients et leurs proches à mieux s'informer sur la maladie - notamment par Internet - et sur leurs droits et à revendiquer une prise en soins individualisée dont la clé de voûte est l'établissement d'une relation soignant-soigné égalitaire faite de confiance mutuelle, d'une communication transparente, d'un dialogue discursif et d'un accompagnement humain empreint de tolérance et d'empathie. Autrefois légitimés par leurs savoirs et leurs compétences, les professionnels de la santé se voient aujourd'hui confrontés à des patients consommateurs et des proches exigeants qui remettent leurs pratiques et leurs capacités communicationnelles en question. On est loin de l'image du patient modèle, issue de la théorie fonctionnaliste de Talcott Parson, sociologue américain, qui consiste en une approche opérationnelle de la construction du lien social supposant, dans le cas du médecin, à garder une distance affective avec ses patients dont le rôle attendu est fait d'obéissance et de coopération. De récentes études ont démontré des différences individuelles et culturelles face au vécu de la maladie, de la douleur et de la souffrance morale qui nécessitent une approche individualisée du patient dans un esprit collaboratif et la prise en compte des 3 J.-P. Bonafé-Schmitt, «La santé, cycle de vie, société et environnement», Ed. Réalités sociales, Lausanne, 2004, p.131 familles dans le projet de soins, sachant que la maladie est désorganisatrice du lien social. Le domaine sanitaire vit donc une période de mutation sociétale entre le déclin de rôles sociaux établis et l'émergence de nouvelles formes identitaires et culturelles. Le désordre qui en résulte génère une crise de confiance nourrie par l'insécurité et le doute des citoyens non seulement à l'égard des professionnels de la santé mais aussi à l'égard de l'ensemble du système sanitaire. Avant de mesurer les enjeux de la médiation dans ce contexte , nous souhaitons mettre en évidence les éléments particuliers liés à la santé et la maladie, à la relation soignant-soigné, présenter les droits des patients garantis par les Etats romands et un essai de définition de la médiation. 1.1. L'individu, la santé et la maladieLa santé est un état précaire qui ne présage rien de bon J. Romains Le thème de la santé est une préoccupation universelle qui aujourd'hui est au centre d'un questionnement profond dans nos sociétés occidentales. Sous l'angle humoristique, la phrase de Jules Romains sous-entend la notion d'équilibre fragile qui caractérise la santé et la finalité inexorable de la vie : la mort. Mais qu'est-ce la santé ? Que signifie être en santé ? Que veut dire avoir droit à la santé ? Enfin, comment définir le concept de la santé ? Celui-ci est en réalité une idée assez récente, issue du développement de la science médicale et de l'amélioration des conditions de vie datant du 20ème siècle. Avant l'ère industrielle, l'histoire fut marquée par le combat pour la survie de l'espèce humaine, l'incapacité à lutter contre la maladie ne permettant pas de concevoir la santé. Les découvertes scientifiques médicales, notamment celles des bactéries, amenèrent une compréhension du phénomène de nombreuses maladies et influencèrent la représentation de la santé qui, jusqu'ici, était considérée comme la simple absence de maladie. Les recherches et l'organisation des actions de soins étaient désormais destinées à lutter contre les attaques microbiologiques, à repousser les vagues épidémiques en vue de protéger la population contre les maladies transmissibles, entre autres la tuberculose et la syphilis. C'est à partir de ces nouvelles stratégies sanitaires et sociales qu'est née la conception de la santé qui, aujourd'hui encore, influe sur les structures sanitaires européennes. L'Encyclopédie Larousse nous dit que la santé est: «L'état de quelqu'un dont l'organisme fonctionne normalement» ou encore «un fonctionnement satisfaisant, un bon équilibre psychique»4. La maladie, quant à elle, est définie comme une «altération organique ou fonctionnelle qui atteint quelqu'un»5. La santé est vue ici comme un état d'être satisfaisant qui relève d'un fonctionnement physique ou mental normal alors que la maladie est traduite comme une dégradation de cette normalité : une vision du «tout ou rien» sans prise en considération des interactions potentielles entre les deux aspects biologiques structurants de l'individu ni, d'ailleurs avec son environnement. C'est après la deuxième guerre mondiale que le concept de la santé vit un tournant important suite à la définition de l'OMS de 1948 : «Etat de complet bien-être physique, mental et social ne consistant pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité»6. Cette notion de la santé souligne deux idées nouvelles d'importance : 1. la santé ne se caractérise pas uniquement par l'absence de maladies. D'une part, le sentiment de bien-être global ne dépend pas nécessairement de la présence d'une altération ou d'une modification de la santé. D'autre part, la présence de troubles ne signifie pas forcément «perte», mais plutôt «diminution» de la santé, qui présuppose des actions de soins ciblées sur les capacités restantes et non sur la maladie uniquement; 2. la santé est un état dynamique, les aspects physique, mental et social de l'individu étant en interrelation. 