UNIVERSITE D'ETAT D'HAITI
CENTRE D'ÉTUDES EN POPULATION ET
DÉVELOPPEMENT
(CEPODE)
FACULTÉ DES SCIENCES HUMAINES
La place de la participation citoyenne dans la
politique nationale de la population.
ESSAI
En vue de l'obtention du Diplôme D'études
Post-Graduées en Population et Développement
Préparé par : DUMAY Miguel
Promotion : Année académique 2004 -2005
Professeur encadreur : Nelson Sylvestre
Mai 2007
RÉSUMÉ
Depuis plus de deux décennies, une nouvelle tendance
est observée dans les pays occidentaux notamment, dans la
manière de définir les politiques publiques. Celles-ci ne
relèvent plus de la compétence exclusive de l'État. Elles
sont plutôt l'oeuvre d'une multiplicité d'acteurs sociaux issus
des secteurs public, privé et de la société civile qui,
de ce fait, donnent à ces politiques publiques un regain de
légitimité, valorisant ainsi une citoyenneté active et
une meilleure gouvernance. Cette méthode est dite «d'ajustements
mutuels».
C'est donc l'application, en Haïti, de cette
démarche actuelle en matière de formulation de politiques
publiques que nous avons tenté d'étudier dans notre recherche sur
le processus d'élaboration de la Politique nationale de population
réalisé par la Secrétairerie d'État à la
Population en 2002, pour voir la portée de l'intervention de nos
citoyens faite en amont dudit processus.
REMERCIEMENTS
Ce travail de recherche a été rendu possible
grâce au savoir que m'a inculqué le staff de professeurs du
Centre en Population et Développement. Je tiens à leur rendre un
vibrant hommage. Mes remerciements vont de manière particulière
à mon encadreur Nelson Sylvestre qui m'a permis de
bénéficier de sa compétence, de ses conseils et
suggestions.
Je tiens également à exprimer ma gratitude
à mes camarades de promotion, particulièrement mes compagnons de
travail, Emerson et Foider, qui m'ont gratifié de leur
solidarité durant le cycle d'études.
Je ne saurais terminer ces lignes sans adresser un merci
spécial à ma famille, notamment à ma gentille
épouse pour son soutien moral, sa compréhension et son
accompagnement tout au long de ma démarche. Sans quoi, je ne saurais la
mener à terme. Je suis, enfin, très reconnaissant envers Dieu qui
m'a donné la santé, l'intelligence et la force nécessaires
pour réaliser cet essai.
SOMMAIRE
Page
Résumé 1
Remerciements 2
Sommaire 3
Liste des tableaux, figures et schémas
5
Liste des annexes
5
Introduction
1) La question de recherche, hypothèse, objectifs et
méthodologie
6
Chapitre I
Politiques publiques et Participation citoyenne comme
concept.- 11
I-1 Les politiques publiques : Définitions et
Théories 11
I-1-2 Politique de population
13
I-2 Le régime haïtien dans la Constitution de
1987: L'Etat unitaire décentralisé
14
I- 3 La participation : Définitions et
Théories 15
I-4 Action collective et affaires publiques
16
I-5 Les formes de participation
17
I-5-1 La Société civile
20
Chapitre II
La problématique démographique et la politique
de population en Haïti.
22
II-1 La question démographique dans le contexte
caraïbéen 22
II-2 L'évolution démographique en Haïti
24
II-3 Les politiques publiques de population en Haïti
29
II-4 Présentation de la politique nationale de
population (PNP) 30
II-4-1 Contexte et justification
33
II-4-2 Philosophie, principes et but de la PNP
33
II-4-3 Les axes stratégiques
34
II-4-4 Structure et procédure de mise en oeuvre
35
Chapitre III
L'influence de la participation citoyenne sur
l'élaboration de la Politique Nationale de Population (PNP)
37
III-1 Forme de participation adoptée et objectif
poursuivi 38
III-2 Mode de désignation et catégorie de
participants 39
III-3 Procédure et contenu des consultations
42
III-4 Mode de délibération
47
III-5 Rapport entre le contenu des consultations
départementales et celui de la Politique Nationale de Population
47
III-6 Les limites de cette participation
49
Conclusion
52
Bibliographie
55
Annexes
58
Liste des tableaux, figures et
schémas
Page
Tableau II-1 : Stade d'avancement de la transition
démographique 24
Tableau II-2 : Évolution de la population en
Haïti 28
Tableau III-3 : Distribution des participants aux
consultations par département et par secteur
40
Tableau III-4 : Répartition des problèmes
identifiés selon les catégories par département par les
sous-thèmes Natalité, Fécondité et Croissance
démographique
44
Tableau III-5 : Répartition des problèmes
identifiés selon les catégories par département pour le
sous-thème Mortalité 45
Tableau III-6 : Répartition des problèmes
identifiés selon les catégories par département pour le
sous-thème Migration 46
Figure II-1 : Carte des Républiques d'Haïti
et Dominicaine 25
Figure II-2 : Courbe évolutive de la population en
Haïti 29
Figure III-3 : Histogramme des participants par secteur
et par jour 41
Schéma II-1 : Processus d'élaboration d'une
politique publique 31
Schéma III-2 : Le processus participatif
38
Liste des Annexes
Annexe A : Guide d'entretien autour des consultations
départementales en vue de l'élaboration de politique nationale de
population
58
Annexe B : Programme type des consultations
départementales 59
Introduction.-
1) La question de recherche, hypothèse,
objectifs et méthodologie.
L'Etat, indépendamment de sa nature, est un appareil
créé pour réguler les multiples intérêts des
membres de la société au nom du principe de
l'égalité et de la protection équitable face au
système social. Il a alors pour mission de garantir les droits
fondamentaux des citoyens, d'assumer de grandes responsabilités et
d'entreprendre un certain nombre d'actions qui va, non dans le sens des
intérêts individuels mais dans celui de la collectivité.
Pendant longtemps la population d'un pays a su tant soit peu
se reconnaître dans son Etat qui parvenait à cristalliser ses
aspirations. Cet organe régulateur qui se veut permanent arrive
vraisemblablement à se placer au-dessus de la mêlée.
Investi de la confiance de ses paisibles citoyens, l'Etat joue le rôle
d'un bon père de famille qui met tout en oeuvre pour subvenir aux
besoins de ses enfants. C'est dans ce contexte que l'Etat, en tant que
détenteur de la souveraineté et garant de l'égalité
entre les citoyens, a pu pendant des siècles utiliser sa
prérogative d'élaborer unilatéralement des politiques
publiques. Ce que les spécialistes baptisent de
« méthode synoptique ».
Cependant, avec l'évolution du monde, le progrès
social, le processus de globalisation, la résurgence de l'individualisme
et les bouleversements de toute sorte qu'a connu le 20ème
siècle, l'Etat est, dans une certaine mesure, tombé de son
piédestal. Il fait face à une sérieuse crise de confiance
de la part de ses citoyens qui le trouvent défaillant presque dans tous
les domaines. Dotés d'une plus grande capacité de
réflexion, d'une meilleure formation, les individus revendiquent
beaucoup plus de libertés et de responsabilités en ce qui
concerne la chose publique. Ils refusent désormais de se remettre
entièrement à l'Etat et veulent être partie prenante des
décisions qui les concernent. Ils réclament alors plus de
participation et ceci à tous les niveaux. C'est ainsi que depuis les
années 1970-1980, on assiste notamment dans les pays occidentaux
à l'émergence d'une nouvelle façon de concevoir et de
réaliser des politiques publiques qui tient compte de la conjugaison
des intérêts de l'Etat et des groupes de citoyens
concernés. C'est ce qu'on appelle la méthode des ajustements
mutuels.
Cette nouvelle tendance participe du débat autour du
dualisme secteur privé/secteur public, intérêt
privé/intérêt public, espace privé/espace public,
etc. A bien considérer, la méthode des « ajustements
mutuels » semble être compatible avec la
« démocratie participative ». L'approche
participative est de nos jours préconisée par les institutions
internationales notamment les Nations-Unies et la Banque Mondiale comme moyen
efficace d'obtenir une politique publique légitime qui soit le fruit
d'un travail collectif et d'une large concertation entre les citoyens.
Pour se mettre au diapason, la « politique
de population » de la Secrétairerie d'Etat à la
Population, préfacée et paraphée par le ministre de la
santé publique et de la population en juillet 2000, serait
l'aboutissement de processus de sensibilisation, d'études, de
réflexions, d'analyses impliquant divers secteurs de la
société haïtienne y compris la communauté
internationale. Présentant une vision stratégique face aux
problèmes de population identifiés, cette politique
prétend répondre aux besoins qui sont susceptibles
d'améliorer la qualité de vie de la population haïtienne.
Elle demeure une composante d'une politique de développement implicite
ou explicite adaptée aux réalités structurelles du
pays.
Ce nouveau tournant que prend le processus de
définition des politiques publiques en Haïti mérite de
retenir l'attention des chercheurs et analystes. Presqu'aucune étude n'y
a été jusqu'ici consacrée. C'est donc pour cette raison
que nous nous proposons d'apporter notre petite contribution en abordant le
volet « participation des citoyens » dans
l'élaboration de la politique nationale de population. Car le pays se
trouve en plein apprentissage de la démocratie. Et depuis 1986, les
citoyens ont inscrit au nombre de leurs revendications majeures le droit de
participer activement aux grandes décisions politiques sur des
questions qui concernent leur destinée. Aussi la problématique de
la population aurait-elle interpellé la conscience de tout
haïtien et reçu un certain feed-back positif.
Notre hypothèse de travail est alors
formulée comme suit : «Les citoyens, par leurs
réflexions produites au cours des assises réalisées en
la circonstance, influencent le contenu de la politique nationale de
population»
Notre objectif consiste à rechercher à
travers le document de politique de population comment la participation
citoyenne concrétisée à travers les consultations
départementales est parvenue à influencer la définition
de la politique nationale de population.
Notre travail se veut une recherche qualitative. Une analyse
du document de « Politique Nationale de Population (PNP) »
et de celui du «Rapport des Consultations
Départementales », à l'aide de deux grilles
d'analyse comportant chacune quatre unités, nous permettra de tester
notre hypothèse. Les informations collectées à partir des
entretiens que nous avons eu avec deux hauts cadres de la Secrétairerie
d'État à la Population (SEP), à savoir le Directeur de la
Population et le Directeur de la Communication de la SEP, serviront à
approfondir notre analyse. Le choix de nos interviewés se justifie par
le fait qu'ils ont été du nombre des acteurs ayant
travaillé à la réalisation du processus
d'élaboration de la Politique Nationale de Population. Après
cinq à sept années de recul, nous estimons qu'ils sont en mesure
de prendre une distance critique par rapport audit processus et
d'émettre des informations objectives. Nous n'avons pas pu atteindre
beaucoup plus d'interviewés, faute de temps. Mais notre démarche
demeure pour autant valide et est astreinte à la rigueur scientifique.
Au premier chapitre de notre recherche, nous nous proposons
d'étudier les concepts politiques publiques et participation citoyenne
dans lequel nous aborderons les théories y relatives, les formes et les
acteurs de la participation. Dans le deuxième chapitre, nous
présenterons la problématique démographique et la
politique de population en Haïti. Dans le troisième et dernier
chapitre, nous tenterons de déceler, à travers notre analyse,
l'influence de la participation citoyenne sur la politique nationale de
population ainsi que les limites de ce processus de participation.
Chapitre I
Politiques publiques et Participation citoyenne comme
concept.-
Ce chapitre constitue, dans ce travail d'essai, notre cadre
conceptuel et théorique. Il y est abordé les différentes
acceptions et théories sur les politiques publiques et la participation
citoyenne en tenant compte des dimensions politique, juridique et sociologique
de la question.
I-1 Les politiques publiques : Définitions et
Théories
Les politiques publiques ont fait l'objet de beaucoup
d'études et sont, de ce fait, diversement définies. Certains
auteurs dont Jean Claude Thoenig (1985) les considèrent comme un
problème, une réalité objective qui s'inscrit dans un
contexte social spécifique par rapport à des enjeux, des
populations et des structures. Prises dans ce sens, les politiques publiques
affectent des individus, des groupes, des organisations ou des classes dans
leurs attitudes, leurs intérêts ou leurs situations
D'autres auteurs focalisent leurs définitions sur le
processus mis en oeuvre pour fabriquer les politiques publiques. Celles-ci
sont, selon Massardier (2003) qui se rapproche de l'expression
« policy making » des Anglo-Saxons, le résultat
d'une multiplicité d'interactions, d'échanges et de rapports de
force tant au moment de leur détermination que dans la conduite de la
démarche de mise en oeuvre. Cette définition parait conforme aux
objectifs de notre recherche.
Cependant, il ne sera pas inutile de rappeler la
définition lapidaire de Dye, cité par Thoenig, qui s'articule
autour de l'action ou de l'inaction des décideurs politiques. Pour lui,
une politique publique est tout ce que les gouvernements décident de
faire ou de ne pas faire. Ce qui signifie q'une politique publique peut
être implicite ou explicite.
En ce qui concerne les théories qui traitent la
question de politique publique, il ne nous est pas paru nécessaire d'en
faire ici une recension. Nous nous référons tout simplement
à Massardier (2003) qui parvient à les classer sous le label de
trois (3) paradigmes reposant sur trois (3) types de rationalités :
· La rationalité de la puissance publique
souveraine, illimitée, instrumentale et descendante, en particulier
celle de l'Etat qui est développée par le droit public, la
science administrative et le management public). Elle tient compte de
l'adéquation des objectifs visés et des moyens disponibles. La
politique fonctionne comme une boite noire qui adresse les demandes sociales
produites à l'entrée (in put) et fournit des réponses
à la sortie (out put).
· La rationalité économique
illimitée et instrumentale qui se soumet à la fois aux
régulations du marché et de l'Etat. Préconisée par
l'économie publique, cette rationalité recherche le meilleur
rapport coût/avantage. Ainsi, la société dispose des biens
publics selon le mécanisme du marché
(offre/demande/prix).
· Les rationalités des acteurs multiples de
l'action publique, limitées, incrémentées, polycentriques
et négociées développées récemment par la
sociologie et science politique se rapprochent du paradigme de l'anarchie
organisée, cher aux sociologues des organisations.
C'est donc cette rationalité des acteurs multiples de
l'action publique qui va nous servir de fil directeur tout au long de notre
recherche sur la place de la participation citoyenne dans la Politique
Nationale de Population (SEP, 2002). Une politique qui, dans sa phase
d'élaboration, aurait mis en interaction l'Etat et divers autres
acteurs de la société haïtienne (SEP, 2000).
I-1-2 Politique de Population.-
Il va sans dire qu'une politique de
population est une politique publique et comme telle, elle est diversement
définie (Gérard, 1983). Mais dans le cadre de notre travail,
nous nous contentons d'utiliser simplement les deux définitions qui
suivent.
S'inscrivant dans une perspective de développement,
une politique de population est, selon Hubert Gérard (1983),
« un ensemble de mesures et de programmes destinés à
contribuer à la réalisation des objectifs économiques,
sociaux, démographiques et autres objectifs collectifs en intervenant
sur les variables démographiques principales telles que la taille, la
croissance, la distribution spatiale (nationale et internationale) de la
population (...) tout en mettant l'accent sur l'amélioration de la vie
des populations du pays ». Cette définition qui montre la
transversalité d'une politique de population s'apparente en partie
à celle donnée par le Dictionnaire démographique
multilingue selon laquelle une politique démographique consiste en un
ensemble de principes explicites ou implicites qui guident l'action des
pouvoirs publics dans les matières spécifiquement
démographiques ou ayant des conséquences démographiques.
Une telle politique peut être « populationniste » si
elle vise à favoriser l'accroissement de la population ou
« malthusianiste » dans le cas contraire.
En consultant la littérature disponible sur la
question, nous remarquons que le courant malthusianiste traverse la
quasi-totalité des politiques de population des pays y compris celle
d'Haïti. Car le malthusianisme ou néo-malthusianisme vise
l'adéquation de la population et des ressources disponibles pour
éviter toute situation de pauvreté.
I-2 Le régime haïtien dans la Constitution
de 1987: L'Etat unitaire décentralisé
La Constitution de 1987 a défini un nouveau mode
d'organisation de l'État. L'État haïtien devra cesser
d'être oligarchique, prédateur, exclusif et centralisateur pour
devenir un État moderne, démocratique, inclusif et
décentralisé. Ce qui lui permettra de mieux répondre
à sa nouvelle mission. Car l'Etat est, selon F. Houtard (1995), une
institution résultant de rapports sociaux, c'est-à-dire de
groupes humains en interaction mutuelle pour la poursuite d'objectifs
collectifs dans les champs économiques et politiques. Son rôle
consiste à créer les conditions et les cadres juridiques
nécessaires à la reproduction ou la transformation desdits
champs.
Outre la souveraineté nationale dont l'exercice est
confié aux pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire
(titre V, article 59), la Constitution de 1987 a innové en
créant un Etat unitaire décentralisé qui se repose sur
trois (3) niveaux de collectivités territoriales : la section communale,
la commune et le département (chapitre 1, article 61). Cette
décentralisation effective devra permettre de dynamiser la
démocratie et de ce fait, faciliter la participation des citoyens aux
affaires publiques.
1-3 La participation : Définitions et
Théories
La participation a pris, ces derniers temps, une importance
beaucoup plus accrue dans les sociétés démocratiques. Des
analystes viennent même à montrer la limite de la
démocratie représentative et vantent la vertu de la
démocratie participative (Bevort, 2002) qui garantit aux citoyens des
droits et libertés beaucoup plus étendus.
Cette participation qui est la composante fondamentale de la
démocratie se définit, selon GRIDE (2005), comme l'ensemble des
normes, des pratiques et des mécanismes qui permettent aux citoyens de
contribuer à la vie d'une organisation ou d'exercer une influence sur la
marche des affaires d'une communauté.
La Constitution de 1987 s'inscrit dans cette même ligne
de pensée quand, dans son préambule 7, elle fait
référence à la concertation et la participation de toute
la population aux grandes décisions engageant la vie nationale. Elle a
aussi pris soin de bien définir la qualité, les droits et devoirs
du citoyen notamment la liberté d'opinion, de réunion,
d'association et le droit de pétition (titre III, article 16, 28, 29,
section E, art. 31, 31-1, 31-2, 31-3).
Mary Pat Mackinnon (2006) explique, dans son document
intitulé « les citoyens et l'aspect horizontal des
politiques:un ajustement naturel » que la participation active
reconnaît la capacité des citoyens d'examiner et de
générer de façon autonome des choix en matière de
politiques. Ainsi, nous pouvons dire que cette participation devra permettre
aux citoyens de mener des actions collectives et de s'impliquer dans les
affaires publiques.