4 Encyclopédie Larousse, vol. 9, Larousse, Lizy-sur-Ourcq, 1985, p. 9317 5 Encyclopédie Larousse, vol. 6, Larousse, Lizy-sur-Ourcq, 1985, p. 6567 6 Site Internet : http://pedagogie.ac-amiens.fr/svt/sante/page%201.htm Le sens du bien-être englobe «la notion d'épanouissement personnel ainsi que des valeurs d'identité, de liberté, de participation et d'utilité»7. Cette définition va donc bien au-delà du traitement de la maladie car la réponse aux besoins fondamentaux8 de l'être humain engage des responsabilités collectives. La santé selon l'OMS est donc l'affaire de tous. Cette vision de la santé considère l'être humain comme un tout indivisible qui devrait orienter les actions thérapeutiques vers une prise en compte holistique de l'individu. Or, depuis 1948, l'avancée scientifique et technologique de la médecine s'est axée sur les aspects physiques puis génétiques de la maladie. D'autre part, la vie par essence est une lutte et un effort permanents d'adaptation. Dès lors, comment considérer le malade dans sa globalité ? Comment concilier un bien-être total avec le combat perpétuel que représente la vie ? Ces constats amènent certains auteurs à dire que la définition de l'OMS en est une vision idéalisée vers laquelle tendre. Pour Marie-Françoise Collière, la conception actuelle de la santé recouvre les notions de maladie et de vie : «L'une et l'autre n'existent pas tant comme des entités en soi mais elles sont étroitement dépendantes de la vie dans ses différentes manifestations. [...] Santé et vie sont intimement liées en ce sens que la santé représente l'ensemble des possibilités qui permettent à la vie de se maintenir et de se développer»9. C'est la reconnaissance du lien entre la santé et la vie qui, selon l'auteure, permet d'admettre la «grande complexité» du paradigme de la santé et la prise en compte des fondamentaux de la vie déterminant la santé. Celle-ci, au même titre que la vie, consiste en un processus dynamique, en mouvement constant du fait de l'âge chronologique et des facteurs d'influences familiaux, sociaux, culturels, économiques, écologiques et politiques. L'auteure souligne que la santé comme la vie est «précaire et instable», notion de fragilité dans l'équilibre, émise dans la «pseudo» plaisanterie de Jules Romains. 7 L. Berger, D. Mailloux-Poirier «Personnes âgées, une approche globale, démarche de soins par besoins», Ed. Etudes vivantes, Montréal, 1989, p. 108 8 La réponse aux besoins fondamentaux veut dire «la satisfaction des besoins vitaux (nourriture, logement, etc.)une enfance bien vécue, une personnalité résiliante, une bonne pratique personnelle de la santé (style de vie), un bon soutien social, un bon environnement de travail, une justice sociale et économique (égalité des chances pour tous, indépendamment du sexe, de l'âge, de la religion, avoir accès à des services publics et médicaux), la paix et la liberté» 9 M.-F. Collière, «Soigner, le premier art de la vie», InterÉditions, Paris, 1996, p.219 Pasqualina Perrig-Chiello et Frédéric Darbellay font référence dans leur ouvrage à la terminologie «idéale» de l'OMS et à la prolongation de l'espérance de vie de ses dernières décennies pour définir la santé comme suit : «Etat d'équilibre en constante évolution qu'il s'agit encore et toujours de stabiliser»10. Au-delà des préoccupations financières qu'elle suscite aujourd'hui et que nous n'aborderons pas ici, ceux-ci nous disent encore que la santé est : «un concept multidimensionnel [...] pris dans un réseau de causalités multiples et ancrées dans les biographies individuelles : elle est à la fois objective et subjective»11. Selon eux, le sens donné à sa propre santé est : «Le reflet d'une réalité individuelle, biographique, sociale, écologique et économique objectivement donnée» mais «également l'objet d'une réalité subjectivement construite par les perceptions individuelles»12. Quant à Marie-Françoise Collière, elle postule que le sens donné à la vie va résolument influencer la santé, la perception subjective d'être bien, en forme, heureux, serein, étant indépendante de l'âge, du degré d'autonomie et de l'état biologique avéré. Le processus dynamique de la santé individuelle apparaît comme une : «découverte et mobilisation permanente du réseau de capacités et de potentialités de chaque personne, compte tenu de ses conditions de vie»13. Par capacités et potentialités, l'on entend, d'une part, la biologie individuelle regroupant les caractéristiques physiques et psychiques intrinsèques de l'organisme qui déterminent les ressources corporelles, cognitives et sociales mises en jeu dans le maintien de l'autonomie et le processus d'adaptation et, d'autre part, les valeurs, représentations, habitudes de vie et comportements qui conditionnent le processus décisionnel en faveur ou défaveur de la santé. 