I-4 Action collective et affaires
publiques
Force est, cependant, de constater qu'il s'avère
difficile de porter les citoyens à participer collectivement aux
activités d'intérêt public. En ce sens, Marx et les
auteurs marxistes (Montoussé et Renouard, 1977) font comprendre que la
mobilisation de la classe ouvrière pour la défense de ses
intérêts n'est jamais automatique. Elle se trouve
entravée, selon Marx, par la violence physique et idéologique
exercée par la classe dominante.
Utilisant une approche psychosociologique, Tarde et Lebon
(Montoussé et Renouard, 1977) avancent que, dans une foule, les hommes
sont irrationnels et, de ce fait, imitent des meneurs ou se laissent manipuler
par eux. Alors que pour Mancur Olson (Montoussé et Renouard, 1977) qui
se rapproche d'une certaine façon de la pensée des marxistes, les
individus rationnels ayant des intérêts communs ne se mobilisent
pas automatiquement pour les défendre. Leur désir de se
mobiliser se manifeste après qu'Ils se soient rendus compte que le
coût de la mobilisation est inférieur au gain escompté.
Dans le cas des biens publics, ces individus inaptes à se mobiliser
adoptent tout simplement l'attitude du passager clandestin.
Ces considérations permettent de comprendre que la
mobilisation de masse, l'action collective n'est pas chose facile. Mais une
fois que les individus parviennent à être conscientisés,
à avoir une perception claire des problèmes communs à un
groupe, une communauté ou une société, ils vont se
mobiliser en portant ces questions d'importance majeure sur la place publique
aux fins de rechercher, avec d'autres acteurs politiques, des solutions
appropriées. Ce faisant, ces problèmes deviennent, selon
Vincent Lemieux (1995), des affaires publiques.
I-5 Les formes de participation
Rechercher des solutions collectives aux problèmes
qualifiés d'affaires publiques nécessite, dans le cadre d'une
démocratie libérale (Enriquez, 1995), une participation
multiforme. Les formes les plus courantes utilisées par les pays qui
accordent une attention particulière à la participation citoyenne
sont l'information, la consultation, la concertation, le débat public,
la conciliation / médiation, la conférence de citoyens ou de
consensus, le jury de citoyens ou cellule de planification et les repas de
quartier.
Signalons qu'avec l'expansion de l'Internet, certains pays
industrialisés développent ces dernières années
les « e-gouvernance », «e-administration »,
« e-participation »
« e-démocratie » etc, une façon de faciliter
et d'accélérer la participation du citoyen dans la gestion de la
chose publique à partir de son ordinateur personnel branché sur
la toile d`araignée. Haïti n'est pas encore à ce stade et de
ce fait, nous fermons tout de suite la parenthèse. Nous nous contentons
de nous pencher alors sur les formes traditionnelles préalablement
citées.
· L'information.- Ce paramètre est
incontournable et constitue le préalable à tout projet de
participation. Il devient impérieux de fournir suffisamment
d'informations à la population appelée à participer.
Cette information véhiculée à travers les médias
traditionnels, médias de masse, Internet, réunions publiques ou
autres doit être complète, claire et compréhensible. Ce
n'est qu'à cette condition que la population va être investie du
pouvoir d'agir.
· La consultation.- C'est lorsqu'en amont d'une
politique, les décideurs demandent l'avis de la population afin de
connaître ses opinions, ses attentes et ses besoins.
· La concertation.- C'est une attitude globale de demande
d'avis sur un projet ou une politique, par la consultation de personnes
intéressées par une décision avant qu'elle ne soit
prise.
· Le débat public.- C'est une étape
importante dans le processus décisionnel qui s'inscrit en amont du
processus d'élaboration du projet ou de la politique.
· La conciliation/médiation.- C'est la
confrontation de points de vue divergents des participants animés par le
désir et la volonté d'aboutir à une solution ou un
consensus majoritaire.
· La conférence de citoyens ou de
consensus1(*).- C'est le
dialogue public, en vue d'un consensus, engagé entre un panel de
citoyens profanes (qui ont reçu des experts une formation
préparatoire) et des représentants du monde politique,
économique et associatif sur des problématiques d'ordre
scientifique et technologique (Bévort, 2002). Le rapport final
comportant les avis et recommandations du panel de citoyens sera rendu public
et remis aux décideurs politiques à l'issue de la
conférence.
· Le jury de citoyens ou cellule de planification2(*).- C'est une méthode
(Bevort, 2002), à la différence de la conférence de
citoyens, qu'on utilise surtout au niveau local et notamment dans le cadre du
développement urbain. De fait, un panel de citoyens informés
représentant le noyau de leur communauté et divisé en
petite « cellule de planification » va remettre -
après discussions et évaluation de différentes options
relatives à une problématique de planification urbaine - un
rapport comportant avis et recommandations aux autorités politiques.
· Les repas de quartier.- C'est aussi une méthode
de participation qui s'applique à une sphère géographique
très réduite : « Le quartier ». Les
premiers repas de quartier hebdomadaires (Bevort, 2002) furent organisés
à Arnaud-Bernard, un vieux quartier de Toulouse (France), dans les
années 1991-1993. Ils avaient pour but de « contribuer
à inventer de nouvelles solidarités, de transformer les
mentalités dans notre pays, de prendre à revers la
technocratie ». Les participants furent à la fois acteurs et
organisateurs de ces repas qui leur offrent l'occasion de se rencontrer en
toute convivialité, d'échanger et d'envisager d'autres actions
communes.
C'est donc à travers l'une ou deux des formes de
participation susdécrites que vont se retrouver les acteurs qui
désirent intervenir dans l'élaboration d'une politique publique.
Les acteurs intéressés sont les institutions, les groupes, les
individus et, de manière plus large, la société civile.
I-5-1 La Société civile.-
Point n'est besoin de rappeler que la société
civile joue un rôle prépondérant dans tout processus de
participation citoyenne, de démocratie participative. Dans cet ordre
d'idées, divers auteurs ont travaillé sur ce thème et
montré, à travers leur définition du concept, les acteurs
composant la société civile et leurs rapports avec l'Etat.
Pour Saint-Simon (Houtard, 1995), par exemple, la
société civile indiquait au 18ème siècle tout ce
qui n'appartenait pas au pouvoir politique, c'est-à-dire l'État.
Tandis que Hegel voit en elle la médiation entre la forme sociale
primaire qui est la famille et la forme la plus élevée,
l'État. Dans son étude faite au début du 19ème
siècle sur la démocratie aux Etats-Unis, Alexis de Tocqueville
(1835 et 1840) constate que les associations libres, en fonction du principe de
l'égalité et de la liberté d'opinion, se
développent dans la sphère non contrôlée par
l'État. Gramsci étend, pour sa part, la société
civile à l'ensemble des organismes publics non gouvernementaux, groupes
et mouvements exprimant les préoccupations et les droits populaires.
La dynamique constatée dans la vie associative en
Haïti, depuis deux décennies, se rapproche davantage de la
conception gramscienne de la société civile. On a, en effet,
observé à la chute de la dictature des Duvalier en 1986 à
un pullulement de comités de quartiers, d'organisations populaires,
d'associations socioprofessionnelles, de syndicats, de partis politiques, etc.
La plupart de ces associations ont disparu et réapparu avec les
conjonctures socio-politiques. Elles ont certainement la vertu de porter
tant soit peu la population en général et leurs membres en
particulier à s'intéresser aux affaires publiques.
On assiste alors à un nombre appréciable de
citoyens qui participent aux élections présidentielles,
législatives et municipales en qualité de candidats ou
d'électeurs. Ils appuient ou prennent activement part aux
manifestations des rues, aux grèves, meeting,
réunions-discussions, tribunes libres, etc. Et avec la nouvelle
orientation que prend l'élaboration des politiques publiques dans le
monde, nos citoyens commencent à se voir impliquer aussi en Haïti
dans ce genre de processus. Cet aspect du sujet sera beaucoup plus approfondi
au troisième et dernier chapitre de notre recherche.
Chapitre II
La problématique démographique
et la politique de population en Haïti
Dans ce chapitre, nous avons tout d`abord porté notre
attention sur le processus de transition démographique au niveau de la
Caraïbe pour ensuite suivre l`évolution de la démographie
haïtienne, esquisser l'historique des politiques de population en
Haïti et traiter le document de politique nationale de population.
II-1 La question démographique dans le contexte
caraïbéen.-
Nous ne saurions aborder la problématique
démographique haïtienne sans la placer dans le contexte
caraïbéen, vu la position géographique du pays. Cet espace
caraïbéen comporte globalement trente huit (38) Etats et
territoires pour une population estimée en 2002 à 250 millions
d'habitants avec une densité de 47 hab/km², soit une proportion de
4% de la population mondiale (Insee Guadeloupe Démographie). Vingt cinq
(25) de ces Etats et territoires constituent ce qu'on appelle les
« Iles de la Caraïbe ». Celles-ci comptent, en 2002,
38 millions d'habitants avec une densité de 163 hab/km², soit
0.6% de la population mondiale.
Il n'y a que cinq pays (Mexique, Colombie, Venezuela,
Guatemala et Cuba) qui ont chacun une population de plus de 10 millions
d'habitants, soit environ 78% de l'espace Caraïbe.
Le processus de transition démographique s'est
amorcé dans la Caraïbe depuis 1950. Elle s'est vue sa population
triplée d'une augmentation de près de 176 millions d'habitants
avec un taux d'accroissement annuel moyen de 2,4%. A l'exception de
Saint-Kitts et Nevis et de Montserrat qui ont enregistré sur la
période une baisse de population.
La Guyane a pu remporter la palme avec une augmentation de
population de 600% due à la résultante de ces trois
facteurs : vagues successives d'immigration - structure par âge de
la population jeune - taux de fécondité élevé. Au
cours de la période, les îles de la Caraïbe ont connu une
hausse de plus de 21 millions de personnes, soit une augmentation de 125% avec
1,6% taux d'accroissement annuel moyen. Leur hausse est ainsi repartie :
Cuba, République Dominicaine et Haïti rassemblent plus de 73% de la
population tandis que Porto Rico, la Jamaïque et Trinité-et-Tobago
ayant respectivement plus d'un million d'habitants comptabilisent 20%. Ce qui
donne au total 93% de l'ensemble de la population des îles.
La croissance démographique de l'Espace Caraïbe
s'est ralentie dans les années 1990. Et en faisant la relation entre les
taux de natalité, de mortalité et d'accroissement annuel moyen,
on a pu établir les quatre (4) stades d'avancement de la transition
démographique des pays de l'Espace. Le tableau ci-après que nous
avons élaboré à partir des données de l'INSEE
Guadeloupe Démographie l'illustre clairement.
Tableau II-1:Stade d'avancement de la transition
démographique,
Pays
|
Taux de Natalité
|
Taux de Mortalité
|
Taux d'Accroissement annuel moyen
|
Transition
|
Haïti
|
élevé
|
élevé
|
modéré
|
émergente
|
Guatemala, Honduras, Nicaragua
|
élevé
|
modéré
|
élevé
|
en cours
|
Costa Rica, Mexique, République Dominicaine
|
modéré
|
modéré, faible
|
faible
|
avancée
|
Barbade, Cuba, Martinique
|
faible
|
faible
|
faible
|
achevée
|
II-2 L'évolution démographique en
Haïti
Avant de suivre cette évolution démographique,
il serait intéressant de souligner que la République d'Haïti
fait partie des grandes antilles. Elle occupe la partie occidentale de
l'île d'Hispaniola qu'elle partage avec la République Dominicaine.
Cette île se trouve au sud-est de Cuba et à l'ouest de Porto
Rico. Avec une superficie de 27750 km², Haïti qui a pour capitale
Port-au-Prince est bornée au nord par l'océan Atlantique, au sud
par la mer des Caraïbes et à l'ouest par le Canal du vent. Ses
premiers habitants étaient des Amérindiens Arawak.
Colonisée par les espagnols tout de suite après sa
découverte, puis par les français, Haïti fut la
première république nègre à conquérir son
indépendance en 1804 au terme d`une guerre sanglante. Jadis
prospère, ce pays, constitué en grande partie de montagnes et de
très peu de plaines, fait face depuis plus de trois décennies
à de graves difficultés politiques, économiques et
sociales au point de devenir l'unique PMA (Pays moins avancé) du
continent américain. Il accuse, en effet, un indice de
développement humain (IDH) de 0,482 occupant la 154ème
position sur 170 pays, une fréquentation scolaire de moins de 50% avec
d'environ 60% d'alphabétisés et un taux de chômage de
32,7%. Son PNB en 2004 est de $US 3690 millions avec une croissance du PIB de
-1,00%. Ses secteurs d'activités sont ainsi répartis :
27,40% pour l'agriculture, 16,30% pour l'industrie et 56,30% pour les services.
Son taux d'urbanisation est de 40,8%.
Figure II-1: Carte des Républiques d'Haïti et
Dominicaine

Source : Encyclopédie Microsoft Encarta 2004
L'histoire démographique d'Haïti (Nations-Unies,
1990) remonte à 1492, date de la découverte de l'île
d'Hispaniola par Christophe Colomb. Elle est divisée en trois (3)
périodes : 1492 - 1804, 1804 - 1920, 1920 à date.
1ère période:1492 -1804
Lorsque Colomb débarqua avec ses espagnols en 1492,
il trouva environ un million d'amérindiens sur l'île. Cette
population fut rapidement décimée à cause des traitements
inhumains que lui infligeaient les occupants. Il n'y resta que 20000 habitants
vers 1600 qui s'établirent dans la partie orientale de l'île
d'Hispaniola. Avec la traite négrière, l'extension des
plantations et l'immigration significative des français à
Saint-Domingue, il y eut une augmentation considérable du nombre
d'habitants dont la majorité furent les esclaves. Mais avec la
révolte de ces derniers et la guerre pour l'indépendance
d'Haïti qui s'ensuivit, la démographie a chuté en 1804
à 500000 habitants.
2ème période: 1804 -1920
On a enregistré une croissance démographique
substantielle. La population est passée de 500000 à 2,1 millions
d'habitants avec un taux annuel moyen de croissance de 1,4 %. Cet accroissement
naturel est dû notamment au fort niveau de fécondité de 8
enfants par femme (des femmes africaines prolifiques transplantées
à Saint-Domingue) en dépit de la faible espérance de vie
à la naissance estimée à 25 ans, à la structure par
âge et au type de société rurale établie.
3ème période: 1920 à
2003
Cette période est aussi caractérisée par
l'augmentation de la croissance naturelle mais contrebalancée par une
émigration significative. En dépit des crises politiques et
socio-économiques successives qui affectent le pays, l'on observe une
augmentation accélérée de la population due au fort indice
synthétique de fécondité. Pour les quatre recensements
réalisés en Haïti de 1950 à 2003, on a
enregistré un taux de croissance compris entre 1,3% et 2,4%. On a donc
au :
Recensement de 1950: 3,1millions d'habitants avec 1,3% de
taux de croissance (1920 - 1950)
Recensement de 1971: 4,3 millions d'habitants avec 1,6% de
taux de croissance (1950 - 1971)
Recensement de 1982: plus de 5 millions d'habitants avec 1,4%
de taux de croissance (1971 - 1982)
Recensement de 2003 (IHSI, 2003): 8.373750 d'habitants avec
2,4% de taux de croissance (1982 - 2003)
Tableau II-2 : Evolution de la population en
Haïti
PERIODE CONSIDÉRÉE
|
NOMBRE D'HABITANTS
|
Avant 1492
|
1000000
|
1492 - 1804
|
500000
|
1804 - 1920
|
2100000
|
1920 - 2003
|
8373750
|
On peut observer sur le tracé de la courbe que la
population haïtienne a connu une croissante lente à partir de 1804
mais qui a quadruplé au cours des quatre-vingts dernières
années.

II-3 Les politiques publiques de population en
Haïti
Haïti n'a pas une tradition de politique publique de
population explicite3(*).
D'ailleurs, les politiques gouvernementales, jusqu'en 1970, se trouvaient tout
simplement définies à travers les messages présidentiels
et les programmes d'actions sectoriels. Elles se trouvent à partir de
1971 exprimées à travers des plans quinquennaux et biennaux.
Ce n'est qu'au début des années 1980 que le
gouvernement de Jean Claude Duvalier commença à
s'intéresser aux problèmes démographiques et à
rechercher des solutions susceptibles de réduire l'accroissement
naturel, la migration et d'améliorer les conditions de vie de la
population. A cet effet, le document du troisième plan quinquennal
(1981-1986) du ministère du Plan comporte une section intitulée
« politique de population » qui est officiellement une
politique explicite de population.
En 1983, Un comité ad hoc interministériel
prépara, à la demande du président de la
République, un document de travail intitulé « Politique
de Population en Haïti ».
En 1987, le Conseil National de Population (CONAPO) fut mis
en place après promulgation du décret du 3 octobre 1986.
En juillet 1989, le processus de formulation d'une politique
de population, à la charge d'un comité intersectoriel, fut
repris. Cette politique devrait être soumise au CONAPO et au gouvernement
au début de 1990.
En mars 1999, le Premier Ministre Jacques Edouard Alexis
procéda à la réouverture de la Secrétairerie d'Etat
à la Population (SEP) dont la mission principale est de parvenir
à la formulation, à l'implantation et au suivi d'une politique de
population (SEP, 2000). Effectivement, la politique nationale de population a
pu enfin voir le jour en juillet (SEP, 2002).
II-4 Présentation de la politique nationale
de population (PNP)
Avec l'émergence de la méthode d'ajustements
mutuels, les politiques publiques sont depuis quelque temps
caractérisées par leur mode de fabrication (interactions
d'acteurs multiples) et leur contenu (produit de ces interactions). Le
schéma ci-dessous que nous avons conçu l'illustre bien.
Schéma II-1: Processus d'élaboration
d'une politique publique
Mode de
Fabrica -
tion de la
politique
Politique
Publique
Contenu
De la politique

En ce qui concerne les mesures en matière de
population, elles gravitent généralement autour des trois (3)
paramètres démographiques fondamentaux qui sont la
fécondité, la mortalité et la migration.
La politique nationale de population (PNP), telle qu'elle est
élaborée dans le document (SEP, 2002) publié par le
gouvernement de Jacques Edouard Alexis semble s'inscrire dans le cadre de la
« rationalité des acteurs multiples de l'action
publique » communément appelée méthode des
ajustements mutuels (Massardier, 2003) que nous avons traité au chapitre
I et satisfaire à la définition de Hubert Gérard (1983)
dans le sens qu'elle vise la réalisation d'objectifs économiques,
sociaux, démographiques et collectifs en réponse aux
problèmes de population identifiés.