10 P. Perrig-Chiello / F. Darbellay, «La Santé: cycle de vie, société et environnement», collectif, Ed Réalités sociales, Lausanne, 2004, p. 10 11 Ibidem, p. 10 12 Ibidem 13 M.-F. Collière, «Soigner, le premier art de la vie», InterEditions, Paris, 1996, p. 220 Par conditions de vie, l'on comprend les facteurs d'influence externes appartenant, d'une part, à l'environnement familial et social (affectif et relationnel), les conditions socio-économiques, politiques, écologiques et, d'autre part, les choix de société en termes d'orientation des actions de santé publique, d'offres de prestations de soins et la qualité des relations du système sanitaire avec la population. Du point de vue sociétal, l'organisation de la santé publique vise à rassembler les moyens socio-économiques, culturels et pédagogiques afin de permettre à l'individu de s'épanouir et de se réaliser selon ses capacités, ses désirs et ses espoirs. La structure actuelle du système sanitaire est complexifiée du fait de la multiplicité d'acteurs et de disciplines scientifiques qui interagissent entre eux et autour de la pathologie du patient. Il ne s'agit pas de mettre en oeuvre les connaissances de chacun de manière superposée, mais de trouver un langage et un mode opérationnel communs qui puissent assurer les reliances entre ces nombreux savoirs. Médecins, infirmières, psychologues, sociologues, chercheurs, informaticiens, administrateurs, techniciens suivent tous le même objectif (agir sur la maladie) et, par là, sont amenés à mettre en jeu leurs compétences réciproques dans une dimension transdisciplinaire. Dans ce milieu, le patient14 intervient en faisant appel à ses ressources physiques, cognitives et sociales pour comprendre et s'adapter à ce contexte spécifique dont la pathologie qu'il présente est au centre des préoccupations. Ainsi, Pasqualina Perrig- Chiello et Frédéric Darbellay voient le concept de santé comme : «[...] un système [...] composé de sous-systèmes en constante interaction [...] fruit d'une interaction locale et globale entre les micro- et les macro-systèmes de l'individu, de la famille et du groupe social, pris dans les contextes culturels et environnementaux»15. L'apparition d'une maladie peut être traduite comme un «état de déséquilibre» au sein de cette structure dynamique. 14 Le terme «patient» utilisé dans ce document englobe celui de «résidant» 15 P. Perrig-Chiello / F. Darbellay, «La santé: cycle de vie, société et environnement»,collectif, Ed. Réalités sociales, Lausanne, 2004, p. 12 Pour conclure, l'individu tend à vouloir maintenir le contrôle sur sa vie et à lui donner sens. Il met en jeu ses capacités pour structurer son existence, se donner des buts et les moyens d'y parvenir, construire des relations sociales et s'adapter au monde environnemental. Ses propres facultés d'interprétation et d'actions ont une incidence non négligeable sur la qualité et la durée de sa vie, indépendamment des facteurs d'influence externes et de son état de santé objectif. Son statut de patient l'inscrit dans un système de soins dont les actions diagnostiques et thérapeutiques sont ciblées sur sa pathologie et non sur son être global. Selon son âge, son sexe, son éducation, sa culture et les facultés personnelles que nous venons de voir, l'individu malade se montrera plus ou moins proactif dans le processus de restauration de sa santé. Face à cette multiplicité de facteurs individuels et externes que constitue le concept de la santé, la notion de «droit à la santé» fait appel non pas à un droit exclusif, mais à la dimension d'accessibilité et de qualité des prestations de soins. Il s'agit donc d'un droit collectif et non individuel. Enfin, une certaine inégalité à interagir et à maintenir son autonomie existe entre les individus d'une même société, chacun ayant son potentiel propre d'autodétermination. Cela nous amène à postuler que cette inégalité individuelle ajoutée à la complexité de l'approche médicale plus organiciste qu'holistique, participent à l'altération du dialogue et à la construction d'une tension de masse entre le système de santé et les citoyens qui se traduit par une conflictualité croissante au sein de la relation thérapeutique et par des manifestations de violence dans les structures hospitalières. La santé n'appartient plus aux seuls soignants, mais révèle aujourd'hui une problématique qui, outre les coûts directs et indirects qu'elle engendre16, concerne l'ensemble de la collectivité. Il s'agit aujourd'hui de tout mettre en oeuvre pour encourager l'autodétermination du patient, établir un dialogue éthique dans la relation thérapeutique, restaurer la confiance entre les citoyens et leur système de santé. 16 Multiplication des examens diagnostics et des hospitalisations par défaut de coordination, renforcement de la sécurité dans les hôpitaux, juridicisation des conflits |
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