Le document de Politique Nationale de Population (PNP) d'une
cinquantaine de pages, préfacé en juillet 2000 par le ministre de
la santé publique et de la population, Dr Michaèle AMEDE GEDEON,
a été préparé sous la direction du
secrétaire d'Etat à la population, Dr Jean ANDRE et publié
en juillet 2002. Il comporte - outre une introduction et une conclusion - cinq
(5) chapitres qui présentent successivement le problème
démographique en Haïti (chap. I), le cadre d'élaboration de
la politique de population (chap II), les axes stratégiques d'action et
les composantes principales de la politique de population (chap III), les
interactions entre la politique de population et les politiques sectorielles
(chap. IV) et la mise en oeuvre de la politique (chap V).
Pour mieux appréhender ce document de politique, nous
avons utilisé une grille d'analyse de quatre (4) unités :
1. Contexte et justification
2. Philosophie, principes et but de la politique nationale de
population (PNP)
3. Les axes stratégiques
4. Structure et procédure de mise en oeuvre
II-4-1 Contexte et justification.-
Au chapitre I, on trouve exposé le cadre
référentiel de la problématique de la population
haïtienne inscrit dans une triple dimension politique et institutionnelle,
socio-économique et démographique. L'accent est donc mis sur la
démocratie comme système politique, la gouvernance responsable,
l'égalité des sexes et des droits, le partenariat secteur
public/privé - gouvernants/société civile,
l'évolution sur le plan de la justice et des droits humains, la prise en
charge des jeunes, la structure et la distribution spatiale de la population
haïtienne, les migration et tendances migratoires, les tendances de
l'économie haïtienne, de l'éducation, de la
sécurité alimentaire, de l'environnement. Les tendances de
l'état de santé de la population accusent un taux de
mortalité maternelle de 457 pour mille, une fécondité
réelle de 4,8 enfants par femme, une prévalence contraceptive de
moins de 20%. Les occasions perdues y ont été
évaluées ainsi que les acquis et nouvelles opportunités
à saisir.
II-4-2 Philosophie, principes et but de la
PNP.-
Au chapitre II est indiqué le cadre constitutionnel et
légal de la PNP comme la Constitution de 1987, les déclarations
« universelle des droits de l'homme »,
« américaine sur les droits et devoirs de l'homme »,
les conférences de « Rio sur l'environnement et le
développement (1992) », du « Caire sur la population
et le développement (1994) », de « Beijing sur la
femme (1995) », d' « Istambul sur les
établissements humains (1996) », le Sommet mondial de
Copenhague sur le développement social (1995).
Ce chapitre montre aussi les quatre (4) principes
respectés par la Politique Nationale de Population (PNP) qui sont
l'universalité, la globalité, l'équité et
l'autodétermination. On y trouve surtout le but de la PNP qui
consiste à «améliorer les conditions de vie du peuple
haïtien passant par la gestion rationnelle des variables
démographiques en appui à la mise en application synergique de
politiques sectorielles dans une optique de développement
durable » accompagné des objectifs
généraux et spécifiques.
II-4-3 Les axes stratégiques.-
Au chapitre III sont développés les quatre (4)
axes stratégiques de base de la PNP :
1) Gestion des variables démographiques incluant la
mortalité, spécifiquement la mortalité materno-infantile,
la natalité et la fécondité sous-jacente, la migration.
2) Promotion de l'équité de genre
3) Plaidoyer en faveur du droit reproductif
4) Promotion de l'intégration des variables
démographiques dans les plans sectoriels de développement
La PNP se propose, entre autres, d'augmenter
l'espérance de vie à la naissance, la prévalence
contraceptive de 13 à 50 % et de réduire :
a) la mortalité maternelle de 450 pour 100000
naissances vivantes à 100 pour 100000 naissances vivantes
b) la mortalité infantile de 74 pour 1000
à 34 pour 1000
II-4-4 Structure et procédure de mise en
oeuvre.-
Au chapitre IV, l'accent est mis sur
l'interdépendance des différents secteurs influant sur la
vie de l'individu et l'environnement comme la prise en charge des
jeunes, l'éducation, l'économie, la sécurité
alimentaire, l'environnement, la gouvernance, la justice et les droits humains.
La nécessité d'un plan d'actions global et intégré
qui doit être suivi par chaque organisme et ministère
concerné y est également abordé.
Au chapitre V est défini le cadre institutionnel pour
la mise en oeuvre de la politique de population. Il y est finalement
proposé la création d'un « Haut Commissariat à
la population (HCP) » ou d'un « Ministère de la
Population et du Développement Humain (MPDH) ».
En somme, la politique nationale de population (PNP) que nous
venons de présenter aurait été, comme indiqué dans
la préface et également à la page 19 du document de PNP,
le fruit d'une large participation citoyenne à l'échelle
d'Haïti.
« Cette politique est le résultat d'un
processus laborieux de sensibilisation, (...), de réflexions, d'analyses
auquel ont été impliqués, à un niveau ou à
un autre, les différents secteurs de la société
haïtienne, y compris la communauté internationale
(...) la large participation qui a marqué
l'élaboration de la politique et le consensus qui est entrain de
s'établir autour d'elle contribueront à garantir sa
pérennité
(...) Le processus qui a abouti à la formulation de
cette politique de population a privilégié la sensibilisation de
masse, la concertation, les consultations départementales, les ateliers
de réflexion, les conférences débats» (SEP, 2002)
Il est donc intéressant que nous nous penchions dans
le troisième et dernier chapitre de notre recherche sur ce volet -
combien important de nos jours dans la fabrication, la mise en oeuvre et
l'évaluation des politiques publiques - qu'est la
« participation ».
Chapitre III
L'influence de la participation citoyenne sur
l'élaboration de la Politique Nationale de Population (PNP)
L'accent est porté, dans ce chapitre, sur la
démarche « participative » (voir schéma plus
bas) utilisée par la Secrétairerie d'État à la
Population (SEP) pour arriver à l'élaboration de la politique
nationale de population. Nous essaierons de voir s'il y a une certaine suite
logique entre ces deux moments et faire ressortir les limites de cette
participation.
Pour réaliser cette dernière partie de notre
travail, nous nous sommes référé, d'une part, au
« Rapport des consultations départementales » de la
SEP (2000), en esquissant une grille d'analyse de quatre (4)
unités :
1. Forme de participation adoptée et objectif
poursuivi
2. Mode de désignation et catégorie de
participants
3. Procédure et Contenu des consultations
4. Mode de délibération
nous nous sommes servi, d'autre part, des informations
tirées des entretiens4(*) que nous avons eu avec deux hauts cadres de la SEP en
vue de compléter notre analyse.
Schéma III-2 : Le processus
participatif
Mode de délibéra
tion
Participation
Mode de désigna
tion
Procédu-re et Activi-tés
Forme de
Partici
pation

III-1 Forme de participation
adoptée et objectif poursuivi.-
La politique nationale de population (PNP) est, sans
conteste, une politique transversale. Puisque tout ce qu'on entreprend devrait
se faire en fonction des intérêts ou attentes d'une population
donnée. Qu'il s'agisse de décisions en matière
d'éducation, de santé, d'agriculture, d'économie ou
autres. Aussi adresser les problèmes de population reviendra -t-il
à interpeller tous les secteurs et catégories sociaux de la vie
nationale aux fins de trouver ensemble des éléments de solution.
C'est dans ce contexte que s'inscrit l'initiative de la Secrétairerie
d'État à la Population (SEP) de recourir à
la «consultation », une
forme de participation citoyenne, comme démarche préparatoire
à l'élaboration de la Politique Nationale de Population (SEP,
2000). Et cette consultation s'est trouvée combinée à
« l'information », une autre forme de
participation, susceptible de porter les participants des neuf (9)
départements à émettre des opinions et jugements
éclairés sur les questions de population qui leur ont
été soumises. Ce qui résume les trois objectifs
visés par les consultations départementales.
· « Assurer la mise à niveau des
Responsables des divers organismes des secteurs public et privé en
Haïti, ainsi que des membres de la société civile
organisée sur des questions de population et développement humain
durable en Haïti »
· « Sensibiliser les secteurs public et
privé ainsi que la société civile sur la
problématique de population et de développement humain en
Haïti »
· « Obtenir la participation de tous les
secteurs dans le processus d'élaboration de cette politique de
population en leur offrant la possibilité d'identifier les
problèmes et de proposer des solutions pouvant orienter les
stratégies à adopter pour faire face à ces
problèmes ». (SEP, 2000)
III-2 Mode de désignation et catégorie de
participants.-
Pour la mise en oeuvre de ce processus de consultations
nationales au niveau des neuf départements, la SEP a utilisé la
structure déconcentrée du ministère de la Santé
publique et de la population5(*) qui couvre tant soit peu le territoire à
travers ses directions départementales. Voulant toucher les
différents publics intéressés aux problèmes de
population en débat, la SEP a réalisé une mobilisation de
taille alliant le secteur public au secteur privé (SEP, 2000).
Chacune des entités concernées (secteur
privé et public) a délégué des représentants
à ces consultations départementales (Tableau ci-dessous). Le mode
de désignation est donc la délégation.
Les acteurs du secteur public sont : Les
représentants des Directions départementales des
ministères, des Mairies, des Casecs, de Hauts Cadres de la Fonction
publique, etc.
Les acteurs du secteur privé et de la
société civile organisée sont : Les
représentants de Partis politiques, des Eglises, des Vodouisants, des
Organisations populaires, des Associations professionnelles, etc.
Tableau III-3 : Distribution des participants aux
consultations par département et par secteur
Départements
|
Secteur public
Jour 1
|
Secteur privé
Jour 2
|
Total
|
Artibonite
|
53
|
65
|
118
|
Centre
|
62
|
66
|
128
|
Grand'Anse
|
28
|
32
|
60
|
Nord
|
37
|
35
|
72
|
Nord-Est
|
34
|
27
|
61
|
Nord-Ouest
|
44
|
63
|
107
|
Ouest
|
38
|
44
|
82
|
Sud
|
40
|
49
|
89
|
Sud-Est
|
71
|
108
|
179
|
Total
|
407
|
489
|
896
|
Source : SEP (2000)
Avec ces représentants ou
délégués, la SEP a réalisé deux (2)
journées de consultations dans chacun des neuf (9) départements
géographiques6(*) du
pays. la première journée est consacrée au secteur public
et la deuxième journée au secteur privé. L'histogramme
ci-après illustre les deux journées de participation par secteur
et par département.

Comment donc ces huit cent quatre vingt seize (896) citoyens
venus des secteurs public, privé et de la société civile
organisée des neuf départements7(*) d'Haïti, avec l'appui des experts et le soutien
de la communauté internationale, ont-ils pu débattre les
problèmes de population et rechercher des solutions qui devaient servir
de matière à l'élaboration de la PNP ?
III-3 Procédure et Contenu des
consultations
Le « programme type des consultations
départementales » trouvé en annexe du Rapport des
consultations départementales (SEP, 2000) nous a renseigné sur la
procédure qui a été adoptée pour la tenue des
dix-huit (18) journées d'environ neuf (9) heures de temps chacune.
En ce qui a trait à l'aspect
« informationnel », deux (2) heures sur les neuf (9) de
chaque journée de consultation ont été imparties à
la « projection documentaire sur la population et le
développement humain en Haïti », à
l' « exposé sur le concept de développement
durable » sans oublier l'allocution du directeur du
département sanitaire et de la présentation des objectifs des
consultations. Près de quatre (4) heures de temps ont été
consacrées aux « travaux en consultations » et au
« rapport des consultations, débats et
synthèses ». Les trois (3) heures restantes ont
été réservées à l'accueil des invités
et participants, la formation des groupes de travail, la pause café et
le lunch, la formation du Comité départemental multisectoriel de
population et la clôture.
A chaque journée de consultation,
cinq (5) groupes de travail ont été formés en vue de
débattre chacun l'un des cinq thèmes suivants :
1) Démographie qui comporte les
sous-thèmes « natalité, fécondité,
mortalité, migration, croissance démographique,
urbanisation/aménagement du territoire»
2) Socio-Culturel I qui comporte les
sous-thèmes « santé, prise en charge des jeunes,
équité de genre/Droit des femmes »
3) Socio-Culturel II qui comporte les
sous-thèmes « éducation, culture »
4) Économie qui comporte les
sous-thèmes « emploi, coût de la vie,
sécurité alimentaire, environnement »
5) Politique qui comporte les
sous-thèmes « gouvernance, droits humains,
sécurité publique ».
Les participants des groupes de travail respectifs ont eu
pour devoir d'identifier un certain nombre de problèmes liés au
sous-thème en question et en proposer des solutions.
Nous avons fait choix des trois (3) tableaux8(*) suivants représentant
respectivement les sous-thèmes « Natalité,
Fécondité et Croissance démographique »,
« Mortalité » et « Migration »
et ayant rapport avec les variables fondamentales de la démographie pour
faire voir les différents problèmes qui ont été
traités dans les travaux d'ateliers. A noter que chaque groupe de
consultation a réalisé la même opération en listant
une série de problèmes accompagnés parfois de solutions
éventuelles pour chacun des sous-thèmes suscités, soit un
total de quinze (15). Les problèmes formulés ont fait, en
général, référence à
l' « absence de planification, de programme et de politique
concernant le sous-thème ou au faible niveau de développement du
pays » (SEP, 2000).
Tableau III-4 : Répartition des
problèmes identifiés selon les catégories par
département par les sous-thèmes Natalité,
Fécondité et Croissance démographique
Catégories de problèmes
|
Art.
|
Ce
|
Ouest
|
N
|
Sud
|
S-E
|
G-A
|
N-O
|
N-E
|
Total
|
%
|
Niveau trop élevé
|
2
|
2
|
2
|
0
|
3
|
2
|
2
|
1
|
4
|
18
|
10.3
|
Niveau d'éducation trop faible
|
6
|
4
|
0
|
2
|
5
|
2
|
1
|
1
|
0
|
21
|
12.1
|
Prévalence contraceptive trop faible
|
3
|
2
|
0
|
2
|
0
|
2
|
2
|
0
|
0
|
11
|
6.3
|
Inadéquation, Faiblesse des programmes de
sensibilisation en matière de P.F
|
3
|
4
|
0
|
7
|
4
|
1
|
1
|
3
|
1
|
24
|
13.8
|
Démission des parents
|
1
|
2
|
0
|
0
|
1
|
0
|
0
|
1
|
1
|
6
|
3.4
|
Manque de loisirs
|
2
|
3
|
0
|
0
|
2
|
1
|
1
|
1
|
0
|
10
|
5,7
|
Croissance rapide de la population
|
0
|
2
|
1
|
0
|
2
|
2
|
2
|
1
|
2
|
12
|
6.9
|
Autres tabous (pitit se richès)
|
1
|
0
|
2
|
0
|
0
|
3
|
3
|
1
|
1
|
11
|
6.3
|
Chômage et promiscuité
|
5
|
4
|
0
|
0
|
6
|
1
|
0
|
3
|
0
|
19
|
10.9
|
Absence de Plan / Politique
|
3
|
0
|
1
|
5
|
0
|
2
|
0
|
0
|
0
|
11
|
6.3
|
Problèmes structurels
|
2
|
0
|
2
|
4
|
2
|
2
|
2
|
3
|
3
|
20
|
11.5
|
Autres
|
3
|
1
|
0
|
2
|
0
|
0
|
2
|
3
|
0
|
11
|
6.3
|
Ensemble
|
31
|
24
|
8
|
22
|
25
|
18
|
16
|
18
|
12
|
174
|
100.0
|
%
|
17.8
|
13.8
|
4.6
|
12.6
|
14.4
|
10.3
|
9.2
|
10.3
|
6.9
|
100.0
|
|
Tableau III-5 : Répartition des
problèmes identifiés selon les catégories par
département pour le sous-thème Mortalité
Catégories de problèmes
|
Art.
|
Ce
|
Ouest
|
N
|
Sud
|
S-E
|
G-A
|
N-O
|
N-E
|
Total
|
%
|
Niveau trop élevé
|
0
|
1
|
1
|
0
|
2
|
1
|
1
|
0
|
2
|
8
|
11.3
|
Education formelle trop faible
|
1
|
0
|
0
|
1
|
1
|
0
|
0
|
1
|
1
|
5
|
7.0
|
Insécurité trop élevée
|
0
|
1
|
0
|
0
|
3
|
0
|
0
|
0
|
1
|
5
|
7.0
|
Faible niveau d'éducation des jeunes en matière
de sexualité
|
2
|
0
|
0
|
1
|
0
|
0
|
1
|
0
|
1
|
5
|
7.0
|
Système sanitaire déficient
|
2
|
1
|
0
|
3
|
3
|
2
|
0
|
4
|
5
|
20
|
28.2
|
Ignorance / Tabous
|
0
|
0
|
0
|
0
|
1
|
0
|
1
|
0
|
1
|
3
|
4.2
|
Absence de Plan / Politique
|
3
|
0
|
0
|
1
|
0
|
0
|
0
|
0
|
0
|
4
|
5.6
|
Problèmes structurels
|
2
|
3
|
0
|
2
|
3
|
0
|
1
|
2
|
2
|
15
|
21.1
|
Autres
|
0
|
0
|
0
|
3
|
0
|
0
|
1
|
2
|
0
|
6
|
8.5
|
Ensemble
|
10
|
6
|
1
|
11
|
13
|
3
|
5
|
9
|
13
|
71
|
100.0
|
%
|
14.1
|
8.5
|
1.4
|
15.5
|
18.3
|
4.2
|
7.0
|
12.7
|
18.3
|
100.0
|
|
Tableau III-6 : Répartition des
problèmes identifiés selon les catégories par
département pour le sous-thème Migration
Catégories de problèmes
|
Art.
|
Ce
|
Ouest
|
N
|
Sud
|
S-E
|
G-A
|
N-O
|
N-E
|
Total
|
%
|
Exode rural
|
0
|
1
|
1
|
0
|
4
|
1
|
1
|
0
|
0
|
8
|
18.6
|
Migration Externe élevée
|
2
|
1
|
1
|
0
|
2
|
1
|
1
|
0
|
2
|
10
|
23.3
|
Manque d'infrastructure en milieu rural
|
0
|
0
|
0
|
2
|
4
|
0
|
0
|
0
|
0
|
6
|
14.0
|
Absence de plan / Politique
|
2
|
0
|
0
|
2
|
0
|
0
|
0
|
0
|
0
|
4
|
9.3
|
Problèmes structurels
|
1
|
0
|
0
|
3
|
5
|
0
|
0
|
3
|
1
|
13
|
30.2
|
Autres
|
0
|
0
|
0
|
0
|
0
|
0
|
0
|
1
|
1
|
2
|
4.7
|
Ensemble
|
5
|
2
|
2
|
7
|
15
|
2
|
2
|
4
|
4
|
43
|
100.0
|
%
|
11.6
|
4.7
|
4.7
|
16.3
|
34.9
|
4.7
|
4.7
|
9.3
|
9.3
|
100.0
|
|
III-4 Mode de délibération.-
Une fois les travaux en atelier
terminés, des séances plénières se sont tenues en
fin de journée. Chaque rapporteur y a présenté à
l'ensemble des participants la liste des problèmes identifiés par
son groupe ainsi que les solutions proposées pour chaque
sous-thème. Des discussions intéressantes en sont suivies (SEP,
2000).
Cette démarche dialogique et interactive a permis aux
participants (secteurs privé et public) des neufs départements
d'arriver à un consensus autour d'une panoplie de problèmes en
rapport avec la problématique de Population et du Développement
qu'ils ont identifié et que la SEP a consigné dans le Rapport
des Consultations Départementales (SEP, 2000). Ainsi, la
présentation des rapports en séance plénière suivie
de débats publics et de consensus participe d'un processus de
délibération démocratique.
III-5 Rapport entre le contenu des Consultations
Départementales et celui de la Politique Nationale de
Population
L'analyse des deux documents, à savoir le
« Rapport des Consultations Départementales » et la
« Politique Nationale de Population », ne nous a pas permis
de déceler une relation étroite entre eux malgré le fait
que le premier soit vieux de deux ans (SEP, 2000) par rapport au second (SEP,
2002). S'il y a un certain rapport logique entre eux, il n'est qu'implicite.
C'est en ce sens que nous avons compris la réponse du directeur de la
Population de la SEP à notre question concernant l'influence
qu'aurait les consultations sur l'élaboration de la politique nationale
de population : «Les experts, en rédigeant la politique
nationale de population, se sont simplement inspirés de l'esprit des
consultations départementales ». Notre interviewé a
poursuivi pour dire, sans le prouver «toutefois, s'il n'y avait pas les
consultations, on aurait un autre document de politique de population, pas
celui-ci ».
Pour le directeur de la communication de la SEP que nous
avons également interviewé, «le contenu des consultations
pourrait davantage servir à définir les stratégies
d'actions à entreprendre alors que la Politique Nationale de Population
ne fait que s'inscrire dans le cadre du Programme d'Action de la CIPD 94
(Conférence Internationale sur la Population et le
Développement)» Notons que cette conférence a
été tenue au Caire en 1994 et Haïti, en tant qu'un des 179
pays participants, a du honorer ses engagements en formulant sa politique de
population de 2002. Celle-ci devrait, en effet, être conforme aux buts
et objectifs du Programme d'action de la CIPD 94 qui sont « la
croissance économique soutenue dans le cadre du développement
durable, l'éducation, en particulier celle des filles,
l'équité et l'égalité entre les sexes, la
réduction de la mortalité infantile, juvénile et
maternelle, et l'accès universel aux services de santé de la
reproduction, y compris la planification familiale et la santé en
matière de sexualité » (UNFPA, 1994). A signaler que
cette velléité des Nations-Unies d'orienter la politique de
population des pays remonte au Sommet mondial sur la Population tenu à
Bucarest en 1974.
III-6 Les limites de cette participation
citoyenne
A ce stade de notre recherche, nous admettons qu'il y a eu
une certaine participation citoyenne cristallisée lors des consultations
départementales réalisées au cours de la période
allant du 14 septembre au 5 novembre 1999 (SEP, 2000). Mais dans le cadre d'une
démocratie de proximité, ne devrait-on pas plutôt envisager
de les tenir à un pallier de collectivités territoriales
inférieur à celui du département ? Vu la situation
précaire du pays, il se révèle plus difficile de
réaliser de telles consultations au niveau des 565 sections communales
en termes du grand volume de temps, de ressources humaines, matérielles
et financières qu'il faudrait mobiliser. Le mieux aurait
été de les organiser au niveau des 133 communes qui sont, de
l'avis de certains spécialistes, le niveau de collectivités
territoriales par excellence. De toute façon, nous avons abondé
dans le même sens que le directeur de communication de la SEP qui estime
que l'échantillon obtenu pour l'ensemble des départements est
suffisamment représentatif. D'autant qu'il y a eu des
représentants de mairies et de sections communales à prendre
part aux consultations départementales. Mais nous n'avons pas eu
l'opportunité de consulter la liste des participants - disponible
à la SEP - pour voir si cette catégorie de représentants
pouvait avoir un poids significatif dans la balance.
Le directeur de la population de la SEP nous a, cependant,
affirmé qu'il y a eu une réelle participation citoyenne lors des
consultations sans influence aucune des experts ou autres cadres
présents. A la question de savoir si un simple exposé et une
projection documentaire pouvaient être suffisants pour armer les
participants aux discussions, notre interviewé a admis que «ces
citoyens devraient avoir des informations beaucoup plus larges et
générales ayant trait à des domaines divers pour mieux
intervenir sur la question de population». Le directeur de communication
de la SEP a, pour sa part, été plus technique dans sa
réponse. Il a estimé en se référant à la
communication sociale que « les participants, fraîchement
exposés à des messages audio-visuels, sont en mesure de
réagir convenablement dans les ateliers et de faire oeuvre qui
vaille». Cette explication s'inspire du modèle de la communication
persuasive de Wayne C. Minnick selon lequel « l'usage de la
persuasion du type scientifique permet d'assurer la gestion adéquate des
affaires publiques » (Willet, 1992).
Nous ne saurions toutefois écarter l'idée d'une
certaine asymétrie dans la participation compte tenu que les gens sont
issus de milieux socio-économiques divers et de niveaux intellectuels
différents. Ce qui laisse supposer que certains participants ayant eu
du mal à exprimer et faire valoir ses points de vue ont dû
adopter une attitude de suiviste. Nous n'avons pu avoir le profil
détaillé des participants et savoir le mode d'animation
utilisé dans les ateliers de travail pour approfondir cet aspect de la
question.
Somme toute, ces consultations départementales ont
permis d'avoir un mode de participation que nous pourrions qualifier de
«participation intellectuelle» (Limbos, 1986). Quitte à se
demander si le citoyen ordinaire haïtien, le plus souvent
analphabète, ait pu bien jouer sa participation au concert des nantis du
savoir et de l'avoir. D'autres études devraient se porter sur cet
angle.
A partir des réserves que nous venons de formuler, il
importe d'adopter une attitude beaucoup plus critique face à la
déclaration du ministre de la santé publique et de la population
selon laquelle «l'élaboration du document de politique nationale de
population a fait l'objet d'une large participation, ce qui devrait contribuer
à établir autour d'elle un consensus et à garantir sa
pérennité» (SEP, 2002).
C'est vrai que la SEP a emprunté la démarche
participative - via les consultations départementales - aux fins de
permettre à un groupe de citoyens de se prononcer sur la
problématique de la population mais les informations que nous avons
recueillies, tout au cours de notre recherche, nous habilitent finalement
à nuancer notre hypothèse par le fait que ces consultations n'ont
sinon aucune du moins très peu d'influence sur l'élaboration de
la politique nationale de population. Peut-être une influence d'ordre
cognitif.
Ainsi, notre hypothèse de recherche n'a pas
été confirmée du moins très partiellement. Puisque
le paramètre relatif aux « décisions prises dans les
grandes assises internationales sur la population» (UNPIN, 1994)
semble avoir été beaucoup plus déterminant dans la
rédaction du document de politique de population, assurée par des
professionnels de plusieurs horizons (économiste, médecins,
démographes et communicateur).
Conclusion.-
Nous avons, tout au long de notre travail, mis l'accent sur la
nouvelle orientation qu'a connue, dans les années 1970-80, le
processus d'élaboration des politiques publiques dans les pays
occidentaux. Celui-ci n'est plus l'apanage exclusif de l'État mais la
résultante d'une multiplicité d'acteurs sociaux évoluant
tant dans la sphère privée que publique. D'où
l'émergence de la méthode dite « d'ajustements
mutuels ». Nous nous sommes servis justement de ce corpus
théorique pour étudier l'influence de la participation citoyenne
sur le processus d'élaboration de la Politique nationale de
Population.
Au terme de l'analyse des documents de « politique
nationale de population » et du « Rapport des
Consultations départementales », nous nous sommes rendus
compte qu'effectivement divers acteurs tant du secteur public que privé
avaient pris part aux activités préparatoires à
l'élaboration de la politique de population d'Haïti (SEP, 2000).
Cependant, le processus n'a vraiment pu aboutir. Puisque nous n'avons pu
établir le rapport étroit existant entre les consultations
départementales et la politique nationale de population. Si la
participation citoyenne a eu une quelconque influence, elle a
été tout simplement subordonnée au Programme d'action de
la CIPD 94 définissant le canevas de la politique de population des
pays membres.
Le document de politique nationale de population est, de ce
fait, du modèle technocratique. Son élaboration est plutôt
l'oeuvre de bon nombre de démographes et de médecins. En tant que
politique transversale, elle ne saurait négliger la synergie et la
contribution d'autres secteurs. Cependant, le fait que bon nombre
d'institutions ou de secteurs concernés n'ont pas été
impliqués, ni de près ni de loin, dans le processus
d'élaboration de la politique met en doute la large participation dont
parle le ministre de la Santé publique et de la population (MSPP)
préfaçant le document.
D'autre part, le mode de désignation des participants
aux Consultations Départementales adopté par la
Secrétairerie d'État à la Population a permis d'avoir
une participation de type « élitiste ». Les
délégués ont fait partie justement de l'élite de
leur institution ou de leur association. On n'avait pas pensé à
faire participer le citoyen ordinaire qui ne soit membre d'aucune organisation
comme cela se fait, par exemple, dans la formation de
« conférence de citoyens ou de consensus ».
Somme toute, le processus de participation citoyenne, via la
tenue des Consultations départementales préparatoires à
l'élaboration de la Politique nationale de population enclenché
par la Secrétairerie d'État à la Population, a
été une expérience assez enrichissante dans un contexte de
transition démocratique. L'État haïtien a montré
sa volonté manifeste d'associer les citoyens aux grandes
décisions publiques. On n'a, certes, pas encore atteint cette
finalité. Mais cela ne tardera pas à y arriver.
En matière de politiques publiques en Haïti, on
devra s'ouvrir vers une plus large participation citoyenne tant en amont qu'en
aval en vue de conférer à ces politiques beaucoup plus de
légitimité et de faciliter davantage leur mise en oeuvre. Ce
n'est qu'à cette condition que le processus de participation citoyenne
amorcé actuellement par la Secrétairerie d'État à
la Réforme judicaire (dossier de réforme de la justice) et le
Ministère de l'Intérieur et des Collectivités
Territoriales (dossier de décentralisation et de collectivités
territoriales) puisse réussir. On pourrait alors espérer faire
une expérience similaire à celle de Porto Alegre au
Brésil9(*).
BIBLIOGRAPHIE
· Beaud M (1988), L'Art de la thèse, Paris, la
Découverte
· Bernoux, P (1990), La sociologie des organisations, Ed.
du Seuil, France
· Bevort, A (2002), Pour une démocratie
participative, Presse de Science Po, France
· Briand, M, Le budget participatif in Expression
citoyenne
www.vecam.org/article580.html
Site consulté le 24 avril 2007.
· CEDH (1997), La Constitution de la République
d'Haïti, 29 mars 1987
· Enriquez, E (1995), De la horde à l'Etat,
Collection Connaissance de l'inconscient, Ed. Gallimard, France
· Gérard, H (1983), Politiques de population,
Etudes et Documents #1, Département de Démographie des
Universités de Louvain et de Montréal, Institut national
d'études démographiques- Paris, CIACO Editeur
· Gilbert, M (2004), Se prendre en charge ou
disparaître, L'Imprimeur II, Haïti
· Groupe de recherche et d'intervention en
développement (2005), Aide-mémoire sur la participation, la
décentralisation et le développement local
· Guengant, J-P. (1990), Monographies sur les politiques
de population : Haïti, ORSTOM, Fonds documentaire, Nations-Unies
· Haupt, A et Kane, T (1980), Guide de
Démographie, Population Reference Bureau Inc, USA
· Houtart, F (1995), Le défi de la mondialisation
pour le sud, Une publication conjointe du CRESFED et du CETRI
· Insee Guadeloupe Démographie, Panorama de
l'espace Caraïbe
www.insee.fr/Fr/insee_regions/guadeloupe/publi/pano_demographie.htm
Site consulté le 22 mars 2007
· Lajoie, A (1999) Gouvernance et société
civile, dans D. M. Hayne (dir. Ed.), La gouvernance au 21ème
siècle, Acte d'un colloque tenu sous les auspices de la
Société Royale du Canada
www.dhdi.free.fr/recherches/gouvernance/articles/lajoiegouver
nance.pdf Site consulté le 8 mars 2007
· Lemieux, V, (1995), L'étude des politiques
publiques - Les acteurs et leur pouvoir, Les presses de l'Université
de Laval
· Limbos, E, (1986), La participation - Conseils et
méthodes pour développer la qualité et l'animation de la
vie associative, Collection Formation permanente en Sciences Humaines, les
Editions ESF, France
· Loriaux, M, (2000), Population et
développement : Une approche globale et systémique, Academia
Bruylant / L'Harmattan, Louvain - la - Neuve / Paris
· Mackinnon, M. P, (2006), Les citoyens et l'aspect
horizontal des politiques : un ajustement naturel, Horizon Policy
Management Conference, Réseau de la participation publique, Ottawa
· Massardier, G (2003), Politiques et actions publiques,
Ed. Dalloz, Armand Collin, Paris
· Minot, D, Le projet de territoire : Elaboration
et conduite partagée d'un projet de territoire, La Bergerie nationale,
France
· Montoussé, M et Renouard, G (1977), 100 fiches
pour comprendre la Sociologie, Bréal, Cedex
· Pactet, P (2000), Institutions politiques, Droit
constitutionnel
· Peemans, J.P. (2002), Le développement des
peuples face à la modernisation du monde, Academia Bruylant /
L'Harmattan, Louvain - la - Neuve / Paris
· Piard, F (2004), Construire le mémoire de sortie
Méthode, procédés et procédures, Editions
Duvalsaint, Port-au-Prince, Haïti
· Quivy, R et Luc Van, C. (1995), Manuel de Recherche
en Sciences Sociales, Paris, Dunod, 1995
· Secrétairerie d'Etat à la Population
(2002), Politique Nationale de Population (sous la direction du Dr Jean
André), Port-au-Prince, Haïti
· Secrétairerie d'Etat à la Population
(2000), Vers l'élaboration de la Politique Nationale de Population,
Rapport des consultations départementales (sous la direction du Dr Jean
André), Port-au-Prince, Haïti
· Thoenig, J.C (1985), Les politiques publiques in
Traité de Science politique, sous la direction de Madeleine Grawitz et
Jean Leca, PUF
· Tocqueville, A, (1835, 1840) De la démocratie en
Amérique
(Version électronique)
· Thomas, J C, (2002), Action publique et participation
des citoyens, Nouveaux Horizons, Imprimerie Jouve, Paris
· United Nations Population Information Network (1994),
Rapport de la Conférence Internationale sur la Population et le
Développement
www.un.org/popin/icpd/conference/offfre/conf13.fre.html
Site consulté le 17 mai 2006
· Willet, G (1992), La communication
modélisée, Une introduction aux concepts, aux modèles et
aux théories, Éditions du Renouveau Pédagogique Inc,
Ottawa, Canada
ANNEXES
Annexe 1
Guide d'Entretien autour des Consultations
Départementales
en vue de l'élaboration de la Politique
Nationale de Population
1- Ya -t-il eu une réelle participation des citoyens
lors de la tenue des consultations ?
Pas vraiment ? Suffisamment ? Certainement ? Nullement ?
2- Un simple exposé et une projection documentaire
sont-ils suffisants pour armer les participants aux discussions ?
Pas vraiment ? Peu suffisant ? Certainement ? Nullement
?
3- Le fait que les consultations ont eu lieu uniquement au
niveau des départements, peut-on dire que les opinions recueillies
traduisent aussi celles de la population des communes et sections communales
du pays ?
Pas vraiment ? Suffisamment ? Certainement ? Nullement
?
4- Ne pensez-vous pas que sans les consultations, la
Politique nationale de population aurait eu le même contenu ?
Pas vraiment ? Suffisamment ? Certainement ? Nullement
?
5- En quoi les consultations ont influé sur
l'élaboration de la Politique nationale de population ?
Annexe 2
Programme type des consultations
départementales
8 :30 - 9 :00 Arrivé des invités
9 : 00 - 9 :30 Ouverture officielle
a) Allocution du Directeur du Département sanitaire
b) Présentation du POP-DEV (projection documentaire
à base d'informations et d'images relatives à la Population et au
Développement Humain en Haïti)
10 : 30 - 11 :00 Exposé sur le Concept de
Développement Humain Durable
11 :00 - 11 :15 Pause café
11 :15 - 11 :30 Formation des consultations
11 :30 - 13 :30 Travaux en consultations
13 :30 - 14 :30 Lunch
14 :30 - 16 :00 Rapport des consultations,
Débats et Synthèses
16 :00 - 16 :45 Formation du Comité
Départemental Multisectoriel de Population
16 :45 - 17 :00 Clôture
* 1 Cette méthode de
participation a été conçue et initiée en 1987 au
Danemark. Elle est également pratiquée en France dans une version
légèrement nuancée.
* 2 Cette méthode a
été expérimentée en Allemagne dans les
années 1970 par le sociologue Peter Dienel. On la retrouve
utilisée aussi aux Etats-Unis, en Grande Bretagne et en Espagne.
* 3 Ce qui illustre fort bien la
définition de Dye, citée par Thoenig que nous avons
évoquée plus haut dans notre travail.
* 4 Le guide d'entretien se
trouve en annexe du document
* 5 Son ministère de
tutelle
* 6 Les Nippes, au moment des
consultations, n'étaient pas encore élevés au rang de
département et relevaient de la Grand'Anse. Ce qui , aujourd'hui, va
porter le nombre à dix.
* 7 Le département est
l'un des trois niveaux de collectivités territoriales, selon la
Constitution de 1987.
* 8 Nous avons trouvé ces
tableaux dans les annexes du Rapport des Consultations départementales
(SEP, 2000)
* 9 La capitale de Rio Grande
dans laquelle a été lancé en 1989 le budget participatif.
Cette expérience de portée nationale et internationale a traduit
le partage de la prise de décision entre les branches exécutives
ou législatives et la société civile.
|